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Publié par l’association Alter-médias / Basta !

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04.12.2025 à 07:30

Derrière la Nuit du bien commun, l'ombre embarrassante de Stérin et toute une galaxie d'hommes d'affaires

Clément Le Foll
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Alors que son édition parisienne devrait se tenir ce jeudi 4 décembre, la Nuit du Bien commun tente de s'éloigner de son sulfureux fondateur Pierre-Édouard Stérin. Chefs d'entreprises catholiques traditionnalistes, startuppers conservateurs, grands patrons philanthropes... Notre enquête montre que de nombreuses figures du monde des affaires, de Stanislas de Bentzmann à Denis Duverne, ont été associés dès le début aux activités caritatives du milliardaire d'extrême droite, dont la politique (…)

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Texte intégral (4235 mots)

Alors que son édition parisienne devrait se tenir ce jeudi 4 décembre, la Nuit du Bien commun tente de s'éloigner de son sulfureux fondateur Pierre-Édouard Stérin. Chefs d'entreprises catholiques traditionnalistes, startuppers conservateurs, grands patrons philanthropes... Notre enquête montre que de nombreuses figures du monde des affaires, de Stanislas de Bentzmann à Denis Duverne, ont été associés dès le début aux activités caritatives du milliardaire d'extrême droite, dont la politique n'a jamais été éloignée. Certains continuent parfois de graviter dans le même écosystème.

Ce 14 juin 2017, l'ambiance est studieuse dans les bureaux cossus des Jardins de Saint Dominique, un lieu de séminaire dans le VIIe arrondissement parisien, mis gracieusement à disposition par l'entreprise Chateauform. Les photos, encore accessibles sur les réseaux sociaux de la Nuit du Bien Commun, montrent une table encombrée de bouilloires, de bouteilles d'eau et de fascicules. Assis autour de celle-ci, l'homme d'affaires Pierre-Édouard Stérin et le patron de la société Obole Stanislas Billot de Lochner écoutent attentivement les présentations. Vingt-six associations participent à ce grand oral. Un représentant d'Espérance banlieues, réseau d'établissements privés hors contrat où les élèves portent l'uniforme, expose ses besoins de financement pour une de ses écoles. L'objectif : convaincre le jury réuni ce jour-là, afin de participer à la toute première édition de la Nuit du bien commun, qui se tiendra quelques mois plus tard, en novembre, au théâtre Mogador à Paris. Cet événement caritatif conçu par Stérin et Billot de Lochner a pour principe de mettre en relation des associations et des mécènes au cours d'une soirée festive.

Charles Beigbeder

Pour l'épauler dans cette première sélection, Pierre-Édouard Stérin a réuni autour de la table ses premiers soutiens. Il y a notamment Charles Beigbeder, l'entrepreneur derrière Poweo et AgriGeneration, très actif dans la French Tech, ancien membre de l'UMP qui est aussi un fervent défenseur de la Manif pour tous et de l'union des droites et un soutien financier d'Atlantico, de L'incorrect ou encore de l'école de science politique créée par Marion Maréchal. Également présent ce jour là, Stanislas de Bentzmann, patron de Devoteam, une importante société de conseil en numérique qui compte plus de 4 300 collaborateurs. Il a été, comme Charles Beigbeder quelques années auparavant, le président de CroissancePlus, un lobby de patrons de PME et d'entreprises de taille intermédiaire. C'est lors d'un événement de cette association professionnelle qu'il confie avoir rencontré Stérin.

Benoît Dumoulin, le directeur de cabinet de la société Audacia de Beigbeder, Antoine Desjars, fondateur du cabinet de conseil Ares&Co, et Hugues de Lastic Saint Jal de la société Eurydice, prestataire technique audiovisuel de la première Nuit du bien commun, complètent le panel. Est également assise autour de la table Caroline de Malet, chef de service Débats au Figaro, partenaire officiel de l'événement, qui fera paraître dans le journal un élogieux article de compte-rendu. Elle y précise que les hommes d'affaires présents ce jour là ont, en plus d'aider à la sélection des candidats, « entièrement financé l'organisation de la soirée » au sein d'un groupe d'« une dizaine d'entrepreneurs soucieux du bien commun ».

Des « Nuits » de plus en plus chahutées

Huit ans après son édition inaugurale de 2017, la Nuit du bien commun s'enorgueillit d'avoir soutenu 560 projets et levé 28 millions d'euros. Une nouvelle édition parisienne se tient ce jeudi 4 décembre aux Folies Bergères, après d'autres soirées dans une quinzaine de villes françaises cette année. Mais l'événement a lieu dans un contexte beaucoup plus tendu. Depuis la révélation à l'été 2024 du « projet Périclès », par lequel Pierre-Édouard Stérin prévoit d'investir plusieurs dizaines de millions d'euros pour la victoire électorale de l'extrême droite, les regards scrutateurs se sont tournés vers ses autres activités, y compris philanthropiques.

La Nuit du bien commun a servi à financer de nombreuses associations proches des réseaux catholiques réactionnaires, comme la Maison de Marthe et Marie, accusée de réaliser un lobbying anti-IVG (lire l'enquête du collectif Hors Cadre pour Le Poulpe), ou Excellence Ruralités, réseau d'établissements hors contrats qui prônent un enseignement traditionaliste (lire l'enquête du même collectif pour Basta !). Dans les villes où sont organisées des Nuits du bien commun, les manifestations sont désormais systématiquement organisées, conduisant parfois à des annulations, comme à Aix-en-Provence début octobre. Les opposants à Stérin se sont encore donnés rendez-vous ce 4 décembre à Paris, dans un appel relayé par de nombreux syndicats et associations.

Dans sa communication officielle, la Nuit du bien commun tente désormais de prendre ses distances avec Pierre-Édouard Stérin. Son départ du conseil d'administration de l'événement, ainsi que celui des deux autres co-fondateurs Stanislas Billot de Lochner et Thibaut Farrenq, a été annoncé en juin dernier. Les porte-paroles de la Nuit du bien commun réaffirment que l'événement se veut « fédérateur, aconfessionnel et a politique » et réfutent aujourd'hui tout lien avec les batailles culturelles et politiques de Pierre-Édouard Stérin. « Bien que la proximité des noms puisse prêter à confusion, il n'y a aucun lien de gouvernance entre ces deux fonds de dotation. Ce sont deux initiatives indépendantes l'une de l'autre », écrit-elle sur son site. « Nous acceptons pour autant que le Fonds du Bien Commun soutienne certaines de nos soirées et de nos associations lauréates », poursuit-elle cependant. De fait, plusieurs associations ont été financées conjointement par les deux structures, comme Esprit de patronages.

La Nuit du bien commun tente désormais de prendre ses distances avec Pierre-Édouard Stérin.

Les documents que nous avons pu rassembler pour cette enquête, y compris des archives depuis effacées des sites internet de la Nuit du bien commun et du fonds de dotation créé parallèlement par Pierre-Édouard Stérin pour l'accompagner, le Fonds du bien commun, démontrent de fait que leurs liens avec les réseaux de la droite culturelle et politique sont anciens, et qu'ils perdurent jusqu'à aujourd'hui. Et que l'homme d'affaires a réussi à embarquer dans sa croisade culturelle de nombreux hommes d'affaires, certains clairement identifiés à l'extrême droite de l'échiquier politique, d'autres plus discrets sur leurs engagements.

« La tech, les énergies fossiles et la finance alternative »

Gonzague de Blignières

Dès 2019, la Nuit du bien commun s'est structurée autour d'un conseil d'administration, composé des trois fondateurs Stérin, Billot de Lochner et Farrenq, avec trois autres hommes d'affaires influents. Xavier Caïtucoli, le premier, est l'ancien directeur général de Direct Énergie, racheté en 2018 par TotalEnergies. Après être resté un an au sein du groupe pétrogazier, il a investi dans plusieurs entreprises du secteur de l'énergie, dont Transition S.A. (fusionné entre-temps avec Arverne) et Verso Energy. (Coïncidence ou non, Arverne et Verso figurent parmi les entreprises rencontrées à Bruxelles par Marion Maréchal, dans le cadre de son mandat de députée européenne. Voir notre article.)

Le deuxième est Gonzague de Blignières, ancien patron de Barclays Private Equity et cofondateur de Raise. Imaginé avec Clara Gaymard, ex patronne de General Electric France et femme de l'ancien homme politique français Hervé Gaymard, cette société est l'un des grands noms du capital-investissement français. Elle a recruté l'ancien ministre de l'Agriculture Julien Denormandie comme « senior advisor » à son départ du gouvernement. Otium, le fonds d'investissement de Pierre-Édouard Stérin, a investi dans des fonds de Raise, comme nous l'avons souligné dans notre récente enquête (lire Face à Pierre-Édouard Stérin, le grand silence de la « French Tech »).

Stanislas de Bentzmann complète le trio. « J'ai aidé financièrement Pierre-Édouard Stérin dans ce projet que je trouvais ambitieux et novateur en France, résume le président de Devoteam qui explique avoir pris depuis ses distances avec la soirée. La Nuit du bien commun a pris son envol. Pierre-Édouard continue de me solliciter de temps en temps pour me demander si je suis intéressé à l'idée de soutenir une association. Nous conservons une relation courtoise. Mais je ne suis absolument pas associé à ses autres projets. »

Ils sont issus des mêmes milieux que Pierre-Édouard Stérin, catholiques et des starts-up.

Pour Théo Bourgeron, sociologue à l'université d'Édimbourg et co-auteur avec Marlène Benquet de La finance autoritaire (Raisons d'agir, 2021), les trois profils de l'ancien conseil d'administration de la Nuit du bien commun « sont intéressants, car ils sont issus des mêmes milieux que Pierre-Édouard Stérin, catholiques et des starts-up. On constate également qu'ils reflètent presque caricaturalement les principaux soutiens de l'extrême-droite en France : la tech, les énergies fossiles et la finance alternative. »

Stanislas de Bentzmann et Xavier Caïtucoli ne cachent par leur proximité avec l'extrême droite. En 2022, Stanislas de Bentzmann participait, selon La Lettre, à un dîner privé avec Éric Zemmour, Henri de Castries d'Axa et d'autres patrons. Il y a quelques mois, il a cosigné avec son frère une tribune dans Le Figaro intitulée « Notre économie n'a pas besoin de plus d'immigration ». Quant à Xavier Caïtucoli, ancien cadre du MNR de Bruno Mégret, une enquête de Mediapart a révélé qu'il fait partie des donateurs de la campagne présidentielle du même Éric Zemmour. En janvier 2022, il était présent au meeting de Villepinte du candidat Reconquête.

L'étrange archive du Fonds du bien commun

Une archive transmise à l'Observatoire des multinationales suggère que Stanislas de Bentzmann a pu être davantage impliqué qu'il ne le suggère dans les projets de Pierre-Édouard Stérin. En 2021, ce dernier crée en effet le Fonds du bien commun, un fonds de dotation théoriquement abondé par les profits de ses investissements regroupés sous la marque Otium (en réalité, comme nous l'avons révélé, le Fonds du bien commun est financé par Stérin sous la forme de prêts). Contrairement à la Nuit du bien commun, dont le principe est de présenter à des mécènes venus assister aux soirées des associations et des projets pré-sélectionnés par les organisateurs, le Fonds du bien commun donne à Stérin encore plus de liberté dans le choix de ses financements, exclusivement fléchés vers des associations en phase avec les valeurs qu'il défend, comme la Nuit des influenceurs chrétiens, la plateforme de prière en ligne Hozana ou le spectacle Murmures de la cité à Moulins mettant en scène une vision révisionniste et biaisée de l'histoire de France (lire l'enquête du collectif Hors cadre pour Basta ! ici et ).

Stanislas de Bentzmann

Le document que nous avons pu consulter – dont nous n'avons pas pu établir la date précise et qui est aujourd'hui introuvable sur le site – se présente comme une page du site du Fonds du bien commun, qui présente celui-ci non comme un fonds de dotation crée par un milliardaire, mais comme « un mouvement collectif de dizaines d'entrepreneurs, dirigeants d'associations et d'entreprises ». Suit une liste de membres avec leur portrait, au premier rang desquels Ghislain Lafont, l'ancien président du conseil de surveillance de Bayard, qualifié de « Président du Fonds du bien commun », Edward Whalley, le directeur général du Fonds du bien commun depuis 2024 et présenté sous ce titre, puis Stanislas de Bentzmann et d'autres dirigeants d'entreprises ou de fonds d'investissement comme Domino RH, Partech, ManoMano ou Payfit.

Selon l'archive, ces entrepreneurs « participent au financement et au soutien des équipes dans la définition et la mise en œuvre de la stratégie du fonds du bien commun ». Questionné à ce propos, Stanislas de Bentzmann réfute tout lien avec le Fonds du bien commun. Aucune des autres personnes citées n'a répondu à nos demandes de confirmation, de sorte que nous ne sommes pas en mesure de garantir l'authenticité du document. Des liens existent entre certains noms cités et la galaxie Stérin, qui est par exemple investisseur de Payfit, tandis que le fondateur de ManoMano a un temps travaillé pour Otium.

Les présidents d'Axa et de Sanofi au comité des mécènes de la Nuit du bien commun

Plusieurs hommes et femmes d'affaires cités parmi les membres du « mouvement collectif » que serait le Fonds bien commun apparaissent également dans les premiers soutiens de la Nuit du bien commun en 2017 ou dans la liste du « comité des mécènes » de la Nuit du bien commun – une liste elle aussi disparue du site de l'événement mais dont on retrouve bien, dans ce cas, la trace dans les archives du net. Ce comité est généralement composé d'une vingtaine de personnes, en très grande majorité des hommes. Certains d'entre eux sont historiquement liés à Pierre-Edouard Stérin comme Paul-François Croisille, président d'Excellence Ruralités, financé par le Fonds du bien commun, aujourd'hui trésorier du fonds de dotation de La Nuit du Bien Commun.

La liste en date de 2020 inclut par exemple le cofondateur de la marque alimentaire Michel & Augustin Michel de Rovira, le directeur général de Sud Radio Patrick Roger, ou le fondateur de Webhelp Olivier Duha (qui a lui aussi été un temps le président du lobby CroissancePlus). Mais aussi – de manière plus inattendue – les anciens présidents du conseil d'administration d'Axa (jusqu'en 2022) et de Sanofi (jusqu'en 2023), Denis Duverne et Serge Weinberg.

Je suis très surpris à la lecture de ce document. Je n'ai jamais fait partie d'un tel comité.

« Je suis très surpris à la lecture de ce document. Je n'ai jamais fait partie d'un tel comité, confie Serge Weinberg à l'Observatoire des multinationales. Je ne savais pas que je faisais partie des mécènes de la Nuit du bien commun en 2020, mais cela s'explique sans doute par le fait que Denis Duverne, alors président d'Axa et moi avions lancé en 2018 un mouvement destiné à favoriser la philanthropie « changer par le don ». Nous avions demandé à la société Obole, également organisatrice des soirées du bien commun, de nous aider à organiser quelques manifestations destinées à lever des fonds pour des associations sélectionnées par plusieurs acteurs de la philanthropie. » À croire que ni la Nuit du bien commun ni le Fonds du bien commun ne consultaient leurs partenaires et mécènes avant de les afficher sur leurs sites web.

Aujourd'hui, les mécènes historiques de l'événement font majoritairement profil bas. « Je ne vois pas l'intérêt de cette discussion », balaye l'un d'entre eux à notre demande d'interview. Le président-fondateur de la société Domino RH, Loïc Labouche, argumente lui son refus : « Ayant été déjà suffisamment perturbé sur ce sujet par une succession d'attaques infondées, je ne passerais pas une minute de plus pour en échanger. Grâce aux organisateurs nous versons des dons à des associations méritant un grand respect pour ce qu'elles apportent à des personnes en difficulté. Cela ne devrait pas faire l'objet de polémiques mais, au contraire, susciter d'autres belles initiatives en ce sens. »

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Obole, une société au cœur de la galaxie Stérin

Au centre des liens entre Pierre-Édouard Stérin et la Nuit du bien commun, il y a aussi la société chargée d'organiser l'événement depuis 2017 et citée par Serge Weinberg : Obole. Elle a été lancée par les cofondateurs de la Nuit, Stanislas Billot de Lochner et Thibaut Farrenq, pour favoriser la numérisation des dons fait à l'Église. Pierre-Édouard Stérin est présent au capital de l'entreprise d'Obole depuis 2020. Il a été rejoint en 2021 par la Financière de Rosario, fonds créé il y a une cinquantaine d'années par Jean-François Michaud, figure du groupuscule d'extrême-droite Groupe union défense (GUD). En 2024, le fonds a été repris par ses fils, proches des groupuscules de Génération identitaire ou des Natifs selon Le Nouvel Obs.

En plus d'organiser les Nuits, Obole conseille également dans des levées de fonds ou des évènements certaines associations lauréates.

En 2022, Obole a également lancé son start-up studio, baptisé Obole Lab. Au capital, on retrouve encore Pierre-Édouard Stérin, mais aussi Denis Duverne, Olivier Duha, le fonds d'investissement de Loïc Labouche le patron de Domino RH, et une société liée à Vincent Strauss, autre figure de la finance alternative cité dans le comité des mécènes de 2020. En plus d'organiser les Nuits, Obole conseille également dans des levées de fonds ou des évènements certaines associations lauréates de la Nuit du Bien Commun, comme Le Rocher, Lazare ou Espérance banlieues. Depuis 2022, Obole Lab est actionnaire majoritaire de Oh My Love, la première application de rencontre intra-conjugale, dont le but est de reconnecter un couple pour éviter des divorces. Une initiative auréolée en 2024 du prix des couples, une distinction soutenue par... le Fonds du bien commun de Pierre-Édouard Stérin.

Façade grand public

Car quoiqu'en disent aujourd'hui les acteurs concernés, la Nuit du bien commun et ses lauréats continuent de faire partie du même écosystème que Pierre-Édouard Stérin, son « Fonds du bien commun » dédié à la bataille culturelle et désormais son « projet Périclès », dédié à la bataille directement politique. Les « Nuits », façade la plus grand public et « fédératrice » de cet écosystème, ont pu permettre de recruter de nouveaux alliés et repérer des projets prometteurs. Parmi les associations sélectionnées en 2017 pour présenter leur projets sur la scène du Mogador lors de la première Nuit du bien commun, il n'y avait pas qu'Espérance banlieues. Il y avait aussi l'Institut libre de journalisme, nouvelle école pensée par Jean-Baptiste Giraud, cofondateur et directeur de la rédaction d'Economie matin. Il y avait aussi Alexandre Pesey, qui a exposé le Coquetier, un incubateur pour « stimuler les initiatives des jeunes français ». S'il a réussi à recueillir pour ce projet presque 45 000 euros sur les 600 000 récoltés ce soir-là, Alexandre Pesey semble surtout avoir été conquis par une l'autre présentation. Moins d'un an plus tard, il cofonde l'Institut Libre de Journalisme, pitché par Jean-Baptiste Giraud. Depuis, l'école forme des étudiants et étudiantes à grand coup de conférences des journalistes des médias Bolloré comme Charlotte d'Ornellas ou Geoffroy Lejeune.

Avant de se lancer dans cette aventure, Alexandre Pesey avait déjà créé le très droitier Institut de formation politique (IFP), version française du Leadership Institute aux États-Unis, destiné à « former de jeunes conservateurs en France, pour les destiner à la politique ou pour qu'ils diffusent leurs idées dans les médias [...] en étant ultralibéral économiquement et en prônant des valeurs conservatrices » (lire notre enquête). L'IFP est désormais financé par Pierre-Édouard Stérin via le projet Périclès. De la philanthropie à l'entreprise de changement de régme, il n'y a parfois qu'un pas.

28.11.2025 à 08:56

L'odeur de l'argent. La lettre du 27 novembre 2025

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Quand le mécénat profite surtout... aux mécènes

Reconstruire Notre-Dame, secourir les Restos du Coeur, aider les hôpitaux face à la crise Covid, empêcher des chefs d'oeuvre artistiques d'être rachetés par de riches étrangers… Ces dernières années, les dons des milliardaires et de leurs entreprises ont bénéficié d'une forte médiatisation.

Mais qu'y a-t-il vraiment derrière cet élan de générosité ? C'est ce que nous avons voulu savoir en nous plongeant dans la législation actuelle sur le mécénat et son application.

Aujourd'hui, avec le mécénat, le don d'une entreprise ou d'un milliardaire c'est :
60% pour la collectivité sous forme de réduction d'impôt
25% pour le « bénéficiaire » en contreparties (généralement secrètes)
15% pour le donateur, qui décide où l'argent va et peut s'en arroger tout le mérite.

En réalité, donc, le mécénat coûte relativement peu aux entreprises et leur rapporte beaucoup en termes de publicité et d'influence.

Mais pour l'État et les simples citoyens, il coûte de plus en plus cher : 1,7 milliard d'euros par an en 2024. Et il risque de nuire aux missions d'intérêt général qui devraient être celles des institutions culturelles et d'enseignement supérieur.

Lire Défiscalisation, contreparties, privatisation rampante... Le mécénat, un cadeau de l'État aux entreprises et aux milliardaires ? et Mécénat : derrière la manne d'argent, le silence est d'or

Exemple avec l'omniprésence du groupe LVMH au Louvre. Louis Vuitton dans les appartements d'été d'Anne d'Autriche, Dior dans la Cour carrée, Bulgari dans la salle des Cariatides, Kenzo dans le jardin des Tuileries...

Profitant de la législation très accommodante sur le mécénat, les marques du groupe sont autorisées à s'approprier les lieux et bénéficient de généreux privilèges. Mais sans résoudre le manque criant d'investissements dans la maintenance et la sécurité du musée, dont a témoigné le cambriolage retentissant du 19 octobre dernier.

Lire Comment LVMH a envahi le Louvre

Extrême crypto

L'année dernière, le secteur américain des cryptomonnaies s'est ouvertement et massivement rallié à Donald Trump et aux Républicains, en finançant leurs campagnes à hauteur de plusieurs millions de dollars. On en a parlé dans cet entretien avec Molly White.

La même dérive vers la droite extrême est à l'oeuvre en France, comme le montre le deuxième volet de notre série « Extrême Tech ».

Le libertarianisme traditionnel du secteur des cryptos prend des tournures de plus en plus radicales, avec des appels à l'exil et à la sécession, tout en se conjuguant à des discours sécuritaires, sexistes et racistes. Certaines figures de la crypto française ont franchi le pas en s'affichant aux côtés de personnalités politiques d'extrême droite, ou encore en participant au « Sommet des libertés » co-organisé par Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin en juin dernier, voire carrément en invitant des néo-nazis à s'exprimer dans leurs chaînes YouTube.

Nous l'avons vérifié dans un portrait parallèle de deux patrons emblématiques de la crypto française. Le premier, Pierre Noizat (Paymium), ne cache plus son engagement politique. Le second, Eric Larchevêque (Ledger) garde encore ses distances, tout en écumant les plateaux télévisés (et une émission de téléréalité sur M6 où il participe comme juré) pour dire tout le mal qu'il pense de la taxe Zucman, de l'impôt et de l'État... alors qu'il a lui-même profité d'aides publiques.

Lire Libertariens et plus si affinités ? Chez les patrons français de la crypto, la tentation de l'extrême droite

Mais ces figures ne sont que la face visible d'une tendance plus profonde. Sur YouTube, en podcast et sur les réseaux sociaux, de nombreuses chaînes pro-crypto recyclent les discours de l'extrême droite et donnent la parole à certaines de ses figures les plus violentes. Appliquant une stratégie éprouvée de l'alt-right américaine, elles ciblent un public d'hommes jeunes qu'elles nourrissent d'idées fascisantes sous couvert de parler de Bitcoin.

Lire « La France est un Socialistan » : sur YouTube, la sphère crypto française ouvre grand les portes à l'extrême droite

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En bref

L'extrême droite s'ouvre aux « lobbies bruxellois ». L'extrême droite est en position de force au Parlement européen depuis les élections de 2024. Si ses eurodéputés rencontrent encore relativement moins de représentants d'intérêts que la plupart des autres groupes, les informations disponibles sur leurs rendez-vous montrent un penchant pour les lobbies de l'agroindustrie et de l'énergie, ainsi que pour des think tanks trumpistes ou proches du pouvoir hongrois. Nous nous sommes penchés sur ces données dans cet article : Quels lobbies les eurodéputés d'extrême droite (et les autres) rencontrent-ils à Bruxelles ?.

TotalEnergies s'allie au magnat des hydrocarbures Daniel Křetínský. Le groupe pétrogazier français a annoncé son alliance avec le milliardaire tchèque, propriétaire du groupe EPH, très investi dans le gaz et le charbon (lire notre enquête Daniel Křetínský : une fortune basée sur les énergies fossiles). L'homme d'affaires deviendra à cette occasion l'un des premiers actionnaires de l'entreprise, et celle-ci met la main sur plusieurs actifs énergétiques en Italie, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Irlande et en France, notamment dans le gaz. L'acquisition ne concernerait pas la centrale à charbon de Saint-Avold (Moselle), dont l'avenir est incertain. Autre avantage : le nouvel actionnaire de TotalEnergies a des intérêts financiers directs ou indirects dans plusieurs médias (Marianne, Libération...) et possède des maisons d'édition, via le groupe Editis.

Mozambique : bras de fer financier et plainte contre TotalEnergies. Le groupe pétrogazier français a confirmé récemment qu'il allait relancer son projet gazier au large du Mozambique, qui avait été interrompu plusieurs années suite aux avancées d'une force insurgée islamiste dans le nord du pays. Mais il demande 4,5 milliards d'euros et une extension de sa concession au gouvernement de Maputo, en raison du retard pris. Ce dernier a rétorqué en annonçant un audit des surcoûts du projet. L'ONG European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) a déposé le 17 novembre dernier une plainte pénale contre TotalEnergies et contre X auprès du Parquet national antiterroriste français pour « complicité de crimes de guerre, de torture et de disparitions forcées ». Dans le contexte du conflit, des civils mozambicains avaient été séquestrés et torturés par des soldats surveillant le site gazier de TotalEnergies (lire notre article).

Catastrophe de Mariana au Brésil : condamnation historique de BHP. En novembre 2015, un barrage minier s'était effondré près de la ville de Mariana, au Brésil, entraînant 19 morts, des centaines de déplacés et une coulée de boue toxique dans toute la vallée du Rio Doce (lire Rupture d'un barrage au Brésil : BHP Billiton et Vale impliqués dans un désastre environnemental historique). La mine était gérée par Samarco, une filiale conjointe de deux groupes miniers, le britannique et australien BHP et le brésilien Vale. La Haute Cour de Londres a jugé BHP responsable de la catastrophe, pour avoir omis d'assurer la sécurité du barrage malgré les alertes. Ce jugement ouvre la voie à l'indemnisation de centaines de milliers de personnes affectées. Il fait suite à un accord de réparation de 28 milliards d'euros signé au Brésil l'année dernière, dont BHP – qui a annoncé son intention de faire appel – estime qu'il est redondant avec la décision du tribunal de Londres.

Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.

27.11.2025 à 07:00

Quels lobbies les eurodéputés d'extrême droite (et les autres) rencontrent-ils à Bruxelles ?

Anne-Sophie Simpere
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L'extrême droite est en position de force au Parlement européen depuis les élections de 2024. Si ses eurodéputés rencontrent encore relativement moins de représentants d'intérêts que la plupart des autres groupes, les données disponibles sur leurs rendez-vous montrent un penchant pour les lobbies de l'agroindustrie et de l'énergie, ainsi que pour des think tanks trumpistes ou proche du pouvoir hongrois.
Le 13 novembre dernier, les députés européens de la droite (Parti populaire européen, (…)

- FAF40. Enquêtes sur l'extrême droite, les grandes fortunes et les milieux d'affaires / , , ,
Texte intégral (4236 mots)

L'extrême droite est en position de force au Parlement européen depuis les élections de 2024. Si ses eurodéputés rencontrent encore relativement moins de représentants d'intérêts que la plupart des autres groupes, les données disponibles sur leurs rendez-vous montrent un penchant pour les lobbies de l'agroindustrie et de l'énergie, ainsi que pour des think tanks trumpistes ou proche du pouvoir hongrois.

Le 13 novembre dernier, les députés européens de la droite (Parti populaire européen, PPE) et ceux de l'extrême droite votaient ensemble pour vider de leur substance deux directives qui devait améliorer les performances environnementales et sociales des grandes entreprises [1]. C'est la première fois que le cordon sanitaire entre un parti traditionnel et l'extrême droite saute pour un texte d'importance. Une évolution majeure dans un Parlement européen qui, depuis les élections de juin 2024, compte 187 députés d'extrême droite, un nombre suffisant pour former une majorité absolue avec la droite « classique » du Parti populaire européen (PPE).

Alors que l'extrême droite a acquis ce pouvoir de bascule dans une institution clé de l'Union européenne, nous avons voulu nous pencher sur leurs activités à Bruxelles.

Alors que l'extrême droite a acquis ce pouvoir de bascule dans une institution clé de l'Union européenne, nous avons voulu nous pencher sur leurs activités à Bruxelles. Et notamment sur les entreprises et groupes d'intérêts qu'ils rencontrent. Ou déclarent rencontrer. Car depuis 2023, le code de conduite des eurodéputés leur impose de divulguer toutes leurs réunions avec des représentants d'intérêts ou représentants de pays tiers. Des données plus fournies que ce qui est exigé en France et pour lesquelles l'ONG Transparency International a créé un outil de suivi, IntegrityWatch.eu. Malgré des lacunes et limites (voir notre encadré méthodologique), les informations recueillies permettent de donner un aperçu des fréquentations de nos eurodéputés à Bruxelles, et donc des discours et influences auxquels ils sont exposés.

Premier constat : l'extrême droite ne déclare pas grand chose

Sur les huit groupes politiques du Parlement européen, ce sont les trois groupes classés à l'extrême droite qui, au 17 novembre dernier, avaient déclaré le moins de rencontres, que ce soit avec des entreprises, des ONG, des syndicats, des représentants de pays tiers ou d'autres personnalités. En valeur absolue, le PPE (droite) est en tête, avec plus de 13 000 rendez-vous déclarés, soit environ 70 par député (le groupe étant composé de 188 membres). Quand on rapporte le nombre de réunions déclarées au nombre de députés du groupe, c'est Renew, le groupe auquel les partis Renaissance et centristes français sont ralliés, qui est en haut du classement (104 réunions par député), suivi des Verts puis des Socialistes. Le Groupe pour la gauche unitaire européenne (Gue), où siège la France insoumise, arrive en cinquième position avec un peu plus de 47 rencontres déclarées par eurodéputé.

En valeur absolue, le PPE (droite) est en tête, avec plus de 13 000 rendez-vous déclarés

Côté extrême droite, les députés issus du RN français siègent dans le groupe des Patriotes pour l'Europe, présidé par Jordan Bardella. Au 17 novembre, ils avaient rendus publiques 1748 rencontres, soit à peine plus de 20 par députés, leur groupe comptant 84 membres. Parmi les français, Thierry Mariani fait figure d'hyperactif avec 97 rendez-vous déclarés, contre seulement 13 pour Jordan Bardella. Pour les 78 membres du groupe Conservateurs et réformistes européens (CRE), où siègent trois anciens Zemmouriens (Marion Maréchal, Nicolas Bay et Guillaume Peltier), 2749 rendez-vous ont été déclarés, soit un peu plus de 35 par député. Marion Maréchal est au dessus de cette moyenne, avec 44 rencontres déclarées, contre seulement 9 pour Nicolas Bay et 4 pour Guillaume Peltier.

Enfin, le groupe Europe des Nations Souveraines (ESN), plus petit groupe du Parlement européen avec 25 eurodéputés et 8 pays représentés, déclarait seulement 170 réunions, soit moins de 7 par membre en moyenne. Les eurodéputés allemands de l'AfD (Alternative pour l'Allemagne) dominent très largement cette petite formation où on ne retrouve qu'une française, l'élue de Reconquête Sarah Knafo. Celle-ci a déclaré 19 rencontres (toujours au 17 novembre 2025).

Nous avons interrogé les groupes concernés sur cette faible activité, qui ne nous ont pas répondu. Elle pourrait être liée à des défauts de déclaration, ou à une plus faible activité parlementaire. « Jusqu'ici les eurodéputés des groupes d'extrême droite avaient moins de chance d'avoir des rôles de rapporteurs, ce qui peut faire baisser le nombre de leurs réunions », explique Raphaël Kergueno, de Transparency international. Certains représentants d'intérêts peuvent aussi appliquer un cordon sanitaire en refusant de les rencontrer. « Mais maintenant qu'on voit que le PPE peut s'allier aux groupes d'extrême droite pour former une majorité, il est possible que les lobbyistes se mettent à les solliciter davantage, car ils deviennent importants pour faire pencher la balance. »

La droite rencontre les entreprises, la gauche les ONG et syndicats

Si l'on se penche sur les acteurs rencontrés par les différents partis politiques, il n'y a pas de grande surprise du côté des partis traditionnels. Dans le top 20 des rendez-vous déclarés par le PPE, on retrouve neuf entreprises, dix groupes d'intérêts industriels et patronaux, et une fondation – la Fondation Konrad Adenauer du parti allemand CDU. Les entreprises qui cumulent le plus de rendez-vous appartiennent au secteur de la Tech (Google, Meta, Apple, Amazon), des énergies fossiles (ExxonMobil, TotalEnergies), de la chimie (Bayer, BASF) et du tabac (Philip Morris). Côté groupes d'intérêts privés, les Chambre de commerce des États-Unis ou de l'Autriche sont bien placés (40 et 35 réunions déclarées), tout comme le lobby du commerce de détail et de gros EuroCommerce (31 réunions déclarées). Pour ce qui est des eurodéputés PPE français (issus des Républicains), la FNSEA arrive en tête des réunions déclarées (sept), suivi par Airbus, l'ambassade d'Egypte, la CGA-CGM et Eurodom (association d'entreprises des DOM-TOM), avec cinq rendez-vous déclarés chacun. Une seule association se hisse dans le top 20 des réunions déclarées par les députés PPE français, Oeuvre d'Orient (aide aux chrétiens d'Orient). À l'échelle du groupe dans son ensemble, aucune ONG ni aucun syndicat n'atteint le haut du classement. Bien sûr, ces députés ont quand même quelques rendez-vous avec ce type d'organisations, mais dans des proportions bien moindre que les acteurs économiques privés.

Les réunions des centristes de Renew sont un peu plus variées, avec huit entreprises, neuf organisations industrielles, patronales ou de lobbying privé, mais quand même trois ONG environnementales (European Environmental Bureau, Transport et environnement, WWF Europe) dans le top 20. Chez les treize Français de Renew, le Medef, Airbus, Transport et environnement (ONG), Renault, la Société générale, le WWF Europe et TotalEnergies ont obtenu le plus de rendez-vous (déclarés) – de 23 pour le Medef à 13. Le top 20 du groupe socialiste se diversifie encore un peu plus, avec seulement trois entreprises (Apple, ArcelorMittal et Google), cinq organisations patronales ou d'industriels, cinq ONG, trois syndicats, une fondation, une organisation de protection des consommateurs et une de protection animale.

Quand on arrive dans le haut du tableau des rendez-vous déclarés par les Verts, il n'y a plus aucune entreprise, et seize ONG environnementales, de défense des droits humains ou de lutte contre la corruption. Chez les français, un lobby de startups (France Digitale) arrive quand même dans le « top 20 » grâce à quatre rendez-vous déclarés avec David Cormand. Là encore, les eurodéputés ont quand même rencontré des entreprises ou groupes d'intérêt privés (FNSEA, CPME, Banque de France, Toyota…), mais très peu de rendez-vous avec ce type d'acteurs sont déclarés. Quant aux eurodéputés de la GUE, ils déclarent le plus grand nombre de rendez-vous avec la Confédération des syndicats, et leur top 20 regroupe des syndicats, des entreprises, des fédérations professionnelles et des ONG. Même liste variée chez les français, avec la CGT largement en tête – 19 rendez-vous, dont 18 avec l'eurodéputé Anthony Smith, inspecteur du travail et syndicaliste.

Patriotes pour l'Europe : lobbies hongrois et tabac

Plus gros groupe d'extrême droite du Parlement européen, avec 84 membres dont 29 Français, les Patriotes pour l'Europe (PfE) déclarent relativement moins de rendez-vous que les autres partis. À l'échelle du groupe, c'est la Fondation pour une Hongrie civique, du parti Fidesz de Viktor Orbán, qui arrive en tête des rencontres déclarées. Selon le registre, ils ne voient que des eurodéputés hongrois. Numéro un ex aequo avec vingt rencontres déclarées, une autre organisation proche du pouvoir en place à Budapest : le Mathias Corvinus Collegium (MCC) Bruxelles (lire notre enquête). Les rendez-vous avec ces entités concernent très majoritairement des eurodéputés hongrois et, à la marge, polonais et autrichiens. Mais pas de français, alors même que les députés RN du groupe Virginie Joron, Angeline Furet et Mathilde Androüet ont bien participé à des événements du think tank proche d'Orbán et des réseaux trumpiens, qui a présenté en mars dernier à Washington un plan pour démanteler l'Union européenne. En troisième place des réunions déclarées des Patriotes, le cigarettier Philip Morris, avec 19 rencontres déclarées, dont une avec la française Marie-Luce Brasier-Clain, membre de la Commission de la santé publique et opposée à la hausse des taxes sur le tabac. Au total, le top 20 des « Patriotes » comprend six entreprises, tabac mais aussi largement dans le secteur de l'énergie (pétrole – notamment le pétrolier hongrois MOL, donc MCC est actionnaire, gaz, hydrogène) et huit groupes d'intérêts professionnels. Mais aussi Heartland Institute, think tank climato-sceptique venu des États-Unis, ancien partenaire du réseau Atlas, qui a rencontré le député autrichien Harald Vilimsky à sept reprises.

Jordan Bardella ne déclare que 13 rendez-vous, surtout avec des lobby agricoles (FNSEA, Jeunes agriculteurs, semenciers), mais aussi avec l'entreprise Renault

Les PfE français, à l'image du groupe, ont moins de rendez-vous déclarés que la moyenne des eurodéputés. C'est la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) qu'ils auraient rencontré le plus (sept réunions déclarées), devant l'entreprise Primagaz, puis Corteva Agriscience (entreprise de production de pesticides et de semences) TotalEnergies, Eurodom, la Représentation de la Chine auprès de l'UE, la Coordination rurale, l'Union française des semenciers, puis le lobby du porc Inaporc. Le président du groupe et du RN, Jordan Bardella, ne déclare que 13 rendez-vous, surtout avec des lobby agricoles (FNSEA, Jeunes agriculteurs, semenciers), mais aussi avec l'entreprise Renault, avec qui il a échangé sur l'avenir de la filière automobile le 5 novembre dernier.

ECR : des entreprises et des évangélistes étatsuniens

Le groupe des anciens de Reconquête ne déclare pas non plus beaucoup de rencontres, et c'est l'entreprise de gestion de l'eau italienne Acea (dont le groupe français Suez détient 23%) qui arrive en tête des réunions listées publiquement, ce qui est moins étonnant si l'on considère que la délégation est dominée par les Frères d'Italie, le parti de Giorgia Meloni. Leur top 20 (de 19 à 8 rendez vous) comprend dix entreprises du secteur du pétrole, du nucléaire, de la tech, de l'eau, du tabac, de la défense… et MacDonald's, pour parler emballages ou franchises. Ils ont aussi vu à plusieurs reprises sept lobbys patronaux ou industriels (FuelsEurope, Chambre américaine de commerce, Croplife Europe…) et leur membre finlandais, Sebastian Tynkkynen, a déclaré plusieurs réunions avec la commissaire européenne finlandaise et le bureau de l'UE à Helsinki. En septième position, on trouve tout de même une association : Alliance Defending Freedom (ADF). Cette organisation évangéliste venue des États-Unis, qui combat le droit à l'avortement et les droits LGBT+, a été vue par des députés ECR croates, polonais, roumains et néerlandais. Aucun des trois députés français du groupe n'a indiqué l'avoir rencontré. L'eurodéputée RN Virginie Joron (groupe PfE) ne l'a pas non plus mentionnée dans ses réunions, alors même qu'elle a co-organisé un événement avec ADF en mai 2025, avec le Croate Stephen Bartulica, d'ECR (qui lui, a déclaré deux rencontres avec ADF)

Marion Maréchal a rencontré aux États-Unis la Heritage Foundation, qui a coordonné le « Project 2025 »

Si on s'en tient aux trois Français d'ECR, les noms qui arrivent en tête de leurs réunions déclarées sont le lobby de la défense Gifas, TotalEnergies, le lobby anti-taxe Contribuables associés (lire notre enquête) et la Banque de France, avec deux rendez-vous chacun. Toutes ces rencontres sont le fait de Marion Maréchal, qui a aussi vu, parmi les entreprises, Dassault Aviation, Arverne group (géothermie) et Verso Energy (hydrogène). Aux États-Unis, elle a rencontré la Heritage Foundation, ancien membre du réseau Atlas, qui a coordonné le « Project 2025 », un programme ultra-consevateur et pro-fossiles pour préparer la présidence de Donald Trump (lire notre article). Elle a aussi vu Americans for Tax Reform, un lobby anti-impôt américain lié aux frères Koch, des magnats de l'industrie pétrolière, et à leur galaxie de think tanks conservateurs. Une inspiration pour nourrir ses discours anti-taxe en France ?

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Les penchants trumpistes de Sarah Knafo

Sarah Knafo, eurodéputée Reconquête, déclare aussi trois rendez-vous aux États-Unis, avec Donald Trump et le parti Républicain. Passée par le Claremont Institute, l'un des premiers think tanks à soutenir le président américain (voir notre entretien avec Maya Kandel), l'élue du parti d'Éric Zemmour ne cache pas sa proximité avec le trumpisme. Chargée d'un rapport sur la souveraineté technologique européenne, elle a rencontré plusieurs interlocuteurs et entreprises du secteur. Hors de ce travail et de ses accointances avec les conservateurs étatsuniens, elle a aussi rapporté des réunions avec Meta sur la modération des réseaux sociaux, avec la Coordination rurale, et avec Thierry Baudet, un homme politique néerlandais anti-UE, climato-sceptique, pro-russe et complotiste.

Si on prend les trois groupes d'extrême-droite du Parlement européen ensemble, on retrouve sur le podium des entreprises qu'ils déclarent le plus rencontrer Philip Morris à la première place

Dans sa globalité, le groupe ESN, principalement constitué des allemands de l'AfD, ne déclare que très peu de rencontres. Un groupe de défense des cryptomonnaies et l'ambassade Bélarus en Russie figurent en tête de leur reporting, avec cinq rendez-vous chacun avec des députés polonais d'une part et slovaques de l'autre. Des Bulgares et un Allemand ont vu Republican for National Renewal, une association nationale-populiste des États Unis, soutien de Donald Trump et soutenue par Viktor Orbán, qui vise à radicaliser le parti républicain, notamment sur l'immigration.

Si on prend les trois groupes d'extrême-droite du Parlement européen ensemble, on retrouve sur le podium des entreprises qu'ils déclarent le plus rencontrer Philip Morris à la première place (29 rendez-vous), devant le lobby des producteurs de carburant FuelsEurope (27) et l'entreprise de gestion de l'eau italienne Acea (25). Chez les français, TotalEnergies et la CPME arrivent en tête avec sept rendez-vous chacun, devant la Coordination rurale, Primagaz, Eurodom, Corteva Agriscience, la représentation de la Chine auprès de l'UE, l'Union française des semenciers, le lobby du porc Inaporc et la multinationale américaine Meta. L'échantillon est limité par le peu de réunions déclarées, mais il indique que les eurodéputés venus de RN et de Reconquête parlent majoritairement avec des représentants d'entreprises et d'intérêts industriels, notamment celles de secteurs à risques pour la santé et l'environnement (pétrole, gaz et agro-industrie). Ce qui pourrait expliquer pourquoi, dans l'hémicycle, ils joignent leurs voix à celles du PPE pour revenir sur les normes protégeant les citoyens contre les activités de ces sociétés.

Méthodologie
En utilisant le site Integritywatch.eu de Transparency international, nous avons analysé les rendez-vous déclarés par les eurodéputés depuis le début de la 10e législature du Parlement européen, qui a commencé le 16 juillet 2024, jusqu'au 17 novembre 2025 (soit une période de 16 mois). Il est possible qu'entre temps, quelques chiffres aient évolué, puisque des eurodéputés ont pu ajouter des rendez-vous après le 17 novembre.
IntegrityWatch se base sur les déclarations publiées par les eurodéputés sur leurs rencontres avec des représentants d'intérêts (entreprises, cabinets de lobbying et représentants d'intérêts professionnels (chambres de commerce, lobby sectoriel…), syndicats patronaux ou de travailleurs, associations et organisations non gouvernementales (ONG) et des représentants de pays tiers.
Les informations disponibles sont imparfaites, car elles ne reposent donc que sur les réunions déclarées par les élus. Nous avons par exemple noté que certains eurodéputés d'extrême droite avaient omis de rapporter des rencontres, par exemple avec le think tank pro-Orban MCC Brussels, ou avec l'organisation évangéliste conservatrice Alliance Defending Freedom. Si la déclaration de ces réunions est obligatoire, c'est un comité consultatif composé d'eurodéputés qui est en charge de contrôler le respect du code de conduite. « Vu le grand nombre de déclarations, beaucoup de députés prennent cette obligation au sérieux, mais en cas de manquement, le risque de sanction reste faible », estime Raphaël Kergueno, de Transparency International EU.
Autre limite : en l'absence d'uniformisation sur les modalités de reporting, le suivi automatisé est parfois difficile. Par exemple, l'organisation patronale de la Confédération des petites et moyennes entreprises sera parfois indiquée sous son nom complet, parfois sous son acronyme (CPME), créant deux entrées. Nous avons corrigé les cas que nous avons pu identifier.
Nous nous sommes principalement penchés sur les représentants d'intérêts avec lesquels les eurodéputés ont eu le plus de rendez-vous, quantitativement (« top 20 »). Moins les eurodéputés déclarent de réunions, plus cette approche quantitative présente de limites. Les résultats peuvent notamment être influencés quand un député est en charge d'un rapport sur un sujet spécifique, ce qui va automatiquement augmenter ses réunions avec le secteur (cas de Sarah Knafo sur la souveraineté technologique). Certains groupes d'intérêts multiplient les rencontres, mais avec un seul eurodéputé ou les eurodéputés d'un seul pays. Nous l'avons indiqué, par exemple dans le cas de la Fondation pour une Hongrie civique, du parti de Viktor Oran, qui ne rencontre que des eurodéputés hongrois.

Si vous souhaitez nous transmettre des informations, vous pouvez nous contacter à cette adresse : assimpere [at] multinationales.org.


[1] Voir nos articles sur le sujet ici, ici et .

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