27.06.2025 à 07:30
Derrière le ralliement d'Elon Musk et d'autres grands financiers de la Silicon Valley à l'ultradroite américaine, il y a une opposition forcenée à la régulation de l'IA et des cryptomonnaies, mais aussi un intérêt commun avec le secteur des énergies fossiles à ne pas entraver la consommation des énergies polluantes. Premier volet d'une enquête sur le secteur étatsunien de la tech et l'administration Trump.
Si les dernières chamailleries entre Elon Musk et Donald Trump ont pu donner (…)
Derrière le ralliement d'Elon Musk et d'autres grands financiers de la Silicon Valley à l'ultradroite américaine, il y a une opposition forcenée à la régulation de l'IA et des cryptomonnaies, mais aussi un intérêt commun avec le secteur des énergies fossiles à ne pas entraver la consommation des énergies polluantes. Premier volet d'une enquête sur le secteur étatsunien de la tech et l'administration Trump.
Si les dernières chamailleries entre Elon Musk et Donald Trump ont pu donner l'illusion d'une rupture, les élections de 2024 marquent en réalité un virage profond dans la politique aux États-unis : les milliardaires de la tech, à coup de dollars et d'influence, ont conquis le pouvoir et le président Trump. Loin de l'image d'innovation et de modernité de la Silicon Valley, ses magnats se sont clairement rangés aux côtés de secteurs traditionnellement favorables à la droite réactionnaire, comme celui des énergies fossiles ou des fonds d'investissements, pour soutenir le candidat républicain et son programme.
Il y a un an, en juin 2024, l'investisseur en capital-risque David Sacks co-organisait une grande soirée de levée de fonds au profit de Donald Trump dans sa villa de San Francisco. Avec des tickets d'entrée allant de 50 000 à 300 000 dollars, le milliardaire, animateur du All-In podcast (influent dans la Silicon Valley) et ancien de Paypal, récolte 12 millions de dollars pour la campagne du candidat Républicain. Des gros acteurs du secteur des cryptomonnaies comme les frères Winklevoss ou Jacob Helberg, conseiller du patron de Palantir, assistent à l'événement, qui est perçu comme un tournant par les médias américains : l'industrie de la tech, traditionnellement perçue comme libérale et soutien des démocrates, était en train de rallier le très conservateur Donald Trump. « Je pense que les salariés de la tech restent majoritairement démocrates et progressistes, mais ce sont leurs patrons, les milliardaires à la tête des grandes sociétés d'investissement, qui se sont tournés vers Trump », estime Jeff Hauser, fondateur et directeur du Revolving Door Project, une vigie citoyenne sur les nominations au sein du pouvoir exécutif.
En 2016, seul Peter Thiel, le fondateur de Paypal, Palantir et plusieurs fonds de capital-risque, avait ouvertement soutenu le candidat républicain. Mais, à l'été 2024, Elon Musk, lui aussi un ancien de Paypal, devenu patron de multiples entreprises allant de Tesla à SpaceX en passant par X (ex twitter) ou The Boring Company, rallie lui aussi Trump. Il deviendra le premier contributeur à sa campagne devant le banquier Thimoty Mellon (plus de 276 millions de dollars contre 150 millions, sans compter les contributions aux campagnes des candidats républicains au Congrès). Il fonde « America PAC », une organisation de collecte de fond qui réunira plus de 260 millions de dollars pour Donald Trump, sous la direction de Chris Young, vice-président du lobby pharmaceutique PhRMA. Si parmi les donateurs figurent d'autres soutiens habituels des républicains comme la famille DeVos ou Joe Craft, patron du géant du charbon Alliance Resources Partner, on y retrouve aussi les frères Winklevoss, Joe Lonsdale, co-fondateur de Palantir, et d'autres capital-risqueurs liés à la Silicon Valley et la « paypal Mafia », comme Ken Howery, Shaun Maguire ou Antonio Gracias (qui gère une partie de la fortune d'Elon Musk).
D'autres capital-risqueurs majeurs de la Silicon Valley, comme Ben Horowitz et Marc Andreessen (Andreessen & Horowitz) ou Doug Leone (Sequoia Capital) financent aussi la campagne de Trump à coup de millions de dollars, à travers des « super PAC ». Ces milliardaires annoncent publiquement leur soutien au candidat. À travers leurs sociétés d'investissement, ils sont liés à des centaines d'entreprises majeures de la Silicon Valley, de Meta (Facebook, Instagram, Whatsapp) à Airbnb en passant par Uber, Instagram ou Spotify. Au delà de l'argent, le soutien des milliardaires de la Silicon Valley a pu passer par leur pouvoir d'influence sur le débat public : « Je suis pratiquement sûr que l'algorithme de X (anciennement Twitter) a été modifié pour faire monter les contenus favorisant Trump », explique Jeff Hauser.
Pourquoi cet engouement pour Donald Trump ? Pas certain que les grands patrons de la tech aient jamais été des progressistes convaincus, mais l'ère Biden les aurait ouvertement poussés dans les bras des républicains. Par les menaces de taxer les très grandes fortunes, d'une part : à la tête de patrimoines se comptant en centaines de millions, voire en milliards de dollars, ils ont pu se sentir visés. D'autre part, parce que le président sortant avait nommé à la tête de la Federal Trade Commission (FTC) Lina Khan, une juriste déterminée à faire appliquer les lois contre les monopoles, y compris contre des mastodontes de la tech comme Meta ou Amazon.
Cependant, pour Jeff Hauser, « ce qui a été déterminant, c'est la question de l'intelligence artificielle et des cryptomonnaies ». Des secteurs qui se sont développés très rapidement dans la période récente, et dans lesquels les milliardaires de la tech voient un potentiel énorme de profits. Le marché très rentable des cryptomonnaies est en pleine expansion, mais l'administration Biden a semblé vouloir réguler le secteur, a minima en lui appliquant les législations existantes sur la lutte contre le blanchiment d'argent et les règles de la Security Exchange Commission (SEC, l'organe de régulation boursière) ou de l'Internal Revenue Service (IRS), l'administration en charge de la fiscalité. Le ministère de la Justice et des agences de l'État fédéral ont engagé de multiples enquêtes et poursuites contre des entrepreneurs des cryptomonnaies pour protéger les consommateurs ou déceler les cas où leurs plateformes auraient servi à faire transiter de fonds liés à des activités criminelles.
Pour Marc Andreessen et Ben Horowitz, dont le fond de capital-risque Andreessen & Horowitz (a16z) a largement misé sur les cryptos, le mandat de Joe Biden a été terrifiant : « Cela a été la pire période de notre vie en terme de politique de la Maison Blanche pour la tech. (…) Ils ont essayé de détruire cette industrie », s'est lamenté Ben Horowitz dans leur podcast. En 2023, il avait d'ailleurs annoncé se lancer dans le lobbying pour s'assurer que la croissance des de l'IA et des cryptomonnaies ne serait pas entravée par les réglementations. Car l'IA est le deuxième cheval de bataille des milliardaires de la tech, qui y voient une solution à tous les problèmes.
« Nous pensons que la meilleure façon de concevoir l'intelligence artificielle est de la considérer comme un outil universel de résolution de problèmes. Et nous avons beaucoup de problèmes à résoudre », affirme ainsi le « manifeste techno-optimiste » des deux partenaires. Là encore, l'IA est aussi pour eux une source de juteux profits. Ben Horowitz en est convaincu : « Nous devons gagner [la course à l'IA] : perdre cette course est pire que tout les risques qu'on essaie d'éviter avec les régulations. »
L'autre grand reproche de l'industrie de la tech à Joe Biden est qu'il aurait étranglé le secteur énergétique. Or le développement de l'IA et des cryptomonnaies est très gourmand en électricité et les milliardaires du secteur veulent y avoir accès de manière exponentielle et illimitée : « Nous devrions amener tout le monde au niveau de consommation d'énergie qui est le nôtre, puis multiplier notre énergie par 1 000, et enfin multiplier l'énergie de tous les autres par 1 000 également », clame le manifeste techno-optimiste d'Andreessen et Horowitz.
Selon un récent rapport de l'Union internationale des télécommunications (UIT), entre 2020 et 2024, les émissions indirectes de carbone des quatre des principales entreprises technologiques axées sur l'IA ont augmenté en moyenne de 150 % en raison de la consommation des datacenters. Mais les dérèglements climatiques n'inquiètent pas nos capital-risqueurs, puisque selon eux, la technologie va résoudre le problème. Ce qui leur fait peur, c'est plutôt que la régulation entrave le développement de cette IA qu'ils imaginent salvatrice.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donVu l'appétit en énergie du secteur de la tech, leur alliance avec le lobby des énergies fossiles derrière le candidat républicain qui veut forer toujours plus de pétrole apparaît donc naturelle. Ce n'est pas le seul point commun : les deux industries sont similairement opposées à toute idée de régulation. À la fin de leur manifeste techno-optimiste, Andreessen et Horowitz recommandent quelques lectures, dont plusieurs économistes (Mises, Hayek, Friedman…) liés à la mouvance du réseau Atlas , un réseau qui a bénéficié de financements fossiles et a œuvré contre les politiques climatiques et toute forme de régulation des entreprises (lire nos enquêtes et en particulier « Un allié précieux et généreux » : quand Exxon finançait le réseau Atlas pour bloquer l'action climatique).
Aujourd'hui, le réseau Atlas a d'ailleurs un « projet sur les technologies décentralisées » pour « éliminer les obstacles à l'innovation » dans la tech et soutenir l'utilisation des Bitcoin. Pendant des années, il a compté parmi ses membres le Seasteading Institute, une organisation visant à la création de communautés indépendantes de tout État qui a été généreusement financée par Peter Thiel, qui a fait partie de son conseil d'administration, tout comme Joe Lonsdale (co-fondateur de Palantir).
Les milliardaires de la tech ne partagent pas que le goût de la dérégulation avec les libertariens de la galaxie Atlas. Tout comme une partie des organisations partenaires du réseau promeut des positions ultraconservatrices d'un point de vue social (anti-avortement, anti-immigration…), les capital- risqueurs de la Silicon Valley – un milieu notoirement très masculin et très blanc – ont développé une haine féroce contre les politiques de diversité, équité et inclusion (DEI). Andreessen s'en moque, Joe Lonsdale les accuse de créer de l'antisémitisme, et de privilégier des entreprises détenues par des minorités dans l'attribution de contrats gouvernementaux. Un grief difficile à comprendre quand on sait que Palantir, l'entreprise qu'il a fondée et dont il détient encore des actions, a tiré 1,20 milliard de revenus de contrats gouvernementaux en 2024. « Tous les gens clés de la tech sont blancs. Et des hommes. Ils se sentent attaqués par les politiques DEI parce qu'ils sont persuadés que s'ils sont là, c'est uniquement parce qu'ils sont exceptionnellement brillants. Alors ils les rejettent », explique Jeff Hauser.
Cette opposition à des politiques plus favorables aux groupes discriminés – femmes, personnes racisées ou en situation de handicap – pourrait paraître décalée avec l'image moderne et progressiste que charriait jusqu'ici la Silicon Valley, ses startups et ses applications qui ont envahi notre quotidien. Pourtant elle est plutôt cohérente avec le passif des principaux milliardaires de la tech qui ont rejoint Donald Trump. Ben Horowitz est le fils de David Horowitz, un militant islamophobe classé à l'extrême droite. Elon Musk, Peter Thiel et David Sacks ont vécu tout ou partie de leur enfance dans l'Afrique du Sud de l'apartheid, sans qu'aucun ne rejette clairement ce système de hiérarchie raciale. Et Peter Thiel a par la suite été un soutien important des conférences NatCon – pour national conservatisme, une idéologie identitaire et conservatrice. Dès 2009, ce dernier estimait que la démocratie et la liberté ne sont plus compatibles. En janvier 2025, il voit dans le retour de Donald Trump « les dernières semaines crépusculaires de notre interrègne ».
Avec le nouveau président américain, les « tech bros » ont ajouté à leurs immenses fortunes un pouvoir politique considérable. Ce sera l'objet de second volet de cette enquête.
26.06.2025 à 17:53
24.06.2025 à 18:04
Le salon de l'aéronautique du Bourget qui s'est tenu du 16 au 22 juin a fourni une nouvelle illustration des liens que les entreprises françaises continuent de cultiver avec l'industrie de l'armement israélienne.
La 55e édition du salon de l'aéronautique du Bourget devait accueillir plusieurs entreprises du complexe militaro-industriel israélien comme Israel Aerospace Industries (IAI), Rafael, UVision, Elbit et Aeronautics. Finalement, leurs stands ont été fermés le 16 juin sur ordre du (…)
Le salon de l'aéronautique du Bourget qui s'est tenu du 16 au 22 juin a fourni une nouvelle illustration des liens que les entreprises françaises continuent de cultiver avec l'industrie de l'armement israélienne.
La 55e édition du salon de l'aéronautique du Bourget devait accueillir plusieurs entreprises du complexe militaro-industriel israélien comme Israel Aerospace Industries (IAI), Rafael, UVision, Elbit et Aeronautics. Finalement, leurs stands ont été fermés le 16 juin sur ordre du gouvernement français au motif que ces firmes allaient, contrairement à leurs engagements, y exposer des « armes offensives ». Une « décision scandaleuse et sans précédent », a réagi le ministre de la Défense israélien.
L'épisode marque un nouveau rebondissement après que plusieurs ONG (Al-Haq, Union juive française pour la paix, Attac-France, Stop Fuelling War et Survie) aient plaidé sans succès devant le tribunal de Bobigny pour que ces sociétés israéliennes ne puissent pas tenir de stands au Bourget. Le tribunal leur avait donné tort en première instance, estimant que le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), organisateur du salon, « n'avait violé aucune autorisation qui lui incombe ». Une décision depuis confirmée en appel. Les associations ont annoncé leur intention de porter l'affaire devant la Cour de cassation.
À cette occasion, un collectif d'associations (Attac, Progressive International, Palestinian Youth Movement, conseil francilien du Mouvement de la Paix, AFPS, UJFP, Droit-solidarité, Attac, BDS France, The Ditch et Stop Arming Israel) ont publié un rapport détaillé sur les livraisons d'armes française en direction d'Israël. Ce rapport évoque, pour l'année 2024, la fourniture de « plus de 15 millions d'articles dans la catégorie “bombes, grenades, torpilles, mines, missiles et autres munitions de guerre”, d'une valeur de plus de 7 millions d'euros, ainsi que 1868 articles dans la catégorie “pièces et accessoires de lance-roquettes, grenades, lance-flammes, artillerie, fusils militaires et fusils de chasse », d'une valeur de plus de 2 millions d'euros ».
Des chiffres qui viennent à nouveau jeter le doute sur la ligne officielle, réaffirmée une nouvelle fois le 6 juin par le ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, selon laquelle Paris « ne vend pas d'armes à Israël ». D'autant plus que Disclose et le média Irlandais The Ditch ont révélé au même moment un nouvel envoi de pièces détachées destinées à Israël par l'entreprise Eurolinks. Il s'agit de maillons destinés à des balles d'armes automatiques. Suite à cette révélation, les dockers CGT de Fos ont bloqué les trois conteneurs de pièces détachées. « Nous ne participerons pas au génocide en cours orchestré par le gouvernement israélien », ont-ils déclaré dans un communiqué de presse.
« Nous avons bien des exportations vers Israël, qui représente 5 % à 7 % de notre activité selon les années, et nous livrons ces maillons à IMI Systems, filiale du groupe de défense Elbit (…). Mais ces maillons ne sont aucunement utilisés pour assembler des munitions destinées à être utilisées par les forces armées israéliennes », affirmait Sébastien Lecornu en 2024, lorsqu'une précédente livraison du même type a été révélée par Disclose.
Il a cependant reconnu que quelques licences d'exportation pour Israël avaient été accordées après le 13 octobre 2023, notamment, « des missiles du Dôme de fer », dispositif de défense qui consiste à intercepter des roquettes tirées depuis Gaza et le Liban. Selon les ONG, il pourrait s'agit de missiles d'artillerie et sol-air fabriqués par la société française, Nexter. Filiale de KNDS, l'entreprise fabrique des obus de char utilisables pour le canon IMI du char Merkava, qui est actuellement déployé sur le terrain par l'armée israélienne.
Au-delà de fournir des armes à Israël, la France ainsi que l'Union européenne soutiennent financièrement un programme de développement de drones de guerre, Actus, implique la société Israel Aerospace Industries, propriété de l'Etat israélien. Parmi les partenariats de ce projet figurent les géants français Safran et Thales. La Commission européen et sept ministères de la Défense à l'échelle européenne dont celui de la France financent le projet Actus à hauteur de 59 millions d'euros au total.
En 2024, la France a encaissé 18 milliards d'euros de ses ventes d'armes au cours de l'année 2024. Elle commence l'année 2025 sur les chapeaux de roues, en visant une hausse de 3,3 milliards d'euros dans la défense, soit 50,5 milliards d'euros au total, à l'occasion de la loi de programmation militaire de 2024-2030, pour un total de 413 milliards d'euros pour les sept prochaines années.