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09.11.2025 à 19:00

Comment parler de l’Ukraine en guerre ? Enquêtes sur la zone grise

Matheo Malik

Notre manière de décrire et de raconter la guerre en Ukraine est empreinte de réflexes, d’habitudes de langage, d’imprécisions — qui proviennent souvent de l’influence du filtre russe sur nos représentations.

Mais entre une rigueur scientifique inatteignable et les mots de la propagande, sommes-nous condamnés à errer dans une zone grise ?

L’article Comment parler de l’Ukraine en guerre ? Enquêtes sur la zone grise est apparu en premier sur Le Grand Continent.

Texte intégral (5165 mots)

Le langage, dans les situations de guerre plus encore que dans d’autres, n’est jamais neutre, qu’il soit tenu par l’une des parties ou — ce qui a été moins étudié — par des observateurs extérieurs. Nous nous proposons ici d’avancer quelques remarques sur la manière dont le discours a pris en charge, à trente ans d’intervalle, les deux guerres de Bosnie et d’Ukraine, en rappelant d’abord la propagande des agresseurs avant d’étudier comment il peut arriver à des commentateurs moins impliqués, sans pour autant tomber dans le mensonge, de recourir à des expressions problématiques. 

Les mots agresseurs : parler la langue de la guerre en ex-Yougoslavie

Le langage des agresseurs a été, dans l’un et l’autre cas, sans surprise. Il visait à contester la réalité de l’agression, soit en niant purement et simplement son existence, soit en la transformant en opération défensive. 

L’une des manipulations langagières utilisées couramment par les nationalistes serbes dans la description des événements des années 1990 a consisté à remplacer les noms désignant les différentes parties par des termes impropres chargés de lourdes connotations négatives. Ainsi les Croates étaient-ils souvent appelés des « Oustachis » — nom renvoyant aux fascistes croates alliés des nazis entre 1940 et 1945 — et les Bosniaques des « Turcs » — ce dernier terme qualifiant la population des Slaves islamisés d’une Bosnie longtemps intégrée à l’Empire ottoman. Le discours de guerre des agresseurs se nourrissait ainsi d’une reprise de références historiques plus ou moins lointaines et se voulant stigmatisantes 63. Cette substitution nominale présentait un double avantage. Elle était d’abord dévalorisante en assimilant les parties en présence à des groupes politiques ou à des pays qui s’étaient illustrés à un moment de leur histoire par leur violence de masse. 

Mais elle visait aussi, plus subtilement, à inscrire les guerres en cours dans un temps long.

Pensées à l’échelle de l’Histoire, celles-ci cessent de constituer un événement isolé pour ne plus être qu’une étape dans un affrontement mené à l’échelle de l’Europe depuis les traités de Westphalie (1648), voire depuis le XVIe siècle et l’avancée des Ottomans dans les Balkans et en Hongrie. Un historien a même pu noter que la ligne de front dans les guerres de l’ex-Yougoslavie reprenait les frontières stabilisées par le « système westphalien » 64.

Ainsi le recours insistant à un autre terme qualifiant les Bosniaques, celui de « Musulmans » — appellation choisie par Tito pour désigner une « nationalité » et non une religion, d’où la majuscule — permettait-il de la même manière de situer la lutte menée à leur encontre dans le cadre transhistorique du combat de l’Europe chrétienne contre l’Empire ottoman, opposition devenue très récemment, dans la pensée d’extrême-droite, celle de l’Europe contre le monde islamique. 

Ces qualifications de l’ennemi avaient pour enjeu la transformation de l’agression en « guerre défensive », ce qui permettait, selon une antienne remontant au thomisme médiéval, d’en faire une « guerre juste ». 

Une autre pratique de la propagande nationaliste serbe a consisté en effet à inverser les responsabilités dans le déclenchement de la guerre : il s’agissait de les attribuer à ceux qui avaient voulu l’éclatement de la fédération yougoslave, dont les nationalistes serbes se considéraient les défenseurs selon une dialectique paradoxale qui les faisait mêler sans solution de continuité la « défense du peuple serbe » et la « défense de la Yougoslavie » — une contradiction que l’on retrouvera en partie dans le discours russe sur l’Ukraine. Dès lors qu’il s’agit d’un combat millénaire qualifié de « guerre sainte », la chronologie et la nature des faits importaient peu, comme le montraient, selon Belgrade, la prétendue présence sur le terrain de nombreux « moudjahidines » et la référence obsessionnelle à la défaite serbe contre les Ottomans à Kosovo Polje (le 15 juin 1389 !), transformée en événement fondateur.

Ainsi les médias de Belgrade ou de Pale — bourgade située sur les hauteurs de Sarajevo et pseudo-capitale des « Serbes de Bosnie » —, mais aussi ceux de Zagreb, parlaient-ils toujours, même à propos d’opérations militaires planifiées par leur armée, de « défense contre l’agression », formule présentant l’assaillant comme une victime, l’emploi systématique de termes défensifs inversant la lecture morale de la confrontation.

Poutine et la guerre des mots en Ukraine : de la novlangue à la construction d’une réalité alternative

Des mécanismes de propagande proches se laissent identifier aujourd’hui dans le discours russe à propos de l’Ukraine, à commencer par le fait de considérer les habitants de ce pays comme des Russes, en niant leur identité, et d’affirmer que la Russie ne fait que se défendre, qui plus est « contre des nazis », en ressuscitant là encore une histoire lointaine, mais très fortement présente dans la culture politique russe.

Il semble cependant que l’on soit monté d’un cran dans le langage utilisé par l’agresseur, car ce ne sont pas quelques mots isolés qui sont ici en cause, mais l’ensemble d’un discours structuré, assimilable à une novlangue qui n’est pas sans faire penser à celles qu’ont étudiées Victor Klemperer pour le nazisme 65 ou Henri Locard pour les Khmers rouges 66.

Dans son petit Vocabulaire du poutinisme 67, Michel Niqueux a ainsi identifié pas moins de quarante expressions problématiques régulièrement utilisées par Poutine, ses proches ou les intellectuels dont ils se réclament, et contribuant à substituer à la réalité de la guerre une réalité alternative.

L’expression la plus connue est évidemment celle d’ « opération militaire spéciale ». 

Elle est employée en particulier dans le message télévisé de Poutine annonçant le déclenchement de la guerre le 24 février 2022 : son but est « protéger les personnes qui ont été soumises à des abus, à un génocide par le régime de Kiev pendant huit ans. » Et à cette fin, poursuit-il, « nous chercherons à démilitariser et à dénazifier l’Ukraine, à traduire en justice ceux qui y ont commis de nombreux crimes sanglants contre des civils, y compris des citoyens de la Fédération de Russie » 68.

Qu’il soit question de « dénazifier » l’Ukraine dans la déclaration du 24 février n’est pas anodin. Les différents termes de cette langue de substitution sont connectés les uns aux autres en un réseau sémantique serré permettant de construire deux récits simultanés, l’un portant sur la guerre en Europe, l’autre, plus large, sur le rôle de la Russie dans le monde et dans l’histoire.  

Le premier récit visant à justifier l’intervention repose sur la présentation du gouvernement ukrainien comme infiltré par des nazis, cette lutte s’inscrivant dans le prolongement de la Seconde Guerre mondiale, appelée « Grande guerre patriotique » par les Russes — d’où les références récurrentes à Staline. Il s’agit donc d’assurer la protection des populations russophones, Ukrainiens et Russes formant un seul peuple historique — « civilisation russe », « monde russe ».

Mais le rôle de la Russie ne doit pas se limiter à chasser les « nazis » d’Ukraine. 

Comme le montrent un certain nombre d’entrées du Vocabulaire (« conservatisme », « désoccidentalisation », « idée russe », « majorité mondiale », etc.), sa mission serait — à un niveau plus élevé et quasiment métaphysique — de lutter contre la dérive morale de l’Occident, qui a négligé les « valeurs traditionnelles » de la foi chrétienne, en particulier en cessant de privilégier la famille et en accordant du crédit aux thèses LGBT+.

On ne s’étonnera pas alors de rencontrer au détour du Vocabulaire des entrées comme celle de « Satan », l’expression « satanisme » étant devenue un lieu commun dans le discours de Poutine comme dans celui de l’Église orthodoxe russe pour qualifier « l’occidentalisme », selon une autre dénomination assez vague mais, non sans quelque paradoxe, extrêmement clivante et surtout très idéologique, et justifier en conséquence qu’une sorte de « guerre sainte » soit menée contre ce monde « corrompu » 69.

Sur cette photo prise le 21 mars 2025 et fournie par le service de presse de la 24e brigade mécanisée ukrainienne le 24 mars 2025, des militaires assistent à une cérémonie en l’honneur des soldats près de la ligne de front dans la région de Donetsk, en Ukraine. © Oleg Petrasiuk/24e brigade mécanisée ukrainienne via AP

Les mots d’un récit inconscient dans la guerre en ex-Yougoslavie

Ce recours des agresseurs à un langage de propagande n’a rien d’original. 

Plus intéressants sont les discours tenus par des commentateurs réputés « neutres », en tout cas qui ne sont pas explicitement engagés dans la défense de l’un des camps. Nous ne nous trouvons plus ici dans le cas de mensonges purs et simples, encore moins de censures, mais d’approximations langagières souvent involontaires.

Parmi les expressions entendues à l’époque de la guerre en ex-Yougoslavie figurait celle de « belligérants », visant à désigner les différents participants, à savoir les Bosniaques, les Croates et les Serbes, en les regroupant sous un vocable unique. Que cette expression, régulièrement employée par les médias, apparaisse comme critiquable pourrait surprendre puisqu’elle décrit objectivement la réalité. Les peuples en question étaient bien en train de se faire la guerre et l’expression (bellum gerere) est étymologiquement adéquate. Le problème est que son utilisation conduit à une forme d’indifférenciation. En mettant en avant un point commun indiscutable — les deux nations se battent —, elle oblitère le fait que l’une a agressé l’autre.

Source d’indifférenciation, l’expression « belligérants » est de surcroît porteuse de connotations, identifiables dans d’autres expressions de l’époque, tendant à suggérer qu’il s’agissait d’une « guerre civile ». À la prendre à la lettre, cette dernière expression n’est pas non plus inappropriée, puisque la lutte opposait les citoyens d’un même État, qu’on l’appelle Yougoslavie, Croatie ou Bosnie-Herzégovine. Mais, outre qu’elle conduit elle aussi à confondre agresseur et agressé, elle suggère une idée de complexité, que l’on retrouvait dans nombre de formules, au point que l’on pourrait parler d’une véritable rhétorique de la complexité.

L’idée qu’une guerre est complexe — ce qui est indiscutable 70 — tend à réduire la responsabilité des parties en jetant le doute sur les explications proposées.

Combien de fois n’avons-nous pas entendu, quand nous mettions en cause le gouvernement nationaliste de la Serbie, des remarques comme « c’est plus compliqué que cela »  ? Cette même idée de complexité tend par ailleurs à dissuader d’intervenir, ou du moins incite à le faire avec prudence. Si la situation est complexe, si les responsabilités ne se situent pas toutes du même côté, il convient d’y réfléchir à deux fois avant de s’engager.

On notera que cette rhétorique de la complexité était sous-tendue par une certaine forme de temporalité suggérant que l’antagonisme en cause était ancien, datant de plusieurs décennies, voire de plusieurs siècles. En témoignaient le recours à l’adjectif « ancestral » ou, plus important, cette autre expression beaucoup entendue à l’époque, celle de « conflit inter-ethnique », doublement problématique.

Outre que la notion d’ethnie — dont des linguistes ont montré qu’elle s’était peu à peu substituée à celle de race, devenue inacceptable — doit être maniée avec précaution, elle n’avait de toute manière guère de sens dans l’ex-Yougoslavie où les distinctions entre les diverses composantes d’un peuple unique se sont faites pour l’essentiel sur des différences religieuses 71. Par ailleurs, parler d’un conflit interethnique contribue à l’essentialiser. L’expression tend à suggérer l’idée de haines à la fois anciennes et irrationnelles, qu’il est vain d’essayer de comprendre tant elles sont ancrées depuis des millénaires dans l’inconscient des peuples en cause 72

Pour ces mêmes raisons, la notion de « purification ethnique » n’a pas toujours été maniée avec la prudence nécessaire.

Créée au XIXe siècle par l’écrivain Vuk Karadzic, elle désigne le fait de séparer des « ethnies » en chassant d’un territoire un groupe considéré comme indésirable. En ce sens, elle correspondait bien à une réalité concrète, mais tendait dans le même temps à valider la notion contestable d’ « ethnie », en reprenant le langage et les fantasmes des agresseurs.

À propos de ces expressions inappropriées, on notera le cas singulier du mot « génocide », dont on sait combien il est aujourd’hui l’objet de controverses 73. Alors qu’il n’est pas encore approprié au moment où l’emploie le journaliste Roy Gutman en 1993 74, il le deviendra deux ans plus tard après le massacre de Srebrenica (11-17 juillet 1995).

On voit comment les expressions les plus banales employées par des personnes de bonne foi — comme « belligérants » ou « conflit interethnique » — peuvent être porteuses de connotations lourdes d’imaginaire et qui ne sont pas sans conséquence au moment de prendre des décisions militaires.

Car, au-delà de ces connotations, c’est un véritable récit inconscient qui circulait dans les médias à l’époque de la guerre en ex-Yougoslavie.

Même s’il n’était jamais formulé directement et s’il convenait de le reconstituer à partir d’éléments linguistiques disséminés, il suggérait que les pays occidentaux avaient affaire à des peuples qui s’étripaient depuis des siècles pour des raisons obscures et qu’il convenait d’être prudents avant de se mêler à ces rivalités. Et ce d’autant plus que les commentateurs se considéraient comme étrangers à cette histoire et à sa rationalité, et revendiquaient une forme d’incompréhension radicale rendant difficile tout jugement éthique et politique 75.

Ce qui a commencé en Ukraine : « la guerre d’agression de la Russie contre l’Europe »

Trente ans après la guerre en ex-Yougoslavie, on retrouve dans les commentaires sur la guerre en Ukraine des points communs avec l’univers du langage de l’époque, mais aussi des différences notables.  

On laissera ici de côté le discours de certains responsables politiques situés à l’extrême-gauche et à l’extrême-droite, qui soutiennent la Russie de manière plus ou moins affichée et utilisent eux aussi l’ambiguïté du langage pour proférer des contre-vérités. 

Plus intéressantes sont les déclarations malencontreuses de commentateurs de bonne foi.

Inappropriées, à l’évidence, sont ainsi toutes les expressions, fréquentes dans les médias, donnant à penser que la guerre entre la Russie et l’Ukraine aurait commencé le 24 février 2022.

En disant qu’une agression aurait eu lieu à cette date, on affirme, là encore, quelque chose de juste, mais au prix d’un mensonge par omission considérable, dont on comprend qu’il choque les Ukrainiens puisque c’est en 2014 que la Russie s’est emparée de la Crimée et a appuyé l’insurrection « séparatiste » dans le Donbass.

Ce n’est pas un hasard si les agressés ont souvent recours à l’expression « invasion à grande échelle » pour cette deuxième étape de la guerre en 2022, marquée par un niveau de moyens et une intensité inconnus en Europe depuis 1914. 

Mais le terme de « guerre » est-il lui-même approprié  ? L’idée n’est évidemment pas de lui substituer celui d’ « opération militaire spéciale », comme le voudrait Vladimir Poutine et comme il l’impose en Russie sous peine de prison, mais de constater qu’il peut être lourd d’ambiguïtés et contribuer, comme l’expression « belligérants », à indifférencier les acteurs. 

Pour cette raison, il serait peut-être plus opportun d’utiliser une expression comme « guerre d’agression », laquelle aurait pour bénéfice de rappeler que si les deux pays sont bien en train de s’affronter à l’instant de la description, il demeure deux inégalités foncières que le langage devrait tenter de prendre en compte, à savoir que l’un a agressé l’autre et que la victime, sauf à disparaître, ne peut se permettre de perdre la guerre.

« Guerre » nous paraît en tout cas plus approprié que « conflit », expression également source d’indifférenciation, qui lui est souvent substituée, et revient à gommer toute la dimension militaire en insistant sur le désaccord entre les parties. Il existe certes un conflit entre les Russes et les Ukrainiens, mais nul ne songerait à utiliser ce terme pour décrire par exemple une agression dans la rue. 

Une autre question est celle de savoir comment articuler « guerre » et « Ukraine » dans les syntagmes qui les associent. Valentin Omelyantchyk s’est ainsi interrogé sur les différentes manières de combiner les deux mots sans fausser la réalité. Si aucune expression n’est ici véritablement inappropriée, il note que le substantif « Ukraine » « joue tour à tour le rôle de circonstance, d’objet et de sujet dans la mise en scène liée à l’action supposée par le verbe » 76

Cette différence grammaticale n’est pas sans effet.

« Guerre en Ukraine » laisse ouverte la question des acteurs impliqués ; « Guerre d’Ukraine » les fait apparaître de façon symétrique en leur donnant le rôle d’objets et en conférant un statut décisif à l’espace où se joue l’affrontement ; « Ukraine en guerre » les présente de manière asymétrique en confiant à « Ukraine » le rôle de sujet. 

Omelyantchyk montre ainsi que « chacune de ces expressions ouvre un espace sémantique médiatique propre reflétant les positions des protagonistes » 77.

En fait, comme nous l’ont fait remarquer justement plusieurs collègues ukrainiens, toute expression limitant le territoire de l’agression à l’Ukraine est de toute façon insuffisante, en donnant le sentiment que le projet de conquête impériale du président russe s’arrêterait aux limites de ce pays et qu’il s’agirait donc avant tout d’un différend sur les frontières. 

Or comme l’ont compris tardivement les pays de l’Union européenne en soutenant clairement l’Ukraine — et comme le montre la description de l’idéologie poutinienne dans le lexique de Niqueux —, cette agression n’est que la première étape d’un projet beaucoup plus vaste, celui de la reconstitution de l’empire soviétique — on sait que Poutine considère que sa désagrégation a été la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle — voire de celui de Pierre le Grand — sa grande référence historique car elle marque l’affirmation d’une logique impériale proprement russe. 

L’expression la plus appropriée serait donc celle de « guerre d’agression de la Russie contre l’Europe ».

Plus rigoureuse que les autres, elle est évidemment inutilisable en raison de sa longueur. Mais les expressions plus brèves qu’il nous arrive à tous d’utiliser pour commenter cette guerre risquent d’avoir pour effet de donner crédit à une version faussée ou partielle  de l’Histoire.

Car comme pour l’ex-Yougoslavie, certaines de ces interventions sont soutenues par un récit inconscient, perceptible notamment derrière les déclarations de responsables politiques se présentant officiellement comme neutres, alors que l’étude de leur discours permet pour le moins d’en douter. 

Ainsi quand, de retour de la Place Rouge où il a assisté au défilé « antinazi » du 9 mai aux côtés de Poutine, le président du Brésil Lula qualifie d’ « absurde » la guerre en Ukraine 78, il profère à la fois une évidence — quelle guerre, sous un certain angle, ne l’est pas ? — et un mensonge par omission en oubliant de rappeler que la Russie a attaqué l’Ukraine, que celle-ci est contrainte de se défendre et qu’il existe donc des raisons parfaitement identifiables de la guerre et de ses développements.

Mais surtout, la formule « absurde » s’inscrit dans le prolongement de déclarations de Donald Trump, dont celle comparant les Ukrainiens et les Russes à de jeunes enfants se battant dans un bac à sable.

Le récit, ici, n’est plus celui de la complexité de luttes ancestrales comme dans le cas de l’ex-Yougoslavie, il repose sur la métaphore des chicaneries de l’enfance, avec pour double corollaire que l’objet des disputes est sans intérêt et que, les acteurs n’étant pas accessibles à la raison, il est peut-être vain de chercher à intervenir 79.

*

Contrairement à la propagande, ces impropriétés de langage sont souvent involontaires. Il nous arrive à tous d’y recourir. Elles n’auraient guère de conséquences si elles ne servaient de supports, on le voit, à une représentation fantasmatique des événements, susceptible de jouer à l’heure des décisions politiques.

Pour qualifier ce langage intermédiaire entre un discours totalement rigoureux, sans doute utopique, et celui de la propagande, on pourrait aller jusqu’à parler d’une zone grise, au sens où l’entendait Primo Levi.

Une zone où se mêlent approximations, omissions et stéréotypes, et où les mots employés — qui ne sont ni vrais ni faux — contribuent cependant à altérer le réel et à influer sur l’action.

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