05.12.2025 à 01:05
Marin Saillofest
L’étude conduite par Destin Commun dans les quatre principales puissances militaires européennes (France, Royaume-Uni, Allemagne et Pologne) et aux États-Unis révèle les enseignements de la guerre en Ukraine tirés par les populations.
Dans un contexte de fortes inquiétudes quant à une contamination du retour de la guerre en Europe, les Européens sont unis sur des sujets clefs : refus d’un accord de paix défavorable à Kiev, besoin de renforcement des capacités de défense — et pertinence du concept de sécurité collective.
L’article Ukraine : comment les Européens voient-ils la fin de la guerre ? est apparu en premier sur Le Grand Continent.
Le soutien à l’Ukraine est majoritaire au sein des pays européens 58. En France, les deux-tiers (68 %) des sondés estiment qu’il est important pour leur pays que Kiev défende sa souveraineté contre la guerre d’agression russe. On retrouve des chiffres similaires en Allemagne (66 %) et aux États-Unis (69 %). Au Royaume-Uni, 79 % des sondés sont en accord avec cette affirmation.
En Pologne, pays frontalier de l’Ukraine, le soutien de la population demeure fort « mais des signes de lassitude et d’ambivalence croissante sont de plus en plus visibles », selon le directeur général de More in Common Pologne, Adam Traczyk. Il explique : « Ces changements sont dus à la fois à la rhétorique anti-ukrainienne des politiciens d’extrême droite et aux critiques des conservateurs traditionnels, notamment du président Karol Nawrocki, qui estime que l’Ukraine n’a pas montré suffisamment de gratitude pour le soutien considérable apporté par la Pologne depuis le début de la guerre ».
En France aussi, derrière ce soutien majoritaire réside également une certaine fatigue. Celle-ci est particulièrement prononcée au sein de l’électorat du Rassemblement National, dont la moitié (50 %) estime que Paris en a « trop fait » dans son soutien à l’Ukraine. Ainsi, la part de sondés estimant que la France devrait immédiatement cesser d’apporter de l’aide à Kiev a augmenté de 2 points par rapport à la précédente vague de mars, passant de 22 à 24 %.
Cette lassitude vis-à-vis du soutien à l’Ukraine répond notamment à des questionnements économiques. Lorsqu’on demande aux Français s’ils seraient prêts à payer plus d’impôts sur le revenu ou bien que le pays contracte davantage de dette afin d’aider Kiev, 87 % et 76 % des sondés respectivement s’y opposent.
Si les pays d’Europe occidentale ont été relativement épargnés par les répercussions de la guerre russe contre l’Ukraine — bien que Moscou ait mené plusieurs dizaines d’attaques hybrides contre le continent depuis 2022 —, la crainte liée à l’émergence d’un conflit armé demeure majoritaire. Ainsi, 76 % des Français déclarent être inquiets quant à l’éclatement d’une guerre en Europe dans les prochaines années.
Ce climat semble être en partie alimenté par des déclarations récentes de responsables politiques et militaires. Lorsqu’on demande aux Français comment ils ont perçu les propos du chef d’état-major des armées Fabien Mandon, qui a déclaré le 18 novembre qu’il fallait que la France « accepte de perdre ses enfants » face à l’éventualité d’une guerre avec la Russie, 85 % des sondés disent les avoir trouvés « inquiétants », tandis que 73 % les considèrent « alarmistes ». Parmi les électeurs du Rassemblement National et de La France insoumise, 80 % les ont jugés « inacceptables ».
Ce sentiment d’insécurité est renforcé par les doutes des Européens quant aux capacités de leurs armées à les défendre face à la perspective d’une confrontation armée avec la Russie. Selon notre dernier sondage Eurobazooka réalisé par Cluster 17 et publié le 4 décembre, 69 % des Européens pensent que leur pays ne serait pas capable de se défendre militairement. En Belgique, en Italie et au Portugal, ce chiffre dépasse les 80 %, tandis qu’il est de 51 % en France.
C’est au sein de l’électorat du Rassemblement National, et dans une moindre mesure de La France insoumise, que l’on trouve la plus grande proportion de positions favorables à la Russie. L’analyse comparative entre pays révèle que les électeurs du RN éprouvent moins de sympathie pour l’Ukraine que ceux de Reform UK au Royaume-Uni ou bien que les électeurs du Parti républicain aux États-Unis — mais nettement plus que ceux de l’AfD en Allemagne.
Bien que les deux-tiers (66 %) de la population française considèrent la Russie comme étant responsable de la guerre en Ukraine, 32 % des électeurs du Rassemblement National déclarent que l’Ukraine est la seule responsable du conflit (12 %) ou bien que cette responsabilité est partagée par les deux pays (20 %).
Ce point illustre une fracture au sein du spectre politique français entre les partisans des extrêmes et le reste de l’électorat. Celle-ci se révèle également sur la question de la cybersécurité.
Alors que 88 % des français estiment que leur pays est une cible prioritaire de la désinformation russe, une majorité d’électeurs de la France Insoumise (54 %) et une part importante des électeurs du Rassemblement National (48 %) pense que l’on a tendance à « exagérer » l’importance de la désinformation russe en France.
Seule une minorité d’Européens considère que Donald Trump a aidé l’Ukraine à se défendre contre la Russie. C’est en France et au Royaume-Uni que les sondés sont les plus critiques vis-à-vis des tentatives de négociation du président américain : respectivement 42 % et 43 % disent que celui-ci a freiné la capacité de l’Ukraine à se défendre.
Selon le directeur exécutif de More in Common UK, Luke Tryl, les Britanniques craignent qu’un accord précipité entre l’Ukraine et la Russie, négocié par l’intermédiaire des États-Unis, ne récompense l’agression russe et ne laisse l’Ukraine vulnérable. Tandis que la polarisation partisane en faveur de l’Ukraine « est prononcée sur le continent, tous les principaux électorats britanniques soutiennent l’Ukraine et estiment que la guerre est importante pour la Grande-Bretagne ».
De la même manière, le plan de paix de Trump pour l’Ukraine fait lui aussi l’objet d’un rejet massif par les Européens. Près de 60 % des sondés au Royaume-Uni (58 %), en Pologne (58 %) et en France (56 %) considèrent ainsi qu’une réduction de la taille des forces armées ukrainiennes ainsi qu’une limitation de leurs capacités serait « inacceptable ».
Les autres principales propositions portées conjointement par les États-Unis et la Russie — inscription dans la constitution de l’Ukraine d’un engagement à ne pas rejoindre l’OTAN, interdiction de stationnement de troupes de pays membres de l’Alliance atlantique sur le territoire ukrainien et reconnaissance des régions ukrainiennes occupées par Moscou comme étant russes — font elles aussi l’objet d’un rejet massif.
La directrice générale de Destin Commun, Laurence de Nervaux, estime que les Européens tout comme les Américains « partagent une grande lucidité quant aux intentions belliqueuses de la Russie et sont unis dans le refus des concessions qui figurent dans le plan de paix ». L’enquête montre ainsi que « de part et d’autre de l’Atlantique, les citoyens réaffirment l’importance de l’alliance transatlantique dans la période actuelle, se démarquant de l’attitude volatile de Donald Trump, mais appellent aussi de leurs vœux une évolution vers une plus grande autonomie stratégique de l’Europe ».
La franche opposition des Européens au plan de paix de Trump tient notamment au fait que ces derniers considèrent que la Russie ne tiendrait pas ses engagements pris dans le cadre d’un éventuel accord de cessez-le-feu. En France, 70 % des sondés disent qu’il est « peu » voir « pas du tout » probable que Moscou respecte un accord conclu avec l’Ukraine. Cette part est de 63 % en Allemagne et aux États-Unis, tandis qu’elle monte à 76 % au Royaume-Uni.
Les sondés partageant cet avis sont d’ailleurs plus nombreux qu’en mars, lors de la précédente vague du sondage, dans tous les pays étudiés : +6 points aux États-Unis et en Allemagne, +7 points en France et +8 points au Royaume-Uni.
Moscou a violé à plusieurs reprises des cessez-le-feu mis en place depuis le début du conflit. Ce fut notamment le cas en mars-avril, lorsque Moscou avait violé à 29 reprises en l’espace de deux semaines l’accord censé protéger les infrastructures énergétiques, puis en avril lors du week-end pascal.
Ces « trêves », parfois déclarées unilatéralement par Poutine, comme à Pâques, visaient à envoyer un signal « d’ouverture » à Donald Trump lorsque celui-ci montrait des signes d’impatience quant à l’absence de volonté de son homologue russe à parvenir à une paix durable en Ukraine.
Le sondage conduit par Destin Commun révèle que 60 % des Français considèrent qu’il est probable que la Russie tente d’envahir d’autres pays européens au cours des prochaines années si elle réussit à s’emparer d’une part importante du territoire ukrainien. Tandis que cette part est similaire au Royaume-Uni (68 %) et aux États-Unis (63 %), cette est nettement plus faible en Allemagne, où une minorité (46 %) voit ce scénario comme étant probable.
En France, là encore, une minorité des électeurs de La France insoumise et du Rassemblement National (47 %) pensent qu’une réussite militaire russe en Ukraine serait susceptible d’encourager le Kremlin à revendiquer davantage de territoires appartenant à d’autres pays.
La diplomatie russe ne cesse pourtant de mobiliser une rhétorique militariste menaçante pour les pays européens. Dans son numéro d’octobre, la revue La Vie internationale, publiée par le ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, présentait ainsi au public russe un article au titre éloquent : « Brûler jusqu’à la Manche ? Quelles garanties de sécurité efficaces à l’heure d’un affrontement historique entre la Russie et l’Occident ».
Comme le rappelait Sergueï Karaganov dans ces pages, pour le Kremlin et ses affidés « la guerre est dans les gènes des Russes ». Poutine parie définitivement sur une guerre éternelle et sans limites pour se maintenir au pouvoir indéfiniment.
Face à une hostilité russe envers l’Europe reconnue par la majorité des Européens, ces derniers voient la défense collective comme une composante importante des capacités de défense du continent. Ainsi, les trois-quarts (75 %) des Français considèrent que l’OTAN est une organisation importante (26 %) voire essentielle (49 %) pour la défense du pays. Au Royaume-Uni et en Allemagne, ces niveaux sont encore plus élevés : 81 % et 84 % respectivement.
La part de sondés considérant que l’OTAN joue un rôle important pour la défense de leurs pays est moindre aux États-Unis, celle-ci atteignant 65 %. Depuis son retour au pouvoir, Donald Trump a porté atteinte à plusieurs reprises à l’Alliance atlantique, notamment en se positionnant comme un intermédiaire entre l’OTAN et la Russie dans les négociations autour de la guerre en Ukraine, plaçant les États-Unis comme un troisième parti neutre plutôt que l’une des forces majeures derrière l’alliance transatlantique.
Si la confiance en l’OTAN demeure élevée, les Européens veulent que l’Europe développe son indépendance en matière de défense. Cette part dépasse les 80 % au Royaume-Uni (85 %) et en France (82 %), tandis qu’elle est légèrement plus faible en Pologne (75 %). Les Américains eux-mêmes sont largement favorables à une autonomie européenne dans le domaine de la défense : 72 % soutiennent cette proposition, tandis que 28 % s’y opposent.
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26.11.2025 à 15:30
Matheo Malik
C’est le livre dont tout le monde parle aujourd’hui — c’est le livre qui parle d’aujourd’hui.
Depuis quelques jours, tout se passe comme si nous vivions page après page le début inquiétant du récit géopolitique de Carlo Masala La Guerre d’après. La Russie face à l’Occident (Grasset).
Mais que se passe-t-il maintenant ?
Entretien.
L’article « Tout semble se passer exactement comme ce que j’avais décrit » : l’écrivain Carlo Masala sur le plan de paix pour l’Ukraine est apparu en premier sur Le Grand Continent.
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Le plan en 28 points initialement présenté par Steve Witkoff était un plan de capitulation : il récompensait l’agresseur pour son agression. Si vous examinez le contenu de ce plan, vous constaterez que les souhaits passés de la Russie, tant en ce qui concerne l’Ukraine que l’OTAN et l’architecture de sécurité européenne, y sont exaucés.
Nous ne connaissons pas l’étendue des modifications qui ont été apportées à ce plan. Les pourparlers de Genève semblent avoir permis des progrès au sujet des garanties de sécurité, de la protection des infrastructures critiques et de la reconstruction de l’économie ukrainienne ; mais la version originale était une sorte de nouveau traité de Versailles — sauf que cette fois-ci c’est la victime qui serait punie au lieu de l’agresseur.
S’il fallait publier mon livre aujourd’hui, je n’y changerais rien : tout semble se passer exactement comme ce que j’avais décrit.
Dans ce livre, j’ai mentionné une paix de Genève — les actuels pourparlers de paix se déroulent… à Genève.
Le plan en 28 points correspond exactement à ce que j’avais envisagé : la Russie obtient ce qu’elle veut, tandis que l’Ukraine n’obtient aucune garantie de sécurité ferme.
Si ce plan était adopté, je pense que la mobilisation des sociétés européennes pour dissuader la Russie diminuerait — exactement comme je l’envisageais.
Un aspect peu discuté de ces pourparlers est la perspective, présente dans le plan en 28 points, de réintégrer la Russie au G8. Il est difficile de croire que les sociétés européennes s’accorderaient à fournir de grands efforts pour se réarmer si, dans le même temps, la Russie était acceptée dans l’un des principaux forums multilatéraux en matière économique et politique.
La Russie ne pourrait être traitée comme un membre à part entière par le G8, tout étant considérée comme une menace par l’OTAN : cette situation mènerait à des impossibilités et les opinions publiques ne l’accepteraient pas ; des débats et des discussions ne manqueraient pas de surgir pour savoir si les sommes colossales dépensées pour le réarmement de nos forces sont vraiment nécessaires.
Je pense qu’à moyen terme, la Russie tentera de tester la détermination de l’OTAN à invoquer l’article 5.
Bien que la Russie soit imprévisible, il est peu probable qu’elle lance une attaque à grande échelle contre un pays de l’OTAN comme la Pologne ou les pays baltes. Le risque que l’OTAN invoque alors l’article 5 serait trop élevé et les Russes ne peuvent pas déterminer s’ils gagneraient ce type de guerre contre l’OTAN ; ce serait un pari.
En revanche, les Russes pourraient tout à fait procéder à un test limité — en s’emparant d’une ville ou d’une île comme Spitsbergen, créant ainsi des troubles dans l’Arctique.
C’est là la faiblesse de mon scénario : si 5 000 drones provenant d’un navire quelque part en mer du Nord survolaient un pays membre de l’OTAN puis disparaissaient, l’OTAN invoquerait-elle vraiment l’article 5 ? Je ne le pense pas.
Ce type de test à petite envergure de la détermination de l’OTAN reste donc tout à fait probable.
Pour la Russie, un test limité pourrait s’avérer beaucoup plus efficace pour conquérir le territoire de l’OTAN qu’un projet à grande échelle.
Carlo Masala
Lorsque j’ai écrit le livre, 2029 était considérée comme l’année où les forces russes seraient prêtes à envahir un pays membre de l’OTAN : j’ai donc imaginé que si Vladimir Poutine ou un dirigeant russe voulait tester l’OTAN, il n’attendrait pas le moment que tout le monde anticipe. D’un point de vue stratégique et logique, agir plus tôt prendrait tout le monde par surprise ; c’est pourquoi j’ai avancé la date à 2028.
Le scénario que j’ai élaboré étant très dense dans le temps, il me fallait une date précise.
J’ai donc choisi mon anniversaire, le 27 mars, comme jour de l’attaque.
Cela dépend de ce qu’on entend par « victoire ».
Si vous entendez par « victoire » que les Ukrainiens seront capables de repousser les forces russes par des moyens militaires, je n’ai jamais cru que cela fût possible.
Cependant, je pense qu’il est toujours possible que l’économie russe souffre trop lourdement des sanctions et maintenant des frappes en profondeur des Ukrainiens contre l’industrie pétrolière et gazière russe.
Il y a maintenant deux guerres d’usure en cours.
L’une est menée contre les forces ukrainiennes dans le Donbass en raison du manque d’effectifs de l’Ukraine par rapport à la Russie — l’autre contre l’économie russe. La question est de savoir qui tombera d’épuisement le premier : les Ukrainiens sur le champ de bataille ou les Russes sur le terrain économique.
Je ne peux pas juger de ce qui est le plus probable ni quelles seraient les conséquences pour la Russie d’un effondrement économique, mais cela pourrait changer le calcul russe en termes de gains et de pertes liés à cette guerre. Les négociations avec les Russes pourraient se dérouler de manière totalement différente de ce qui prévaut aujourd’hui ; pour l’instant, ils sont toujours convaincus de pouvoir gagner cette guerre.
Tout d’abord, il faudrait immédiatement faire bien plus pour aider les Ukrainiens, par exemple en leur donnant des avoirs russes gelés pour qu’ils achètent des armes sur le marché mondial et investissent davantage dans leur industrie de défense pour augmenter la production de missiles balistiques. À ce titre, les Ukrainiens disposent déjà de deux nouveaux types de missiles, le Flamingo et le Neptune.
Ensuite, afin d’éviter une guerre ou un test politique de la Russie contre l’OTAN, nous devons adopter une approche en trois volets.
Le premier, le réarmement de nos forces armées, est déjà en cours.
Le deuxième, dans lequel j’estime que nous sommes encore trop peu avancés, est la communication, c’est-à-dire la nécessité de faire passer le message à la Russie, par tous les moyens disponibles, que l’OTAN est prête à défendre le moindre centimètre carré de son territoire contre toute attaque.
La présence de la Russie au Mali nous rappelle qu’elle considère le globe terrestre comme un unique théâtre d’opérations.
Carlo Masala
La dissuasion se joue autant avec des chars, des avions de combat et des frégates qu’avec des moyens psychologiques.
Même avec des forces adéquates, tout signe de faiblesse sera interprété comme une réticence à utiliser vos armes. Par exemple, la réticence de certains pays européens à discuter de la présence de leurs troupes en Ukraine après un cessez-le-feu indique aux Russes qu’ils ne sont pas prêts à les combattre s’ils osaient attaquer à nouveau l’Ukraine.
Dans le même temps, tous les responsables politiques, de Macron à Merz ou Starmer, expliquent à leur opinion publique combien la sécurité de l’Ukraine est importante pour l’avenir de la sécurité européenne.
Mais sans la volonté d’envoyer des troupes sur le terrain en Ukraine, quel signal est envoyé à Moscou et aux pays baltes ? Si ces responsables ne sont pas prêts à combattre les Russes en Ukraine, pourquoi seraient-ils prêts à les combattre dans les pays baltes ? Ce sont là les risques associés à un message peu clair pour les Russes.
Enfin, le troisième point est que plus on s’éloigne de Moscou, moins les sociétés sont résilientes et moins elles sont disposées à payer le prix qui accompagne le réarmement de nos forces armées et la confrontation potentielle avec la Russie.
Or une société résiliente est la condition préalable pour que les forces armées puissent défendre un pays. Sans le soutien de la société, aucun président ou Premier ministre ne déploiera longtemps ses forces dans une situation de guerre.
Si la Russie peut conserver tous les territoires qu’elle a conquis, que l’Ukraine n’obtient aucune garantie de sécurité et que Moscou n’a à faire de compromis sur aucun point avec un gouvernement ukrainien affaibli, alors c’est une victoire russe.
Si la Russie obtient le Donbass, mais doit en même temps se retirer, disons, de Zaporijia ou de Kherson, cela serait considéré comme une forme de compromis. Bien qu’asymétrique, la Russie y gagnant plus que les Ukrainiens, ce type d’accord permettrait d’éviter que les Russes ne le perçoivent comme une victoire.
Le plan en 28 points initialement présenté par Steve Witkoff était un plan de capitulation : il récompensait l’agresseur pour son agression.
Carlo Masala
Les soldats et généraux français, allemands ou britanniques à qui j’ai parlé se concentrent sur le flanc Est et sur la manière d’y dissuader la Russie. Ils oublient souvent que la Russie, tout comme la Chine, considère le globe comme un seul et même théâtre.
Si la Russie veut provoquer l’OTAN sur son flanc Est, elle commencera à nous déstabiliser ailleurs.
L’Europe est terrifiée par l’immigration clandestine. Les Russes provoquent déjà certaines tensions, mais s’ils commençaient à susciter un flux d’immigration clandestine en provenance d’Afrique subsaharienne ou d’autres régions d’Afrique, l’attention de l’Union européenne serait immédiatement détournée. Comme l’Union ferait tout son possible pour mettre fin à ce type de vague migratoire, elle ne se soucierait plus de son flanc Est.
Il en va de même pour les États-Unis : si les Chinois créaient des perturbations en mer de Chine méridionale, les Américains seraient immédiatement distraits, car ils se sentiraient obligés d’intervenir militairement pour dissuader d’autres pays, ouvrant ainsi la voie à la Russie pour agir sur le flanc Est.
La présence de la Russie au Mali nous rappelle qu’elle considère le globe comme un unique théâtre d’opérations alors que les Européens, même au sein de l’OTAN, continuent de discuter séparément de l’Afrique du Nord, de l’Afrique subsaharienne, de l’Arctique, du flanc oriental ou de la mer de Chine méridionale — sans voir le lien entre ces différents théâtres.
La Zeitenwende allemande est un élément crucial : à l’heure actuelle, l’Allemagne est le seul pays européen à avoir résolu les problèmes financiers liés au réarmement grâce à la réforme du frein à l’endettement passée au Bundestag juste avant l’entrée en fonction de Friedrich Merz 59.
Pendant ce temps, la France est au bord de la faillite tandis que la Grande-Bretagne et l’Italie ont d’énormes difficultés à financer leurs forces armées. Parmi les grandes puissances européennes, la Pologne est le seul pays à suivre la voie de Berlin.
Cependant, le « changement d’époque » ne fait pas l’unanimité en Allemagne. Entre les problèmes d’infrastructure, les lacunes de notre système éducatif et un système de retraite au bord de l’effondrement, les gens se demandent pourquoi les sommes colossales consacrées à la défense ne sont pas utilisées pour moderniser leur pays. Une fois qu’un cessez-le-feu sera conclu en Ukraine, je m’attends à ce que ce débat éclate en Allemagne — d’autant plus que nous sommes actuellement en train de réduire les prestations sociales, ce qui est très impopulaire.
La décision de réduire les prestations sociales tout en dépensant des sommes folles pour les forces armées ne peut se justifier que par une menace extérieure ; si les gens ne voient pas cette dernière, ils commenceront à se demander si cette politique est judicieuse.
Sous l’administration Trump, l’article 5 a déjà subi de lourds revers.
Quelle est la force de l’article 5 si une administration américaine n’exclut pas une attaque militaire pour s’emparer d’une partie du territoire d’un autre membre de l’OTAN, comme le Groenland danois ?
La proposition en 28 points soutient que les États-Unis serviront de médiateur dans un dialogue entre l’OTAN et la Russie.
Mais si les États-Unis ne se considèrent pas comme un membre de l’OTAN, mais comme un médiateur impartial entre la Russie et l’OTAN, quelle est alors la fonction de l’Alliance ?
Pete Hegseth a prononcé un discours à Bruxelles le 12 février dernier pour dire que les États-Unis ne sont plus le principal garant de la sécurité de l’Europe : cette déclaration, avec les autres points évoqués, montre que pour les États-Unis, l’OTAN perd de sa pertinence ; l’article 5 est donc remis en question, du moins dans le domaine conventionnel.
Il y a maintenant deux guerres d’usure en cours. L’une est menée contre les forces ukrainiennes dans le Donbass — l’autre contre l’économie russe.
Carlo Masala
Les hommes politiques ont naturellement tendance à croire que les choses ne seront jamais aussi graves que prévu.
Il est également très problématique politiquement de se préparer à des événements simplement parce qu’ils pourraient se produire puisqu’il faut souvent dépenser d’importantes sommes d’argent uniquement pour les éviter alors qu’en fin de compte, il est difficile de prouver qu’une politique a empêché quelque chose de se produire.
C’est le paradoxe de la prévention : quelle que soit la somme d’argent mobilisée pour prévenir la prochaine pandémie par exemple, rien ne prouve que ces mesures auront un effet préventif.
Les hommes politiques hésitent donc à prendre ce type de mesures, car ils doivent ensuite les justifier devant leurs électeurs.
Or aussi pénible que cela soit, il est difficile de prouver que le réarmement est la raison pour laquelle les Russes n’attaquent pas. En parallèle, les forces armées sont formées à envisager les pires scénarios, à s’y préparer et à espérer qu’ils ne se concrétiseront jamais.
Dans le cas spécifique de l’Allemagne — qui est le seul sur lequel je suis habilité à m’exprimer — les hommes politiques ont extrêmement peur de créer un climat de panique.
Comme le reste du continent, le pays est confronté à une sorte de guerre hybride, avec des drones russes survolant les aéroports et certaines installations militaires ; mais les dirigeants allemands sont très réticents à dire à la population que, du point de vue russe, il s’agit d’une forme de guerre.
Ces dirigeants minimisent donc ces événements car ils craignent de paniquer l’opinion publique.
Tout ce qui relève de la dynamique interne à l’OTAN a été difficile à prendre en considération dans l’écriture de mon livre, car j’ai choisi d’explorer une seule hypothèse là où, bien sûr, il y aurait pu en avoir plusieurs. Je ne peux pas exclure que la discussion entre les alliés prenne avec le temps une autre direction, mais c’est quelque chose que j’ai dû laisser de côté.
Par exemple, je suis presque certain que si les Russes devaient conquérir une ville en Estonie, les Estoniens commenceraient immédiatement à les combattre, probablement rejoints par les Polonais et les pays nordiques.
Mais mon propos portait sur un scénario politique axé sur l’OTAN et sa non-intervention, en raison des intentions qu’a présentement la Russie de la démanteler.
Certains scénarios potentiels de résistance ont donc dû être laissés de côté.
Cela pourrait constituer une critique légitime de mon livre.
Plus on s’éloigne de Moscou, moins les sociétés sont disposées à payer le prix qui accompagne le réarmement des forces armées et la confrontation potentielle avec la Russie.
Carlo Masala
J’ai écrit ce livre dans le contexte du débat euro-américain autour d’un scénario couramment admis dans lequel la Russie ne serait pas prête à envahir un État membre de l’OTAN avant 2029.
La plupart des gens discutaient alors de la possibilité que la Russie envahisse un membre de l’OTAN : certains soutenaient à juste titre que, compte tenu des difficultés auxquelles elle est confrontée en Ukraine, elle n’oserait jamais le faire.
En m’insérant dans ce débat, j’ai essayé d’introduire une autre façon d’envisager la question : pour tester l’article 5, il n’est pas nécessaire de mener une invasion à grande échelle avec six divisions de chars traversant le Bélarus et franchissant la frontière polonaise pour tenter de conquérir Varsovie.
Au contraire, un test limité pourrait s’avérer beaucoup plus efficace pour conquérir le territoire de l’OTAN qu’un projet à grande échelle.
Il est intéressant de noter qu’il y a quelques semaines, le chef sortant des services de renseignement extérieurs allemands a été le seul à déclarer disposer de preuves selon lesquelles certains cercles à Moscou ne croient plus à l’article 5 et souhaiteraient le tester par le biais d’une attaque militaire limitée, probablement en Estonie.
C’est la bonne manière d’aborder le problème.
L’article « Tout semble se passer exactement comme ce que j’avais décrit » : l’écrivain Carlo Masala sur le plan de paix pour l’Ukraine est apparu en premier sur Le Grand Continent.
26.11.2025 à 06:00
Gilles Gressani
Dans la nuit, Bloomberg a publié la transcription d'un échange confidentiel entre l’émissaire de Donald Trump, Steve Witkoff, et Youri Ouchakov, l'un des principaux conseillers diplomatiques de Vladimir Poutine.
Nous traduisons et commentons ce document important, qui révèle la portée du rapprochement entre la Maison-Blanche et le Kremlin — aux dépens de l'Ukraine.
L’article Une fuite explosive révèle la profondeur du rapprochement Trump – Poutine (texte intégral) est apparu en premier sur Le Grand Continent.
L’organisation interne du cabinet du second mandat de Donald Trump se distinguait, jusqu’ici du premier sur deux points : peu de fuites dans la presse, et quasiment aucun départ. Avec l’accélération du rapprochement avec la Russie, les premières grandes révélations ont commencé à émerger dans les médias.
Dans cet enregistrement daté du 14 octobre, deux conseillers des présidents russe et américain, les diplomates Steve Witkoff et Youri Ouchakov, se félicitent des avancées récentes et envisagent d’organiser un appel direct entre leurs dirigeants, afin de préparer la rencontre prévue à la Maison-Blanche avec le président Zelensky, quelques jours plus tard.
Ils discutent également d’un éventuel plan de paix : Witkoff évoque un format en « 20 points » qui semble avoir inspiré le cadre du traité — largement défavorable à l’Ukraine — que la Maison-Blanche tente actuellement d’imposer à Zelensky. Il laisse entendre que la position américaine serait favorable à des concessions territoriales substantielles de la part de l’Ukraine, à condition de pouvoir les présenter sous une lumière plus « positive », et propose même au conseiller du président russe que Vladimir Poutine flatte le président américain en le traitant d’homme de paix.
Par son ton, sa forme et son contenu, l’échange révèle une proximité inédite entre la Maison-Blanche et un régime qui, à ce jour, reste engagé dans une guerre d’agression sur le sol européen, contre un allié des États-Unis. Cette coordination informelle, de plus en plus assumée, même dans des positions officielles, ne laisse plus beaucoup de doutes sur la position politique de l’administration Trump.
Reste désormais à savoir quelle sera la position des membres du Parti républicain, que ce soit au Congrès ou au Sénat. Ce qui se joue, à cet égard, relève à la fois de la dynamique géopolitique et de la politique interne : le Parti se rangera-t-il sans réserve derrière la ligne de convergence avec Moscou imposée par la Maison-Blanche, ou ces révélations, suggérant une compromission qui aurait pu provoquer un scandale d’État en d’autres temps, suffiront-elles à susciter une résistance ?
14 octobre 2025
Steve Witkoff Salut, Youri.
Youri Ouchakov Oui, Steve, salut, comment vas-tu ?
Steve Witkoff Bien, Youri. Comment vas-tu ?
Youri Ouchakov Ça va. Félicitations, mon ami.
Steve Witkoff Merci.
Youri Ouchakov Tu as fait un excellent travail. Vraiment, un excellent travail. Merci beaucoup. Merci, merci.
La veille de cet appel, le 13 octobre 2025, s’était tenu un sommet international pour la paix à Gaza — le Gaza Peace Summit — à Sharm-el-Sheikh (Égypte), organisé dans le cadre de la trêve annoncée le 9 octobre. Ce sommet, largement médiatisé, a permis de mettre en scène le rôle prépondérant du président américain dans le processus de cessez-le-feu et de négociation d’un plan de paix. Steve Witkoff, en tant qu’envoyé spécial des États-Unis au Moyen-Orient, avait joué un rôle clef dans cette négociation, aux côtés du gendre du président américain, Jared Kushner.
Steve Witkoff Merci, Youri, merci pour ton soutien. Je sais que ton pays l’a soutenu, et je t’en remercie.
Youri Ouchakov Oui, oui, oui. Oui. Tu sais, c’est pour cela que nous avons suspendu l’organisation du premier sommet russo-arabe.
En mai 2025, le président russe, Vladimir Poutine, avait officiellement annoncé qu’un premier sommet Russie-Monde arabe serait organisé le 15 octobre 2025. Plusieurs dirigeants de pays arabes avaient été invités. À l’approche de la date prévue, le sommet a été reporté : selon le Kremlin, de nombreux chefs d’État arabes n’avaient pas confirmé leur présence. Selon Youri Ouchakov, ce report permettrait de laisser le champ libre aux efforts diplomatiques américains pour la mise en œuvre du plan de paix au Moyen-Orient, notamment autour de Gaza.
Steve Witkoff Oui.
Youri Ouchakov Oui, parce que nous pensons que tu fais le vrai travail, là-bas, dans la région.
Steve Witkoff Eh bien, écoute. Je vais te dire quelque chose. Je pense, je pense que si nous pouvons résoudre l’affaire Russie-Ukraine, tout le monde sautera de joie.
Youri Ouchakov Oui, oui, oui. Oui, tu n’as qu’un seul problème à résoudre. [Rires]
Steve Witkoff Lequel ?
Youri Ouchakov La guerre russo-ukrainienne.
Steve Witkoff Je sais ! Comment on règle ça ?
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Youri Ouchakov Mon ami, je voudrais juste ton avis. Penses-tu que ce serait utile, si nos chefs parlaient au téléphone ?
Steve Witkoff Oui, je pense que oui.
Youri Ouchakov Tu penses que oui. Et quand penses-tu que ce serait possible ?
Steve Witkoff Je pense que dès que vous le proposerez, mon gars est prêt à le faire.
Youri Ouchakov D’accord, d’accord.
Steve Witkoff Youri, Youri, voici ce que je ferais. Ma recommandation.
Youri Ouchakov Oui, s’il te plaît.
Steve Witkoff J’appellerais pour simplement réitérer que vous félicitez le président pour cet accomplissement, que vous l’avez soutenu, que vous respectez le fait qu’il soit un homme de paix et que vous êtes vraiment heureux d’avoir vu cela arriver. Je dirais ça. Je pense qu’à partir de là, l’appel sera très bon.
L’insistance sur l’image de Donald Trump comme « homme de paix » est devenue un véritable mantra de la diplomatie mondiale. Loin d’être anecdotique ou grotesque, plusieurs chefs d’État et de gouvernement s’appuient sur cet élément pour obtenir des concessions ou des arbitrages favorables, allant avant le 10 octobre — date de l’annonce du prix Nobel à l’activiste vénézuélienne María Corina Machado — jusqu’à appuyer la candidature du président américain à ce prix.
Parce que — laisse-moi te dire ce que j’ai dit au Président. J’ai dit au Président que vous — que la Fédération de Russie a toujours voulu un accord de paix. C’est ma conviction. Je lui ai dit que je le croyais.
L’idée selon laquelle la Russie « a toujours voulu un accord de paix » semble être une déclaration sortie de la plus simple propagande poutinienne. Elle est évidemment largement contredite par les actions et les prises de position officielles du Kremlin. Depuis le début de l’invasion à grande échelle, en février 2022, la Russie mène une guerre d’agression pour conquérir et contrôler des territoires ukrainiens. Les conditions posées pour tout cessez-le-feu ou toute négociation sont punitives et inacceptables pour Kiev, témoignant d’un objectif maximaliste, de capitulation et de perte de souveraineté de l’Ukraine. Les bombardements d’infrastructures civiles et les crimes commis contre les populations témoignent d’une stratégie de terreur, incompatible avec une volonté de paix.
Et je pense que la question — le problème — est que nous avons deux nations qui ont du mal à trouver un compromis, et quand elles y parviendront, nous aurons un accord de paix. Je pense même qu’on pourrait établir une sorte de plan de paix en 20 points, comme nous l’avons fait pour Gaza. Nous avons créé un plan Trump en 20 points pour la paix, et je me dis que nous pourrions faire la même chose avec vous. Mon point est le suivant…
Youri Ouchakov D’accord, d’accord, mon ami. Je pense que ce point pourrait être discuté par nos dirigeants. Hé, Steve, je suis d’accord avec toi, qu’il le félicitera, qu’il dira que M. Trump est un véritable homme de paix, etc. Il le dira.
Steve Witkoff Mais voici ce qui serait incroyable.
Youri Ouchakov D’accord, d’accord.
Steve Witkoff Et si, et si… écoute-moi bien…
Youri Ouchakov Je vais en parler à mon patron, et je reviendrai vers toi. D’accord ?
Steve Witkoff Oui, parce que, écoute ce que je dis. Je veux juste que tu dises, peut-être simplement que tu dises cela au président Poutine, parce que tu sais que j’ai le plus grand respect pour le président Poutine.
Youri Ouchakov Oui, oui.
Steve Witkoff Peut-être qu’il dira au président Trump : « Tu sais, Steve et Youri ont discuté d’un plan très similaire, un plan de paix en 20 points, et cela pourrait être quelque chose qui pourrait faire bouger un peu les choses ; nous sommes ouverts à ce genre d’idées — à explorer ce qu’il faudra pour parvenir à un accord de paix. »
Maintenant, entre toi et moi, je sais ce qu’il faudra pour obtenir un accord de paix : Donetsk, et peut-être un échange de territoires quelque part. Mais je dis, au lieu de parler comme ça, parlons de manière plus positive, car je pense que nous allons arriver à un accord. Et je pense, Youri, que le président me laissera beaucoup d’espace et de latitude pour parvenir à un accord.
Par son impréparation, Steve Witkoff avait commis plusieurs erreurs majeures dans la préparation du sommet Russie–États-Unis d’Anchorage. En sous-estimant l’ampleur des prétentions territoriales russes sur l’Ukraine, il semble ici envisager d’instaurer une logique de traité secret, dans laquelle le marketing de la paix permettrait de forcer l’Ukraine à se plier.
Youri Ouchakov Je vois…
Steve Witkoff Donc, si nous pouvons créer l’opportunité que, après cela, j’ai parlé à Youri et que nous avons eu une conversation, je pense que cela pourrait mener à de grandes choses.
Youri Ouchakov D’accord, ça me semble bien.
Steve Witkoff Et voici une autre chose : Zelensky vient à la Maison-Blanche vendredi.
Youri Ouchakov Je le sais. [En ricanant]
Vendredi 17 octobre, le président ukrainien Zelensky s’est en effet rendu à la Maison-Blanche pour demander, sans succès, un soutien militaire accru, notamment des missiles Tomahawk à longue portée, fabriqués aux États-Unis.
Steve Witkoff Je vais aller à cette réunion parce qu’ils veulent que j’y sois, mais je pense que, si possible, nous devrions avoir l’appel avec ton patron avant cette réunion de vendredi.
La prudence diplomatique semble complètement absente : Witkoff affirme sans ambiguïté que les États-Unis sont prêts à se coordonner au plus haut niveau pour préparer la visite d’un chef d’État allié avec un pays qui mène depuis plusieurs années une guerre dévastatrice contre son peuple et son sol.
Youri Ouchakov Avant, avant — oui ?
Steve Witkoff Correct.
Youri Ouchakov D’accord, d’accord. J’ai compris ton conseil. Donc, j’en parle à mon patron, et ensuite, je reviens vers toi, d’accord ?
Le 16 octobre, un appel téléphonique de plus de deux heures a eu lieu entre Trump et Poutine. Les deux présidents avaient convenu d’un nouveau sommet à Budapest, après celui d’Anchorage — ce sommet a été par la suite annulé en raison du manque d’intérêt russe et de l’absence de la moindre concession de la part du Kremlin.
Steve Witkoff D’accord, Youri, je te parle bientôt.
Youri Ouchakov Très bien, très bien. Merci beaucoup. Merci.
Steve Witkoff Au revoir.
Youri Ouchakov Au revoir.
[Fin de l’appel]
L’article Une fuite explosive révèle la profondeur du rapprochement Trump – Poutine (texte intégral) est apparu en premier sur Le Grand Continent.