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26.07.2025 à 00:30

Refuzniks : « briser le cycle de la guerre »

Pauline Laplace

« Si vous me poursuivez / Prévenez vos gendarmes / Que je n'aurai pas d'armes / Et qu'ils pourront tirer » conclut Boris Vian à la fin de sa chanson « Le Déserteur ». Dans son dernier livre Nous refusons. Dire non à l'armée en Israël (Libertalia, 2025), le photographe Martin Barzilai brosse le portrait d'hommes et de femmes qui refusent de prendre les armes. Passage obligé pour tous les citoyens de l'État d'Israël, l'armée, Tsahal, est une institution sacralisée. Il semblerait pourtant que (…)

- CQFD n°243 (juillet-août 2025)
Texte intégral (3203 mots)

« Si vous me poursuivez / Prévenez vos gendarmes / Que je n'aurai pas d'armes / Et qu'ils pourront tirer » conclut Boris Vian à la fin de sa chanson « Le Déserteur ». Dans son dernier livre Nous refusons. Dire non à l'armée en Israël (Libertalia, 2025), le photographe Martin Barzilai brosse le portrait d'hommes et de femmes qui refusent de prendre les armes.

Passage obligé pour tous les citoyens de l'État d'Israël, l'armée, Tsahal1, est une institution sacralisée. Il semblerait pourtant que depuis quelque temps, celle-ci soit contestée de l'intérieur. En avril, plusieurs lettres ouvertes critiquant l'armée du peuple ont été signées par des milliers de réservistes et d'anciens militaires. « La guerre sert principalement des intérêts politiques et personnels, et non des intérêts sécuritaires » s'indignait l'un de ses auteurs. Sans blague... Ceux-ci ont été directement désignés comme des « incendiaires » et des « agents du chaos » par le quotidien Israël Hayom, plus grand tirage de la presse du pays2. Diffusé le 12 juin en France, un épisode d'« Envoyé spécial » fait état d'un « mouvement naissant qui inquiète l'armée israélienne ». Il pointe que 20 % des 300 000 réservistes de Tsahal se sont détournés du combat et note que « pour la première fois depuis le début de la guerre à Gaza, l'un de ces déserteurs, Daniel Yohaval, 32 ans, a été mis en prison par un tribunal militaire ».

Il est question de courage, mais aussi d'acuité, pour qui refuse de marcher au pas dans une société qui héroïse ses soldats

En réalité, même s'il a toujours été extrêmement minoritaire, le mouvement des objecteurs de conscience est, en Israël, aussi vieux que Tsahal elle-même. Celles et ceux qui choisissent l'arme de la désobéissance sont appelés « refuzniks » et le photographe Martin Barzilai leur rend hommage dans un nouveau livre Nous refusons – Dire non à l'armée en Israël (Libertalia, 2025). Son travail est le fruit de seize années de rencontres, réactualisées après le 7 Octobre. À travers des portraits en textes et en images, sobres et précis, il nous amène à la rencontre de « quelques individus qui osent briser le cycle de la guerre » écrit Eyal Sivan, cinéaste et opposant israélien, dans la préface du livre. « Le courage réside parfois dans la résistance aux normes établies », ajoute-t-il. En effet, au fil des pages, on réalise qu'il est question de courage, mais aussi d'acuité, pour qui refuse de marcher au pas dans une société qui héroïse ses soldats.

Les paroles que Martin Barzilai récolte (et qu'il a travaillé avec l'aide de notre compadre Mathieu Léonard), nous renseignent sur la difficulté d'ouvrir les yeux dans une société totalitaire, et les risques encourus quand on est pacifiste dans un État guerrier3 : la prison d'abord, mais aussi une immense solitude parmi les siens. Le destin des refuzniks est souvent celui d'une grande marginalisation au sein d'une société qui a fait du « droit d'Israël à se défendre » son principe indépassable. L'auteur saisit avec précision comment certaines trajectoires individuelles déviennent, petit à petit, des musiques sans âme, jusqu'à un choix radical et ô combien tabou : celui de ne rien faire. Bien loin des larmes plaintives de la chanson de Jean-Jacques Goldman, « Né en 17 à Leidenstadt » et de sa molle question « aurais-je été meilleur ou pire que ces gens ? » Barzilai documente une réalité spécifique – celle de la puissance de l'armée israélienne dans l'esprit de son peuple –, tout en offrant une réflexion plus large sur l'engagement. CQFD étant à la base un journal antimilitariste, on ne pouvait pas passer à côté de cet hommage aux déserteurs qui donne un peu de souffle dans un moment devenu irrespirable.

Pauline Laplace
Itamar Greenberg, 18 ans en 2024, Tel‑Aviv

« L'année dernière, j'ai décidé que je ne ferais pas l'armée. C'est lié à l'évolution de mes convictions politiques et religieuses. Ma famille est ultra-orthodoxe. J'ai arrêté de l'être moi-même. […] Au sein de la communauté, je n'avais jamais entendu parler de l'occupation. Mes parents avaient un ordinateur avec un filtre religieux pour internet. Avec ce genre de filtres, on ne peut aller que sur les sites de la communauté, même Wikipédia est filtré. Par exemple, les sujets qui touchent à l'évolution sont proscrits. Dans la yeshiva4, internet était aussi filtré, bien entendu. Mais j'ai trouvé le moyen de supprimer ces filtres à l'école et à la maison. Cela m'a pris beaucoup de temps pour comprendre les différents types de narrations historiques. En Israël, nous avons quatre systèmes différents d'éducation : l'éducation laïque, l'éducation religieuse, ultra-orthodoxe et arabe. En apprenant l'histoire, j'ai compris que quelque chose était arrivé au siècle dernier. Mais je ne savais pas quoi. On ne nous apprend pas les mauvaises choses que les Israéliens ont faites en 1948. On nous enseignait que nous, les Israéliens, nous avions raison et que les Palestiniens étaient des menteurs. Le 7-Octobre, à 6 heures 30, mon camarade de chambrée m'a réveillé pour me dire que les bombes pleuvaient… Ce fut une journée très difficile. Mon père est réserviste dans l'armée, aussi étrange que cela paraisse pour un ultra-orthodoxe5. C'était un samedi et il n'utilise pas son téléphone ce jour-là. J'avais peur pour lui. Puis j'ai vu dans l'après-midi qu'il était en ligne. Parce qu'on peut rompre le shabbat s'il s'agit de sauver des vies. Le 8 octobre, je suis allé donner mon sang. Depuis je passe beaucoup de temps en Cisjordanie pour faire de la présence protectrice dans des villages près de Ramallah. Une fois, les colons ont volé 150 moutons à un Palestinien. Celui-ci est allé porter plainte au commissariat. Mais ils l'ont arrêté en l'accusant d'être le voleur. Nous avons pu payer sa caution et il a été libéré après douze heures de détention sans eau ni nourriture. Voilà le vrai visage de l'occupation. Je sais que quand j'aurai tiré ma peine de prison pour insoumission, beaucoup de gens me haïront. Certains me détestent déjà, parce que je poste chaque jour le décompte des personnes tuées à Gaza sur le réseau X. J'ai des milliers de commentaires haineux. »

Noam Shuster-Eliassi, 37 ans en 2024, humoriste, comédienne, Tel‑Aviv

« Je suis née durant la première Intifada. Mon père aurait dû faire son service de réserve, mais il a refusé. Alors que j'avais 4 ans, il faisait des allers-retours en prison militaire. […] Quand j'ai eu 7 ans, nous avons déménagé à Neve Shalom, “l'oasis de paix”. Les Palestiniens et les Israéliens y vivent ensemble encore aujourd'hui. Mes parents voulaient que leurs enfants aient une vie différente. Quand vous grandissez à Neve Shalom, vous bénéficiez des deux récits. Les enseignants palestiniens vous narrent la Nakba. Mais plus tard au lycée, je me suis retrouvée uniquement avec des Juifs. J'ai réalisé que l'armée est un point de rupture crucial. Les Juifs de Neve Shalom qui vont à l'armée ont plus de mal à poursuivre leurs relations avec les Palestiniens alors que les refuzniks conservent une sorte de langage commun. […] Quand j'ai reçu la première lettre de l'armée, à 16 ans, j'étais en compagnie de ma meilleure amie qui est palestinienne. Nous avons grandi comme des sœurs. Elle a jeté un œil sur l'enveloppe. Nous nous sommes regardées. Ses yeux me disaient : “Tu sais ce que tu vas faire ?” Et puis, elle a dit : “Sais-tu combien ta vie va être difficile si tu ne vas pas à l'armée ?” Et à ce moment-là, j'ai réalisé que je ne pouvais pas y aller. Je ne voulais pas être la bonne soldate dans ce système d'apartheid. […] Un jour, j'étais avec ma cousine dans un centre commercial quand un Arabe à côté de nous s'est mis à hurler au téléphone. Ma cousine m'a saisi la main et elle m'a demandé : “Noam, qu'est-ce qu'il dit ? Est-ce qu'il va nous tuer ?” Je n'avais même pas remarqué qu'il criait en arabe. Le gars gueulait juste après sa mère parce qu'elle ne lui préparait pas assez de protéines dont il avait besoin pour ses exercices de musculation. Vous comprenez le fossé ? Alors je ne blâme pas les Israéliens qui ne comprennent pas l'arabe. Ils ne comprennent pas le contexte dans lequel ils vivent, ils ne comprennent pas ce que la moitié des gens d'ici leur disent. La vraie merde, ce ne sont pas les gens. La merde, c'est la politique ! La merde, c'est l'apartheid ! La merde, ce sont ces deux systèmes séparés pour deux peuples différents ! La merde, c'est l'éducation que nous recevons ! Et ces grosses sommes d'argent qui viennent des putains de gros évangélistes chrétiens américains prosionistes, le fric que les nationalistes religieux obtiennent pour prendre les maisons des Palestiniens, étendre les avant-postes de la colonisation. Le problème est beaucoup plus vaste que ces Israéliens qui ne parlent pas arabe. »

Sofia Or, 19 ans en 2024

« Dans les geôles militaires, la grande majorité des personnes sont des déserteurs ou des personnes qui ne reviennent pas après une permission. En général, la motivation est d'ordre économique, parfois pour des raisons de santé mentale ou des problèmes familiaux, par exemple quand un de leurs parents est très malade. J'ai aussi rencontré pas mal de filles qui ont fui leur service militaire à cause du harcèlement sexuel dans l'armée. Quand elles s'en plaignent, c'est la loi du silence.

« Certains me surnomment “celle qui n'aime pas être juive” parce que je ne soutiens pas cette guerre »

Souvent, ces femmes en prison militaire viennent d'un milieu social très difficile. Dans nos conversations, j'essayais de mettre en rapport la façon dont l'armée les déshumanise avec la façon dont elle déshumanise les Palestiniens. J'ai tenté de parler de politique parfois. Mais en général, ça ne se passait pas très bien. Même si l'armée les maltraite, la grande majorité d'entre elles sont vraiment d'extrême droite. Elles soutiennent la guerre. Elles haïssent les Palestiniens. Ces gens avec qui j'étais en prison, qui disaient des choses terribles, sont aussi des humains. Je pense que la déshumanisation est ce qui pousse ce conflit vers l'horreur. [...] Je ne soutiens pas le Hamas et je ne soutiens pas ce que fait Israël. Je suis très critique envers mon pays et je le dis publiquement. Je ne suis pas sioniste. Mais je suis juive. Et je ne suis pas antisémite. Et cela n'a rien à voir avec les Juifs. Beaucoup de gens ne font pas la différence entre le judaïsme et le sionisme, pas plus qu'entre le judaïsme et Israël. Ce ne sont pas les mêmes choses. Les critiques envers ce pays n'ont pas toujours quelque chose à voir avec l'antisémitisme. Certains me surnomment “celle qui n'aime pas être juive” parce que je ne soutiens pas cette guerre. En Israël, beaucoup de gens voient le génocide des Palestiniens comme une solution. C'est dément ! Ils pensent : “Plus jamais ça, contre nous”. Le discours sur la mémoire de l'Holocauste est de dire que ce qui nous est arrivé nous donne le droit de nous défendre par tous les moyens. Au lieu de réfléchir sur les mécanismes qui ont engendré cette horreur, réfléchir sur le type de mentalité que les gens devaient avoir pour que cela puisse se produire. »

Yuval Moar, 18 ans en 2024

« Dans deux semaines, j'irai en prison militaire pour avoir refusé de servir dans l'armée. J'ai réalisé que je ne voulais pas la faire l'année dernière, lors d'un voyage scolaire qu'on appelle Massa Israeli Journey (programme organisé par le gouvernement sur les traces des pionniers sionistes). On est supposés se connecter avec la terre d'Israël. Après un périple d'une semaine, on retourne au lycée et on fait une grosse fête avec plein de drapeaux israéliens.

« Quand je parle à ma famille des victimes à Gaza, pour eux, c'est secondaire. Leur point de vue est avant tout sioniste. »

Nous avons commencé par le plateau du Golan, cette partie contestée du nord d'Israël annexée pendant la guerre des Six-Jours en 1967. Durant ce voyage, nous avons rencontré une mère qui avait perdu sa fille, alors que celle-ci gardait une colonie implantée à Gaza. La mère nous en parlait comme d'un sacrifice nécessaire. Elle dédiait sa vie à expliquer aux jeunes générations qu'il fallait prendre modèle sur sa fille et mourir pour son pays. [...] Quand je parle à ma famille des victimes à Gaza, pour eux, c'est secondaire. Leur point de vue est avant tout sioniste. Même pour des progressistes, parler de Gaza est hors de propos. Ils pensent aux otages et à la paix, mais ils ne sont pas préoccupés par le sort des Palestiniens. Ils ne voient pas ce qu'il se passe. Je me dispute avec eux à ce sujet. Si je mentionne simplement le fait que je ne vais pas dédier trois ans de ma vie à quelque chose de mauvais, mon père me rétorque : “J'étais dans l'armée, ton frère était dans l'armée…” [...] Ils n'ont pas la capacité de voir ce qui se passe actuellement à Gaza. Les informations fournies par la télé israélienne aujourd'hui ne sont que de la propagande. Même la prof qui m'a mis en contact avec l'organisation Mesarvot, une des organisations les plus à gauche en Israël, ne croit pas au nombre de morts à Gaza. Elle pense que ce sont les chiffres du Hamas. Alors qu'ils sont confirmés par l'ONU. »


1 Initiales de « Force de Défense d'Israël » en hébreu.

2 Lire « En Israël, un début de prise de conscience dans l'armée alarme le pouvoir », Mediapart (12/04/2025).

3 Eyal Sivan précise également que les militaires représentent 20 % de la population adulte active en Israël.

4 Centre d'étude de la Torah et du Talmud.

5 Les juifs orthodoxes (haredim en hébreu) refusent de faire leur service militaire, ils en étaient d'ailleurs exemptés jusqu'en juin 2024. Pour ces religieux extrémistes et « antisionistes », Israël ne sera un « État juif » que lorsque le Messie viendra et que sa gouvernance sera régie par les lois de la Torah.

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26.07.2025 à 00:25

Adieu veaux, vaches, robots-cochons

Émilien Bernard

Mois après mois, Aïe tech défonce la technologie et ses vains mirages. Ultime épisode consacré à la grande déprime du contempteur des folies high-tech, versant cochons mutants. Wesh. Voilà. C'est la dernière « Aïe tech ». Ça commençait à faire beaucoup. Trop, même. Presque 30 chroniques, zarma. T'façon j'en ai plus rien à foutre. On est foutus. FOUTUS. Il y a bien quelques ahuris épars mais courageux (Technopolice, La Quadrature du Net…) qui tentent d'endiguer avec leurs dix petits doigts (…)

- CQFD n°243 (juillet-août 2025) / ,
Texte intégral (731 mots)

Mois après mois, Aïe tech défonce la technologie et ses vains mirages. Ultime épisode consacré à la grande déprime du contempteur des folies high-tech, versant cochons mutants.

Wesh. Voilà. C'est la dernière « Aïe tech ». Ça commençait à faire beaucoup. Trop, même. Presque 30 chroniques, zarma. T'façon j'en ai plus rien à foutre. On est foutus. FOUTUS. Il y a bien quelques ahuris épars mais courageux (Technopolice, La Quadrature du Net…) qui tentent d'endiguer avec leurs dix petits doigts les fuites les plus mastoc, mais ça semble dérisoire face à la force de frappe du bateau high tech emballé. Direction le naufrage. Bref : mon techno-soleil ? Noir. « Les hommes sont murés et c'est le désespoir ». T'sais, Barbara.

En ces temps de désespérance, on a les expédients qu'on peut. Perso, j'ai cru trouver une échappatoire dans le Limousin, où j'ai un temps bossé dans une ferme collective. Mon rôle : cornaquer des cochons élevés dans le plus strict respect des normes bio et du bien-être animal. Ces cochons, je les voyais comme mes ptits gars sûrs, partisans inconscients de la lutte anti-tech. Je chantais « L'Internationale » aux porcelets en leur distribuant leur pitance. Et j'avais même créé le FLPPP (Front de libération des petits potes porcins) pour soutenir leur lutte. J'y croyais. L'utopie porcine était à portée de groin.

Au final : un bide. Outre qu'ils finissaient malgré tout en saucisse, ces cochons anti-tech étaient des marginaux, loin des standards appliqués à ceux de leur espèce. Des dinosaures. La normale, désormais, ce sont plutôt ces gigaporcheries chinoises engraissant des dizaines de milliers de cochons dans des conditions monstrueuses1, summum de la maltraitance animale industrielle. Et puis les porcs ont eux aussi droit aux délires technologiques les plus aberrants. Prends l'entreprise chinoise Hangzhou Genmoor Technology, bah elle commercialise depuis peu « BooBoo », un cochon d'Inde (oui, ça compte comme cochon, ainsi que l'indique son nom) androïde censé pallier les déficits relationnels des mômes de l'Empire du Milieu – où comment combler par des robots sociaux le vide existentiel d'une époque ravagée. Autre exemple : la réussite exceptionnelle du clonage des porcs par robotique, sujet qui extasie le site Trust My Science : « Clonage animal : la Chine produit des porcs à l'aide de robots uniquement » (09/06/2022). Super super, qu'est-ce qui pourrait mal tourner ? Sinon, il y a le site Porc Mag (un must), qui nous informe de l'arrivée au rayon porcherie de « Porcho : Un nouveau robot pour gérer les effluents présents dans les préfosses » (12/06/2023). J'ai préféré ne pas lire, pour préserver ma santé mentale.

Alors bon. J'écris ce texte ouin ouin depuis ma caravane du Limousin. Une fois la chronique finie, j'irai nuitamment délivrer mes ptits potes porcins pour qu'ils sèment le dawa dans les environs, comme ces cochons corses revenus à l'état quasi sauvage. Pour le reste, je lâche l'affaire. Contempteurs des nouvelles technologies, je vous laisse. Essayez de pas trop virer réac', spécialité de certains anti-tech quand ils vieillissent mal. Et on se revoit dans dix ans, sur les barricades face aux robots-cochons. Ouink ouink.

Émilien Bernard

1 « En Chine, l'essor des gigaporcheries, ces fermes-usines verticales aux milliers de cochons », Le Monde, (02/06/2025).

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26.07.2025 à 00:20

Le potager, un truc de bobo ?

Niel Kadereit

Si depuis le Coronavirus les jardins potagers ont le vent en poupe, leur contribution réelle à l'alimentation des ménages continue à décroître. Souvent associée aux urbains surdiplômés, faire pousser ses légumes pour se nourrir reste pourtant une pratique fortement ancrée au sein des classes populaires. « Il faut cultiver notre jardin », disait Candide, un moyen sûr « d'éloigner de nous trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin ». Trois siècles et demi plus tard, son adage continue (…)

- CQFD n°243 (juillet-août 2025) / ,
Texte intégral (1067 mots)

Si depuis le Coronavirus les jardins potagers ont le vent en poupe, leur contribution réelle à l'alimentation des ménages continue à décroître. Souvent associée aux urbains surdiplômés, faire pousser ses légumes pour se nourrir reste pourtant une pratique fortement ancrée au sein des classes populaires.

« Il faut cultiver notre jardin », disait Candide, un moyen sûr « d'éloigner de nous trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin ». Trois siècles et demi plus tard, son adage continue de faire des émules. Associatifs, ouvriers ou individuels, les jardins potagers sont plébiscités par les institutions publiques, la presse, les militants et toute personne vaguement de gauche – dans un alignement de planètes assez rare. Ils louent volontiers les vertus de l'agriculture urbaine.

Au sein des catégories plus populaires, cultiver son potager est une pratique de subsistance

Et pour cause, de vertus, ce type de besogne n'en manque pas : court-circuiter les réseaux de distribution et de production de l'industrie agroalimentaire, avoir accès à des produits frais et de bonne qualité à moindre coût, se réapproprier la terre et l'alimentation, survivre à des périodes de disette, tisser des liens, toucher de l'herbe… Avec la crise du Covid, l'engouement pour l'autoproduction de légumes s'est accentué. Maxime Marie, enseignant-chercheur en géographie sociale au CNRS et à l'université de Caen a mené des études de terrain dans trois villes du nord-ouest de la France. En cartographiant minutieusement les jardins individuels à l'aide d'images satellites et en menant près de 700 entretiens, il a constaté que si depuis 2015 de plus en plus de ménages font du potager, la surface totale de ces cultures et leurs contributions à l'alimentation ont fortement diminué, traduisant ainsi une transformation des pratiques. Alors qui mange véritablement les légumes du jardin ? Qui tire des cordeaux, trace des sillons, sème et récolte les légumes de son labeur ?

Des usages du potager socialement situés

Dans les communes de Rennes, Caen et Alençon, terrain d'enquête du géographe Maxime Marie, la production des jardins individuels représente entre 5 et 18 % de l'alimentation des ménages, en fonction des villes. Des disparités géographiques qui s'expliquent par les caractéristiques foncières et sociodémographiques de ces zones urbaines : la quantité de maisons avec jardin et la facilité d'y avoir accès d'une part, la présence de classes populaires d'autre part.

« Je ne suis pas certain que la majorité de la population ait envie de faire du jardinage »

En effet, si les catégories jeunes, diplômées et relativement aisées de la population s'adonnent de plus en plus aux joies du maraîchage amateur, c'est avant tout dans une démarche esthétique, récréative et pédagogique. Des légumes d'été surtout : quelques tomates, deux courgettes et un peu de basilic. Pas de quoi passer l'hiver. En revanche, au sein des catégories plus populaires, ouvriers et ouvrières en activité ou à la retraite, cultiver son potager est une pratique de subsistance. Les surfaces productives sont nettement plus grandes et contribuent fortement à l'alimentation de ces ménages. Ils font pousser des navets, des poireaux et des choux durant les saisons froides et font des conserves durant les périodes fastes, s'assurant une certaine autonomie alimentaire tout au long de l'année. « Plus les répondants sont issus de catégories populaires, plus ils expliquent qu'en cas de difficulté économique, comme une perte de revenus, leur potager pourra leur permettre de survivre à cette période », explique Maxime Marie. Mais au sein du monde ouvrier qui dispose d'un bout de jardin et conserve un lien, souvent familial, avec le secteur agricole, entretenir un potager dépasse aussi la fonction nutritive et fait partie d'un style de vie populaire source de fierté.

Glorification des pratiques populaires

Historiquement, les jardins ouvriers sortent de terre au XIXe siècle sous l'impulsion de l'État et du patronat qui y voient un moyen de soutenir la reproduction de la force de travail nécessaire au capitalisme industriel et un outil de contrôle des comportements du prolétariat, souvent jugés immoraux ou pire, subversifs. Un hygiénisme social intégré par les classes populaires elles-mêmes et qui imprègne les discours très positifs des classes dominantes sur le potager, mettant en avant son potentiel de résilience et glorifiant le surtravail domestique qu'il implique. « Dans les discours, le potager est valorisé comme une activité saine et souhaitable. En réalité, je ne suis pas certain que la majorité de la population ait envie de faire du jardinage. La preuve, ceux qui ont les meilleures dispositions pour le faire, c'est-à-dire les catégories supérieures, sont ceux qui ont les potagers les plus petits. Si c'était vraiment si bien, ils en feraient plus, mais ils préfèrent aller au marché ou au magasin bio », analyse Maxime Marie. Car ce n'est pas un hasard si ce sont les couches populaires de la société qui contribuent, en volume, le plus à l'autoproduction alimentaire. Produire suffisamment pour assurer son alimentation reste un travail épuisant et peu rémunérateur. On peut légitimement émettre l'hypothèse que si leurs salaires étaient plus élevés, à la hauteur de la valeur réellement produite par leur force de travail, les classes populaires passeraient sûrement un peu moins de leur « temps libre » à s'échiner pour sortir du sol des aliments nutritifs et goûtus. Sûrement qu'elles aussi iraient au petit marché de producteurs.

Niel Kadereit
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