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21.06.2025 à 00:00

À France Travail tout est possible ! (ou pas)

Joris

Joris est un jeune allocataire du RSA. Il vous emmène en immersion dans une « prestation » obligatoire de France Travail pour ne pas perdre ses 500 balles d'allocation. Lundi 9 heures du mat', j'arrive dans mon agence France Travail des Bouches-du-Rhône. Le cerveau embrumé et les paupières encore bouffies, je pointe à l'accueil : « Je viens pour la prestation... » Mes paroles s'évanouissent : le nom ne me revient pas. Derrière son comptoir, le guichetier m'observe, éblouit par tant (…)

- CQFD n°242 (juin 2025) /
Texte intégral (1106 mots)

Joris est un jeune allocataire du RSA. Il vous emmène en immersion dans une « prestation » obligatoire de France Travail pour ne pas perdre ses 500 balles d'allocation.

Lundi 9 heures du mat', j'arrive dans mon agence France Travail des Bouches-du-Rhône. Le cerveau embrumé et les paupières encore bouffies, je pointe à l'accueil : « Je viens pour la prestation... » Mes paroles s'évanouissent : le nom ne me revient pas. Derrière son comptoir, le guichetier m'observe, éblouit par tant d'implication. En tant qu'allocataire du RSA, je suis régulièrement convoqué à des rendez-vous en agence, en plus d'indiquer chaque semaine mes 15 heures d'activités. Si je fais le mauvais élève, je peux dire bye bye aux 500 balles qui ne me permettent déjà pas de mener une vie de pacha. Le nom de cette réunion ? « ATEP » pour « Atelier tout est possible » m'aide le type de l'accueil.

Depuis qu'Emmanuel Macron est au pouvoir, les contrôles ont triplé, passant de
200 000 en 2017 à plus de 600 000 en 2024

Son principe ? On vous met dans une salle pendant deux heures avec d'autres « feignasses » pour expliquer en détail toute l'offre du rejeton de Pôle emploi pour vous remettre sur le chemin du burn-out.

L'odeur de l'exploitation salariale

Dès le départ, l'« Atelier tout est possible » est participatif. Nous définissons avec les deux intervenantes les règles de vie pour les deux prochaines heures : « écoute, bienveillance, respect, échange et BONNE HUMEUR ». Ma haine du monde du travail prend rapidement le dessus quand Michel* raconte : « J'ai 53 ans, je suis serveur. 35 ans de métier et pourtant je galère à trouver du travail. Les restaurateurs préfèrent des jeunes ! » En même temps, pourquoi embaucher un serveur compétent quand des étudiant·es fauché·es sont prêt·es à faire 50 heures par semaine payé·es au SMIC sur la base d'un contrat de 39 heures ? Michel reçoit un sourire crispé comme seul signe de compassion.

Un seul mantra : la reconversion !
« J'ai l'impression de m'enfoncer, mais ce n'est pas à France Travail de nous trouver un job, c'est à nous de nous bouger ! »

Au fond de la salle, Fabienne* gribouille discrètement dans son carnet. Salariée de France Travail, elle est chargée de « faciliter l'insertion » du « vivier de demandeurs d'emploi » au sein des entreprises de « secteurs en tension ». Comprenez : « caser des salarié·es peu qualifié·es dans des boulots de merde pour aider des patron·nes à s'engraisser » : restauration, hôtellerie, bâtiment, soin à la personne... Attention Michel, tu es peut-être le prochain sur la liste ! Bon an mal an, les intervenantes avancent dans leur présentation des outils, des prestations et des formations proposées par France Travail. Elles insistent sur les possibilités de reconversion d'accompagnement des néo-entrepreneur·euses car : « si on veut, on peut changer de métier ». Un rictus apparaît sous les lunettes noires de Michel : « J'ai fait la formation pour devenir chauffeur de bus à la RTM (Régie des transports marseillais) mais j'ai été recalé à cause de ma vue ! » Même quand on veut, on ne peut pas forcément... Qu'à cela ne tienne, tous les mois, France Travail nous envoie un nombre impressionnant d'invitations pour divers salons de l'emploi et de l'auto-entrepreneuriat. L'organisme peut financer nos formations, mais il en propose aussi, comme celle sur « détection de potentiel » qui permet d'affiner un projet de reconversion professionnelle... Dans les secteurs en tension ou autoentrepreneuriat de préférence. Ça tourne en boucle. Je SUIS en tension.

Une pression numérique

Habitué de France Travail, je sais que cette pression n'est pas nouvelle, mais elle me semble plus pressante ces derniers temps. Votée en 2023, la loi dite « plein-emploi » est entrée en vigueur le 1er janvier dernier avec l'objectif affiché de renforcer le contrôle des allocataires du RSA ou du chômage. Depuis qu'Emmanuel Macron est au pouvoir, ces contrôles ont triplé, passant de 200 000 en 2017 à plus de 600 000 en 2024. Galvanisé, le régime anti-chômdu a fixé un objectif de 1,5 million de contrôles en 2027 même si aucune étude scientifique ne prouve que le renforcement des contrôles mène à un retour à l'emploi. Pour être dans les clous, France Travail déploie des outils de profilage algorithmique visant à automatiser et généraliser les contrôles. Très opaques, ces outils risquent sérieusement de procéder à des contrôles discriminatoires en combinant « différents critères construits à partir des données personnelles détenues par France Travail »1. L'effet culpabilisant est quant à lui bien réel : « J'ai l'impression de m'enfoncer, mais ce n'est pas à France Travail de nous trouver un job, c'est à nous de nous bouger ! » s'autoflagelle Michel. Cerise sur le gâteau, alors que l'atelier touche à sa fin, on a le droit à la condescendance de l'agence : « En ce moment, j'aide mon neveu à rédiger son CV et sa lettre de motivation. Pas évident ! Les jeunes ne maîtrisent pas encore tous les codes », sourit Martine après s'être assurée que personne n'avait moins de 26 ans dans l'assistance. Si les « codes » sont l'exploitation et le contrôle, pas sûr que ce soit le CV et la lettre de motivation qui coincent !

Joris

* prénoms modifiés


1 Lire « France Travail : des robots pour contrôler les chômeur·ses et les personnes au RSA », sur le site de La Quadrature du Net (22/05/2025).

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14.06.2025 à 00:08

Larbinisme

Loïc

Loïc est prof d'histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d'une institution toute pétée. Entre sa classe et la salle des profs, face à sa hiérarchie ou devant ses élèves, il se demande : où est-ce qu'on s'est planté ? Discours sur le colonialisme d'Aimé Césaire, le célèbre écrivain anticolonial du XXe siècle. Il y décortique le rapport de domination des colons sur les « indigènes » : « Il n'y a (…)

- CQFD n°242 (juin 2025) /
Texte intégral (604 mots)

Loïc est prof d'histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d'une institution toute pétée. Entre sa classe et la salle des profs, face à sa hiérarchie ou devant ses élèves, il se demande : où est-ce qu'on s'est planté ?

Discours sur le colonialisme d'Aimé Césaire, le célèbre écrivain anticolonial du XXe siècle. Il y décortique le rapport de domination des colons sur les « indigènes » : « Il n'y a de la place que pour la corvée, l'intimidation, la pression, la police – la classe souvent bien agitée se calme tout à coup – Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l'homme colonisateur en pion […] l'homme indigène en instrument de production. » Alors que le silence règne, un élève prend spontanément la parole : « C'est comme aujourd'hui en France monsieur, ça ! Les Français, ils travaillent pas ! C'est nous les instruments de production ! » Quand, je lui notifie doctement que les « Français » travaillent aussi, il me répond : « Ah bon ? Mais ils sont où ? Oui, ils sont avocats ou docteurs, des boulots de riches. Mais sinon ? Je les vois jamais moi ! » Les autres acquiescent et en rajoutent « Sur les routes, des Arabes et des Noirs, les secrétaires, pareil, les caissiers et les caissières, pareil ! ». Si la figure du « prolo blanc » ne leur dit rien, c'est que dans les quartiers Nord de Marseille, où ils habitent en majorité, la ségrégation raciale s'aligne avec la séparation entre classes sociales – Continuité de la société coloniale ?

Dernière phrase du texte : « Je parle de millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme. » L'élève qui lit bute sur le dernier mot : « Ah non, Monsieur, ça je peux pas le lire ! Parce que je l'ai déjà entendu à propos de gens que je connais… » – quand j'explique à la classe ce qu'est un « larbin » un élève s'exclame : « C'est comme les sans-papiers qui travaillent vers chez moi, ils sont payés 800 euros, pas de contrats ! » « On va se vengeeer ! » crie l'un d'entre eux avec un accent africain dans un éclat de rire général. Dégoûté, l'un d'eux reprend la parole : « Monsieur, c'est bon ! la France moi, j'ai donné. Les Français c'est des racistes, ils parlent mal de nous à la télé, ils parlent mal de notre religion, alors que sans nous y'a rieeeen, la France elle tourne pas. » Quand on n'a jamais cessé de les humilier et de les piétiner, je comprends mieux pourquoi certains sont tentés par ce que les éditocrates, les fachos et les conservateurs nomment « séparatisme ». Il finit par « Moi, dès que j'ai 18 ans, je vais au bled, je pourrais vivre ma vie là-bas. »

LoÏc
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14.06.2025 à 00:06

Les coulisses acides de l'influence beauté

Thelma Susbielle

Bienvenue dans le monde merveilleux des vlogs beauté. Couleurs pastel, vidéos bien montées… et harceleur planqué sous la fenêtre. Avec Sangliers, Lisa Blumen signe un thriller rose bonbon sur fond de solitude numérique et de violence bien réelle. Vlog, miracle routine, get ready with me, lifestyle, beauty blender… Charabia ? C'est que vous êtes probablement né·e avant les années 1990, avant l'émergence d'internet, de YouTube et de ses « beauty gourous ». Ces créatrices de contenus qui (…)

- CQFD n°242 (juin 2025) / ,
Texte intégral (684 mots)

Bienvenue dans le monde merveilleux des vlogs beauté. Couleurs pastel, vidéos bien montées… et harceleur planqué sous la fenêtre. Avec Sangliers, Lisa Blumen signe un thriller rose bonbon sur fond de solitude numérique et de violence bien réelle.

Vlog, miracle routine, get ready with me, lifestyle, beauty blender… Charabia ? C'est que vous êtes probablement né·e avant les années 1990, avant l'émergence d'internet, de YouTube et de ses « beauty gourous ». Ces créatrices de contenus qui transforment leur quotidien en marchandise, leur image en business, leur passion en vitrine. Avec Sangliers (L'employé du moi, 2025), Lisa Blumen quitte la science-fiction pure (après Avant l'oubli sorti en 2021 et Astra Nova sorti en 2023, prix Utopiales BD) pour s'attaquer à une autre galaxie : celle des vidéastes spécialisées en beauté. Une galaxie bien terrestre, ultra-connectée, et pourtant souvent méconnue. Celle où évolue NinaMakeUp, l'héroïne, une jeune make up artiste qui tente de se faire une place sur la planète sans pitié des algorithmes. Malgré les tons rosés et sucrés de la bande dessinée, la réalité de Nina est loin d'être douce. Les produits s'accumulent dans les tiroirs, les vues stagnent, la solitude s'épaissit. Seule dans son charmant appartement, Nina est pourtant observée. Un stalker rôde en bas de chez elle…

Pour beaucoup de boomers (et pas que), l'influence n'est pas un vrai métier. La mère de Nina ne se prive d'ailleurs pas de le lui faire remarquer à sa manière, tout en acceptant sans trop de scrupules, l'enveloppe que sa fille lui glisse pour finir le mois. Car oui, l'influence, ça paye. C'est même une caricature du capitalisme contemporain : les passionnées deviennent des panneaux publicitaires animés, à qui l'on vend l'idée que leur authenticité est monnayable. Mais Lisa Blumen déjoue les jugements hâtifs et préfère explorer la complexité de ces figures féminines, qu'on moque souvent pour leur futilité supposée. Elle dresse un portrait sensible d'un monde qui expose, exploite, et fragilise celles et ceux qui ne sont pas en haut de l'échelle sociale. Car derrière le blush et les paillettes, il y a les heures de montage, la pression des marques, les messages injurieux, les menaces, la peur. Et toujours, ce regard du marché prédateur qui traque et qui attend le faux pas pour stopper un contrat. Le titre « Sangliers », d'abord énigmatique, prend tout son sens : c'est celui de la traque, de la bête prise au piège. Une allégorie de la jeune femme transformée en proie, dont la mise à mort symbolique (et parfois bien réelle) est le climax attendu du spectacle.

Avec son dessin aux traits fins, ses couleurs pastels et ses gros plans qui reprennent les codes visuels de YouTube, Blumen réussit un tour de force : un thriller visuel et sensoriel, aussi acidulé que subtilement dérangeant. Elle tend un miroir à une époque, une génération, un système. Et rappelle que si Nina semble vivre dans un monde superficiel, elle maîtrise en réalité des compétences pointues : maquilleuse, cadreuse, monteuse, community manageuse. Mais dans un monde patriarcal, une jolie fille qui parle de rouge à lèvres est encore bien souvent prise pour une quiche. Sangliers est une bande dessinée faussement légère, profondément politique.

Thelma Susbielle
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