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10.02.2025 à 10:32

La France n’est pas de droite, ce sont les partis qui ne voient plus la gauche !

Flo Flo

Le coup de force politique qui a consisté à confier le gouvernement aux deux partis perdants des dernières élections législatives françaises est largement légitimé par une idée simple : la France serait de droite, et donc pas question qu’elle soit gouvernée à gauche. Cette idée est désormais partagée par une partie de la gauche politique, qui renonce à revendiquer un gouvernement issu des urnes en ne censurant pas le gouvernement Bayrou. Et pourtant, cette idée simple est fausse. La France n’est pas de droite. Qu’est-ce que ça change ? Tout ! Pour les stratégies d’alliances ou de compromission (selon) de la gauche politique, et pour la gauche de combat. Les résultats électoraux : une France en trompe l’œil Lorsque l’on déduit des résultats des élections que la France est à droite, on se fourvoie dans les grandes largeurs. Les élections ne sont que la photographie de la frange de la population qui vote, de moins en moins nombreuse et peut-être bientôt minoritaire. Et c’est cette frange de la population qui est à droite, pas la France. Les travaux du chercheur Vincent Tiberj[1] montrent que sur le long terme, le rejet de l’immigration a diminué en France. Le soutien au droit de vote des étrangers est passé de 34% de la population en 1984 à 58% en 2022. 44% des Français considéraient que l’immigration est une source d’enrichissement culturel en 1992, et c’est 76% en 2022. L’idée qu’il y a trop d’immigrés en France est passée de 69% en 1988 à 53% en 2022. Le…
Texte intégral (2608 mots)

Le coup de force politique qui a consisté à confier le gouvernement aux deux partis perdants des dernières élections législatives françaises est largement légitimé par une idée simple : la France serait de droite, et donc pas question qu’elle soit gouvernée à gauche. Cette idée est désormais partagée par une partie de la gauche politique, qui renonce à revendiquer un gouvernement issu des urnes en ne censurant pas le gouvernement Bayrou. Et pourtant, cette idée simple est fausse. La France n’est pas de droite. Qu’est-ce que ça change ? Tout ! Pour les stratégies d’alliances ou de compromission (selon) de la gauche politique, et pour la gauche de combat.

Les résultats électoraux : une France en trompe l’œil

Lorsque l’on déduit des résultats des élections que la France est à droite, on se fourvoie dans les grandes largeurs. Les élections ne sont que la photographie de la frange de la population qui vote, de moins en moins nombreuse et peut-être bientôt minoritaire. Et c’est cette frange de la population qui est à droite, pas la France.

Les travaux du chercheur Vincent Tiberj[1] montrent que sur le long terme, le rejet de l’immigration a diminué en France. Le soutien au droit de vote des étrangers est passé de 34% de la population en 1984 à 58% en 2022. 44% des Français considéraient que l’immigration est une source d’enrichissement culturel en 1992, et c’est 76% en 2022. L’idée qu’il y a trop d’immigrés en France est passée de 69% en 1988 à 53% en 2022.

Le chercheur avance deux explications à cette évolution positive.

  • L’éducation, qui réduit les préjugés et inculque des valeurs : 20% de titulaires du bac en 1970 et 80% aujourd’hui, ça change la donne.
  • La culture et la socialisation des nouvelles générations, nourries à netflix, à la K-pop, et aux réseaux sociaux, qui font d’eux des citoyens plus ouverts culturellement que leurs parents.

Et si les citoyens rejettent de moins en moins l’immigration alors que les électeurs votent de plus en plus RN, c’est à cause de deux raisons :

  • D’abord, parce que l’immigration est aujourd’hui mise au centre du débat politique, et que c’est devenu un motif de vote. En 1981, les électeurs, majoritairement xénophobes, n’avaient pas voté en fonction de leurs opinions sur les étrangers, sinon Mitterrand ne serait jamais passé.
  • Et ensuite en raison de l’abstention massive des jeunes. 59% des plus de 60 ans disent ne pas se sentir chez eux contre 34% des moins de 35 ans. Et le taux d’abstention des moins de 35 ans était à plus de 60% aux dernières élections européennes, contre 29% pour les plus de 70 ans.

Autrement dit, s’il y a vote contre l’immigration, c’est parce qu’on politise l’immigration en en faisant un objet obsessionnel. Et ces résultats électoraux ne sont pas le reflet des Français. es dans leur ensemble, mais juste l’image de la vieille France raciste qui vote.

Evolution de l’électorat : une droitisation par le haut

Pour aller plus loin dans l’analyse de ce « on » qui a fait de l’immigration une obsession politique, la thèse de Tiberj est que face à la montée des valeurs de gauche chez les citoyen .es, il y a une « droitisation » par le haut.

  • Cette droitisation par le haut, c’est d’abord un « conservatisme d’atmosphère » dont les « intellectuels » de plateau et les médias nous abreuvent à longueur de journée.
  • Et c’est ensuite la responsabilité propre des partis politiques. A la fin du XXè siècle, il y avait un consensus politique favorable à une société multiculturelle, au début du XXIè siècle, les partis se focalisent sur l’immigration. Et en prétendant le faire pour « entendre le sentiment de submersion », ils ne font que donner un porte-voix à une minorité raciste.

On retrouve la même déconnexion de ces vecteurs de droitisation par le haut concernant notre modèle social. Les citoyens rejettent de plus en plus massivement l’ultra-capitalisme et demandent de plus en plus de protection sociale et de redistribution des richesses. Et les partis politiques, y compris de gauche, sont de moins en moins favorables à réguler le libéralisme. Ici aussi, on retrouve une mobilisation électorale dépendante de sa classe sociale. L’abstention des cadres aux législatives de 2024 est de 35%, quand celle des ouvriers est de 46%[2].

Il n’y a donc pas une France de plus en plus de droite, mais une majorité électorale devenue une minorité sociale, photographie des boomers racistes et petits bourgeois.

Et en face, des partis de gauche qui droitisent leur programme parce qu’ils ne s’intéressent qu’aux électeurs, qui eux rejettent l’immigration et sont attachés au système capitaliste. Des partis qui oublient les autres, qui ne votent pas ou qui s’abstiendraient davantage : les jeunes, les catégories populaires et les populations opprimées, qui sont plus ouverts sur le monde et qui rejettent le système économique actuel. Et cela nourrit la déconnexion entre les citoyens de gauche et les partis censés les représenter.

Déconnexion d’autant plus vivace que les valeurs de gauche auraient tendance, toujours selon Tiberj, à produire des « citoyens critiques ». C’est-à-dire des citoyens qui, faute d’une offre politique leur correspondant, se détournent de la démocratie électorale pour s’engager dans une démocratie de protestation, en attendant une démocratie délibérative ou directe.

La portée de cette recherche est importante pour analyser le moment politique dans lequel nous sommes et pour inventer la suite.

Sortir du mauvais diagnostic et des remèdes délétères

La séquence politique des dernières élections et de leurs suites aura donné une parfaite illustration de la diffusion des idées de droite par la sphère politico-médiatique d’extrême-droite et de droite, et jusqu’au PS et à la social-démocratie.

  • La place de Bolloré dans la percée des idées de Zemmour et les places de Drahi (BFM, RMC, L’Express), Arnault (Le Parisien) et Niel (L’Obs) dans l’avènement du courant laïcard islamophobe ne sont plus à démontrer. Elles jouent un rôle d’influence de premier plan sur l’agenda politique.
  • La banalisation par le PS du racisme avec qui il peut tranquillement négocier un budget, et avec le nationalisme qu’il tutoie volontiers (« le débat sur l’identité nationale n’est pas tabou », selon Olivier Faure sur X[3]), montre que la priorité socialiste est d’abord de flatter ceux qui votent, fussent-ils de droite. Jospin sera allé jusqu’à considérer publiquement Retailleau comme respectable, avant de dire son impatience aux résultats de sa politique migratoire[4].
  • En matière de luttes sociales et contre les effets du capitalisme, le constat est identique. Entre « donner un budget à la France », et « respecter les engagements du NFP », le PS n’aura pas eu de difficulté à arbitrer. On aura entendu Olivier Faure justifier sur les ondes son soutien à Bayrou par le besoin de stabilité économique des entreprises et des agriculteurs[5]. CQFD.
  • Le PS n’ayant pas le monopole de la droitisation, on pourrait aussi, entre autres, parler de la « valeur travail contre la gauche des allocations »[6] de Fabien Roussel ou de ses œillades virilistes à la gloire du barbecue et de la viande rouge[7].

Dans ce contexte, les « unionistes », attachés à l’union coûte-que-coûte au sein du NFP, assènent depuis la victoire du gouvernement Bayrou à ceux qui à gauche critiquent la nème trahison du PS que « la France étant à droite, on a besoin de toutes les gauches, y compris du PS ». Qu’il faudrait surtout ne pas en ternir rigueur aux socialistes, et que la priorité serait de ne pas « se » diviser, c’est-à-dire ne pas opposer les partis entre eux. Faire consensus, être raisonnable, et accepter la dérive droitière d’une composante du NFP.

Cette injonction, basée sur le faux diagnostic d’une France qui serait irrémédiablement de droite, conduit mécaniquement à un faux remède. Non, la victoire des valeurs de gauche ne sera jamais le point d’arrivée d’une course effrénée à un vieil électorat raciste et petit bourgeois qui se droitise sans cesse.

En sus des travaux de Tiberj, nous avons même aujourd’hui l’appui scientifique pour démontrer que le remède proposé est pire que le mal. Parce que c’est justement ce processus d’adaptation des programmes des partis de gauche aux attentes d’un électorat droitisé qui contribue à la droitisation par le haut de la France. Et qui éloigne inexorablement ces partis du vote des citoyens critiques qui sont l’avenir de la gauche.

Quelles perspectives pour la gauche de combat ?

Si l’on retourne la carte dans l’autre sens, et que l’on prend en compte cet autre diagnostic d’une France de plus en plus à gauche, alors les perspectives sont tout autres. Tout d’abord, et c’est un motif d’espoir, cela signifie que si l’on parvenait à ramener aux valeurs des citoyens leurs représentants politiques, alors on ne serait plus condamnés à vie au macro-lepénisme.

Cette grille de lecture nouvelle devrait indiquer une autre voie aux partis de gauche : courir après les électeurs est une impasse ; ce sont les citoyens critiques qu’ils devront reconquérir. Le PS ne sera ni une bouée ni un salut, mais un obstacle et une impasse. Soyons présents à chaque rencontre de la gauche politique pour porter cette perspective, travaux scientifiques à l’appui, et demander à être enfin pris en compte !

Et pour nous qui nous mobilisons sur le terrain des luttes, dans la rue, dans les syndicats, dans les mouvements sociaux et dans les collectifs et les associations, nous avons aussi à nous interroger sur nous-mêmes.

On peut bien sûr faire le pari électoral des deux prochaines générations, et attendre sagement que les boomers laissent la place aux millenials, dans les urnes et dans les structures de pouvoir. Mais en deux générations du pouvoir actuel, que sera-t-il advenu des solidarités, des libertés et des droits fondamentaux ? Et quels seront les effets de la prise de pouvoir par l’extrême-droite pour les minorités opprimées et pour la société dans son ensemble ?

Le poids d’un système économique qui exploite l’humain et détruit la planète et d’une République autoritaire en roue libre pour le défendre est devenu insupportable à bien trop d’entre nous. Il nous faut activer tous les leviers pour accélérer l’avènement d’un nouveau monde.

Notre impératif premier est d’accompagner la démocratie de protestation pour remettre les perspectives citoyennes au cœur de l’agenda politique. Et comme c’est dans la mobilisation collective que l’on transforme la société par en bas, nous chercherons toutes les voies possibles pour relier la démocratie de protestation à d’autres formes de démocraties, délibératives et directes. Dans nos mouvements, dans nos organisations, dans nos entreprises, dans nos collectivités locales. Et à chacun de ces échelons, nous devrons avoir la préoccupation chevillée aux luttes d’accélérer la prise de pouvoir par les citoyens critiques, par les exclus du système. En mettant de côté les réflexes paternalistes, très ancrés dans nos rangs, de ceux qui savent ce qui est bon pour les autres.

Oui, nous avons cette responsabilité ne nous mobiliser aux côtés des jeunes, des classes populaires et des populations sorties de la démocratie électorale. Et comme nous savons que la mobilisation et la lutte renforcent la conscience du levier collectif et du pouvoir citoyen, c’est comme cela que nous relierons la démocratie protestataire et la démocratie électorale. Et c’est parce que nous aurons ramené les valeurs de gauche dans la majorité électorale que nous stopperons la droitisation par en haut, et que nous soumettrons les partis de gauche à la représentation politique qu’ils nous doivent.

Restera alors la bataille culturelle contre le poids du conservatisme d’atmosphère. Contre ces médias poubelles détenus par quelques-uns à la solde de la haine et du profit, qui font l’agenda politique et les majorités électorales à l’extrême-droite. Face à eux, nous sommes la multitude de gauche, et chacun de nous est désormais un média citoyen. Usons de ce pouvoir sur les réseaux sociaux et ailleurs. Que chacun aiguise sa conscience politique, écrive et diffuse ses propres analyses !

Dans tous ces combats, Lignes de Crètes continuera de prendre sa part !

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19.12.2024 à 10:59

 L’impasse analytique et politique du “cent pour cent hostile” aux tombeurs de Bachar

François Burgat

La chute de Damas ? “Le timing est américain ; le top départ est turc ; l’argent est qatari ; les armes sont allemandes, françaises et américaines ; les instructeurs sont ukrainiens ; les mercenaires sont ouzbeks, ouighours, albanais ; les véhicules sont turcs ; l’islam est wahabite saoudien ; les voisins avec lesquels ils veulent pacifier sont israéliens, mais à part ça, ce sont des rebelles syriens”, a cru pouvoir expliquer, parmi tant d’autres, tel militant que ses followers reconnaîtront. Telle autre (active et très suivie) militante pour les droits des Palestiniens a cru devoir compléter cette fresque campiste binaire sur un ton aussi péremptoire : “ Ils peuvent censurer et manipuler, ils peuvent mettre le paquet médiatique au niveau mondial, mais ils n’arriveront pas à cacher les ficelles américano-sionistes dans cette révolte contre Assad ”. Les centaines de tonnes de bombes (la plus grande campagne aérienne de l’histoire d’Israël) déversées ensuite par Tel Aviv sur ses supposés alliés jihadistes à peine parvenus au pouvoir n’ont, hélas, même pas permis à ces convaincus… d’y voir plus clair. “Poutine fait du bon boulot à Alep” avait, il est vrai, commenté Jean-Luc Mélenchon de plus longue date, à propos de la décisive ingérence irano-russe opérée en faveur du tyran damascène, représentant “l’axe de la résistance”. JLM s’est, depuis lors, employé à expliciter sa position : il s’est dit “100% hostile” aux tombeurs de Bachar. Cette trompeuse rhétorique, hors sol, inonde aujourd’hui la communication de pans entiers de la “gauchosphère”, européenne, mais…
Texte intégral (1505 mots)

La chute de Damas ?

Le timing est américain ; le top départ est turc ; l’argent est qatari ; les armes sont allemandes, françaises et américaines ; les instructeurs sont ukrainiens ; les mercenaires sont ouzbeks, ouighours, albanais ; les véhicules sont turcs ; l’islam est wahabite saoudien ; les voisins avec lesquels ils veulent pacifier sont israéliens, mais à part ça, ce sont des rebelles syriens”, a cru pouvoir expliquer, parmi tant d’autres, tel militant que ses followers reconnaîtront.

Telle autre (active et très suivie) militante pour les droits des Palestiniens a cru devoir compléter cette fresque campiste binaire sur un ton aussi péremptoire : “ Ils peuvent censurer et manipuler, ils peuvent mettre le paquet médiatique au niveau mondial, mais ils n’arriveront pas à cacher les ficelles américano-sionistes dans cette révolte contre Assad ”. Les centaines de tonnes de bombes (la plus grande campagne aérienne de l’histoire d’Israël) déversées ensuite par Tel Aviv sur ses supposés alliés jihadistes à peine parvenus au pouvoir n’ont, hélas, même pas permis à ces convaincus… d’y voir plus clair.

“Poutine fait du bon boulot à Alep” avait, il est vrai, commenté Jean-Luc Mélenchon de plus longue date, à propos de la décisive ingérence irano-russe opérée en faveur du tyran damascène, représentant “l’axe de la résistance”.

JLM s’est, depuis lors, employé à expliciter sa position : il s’est dit “100% hostile” aux tombeurs de Bachar. Cette trompeuse rhétorique, hors sol, inonde aujourd’hui la communication de pans entiers de la “gauchosphère”, européenne, mais également arabe.

Le péché originel du printemps syrien

Il est exact que la myopie méprisante des gauches européennes et arabes vis-à-vis des acteurs locaux de la révolution syrienne, à qui elles substituent péremptoirement des acteurs (ou des “agents”) étrangers, ne date pas d’hier. Elle a (au moins) deux racines. Le péché originel – bien involontaire – des révolutionnaires syriens est celui d’avoir lancé leur printemps, en mars 2011, à un moment où les diplomaties européennes venaient de découvrir, avec consternation, qu’en Tunisie comme en Egypte, elles n’avaient pas su mettre leurs œufs dans le bon panier. En Libye d’abord, puis en Syrie, avant de les lâcher complètement et de se focaliser sur l’écrasement militaire de Daesh (1), elles se sont donc brièvement décidées à soutenir les révolutionnaires, voire en Libye (mais seulement en Libye) à les précéder militairement.

Bien trop faible pour contrer la puissante perfusion militaire du régime par le Hizbollah et l’Iran d’une part, la Russie d’autre part, ce soutien occidental s’est révélé à la fois trop limité (les rebelles n’obtiendront jamais l’armement anti-aérien qui aurait pu contrer l’ingérence russe et iranienne), et trop sélectif : dans une société syrienne profondément religieuse, les Occidentaux ont cherché en effet à faire émerger une opposition “laïciste”, ancrée seulement au sein d’une fraction des élites. Si limité soit-il, ce soutien d’un camp rarement révolutionnaire a largement suffi, en revanche, à semer le doute sur la légitimité anti-impérialiste de ses bénéficiaires auprès de larges compartiments du “global south” : est-il possible, s’y demandait-on, de soutenir des révolutionnaires aux côtés desquels se pressent l’émir du Qatar, le Président de la République française ou celui des États-Unis ?

La récente défaite des suppôts iraniens et russes de Bachar ne doit pourtant absolument rien à ceux qui, de Hollande à Obama, furent ces bruyants cinq “amis” autoproclamés “de la Syrie”.

Cela ne les empêche pas de se féliciter hypocritement aujourd’hui d’une révolution à laquelle non seulement ils ont fort peu contribué, mais dont ils ont au contraire été suffisamment proches pour… la déconsidérer. Auprès de larges composantes des anti-impérialistes … pavloviens, c’est en effet d’abord ce “baiser de la mort” occidental qui crédibilise aujourd’hui la thèse du “complot israélo-occidental” contre “l’axe de la résistance” syro-iranien. Les différentes composantes de la société syrienne, si parfaitement absentes de ces fresques géo-politiques si réductrices, ont cependant bel et bien existé et massivement lutté. Et il fait peu de doute que, même si la reprise du Golan peut, à l’heure d’une reconstruction extrêmement difficile, ne pas être érigée en priorité, (et même, ce qui est un autre débat, si rien ne permet de minimiser l’exceptionnelle difficulté de cette phase de recherche d’un consensus national), rien ne permet d’affirmer  que les nouveaux représentants de l’axe de la résistance, fut-ce en l’absence de Bachar, ont pour agenda d’abandonner la lutte contre l’expansionnisme suprémaciste de leur voisin israélien.

Attention également à l’idée que des sunnites seraient incapables de montrer une capacité de résistance à Israël comparable à celle de “l’arc chiite”. Ce raccourci sectaire est battu en brèche, ne serait-ce que par la preuve vivante du sunnite Hamas palestinien. Il n’est bien évidemment pas question de nier que l’expulsion des Iraniens de la Syrie plaise autant à Tel Aviv qu’à son indéfectible allié américain. Pas question non plus de nier que des concessions de dernière minute expliquant l’ultime débandade de l’armée ont été négociées à Doha, lors de la dernière tentative russo-iranienne de sauver Bachar que sa tentative de rapprochement avec les Emirats de MBZ (et contre la Turquie d’Erdogan) avait achevé de démonétiser à leurs yeux. Ce Bachar dont la seule réponse aux massacres de Gaza avait été de lancer, avec des méthodes très comparables à celles des Israéliens à Gaza, une offensive, non point sur le Golan, mais contre…le bastion de ses opposants d’Idlib.

L’idée d’une “fabrication de Jawlani”, par le Mossad ou la CIA, est donc particulièrement irrecevable.

Elle rappelle, il est vrai, les raccourcis abrupts empruntés longtemps par ceux qui croyaient pouvoir affirmer que, du seul fait que l’agenda des combattants antisoviétiques en Afghanistan avait conjoncturellement convergé avec celui des États-Unis, Al-Qaeda était une “création” américaine. La suite, quelques années plus tard, du côté du WTC de New York, n’avait pas véritablement étayé la crédibilité de ce raccourci.

L’épouvantail islamiste

Le second accroc dans le tissu de la relation des gauches avec la révolution syrienne est plus banal : il se superpose à un identique prurit anti-islamiste  comparable à celui des droites et de la quasi-totalité des gouvernements européens : les contestataires de Bachar, lui-même paré contre toute réalité du titre de “défenseur des minorités”, sont très vite apparus comme beaucoup trop “musulmans” pour l’air du temps. Ces “musulmans” (entendez “islamistes”) à qui les gauches, qu’ils ont irrésistiblement distancées dans les urnes, ont toujours voulu dénier tout agenda anti-impérialiste, s’étaient mobilisés par une dynamique identitaire qui n’avait rien de très différent de celle qui, un peu partout dans la région, a vu s’affirmer les adeptes de telle ou telle nuance de cet Islam dit “politique”. Hélas, de Nice au Bataclan, l’électrochoc de l’irruption d’un terrorisme “venu de Syrie” sur le sol français, dans un contexte que la doxa médiatique a toujours considéré comme étranger à la politique de canonnière de la France dans la région (c’est à nos seuls goûts pour le bon vin et la démocratie que s’en prennent les jihadistes), a très rapidement fait perdre aux nuances et à la complexité du terrain syrien toute chance de parvenir jusqu’au cerveau des décideurs. Et toute chance de leur permettre de conserver la moindre rationalité dans l’évaluation de ces révolutionnaires soupçonnés d’être autant d’“islamistes”.

Cette fracture est ancienne. C’est elle aussi qui interdit aux plus doctrinaires (et aux plus mal informés) des acteurs de l’”anti-impérialisme” de penser la légitimité de ne serait-ce qu’une partie du spectre islamiste qu’il rejette, selon la formule nuancée de Mélenchon, “à 100%”. Cette fracture divise jusqu’à ce jour le camp des soutiens de la cause des Palestiniens. Et elle l’affaiblit. Pour le plus grand plaisir de leurs tortionnaires israéliens. Et pour leur plus grand bénéfice.

(1) https://nantessecteurouest.wordpress.com/2016/10/23/francois-burgat-en-syrie-la-posture-des-oc cidentaux-face-a-daech-est-celle-du-taureau-devant-la-muleta-le-monde/

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