ACCÈS LIBRE
29.10.2025 à 11:37
Marie Barbier
Comme souvent depuis qu’Emmanuel Macron est installé à l’Élysée, plane dans l’air un « brouillard de mots et d’injonctions paradoxales
D’un côté, la casse de tout le système de protection sociale (réforme des retraites, de l’assurance chômage), l’annonce de l’austérité à venir (5 milliards à économiser sur les dépenses de santé), la loi qui réintroduit des pesticides cancérogènes, à quoi s’ajoute la passivité de nos dirigeant·es dans un monde en feu (guerre au Congo, génocide à Gaza, violences policières, violences racistes, féminicides…). De l’autre, une injonction répétée par ces mêmes dirigeant·es à aller bien : « La santé mentale, grande cause nationale en 2025 », un « plan psychiatrie » pour le « repérage précoce » des troubles psychiques chez l’enfant ou une « charte d’engagement pour la santé mentale » proposée aux entreprises. Sans que jamais ne soient interrogées les causes de nos maladies et de nos souffrances.
Dans ce numéro 20 de La Déferlante, dont le dossier s’intitule « Soigner dans un monde qui va mal », nous nous sommes demandé comment nous pouvions aller bien dans un monde aussi mal en point et qui maltraite les plus fragiles d’entre nous : les personnes étrangères avec ou sans titre de séjour, les classes populaires, les femmes, les personnes trans ou racisées… L’injonction à la bonne santé mentale – au départ un concept progressiste issu du champ de la psychiatrie – est un piège qui s’est refermé sur nous tous et toutes. Elle est devenue un outil de contrôle social au service du système capitaliste. Jusque dans les textes officiels émis par l’Organisation mondiale de la santé, la santé mentale est décrite comme une condition de la productivité des individus, « un état de bien-être qui permet à chacun […] d’apporter une contribution à la communauté ».
Et gare à celles et ceux qui protesteraient un peu trop fort ou dérogeraient aux attendus de leur condition. Comme l’ont démontré les travaux de terrain de la sociologue Isabelle Coutant
En 2025, l’injonction faite aux citoyen·nes à être en bonne santé, mentale et physique, sans être placé·es dans des conditions qui le permettent, relève toujours d’une stratégie politique de normalisation et de contrôle des corps minoritaires ; les luttes menées depuis les années 1970 nous ont appris que le soin pouvait être le terreau d’une révolution. Dans ce numéro, nous mettons en lumière des tentatives, collectives ou individuelles, pour repenser le lien entre soignant·es et soigné·es, pour rendre leur agentivité à celles et ceux qui souffrent.
On parle ici des approches communautaires de santé, adoptées par des soignant·es engagé·es dans des quartiers populaires. On parle aussi de ces malades chroniques qui parviennent à faire reconnaître leur vécu de la maladie comme une expertise par le corps médical. On parle enfin de ces soignantes maltraitées, parfois maltraitantes malgré elles, qui se battent pour que de meilleures conditions de travail leur permettent de mieux prendre soin des autres. Parce que, comme l’affirme une aide-soignante interviewée dans ce numéro : « Quand on soigne bien quelqu’un·e, on se sent bien. » On aimerait que, à l’heure de faire passer des lois, nos dirigeant·es s’en souviennent. •
28.10.2025 à 16:54
Sole Otero
Pour les personnes utilisant un lecteur d’écran, les planches de cette bande dessinée sont décrites dans le corps du texte.










28.10.2025 à 14:58
Chirinne Ardakani
Dans l’Europe de 1938 en proie au fascisme, Virginia Woolf revendiquait déjà, dans son essai Trois Guinées, la force transformatrice du féminisme pour assurer une paix juste et la démocratie mondiale : « Dans l’histoire, rares sont les êtres humains qui sont tombés sous les balles d’une femme. »
La guerre de douze jours entre Israël et l’Iran en juin 2025 fut, de ce point de vue, un cas d’école du patriarcat en bande organisée et de la menace qu’il fait peser non seulement sur les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais aussi sur celles et ceux qui sont les plus menacé·es par la militarisation et le réarmement des sociétés : les femmes, les étranger·es et les communautés LGBTQIA+, ethniques ou confessionnelles opprimées, voire persécutées.
Sous les décombres, en plein cœur de la capitale iranienne, riche de ses neuf millions d’habitant·es, les corps sans vie de centaines de civil·es parmi lesquel·les des citoyen·nes ordinaires ayant pris part au mouvement « Femme, Vie, Liberté » ; mais aussi, les prisonnier·es politiques de la prison d’Evin, bastion de la résistance non violente à la dictature, détruite en quelques secondes par une frappe « symbolique » israélienne. Une goutte dans un océan de sang, en comparaison avec les dizaines de milliers de Palestiniens et Palestiniennes en proie, au même moment, à la famine, à l’apartheid et au génocide et, à une tout autre échelle, avec les peuples de la région, Syrien·nes, Libanai·ses, Irakien·nes et Yéménites en tête, victimes des impérialismes régionaux de Nétanyahou comme de Khamenei.
Revendiquer, en féministes, le droit universel de vivre (ou de ne pas être tué·e) fait particulièrement sens quand, partout, plus encore en République islamique d’Iran, on ne naît pas femme : on en meurt. Voilà trois ans, presque jour pour jour, que Jina Mahsa Amini n’est plus. Elle a été tuée non pour un voile mal porté, mais pour avoir refusé de se soumettre à la loi de l’État patriarcal qui impose un contrôle politique et social sur le corps des femmes. Ce féminicide nous rappelle que, de tous les adversaires des femmes, c’est le pouvoir clérical militarisé qui est le plus à craindre.
Certes, les Iraniennes subissent chaque jour les lois de ségrégation et de domination injustes. Mais c’est la main répressive de l’État coercitif, de sa police infâme (la police des mœurs) et de ses milices (les gardiens de la révolution) qui les font violemment appliquer. « Nous ne voulons ni les balles du dictateur ni les bombes de l’agresseur. Nous revendiquons notre droit légitime à l’existence », écrivait, en persan, une internaute anonyme. Mais sous le vacarme des bombes, nul·le
n’entend plus le cri des Iraniennes en lutte pour la liberté et l’égalité.
Nous, les féministes, n’essentialisons pas les femmes lorsque nous disons que la guerre contre la démocratie est toujours une affaire de patriarcat. Officiellement, tous mènent des guerres « préventives » et « chirurgicales » illégales au nom du père. Pour garantir le droit de la patrie (le pays des pères) à exister, à se défendre, sinon à s’étendre ou pour réaliser la prophétie d’un saint patron au terme d’un récit mythologico-religieux opposant les civilisations. Conclusion ? Pour éradiquer le mensonge de la guerre « propre », il nous faut tuer politiquement l’homme fort.
C’est dire si le mouvement féministe est, de tous les mouvements sociaux, le cadre le plus pertinent pour résister au complexe militaro-industriel et à la production de la violence comme norme hégémonique virile. Au-delà du pacifisme, le féminisme est un antimilitarisme parce qu’il refuse le système de valeurs rétrogrades suivant lesquelles on deviendrait un « homme en rampant », pour citer la sociologue turque Pınar Selek, tandis que les femmes resteraient à l’arrière, au soutien d’une économie de réquisition des corps et des utérus toute tournée vers la production de soldats.
En contexte de guerre, intervenir sur les plateaux télévisés fut, pour l’avocate et militante féministe que je suis, particulièrement éprouvant. D’abord parce que l’intensification des bombardements donne matière aux experts balistiques à vanter, en direct, les dernières prouesses de l’industrie de l’armement pour tuer davantage et à moindre coût. Puis, aux éditorialistes d’assurer le service après-vente de la guerre pour tenter de légitimer, contre le droit, la mort des civil·es au nom de la sécurité, ou pire, de leur propre « liberté ».
Si le gaslighting est « l’art de faire taire les femmes », pour reprendre le titre d’un livre d’Hélène Frappat, les va-t-en-guerre excellent dans cette discipline. Célébrées pour leur révolte chantante et dansante ou lorsqu’elles faisaient tomber le voile obligatoire en signe de résistance à la tyrannie, voici que, tout à coup, les mêmes Iraniennes ne méritaient plus de vivre. « Chair à viol
Mais la résistance féministe antiguerre n’a pas dit son dernier mot : « Don’t wowan life freedom us murderer » (« Ne parle pas de “Femme, Vie, Liberté” avec nous, criminel »), pouvait-on lire sur une pancarte brandie par une manifestante iranienne en juin 2025. Dans leur révolution pour la vie, les femmes et les peuples en lutte n’ont besoin ni de sauveurs ni de libérateurs. Elles pourront compter sur la force démocratique, solidaire et non violente du mouvement transnational de libération des femmes, par elles-mêmes, pour vaincre le pacte des brutes. •
Chirinne Ardakani est avocate. Elle exerce en droit pénal international et en droit des étranger·es. Fille d’Iranien·nes ayant fui la dictature de Khamenei, elle préside l’association Iran Justice pour documenter les crimes d’État en Iran.
Elle a cosigné Des Iraniennes. Femme, vie, liberté, 1979–2024, éd. des femmes, 2024.