02.05.2025 à 15:29
hschlegel
Deux cents ans après l’imposition par la France d’une dette colossale au nouvel État haïtien pour la reconnaissance de son indépendance, le président Emmanuel Macron reconnaît une injustice historique envers cette ancienne colonie. Autrice d’un essai qui vient de paraître en français, Réparations. Combats pour la mémoire de l’esclavage (XVIII-XXIe siècle) (Seuil, 2025), l’historienne brésilo-américaine Ana Lucia Araujo retrace l’histoire ambivalente de la notion de « réparation ».
[CTA2]
Vous montrez que la demande de réparations a une longue histoire, même si le terme n’a pas toujours été utilisé. Depuis quand parle-t-on de “réparations“ ?
Ana Lucia Araujo : Le terme « réparation » commence à être utilisé notamment à partir du XXe siècle dans le domaine du droit international à la suite des débats concernant les réparations accordées aux nations pour les dommages subis en temps de guerre – on parle ici des réparations payées par l’Allemagne à la suite de la Première Guerre mondiale. C’est donc au début du XXe siècle que les acteurs sociaux demandant des réparations pour l’esclavage commencent à utiliser ce mot. Avant, du XVIIIe jusqu’à la fin du XIXe siècle, ils avaient plutôt utilisé des synonymes comme correction, compensation, indemnisation, repentance, remboursement et restitution.
➤ Pour approfondir, et à lire aussi dans notre numéro en kiosque « Peut-on réparer ses erreurs ? » : Réparer les vivants… et l’histoire ? Enquête sur la question des réparations
Le terme est-il entendu de la même façon aux États-Unis, en Angleterre, en France... ?
Oui, je dirais que, de façon générale, le terme est entendu de la même manière dans ces différents pays, où l’on utilisait aussi différents synonymes pour référer à l’idée de réparations des torts du passé. Cependant, comme je le montre dans le livre, les demandes de réparations peuvent compter une simple dimension symbolique, comme elles peuvent mettre en avant un aspect à la fois financier et matériel.
“Les demandes de réparations peuvent compter une simple dimension symbolique, comme elles peuvent mettre en avant un aspect à la fois financier et matériel” Ana Lucia Araujo
La notion de réparation renvoie à la volonté de corriger les erreurs du passé. Mais se concentre-t-elle sur le passé ou sur l’avenir ? Quand les dirigeants disent qu’il faut se tourner vers l’avenir et “tourner la page”, est-ce une façon commode de se débarrasser du sujet ?
C’est une excellente question. Je dirais que les réparations se concentrent sur le passé et le présent car l’esclavage et la traite esclavagiste sont des atrocités commises dans le passé et les victimes elles-mêmes, de façon individuelle ou de façon collective, ont commencé à demander des réparations depuis au moins le XVIIIe siècle. Sauf quelques cas individuels, les réparations financières ou matérielles n’ont jamais été accordées aux anciens esclaves, si bien que leurs descendants ont continué à formuler des demandes durant le XXe siècle. Et si ces demandes continuent d’exister, c’est à cause de la persistance des inégalités, en grande partie issues de ces atrocités passées. La question est : comment peut-on tourner la page et se tourner vers l’avenir quand les populations racialisées, dont les ancêtres ont été mis en esclavage, continuent d’être discriminées et à vivre dans la pauvreté, souvent sans espoir d’un avenir prospère ? La seule façon de tourner la page est de faire face au passé.
Qu’est-ce qui a changé depuis 2017 et la première édition de votre livre ?
La nouvelle édition du livre, sur laquelle la traduction française est basée, comprend un nouveau chapitre sur les développements internationaux récents autour des demandes de réparations, notamment aux États-Unis, y compris l’intensification de ces demandes à la suite de l’assassinat de George Floyd. La nouvelle édition incorpore aussi les études publiées entre 2016 et 2022. Chaque chapitre comprend une liste de lectures suggérées ainsi que des sources primaires – correspondances, manifestes, législation – traduites et transcrites.
“Le fait qu’on s’éloigne de plus en plus de la période de l’esclavage et que les victimes ne soient plus parmi nous n’aide pas à résoudre le dilemme de qui ‘réparer’, et comment” Ana Lucia Araujo
Vous consacrez plusieurs pages à Haïti. De quoi ce cas est-il emblématique ?
Alors que partout dans les Amériques, les anciens propriétaires d’esclaves ont obtenu d’une façon ou d’une autre des compensations financières au cours du processus d’abolition de l’esclavage, le cas d’Haïti est emblématique car c’est la seule nation des Amériques qui a aboli l’esclavage à travers une révolution menée par des anciens esclaves et qui a aussi établi son indépendance. Cependant en 1825, la nouvelle nation noire a dû payer un montant exorbitant à titre d’indemnisation financière à la France pour avoir son indépendance reconnue. Cette rançon, comme on le sait, a entraîné une longue dette qui a compromis pour toujours le futur de la nouvelle nation.
Comment comprenez-vous les difficultés à accorder des compensations financières ?
Il y a de nombreuses difficultés. Les victimes directes de l’esclavage ne sont plus vivantes, et même quand elles étaient vivantes, les réparations leur ont été niées. Aujourd’hui, la difficulté est encore plus grande car les descendants des personnes mises en esclavage sont désormais séparées de plusieurs générations de leurs ancêtres asservis. L’esclavage et la traite esclavagiste sont des atrocités commises sur plus de trois siècles dans un cadre de « légalité », même si plus d’un million de personnes ont été mises en esclavage dans les Amériques, notamment au Brésil, durant la période où la traite était illégale et ces personnes et leurs descendants sont presque tous restés en captivité jusqu’à la fin de l’esclavage. De plus il n’y a toujours pas de consensus parmi les différents groupes et organisations, dans plusieurs pays des Amériques, par rapport aux possibles montants des réparations financières, sur qui devraient les payer et qui devraient les recevoir. Le fait qu’on s’éloigne de plus en plus de la période de l’esclavage et que les victimes ne soient plus parmi nous n’aide pas à résoudre ce dilemme.
Réparations. Combats pour la mémoire de l’esclavage (XVIII-XXIe siècle), d’Ana Lucia Araujo, vient de paraître en trad. fr. aux Éditions du Seuil. 416 p., 25€, disponible ici.
mai 202529.04.2025 à 11:23
cdruesne
Et si la danse était bien plus qu’un art ? C’est la thématique de la prochaine « Chaillot Rencontre » au Théâtre national de Chaillot, à Paris, qui proposera d’explorer les pouvoirs de transformation, de bien-être et de connexion de la danse. Artistes, chercheurs et professionnels du monde de la danse et de la santé échangeront autour des bienfaits physiques, mentaux et émotionnels du mouvement dansé pour créer un véritable moment de partage où amateurs, danseurs confirmés ou simples curieux sont les bienvenus. Ensemble, les participants interrogeront comment le corps en mouvement peut être une source de guérison, de résilience et d’épanouissement.
[CTA2]
Mardi 6 mai 2025 à 18h30
1, place du Trocadéro et du 11-Novembre, 75116 Paris
Rencontre « Les Pouvoirs de la Danse », animée par Cédric Enjalbert, rédacteur en chef adjoint de Philosophie magazine, en partenariat avec Chaillot - Théâtre national de la Danse. En accès libre.
➤ POUR PARTICIPER Avec :Isabelle GinotEnseignante-chercheuse à l'université Paris-8, chargée du pole ressources A.I.M.E. (Association d’Individus en Mouvements Engagés)
Isabelle Ginot est professeure au département danse de l’université Paris-8 et praticienne de la méthode Feldenkrais ; ses recherches et enseignements ont d’abord été consacrés à l’analyse des œuvres en danse contemporaine, interrogeant tout particulièrement l’activité perceptive du spectateur (ou du critique) dans la lecture ou l’analyse des pièces chorégraphiques, et les processus de travail qui sous-tendent les œuvres. À partir de 2007, la question des pratiques devient centrale et ouvre un nouveau champ de recherche autour des pratiques somatiques, à la croisée des pratiques de danse et du travail social. Parallèlement, le travail d’analyse d’œuvres se tourne plus spécifiquement vers les pièces mettant en scène des acteurs et danseurs inhabituels : danseurs amateurs, vivant avec un handicap, seniors, enfants, etc. Cofondatrice de l’A.I.M.E., elle développe avec l’association un ensemble de pratiques corporelles issues de la danse et des méthodes somatiques, en direction de personnes en situation de précarité sociale ou de santé.
Julie Nioche
Danseuse, chorégraphe et ostéopathe
Diplômée du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris en 1995, elle a travaillé comme interprète auprès d’Odile Duboc, Hervé Robbe, Meg Stuart, Alain Michard, Catherine Contour, Emmanuelle Huynh ou Alain Buffard. De 1996 à 2007, elle codirige l’association Fin novembre avec Rachid Ouramdane au sein de laquelle elle participe à des projets communs et initie les siens propres. En 2007, elle initie la création de A.I.M.E. L’A.I.M.E. associe actrices culturelles, chercheuses, artistes et praticien.nes somatiques pour porter ses projets artistiques sur scène et in situ, et développer un pôle danse, recherche et société autour de « projets artistiques socialement et corporellement engagés » (PasKe).
Philippe Nuss
Psychiatre, praticien hospitalier au CHU Saint-Antoine à Paris, ancien danseur.
Le docteur Philippe Nuss est psychiatre des hôpitaux, praticien hospitalier en charge de l’unité de psychiatrie de jour et d’addictologie du service de Psychiatrie et de Psychologie médicale du CHU Saint-Antoine à Paris. Il est enseignant à la Faculté de médecine du GHU Pitié-Salpêtrière/St-Antoine et consacre une partie importante de son temps à la formation à la relation soignante pour les différentes disciplines médicales. Philippe Nuss est également docteur en science et titulaire d’une habilitation à diriger les recherches en chimie physique. Il a été responsable de la prise en charge des personnes victimes des attentats du 13 novembre 2015 et continue à être impliqué dans leur suivi. Il est professeur invité de nombreuses universités étrangères ainsi qu’enseignant depuis 2009 à l’European School of Psychopharmacology à Oxford. Il est un orateur fréquemment invité à des conférences scientifiques internationales, particulièrement concernant la schizophrénie.
Pour aller plus loin sur le thème de la danse
Et Nietzsche créa la danse contemporaine
En décrétant la mort de Dieu et en appelant à l’émergence du surhomme, Friedrich Nietzsche a forgé des concepts qui accompagnent la naissance de la danse contemporaine. Et continuent de nourrir les créations actuelles, comme en témoigne le chorégraphe Angelin Preljocaj que nous avons rencontré à l’occasion de la reprise de son ballet Le Parc (1994), à l’Opéra-Garnier, à Paris, du 6 au 31 décembre 2019.
Angelin Preljocaj : “Je cherche l’équilibre entre la puissance et la fragilité”
Que révèle la danse contemporaine de notre rapport au corps ? Subit-elle l’influence des nouvelles technologies ou encore de l’omniprésence de l’érotisme ? Réponses avec le chorégraphe Angelin Preljocaj.
L’alphabet du mouvement
La chorégraphe Anna Teresa De Keersmaeker propose, avec “Danser en temps de confinement”, une vidéo en forme de mode d'emploi pour se réapproprier chez soi l'une de ses plus célèbres créations, Rosas danst Rosas. Celle qui conçoit son art en phénoménologue s'explique aussi dans une leçon au Collège de France.
“Exit Above. After the Tempest” : ça marche !
Aller de l'avant en ramenant la danse à l'essentiel, c'est le but du nouveau spectacle de la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker acclamé au Festival d’Avignon 2023.
Pourquoi on danse ? Le point de vue des neurosciences
Mais pourquoi diable l’être humain se met-il à danser sur de la musique ? Une nouvelle explication vient d’être proposée par les neurosciences.
Ludmila Pagliero, Charles Pépin. De la discipline à la liberté
La danse classique est l’un des domaines où la quête de perfection est la plus impitoyable, la plus extrême. Pourtant, au-delà de sa maîtrise, la danseuse en scène doit transmettre des émotions et rester humaine. Comment tenir cet équilibre ? Ludmila Pagliero, étoile de l’Opéra de Paris à la trajectoire atypique, et notre collaborateur Charles Pépin, en ont parlé avec passion dans une loge de l’Opéra-Garnier.
➤ Pour découvrir les précédentes “Chaillot Rencontre”
mai 2025