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03.07.2025 à 17:00

Emmanuelle Maitre : “L’Occident n’a jamais accepté l’idée que l’Iran pourrait être une puissance nucléaire raisonnable”

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Emmanuelle Maitre : “L’Occident n’a jamais accepté l’idée que l’Iran pourrait être une puissance nucléaire raisonnable” nfoiry jeu 03/07/2025 - 17:00

Pourquoi bombarder les sites nucléaires iraniens quand on tolère les essais nucléaires nord-coréens ? Pourquoi supposer que le régime mollarchique se servirait de l’arme atomique de façon nécessairement agressive ? Pour y voir plus clair, nous avons interviewé Emmanuelle Maitre, chercheuse à la Fondation pour la recherche stratégique. 

[CTA2]

Les frappes américaines et israéliennes ont-elles été décisives pour stopper le développement nucléaire iranien ? 

Emmanuelle Maitre : Il est impossible de l’affirmer. L’Agence internationale de l’énergie atomique [AIEA] menait des inspections sur certains sites juste avant qu’ils ne soient bombardés, et ses inspecteurs eux-mêmes sont incertains quant aux conséquences réelles des attaques. Des usines servant à enrichir l’uranium ont été manifestement endommagées. Est-ce suffisant pour avoir un quelconque effet sur le programme à long terme ? N’y a-t-il pas d’autres sites ailleurs qui n’auraient pas été identifiés par les États-Unis ou l’AIEA ? Nul ne le sait. Tant que nous n’aurons pas la capacité de renvoyer des inspecteurs sur place, nous resterons dans le flou. 

 

Avons-nous une idée globale de la menace nucléaire iranienne avant l’opération américaine « Midnight Hammer » ?

L’acquisition de matière fissile est une tâche longue, difficile, et qui nécessite beaucoup d’investissements. Il faut produire du plutonium ou enrichir l’uranium à un niveau qui permet son utilisation pour des armes nucléaires. De ce point de vue, il est évident que l’Iran a fait d’immenses efforts depuis longtemps. Même avec la mise en œuvre de l’Accord de Vienne en 2015 censé limiter son programme nucléaire, le pays a réussi à accumuler des matières fissiles. Début juin 2025, l’AIEA avait estimé que Téhéran était en possession de près de 400 kg d’uranium enrichi à 60 % – 90 % étant le seuil à partir duquel on estime l’uranium apte à la fabrication d’armes nucléaires. En théorie et du point de vue des matières, l’Iran n’était qu’à quelques semaines ou quelques mois de pouvoir faire une arme, l’enrichissement s’accélérant au fil du processus. Cependant, la matière ne suffit pas. Il faut encore construire l’arme en question : avoir le savoir-faire, les composants et être capable de la transporter, éventuellement sur un missile. Sur ce volet dit de militarisation, nous savons que l’Iran a travaillé dessus avant 2003 selon des rapports de l’AIEA et des renseignements israéliens. Cependant, depuis cette date, nous n’avons plus eu connaissance de programmes de recherche… Ont-ils été interrompus ? Sont-ils menés de façon clandestine ? Nous n’en savons rien. 

 

Quelle est la doctrine nucléaire de la mollarchie iranienne ? 

L’Iran se réfère en permanence à une fatwa de 2003 du guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, qui dit que l’arme nucléaire est contraire à la loi islamique. Par conséquent, le pays ne chercherait pas à s’en doter. Malgré les efforts continus pour développer ces technologies, on ne peut pas affirmer que l’Iran a un jour voulu se doter véritablement de l’arme atomique. Nous pouvons simplement a minima dire que le pays souhaite être un « État du seuil », c’est-à-dire tout proche du stade du développement de l’arme nucléaire, si bien qu’il pourrait changer d’avis à tout moment.

 

“L’Iran a adopté une posture ambiguë : ne pas officiellement développer le nucléaire pour ne pas subir le sort des Irakiens mais ne pas être loin du seuil pour accroître son statut dans la région”

Pourquoi ne pas assumer son souhait de se doter de l’arme nucléaire ? 

L’ambition de peser grâce au nucléaire remonte à la révolution islamique et à la guerre contre l’Irak de 1980 à 1988. L’Irak menait des programmes pour développer des armes de destruction massive et n’était ni sanctionné ni même rejeté par la communauté internationale. À l’époque, l’Iran se sentait isolé et pensait sans doute avoir besoin de ce type d’armement pour repousser ses agresseurs. Bien plus tard, en 2003, quand l’Irak a été envahi par la coalition militaire occidentale menée par les États-Unis, l’Iran a accepté des restrictions par crainte d’une intervention militaire massive et de la chute du régime qui pourrait en résulter. Par conséquent, le pays a adopté une posture ambiguë : ne pas officiellement développer le nucléaire pour ne pas subir le sort des Irakiens mais ne pas être loin du seuil pour accroître son statut dans la région et s’en servir comme levier de négociation. En fin de compte, le succès d’une telle stratégie du seuil est discutable puisque, de fait, elle n’a pas empêché les États-Unis et Israël de frapper son territoire. 

 

On peut contester le fait que l’Iran n’a pas l’ambition de fabriquer une arme nucléaire. Mais pourquoi supposer que ce pays s’en servirait nécessairement de façon agressive ? 

Nous ne pouvons pas savoir comment se comporterait l’Iran avec l’arme nucléaire. Probablement comme la plupart des États, ou pas pire que la Corée du Nord : une agression ne justifierait pas nécessairement d’en faire usage mais le pays serait à l’abri de l’invasion ou du renversement du régime par une puissance étrangère. C’est le principe de la dissuasion nucléaire : chaque pays fait valoir des lignes rouges, comme la Russie quand elle empêche les pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord d’intervenir trop visiblement dans le conflit en Ukraine, notamment via la livraison d’armes. Il reste qu’Israël a la conviction que l’Iran veut sa destruction, arguant que le pays n’a même pas reconnu l’existence de l’État israélien. Ainsi, même s’il s’est développé pour se défendre contre l’Irak, le nucléaire iranien représente une menace qu’il faut éliminer pour Israël. Et les négociations ne sont pas envisageables. Depuis quelques mois, Benyamin Netanyahou manifeste même l’espoir de se débarrasser de la République islamique et d’aboutir à un changement de régime. L’affaiblissement des groupes affiliés à l’Iran comme le Hamas et le Hezbollah, le soutien de Donald Trump, tout cela a dû décider le gouvernement israélien à agir pour amoindrir le programme nucléaire et, pourquoi pas, déclencher des réactions en chaîne aboutissant à la chute du régime des mollahs. 

 

“Les dirigeants occidentaux redoutent que l’arme nucléaire puisse rendre l’Iran encore plus agressif, puisque le pays serait à l’abri de toute riposte”

Si l’Iran s’éloigne du seuil de développement de l’arme nucléaire, la région ne risque-t-elle pas d’être plus instable dans la mesure où l’« équilibre des terreurs » serait rompu ?

Dans la théorie nucléaire, cela correspond à la posture des néoréalistes, et notamment celle d’un penseur comme Kenneth Waltz qui estime que l’arme nucléaire a un effet stabilisateur si les États s’en dotent, y compris des adversaires. Sur le cas iranien, c’est un argument qu’on entend très peu, et cela est lié à la nature religieuse, révolutionnaire et ultra-conservatrice du régime qui ne vise pas la stabilité mais le renversement d’un ordre politique. Au-delà d’Israël, de l’Europe aux États-Unis, les dirigeants politiques occidentaux n’ont jamais accepté l’idée que l’Iran pourrait être une puissance nucléaire raisonnable. Ils redoutent que l’arme nucléaire puisse rendre l’Iran encore plus agressif, que son comportement déstabilisateur et ses liens avec des groupes terroristes, avec le Hezbollah, le Hamas ou les houthistes n’auraient plus de répercussions, puisque le pays serait à l’abri de toute riposte. Enfin, plusieurs États, comme l’Arabie saoudite, ont indiqué qu’ils se doteraient eux-mêmes de l’arme nucléaire si l’Iran y parvenait. 

 

Le fait qu’Israël soit la seule puissance nucléaire dans la région représente-t-il un risque pour les autres États ? 

Au niveau diplomatique, le programme nucléaire israélien est contesté. Mais en réalité, Israël est davantage critiqué pour la guerre contre Gaza. Le fait que ce pays soit doté de l’arme atomique ne joue pas un rôle très important dans les relations stratégiques entre les États de la région. D’ailleurs, plusieurs États ont attaqué Israël alors qu’ils savaient très bien que le pays disposait d’une capacité nucléaire. 

juillet 2025
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03.07.2025 à 08:10

Lâcher prise ? Une question de stratégie !

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Lâcher prise ? Une question de stratégie ! nfoiry jeu 03/07/2025 - 08:10

Nous aspirons tous à plus de simplicité dans nos vies et nos relations. Mais avant d’y parvenir, il faut résoudre une question : est-ce la vie qui est simple et nous qui sommes trop compliqués, ou bien l’inverse ? Dans l’article qui ouvre le grand dossier de notre tout nouveau numéro, Michel Eltchaninoff tente de résoudre ce paradoxe !

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