30.12.2025 à 19:53
Dimension politique
Stéphanie Chanvallon
Tout particulièrement éprouvé dans les rencontres animales et le dehors, mis en récit (L'Orque, la Femme et l'Hirondelle. Mille et un Sauvage, Editions Dehors, 2024), le Sauvage m'a permis d'explorer divers lieux, de l'altérité au « Nous », de l'invisible à l'invisibillisé, de l'expérience sensible à l'événement, etc. Et c'est sur la question politique que je vais tenter ici de prolonger les perspectives parce qu' « il y a » dans le sauvage une présence et une intensité surprenantes et inépuisables.
Il semble que nos façons de résister non seulement expriment le sauvage mais peuvent s'y inspirer pour se perpétuer et densifier nos raisons d'être ensemble. Car que vous soyez expulsés de votre lieu, leur forêt détruite, des toxiques enfouis dans notre terre, quelle que soit la menace, c'est une partie de nous qui va devoir recruter d'autres forces. Comment arpenter le sauvage dans une dimension politique ? Je vais présenter succinctement comment le sauvage se manifeste, ce qu'il nous permet de vivre dans le concret de l'expérience pour, pas à pas, discerner ce qui peut animer et façonner nos luttes, nous ressourcer aussi.
Que dire du sauvage ? Et peut-il disparaître ? Son murmure tenace se propage aux confins d'une région forestière comme dans le plus intime de nos existences. Le sauvage est un insaisissable dont nous sommes tout autant spectateurs que participants. Incarné dans des mouvements tout en étant déjà ce qui n'est plus, il prend consistance depuis un pré-quelque chose, s'apparente à une énergie, cristallisant par exemple une peur ou un élan de liberté. Chaque vie est traversée par le sauvage, aucune ne peut l'embrasser à elle seule et toute forme, qu'elle soit végétale ou animale, peut se soustraire aux attendus pour lesquels tant d'ingénieries se déploient [1]. Le sauvage, inaliénable et incessible, est un potentiel inépuisable exprimé dans la multiplicité.
Mais c'est précisément la diversité des formes qui l'incarnent qui disparaissent et avec elles des possibilités d'engendrement, et de ceci la logique de productivité du capital n'a que faire. Devant le progrès - qui ne sera désormais nullement entravé, pas même par l'éthique - il semble rester un mot : l'indifférence pour tout ce qui est réifié depuis des siècles et toujours plus « mis au travail », de l'animal à l'humain en passant par les forêts, les montagnes et maintenant les océans, sans parler de ce qui n'est pas utile et de fait annihilé. L'extension du capital (par voie de guerres aussi) ne semble pas avoir de limites, en tout cas pas celles de la nature à moins de nommer autrement la forme qu'il prendra quand il n'y aura plus de nature à exploiter - peut-être restera-t-il des espaces réservés à quelques expérimentations. Car le capital sera là pour un long moment, plus agressif et intrusif encore, partout, et la virtualité du monde en cours participe pleinement du processus.
Il me semble que perdre la perception du sauvage ou renoncer à lui, serait se soumettre à l'ordonnancement des choses. Le sauvage saura pourtant se manifester là où nous ne l'attendons pas. Il nous déroute, mais sa puissance de prime abord menaçante ravive nos capacités et excite notre imagination. Rechercher ou éprouver le sauvage, c'est accepter l'intranquillité, savoir refuser ce qui est établi et donné par l'extériorité comme vérité, s'engager dans une connaissance a posteriori d'une expérience et expérimenter la profondeur - contre la superficialité. Demain n'est pas écrit. Alors il nous faut croire au sauvage et ne pas nous laisser dire sa perte, il faut le recruter dans les lieux les plus improbables du dedans et du dehors pour qu'advienne ce qui tient aux cœurs des âmes rebelles.
La vie assujettie est présente dans une forme qui traduit la perte silencieuse du fond : le sauvage se délite quand la vie ne s'exprime plus spontanément (tel l'animal du zoo ou d'un élevage intensif). La figure du sauvage est d'emblée ce qui échappe, se dérobe et trace ailleurs, déploie son existence sans être sous la main humaine ; cet autre sujet demeure en partie inconnu et pose des limites à nos désirs. Rencontrer le sauvage, c'est accepter le non donné, la non immédiateté, la frustration. Aucune certitude pour nous assurer de ce dont nous voulons jouir.
Habitués à côtoyer le sauvage, ses formes nous paraissent plus familières, elles tracent des inflexions, des fluidités et discontinuités incessantes, apparaissent et disparaissent parce qu'elles sont la vie même et nous rassurent à travers leurs propres mouvements. Quelque chose de tenace émane du fond et nous saisit. L'imprévisible, lui, nous dépossède d'une absolue maîtrise, nous tient en éveil, excite nos sens et notre attention à ce qui est là ou potentiellement se prépare. Et son comparse le risque, soit une possible atteinte physique ou psychique, est à différencier de la menace. Risquer c'est se situer en-deçà de la maîtrise, être attentif à tout changement dans son milieu, se tenir aux aguets, sur le qui-vive, un mouvement parfois très subtil ou abrupt, pour préserver l'intégrité de l'être. L'acceptation du risque nous oblige à la pleine présence.
Après avoir accepté ce à quoi nous expose le sauvage, nous pouvons y saisir des opportunités de transformations. Le sauvage est comme une force subversive qui nous embarque au passage. Le dehors permet d'explorer la confiance en soi, en l'autre, de s'autoriser à l'expérience des limites. Le sauvage nous rend densément et insolemment vivants. Il semble que l'artificialisation et l'ultra-connexion désubstantialisent l'expérience sensible, or, dans une rencontre avec un animal sauvage (nager à côté d'une orque ou approcher un rapace blessé par exemple), se vit une sorte d'extra ordinaire où les modes de perception et d'agir sont autrement sollicités, entre instinct, intuition et intelligence corporelle [2] – sauver un humain de la noyade relève d'une même situation atypique. Ainsi, s'agencer au creux d'une rencontre c'est se mouvoir avec les forces et les liens en présence [3], c'est amplifier la consistance relationnelle sans se soustraire au risque de l'altération, tout en se donnant la possibilité de faire advenir du nouveau. On se sent aussi appartenant à un monde plus vaste que la communauté humaine, on s'insère dans des réseaux à la fois plus complexes et spontanés. La dimension de l'expérience est prise dans un événement. L'événement engendre du sens mais il ne peut s'y réduire puisqu'il nous dépasse, l'événement supplémente l'existence. Il se refuse à toute projection mais il est l'histoire de ceux qui le vivent in situ. Il importe aussi d'accepter de ne pas tout connaître de notre façon singulière d'être touché par le monde et de le toucher, d'accepter la mouvance dans notre capacité à défaire et refaire nos relations aux autres vivants.
L'espace de la rencontre avec l'animal sauvage est une expérience de l'altérité où s'éprouve un « être ensemble » inattendu. Il n'y a pas d'effacement des singularités dans le commun de l'entre-deux animal, parfois à la limite de la fusion. La porosité nécessite de préserver la consistance de chacun. La limite individuée ne peut donc se dissoudre sinon à approcher la mort. Au creux de la relation, si elle perd de sa primauté dans un temps relativement court, c'est pour mieux la reconquérir, la densifier. La part sauvage assure la continuité de l'existence dans le maintien de l'autonomie la plus fondamentale, dans la réalisation permanente et toujours inachevée du sujet, pourtant en lien avec un autre. Et une éthique intouchable préexiste à la rencontre, elle est pour moi vivante. L'éthique se pose comme attachement à ce qui fait sens, à ce qui se tient déjà là dans toute lutte, contre l'instrumentalisation du vivant, l'invisibilisation ou l'anéantisation - elle dévoile notre façon de nous incliner devant la magnificence d'une montagne, la délicatesse d'une fleur, de reconnaître le vivant comme unique et mortel, engagé lui aussi dans son existence. Signe de notre propre vulnérabilité et dépendance, elle est résistance à l'inertie quand nous sentons que quelque chose ne va pas. L'éthique vivante n'est pas rattachée à une morale acquise, héritière d'une pensée sociétale, philosophique ou d'une donnée scientifique. C'est un déjà là que l'on porte en soi comme l'empreinte d'une lointaine communauté, elle est immémoriale.
Alors quelle proximité avec nos luttes, quelles potentialités à l'œuvre ? Et bien, entre autres, « il y a un Nous ».
Pour Bernard Aspe, la communauté n'est pas « illusion d'être ensemble », mais le réel de l'être ensemble. « L'être-ensemble n'est pas un donné. C'est l'un des paradoxes que l'on retrouvera souvent : ce qui est avant nous, et qui à ce titre constitue le véritable commencement, n'est pas présent partout et toujours, bien au contraire. Le problème est que ce véritable commencement est même toujours plus raréfié, et qu'il se révèle bien souvent tout d'abord sur le mode de son absence. S'il en est ainsi, c'est bien que l'espace de l'intériorité commune est susceptible d'être défait. Ce qui pourrait indiquer a contrario qu'il est susceptible d'acquérir une certaine consistance » [4]. Cet « être ensemble » symbolise une intégration en train de se faire, jamais définitive. Il est surtout ce qui propulse la métamorphose, ce qui a été polarisé et se transforme, incarne le projet même de la relation : lier, délier, lier,… la forme ancienne a été métabolisée, il en reste une mémoire qui dilue ses effets dans l'espace et permet de mesurer l'écart entre ce qui a été et ce qui est devenu. Ce « nous », porté par la complicité, est la résonance indéterminée de la relation qui a pris corps. « Je » [5] est désormais autrement qu'hier et si le « nous » n'est plus un réel concret de nos formes, il se maintient comme « il y a eu un Nous » et dans la potentialité de nouvelles rencontres si les désirs se recombinent. Le processus de transformation, touchant l'être en profondeur, peut demeurer dans une presque invisibilité et participe ainsi à ce qui dans l'intériorité peut se mouvoir sans être vu, et de fait résiste à toute volonté extérieure de (re)mise en forme non désirée.
S'engager dans la relation, la politique, lutter, c'est se mettre en gage dans le sens où « je » me mêle à quelque chose qui est partagé et ancré comme un « c'est cela » ou « il y a », que j'accepte d'en répondre et que l'autre puisse répondre à son tour. L'être ensemble tient sur l'engagement mais aussi sur la portance et la clarté de ce qui s'accomplit dans le discernement des objectifs à énoncer et incarner - le silence dans une situation peut être à lui seul un acte intimement partagé. La cohérence entre le penser, le dire et l'agir, sont essentiels pour que tiennent l'engagement et les distorsions - soit les déséquilibres motivants qui créent un espace de transformation susceptible d'être saisi et en-deçà font apparaître plus finement l'irréductible à quoi nous tenons dans l'aventure de l'être ensemble. Et comme l'éthique vivante n'est pas abstraite, détachée, extérieure, mais rejouée à chaque fois dans l'immanence, il est alors possible de regarder son action à partir des principes qui la motivent et la satisfaction de leur expression ; une cohérence à tenir, faire au mieux ou au moins pire, malgré ce qui peut être perdu, non réalisé. Mille et Un Sauvage exprime à la fois l'unité du sauvage comme énergie, potentiel de force traversante, affectante, et la pluralité des formes qui peuvent l'incarner. La charge éthique sous-tend leur l'épanouissement et la perduration des mouvements. Nos révoltes et nos luttes surgissent depuis un potentiel qui se cristallise et prend la forme de revendications et d'actions portées par un désir commun qui nous anime – il y a une spiritualité dans le résister ; l'imprévisible demeure au creux de l'action - s'y invite parfois l'invisible, l'inconnu est dans son devenir.
Comme énoncé ci-avant, parce que le sauvage nous échappe, nous préservons par là-même notre propre possibilité d'échapper. Il est ce à travers quoi et pour quoi nous pouvons nous propulser, un point d'accroche le moment venu, une résurgence, toujours en un autre lieu. Echapper n'est pas fuir mais refuser de se soumettre – échapper comme hors de la chape – quelle que soit l'unité globalisante du capital. Le sauvage est ce qui nous rend à jamais insaisissables et non totalisables. Ainsi, je retrouve, entre autres, dans le sauvage trois axes proposés par Bernard Aspe dans « Ce qu'il manque, c'est un espace révolutionnaire » [6]. Cet espace révolutionnaire est égalitaire, chacun compte autant que tout autre, c'est la rencontre de l'altérité. Le rencontrer est un ensemble de mouvements intérieurs en lien avec l'extériorité, une histoire d'ouvertures, de concentrations, d'intégrations, d'amplifications, d'espaces qui se créent ou se recombinent et qui lui donnent consistance. Il est anormatif c'est-à-dire qu'on dépasse les spécificités des luttes pour résister à l'enfermement face au risque de l'emprise toujours possible ; les conflits internes et paradoxes sont à porter, des pauses nécessaires pour assimiler, se régénérer. L'espace révolutionnaire est plus qu'humain : ce que nous voulons être en tant que subjectivation est inhérent à l'ensemble des milieux vivants et formes de vie. En aparté : « la vérité n'est pas une épreuve subjective sans être aussitôt et par là-même l'épreuve d'un collectif de pensée, quelle que soit sa forme et son importance. Or un tel collectif est toujours structuré par des savoirs (...) qui soutiennent la mise à l'épreuve par quoi se fait l'expérience du vrai » [7], mais alors qu'advient-il quand la consistance subjective émane d'une expérience entre espèces différentes ?
Je n'évoquerai pas ici la dimension de la connaissance qui se joue au creux de la rencontre sauvage et s'élabore à travers elle, je peux juste dire de la connaissance qu'elle n'est pas que le discours de la science qui ne saisit qu'une des réalités du monde. La rencontre est événement et l'événement n'est pas « chose », « état », « espace-temps » circonscrit puisqu'il advient d'une multiplicité de possibles – de fait, il se refuse à la science. Mais concrétiser un lien entre profondeur et surface, c'est faire apparaître le mouvement de la connaissance comme symptôme d'une façon d'être au monde singulière ou collective et donc expression vivante où se maintiennent l'insondable et l'indéterminé. De plus, dans la recherche du vrai, ce qui est mis en partage est de fait exposé à l'approbation ou l'arrivée d'un conflit ; il est important de dire ce qui peut être dit, malgré la perte d'un vécu depuis l'expérience. Ce qui se joue ici est d'abord ce que l'autre dans l'entre-deux du dire, perçoit, entend, valide ou non, l'écart entre des points de vue. L'éthique fait le lien entre nous quoi qu'il arrive puisqu'elle a été reconnue aux prémices du mouvement politique comme ce qui nous permet de tenir ensemble.
Le risque demeure parce qu'il y a toujours de l'incertitude et des inattendus à traverser nos actions et celles de l'ennemi. Il y a donc des victoires et des défaites. Bozzi et Chanvallon [8] envisagent la défaite comme une force à travers trois exemples de lutte où une inversion opère : faire exister autrement une forêt qui va être détruite, regarder le mode d'opération insaisissable du mouvement des Gilets Jaunes pour partie in-identifiables, croire à une ZAD comme collectif épars et hétérogène, périssable mais résurgent « ZAD partout ». Ainsi, « appréhender l'idée de défaite peut nous permettre d'élargir notre perspective. Nous pourrions ainsi prévenir les victoires amères, les méfaits de la défaite, la dislocation de nos solidarités. Et vivant les luttes de façon plus ample, nous pourrions les déployer vers un ailleurs, faciliter leur résonance (…) accueillir les aléas, l'altérité, tout ce qui fait le concret de la lutte, prévenir les déchirures et faciliter l'essaimage ». Et en deçà « lier victoire et défaite dans une histoire plus large, c'est accéder à une continuité qui nous serait propre. Celle-ci pourrait servir l'équilibre entre individu et collectif autant qu'entre tension et respiration : ne plus faire de l'action une césure mais la concentration d'une force qui va, donner à chacun la certitude d'être fibre du nœud collectif en lui laissant la possibilité de se dénouer. Ce serait un moyen d'exporter les victoires jusqu'à un énonciateur réel, et d'empêcher que nous échappe la trame de l'histoire », non pas l'histoire écrite par le capital, celle entre autres du progrès, mais notre propre histoire puisque « nous sommes la nature qui se défend contre l'économie ».
Un des défis est de discerner dans ce que l'ordre distille et impose ce que nous ne désirons pas incarner, refuser la servitude parfois si douce. Le danger du globalisé, c'est la disparition des potentialités d'écarts ou de dissonances avec l'encodage, les organisations pressantes et tentaculaires de l'espace et du temps, la mise aux normes et l'uniformisation de l'expérience - l'IA participe de la perte des perceptions du dehors et de l'éprouvé du réel et qui peut se traduire par la perte de puissance et confiance [9]. Or l'écart, l'autre polarité, sont nécessaires pour sortir de l'habitude et faire qu'une transformation advienne ; le sujet ou l'être ensemble sont sinon par trop stabilisés. L'instabilité est le déséquilibre nécessaire aux mouvements internes de la stabilité, mêmes minimes, elle vaut pour la lutte même, pour dérouter, mais aussi pour notre propre consistance, pour intensifier l'ordinaire. Une brèche s'est faite, et un appel d'air nous relance.
Il n'y a pas un monde vers lequel l'humanité tend et pour lequel les autres espèces devraient s'adapter ou disparaître mais des coexistences vitales. Préserver ce qui n'est pas sous notre main est comme une écologie de la non possession, de l'impermanence et de la finitude qui nous tient aussi dans une certaine exigence. Puisque nous ne pouvons présentement mettre fin à la machine capitaliste énergivore et chronophage, gloutonnant l'espace ou le digitalisant, peut-être pouvons-nous imaginer cesser de la nourrir petit à petit, en étant moins impliqués dans ses rouages, en inventant ou retrouvant des façons d'habiter qui résisteront à la fin (?) du capitalisme et perdureront.
Le sauvage n'est pas notre part manquante mais nous traverse et nous propulse. Ceci sous-entend que nous le manifestons en permanence en de multiples lieux et sous de multiples formes, souvent discrètes, dans des mouvements qui ne font pas qu'aller contre le système mondialisé et en cherchent les failles, mais produisent d'autres voies d'expression, d'agencements et de créations irrécupérables. Penser et agir sauvage c'est se manifester là où « ils » ne nous attendent pas. Il est essentiel de se réapproprier ce dont nous avons été dépossédés, soit initialement se donner les possibilités de poser collectivement des questions cruciales et les manières d'y répondre, pour le présent, pour déborder l'horizon.
Continuer à nourrir nos pensées de toutes parts, retrouver dans le précaire l'humilité de la mesure et dans la démesure déployer des énergies ingénieuses, joyeuses, et surtout audacieuses. Etre nos gestes mêmes, et à l'endroit du sensible se ressaisir d'une façon plus sensuelle, plus viscérale, plus intuitive. La force est en nos cœurs ; s'y réfugier l'espace d'une pause pour mieux en exprimer la puissance de vie libre, depuis le dedans. Non pas réensauvager le dehors ou nos existences mais laisser respirer, amplifier ce qui est, accepter les fragilités, faire exploser ce qui nous enferme, avec fracas ou silencieusement, empreinte après empreinte. Parce que nous sommes sauvages.
Stéphanie Chanvallon
[1] Les transformations génétiques des animaux par la bio-ingénierie et la performance technologique font avancer l'agro-industrie internationale. Cette industrie définit l'existant à partir de son mode de production. Pour exemple, le devenir même d'un poussin poule pondeuse est réduit à ce qu'il est prévu qu'il soit – à condition qu'il ne soit pas sexé masculin car alors son existence et immédiatement refoulé vers une autre destination. Voir Rêver. Machines sauvages, Lundi matin, n° 321, 2022
[2] Jean-François Billeter expose l'idée d'intelligence corporelle et décrit le corps comme « l'ensemble de nos facultés, des ressources et des forces, connues ou inconnues de nous, autrement dit comme un monde sans limites discernables au sein duquel la conscience tantôt disparaît, tantôt se détache à des degrés variables selon les régimes de notre activité ». Leçons sur Tchouang-Tseu, Paris, Allia, 2006, p.119
[3] C'est aussi ce qu'exprime Manon Saovi dans Le corps sensible, terrain de résistance. Dojos autogérés, génération écoféministe et Aïkido, Lundimatin n°497, 2025
[4] Bernard Aspe, Les Fibres du temps, Caen, Nous, 2018, p.41
[5] La force de cette conscience individuelle est qu'elle ne peut se dissoudre au sein du collectif même pleinement engagée alors qu'elle s'exprime aussi à travers et pour lui. Et c'est cela qui donne au collectif sa particularité : sa capacité à se nourrir de chacun et à nourrir chacun. Ainsi, quand les collectifs en viennent à se dissoudre, les forces individuelles se dispersent et reprennent la lutte ailleurs, elles se répandent, se propagent, par résonance, tel le sauvage.
[6] Lundi soir, 16 décembre 2024
[7] Bernard Aspe, Les fibres du temps, Caen, Nous, 2018, p.233
[8] Fred Bozzi & Stéphanie Chanvallon, Que fare de nos défaites. Pour une mutation spirituelle dans les luttes de nature, Lundi matin, n° 355, 2022
[9] Je dirais que l'IA (intelligence artificielle) a pour fonction, entre autres, de remplir l'espace vide qui apparaît entre un individu et une expérience du monde, c'est-à-dire qu'elle décrit l'espace censé être senti initialement par l'élaboration singulière d'une connaissance, par le mouvement qui la fait apparaître ; de fait, l'IA vient nous « dire » ce qu'est le monde tel qu'il doit être et non tel qu'il pourrait être, et nous dépossède davantage tout en faisant disparaître la singularité ou le commun qui façonne quotidiennement.
30.12.2025 à 19:52
Lutte pour la paix ou lâcheté myope ?
Maria Bikbulatova
En France, la résistance ukrainienne à l'invasion russe est souvent appréhendée de manière (géo)politicienne. Faut-il armer Kiev et se faire suppôts l'impérialisme de l'OTAN ou bien laisser les ukrainiens se dépatouiller avec un Poutine qui tente maladroitement de ramener la paix et la prospérité dans la région ? Par-delà toute caricature, la guerre est traversée de contradictions qui apparaissent inextricables, autant à l'échelle de ceux qui nous gouvernent qu'à celles de ceux qui s'y engagent sur place (ou derrière leur écran). Dans ce texte, Maria Bikbulatova, philosophe anarcho-communiste russe, revient sur les appels à la paix repris par La France Insoumise et propose des les inscrire dans la lutte en cours tant sur le front Ukrainien que dans les petites poches de subversion qui persistent en Russie. Partir du réel donc, plutôt que du ciel spéculatif des géopoliticiens de comptoir (ou de l'assemblée).
Le 5 octobre 2025, un congrès anti-guerre (International Meeting against the War / Contre la Guerre) s'est tenu à Paris, organisé par La France Insoumise (LFI), lePOI, la Stop the War Coalition, Codepink et d'autres. Des représentantes de l'organisation « Union des gauches postsoviétiques » (PSL) et de la coalition « Paix par le bas », créée sur la plateforme du PSL, y ont également pris la parole. Ils ont appelé à la solidarité avec les déserteurs d'Ukraine et de Russie, tout en critiquant les livraisons d'armes à l'Ukraine. Ces interventions ont suscité de vifs débats parmi les militantes de sensibilité de gauche et anarchiste.
Peu après, l'activiste et poétesse Galyna Rymbu, vivant en Ukraine, a publié un article et une lettre ouverte dans lesquelles elle critique les positions des figures publiques du PSL et de « Paix par le bas ». Elle y souligne le caractère problématique de la promotion de ces positions en collaboration avec des militantes issus des mouvements masculinistes radicaux. Elle rappelle également que plusieurs dirigeantes de ces initiatives avaient, depuis la Révolution de la Dignité en Ukraine et le début de la guerre en 2014, participé à des mouvements séparatistes prorusses soutenus par le Kremlin, contribuant ainsi à la diffusion de discours prorusses au sein des partis et organisations de gauche européens.
Au cours de l'année écoulée (depuis l'arrivée de Trump au pouvoir), le discours sur la paix à tout prix s'est intensifié dans des segments très variés du spectre politique. Pour l'Ukraine, cela signifie avant tout une paix imposée et aux conditions de la Russie. En ce moment même, nous assistons à un nouveau tournant dans les événements, alors que Trump contraint une fois de plus l'Ukraine à accepter les conditions humiliantes d'un accord dont le projet a été rédigé au Kremlin.
Dans ce contexte, il me semble important d'aborder la question de savoir pourquoi des forces de gauche aussi visibles que La France Insoumise (LFI) et le POI soutiennent de tels discours, comment l'agenda et les stratégies impérialistes s'infiltrent dans les mouvements de gauche en France, et quelles pourraient en être les conséquences.
Je m'appelle Maria Bikbulatova, je suis anarcho-communiste, philosophe politique, traductrice, éditrice et militante originaire de la fédération de russie. Avant le début de l'invasion à grande échelle, je vivais à Saint-Pétersbourg et j'étais affiliée à l'Université européenne, où j'étudiais les phénomènes de culpabilité et de responsabilité. J'étais également l'une des éditrices d'un célèbre journal activiste queer-féministe, sur la base duquel nous tentions de créer des narratifs de résistance à la politique patriarcale et impériale de l'État russe.
En 2022, j'ai déménagé en France et j'ai commencé à tisser des liens avec des militants de gauche européens, avec lesquels nous pouvions réfléchir ensemble à la manière dont les mouvements de base pourraient influencer le cours de la guerre. En particulier, j'ai participé au travail d'un groupe activiste qui cherchait à rendre visible le problème des entreprises européennes (et françaises) qui continuaient à travailler avec l'État russe et le secteur militaire après le début de la guerre à grande échelle. En France, l'un des exemples les plus frappants était l'entreprise Eutelsat, qui pendant deux ans a continué à fournir ses satellites pour la diffusion de chaînes de propagande russes (y compris sur les territoires occupés d'Ukraine). Le fait que « Auchan » aidait l'armée russe avec des produits alimentaires, beaucoup de gens le savent probablement aussi.
Mon mari (également militant de gauche) et moi acceptions toutes les invitations à des événements publics des mouvements de gauche français, où il était possible de discuter de la nature et des conséquences de l'agression militaire russe. Mais souvent, lorsque je parlais des entreprises européennes travaillant avec l'État russe, de la russification forcée, du nationalisme, du sexisme et du racisme comme éléments de la politique d'État en Fédération de Russie, on me répondait : « Oui, mais l'OTAN a provoqué… Oui, mais en Ukraine il y a des nationalistes… ». Peu à peu, j'ai commencé à éviter de telles discussions, car je comprenais que pour les organisations de gauche en Europe, le focus principal était la critique de l'OTAN, et qu'il serait trop difficile de les convaincre que soutenir un impérialisme étranger n'est pas une très bonne manière de lutter contre celui au sein duquel nous vivons.
Au cours de la dernière année, beaucoup de choses ont changé. Trump est arrivé au pouvoir aux États-Unis, et depuis, il tente de pousser l'Ukraine vers des accords de paix humiliants par un chantage que la Fédération de Russie utilise à son tour pour s'emparer de davantage de territoires ukrainiens. S'y ajoutent les problèmes internes des pays européens – en premier lieu, la mise à mal des acquis sociaux. Beaucoup d'Européennes sont également effrayées par les plans d'augmentation des budgets de défense de leurs pays et par la perspective d'une guerre avec la Fédération de Russie. Sur ce fond, dans toutes les parties du spectre politique, s'intensifient les tentatives de normaliser le discours prorusse et d'orienter l'opinion publique vers une « paix à tout prix », même si cette soi-disant paix est dévastatrice pour l'Ukraine.
C'est pourquoi j'ai été plus qu'inquiète lorsque, le 6 octobre, dans la chaîne Telegram « Allo, Macron » (qui relaie les nouvelles du mouvement ouvrier en France pour le public russophone), j'ai visionné l'enregistrement des interventions des dirigeantes du PSL et de « Paix par le bas » (la Russe Elizaveta Smirnova et l'Ukrainien Andriy Konovalov) au congrès anti-guerre au Dôme de Paris.
Au début, Elizaveta Smirnova yparle de solidarité avec les soldats de l'armée russe qui signent des contrats militaires par pauvreté, et sont fatigués de la guerre, ainsi que du fait que Trump ne peut pas aider à ce que la guerre s'arrête. Elle déclare ensuite avec émotion : « De plus en plus de gens meurent ! L'OTAN envoie de plus en plus d'armes ! » et propose de passer à des mesures, selon elle, plus efficaces pour atteindre la paix comme faire du 19 janvier une journée de solidarité avec les déserteurs russes.
Le 19 janvier n'est pas une date choisie au hasard, c'est le Jour du souvenir pour les antifascistes russes Markelov et Baburova, assassinés en 2009. Le public français et européen ne verra probablement rien d'étrange dans cette initiative. Mais pour beaucoup de russophones connaissant le contexte, la proposition de faire de ce jour de mémoire antifasciste, un jour de solidarité avec les déserteurs russes, est profondément problématique. Nous avons de bonnes raisons de craindre que dans ce cas, les noms de Markelov et Baburova puissent être manipulés.
Il existe de nombreuses organisations activistes anti-autoritaires et personnes venant de Russie qui s'identifient comme antifascistes et ne se retrouvent pas dans la rhétorique des dirigeants du PSL et de « Mir Snizu », qui tentent de présenter l'Ukraine comme un pays « fasciste/nazi » et le peuple ukrainien comme dépourvu d'autonomie politique. Parmi ces antifascistes russes, il y a Dmitri Petrov (Leshiy), mort en combattant aux côtés de l'Ukraine.
Ce n'est pas la première fois que les dirigeants du PSL et de « Paix par le bas » tentent d'effacer ou même d'insulter la mémoire des antifascistes russes qui ne partagent pas leurs opinions. Récemment, un des dirigeants de « Mir Snizu » et de la section allemande du PSL, Alexandre Voronkov, a qualifié Dmitri Petrov ainsi qu'un autre antifasciste internationaliste, Cooper (lui aussi mort en combattant l'agression russe), de « mutilés moraux ». Lors de la même discussion, le dirigeant de la section française du PSL, Andréï Demidov, décrivait les militantes de gauche ukrainiens défendant leur droit à la résistance armée contre l'agression russe, comme des « apologistes du suicide collectif ».
Mais revenons à l'intervention de Smirnova. Cela m'a fait mal d'entendre la salle, où se trouvaient 4000 militantes de gauche venuses de différents pays du monde, exploser en applaudissements en réponse à la proposition d'arrêter l'agression russe par une journée de solidarité avec les déserteurs. Je me suis dit : les gens ne voient donc pas la démagogie évidente dans ce discours ? « Les soldats russes souffrent – Trump n'aide pas – Les livraisons d'armes à l'Ukraine n'aident pas – Le 19 janvier comme journée de solidarité avec les déserteurs russes aidera ». Il m'est difficile de me rappeler un exemple historique où une journée de solidarité ait protégé des bombes et des missiles de l'agresseur.
Bien sûr, il faut soutenir les personnes qui esquivent le service dans l'armée de l'agresseur ou qui en désertent les rangs (et pour cela existent des initiatives comme « Idite lesom »).
Mais il n'est pas évident de comprendre pourquoi la réduction des effectifs de l'armée de l'agresseur devrait nécessairement passer par une diminution des livraisons d'armes à l'Ukraine. De même, on ne voit pas clairement en quoi le désarmement de l'Ukraine pourrait aider les déserteurs russes.
Aussi, le discours de Smirnova laisse l'impression que les vies des militaires russes sont, pour elle, politiquement prioritaires sur celle des Ukrainiens. Elle ne répond d'ailleurs pas à la question de qui assurera la sécurité de la population civile en Ukraine pendant que nous priorisons l'amélioration des conditions d'existence des soldats du camp agresseur ? Plus tard, Elizaveta Smirnova, alors qu'elle commente son intervention du 5 octobre, affirme également que les armes actuellement fournies à l'Ukraine ne servent ni le bien ni la protection du peuple ukrainien.
De son côté, Konovalov parle des violations des droits humains en Ukraine, du fait que des hommes sont enrôlés de force dans l'armée et qu'on ne leur permet pas de quitter le pays. Il propose d'arrêter l'aide militaire à l'Ukraine et de consacrer les mêmes ressources à contraindre l'Ukraine à respecter les droits humains.Ce n'est pas la première fois que Konovalov suggère aux forces politiques d'opposition de gauche européennes et russes de faire du chantage aux livraisons d'armes pour exiger de l'Ukraine le respect des droits de l'homme. Les droits de l'homme sont évidemment très importants, mais il est aussi évident que, dans cette déclaration, cette notion est instrumentalisée.
Dans ce contexte, il est important de poser des questions à ceux qui offrent une tribune à des personnes comme Konovalov. LFI et le POI critiquent régulièrement l'OTAN, mais de quelle manière le chantage et l'ingérence dans les affaires d'un pays souverain comme l'Ukraine ne sont-ils pas des manifestations de l'impérialisme occidental ? Comment des méthodes semblables à celles de Trump s'inscrivent-elles dans l'agenda de gauche ? Ou bien, peut-être que du fait que la pression sur la Russie n'a pas produit l'effet escompté par les pays de l'UE, les forces de gauche considèrent-elles désormais acceptable de faire pression sur les victimes d'une agression impérialiste et d'exiger d'elles le respect des droits humains (alors que les pays de l'UE eux-mêmes ne s'en acquittent que médiocrement) ? Pourquoi les problèmes de l'État ukrainien justifient-ils de mettre en danger la sécurité de tout le peuple ukrainien ?
Lors de son intervention, Konovalov a également prononcé la phrase suivante : « Tout à fait semblables à Israël, alors qu'ils condamnent la Russie pour son mépris des droits humains, les gouvernements acceptent et légitiment la pratique systémique de la torture en Ukraine ». Il convient d'examiner cela plus en détail. Cette phrase n'a pas été prononcée par hasard dans cette assemblée, car de nombreux militantes présents au congrès manifestaient avant tout leur solidarité avec la Palestine. L'utilisation rhétorique d'un argumentaire pro-palestinien contre l'Ukraine est évidemment ici une stratégie politique.
Dès le début de la guerre à grande échelle, nous avons observé des tensions entre des personnes non-blanches de diverses origines demandant l'asile en Europe et les personnes déplacées temporairement venant d'Ukraine. Plusieurs facteurs se sont superposés. D'un côté, les États européens ont, en moyenne, mieux traité les Ukrainiens déplacés par la guerre que les réfugiés non blancs. Cependant, la situation évolue lentement dans un sens moins favorable aux Ukrainiens, à mesure qu'il devient clair que l'aide nécessaire n'est pas temporaire mais durable. Il reste néanmoins compréhensible que des sentiments douloureux puissent naître chez les réfugiés moins favorisés venant de Syrie, d'Afghanistan ou des pays subsahariens.
Les tensions ont été alimentées par les déclarations de politiciens qui affirmaient à la télévision et dans les grands médias que l'immigration en provenance d'Ukraine était « de qualité », car les Ukrainiens sont des Européens et des chrétiens. Macron en premier lieu a joué la carte de l'aide à l'Ukraine dans ses discours publics, bien que – si l'on examine les données officielles – la France ait accueilli bien moins de personnes déplacées temporairement en raison de la guerre par rapport à la Pologne, l'Allemagne ou d'autres pays de l'UE géographiquement plus proches de l'Ukraine. De même, la France a fourni un volume relativement modeste d'armes par rapport à l'Allemagne. Néanmoins, français ou personnes migrantes ont en général connaissance des politiques publiques via les discours politiques dans les médias mainstream, et connaissent souvent mal la réalité des faits. Aussi, le sentiment que la France soutien très fortement l'Ukraine, ne correspond pas tout à fait à la réalité.
À cela s'ajoute le fait que de nombreux Ukrainiens s'identifient comme Européens et souhaitent que l'Ukraine rejoigne l'Union européenne. Pour les Ukrainiens, il s'agit d'aspirations à la démocratie, à la protection des droits humains et, surtout, à la libération définitive du colonialisme séculaire exercé par l'Empire russe puis l'Union soviétique et aujourd'hui par la fédération de russie. Pour de nombreuses personnes non blanches, qui ne sont pas considérées comme européennes (même si elles sont nées et ont grandi en Europe depuis plusieurs générations), les Ukrainiens apparaissent privilégiés. Pour les gauches européennes, leur aspiration à rejoindre l'OTAN pour se protéger de l'agresseur semble douteuse.
Nous observons une réalité complètement différente en ce qui concerne le soutien à la Palestine. De nombreux États européens (y compris la France) répriment massivement les actions de solidarité avec la Palestine, soit reconnaissent nominalement l'existence de l'État palestinien, mais sans que cela ne s'accompagne ni d'une aide militaire ni d'une solidarité politique effective.
La succession de ces faits, finit alors pas se résumer dans les discours de PSL et Mir Snizu en une formule politique simpliste et malhonnête : « L'Europe aide l'Ukraine avec des armes, elle aide aussi Israël avec des armes. Les États européens accueillent les Ukrainiens mais pas les Palestiniens », Les mots prononcés par Konovalov ont alors pour effet de focaliser sur l'Ukraine le sentiment d'injustice et la colère générale face à l'incapacité des États européens à agir fermement pour mettre un terme au génocide des Palestiniens.
Comment se fait-il que la colère légitime face au racisme structurel des États européens soit dirigée contre l'Ukraine ? Cela ressemble à un mécanisme psychologique éculé : Ne pouvant rien faire contre un agresseur, on canalise son agressivité vers quelqu'un de plus atteignable. Mais, l'Ukraine doit-elle recevoir depuis la gauche ces coups qui ne lui sont pas destinés ? Des coups qui, cumulés à d'autres, pourraient lui être fatals.
Les pays européens soutiennent l'Ukraine du fait que la guerre en Europe les préoccupe évidemment davantage que les guerres sur d'autres continents.
Mais il me semble que les personnes de gauche doivent être conscientes du fait que les Ukrainiens ne sont responsables ni du racisme structurel des pays européens, ni de la manière dont ces pays se comportent à l'égard de la Palestine. Il est bien entendu essentiel de rappeler sans cesse les nécessités d'un soutien sans faille des personnes venant d'Afrique et du Moyen-Orient, ainsi que d'une lutte active contre le racisme et les inégalités qu'il engendre et pour un accueil inconditionnel des personnes migrant.e.s
Cependant, opposer les victimes de différents impérialismes et les pousser à se disputer l'attention et la solidarité de la gauche européenne ne sert en rien ces luttes, mais aggrave la situation en Ukraine en entravant la solidarité internationale.
Dans ce contexte, le discours très médiatisé de Mélenchon lors du meeting LFI en août 2025 suscite bien plus que de l'inquiétude. Mélenchon y prononçait un vibrant plaidoyer en faveur de la Palestine, dénonçant l'impérialisme. Puis il affirmait qu'il n'aurait jamais fallu blesser la Russie, et que le simple fait que l'UE ait cherché à se rapprocher de la Géorgie et de l'Ukraine dès 2008 a conduit la Russie à se défendre. Le sens de son discours était qu'il ne faut pas toucher aux espaces post-soviétiques (c'est-à-dire ces États historiquement liés aux intérêts coloniaux de la Russie), car cela n'a aucun intérêt pour la France.
Ces derniers temps, en France, de nombreuses discussions internes portent sur la militarisation etles déclarationsselon lesquelles la France doit se préparer à une guerre avec la Russie dans quelques années. Et bien sûr, certaines forces politiques sont intéressées à gonfler excessivement le budget militaire français en exploitant la peur des gens. Cependant, il est difficile de comprendre en quoi le projet de loi de finances (PLF 2026) a un rapport avec la situation actuelle en Ukraine puisque celui-ci se concentre sur le renforcement de la défense européenne, sans ventilation détaillée pour l'Ukraine ni d'indication d'un montant fixe alloué à Kiev, contrairement aux mêmes documents des années 2024-2025.
Pour beaucoup, les déclarations de Mélenchon (« Nous ne voulons pas de guerre ! »), prononcées dans ce contexte, sont une tentative de résister à l'hystérie militariste. Mais ce n'est qu'une manière d'aborder le problème. Il existe un potentiel agresseur sous la forme de la Fédération de Russie, avec lequel une guerre est possible. Certains disent qu'il faut se préparer à la guerre, accepter des sacrifices dès maintenant et être prêt à des sacrifices encore plus grands à l'avenir tandis que d'autres affirment qu'il suffit de ne pas provoquer l'agresseur – lui donner ce qu'il veut (l'Ukraine ou une partie de son territoire), et qu'alors il n'aura pas d'intérêt à s'en prendre à nous.
Le problème ne réside pas seulement dans le fait que cette dernière position va à l'encontre de toute forme de solidarité internationaliste (sauf avec l'impérialisme russe). mais aussi qu'elle est aveugle au fait que lorsque l'agresseur obtient ce qu'il veut, il s'arrête rarement.
La guerre est l'instrument principal de Poutine depuis le début de son règne. Pour maintenir son pouvoir et assurer l'accès aux ressources pour les oligarques qui lui sont loyaux, le poutinisme se construit constamment de nouveaux ennemis. L'idéologie d'État séduit une partie de la population rêvant d'un retour à la grandeur passée, d'opposition à « l'Occident » et aux prétendues valeurs individualistes imposées par celui-ci. Une autre partie de la population se trouve effrayée et convaincue que ce n'est pas le moment de réclamer des changements, alors qu'un ennemi se trouve aux portes de la Fédération de Russie (ou à l'intérieur d'elle). Cette stratégie profite à la Russie, il est donc probable qu'une pause, lui permette de reprendre des forces et de lancer une nouvelle guerre. De plus, tant que Poutine ou ses successeurs seront au pouvoir, les répressions politiques à l'intérieur de la Russie ne cesseront pas et seront encore plus brutales sur les territoires d'Ukraine occupée.
Comment les forces de gauche françaises réagissent-elles à ces défis ?
À l'heure actuelle, les livraisons d'armes à l'Ukraine sont soutenues par certaines communautés anarchistes et antifascistes. Le NPA (R) déclare que le peuple ukrainien a le droit à l'autodéfense.
LFI s'oppose globalement aux livraisons d'armes. Les dirigeants du PSL et de « Mir Snizu » (Konovalov, Sakhnin) affirment dans les médias de gauche russes qu'ils conseillent personnellement Mélenchon et LFI sur la guerre de la Russie contre l'Ukraine, la subjectivité politique du peuple ukrainien et la situation politique intérieure en Ukraine. Pourtant, ils n'entretiennent aucune relation avec les réels grands mouvements et organisations de gauche en Ukraine et ne divulguent pas les sources sur lesquelles repose leur analyse politique.
Comment se fait-il que des personnes n'ayant aucun lien avec les mouvements de gauche en Ukraine représentent en France les positions des gauches ukrainiennes ? Qui portera la responsabilité des erreurs et des manipulations dans leur « analyse politique » ? Qui portera la responsabilité si les groupes d'extrême droite avec lesquels ils collaborent passent à des actes de provocation et de violence, en utilisant les plateformes politiques des organisations de gauche dans l'UE ?
Jean-Luc Mélenchon soutient les activistes de « Mir Snizu » et du PSL non seulement médiatiquement, mais aussi matériellement. Pourquoi, parmi toutes les forces de gauche dont la position aurait pu être mise en lumière, choisit-il précisément celles-ci ? Dans quelle mesure la position du PSL/« Mir Snizu », représentée par exemple dans leur « Résolution sur le régime ukrainien » ou dans les interventions de l'un de leurs leaders, Viktor Sidorchenko (où celui-ci appelle à intégrer totalement l'Ukraine à la Fédération de Russie dans le but de restaurer une nouvelle Union soviétique), s'inscrit-elle dans la stratégie politique de Jean-Luc Mélenchon et de LFI ?
L'arrêt de l'aide à l'Ukraine, déguisé en pacifisme et en une parodie de solidarité internationale, semble être une solution simple et compréhensible à un problème complexe. La complexité réside dans le fait qu'il faut analyser dans quelle mesure la réduction des garanties sociales est liée à l'aide militaire à l'Ukraine car il est en effet possible que, cette carte (l'aide à l'Ukraine) puisse être jouée par des politiciens libéraux simplement comme justification pour mener des réformes impopulaires.
Pour le moment, nous observons, de la part de l'Europe une réduction de l'aide militaire à l'Ukraine. Aide qui, rappelons-le, n'est pas fournie gratuitement. Le budget de défense français augmente, mais comment compte-t-on le dépenser ? Pour l'achat de matériel aux États-Unis, alors que l'usine de confection d'uniformes militaires du nord de la France a récemment fermé, entraînant du chômage et – par conséquent – une montée des sentiments d'extrême droite dans la région... En effet, la militarisation est un sujet complexe, voire douloureux pour les personnes de gauche. D'un côté, les politiciens de droite cherchent réellement à réduire les garanties sociales au profit du budget militaire, ce qui permet au passage à de nombreux acteurs d'en tirer un profit considérable. De l'autre, il existe une menace bien réelle de la part de la Fédération de Russie, qui, à travers des cyberattaques et des drones, teste régulièrement la capacité des pays de l'UE à réagir. Ignorer cette menace et se bercer de l'illusion que la Russie se calmera si elle obtient ce qu'elle revendique en Ukraine pourrait avoir de graves conséquences.
Dans une analyse récente, Hanna Perekhodaécrit :
« Au niveau national, pour la plupart des pays d'Europe centrale et occidentale, il n'y a aucun risque d'invasion militaire directe. Et de nombreux populistes de gauche et de droite ne s'expriment qu'en termes nationaux : “Il n'y a pas de menace militaire pour notre nation, alors pourquoi dépenser de l'argent pour la défense ?”
Mais cette position est contre-productive. En attisant les sentiments isolationnistes, la gauche fait le jeu de l'extrême droite. L'extrême droite est plus cohérente car elle promeut l'égoïsme dans tous les domaines, de sorte que la gauche est toujours perdante à ce jeu.
Si nous adoptons plutôt une perspective européenne, nous devons admettre que oui, l'Europe en tant qu'entité est menacée. [...]
Un scénario plausible serait une provocation dans les pays baltes, destinée à tester la crédibilité de la dissuasion européenne. Ce qui constitue une invasion et ce qui n'en est pas une est toujours une question d'interprétation. N'oubliez pas que les avions de combat russes violent déjà l'espace aérien d'autres pays. Pas à pas, ils testent jusqu'où ils peuvent aller.
[...]
En Europe occidentale, la menace est différente. Il s'agit moins d'une invasion que de la montée de l'extrême droite. Pour Poutine, pour Trump, pour J. D. Vance, le scénario idéal est clair : une Europe de l'Est sous domination russe, une Europe occidentale dirigée par des gouvernements d'extrême droite qui acceptent leur vision d'un monde divisé en zones d'influence autoritaires.
Ici, la défense a donc une autre signification : lutter contre la désinformation, protéger les infrastructures, bloquer l'argent étranger dans la politique, se défendre contre les cyberattaques, le sabotage et le chantage énergétique. Et aider ceux qui ont immédiatement besoin d'armes pour survivre. »
Hannah Perekhoda établit également une distinction entre militarisation et défense :
« Le militarisme, c'est la guerre comme opportunité commerciale, motivée par le profit capitaliste. C'est aussi placer la guerre au centre et y subordonner toute la société. La défense, c'est la capacité de la société à se protéger contre les agressions. [...]
Le problème n'est pas la production en soi. Le problème est de laisser le marché décider ce qui est produit, pour qui et selon quelles règles. C'est là que se trouve le véritable champ de bataille. Qui décide ? Dans quel but ? Dans quelles conditions ? Et c'est là que la gauche a un rôle crucial à jouer s'agissant des armes : imposer des règles strictes en matière d'exportation, la transparence des contrats, le contrôle démocratique sur leur destination. »
Bien sûr, face à toutes ces nuances possibles, il est bien plus confortable de promouvoir l'idée que les soldats fatigués de l'armée russe se soulèveront bientôt contre le régime de Poutine, si seulement l'Europe les y aide par son inaction. Je ne crois guère à ce scénario pour plusieurs raisons. Premièrement, les discours sur la faiblesse du régime poutinien, qui craque de toutes parts et va s'effondrer parce que les gens sont fatigués et mécontents, durent depuis 15 ans. Deuxièmement, l'idée que l'histoire (la révolution en Russie d'il y a un siècle) va se répéter très bientôt – que ce soit une illusion ou une fable délibérément construite pour les Européens – n'a que peu de fondements dans la réalité.
Malgré la croissance du nombre de déserteurs russes, rien n'indique qu'ils s'auto-organisent en mouvements prêts à défier le pouvoir et dotés d'une agenda politique clair. En 2025, en Fédération de Russie, des protestations ont eu lieu contre le blocage de WhatsApp et Telegram, les gens résistent à l'installation forcée du messager Max, ils soutiennent les musiciens de Stoptimearrêtés pour avoir interprété des chansons d'« agents étrangers ». Tout cela inspire du respect pour ceux qui continuent de protester malgré les risques extrêmement élevés que fait planer la répression. Néanmoins, qualifier cela de situation révolutionnaire serait irresponsable.
En fin de compte, que se passera-t-il si l'aide française à l'Ukraine est arrêtée, sans que les garanties sociales promises ne soient préservées ? Que se passera-t-il si les forces politiques françaises qui adhèrent à cette rhétorique, laissant l'Ukraine sans soutien et la livrant ainsi à Poutine, échouent à réaliser leurs projets fantaisistes ?
Maria Bikbulatova
30.12.2025 à 19:51
Relire Le Corps de l'ennemi d'Alain Brossat
- 29 décembre / Avec une grosse photo en haut, 2, Positions
Dans le paysage de la philosophie politique contemporaine, la réédition (L'Harmattan, « Quelle drôle d'époque ! », 2025) du Corps de l'ennemi d'Alain Brossat, près de trois décennies après sa parution originale (éditions La Fabrique, 1998), est encore aujourd'hui un événement. Car ce n'est pas seulement la résurrection d'un texte que son auteur qualifie lui-même de « grand brûlé », mais la réouverture d'une plaie béante dans notre compréhension de la violence démocratique. L'ouvrage, augmenté d'une préface lucide et désenchantée, se propose d'explorer la tension irréductible entre le processus de civilisation — entendu comme pacification des mœurs politiques — et la persistance spectrale de la « zoopolitique », cette propension à traiter l'adversaire non comme un pair, mais comme une bête à abattre.
L'essai s'articule autour d'une hypothèse forte, d'inspiration éliasienne : l'avènement de la démocratie moderne serait consubstantiel à un mouvement de « désanimalisation » de la politique. Brossat interroge ce passage d'une violence immédiate, vitale et exterminatrice, à une conflictualité médiatisée par le langage et le droit.
L'analyse s'ouvre sur une relecture saisissante de l'Iliade, posant la figure d'Achille comme l'incarnation de l'hyperviolence pré-politique. Achille n'est pas simplement un guerrier, c'est un « exterminateur » qui, refusant tout pacte avec Hector, renvoie le conflit à une lutte d'espèces : « Il n'y a point d'alliances entre les lions et les hommes ». Cette « fureur » achilléenne, qui suspend l'ordre humain pour rétablir une vérité zoologique du combat, sert de contrepoint absolu à l'ambition démocratique moderne.
La première partie de l'ouvrage examine comment le XIXe siècle français a tenté d'opérer cette extraction de la politique hors de la sphère zoologique. Brossat convoque trois figures tutélaires : Renan, Hugo et Marx.
Ernest Renan et la désanimalisation de la nation. Brossat montre comment Renan tente de séparer la nation (principe spirituel, adhésion volontaire) de la race (détermination biologique). Renan exhorte à « l'oubli » des origines violentes pour fonder le vivre-ensemble, percevant la racialisation comme une rechute dans la guerre des espèces. Cependant, Brossat pointe avec acuité l'angle mort de cette pensée : l'occultation de la violence coloniale, où la zoopolitique refoulée en métropole se déchaîne outre-mer.
Victor Hugo et l'interdit du tyrannicide. L'analyse des Châtiments révèle un paradoxe fascinant. Alors que Hugo sature son discours d'une imagerie animale pour vilipender Napoléon III (« pourceau », « chacal », « hyène »), il prononce simultanément l'interdit du meurtre du tyran. Ce « Non ! » au régicide marque, selon Brossat, un seuil de civilisation : le refus de répondre à l'hyperviolence par l'hyperviolence, et la volonté d'inclure le monstre dans l'ordre de la loi, fut-ce sous la forme du châtiment.
Marx et la lutte des classes. L'auteur examine comment le matérialisme historique tente de substituer la destruction de rapports abstraits (Le Capital) à l'extermination de corps physiques. Pourtant, la tentation de la zoologie sociale demeure, notamment lors des tragédies de 1848 et de la Commune, où la bourgeoisie perçoit l'insurgé comme une bête fauve, et où, plus tard, le bolchevisme réactivera la métaphore de l'insecte nuisible (le « pou », le « parasite ») pour justifier l'élimination de classe.
L'un des apports les plus denses de l'ouvrage réside dans l'analyse du glissement sémantique et pratique de l'animalisation. À la fin du XIXe siècle, la figure de l'ennemi « féroce » (le lion, le tigre) cède le pas à celle de l'ennemi « parasitaire » (le microbe, le rat, le pou). Ce passage d'une imaginaire de la prédation à celui de l'infection accompagne la montée du discours scientifique, hygiéniste et racial. L'extermination ne se pense plus comme un combat épique, mais comme une procédure de désinfection ou d'éradication prophylactique, pavant la voie aux biopolitiques totalitaires du XXe siècle. Nous assistons alors à la mutation de l'hostilité, celle du tigre au pou.
La seconde partie, plus théorique, interroge le destin de l'hyperviolence dans nos démocraties pacifiées. Brossat y développe l'idée que la démocratie ne supprime pas le monstre, mais tente de l'inclure par le droit. C'est le passage de la vengeance souveraine au procès pénal.
L'analyse du procès Papon illustre magistralement cette aporie. Brossat souligne la déception inhérente à ce type de procès : on y cherche le « monstre » (l'animalité féroce), et l'on ne trouve qu'un fonctionnaire gris, un « criminel de bureau ». Cette « indétectabilité du monstre » dans la banalité administrative constitue le défi majeur lancé à l'intelligibilité politique contemporaine. Le droit, en tentant de normaliser l'exceptionnel (le crime contre l'humanité), se trouve confronté à ses propres limites.
Ce qui confère à cette réédition une densité philosophique particulière, c'est la préface de 2025, véritable acte de contrition intellectuelle. Brossat y avoue que son livre, écrit sous l'influence d'une « théologie politique » de la démocratie triomphante des années 90, a vieilli. La critique et l'autocritique se dilue dans le vertige du présent.
L'auteur reconnaît trois limites majeures à son analyse initiale. Premièrement, l'illusion du processus irréversible : la pacification tendancielle des mœurs est démentie par la « décivilisation » actuelle et la brutalisation des démocraties libérales. Deuxièmement, l'impensé colonial : le livre sous-estimait, regrette-t-il, la matrice coloniale de la modernité politique, où la pacification intérieure avait pour corollaire une violence illimitée aux confins. Et, enfin, la rupture anthropologique. Brossat admet ne pas avoir assez rompu avec le partage aristotélicien entre humanité et animalité, qui fonde l'anthropocentrisme occidental.
À la lumière de l'anéantissement de Gaza et des nouvelles formes de criminalité d'État, Brossat renverse sa perspective : la démocratie ne bannit pas l'hyperviolence, elle peut s'en faire le vecteur. La « biopolitique » (faire vivre) se convertit aisément en « thanatopolitique » (faire mourir).
Le corps de l'ennemi est un ouvrage dont la pertinence réside paradoxalement dans ses fractures. S'il pèche parfois par un idéalisme démocratique que son auteur est le premier à désavouer aujourd'hui, il offre une généalogie indispensable de nos affects politiques. Il démontre que l'animalisation de l'autre n'est pas un accident de l'histoire, mais une potentialité structurelle du pouvoir, toujours prête à resurgir sous le vernis du droit.
C'est un livre inquiet et inquiétant, écrit dans une langue riche, parfois emphatique, qui oscille entre l'analyse conceptuelle rigoureuse et la prophétie sombre. En nous rappelant que « le monstre est un passe-muraille », Alain Brossat nous avertit que la frontière entre la cité réglée et la jungle zoopolitique n'est jamais définitivement tracée.
Jean Claude Noël