27.06.2025 à 21:00
(Washington) – Des entretiens avec des policiers et des documents internes de la police au Salvador révèlent des pratiques abusives ayant conduit à des arrestations arbitraires et à des abus de pouvoir, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Des policiers ont déclaré à Human Rights Watch que de nombreuses arrestations dans le cadre de la « guerre contre les gangs » en cours résultaient de pressions exercées sur les policiers pour qu'ils atteignent leurs quotas quotidiens d'arrestations, et reposaient sur des preuves douteuses ou même fabriquées. Ces policiers ont décrit des arrestations fondées sur de simples tatouages, sur des informations manifestement fausses figurant dans des rapports de police ou sur des appels anonymes non corroborés. Ils ont également décrit un climat d'impunité qui a conduit certains policiers à exiger des pots-de-vin et, dans certains cas, à exiger des relations sexuelles de femmes en échange de la non-arrestation de leurs proches.
« Le président Nayib Bukele présente sa politique de sécurité comme un modèle positif pour le monde, mais les policiers avec lesquels nous nous sommes entretenus racontent une tout autre histoire », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « Leurs témoignages offrent un aperçu rare de la manière dont la police salvadorienne a fabriqué des preuves pour atteindre ses quotas d'arrestations, extorqué des personnes innocentes, contourné les procédures régulières et bafoué des décisions judiciaires. »
Depuis mars 2022, le Salvador est sous état d'urgence, dans le cadre duquel certains droits à une procédure régulière ont été suspendus. Depuis lors, les forces de sécurité auraient arrêté plus de 86 000 personnes, dont plus de 3 000 enfants.
Human Rights Watch a mené des entretiens avec 11 policiers salvadoriens, dont la durée de l’expérience professionnelle est comprise entre 9 ans et 31 ans. Neuf sont des membres actifs de la police. Les deux autres possèdent une connaissance approfondie des pratiques policières, et entretiennent des liens étroits avec leurs collègues actuellement en poste. Il s’agissait d’agents de police, de sergents, d’enquêteurs et de techniciens médico-légaux travaillant dans les États de San Salvador, de Santa Ana et de San Vicente. Quatre entretiens ont été menés en personne à San Salvador, les autres ont été menés par téléphone. Human Rights Watch s’est abstenu de divulguer les noms des policiers et d'autres informations permettant de les identifier, pour des raisons de sécurité. Human Rights Watch a corroboré leurs témoignages en examinant des documents internes de la police, des décisions de justice, ainsi que des témoignages d'autres policiers et de victimes d'abus.
Human Rights Watch a précédemment documenté des violations généralisées des droits humains commises pendant l'état d'urgence, notamment des arrestations arbitraires, des actes de torture et d’autres mauvais traitements, ainsi que de graves violations des garanties procédurales. La grande majorité des détenus sont en détention provisoire, souvent dans des conditions abjectes.
Les onze policiers ont certes évoqué les graves problèmes de sécurité posés par les gangs et reconnu que la violence liée aux gangs avait considérablement diminué ; toutefois, ils ont dénoncé les tactiques imposées par les supérieurs hiérarchiques. Les policiers ont déclaré être souvent sanctionnés s'ils n'atteignaient pas les quotas quotidiens d'arrestations. Certains ont affirmé ne pas pouvoir quitter leur service, prendre un repas ou se reposer au commissariat tant qu'ils n'avaient pas atteint leur quota. Lorsque des policiers refusaient ou exprimaient des inquiétudes quant au manque de preuves justifiant une arrestation, ils étaient menacés de mutations indésirables, ou d'inculpation pour « manquement au devoir ».
Des policiers ont aussi affirmé que certains dossiers étaient fabriqués de toutes pièces. Un policier a déclaré : « Il n'y a pas d'enquête. La police se contente de créer des profils. Ce sont des actes arbitraires… Ce profil devient la “preuve” de l'appartenance à un gang. »
Un autre policier a déclaré : « [Une personne] appelait simplement pour dire que quelqu'un était un “collaborateur”, et nous allions l'arrêter. » Il a résumé cette pratique ainsi : « Détenir d'abord, enquêter ensuite. »
De nombreux policiers ont déclaré que les accusations reçues par appels anonymes, qui ont parfois conduit à des arrestations, se sont avérées fausses et fondées uniquement sur des conflits personnels. Comme l'a expliqué un policier : « Des gens étaient arrêtés simplement parce qu'un voisin ne les aimait pas. »
Certains policiers ont également déclaré avoir reçu des instructions interdisant la libération des personnes détenues. Ils ont décrit un « protocole » visant à créer un nouveau dossier contre toute personne dont la libération avait été ordonnée par le tribunal, afin de la réarrêter immédiatement ; parfois, selon un policier, un détenu libéré était réarrêté « dès qu'il franchissait les portes de la prison ».
Les policiers ont également expliqué que l'état d'urgence et l'absence d’obligation de rendre des comptes avaient engendré un climat d'impunité. Selon l’un d’entre eux, la police se sentait « toute-puissante ».
Plusieurs policiers ont ajouté que les conditions de travail difficiles, les bas salaires et les risques pour la sécurité personnelle – problèmes persistants au Salvador – favorisent la corruption et les abus de pouvoir.
Des policiers ont décrit comment certains collègues extorquaient des personnes et se livraient à des actes d'exploitation sexuelle. « [Ils disent aux gens] : "Si vous ne faites pas ce que je demande, je vous traiterai selon l’état d'urgence" », a expliqué un policier. « L'état d'urgence est devenu un outil de coercition. »
« La violence des gangs a clairement diminué au Salvador », a déclaré Juanita Goebertus. « Mais les Salvadoriens ne sont pas véritablement en sécurité : ils sont exposés au risque d’abus commis en toute impunité par les forces de sécurité. Or, l'expérience montre que ces abus ne feront que s'aggraver et se propager si tout policier n'est pas tenu strictement responsable de ses actes. »
Suite en anglais, comprenant des témoignages de policiers.
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27.06.2025 à 11:35
La police hongroise a interdit aux personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) hongroises et à leurs sympathisants de se rassembler pacifiquement pour célébrer la Marche des Fiertés, tout en autorisant un groupe d’extrême droite à défiler le même jour.
Un autre événement lié à la communauté LGBT, prévu pour coïncider avec la Pride officielle à Budapest le 28 juin, a été interdit à trois reprises par la police. Les organisateurs ont contesté cette interdiction devant la Cour suprême, mais malgré deux décisions en leur faveur et l'ordre donné à la police de réexaminer leur demande, la Cour a finalement confirmé l'interdiction.
En réponse aux tentatives des autorités de restreindre la liberté de réunion, le maire de Budapest a annoncé le 17 juin que la ville, en collaboration avec les coorganisateurs de Rainbow Mission, accueillerait la Pride officielle comme un événement municipal, qui ne nécessite pas l'autorisation de la police. La police a tout de même émis une interdiction de l'événement, tandis que le maire a insisté pour que la Marche des Fiertés ait lieu le 28 juin. Le statut juridique de la Marche des Fiertés du 28 juin demeurait incertain, lors de la rédaction de cet article.
Au même moment, le 16 juin, un groupe d'extrême droite connu pour ses propos haineux a informé la police qu'il organiserait son propre rassemblement le jour de la Marche des Fiertés, le long de l’itinéraire habituel. Contrairement à la Pride, qui est pacifique, la police n'a pas interdit cette marche.
Le gouvernement hongrois discrimine et attise la haine à l’encontre des personnes LGBT depuis longtemps. Une loi controversée de 2021 interdit toute expression publique des identités LGBT, les présentant comme nuisibles aux enfants et les assimilant à tort à la pédophilie.
De nouvelles réformes juridiques draconiennes confortent les récentes tentatives des autorités d'interdire la Pride et d'autres événements LGBT, notamment des modifications constitutionnelles adoptées en avril sous prétexte de donner la priorité à la « protection de l’enfance », au détriment de la plupart des droits fondamentaux, et une réforme de la loi sur la liberté de réunion adoptée en mars.
Ces interdictions et ces lois discriminatoires ont fait l’objet de critiques internationales. En mai, 20 États membres de l'Union européenne ont publié une déclaration commune pour condamner les mesures législatives hongroises interdisant la Marche des Fiertés de Budapest et ont exhorté la Commission européenne à déployer tous ses outils de contrôle du respect de l'État de droit, à moins que Budapest ne revienne sur ces mesures.
La Pride est plus qu'une simple marche, c'est une célébration de l'amour, de la diversité, de l'égalité et de la liberté d'être soi-même. En Hongrie, cette liberté est menacée. Le droit de réunion pacifique est un pilier de la démocratie. Le gouvernement hongrois le considère comme facultatif.
Les dirigeants hongrois doivent revenir sur ces interdictions, abroger les lois discriminatoires et garantir que la Marche des Fiertés de Budapest puisse se dérouler publiquement et en toute sécurité. La Pride n'est pas une menace, la haine l'est.
25.06.2025 à 06:00
(Washington) – Un an après le déploiement en Haïti du premier contingent de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), autorisée par les Nations Unies, les violences et les atteintes aux droits humains continuent à augmenter, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Les pénuries continuelles de personnel, de fonds et d’équipement ont nettement limité la capacité de la MMAS à contenir les violences, qui se sont intensifiées, notamment dans la capitale d’Haïti, tuant au moins 2 680 personnes et faisant 957 blessés, selon les données de l’ONU. Le dernier rapport du Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, mettait en évidence une inquiétante montée des graves violations commises à l’encontre des enfants, passées de 383 incidents en 2023 à 2 269 incidents en 2024. Parmi ces violations, on comptait douze fois plus de cas de recrutement et d’instrumentalisation d’enfants dans des groupes criminels, ainsi qu’une augmentation encore plus forte des viols et des violences sexuelles envers les enfants.
La violence a forcé des centaines de milliers de personnes à fuir leurs domiciles, menant à une forte hausse du nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays, qui s’élève désormais à 1,3 million – le plus haut niveau enregistré en Haïti, d’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
« Chaque jour, la violence force des centaines d’Haïtiens à fuir, en n’emportant que les vêtements qu’ils portaient, vers des sites de déplacement ou vers d’autres villes, où ils demeurent en danger et n’ont pas, ou peu, accès à la nourriture et à l’eau », a déclaré Nathalye Cotrino, chercheuse senior auprès de la division Amériques à Human Rights Watch. « Les pays membres de l’ONU devraient immédiatement renforcer la MMAS. Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait mettre fin à son inaction et transformer la MMAS en mission des Nations Unies à part entière, dotée du personnel, des ressources et du mandat lui permettant de protéger efficacement la population haïtienne. »
Fin avril et début mai, des chercheurs de Human Rights Watch se sont rendus à Cap-Haïtien, chef-lieu du département du Nord. Avec l’aide du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) et de l’Office de la protection du citoyen (OPC) d’Haïti, les chercheurs se sont entretenus avec 33 déplacés internes qui avaient récemment fui Port-au-Prince, sa zone métropolitaine ou d’autres municipalités. Ils ont également rencontré des travailleurs humanitaires, des diplomates et des représentants de la société civile haïtienne et des agences des Nations Unies.
Depuis début 2025, des groupes criminels ont intensifié les attaques dans des zones auparavant sûres, y compris à Port-au-Prince et dans sa zone métropolitaine, ainsi que dans les municipalités de Mirebalais et Saut-d’Eau, dans le département Centre, et Petite-Rivière, dans l’Artibonite. Ces violences – y compris des affrontements avec des brigades d’autodéfense, fonctionnant souvent grâce à l’implication de policiers, et avec les forces de sécurité – ont forcé plus de 245 000 personnes à fuir leur domicile, selon l’OIM.
De nombreuses personnes interrogées par Human Rights Watch étudiaient à l’université ou bien avaient des emplois stables et des ressources financières – notamment un domicile ou une petite entreprise – et, jusqu’à récemment, étaient capables de mener une vie largement épargnée par la violence.
« Je vivais bien dans mon quartier, c’était tranquille. Et puis, d’un coup, les problèmes de sécurité ont commencé », a ainsi déclaré un étudiant en génie civil âgé de 23 ans, déplacé en mars de Port-au-Prince vers Cap-Haïtien, après une agression ayant coûté la vie à son frère. « Des hommes sont arrivés, plein de bandits. Ils ont commencé à tirer. Ma famille et moi, on est sorti de la maison. En traversant la rue, [mon frère de 19 ans] a été touché par une balle. [L]a balle lui avait traversé la tête [...]. Après ça, on est venus à Cap-Haïtien. Dans mon quartier, il ne reste plus personne – juste les bandits. »
Lors des attaques récentes, plusieurs personnes interrogées ont témoigné que les groupes criminels se servaient d’applications pour diffuser des messages audio avertissant les habitants qu’il ne leur restait que quelques heures pour s’enfuir.
Un plombier de 38 ans de Port-au-Prince, père d’un bébé de six mois, a déclaré à Human Rights Watch : « Les bandits ont envoyé des messages pour nous prévenir [...]. On savait qu’ils allaient venir. Et ils sont venus. Ils sont rentrés [dans le quartier] et [l’]ont saccagé. Les policiers avaient déserté. Ils ont tué des personnes, ils ont brûlé des maisons.J’ai perdu ma maison. On voyait des corps sans vie partout, ça laissait une odeur nauséabonde. Il fallait passer en courant [...]. Nous avons dû partir pour nous sauver. »
Des travailleurs humanitaires et d’organisations de défense des droits humains ont rapporté que les groupes criminels mettaient le feu à des domiciles autour des quartiers ciblés afin de forcer les habitants – et parfois la police – à prendre la fuite. Selon des responsables de l’ONU, ces tactiques semblent avoir pour but de dépeupler de force certaines zones afin de permettre aux groupes criminels d’étendre leur présence et de préparer le terrain pour prendre le contrôle d’autres zones.
De nombreuses personnes interrogées ont été déplacées à plusieurs reprises, ayant d’abord fui vers d’autres zones de Port-au-Prince ou des villes voisines, avant de trouver refuge à Cap-Haïtien. Elles ont voyagé en bus, prenant beaucoup de risques sur le chemin, puisque les groupes criminels contrôlent des voies de circulation clés, mettent en place des points de contrôle et extorquent les passagers.
Une femme de 37 ans de Cabaret – une zone au nord de Port-au-Prince contrôlée depuis longtemps par des groupes criminels – a confié à Human Rights Watch qu’après avoir été déplacée plusieurs fois dans la même zone, elle s’était enfuie à Mirebalais pour protéger sa fille de 14 ans du risque de violences sexuelles. Toutefois, fin mars, alors que des groupes armés attaquaient Mirebalais – incendiant des maisons et tuant plusieurs personnes –, elle avait dû s’enfuir à nouveau. « J’ai dû [...] me réfugier dans une église à Hinche [une ville proche]. Mon mari était sorti pour travailler, peignant une maison. Je n’ai plus eu de nouvelles de mon mari [...]. J’espère simplement qu’il n’est pas mort. J’ai quitté Hinche car des rumeurs circulaient sur une attaque imminente [...]. Aujourd’hui on est ici [à Cap-Haïtien], mais je crains que la violence ne nous poursuive. »
Les personnes déplacées, qui représentent désormais près de 11 % de la population d’Haïti, se réfugient actuellement dans les dix départements du pays. Cinquante-cinq pour cent des personnes déplacées sont des femmes et des filles ; la plupart sont hébergées auprès de familles ou vivent dans des sites spontanés, où elles sont confrontées à de graves pénuries de nourriture, d’eau, de soins médicaux et d’autres services essentiels. D’après le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), plus de 8 400 personnes vivant dans des sites de déplacement font face à la famine.
Les conditions régnant dans les lieux de vie des personnes déplacées dans tout Haïti sont de plus en plus difficiles, avec plus de 246 sites informels rapportés début juin, chacun hébergeant une moyenne de 2 000 personnes. De nombreuses personnes se sont réfugiées dans des écoles ou des espaces publics surpeuplés, subissant des risques de sécurité importants et ce que l’Office de la protection du citoyen a qualifié de conditions « inhumaines ».
L’étendue de la crise du déplacement a débordé les capacités existantes. Le Plan de réponse humanitaire de l’ONU, qui vise à aider 3,9 millions d’Haïtiens, sur les 6 millions ayant besoin d’une assistance humanitaire, n’est financé qu’à 80 %. Le fait que le gouvernement de transition se montre incapable de mettre en place un plan national global pour soutenir les déplacés internes a par ailleurs entravé les efforts visant à coordonner et maintenir une réponse efficace.
La communauté internationale ne fait pas suffisamment pour appuyer les efforts de la MMAS pour protéger les Haïtiens des groupes criminels qui les obligent à se déplacer, a déclaré Human Rights Watch.
Bien que huit pays aient averti en 2024 le secrétaire général de l’ONU de leur intention de contribuer en fournissant du personnel à la MMAS, seul le Kenya, qui dirige la mission, le Guatemala, le Salvador, la Jamaïque et les Bahamas ont déployé des forces armées. Le total des effectifs déployés n’est que de 991 militaires, bien en-deçà des 2 500 attendus.
Il manque toujours à la MMAS des financements supplémentaires pour pouvoir maintenir ses opérations jusqu’en décembre et pour mettre en place les neuf bases opérationnelles restantes, sur les douze prévues, qui sont cruciales pour sécuriser le territoire et consolider sa présence.
Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait veiller à ce que la MMAS, soutenue par l’ONU, reçoive le personnel et les ressources nécessaires pour mener à bien son mandat, et convienne de mesures pour transformer cette mission en opération à part entière des Nations Unies, capable de protéger les droits humains et d’éviter une escalade encore plus dramatique des violences, a déclaré Human Rights Watch.
« La violence en Haïti empire de jour en jour », a conclu Nathalye Cotrino. « Le Conseil de sécurité devrait cesser son attentisme et transformer la MMAS en véritable mission des Nations Unies. Combien de meurtres, de viols, d’enlèvements et de recrutements d’enfants devront encore être commis, avant que les autres gouvernements ne se réveillent et se rendent compte de ce qui doit être fait ? »
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