25.04.2025 à 11:48
“Grüne Oase” (2024). Frankfurt am Main, Germany. Photo by Ivan Murzin
“COINCIDENCES.” Ensorinstituut, Oostende, Belgium. Produced by The Crystal Ship
“L’antiporta” (2021), paint on wall, dimensions variable. Biblioteca Ugo Tognazzi, Pomezia. Curated by Marcello Smarrelli and Pastificio Cerere for Sol Indiges. Photo by Lorenzo Palmieri
Iacurci met souvent l'accent sur les motifs géométriques, la flore, les vases classiques et les niches qui abritent des objets ou des figures symboliques. Vous pouvez consulter l'ouvrage Mural Masters de Gingko Press, qui présente la nouvelle génération d'artistes de rue, et en savoir plus sur le site web et l'Instagram d'Iacurci. Des bâtiments colorés et du verty sur les tois et autour, une autre idée de la ville à venir- dumoins, on l’espère…
JP Simard avec Colossal Mag, le 28/04/2025
La ville coloriée d’Agostino Iacurci
“Landscape n.1” (2021), wall painting, 27.7 x 7.1 meters. Las Vegas, Nevada. Commissioned by Life is Beautiful
25.04.2025 à 11:30
« Moi je crois que je laisserais pas un endroit pareil grand ouvert avec toutes ces babioles qui traînent », dit Cookie, montrant les peintures à l’huile sur les murs, les chandeliers en cristal, l’argenterie qui pèse son poids. Il avait précisé qu’il n’y aurait pas de verrous aux portes, à ce qu’il avait compris, et il n’y en avait pas. La porte donnant sur la rue était ouverte, pas de concierge, une pancarte au niveau de l’ascenseur indiquait à tout le monde le chemin jusqu’ici, ce penthouse au dernier étage, qui n’était pas fermé à clé. « Les riches ils s’en tapent », lâche la bonne femme.
« Tout ça c’est peut-être bidon », je dis, mais j’ai bien envie de piquer quelques trucs intéressants. Cette statuette coquine en jade, par exemple, avec son cul bien dessiné et ses nibards qui pointent. Ça doit coûter un bras. Cookie, comme l’appelle cette femme – sans doute son proxo – s’est fait embaucher comme traiteur pour la soirée, et on est arrivés tous les trois assez tôt pour installer tout le bazar. Perché sur ses béquilles, le cuistot prépare la bouffe, la femme l’apporte sur les chauffe-plats et fait passer les amuse-gueule sur des plateaux en argent, et moi je m’occupe des boissons. On attend pas mal de monde, donc pas de service à table. Dommage. Le service à table ne va pas sans règles, l’horaire à respecter, les pochtrons bien tranquilles à leur place. Quand ils peuvent aller où ils veulent, c’est chez moi qu’ils finissent tous par atterrir en jouant des coudes. Y a de la casse. Ça renverse. Les esprits s’échauffent. Le mien, notamment.
Au sommet d’un gratte-ciel new-yorkais, un somptueux appartement, l’un de ces penthouses à vues panoramiques multiples et à gigantesque toit-terrasse (qui se révèlera, le moment venu, être celui de tous les dangers). En ce lieu auquel conduit un ascenseur qui s’obstine à ne fonctionner qu’en montée (comme on le découvrira également en temps utile), une fête luxuriante et aussi, à la marge toutefois, quelque peu luxurieuse. Les invités sont arrivés là par calcul, par aubaine, par inadvertance, par curiosité, par hasard, et peut-être aussi – qui sait ? – par nécessité supérieure. Une brigade de cuisine et de service bricolée à la hâte – on ne saura rien, malgré toutes les tentatives occasionnelles, de leur commanditaire – met en œuvre un savoureux et pléthorique buffet dînatoire, richement arrosé comme il se doit, tandis qu’un trio de jazz assemblé à la va-comme-je-te-pousse massacre allègrement – mais avec un brio indéniable – un piano, une contrebasse et un saxophone, pour le plus grand plaisir auditif – ou non – de la foule assemblée, ou plutôt répandue dans cette myriade de pièces en enfilades circulaires, foule que l’on découvre au fur et à mesure particulièrement bigarrée, entre agente immobilière, pickpocket bien entraîné, compositeur de musique sérielle passée de mode, cow-boy de pacotille, brasseur d’affaires, adolescente dure-à-cuire, expert en vins, bibliothécaire retraitée, et on en passe, et de bien meilleures et meilleurs, jusqu’à une nonne discrètement omniprésente qui se révèlera lorsqu’il sera temps en catalyseur et en détonateur d’un cataclysme qu’il sera alors difficile de nommer précisément. Avec l’ironie chère dans d’autres contextes à un Bernard Lavilliers, il semblerait bien que : « Tout ce que la ville a de sportif et de sain avait rendez-vous là ». Et elle vous dit : « Viens ! ».
Cookie, cigarette noire pendouillant à la lèvre inférieure, allume le four. Il déballe maladroitement les premiers amuse-gueule pour les réchauffer quand débarque un trio de musiciens, sous la houlette d’un type gros et moche avec un étui à saxo ténor tout cabossé. Les deux autres se dirigent dans le salon à côté vers une contrebasse et un piano vernis classieux dont la plaque est ornée d’une lyre. Du sacré beau matos, je l’ai tout de suite repéré en arrivant, pour aussitôt me demander comment ils avaient fait pour monter ça ici. Et dans cette pièce. Est-ce qu’ils ont dû le démonter et le remonter, ou est-ce que le penthouse a été construit autour ? Ca rentre pas dans ma poche, mais je sais reconnaître un objet de qualité quand j’en vois un. Même la plaque on pourrait la mettre au clou.
Le saxophoniste vient quémander un truc à boire pendant que je suis encore en train de tout installer, me dit qu’il a besoin de s’arroser l’anche, et je lui demande combien il est payé. « Aucune idée, mec, sûrement pas assez, râle-t-il. T’façons, ce soir ce sera pas de la vraie zique, juste de quoi remplir c’te putain de pièce avec ces deux crétins que j’avais jamais croisés. Du coup, mec, faut que tu me concoctes un vrai remontant pour m’aider à tenir le coup. » Le barman hausse les épaules et dévisse le bouchon d’une bouteille de whisky, m’en jette un sur un tas de glace. Un vaurien avec juste la peau sur les os, planqué derrière une barbichette et des favoris, le genre cool mais renfrogné. Son truc à lui sans doute un boucan du diable, quelque chose qui cogne. Ce que je sais faire, mais juste en guise d’échauffement. La tempête avant le calme.
Failli l’oublier, ce plan. J’étais en plein bœuf dans un bar miteux et hors de prix, quelque part dans le centre, accompagné d’un tocard à dreadlocks qui martelait furieusement le piano du bastringue, et j’espérais que quelqu’un finirait par nous offrir un truc à boire, ne serait-ce que pour qu’on la mette en veilleuse, quand je me suis soudain souvenu que j’avais du taf ce soir. Pas moyen de me remémorer les détails, le prix du cacheton notamment, mais ces derniers temps ont été duraille dans le bizz de la musique, pas question de faire la fine bouche, alors je me suis tiré et jeté dans le premier taxi, le maestro du râtelier s’invitant par la même occasion. Le chauffeur nous a largués devant un immeuble d’un kilomètre de haut, et en suivant les panneaux on a pris l’ascenseur jusqu’à ce penthouse au dernier étage, où on est tombés sur un sac d’os renfrogné et tout avachi sous sa tignasse soyeuse dans l’entrée. Le type n’a pas dit un mot, s’est contenté de nous suivre comme s’il nous attendait. Aucun de nous d’eux ne le connaissait. Je lui ai souri, histoire de le faire chier. Coup de bol, le mec jouait de la basse. Sauf qu’il était venu les mains dans les poches ; heureusement on a trouvé une contrebasse à l’intérieur avec un piano à queue pour le jeune Dreads. D’un coup on était devenu un trio. Cool. Mon trio.
Un peu comme si « La Ronde » d’Arthur Schnitzler avait été multipliée par dix ou cent, et trafiquée par le William Gaddis de « JR », de façon à rendre le plus souvent imperceptible le glissement d’un locuteur à un autre, en multipliant les points de vue et les temporalités légèrement décalées, cette presque fête du siècle (qui n’est toutefois pas tout à fait celle de Niccolò Ammaniti), conçue par le grand Robert Coover, dernier roman publié de son vivant, en 2023, magistralement traduit par Stéphane Vanderhaeghe (dont on rappelle au passage à quel point le « P.R.O.T.O.C.O.L. » constitue une salutaire lecture) pour Quidam éditeur en janvier 2025, illustre peut-être bien à la perfection certains des traits les plus marquants, et les plus convaincants, de ce que le touffu et salutaire courant littéraire foisonnant et mobile du post-modernisme a tenté d’incarner pendant plus de soixante ans.
Comme l’écrit Stéphane Vanderhaeghe dans sa superbe – et émouvante – préface, « Ainsi construit sur les vestiges d’autres textes ou vestiges littéraires – à l’image de cette œuvre d’art composite et changeante qui tapisse un mur entier du salon -, Mascarade ne dissimule pas ses artifices ». Si les clins d’œil discrets à ses confrères et consœurs en écriture tels que John Barth, William Gaddis, Donald Barthelme, Thomas Pynchon, Kathy Acker, Richard Powers, ou encore William Gass, pour n’en citer que quelques-uns, sont nombreux au fil de ces 160 pages, ils ne s’immiscent pourtant jamais dans le flot impétueux de cette party at ground zero de l’Amérique dans tout ce qu’elle a de potentiellement glaçant, malgré les élans de sympathie qu’elle peut toujours provoquer. Ici, pas de « Las Vegas Parano » proprement dite, même si l’on imaginerait aisément, emprunté à Hunter S. Thompson, un sautillant Raoul Duke, sous les traits de Johnny Depp, se glisser de pièce en pièce d’une vraie-fausse télé-réalité, et même si « The Entertainer » de Scott Joplin, l’inoubliable hymne rétro de « L’Arnaque », pourrait être joué par l’orchestre jusqu’au bout.
La farce, y compris lorsqu’elle mobilise certains effets scatologiques ou pornographiques, tient ici avant tout par la langue : une langue dont les innombrables variations argotiques infiltrent monologues intérieurs et confidences in petto de tous les protagonistes – de tous les figurants, pourrait-on aussi écrire -, une langue qui englobe tous les appétits irrépressibles, des plus menus et anodins aux plus effroyablement gourmands de cette humanité qui ne sait pas s’arrêter de profiter, quelles que soient les circonstances, une langue dont les barbelures, aussi fines qu’acérées, transforment la folle ronde en tragédie sociale et politique à la fois insidieuse et spectaculaire. Et c’est ainsi que Robert Coover, maniant aussi bien l’affrontement – et l’affront – direct que les circonvolutions délicates (dans le chaos presque total) des coqs-à-l’âne apparents, des sous-entendus et des ellipses diaboliques, peut nous offrir les derniers mots du roman, « Bref, j’ignore encore ce que vais faire », en guise de pied-de-nez particulièrement somptueux et définitif jeté à la face de l’inéluctable avidité qui nous précipite dans l’abîme – depuis notre toit-terrasse commun.
Une énorme bonne femme, qui pue le parfum bon marché et a planté un nœud lilas dans sa permanente, se pointe en se dandinant et se met à déblatérer sur le trio de jazz, alors je me carapate discrètement dans la pièce d’à côté, où ces foutus musiciens sont à l’oeuvre et font subir les derniers outrages à une chanson bien innocente. À moins qu’ils ne s’en donnent à cœur joie sur trois chansons différentes, qu’ils font tourner en même temps. Un travestissement, dans un cas comme dans l’autre. Le bassiste, tête penchée sur ses jointures qui s’affairent, m’offre un truc à prix spécial, une antiquité de violoncelle, si j’ai bien compris ce qu’il m’a dit. De toute évidence, un refourgueur de biens privés, tout comme moi. Je lui demande combien, mais la réponse qu’il dissimule se noie sous les bêlements du saxophoniste et le martèlement du gars qui y va des poings sur son piano, et sous les hoquets incessants des rires creux et des bavassages à pleins tubes, alors je trace mon chemin tout en me demandant pourquoi je ne porte pas de chaussettes. Et en me demandant par la même occasion à qui peut bien être cette propriété plutôt classe, quoique éthérée ; et je me rends compte, tandis que je me force un passage de pièce en pièce dans ce mélange de fumées festives, que d’autres se posent plus ou moins la même question, avec moins de sobriété toutefois, moins de perspicacité. Les visages me sont de plus en plus familiers, mais d’une manière assez générique, restant difficilement reconnaissables. Je fais une pause, histoire de faire quelques poches pour en apprendre un peu plus, ce faisant, sur l’identité de ces gens, sur leur embarras. Quelqu’un me complimente sur les exquis feuilletonnés et frittatas de homard de « mon » chef, s’imaginant selon toute vraisemblance que c’est moi le responsable de ce buffet, et donc, lorsque l’agente immobilière au long pif me met enfin le grappin dessus, je lui demande à combien elle estime ma propriété.
« Quoi ? Vous voulez dire que cet appartement est le vôtre ? » demande-t-elle, souffle coupé et regard incrédule fixé sur moi. Cette idiote est presque trop ivre pour tenir debout, mais elle peut encore m’être utile. Il y a un bureau dans cette pièce. Qui doit servir d’étude. je lui retourne un regard froid et lui communique mon prix. « Nom d’une pipe ! Mais vous croyez que… ça va tomber du ciel ? »
– C’est un appartement très atypique, je lui réponds d’un ton glacial. Où est-ce que vous allez en trouver un autre comme celui-ci ? Mais il va me falloir la somme intégrale en liquide – ce soir !
– Oh non ! Vous n’allez quand même pas partir… ?
– Histoire habituelle : une fourbe, qui était de mèche avec la justice, je n’ai pas d’autre choix que de mettre les voiles au plus vite. Je veux bien jeter une oreille sur les offres qu’on me fera, mais je vous fais confiance pour me trouver la totalité du montant. Il y en a ici qui sont riches comme Crésus et pour qui cette somme n’est qu’un peu d’argent de poche. Vous pourrez garder un tiers de ce que vous parviendrez à leur tirer. »
Elle dessoûle sur-le-champ. « C’est qu’il va me falloir le titre…
– Oui, bien sûr, il se trouve dans le coffre mural, ici, dans mon bureau. » Je fais tinter quelques clés à la provenance incertaine sous son nez, et pointe vaguement dans mon dos, dans l’espoir qu’il puisse y avoir un coffre là-bas quelque part. « Vous avez trente minutes. »
Hugues Charybde, le 28/04/2025
Robert Coover - Mascarade - éditions Quidam
l’acheter chez Charybde, ici
10.04.2025 à 11:20
Depuis 2023 et la sortie de leur premier EP, Moto, les jeunes Kin'Gongolo Kiniata se sont fait remarquer par des concerts en Europe et aux États-Unis. Avec la sortie de leur premier album Kiniata, la voie semble tracée pour une exposition et une appréciation encore plus grandes de leur musique vibrante, qui, remodelant les frontières de la musique congolaise, reste consciente et respectueuse de ses origines. Leur musique s'est nourrie de la vie frénétique des rues et en est le reflet. Fabriquant leurs instruments à partir d'objets recyclés, leur exploration des textures sonores a créé un son afro-pop expérimental et inédit, qui fusionne également l'électro et les rythmes congolais, soulignés par l'énergie du punk congolais.
Sur Kiniata, non seulement la palette sonore est rafraîchissante et unique, mais il y a aussi un engagement, évident à travers les paroles rebelles et transformatrices prononcées en lingala, l'une des langues les plus parlées au Congo, pour mettre en lumière les luttes, les espoirs et les triomphes de la vie quotidienne. Ces aspects politiques et émotionnels, exprimés à travers des chansons faisant référence aux sans-abri, à la guerre et au besoin urgent de changement et de justice sociale, tout en célébrant la résilience radicale des Kinois (habitants de Kinshasa), sont des éléments clés de la raison d'être du groupe.
Les quatre chanteurs principaux du groupe sont Leebruno, chant et percussions métalliques artisanales ; Mille Baguettes, chant et télébatterie ; Ducap, chant et percussions en plastique recyclé, Djino, chant et basse à deux cordes raccourcie, ainsi que Bebe Mingé, chœurs, harpe et guitare à une corde, les crédits indiquant que tous les morceaux sont écrits et composés par Julien Ekutshu Sambu, Mafuta Mingi Hassam Sabiti, Jonas Kipanga Bende, Ange Ludiata Mbongo, Junior Mulenga Kasongo, leurs noms de naissance.
Des percussions d'un autre monde, des rythmes contagieux et des chants délimitent l'ouverture explosive de Toye Mabe (We Are Bad). Il n'est probablement pas nécessaire de chercher plus loin que la description de la chanson pour se faire une idée de son contenu, voire de celui de l'album : « Bienvenue à tous ! » Ce titre est une invitation à entrer dans le monde vibrant de KinGongolo Kiniata. Un son qui accueille nos fans avec énergie, signalant notre arrivée en force. Il n'y a pas de place pour l'ennui, nous sommes là pour électriser la scène et vous plonger dans une atmosphère explosive ! Une déclaration d'intention pleinement étayée par ce qui suit.
Kingongolo est une chanson inspirée de l'histoire des vendeurs de pétrole de Kinshasa décrite plus haut, les paroles soulignant aussi symboliquement la lumière qui perce l'obscurité. Un mélange de sons assaille les oreilles, les composants individuels tissant des motifs intrigants tandis que des voix complexes interagissent entre eux, un peu comme des étincelles allumant ces lumières.
Sur Angoisse, ils explorent la dualité de l'amour et la douleur et l'anxiété engendrées par l'abandon et la séparation. "J'avoue que je suis anxieux, j'avoue que je suis anxieux. Tu as tout déchiré... Reste avec moi, reste avec moi, oui. Oh, maman, s'il te plaît, ne me quitte pas." D'abord beaucoup plus lent en tempo et plus sanguin, le morceau est caractérisé par un jeu de basse phénoménal et frontal, la voix transmettant l'inquiétude exprimée dans les paroles, créant ainsi six minutes de musique merveilleusement hypnotique et fluide.
Joyeusement entraînant et énergique, avec des voix à plusieurs niveaux, Liseki Te raconte l'histoire d'un jeune homme qui ouvre son cœur à une femme qu'il aime. Exigeant des preuves de ses intentions et de son affection, il n'a que des mots pour la convaincre : « pas de mensonges, pas de faux-semblants »
La première proposition ouvertement politique/sociale de l'album est Toko Lemba Te (We Won't Be Tired), où le groupe élève ses voix collectives pour dénoncer la guerre qui fait rage depuis des décennies dans la région orientale de la RDC, enflammée par l'avidité pour les ressources naturelles du pays. Une fois de plus, préparez-vous à des notes de basse extraordinairement puissantes sur un morceau qui illustre parfaitement le son du groupe et qui se termine par une formidable fin de type dub-plate, alors qu'ils délivrent leur message au monde : "Nous disons non à cette guerre ! Nous ne nous lasserons pas d'exiger la paix et la stabilité sociale pour le peuple congolais afin que chacun puisse enfin vivre dans la dignité."
Par rapport au reste de l'album, Fina, Fina se présente comme relativement calme et retenu, mais certainement pas décontracté. Les percussions intenses, les effets d'écho de type wah-wah, ponctués par des notes de basse profondes et résonnantes, et les voix répétitives « fina fina » produisent un son séduisant et hypnotique.
Avec des harmonies vocales qui rappellent les groupes vocaux des townships de Soweto et des sons musicaux qui rappellent le gamelan indonésien, Lowi raconte l'histoire intrigante d'un enfant abandonné par son père qui, fortuitement, trouve un autre « parent » dans la rue, qui le guide, le nourrit et l'éduque jusqu'à l'âge adulte. Mais qui doit-il aider : son père biologique ou son père adoptif ?
Moto se caractérise par un chant rauque, parfois d'une ferveur presque religieuse, avec des appels et des réponses ululantes, sur un motif de cordes vibrant et répété et des percussions frénétiques. Il n'est donc pas surprenant que « Moto », qui signifie « feu », soit un mot fréquemment utilisé métaphoriquement dans les églises évangéliques comme prière pour brûler et éradiquer les forces du mal. Cependant, par un habile jeu de mots, nous apprenons également que « Moto » fait référence à « la chaleur et l'énergie contagieuses que KinGongolo Kiniata enflamme sur scène ». Une atmosphère ardente où chaque représentation allume un feu sacré et passionné dans le cœur du public. Moto Epele - Allumez le feu !".
Elengi Ya Ko Vivre (Le goût de la vie) est une autre chanson qui s'inscrit dans un contexte social, adressée à une faction particulière de leurs compatriotes congolais, alors que le groupe exhorte les gens à laisser les gangs derrière eux et à trouver un travail qui ait du sens. Le message est clair : aucun travail n'est insignifiant, il n'y a pas de honte à travailler honnêtement, évitez l'oisiveté, et il s'inscrit dans un cadre musical urgent et rapide, avec des sons plus incroyables de la basse à deux cordes, des percussions insistantes et pulsantes, une guitare à une corde palpitante et des voix plus contagieuses de type appel et réponse.
Bunda (Fight), un hommage à la résilience, est un autre morceau à haute teneur en énergie, avec des notes de basse lancinantes et floues accompagnées de motifs de guitare à une corde psychédéliques, spatiaux et répétés, et de voix stridentes, en colère et criées, qui reflètent le sujet, le tout contribuant à créer un effet proche de la transe.
Le dernier morceau, Tekiara, contraste avec ce qui précède. Les notes introductives, qui rappellent un kalimba, et les premiers mots, prononcés avec douceur, annoncent une mélodie séduisante et douce et des voix délicieusement harmonieuses, le tout souligné par des notes de basse pulsées, illustrant le fait que le groupe est loin d'être un simple poney politique/social à un seul coup.
Avec Kiniata, Kin'Gongolo Kiniata creuse avec succès un nouveau sillon audacieux dans le monde de la musique congolaise et au-delà.
Avec leur éthique du bricolage et leur fusion passionnante et sans complexe des rythmes urbains de Kinshasa avec des influences contemporaines, leur intention avouée d'utiliser le pouvoir de la musique pour provoquer le changement tout en permettant à l'âme de Kinshasa de résonner dans le monde entier se concrétise de plus en plus avec cet album. Le son du printemps lumineux est là. Et ça décoiffe !
JP Simard, le 14/04/2025
KIn’Gongolo - Kiniata - Hélico
10.04.2025 à 10:23
“Girls on Saturn” (2025)
Son nouvel ensemble d'œuvres, Robitussin, Hotcombs & Grease, évoque des produits omniprésents tels que le décongestionnant en vente libre et les soins capillaires. « En grandissant, j'ai été façonné par les aînés qui m'entouraient, et les objets quotidiens tels que Robitussin, Hotcombs et la graisse sont devenus les réceptacles des rituels qui m'ont ancré dans mon héritage », explique l'artiste. « Ces objets transcendent leur usage banal : ils incarnent des traditions transmises de génération en génération, m'ancrant dans une identité collective. »
“Teddy” (2024), artist-printed photos collaged with paint and glitter in a hand-carved shou sugi ban frame, 43 x 35 x 3 inches
Squirewell découpe et colle des images et des tissus de sa collection avant de photographier la composition, qui est ensuite soumise à un processus d'édition numérique. Chaque pièce est complétée par un cadre élaboré, avec des bords shou sugi ban carbonisés - une technique de brûlage japonaise - et des détails sculptés à la main. Les côtés portent diverses inscriptions reliant le passé et le présent, notamment des lignes de poèmes de Langston Hughes et des glyphes de langues africaines ancestrales tombées en désuétude.
L'identité et l'histoire de nombreux sujets étant inconnues, le travail de Squirewell confère une nouvelle pertinence à leurs images. Comment les pratiques domestiques quotidiennes et l'héritage des générations précédentes ont-ils influencé le présent ? Et comment ces traditions créent-elles une expérience collective plus large ? Enracinées dans ces questions, les œuvres dignes deviennent des reliquaires qui honorent ce qui a été transmis et la façon dont cela continue à informer la vie aujourd'hui.
Robitussin, Hotcombs & Grease est exposé jusqu'au 24 mai à la Claire Oliver Gallery à Harlem. En savoir plus sur Squirewell sur Instagram.
John Patitucco, le 14/04/2025
Stan Squirewell - Vivid Reliquaries
“Teddy’s Lil Sisters” (2024), artist-printed photos collaged with paint and glitter in a hand-carved shou sugi ban frame, 29 x 24 x 2 inches
10.04.2025 à 10:11
Aujourd’hui, propriétaire et opérateur de son propre salon, le Panda Tattoo MIA, situé au 7814 NE 4th Ct, Miami, FL 33138, sa clientèle comprend des célébrités comme Lil Pump, Marc Anthony, Jake Paul et 6ix9ine, témoignant de la qualité exceptionnelle de son travail.
Ses créations se distinguent par leur précision photographique et leur capacité à raconter une histoire sur une surface aussi réduite que la peau humaine. Son compte Instagram, suivi par plus de 463 000 abonnés, présente une galerie impressionnante de ses œuvres, allant de portraits détaillés à des motifs délicats en fine ligne.
Paul Morriskey, le 14/04/2025
Tatu Panda, tatoueur hyperréaliste
10.04.2025 à 09:56
Maxime Gendron
Vous avez peut-être déjà croisé Maxime Gendron sur sa chaine Youtube L’Archipel Otageek lancée en 2016 avec Antoine Bonnici lancée autour de One Piece, qui s’est depuis diversifiée autour de la pop culture au sens large ; mais aujourd’hui on s’intéresse à un projet de livre, un essai sur l’histoire de la prépublication de bande dessinée depuis le Japon jusqu’en France.
Sur 272 pages, il propose un historique de prépublication de manga au Japon puis en France, en détaillant certains moments clefs et exemples de publications avant de questionner les nouveaux modèles de pré-publications à l’ère du numérique. Avec quelques réflexions sur la paupérisation des artistes, les modèles media mix japonais ou encore la prépublication de manga en France qui connaît un véritable essor [lire aussi notre interview Interview de Robin Emptaz autour du magazine Konkuru].
Le livre est disponible en soutenant la campagne sur Ulule, jusqu’au 8 avril 2025 mais pour en savoir plus, je vous propose un échange avec son auteur.
Maxime Gendron : Depuis un moment maintenant, on entend que la France est le deuxième pays consommateur de manga après le Japon. Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire et à l’économie du manga, j’ai vite compris que les magazines de prépublications sont indissociables du marché japonais.
Je me suis alors demandé pourquoi nous n’en avons pas en France, même les plus connus comme le Shonen Jump. Ce dernier publie pourtant des blockbusters comme Naruto, One Piece ou Dragon Ball qui rencontrent un grand succès dans l’hexagone. C’est à partir de là que j’ai commencé les recherches.
M. G. : Cela peut sembler curieux d’accorder autant de place à la bande dessinée franco-belge dans un livre consacré au manga. Néanmoins, lorsqu’on parle de manga en France, il est impossible de ne pas parler de bande dessinée, dans le sens large.
Au cours de mes recherches, j’ai constaté que les tentatives de mangashi à la française ont échoué alors que le pays a aussi connu un âge d’or de la prépublication de la BD avant de disparaître. Les deux étaient forcément liés. L’histoire de la BD en France est un élément nécessaire pour ensuite comprendre celle du manga.
M. G. : À ce moment-là, je travaillais déjà sur le livre qui était encore au stade du mémoire universitaire. Le guide a été l’occasion de faire une première synthèse des sources rassemblées jusqu’ici.
M. G. : C’est une analyse totalement subjective, mais je pense qu’il y a un double phénomène depuis quelques années. D’abord, les mangas deviennent de plus en plus un divertissement grand public dans le sens où ils ne sont plus seulement lus et achetés par des fans de manga. Désormais, une personne qui a aimé un anime va peut-être lire la suite, mais ne lire aucun autre manga après celui-ci.
Ensuite, je pense que les fans sont de plus en plus curieux des coulisses, ils ont envie de comprendre son histoire, son processus de création. On a observé le même phénomène avec la BD il y a plusieurs années. Tous les acheteurs de BD ne sont pas des passionnés et c’est une bonne chose ! Cela en fait un moyen d’expression artistique accessible à quiconque est un minimum curieux.
À l’inverse, il y a des passionnés de longue date, des spécialistes qui produisent et lisent des livres plus pointus pour analyser les différents aspects de la BD, avec une grande production autour de l’œuvre de Hergé, entre autres. Le manga n’en est pas encore à ce stade, mais je pense qu’il s’y dirige avec de plus en plus d’ouvrages sur le sujet.
M. G. : Je n’ai pas de chiffres précis, en tout cas pas en France, mais grâce à la prépublication, les auteurs perçoivent deux rémunérations : à la page et sur les ventes. Ils sont payés à la planche pour la publication dans les magazines puis un pourcentage sur les ventes des albums distribués en librairie.
Aucune des deux n’est suffisante pour vivre, sauf en cas de gros succès, mais rare et difficile à prévoir. En privant les auteurs de la rémunération à la page, ils ont perdu leur source de revenu la plus stable.
Le système japonais fonctionne de la même manière, mais même comme ça, la somme perçue pour les planches ne suffit généralement pas à couvrir les dépenses pour les produire. Les mangakas sont dépendants de la publication en recueil puis de la vente des droits dérivés pour commencer à être rentables.
M. G. : À l’origine, la prépublication a émergé au Japon parce que c’était le moyen le plus rapide et le moins coûteux pour divertir les enfants après la guerre. Aujourd’hui, le numérique me semble être l’évolution naturelle de ce système, il n’y a pas plus rapide et il ne coûte presque rien quand il n’est pas gratuit. Les ventes numériques ont d’ailleurs surpassé celles du papier (uniquement pour les magazines) depuis 2017.
Concernant la France, je ne sais pas. Est-ce que la prépublication n’a pas fonctionné parce que personne n’a jamais trouvé la bonne formule ? Ou alors parce qu’elle n’est pas adaptée au public ? Les projets actuels nous apporteront sûrement une réponse dans les mois et années à venir.
M. G. : Je ne suis pas distribué, il va donc être très difficile de me retrouver en librairie. Je travaille déjà à organiser une petite tournée de dédicaces, mais le plus sûr pour avoir le livre est de le commander avant la fin de la campagne.
M. G. : Je travaille déjà sur deux nouveaux projets sur lesquels je vais pouvoir me concentrer lorsque la campagne sera finie. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant, mais l’un d’eux est une forme de suite à ce livre.
Tous les visuels sont © Maxime Gendron / Kriss
Thomas Mourier, le 14/04/2025
Interview de Maxime Gendron pour son ouvrage Mangashi
-> Les liens renvoient au site Bubble où vous pouvez vous procurer les ouvrages évoqués.
10.04.2025 à 09:44
Comment pour les architectes en leur nom propre résister quand un système administratif débile basé sur des critères absurdes empêche d’accéder à la commande ceux qui ont justement quelque chose à dire, notamment les jeunes saisis par l’urgence écologique et climatique ? Comment sauront-ils développer les compétences qui leur permettront de concourir face aux agences internationales qui trustent les projets prestigieux (et encore…) ?
Comment résister aux normes édictées sans rémission par le CSTB et autres bureaux de contrôle aux intérêts bien compris et validées pour le climat d’hier et non pour celui de demain ? Le confort d’été, ne s’agit-il pas enfin d’y penser ? Dans dix ou quinze ans, sous la canicule quatre mois dans l’année, l’étanchéité à l’air, un piège redoutable ? Mortel ?
Commet résister à l’appauvrissement du discours architectural désormais pollué par l’accessoire bien pensant, l’essentiel – architecte, c’est un métier n’est-ce pas ? – de plus en plus flou ?
Comment résister quand l’architecture, l’expression même de la société dans laquelle elle naît, est devenue une équation de bonnes intentions qui pavent l’enfer ?
Comment résister quand l’architecture, l’expression même de la société dans laquelle elle naît, est devenue une équation financière qui pave le paradis de mauvaises intentions ?
Comment résister à l’aggiornamento des grosses structures d’architecture mariées à de grosses structures d’ingénierie qui s’emparent de l’essentiel des marchés toujours plus hauts de villes en développement en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique ? Et s’apprêtent à s’emparer des marchés à venir de Riviera et autres luxury Ecolo lodges en pays chauds mal inspirés ? Comment résister à la pensée qu’il s’agira peut-être bientôt pour nombre de ces ouvrages d’éléphants blancs déshérités ou honteux légués à l’histoire ? Comment ne pas désespérer de La Défense ?
Comment résister à l’aura, parmi d’autres, d’un Gehry vieillissant qui impose encore, comme à Arles, ses tours anachroniques à grands roulements de tambour ?
Comment résister aux confrères et consœurs cyniques, procéduriers et sans autre intérêt général que le leur ? Comment résister à l’ambition hargneuse des moins doués ?
Comment résister à la vanité de maîtres d’ouvrage qui tiennent à laisser leur nom à une œuvre, comme s’ils en étaient les auteurs, tel André Santini à Issy-les-Moulineaux ? Mais Daniel Libeskind, vraiment ?
Comment résister à la pression de maîtres d’ouvrage privés aussi bienveillants qu’ils sont bien en cour ?
Comment résister à la pression des maîtres d’ouvrage privés malveillants qui financent la cour ?
Comment résister à l’incompétence de fonctionnaires pressés (au mieux) ou incultes (au moins pire) ou méchants (au pire) ?
Comment résister et garder son sang-froid face à l’impéritie politique et au déluge, l’une et l’autre inéluctables ? Prévoir sans doute dans chaque bâtiment l’arche de Noé des insectes…
Comment résister et construire pour 50 ou 100 ans tout en subodorant que d’ici dix ans à peine, les circonstances humaines, politiques et environnementales seront très éloignées des besoins et préoccupations du jour ? Comment garder la foi envers soi-même sans craindre le vertige ?
Comment résister au découragement quand, sous couvert de compétition équitable, le candidat concurrent gagne moins pour sa créativité, son talent et son expertise que pour son entregent, son réseau et sa capacité à épouser parfaitement l’air du temps non genré avec des bâtiments qui dureront le temps fugace de la mode ? No future, comme dirait Sid Vicious ?
Comment résister quand la crise, provoquée loin de sa rue, conduit à la mise en liquidation ou redressement judiciaire de l’agence locale ?
Comment résister à l’ignorance et la sottise ? Pourquoi cela est-il si difficile aux architectes, pourtant le plus souvent gens curieux, sensibles, cultivés et ayant fait au minimum cinq ans d’études ? Ils sont certes soumis au prince… Comment toutefois parler d’un futur technique et poétique à un maître d’ouvrage persuadé, avec son industrie de moutons à cinq pattes, que la terre est plate ?
Comment résister, pour les architectes distingués, à l’attrait pécuniaire et la célébrité des « rich and famous » pour loger trafiquants et pirates en pays exotiques ? Comment, pour les autres, résister à l’abîme du déclassement pour payer le loyer ?
Comment résister à l’emballement du monde ? Comment résister aux bombes physiques, chimiques et virtuelles dont l’humanité en général, notre civilisation en particulier, est assaillie ?
Comment résister aussi bien aux irresponsables non coupables qu’aux coupables irresponsables, comme se demandent des Français de sang dans les hôpitaux normands ?
Comment résister si Trump, avec une récession mondiale, devient le meilleur avocat de la décroissance et en conséquences le nouvel ami de la nature et des écolos ?
Humpty Dumpty était assis sur un mur,
Humpty Dumpty fit une grosse chute.
Tous les cavaliers et tous les fantassins du roi
Ne parvinrent pas à recoller Humpty Dumpty.
Ainsi va la comptine anglaise du XVIIesiècle ?
Il faudra pourtant bien reconstruire avec ceux qui seront encore-là. D’ailleurs le dernier couplet de la comptine indique.
Humpty Dumpty a compté jusqu’à dix
Humpty Dumpty a tout reconstruit
Tous les cavaliers et fantassins du roi
Sont heureux que Humpty Dumpty soit rétabli.
Il n’y a pas de fatalité. Quand les cons auront tout bien saccagé, la raison, qui comme la nature a horreur du vide, reprendra ses droits. Il faudra bien alors des architectes qui connaissent leur métier.
D’ici-là, l’architecture doit être, pour ceux qui s’en prévalent, un acte de résistance à la normalisation, un acte de foi envers l’avenir, une volonté d’affirmer que le monde reste régi par la gravité et qu’il revient aux architectes, en dépit des circonstances et difficultés qui leurs sont propres, d’envisager protection pour leurs semblables pour les décennies à venir. Dans les règles de l’art si possible.
Christophe Leray, le 14/04/2025 pour Chroniques d’architecture
Solitude et spleen de l’architecte français : comment résister ?
10.04.2025 à 09:30
Barthélémy Toguo, Roots XI & Roots VI, 2025 Linogravure, 50 × 36 cm chacun Courtesy de l’artiste et galerie Lelong & Co. Paris
En écho à ces nouvelles estampes, quelques pièces de la suite « Bilongue » complètent l’exposition. Ces bas-reliefs en bois, avec leur matérialité brute et leurs motifs incisifs, prolongent une réflexion sur les dynamiques entre mémoire collective et récits personnels. Issue d’un projet initié par Barthélémy Toguo en 2015 avec certains habitants de la banlieue éponyme de Douala au Cameroun, « Bilongue » rend hommage à ces personnes par une galerie de portraits qui vient commémorer leurs vies et leurs combats.
Présentées ensemble, ces deux séries dialoguent autour de l’idée d’empreinte — qu’elle soit imprimée ou sculptée — dans une mise en scène où tradition et expérimentation se rejoignent pour interroger les liens entre corps, nature et histoire.
Barthélémy Toguo - Roots I
Barthélémy Toguo est né à Mbalmayo au Cameroun en 1967. S’il s’installe en Europe, devenant citoyen français, il reste profondément enraciné au Cameroun où il retourne très régulièrement. Il y a créé Bandjoun Station, une fondation inaugurée en 2013 destinée à accueillir en résidence, dans des logements-ateliers, des artistes et des chercheurs du monde entier pour développer des propositions en adéquation avec la communauté locale.
L’art de Barthélémy Toguo a suscité beaucoup d’intérêt ces dernières années. Ses œuvres ont rejoint les collections de plusieurs institutions privées et publiques importantes au Royaume-Uni, en Europe et aux États‑Unis. Il est l’artiste invité du Musée de la BnF (site Richelieu, Paris) de la saison 2024-2025.
« Roots » est la septième exposition que la Galerie Lelong consacre à Barthélémy Toguo depuis 2010 à la suite de « The Lost Dogs’ Orchestra » (Paris, 2010), « Hidden Faces » (Paris, 2013), « Strange Fruit » (Paris, 2017), « Urban Requiem » (New York, 2019), « Partages » (Paris, 2021) et « Water is a Right » (Paris, 2023).
Amos Tutualo, le 14/04/2025
Barthélémy Toguo - Roots -> 30/04/2025
Galerie Lelong & Co 13, rue de Téhéran – Second espace au 38, avenue Matignon 75008 Paris
10.04.2025 à 09:21
Le numéro 8 nous donne à voir les photos que pris l'ami de Perec, Pierre Getzler, lors de deux des trois glorieuses journées d'octobre 1974, quand l'écrivain s'assit à une table de café et tenta de capter tout ce qui se passait et ne se passait pas place Saint-Sulpice. Chaque photo cadre un pan d'espace, plus ou moins habité, où souvent n'advient qu'un temps figé, souvent barré par une verticale (un arbre, un poteau, un panneau) comme si, telle une aiguille marquant un éternel midi, l'espace-temps était balisé par de concrets fuseaux horaires. Des voitures, des bus, des passants: une place qui ne laisse place qu'à elle-même, mais qu'il faut quand même décrire, c'est-à-dire, écrire, autrement dit déplier l'image en segments syntaxiques, tout comme les photos de Getzler réécrivent un ensemble en le sectionnant en parties.
Le numéro 9, signée Sophie Coiffier s'efforce de lire certaines images à la lueur de l'œuvre de Perec. En partant de la grille mi-conceptuelle mi-ludique qu'est le jeu de taquin (en gros un puzzle aux pièces carrées ménageant une case vide par où faire passer les autres pièces), l'auteure de L'éternité comme un jeu de taquin, opère donc des rapprochements – comme on fait coïncider des bords – afin que le sens, magnétisé, attire d'autres aventures formelles. Ce pourrait être un exercice, c'est en fait une quête, entre vide et plein, où Perec, de cavalier seul, devient arpenteur de cases.
Le numéro 10, qui s'intitule Le timbre à un franc, est signé par le pataphysicien Jean-Louis Bailly. Il égrène divers croisements avec l'œuvre et l'homme, entre autres comment le chapitre XXII de La Vie mode d'emploiI (qui était alors en cours d'écriture) lui est arrivé par la poste, suite à une démarche que Bailly avait faite auprès de GP, afin de publier un de ses textes dans une revue au titre rousselien, Nouvelles Impressions. C'est aussi, en creux (et en bosses, aussi) un portrait cubiste de Bailly, dont certains angles entrent en relation géométrico-affective avec les textes de Perec.
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Pierre Getzler, Place Saint-Sulpice les 18 & 19 octobre 1974
Sophie Coiffier, L'éternité comme un jeu de taquin
Jean-Louis Bailly, Le timbre à un franc
— tous trois parus à L'Œil ébloui, dans la série des 53 Perec.
Claro, le 14/06/2025
10.04.2025 à 08:58
« Exercices d’incendies » (1994), « Vestiges de fillettes » (1997), « Captures » (2004), « Biographie des idylles » (2008), « Photogénie des ombres peintes » (2009), « Acrobaties dessinées » (2012), « Sunny Girls » (2015), « Colloque des télépathes » (2017), « Cinéma de l’affect » (2020), « Cassandre à bout portant » (2021), « Fréquence Mulholland » (2023), et à présent « Sauvons l’ennemie » (publié chez Poésie Flammarion en ce début 2025) : en poésie contemporaine, fort peu de travaux parviennent à créer, dans l’enchaînement même de leurs titres – en avant de leurs contenus patiemment distillés -, tissés d’inquiétante étrangeté et de malice rusée, les contours d’une œuvre au long cours, toujours renouvelée sans jamais s’oublier ni se renier.
C’est bien de cela dont il s’agit à chaque fois que l’on évoque Sandra Moussempès : en une trentaine d’années et une douzaine de recueils, une quête en profondeur s’est élaborée, quête jouant pourtant de la légèreté et du diaphane, quête jamais achevée dont chaque étape s’offre à la fois comme une percée et comme une surprise de lumière cohérente.
Mes périodes préférées – l’ère victorienne & le Hollywood des années 70 – se télescopent sans cesse en crash karmique
personne ne sait où nous irons nous réemboîter ni pour qui
(p 103)
Dès l’origine, son accélérateur personnel de particules provoque à dessein des télescopages d’univers réputés disjoints, en vue d’une fusion charnelle éventuelle, ou de la création d’hybrides surprenants. Les pondérations ou les coefficients – dont ces différents microcosmes, à l’étendue variable, sont affectés – varient au fil des entreprises, bénéficient de zooms occasionnels portant une investigation plus précise, mais reprennent ensuite leur place dans une ronde toujours subtilement autobiographique, dans laquelle deux d’entre eux se distinguent indéniablement, par leur constance et par leur épaisseur échafaudée au fil de l’écriture récurrente : l’ère victorienne et le Hollywood des années 70, mais très précisément ni n’importe quelle ère victorienne ni n’importe quel Hollywood seventies.
Ère victorienne toute prise dans ses corsets et ses engoncements, mais riche de ses échappées spirites éventuellement malicieuses et de ses interstices secrets que ne renierait pas une A.S. Byatt, Hollywood maladif, cinéphile et trompeur, tissé d’étoffe lynchienne, bien sûr (on y reviendra ci-dessous), mais sachant aussi mêler presque inextricablement les bas-fonds non linéaires d’un James Ellroy aux arpentages presque oniriques d’un Steve Erickson (« Zéroville » ou « La mer est arrivée à minuit », leur densité et leur onirisme assumé, ne sont parfois pas si loin).
Au-delà de ses localisations, identifiées ou diffuses, la masse fissile critique qu’élabore Sandra Moussempès dans ses multiples creusets repose discrètement sur une multitude de tractations et d’échanges, entre vivants, fantômes, pas tout à fait vivants et presque morts. On y trouve des pactes et des trahisons, des cercles secrets et des emprises, officialisées ou non sous leurs formes sectaires. On y trouve surtout, avec ce recueil-ci, une dureté nouvelle mais pourtant sereine, tranquille serait-on tenté de dire, du côté corollaire de certaines fausses promesses sororales (au risque de faire grincer quelques dents à l’occasion) et de celui des ruptures parfois fort nécessaires.
Les bons sentiments à l’eau de ronce et les sucres d’orge empoisonnés sont les dénominateurs communs à la dissertation géante
retrouvée des dizaines d’années avant les faits
les jeunes séquestrées
les adeptes devenues dyslexiques entraînant la créativité ou le chaos
les réalités à ne pas dire
tout cela devait tisser une immense toile constituant
le premier guet-apens pour les plus adaptés
au monde commun
(p 128)
L’amour sous hypnose étant le boudoir typique d’ébats naturalisés
L’ennemie en tailleur se souvient très bien de sa phase « fée décousue »
(p 102)
De fausses sisters nous comprendront – mais tireront à vue sans réddition –
la sororité est flageolante
(p 100)
Placé directement sous les feux de la rampe lors du recueil précédent (« Fréquence Mulholland », 2023), David Lynch hante à nouveau en joueuse majesté « Sauvons l’ennemie ». Ses figures les plus connues comme celles plus secrètes se glissent dans le décor, en une danse de pics jumeaux et de velours bleus, à savourer pour leurs vertus ici nettement propitiatoires.
Tout a explosé avec la recherche de la Vérité
dans un décor de campus imaginaire et de sectes hippies
là où d’inquiétantes étudiantes disparaissent
aspirées par une forêt de doublures cinéphiles
(p 131)
Si Cindy Sherman est sans équivoque une autres des figures-clé dans le panthéon doucement obsessionnel de Sandra Moussempès, c’est qu’elle offre à son tour une forme de fil d’Ariane dans ce tourbillon de miroirs et de labyrinthes où s’esquissent, borgésiens en diable au-delà des apparences, tant de chemins qui bifurquent.
Parfois je me sauve d’une vie en poudre
Appelée Cindy la femme-tige
Je la laisse glisser sur mes épaules
Après l’avoir rendue liquide
je bois la vie dont personne ne voulait
en ajoutant un ingrédient clé
la vie sans prénom se transforme en gel compact
appelé alors nostalgie de la complexité
en complément de Cindy femme-fantôme
Cindy la-pute-qui-se-maquille
Cindy Cindy
Pleine de grâce qui êtes aux cieux
(p 177)
Musée d’elle-même
la narratrice augmente le volume dans son esprit
assise avec les corps invisibles en cercle de jeunes exorcisées
NOUS AUTRES créatures en fil à retordre
Invoquant un protocole sonore
pour chaque dépendance affective en herbe
On entend les voix au loin dans une forêt de tessitures
les techniques divinatoires sont plus vivaces que la cinéphilie
(p 134)
« Sauvons l’ennemie » ne serait sans doute pas complet, si n’y rôdaient en toute liberté les musiques et les voix de l’intérieur et de l’ailleurs, les chants sachant devenir incantations qui font désormais partie intégrante, subtilement centrale, de l’œuvre de Sandra Moussempès. Mais les fantômes de cantatrices et d’icônes rock savent aussi s’y faire sorcières lorsque ce glissement est salutaire, voire requis dans certains cas.
Pour trois bouteilles remplies de vide et d’aiguilles roses
je fais le vœu amer
de me refléter plus tard dans la bouteille mauve fermée grâce aux ventouses
je lui donnerai en offrande un œil de serpent
buvez votre potion avec dévotion
priez sans une princesse que vous ne voulez plus dans votre vie
(p 139)
Les fantômes qu’invoque toujours avec une grâce inquiète Sandra Moussempès, dans toutes leurs transmutations et leurs réincarnations, savent en effet se faire prophétesses maudites ou pythies discrètes (Cassandre, même hors de son recueil « à bout portant » de 2021, n’est jamais très loin), enchanteresses ou empoisonneuses, diseuses d’aventure pas nécessairement bonne, concocteuses de philtres et mixeuses de flow, combattantes diaphanes et guerrières innocentes, dénonciatrices résolues et incantatrices mystérieuses. La magie de ces entreprises toujours paradoxales (dont le titre lui-même, « Sauvons l’ennemie« , témoigne avec rigueur) irrigue avec une douce férocité ces 180 pages.
Ma voix se justifie
Par l’écriture
Ma vie se justifie
Par l’assemblage
Cette façon de boire le thé bouillant
Sans me brûler
(p 27)
Peut-être encore davantage que dans ses recueils précédents, Sandra Moussempès nous offre ici une poésie profondément féministe, intime et politique, une poésie soigneusement codée pour éviter les impasses de la trace directe – dont trop de ses sœurs restent friandes -, une poésie qui force le langage à détecter, incarner et traduire l’étrangeté même qui se terre au cœur des icônes les plus emblématiques d’une culture patriarcale sachant, comme le capitalisme, toujours se réinventer derrière de nouveaux masques et de nouvelles modes à consommer. Un travail au long cours, précieux et éblouissant, de justesse, d’inventivité et de passion maîtrisée, de surprise et d’humour.
Hugues Charybde, le 14/04/2025
Sandra Moussempès - Sauvons l’ennemie - éditions Flammarion
L’acheter chez Charybde, ici
08.04.2025 à 11:59
Autoportrait avec ma fille et présence d'un homme pendu. Guerrero Mexique. Une semaine après l'enterrement de Beto, j'ai pris Itzel à la maternelle. En chemin, elle m'a regardé et m'a dit : "Papa, je peux te dire de quoi j'ai rêvé hier ?" Je lui ai dit oui. Elle m'a dit qu'elle avait très peur, qu'elle rêvait qu'elle tombait vers un endroit très sombre et que personne ne la tenait ; j'étais perplexe et mon cœur battait intensément, je la regardais dans les yeux et lui souriais, tu n'as pas à avoir peur, ma fille, aimerais-tu faire une photo de ton rêve ? Mais tu n'as pas à t'inquiéter parce que cette fois je serai dans ton rêve et j'attendrai que tu te tiennes dans tes bras. © Yael Martinez (voir notre article)
Grand Blanc - Bosphore
A coup de poing, à coup de pied,
J'ai voulu tuer mon passé.
C'est lui qui me prend à la gorge.
Julien Vocance
On ne doit pas faire du monde un fardeau à porter sur la tête.
Proverbe bambara
J'ai la nostalgie du café de ma mère, du pain de ma mère, des caresses de ma mère... Et l'enfance grandit en moi, jour après jour, et je chéris ma vie, car si je mourais, j'aurais honte des larmes de ma mère !
Mahmoud Darwich, La Terre nous est étroite
03.04.2025 à 16:04
Elles déclaraient le mois dernier à FIP ceci à propos de leur inspiration du moment :
”On a beaucoup tourné l’an dernier, et on a passé presque tout notre temps sur la route, mais on avait aussi l’ambition de pouvoir sortir de nouvelles choses donc on est contentes de pouvoir enfin le faire (rires). Je dirais que les morceaux que nous avons enregistrés ces derniers mois parlent non seulement de notre histoire personnelle, mais aussi de notre façon de percevoir la vie d'une manière très spécifique, autour de là où nous voulons aller et d’où proviennent nos influences. Les artistes avec qui nous jouons sur Call Me Back par exemple viennent du sud global et incarnent une approche très forte sur le plan artistique et musical, comme les Kabusa Oriental Choir qui sont issus de la diaspora nigériane ou SadBoi qui est une chanteuse noire très affirmée. Donc l’idée est aussi d’introduire aujourd'hui dans notre musique des projets auxquels nous nous sentons vraiment connectées, que nous écoutions déjà parce qu’ils nous parlent et qu’ils sont cool, tout simplement.”
Cet album répond à la définition de la pop de 2025; à savoir il trouve sa raison et son allant en empruntant partout - dans le monde- aux sons et aux rythmes de l’actualité. Actualité aussi musicale que politique en écran large à tisser des liens entre hip-hop, techno, rock barré et, évidemment, afrobeat pour danser. Méfiez-vous donc de tous ceux qui n’appliquent pas cette règle, à côté de la plaque, ils finiront tous sur Tik Tok , sans existence prope, produits manufacturés autant que déjà oubliés. On ne dira pas cela de cet album. Poiur uen fois, sa facilité d’accès repose sur l’écoute du monde qui l’entoure et de ce qu’il évoque pour nos deux sirènes. Go !
Jean-Pierre Simard, le 10/04/2025
Sirens of Lesbos - i got a song, it's gonna make millions - Sirens of Lesbos
03.04.2025 à 12:51
En 1924, Magritte a commencé à travailler pour le créateur de mode belge d’avant-garde Norine, dirigée par Honorine « Norine » Deschrijver et son mari Paul-Gustave Van Hecke. Par chance, Van Hecke possédait également des galeries d’art, notamment la Galerie L’Époque à Bruxelles, et a été un fervent partisan du surréalisme. Magritte a accepté que Van Hecke le rémunère pour peindre et commercialiser ses œuvres. Les présentations des collections Couture Norine étaient des événements mondains, souvent agrémentés de jazz. Par exemple, le samedi 25 juillet 1925, le Gala des Choses en Vogue a été organisé au Kursaal d’Ostende. Evelyne Brélia y a interprété la chanson Norine Blues (ci-dessus). Les paroles ont été écrites par Georgette et René Magritte, et la musique composée par son frère Paul Magritte. René Magritte en a également réalisé les illustrations.
Ces expériences dans le domaine commercial ont sans doute influencé la vision artistique de Magritte, lui permettant de jouer avec les codes visuels et de développer le langage surréaliste qui le rendra célèbre. Ainsi, avant de défier nos perceptions avec ses peintures énigmatiques, Magritte a su maîtriser l’art de séduire le public à travers des créations graphiques élégantes et innovantes. Toutes tentatives pour s’éloigner au plus de l’Art Déco en en redéfinissant les usages et les buts. Evidemment, la suite aura lieu à Paris à s’ouvrir sur le monde des rêves - et des cauchemars .
Jimmy Soprano, le 10/04/2025
René Magritte affichiste bruxellois
03.04.2025 à 12:17
C’est Christian de Portzamparc qui, lors de la visite de presse de Sorbonne Nouvelle* au printemps 2022, m’a mis la puce à l’oreille. Il avait expliqué que la tour existante, telle qu’elle serait rénovée et surélevée par Maud Caubet Architectes, était un élément important de son projet du fait de sa position en tête de pont du terrain. C’est en effet sa présence et sa forme qui lui permettaient, avec une ondulation en S, d’ouvrir le projet au quartier selon diverses directions.
Février 2025, je retrouve Maud Caubet au pied de la tour réhabilitée. L’ancien siège de l’Office National des Forêts (ONF) – un petit IGH (Immeuble de Grande Hauteur), d’architecture brutaliste conçu en 1970 par les architectes Deschler, Thieulin et de Vigan – a été totalement transformé, une mise en œuvre lumineuse ayant créé un objet élégant.**
Nous sommes là pour parler de la tour mais, puisque c’est une rencontre, l’entretien, qui se déroule dans un petit troquet sur l’espace public au pied de l’immeuble, devient vite une conversation. Et, comme si c’était inévitable dès lors qu’elle s’engage en confiance, la discussion en vient rapidement au statut de la « femme architecte ». Au moins parce qu’une tour et le Prix Femmes Architectes 2024 valent à Maud Caubet, même si elle n’était pas totalement inconnue, un nouvel accès de notoriété.
Nul besoin de rappeler en détail comment le métier est our elles particulièrement difficile d’accès : une majorité d’étudiantes, une minorité de cheffes d’entreprises, etc. Pour autant, les femmes architectes, ou architectes femmes, ont tendance, comme avant elles Zaha Hadid, à mettre en exergue dans leur biographie les écueils particuliers de leur accès à la commande. De fait, combien de femmes architectes pour combien de tours ? Dans le monde ? En France ? À Paris ? D’évidence, les badges de courage ne sont pas superflus.
Surtout, ce n’est pas gagné pour elles.
Le fait est que le « masculinisme » fait un retour en force partout dans le monde dans le sillage d’un Trump triomphant et illuminé. Tous les freins politiques et moraux levés, il entraîne dans son sillage Poutine, Erdogan, Netanyahou, Bolsonaro qui respire encore, Modi, et partout dans le monde les ayatollahs de toutes obédiences qui se croient maintenant tout permis, autant de vieux mâles blancs qui rêvent encore d’empire. C’est un comble que Xi Yiping apparaisse soudain comme le moins frappadingue des patrons de grandes puissances. À moins bien sûr qu’il ne profite de la confusion pour envahir Taïwan.
Je n’oublie pas l’architecture. Trump lui-même a dès le premier jour signé un décret intimant que tous les bâtiments fédéraux soient construits avec une « architecture traditionnelle », et tous les autres bâtiments officiels – écoles, collèges, tribunaux, prisons, etc. tous les symboles de la république – de se plier au diktat, l’architecture contemporaine réservée à ses tours de verre et de béton et ses parcours de golf pour lesquels il faut « Forer, baby, forer !!! » Et partout la guerre, détruire jusqu’à l’anéantissement pour reconstruire des Riviera, business is business. Trump sait que l’architecture est la démonstration du pouvoir. Si le pouvoir est imbécile, l’architecture le sera idem.
Le tout donc accompagné d’une posture virile qui fait désormais florès chez nous, y compris chez les blondes, les nabots, les bouffons et les vieillards cacochymes : il n’est que de voir l’influence bravache et empoisonnée de l’alliance de nos archéo-chétiens et fachos de souche pour préserver la race blanche qui, en effet à les regarder, n’est pas lui faire honneur. Ceux-là mêmes qui se fichent de l’État de droit comme de leur premier salut nazi trouvent leurs affidés dans la basse-cour des petits, des moches, des bas, des cyniques, des arrivistes et des frustrés.
Les virilistes, n’en doutons pas, sauront désormais se faire bien voir, comme tous ces patrons de la Silicon Valley, suivis par la vallée des similis cons franchouillards, le doigt sur la couture avec leur programme de natalité pour toutes les femmes qui, quand même, devraient bien comprendre que la croissance de l’économie dépend d’elles ! Encore deux ans, Poutine avait conquis l’Europe et Depardieu était tranquille.
Bref, ceux-là sont prêts à renvoyer tout droit bobonne à sa cuisine et aux gosses et ne s’en cachent pas. Faut dire qu’entre bobonne et Sandrine Rousseau les vieux mâles blancs préfèrent l’utile au désagréable. Cela pour rappeler que, d’évidence, les années à venir pour les femmes, y compris dans nos sociétés donc, ne seront pas pavées de bonnes intentions par les pouvoirs déjà en place ou ceux qui s’excitent à le devenir.
Ce qui nous ramène à l’architecture. Dans la vision de cette architecture traditionnelle – ah les traditions… – déjà que les ouvrages les plus prestigieux – musées, Palais de justice, prisons, etc. – échappent encore aujourd’hui aux femmes architectes même les mieux armées, s’il leur était laissé encore volontiers, par bienveillance, les lycées et collèges, bientôt ne leur restera plus à construire que les maternelles et les crèches, pour les « tout-petits », et peut-être encore un peu de design d’intérieur, pour que les maîtresses des riches et puissants puissent faire semblant de bosser. À travers la rétrogradation des femmes architectes, c’est toute l’architecture qui est en danger.
Le fait est que, à écouter ces femmes architectes évoquer au fil des ans leurs réalisations, chacun entend bien tous les mots de l’architecture contemporaine. Rien d’autre en fait que ce que déclare n’importe quel architecte non genré. Les mêmes mots, le même travail. Une forme de féminisme revanchard sous-jacent demeure pourtant. Et pourquoi pas ? Se souvenir qu’il a fallu une Zaha Hadid pour que le RIBA puis le Pritzker, pas avant 2004, prennent note. Noter que la France est encore plus en retard que le Pritzker : à quand la première femme en son nom propre Grand Prix National d’architecture ? Aux calendes grecques désormais que les masculinistes reprennent le pouvoir ? Cocorico ?
Sans doute ces femmes architectes nous rappellent-elles aussi qu’il n’est pas si éloigné le temps où les femmes tout court en France n’avaient pas le droit de vote, ni même d’avoir un compte en banque. Peut-être que sans les deux innovations majeures du XXe siècle – la machine à laver et la contraception – nul ne serait aujourd’hui en train de s’émouvoir de ce que deviennent les étudiantes qui ont pris d’assaut les universités, et pas que les ENSA. Alors quand la droite en ordre de bataille jusqu’à l’extrême, ne craignant plus le ridicule et l’ignominie, maintient l’ambiguïté quant au droit à l’avortement et à l’éducation et la culture, entre autres programmes réactionnaires prônant la censure et l’autodafé, peut-être que ces femmes architectes, comme toutes les femmes, ont raison de se mobiliser afin de sauvegarder leurs droits si nouveaux en regard de l’histoire. Peut-être ont-elles raison de penser que rien n’est acquis. D’autant que les collabos sont déjà-là, à visage découvert, arrogants, défiant l’État de droit et l’entendement. D’aucuns se souviennent dans quel état ceux-là ont laissé le pays, et le monde, la dernière fois qu’ils étaient à l’œuvre. Aujourd’hui il est question de « réarmement démographique » : tout est dit !
C’était en 2016 au Pavillon de l’Arsenal à Paris, lors de la remise du prix femmes Architectes, le gouvernement était représenté par Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes. À un moment de la soirée, alors que se posait – déjà – la question de savoir si un prix « femme architecte » était une bonne idée pour les femmes, la ministre fut d’une grande sincérité. « Pourquoi une ministre des droits des femmes pour remettre le prix des femmes architectes ? Parce que les femmes ne gagnent pas les prix, parce que l’histoire gomme leurs contributions. Je suis moi-même issue de la parité et cela me dérange moins que de n’être pas du tout là », dit-elle.
Ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, elle était, de fait, parfaitement à sa place. C’était en 2016. Aujourd’hui, les virilistes n’ont même plus que faire de la parité, pour commencer.
Concomitamment, en cette matinée de février 2025, Maud Caubet remarque qu’« architecte est un métier en train de disparaître si on ne se mobilise pas ». « Sans une volonté politique de l’État… ». Elle ne finit pas sa phrase. Elle a raison, il y a un effet de cause à effet.
« L’architecture est la solution principale du vivre ensemble et un outil extraordinaire pour réconcilier tous les enjeux de la société : l’architecture est politique, le dessin et la poésie sont des actes politiques… L’architecte essaye de construire différemment, modifie le rapport à l’espace, aux saisons. Je dis que nous, architectes, avons des superpouvoirs, on affecte la vie des gens », s’enflamme-t-elle, persuadée, optimiste, que la créativité, l’humour et la dérision permettent de questionner les intentions.***
Pour la population mâle, blanche et vieillissante inquiète de sa place dans l’histoire et craignant le ridicule, il y a là apparemment un message. Si l’architecture est un vocabulaire, de l’importance de garder vivants les messagers, en tout genre.
Christophe Leray pour Chroniques d’architecture le 10/04/2025
* Lire notre article Pour Sorbonne Nouvelle, à Paris, le luxe c’est l’espace et le jardin de Babylone
** Lire la présentation À Paris, Tour Racine couronnée par Maud Caubet
*** Voir le documentaire Unissons, dont Maud Caubet est à l’initiative et lire Unisson(s) : pour que les architectes diffusent une esthétique bas-carbone