19.02.2025 à 06:30
La « super année électorale » 2024 a marqué un tournant pour l'Asie du Sud, avec des élections dans tous les pays de la région : Bhoutan, Bangladesh, Pakistan, Sri Lanka, Népal, Maldives et bien sûr, Inde. Deux tendances communes sont à souligner. Tout d'abord, une exaspération généralisée envers les régimes autoritaires en place. Les manifestations massives des derniers mois et le vent de révolte qui a soufflé au Bangladesh, au Sri Lanka et au Pakistan ont été qualifiés par certains (…)
- Opinions / Chine, République populaire de, Inde, Pakistan, Bangladesh, Asie du Sud-Global, Emploi, Commerce, Politique et économie, Démocratie, Manifestations, Racisme ; EthnicitéLa « super année électorale » 2024 a marqué un tournant pour l'Asie du Sud, avec des élections dans tous les pays de la région : Bhoutan, Bangladesh, Pakistan, Sri Lanka, Népal, Maldives et bien sûr, Inde. Deux tendances communes sont à souligner. Tout d'abord, une exaspération généralisée envers les régimes autoritaires en place. Les manifestations massives des derniers mois et le vent de révolte qui a soufflé au Bangladesh, au Sri Lanka et au Pakistan ont été qualifiés par certains observateurs locaux de « printemps sud-asiatiques ». Les revendications démocratiques et de justice sociale, ainsi que la lutte contre la corruption ont aussi été au cœur des soulèvements, qui visaient à bousculer un statu quo devenu intolérable.
Mais des slogans tels que « India Out » ont également résonné lors de ces contestations, témoignant de l'échec de la politique interventionniste de Narendra Modi. Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, le Premier ministre indien a orienté sa stratégie diplomatique sur le « voisinage d'abord » et cherché à positionner son pays comme la puissance dominante d'Asie du Sud. Néanmoins, malgré ces efforts, la région est devenue le théâtre de la rivalité entre la Chine et l'Inde.
Si les ouvertures de la Chine, telles que les initiatives économiques et stratégiques, expliquent en partie la prise de distance de plusieurs pays vis-à-vis de l'Inde, l'arrogance perçue de New Delhi, qui s'affirme comme l'« allié naturel » et le « grand frère » autoritaire, a nourri un sentiment anti-indien répandu dans la région. Ce rejet découle des ingérences et des pressions exercées de longue date dans les affaires internes de ses voisins, notamment lors de la signature d'un accord énergétique déséquilibré entre Dacca et le groupe Adani, un consortium proche du régime de Modi, ou encore quand le gouvernement indien a émis des objections concernant l'escale d'un navire de recherche chinois dans un port sri-lankais.
Cette méfiance à l'égard de l'Inde ne trouve toutefois pas son explication dans la seule histoire récente. Le conflit indo-pakistanais autour du Cachemire est un point de friction qui remonte à la Partition de 1947 et qui persiste dans la politique étrangère indienne. La révocation de l'autonomie constitutionnelle du Jammu-et-Cachemire en 2019 a exacerbé les tensions et terni l'image de l'Inde, perçue davantage après cet épisode, comme une puissance dominatrice imposant sa volonté et ses intérêts.
Épisode emblématique exposant les failles d'une telle approche : l'effondrement du régime autoritaire de Sheikh Hasina, au Bangladesh. En janvier 2024, celle que l'on appelait « la dame de fer », remportait sans surprise un quatrième mandat consécutif après un simulacre d'élection. Son parti, la Ligue Awami, contrôlait le pays, réprimant systématiquement les oppositions, notamment les travailleurs et leurs représentants.
La corruption gangrenait le gouvernement et les rouages de l'administration, favorisant un capitalisme de connivence au profit des élites, tandis que la population – en particulier les jeunes – souffrait de l'inflation, d'une croissance sans emploi et de l'accaparement des opportunités économiques par l'entourage du régime.
En juillet 2024, le rétablissement d'un système de quotas dans la fonction publique, favorisant les proches du pouvoir, déclencha un soulèvement massif, nourri par des années de frustration. La réponse fut brutale : couvre-feu, coupure d'internet et répression sanglante. Alors que les affrontements atteignaient leur paroxysme, Sheikh Hasina, lâchée par l'armée, s'enfuyait du pays. Quelques jours plus tard, un gouvernement intérimaire dirigé par Muhammad Yunnus, prix Nobel de la paix en 2006, prêtait serment.
Pendant quinze ans, l'Inde a soutenu indéfectiblement Hasina, fermant les yeux sur les abus et les dérives autoritaires.
Cet appui s'est encore manifesté par l'invitation du Bangladesh au G20, présidé par l'Inde, en 2023 – une première historique pour le pays et un gage de légitimité internationale, et ce soutien a encore perduré jusqu'à l'approche du scrutin de 2024, malgré les critiques internationales.
En retour, le Bangladesh a concédé à son grand voisin des avantages commerciaux illustrant un rapport d'exploitation et de soumission. Ces ententes ont porté notamment sur le « partage » de ressources hydrauliques, des facilités pour le transport de marchandises, ou la coopération dans la lutte contre le militantisme islamique. Cette relation asymétrique a nourri un sentiment d'hostilité.
En misant exclusivement sur son alliance avec Sheikh Hasina, le gouvernement Modi a négligé les dynamiques internes du Bangladesh et fragilisé sa propre influence régionale, après le changement de régime.
Par ailleurs, les discours haineux des nationalistes hindous qualifiant les Bangladais de « termites » et d' « immigrants illégaux », ont attisé le rejet et la défiance. Ces déclarations, associées à des politiques discriminatoires contre des musulmans indiens et à l'ingérence dans les affaires internes du Bangladesh, ont exacerbé l'hostilité envers l'Inde. Ce climat de suspicion a non seulement affaibli l'influence de l'Inde, mais aussi entaché sa réputation, marquant un revers stratégique majeur.
Le Sri Lanka et le Pakistan ont également été secoués par de vastes mouvements de protestation exigeant le départ de leurs dirigeants, jugés incapables de gouverner de manière juste, transparente et efficace.
Au Sri Lanka, la crise économique a été marquée par une dette insoutenable, des pénuries généralisées et une hausse du coût de la vie. Le taux de pauvreté a presque doublé entre 2021 et 2022, dépassant les 25% et un demi-million de travailleurs ont perdu leur emploi en 2022, provoquant une émigration massive de travailleurs. L'effondrement économique, couplé à des années de mauvaise gestion, a attisé le mécontentement, conduisant à la démission du président Gotabaya Rajapaksa. En 2024, Anura Kumara Dissanayake (« AKD ») a été élu à la tête d'une coalition de gauche. Porté par un élan populaire en faveur d'un « changement de système », AKD a incarné l'espoir d'un renouveau, dans un pays rongé par la corruption et la mauvaise gestion.
Au Pakistan, c'est la gouvernance désastreuse du pays et la destitution d'Imran Khan, l'ex-Premier ministre aujourd'hui emprisonné, qui ont été le catalyseur des mobilisations.
Dans les deux cas, les citoyens ont dénoncé un système politique oligarchique déconnecté des réalités, ainsi que l'influence démesurée de l'armée dans les affaires civiles. Ces mouvements ont exprimé un désir de réformes démocratiques et de justice sociale.
Bien que les soulèvements populaires au Sri Lanka et au Pakistan trouvent leurs origines dans des dynamiques internes, ils s'inscrivent dans un contexte de contestation du leadership de l'Inde. Fort de sa taille géographique et de son poids politique, New Delhi a cherché à imposer sa domination sur la région, en adoptant une « diplomatie coercitive », reposant sur des stratégies de l'influence et de la menace, et en s'érigeant en arbitre des relations internationales de ses voisins.
La montée au pouvoir de dirigeants moins alignés sur les intérêts indiens, comme AKD au Sri Lanka ou le gouvernement intérimaire de Muhammad Yunus au Bangladesh ; ou encore l'ascension de Mohammed Muizzu à la présidence des Maldives, qui a fait campagne sur le thème « India Out », ou le retour du Premier ministre népalais KP Sharma Oli, dont les relations avec New Delhi ont été houleuses par le passé, ont marqué un tournant dans les relations régionales.
Sans faire table rase du passé, ces nouveaux acteurs ont affiché leur volonté de tempérer les prétentions indiennes, pour préserver leur souveraineté nationale et maintenir un équilibre délicat entre l'Inde et la Chine. La stratégie de contrôle et l'ambition hégémonique de Modi ont incité les « petits » États du Sud asiatique à diversifier leurs partenariats et à exploiter les opportunités offertes par la rivalité sino-indienne, en évitant de tomber dans l'orbite de l'une des deux puissances.
L'Inde fait face à un double problème d'asymétrie en Asie du Sud. Le premier tient à la taille, la démographie, l'économie, la politique étrangère de l'Inde, qui en font un géant en comparaison de ses voisins. Le second réside dans le rapport de force déséquilibré qui existe entre la Chine et l'Inde. Dans de nombreux domaines – économique, industriel, technologique, diplomatique, militaire, en matière de développement humain, etc. – Pékin surpasse son rival. L'Inde est aussi dépendante de la Chine pour une part importante de ses importations.
Dans ce contexte, l'expansionnisme chinois dans la zone d'influence traditionnelle indienne, à travers des investissements dans des infrastructures via la Belt and Road Initiative (BRI) et des alliances stratégiques avec des pays riverains de l'océan indien, a été perçu par New Delhi comme une menace directe à sa prééminence régionale.
À l'entame de son troisième mandat, Narendra Modi est confronté à des défis majeurs. Pour surmonter sa « débâcle diplomatique » en Asie du Sud, New Delhi doit repenser son approche. Elle doit s'extraire d'une logique fondée sur la seule obsession de refoulement de la Chine et sur ses seuls intérêts hégémoniques pour envisager un développement commun et prendre en compte les intérêts et les besoins des autres pays de la région. La région ne pourra s'élever qu'ensemble. Nombre d'enjeux dépassent les frontières : pollution de l'air, pénurie de l'eau, migrations, inégalités économiques, infrastructures, connectivité, etc. L'avenir d'un quart de la population mondiale en dépend.
18.02.2025 à 11:49
18.02.2025 à 05:00
C'était le 17 décembre dernier et l'annonce a fait l'effet d'une petite bombe dans le monde de la tech' : l'État congolais, propriétaire de l'une des plus vastes réserves de minerais essentiels à la production d'appareils électroniques de pointe, a déposé plainte contre l'entreprise américaine Apple. Kinshasa accuse la marque à la pomme de s'approvisionner en minerais congolais pillés dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) et exportés illégalement via le Rwanda, avec l'aide (…)
- Actualité / Congo, Rép. démocratique , Développement, Économie informelle, Armes et conflits armés , Justice pénale , Industries extractives, Chaînes d'approvisionnementC'était le 17 décembre dernier et l'annonce a fait l'effet d'une petite bombe dans le monde de la tech' : l'État congolais, propriétaire de l'une des plus vastes réserves de minerais essentiels à la production d'appareils électroniques de pointe, a déposé plainte contre l'entreprise américaine Apple. Kinshasa accuse la marque à la pomme de s'approvisionner en minerais congolais pillés dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) et exportés illégalement via le Rwanda, avec l'aide du groupe rebelle M23.
Dans l'opinion publique congolaise, qui dénonce régulièrement le pillage des richesses de son sous-sol par des intermédiaires liés au pays voisin, l'initiative a été plutôt bien perçue. Mugisha [prénom d'emprunt pour raison de sécurité liée à la prise de la ville de Goma par le M23], un membre de l'organisation faitière congolaise Société Civile (qui regroupe diverses organisations locales), partage ce sentiment.
« Depuis des années, les minerais congolais sont exportés illégalement à travers le monde via le Rwanda voisin, sans que cela ne profite à la RDC, mais en profitant à des acteurs armés qui pullulent dans la région. La population congolaise est ainsi deux fois victimes : d'abord du vol de ses richesses, qui ne contribuent pas à la construction du pays ; ensuite de la guerre, qui est alimentée par les bénéfices tirés du commerce illégal de minerais », résume-t-il. « Tout le monde le sait, notamment les sociétés de la tech' qui achètent ces minerais essentiels à leurs affaires. Mais tout le monde ferme les yeux. »
« Dans ce contexte, nous accueillons favorablement le dépôt de cette plainte, qui vise à mettre fin à la guerre et à ce que les Congolais profitent enfin des richesses de leur terre. Le gouvernement doit y apporter tout le suivi possible. »
L'enthousiasme généré par l'annonce de cette initiative est toutefois vite relativisé. En cause : l'inaction de la communauté internationale, alors que le conflit dans l'est de la RDC dure depuis près de 30 ans. Le déploiement, à partir de 2010, d'une large force d'interposition onusienne, la MONUSCO, qui a succédé à la MONUC, déployée depuis 1999, et de multiples promesses de mettre fin à la guerre et à l'exploitation illégale des ressources naturelles n'ont abouti à rien, suscitant la méfiance vis-à-vis de toute tentative de gouvernance globale.
Le lancement du processus de certification ITSCI (International Tin Supply Chain Initiative), en 2010, devait contribuer, en surveillant les chaînes d'approvisionnement, à mettre un terme à ce que beaucoup qualifient de pillage de la région. « Mais il a été démontré depuis que ce label est largement contourné et ne règle rien », reprend Mugisha. Une enquête documentée de l'ONG Global Witness parle de la “laverie” ITSCI, et accuse le label d'être si peu exigeant qu'il permettrait un vaste blanchiment des minerais volés.
L'administration d'une partie de la zone de production par les rebelles du M23 (notamment les importantes mines congolaises de Rubaya, qui produisent du coltan, du tungstène et de l'étain), ainsi que la corruption qui gangrène le pays (classé 162e par l'indice de corruption de Transparency International) empêche de fait toute procédure efficace de contrôle sur le terrain.
La déception vis-à-vis de la communauté internationale est alimentée par de sérieux soupçons portant sur la volonté de certains pays de s'accaparer les minerais congolais.
« En février 2024, l'UE a signé avec le Rwanda un protocole d'accord sur les chaînes de valeur durables pour les matières premières. Cela vise à soutenir l'exportation via le pays de minerais, alors que l'on sait que le pays [le Rwanda, NDA] n'en produit que très peu, et que la plupart sont extraits au Congo voisin », dénonce Alexis Muhima, de l'Observatoire de la société civile congolaise pour les minerais de paix (OSCMP).
« Cette plainte est donc un message adressé à la communauté internationale et à toutes les multinationales : il est temps qu'ils comprennent qu'ils ne peuvent pas piller impunément les richesses de la RDC ». Il appelle les différentes entreprises du secteur technologique à mettre en place un commerce respectueux des droits humains.
Alors que les autorités congolaises misent sur leur plainte pour attirer l'attention de l'opinion publique internationale sur la question des minerais de conflit, des chercheurs et activistes congolais préfèrent insister sur le besoin de mettre en place des chaînes de valeur propres et durables, conditions indispensables pour que l'exploitation minière du sous-sol congolais bénéficie à sa population.
« Avec cette plainte, Kinshasa cherche à mettre la pression sur le Rwanda, alors que les relations avec Kigali sont au plus bas. Mais le véritable enjeu est d'établir des chaînes de valeur exemptes de minerais venus de mines qui ne respectent pas les normes fixées au niveau national et international », souligne Josaphat Musamba, chercheur et membre du groupe d'études sur les conflits et la sécurité humaine, une unité de recherche du Centre de recherches universitaire du Kivu (Institut supérieur pédagogique, Bukavu). « Cela nécessite une traçabilité accrue. Et de ce côté-là, il y a de nombreux efforts à faire en interne », ajoute-t-il.
La RDC s'est dotée d'un mécanisme de contrôle des mines, qui les autorise ou non à commercialiser leur production, en fonction du respect ou non d'un certain nombre de règles.
« Pour le moment, on constate que des minerais exportés légalement depuis des mines congolaises incluent des minerais extraits sur des sites non certifiés. Il est indispensable d'améliorer la traçabilité des minerais congolais, mais il ne faut pas croire que le problème n'est dû qu'à la politique du Rwanda. Cette plainte ne va donc pas tout régler. »
À l'échelle internationale, le manque de transparence des multinationales est également pointé du doigt. Celle-ci est pourtant indispensable pour assurer la traçabilité des minerais. Suite à la plainte déposée par la RDC à Paris et Bruxelles contre les filiales française et belge d'Apple pour « recel de crimes de guerre, blanchiment de faux et tromperie des consommateurs », le groupe a annoncé « ne plus s'approvisionner en minerais venant de RDC et du Rwanda ».
Il reste toutefois très flou sur cette démarche, ne donnant pas plus d'informations sur la date de la prise de cette décision, ni ce qui l'a motivée, et ne souhaitant pas la commenter de manière plus précise (Apple, contactée à ce sujet par Equal Times, l'entreprise n'a pas donné suite à la demande). La marque compte néanmoins sur cette annonce pour nier l'accusation de recours à des « minerais de sang » qui alimentent le conflit en cours dans la région. Un conflit qui s'est intensifié ces dernières semaines avec notamment la prise de la capitale de la province, Goma, au terme de violents combats dans le centre-ville. Le bilan provisoire fait état d'environ 3.000 morts et des milliers de blessés.
Cette tentative d'Apple d'apporter des garanties sur l'absence de recours à des minerais de conflit ne convainc toutefois pas les organisations congolaises qui plaident pour la structuration de chaînes de valeur durables.
« Les multinationales doivent être plus précises dans l'information aux consommateurs », plaide Mugisha. « Les appareils vendus devraient spécifier la provenance des matières premières utilisées, en stipulant par exemple le lieu de fabrication et les lieux de provenance des minerais utilisés. Cela permettra au consommateur de disposer d'un jugement objectif avant d'acheter un appareil, et aux actionnaires de savoir d'où viennent les bénéfices de leurs entreprises. Mais bien sûr, cela suppose l'existence d'un système de certification fiable. Il faut reprendre les efforts pour mettre cela en place au niveau régional, et donc avec les pays voisins, et garantir la réalité des contrôles sur le terrain. »
Dans les vertes collines du Sud-Kivu éventrées de sites boueux par l'exploitation du coltan, tungstène et étain, l'annonce de la plainte déposée par Kinshasa et ses potentielles retombées posent question.
« L'exploitation minière est une source de revenus importante et assure les moyens de subsistance de l'essentiel de la population. Au moins 60% de la population, 80% des jeunes, vivent du travail de mines. L'exploitation minière nous permet donc de faire vivre nos familles et de scolariser nos enfants », explique John, chargé d'administration et finances d'une mine au Sud-Kivu. [John souhaite lui aussi utiliser un prénom d'emprunt, car il est actuellement en fuite devant l'avancée des rebelles du M23. Comme lui, de nombreux membres de l'administration des mines de la région ont fui, tandis que les rebelles tentent de mettre en place une administration parallèle].
Du fait de cette manne financière nécessaire, l'appel au boycott déjà lancé en septembre dernier par des organisations de la diaspora congolaise à boycotter l'iPhone 16 pour pointer la responsabilité supposée d'Apple dans l'usage de minerais de conflit inquiétaient certains acteurs locaux. « Ces minerais, ce sont les revenus de notre communauté, de nos villages, de nos familles. Si demain tous les acheteurs refusent ce qui est extrait du Congo, on va se retrouver en difficulté », prévient Roger Rugwiza, creuseur artisanal et chargé du devoir de diligence pour Cooperama, une coopérative minière de Rubaya (Nord Kivu).
Sa mise en garde illustre bien l'inquiétude de la corporation, coincée entre la volonté d'améliorer les conditions de travail et les revenus, tout en ne mettant pas en danger ce qui fait vivre leurs familles, aussi insuffisant cela soit-il.
« Au-delà de la plainte contre les filiales d'Apple, la vraie question à poser est celle des retombées positives de l'exploitation minière pour les communautés locales », reprend Josaphat Musamba.
« Pour cela, nous devons développer une industrie locale de transformation des minerais. Ils se vendent plus cher transformés que bruts, et génèrent des emplois locaux. »
Une piste vers laquelle abonde Mugisha. « La création de chaînes de valeur durables, sans minerais issus de zones de conflit, doit être un premier pas pour mener notre pays à capter une part plus importante de la valeur créée et être moins dépendant des faibles revenus générés par les minerais bruts. Cela implique de créer une industrie capable de transformer localement le minerai brut. C'est ainsi que nous collecterons l'argent dont nous avons besoin pour assurer la sécurité, construire des écoles, des infrastructures de transports, et tout ce dont nous avons besoin pour vivre décemment. »
Le Kenya voisin, bien que moins riche en minerais, a annoncé en octobre dernier son intention de restreindre temporairement les exportations de plusieurs ressources minières à l'état brut pour promouvoir la transformation locale, afin d'augmenter les recettes du secteur minier, et de le porter de 1 à 10% du PIB d'ici 2030. Josaphat Musamba alerte toutefois : « Générer plus de revenus est un point de départ important. Je reste toutefois très prudent, car il faut assurer que cet argent profite aux travailleurs et aux communautés, et n'aille pas uniquement dans les poches de la classe dirigeante ».
L'accueil positif réservé à la plainte déposée par la RDC semble ainsi plus relever d'un souhait de voir l'exploitation des matières premières bénéficier plus largement aux communautés locales. Entre espoir et scepticisme, les réactions témoignent toutefois d'une détermination réaffirmée à prendre le contrôle sur les richesses naturelles du pays.