22.04.2025 à 12:27
Le changement climatique nous touche toutes et tous, mais pour les travailleuses et les travailleurs de la santé et des soins qui s'échinent à la besogne dans des pays en situation de stress énergétique comme le Zimbabwe, la crise est immédiate et implacable. Alors que beaucoup de professionnels parviennent à s'adapter, par exemple en trouvant des moyens de rafraîchir leur logement, de stocker de l'eau ou de faire face aux coupures d'électricité, ce n'est pas le cas des professionnels de la (…)
- Opinions / Salman YunusLe changement climatique nous touche toutes et tous, mais pour les travailleuses et les travailleurs de la santé et des soins qui s'échinent à la besogne dans des pays en situation de stress énergétique comme le Zimbabwe, la crise est immédiate et implacable. Alors que beaucoup de professionnels parviennent à s'adapter, par exemple en trouvant des moyens de rafraîchir leur logement, de stocker de l'eau ou de faire face aux coupures d'électricité, ce n'est pas le cas des professionnels de la santé. Leur travail consiste à maintenir les gens en vie, aussi désespérées que soient les conditions. Mais avec des hôpitaux à court de ressources et privés d'électricité, ils ne sont plus en mesure d'assurer les soins même les plus élémentaires.
Imaginez une sage-femme qui met un bébé au monde à la lueur de la lampe torche d'un téléphone portable. Comment empêcher la propagation d'infections dans un hôpital sans eau courante ? Il ne s'agit point d'hypothèses, mais bien de la réalité quotidienne vécue par des milliers d'infirmiers et infirmières, de sages-femmes et de membres du personnel hospitalier à travers le continent. Les changements climatiques aggravent les coupures d'électricité, les pénuries d'eau et les épidémies, transformant un système de santé déjà exsangue en champ de bataille. Et les personnes qui se battent en première ligne ? Elles sont épuisées, sous-payées et ignorées.
Longtemps fragiles, les infrastructures de santé en Afrique atteignent désormais le point de rupture, sous l'effet du changement climatique. Alors que le paludisme, le choléra et les maladies liées à la chaleur connaissent une recrudescence, les hôpitaux manquent souvent de l'électricité nécessaire pour faire fonctionner les équipements médicaux essentiels.
« Partout dans le monde, on parle d'éteindre les lumières pendant une heure [à l'occasion de journées commémoratives comme la Journée de la Terre], alors que pour nous, les coupures d'électricité font partie du quotidien », explique Mary Kathiru Nderi, du Syndicat kenyan des travailleurs du commerce, de l'alimentation et des secteurs connexes (Kenya Union of Commercial, Food and Allied Workers, KUCFAW).
« Les inondations et les sécheresses ont rendu notre travail intenable. Nous sommes censées respecter les normes d'hygiène dans des hôpitaux sans eau courante. Pendant les coupures d'électricité, nous devons pratiquer des accouchements à la lueur des lampes torches de nos téléphones portables. »
Les pénuries d'eau rendent impossible la stérilisation adéquate des instruments chirurgicaux. Impossible aussi de prodiguer les soins d'hygiène de base aux patients qui se remettent d'une infection. Et c'est pourtant toujours aux professionnels de la santé qu'incombe la responsabilité de faire fonctionner le système et de sauver des vies dans des conditions impossibles.
Pour les professionnels de la santé, la réalité des pénuries d'énergie et d'eau peut avoir des conséquences catastrophiques. Contrairement aux coupures volontaires et planifiées, les pannes d'électricité dans les hôpitaux sont imprévisibles et peuvent s'avérer mortelles. « Nous sommes en première ligne et veillons à ce que les patients reçoivent des soins même lorsque les hôpitaux sont à court d'eau, d'électricité et de fournitures médicales », explique Tecla Barangwe, du syndicat Medical Professionals and Allied Workers Union of Zimbabwe (MPAWUZ). « Cependant, nos conditions de travail sont ignorées. Nous avons besoin de politiques qui nous protègent, avec de meilleurs salaires, des équipements de protection et la reconnaissance du rôle essentiel que nous jouons dans nos communautés. »
Les coupures d'électricité induites par le climat ne sont pas seulement source de désagréments pour les professionnels de santé, elles mettent aussi des vies en danger. Elles entraînent des pannes des systèmes de réfrigération des banques de sang et de vaccins. Elles provoquent l'arrêt des systèmes de survie. De surcroît, elles rendent impossibles les interventions chirurgicales d'urgence. Au Cameroun, Rodolphe Nouemwa Tassing, du Syndicat national des employés, gradés et cadres de banques et établissement financiers du Cameroun (SNEGCBEFCAM), avertit que « faute d'investissements dans des systèmes de santé résilients aux changements climatiques, les personnels soignants et les patients continueront de souffrir ».
Les hausses de température n'entraînent pas seulement une augmentation du nombre de patients souffrant de coups de chaleur et de déshydratation. Elles poussent également les professionnels de santé au-delà de leurs limites physiques. De nombreux hôpitaux étant dépourvus de climatisation ou d'une ventilation adéquate, les personnels infirmiers et les médecins se voient contraints de travailler dans des températures caniculaires, tout en devant s'occuper d'un nombre ingérable de patients.
« Prenons l'exemple d'une infirmière en service dans un hôpital situé dans une région tropicale, où les hausses de température et les vagues de chaleur sont de plus en plus fréquentes », indique Joël Lueteta, de la Générale syndicale de la République démocratique du Congo. « Les vagues de chaleur entraînent une augmentation des cas de coups de chaleur, de déshydratation sévère et de problèmes cardiaques, mettant à rude épreuve les services hospitaliers. Le personnel infirmier, déjà aux prises avec un afflux massif de patients, doit également endurer des températures extrêmes dans des établissements où la climatisation est insuffisante, voire inexistante. Le stress thermique n'affecte pas seulement notre capacité à travailler, mais met également notre santé en danger. »
Les syndicats du secteur de la santé de toute l'Afrique appellent à des interventions urgentes pour protéger les travailleurs contre les crises induites par le climat. Ils attirent notamment l'attention sur la nécessité d'une représentation plus forte des travailleurs dans les discussions sur les politiques climatiques, ainsi que sur l'inclusion de mesures de résilience dans les conventions collectives.
Pour assurer la survie, nous demandons des investissements dans les infrastructures, notamment des systèmes d'alimentation électrique de secours photovoltaïques et des hôpitaux résistants aux aléas climatiques. Nous devons en outre continuer à insister sur l'importance de conditions de travail plus sûres, y compris des équipements de protection, des stratégies d'atténuation de la chaleur et des formations à la préparation aux catastrophes, et normaliser ces mesures dans tous les établissements de santé.
Les travailleurs de la santé et des soins, qui sont en première ligne face à l'urgence climatique qui nous concerne toutes et tous, ne peuvent être abandonnés à leur sort. « Nous avons besoin d'un véritable changement – de meilleurs salaires, des hôpitaux résilients au changement climatique et la reconnaissance du rôle essentiel que nous jouons », a souligné Mme Barangwe, du Medical Professionals and Allied Workers Union of Zimbabwe (MPAWUZ). « Le monde ne peut plus se permettre de nous ignorer. »
17.04.2025 à 18:11
« Il y a deux manières de combattre, l'une avec les lois, l'autre avec la force. La première est propre aux hommes, l'autre nous est commune avec les bêtes », écrit Nicolas Machiavel dans son ouvrage de référence sur l'art de la guerre, Le Prince, publié en 1532. Si nous voulons rester des hommes et non devenir des êtres sans affect, il est fondamental de réfléchir à l'éthique et de faire évoluer la législation internationale au développement de nouvelles technologies. D'autant plus à (…)
- L'explication / Monde-Global, Droits humains, Commerce, Armes et conflits armés , Sciences et technologie, Législation, Éthique« Il y a deux manières de combattre, l'une avec les lois, l'autre avec la force. La première est propre aux hommes, l'autre nous est commune avec les bêtes », écrit Nicolas Machiavel dans son ouvrage de référence sur l'art de la guerre, Le Prince, publié en 1532. Si nous voulons rester des hommes et non devenir des êtres sans affect, il est fondamental de réfléchir à l'éthique et de faire évoluer la législation internationale au développement de nouvelles technologies. D'autant plus à l'heure où nous assistons à une plus grande autonomisation des champs de bataille.
Car comme le rappelle le professeur Geoffrey Hinton, prix Nobel de physique en 2024, notamment pour ses contributions sur l'IA : « Bon nombre des systèmes d'armes reposent sur l'intelligence artificielle », or les systèmes d'armes létaux autonomes (SALA), appelés plus communément « robots tueurs », ne font pas l'objet d'un encadrement juridique international spécifique.
Le 2 décembre 2024, l'Autriche a présenté un projet de résolution à l'ONU sur les systèmes d'armes autonomes létaux (SALA), mettant en avant l'urgence de leur régulation dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques (CCAC). L'Assemblée générale a adopté le texte par 166 voix « pour » et 3 « contre » (Bélarus, Russie et Corée du Nord), et 15 abstentions. C'est une première étape cruciale, car cela témoigne de la volonté grandissante de la communauté internationale de mettre à jour la législation internationale. Cette résolution crée un nouveau forum sous les auspices de l'ONU pour discuter de ce qu'il convient de faire à leur sujet.
Depuis 2013, la question des armes autonomes et de leurs enjeux a été maintes fois portée au débat. Tout d'abord, par la Commission des droits de l'homme de l'ONU lors d'une réunion informelle d'experts internationaux du désarmement sur les systèmes létaux d'armes autonomes, à Genève. En 2017, l'Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement (UNIDIR) lance une série de rencontres entre États et experts afin d'étudier la question de la transparence, de la supervision des drones armés et de l'obligation de rendre des comptes.
Peu de temps avant, les États-Unis publiaient une déclaration, approuvée par 53 pays, pour défendre « l'exportation et l'utilisation de véhicules aériens sans pilotes (UAV) armés ou capables de frapper », certes en respectant quelques principes, mais sans pour autant en déterminer les contours légaux, provoquant de vives réactions et inquiétudes parmi la société civile qui craint pour la prolifération de leur déploiement et utilisation ainsi qu'un contrôle appauvri de leur usage.
L'armée américaine utilise des drones au Pakistan, en Somalie et au Yémen notamment. Elle est pointée du doigt par de nombreux chercheurs et ONG qui dénoncent le fondement légal de ces frappes visant des individus soupçonnés d'appartenir à des groupes, selon un certain profil. « Nous sommes gravement préoccupés par le fait que certaines de ces frappes aériennes ont violé le droit à la vie », déclarait une de leur porte-parole, Sophia Wistehub, devant l'Assemblé générale de l'ONU, en 2017. Les États-Unis sont opposés à un traité contraignant.
La Russie et Israël utilisent également ce type d'armes actuellement sur des terrains de guerre. Des pays comme la Chine, le Royaume-Uni, la France, la Turquie, la Corée du Sud et l'Inde développent des capacités liées à l'autonomie militaire. En France, le comité d'éthique de la défense a déjà donné son avis. Ses membres ne souhaitent pas que l'armée exploite des systèmes d'armes létales totalement autonomes. En revanche, ils ne s'opposent pas aux armes robotisées, pilotées par des opérateurs humains. C'est aussi la position d'autres pays tels que l'Australie, Israël, la Turquie, la Chine et la Corée du Sud qui développent également leurs propres systèmes d'armes létales autonomes.
À noter que le processus décisionnel par consensus permet à un seul pays d'empêcher tout accord. C'est ce qui explique qu'aucun traité n'ait encore vu le jour.
« Nos inquiétudes ont été renforcées par la disponibilité et l'accessibilité croissantes de technologies nouvelles et émergentes sophistiquées, telles que la robotique et l'intelligence artificielle, qui pourraient être intégrées dans des armes autonomes », soulignait ainsi en 2013 António Guterres, le Secrétaire général des Nations Unies.
Les conflits actuels illustrent la façon dramatique dont les guerres se numérisent et s'accélèrent : dans la bande de Gaza, l'armée israélienne utilise les systèmes de ciblage assistés notamment par l'IA, comme les logiciels « Habsora » ou « Alchemist ». « Ces technologies peuvent aussi être employées pour intensifier les campagnes aériennes en augmentant la cadence des frappes – causant donc plus de dommages humains et matériels parmi les civils », écrivent ainsi deux chercheuses françaises.
Au Burkina Faso et en Éthiopie, Amnesty International dénonce le recours aux drones armés de bombes et d'autres munitions guidées par laser. Dans le Haut-Karabakh ou en Libye, ce sont les munitions « rôdeuses » qui sont utilisées. Tout comme en Ukraine. Le 12 mars 2022, un KUB-BLA s'écrase à Kiev. C'est une munition rôdeuse qui est aussi appelée un « drone kamikaze » pouvant être dirigé par une intelligence artificielle. Il survole une zone donnée de façon autonome avant de trouver sa cible et de s'écraser. Glaçant mais réel.
En 2012, une campagne internationale, baptisée « Stop Killer Robots » et portée par des ONG du monde entier soucieuses d'interpeller l'opinion publique, mais surtout les dirigeants sur l'urgence d'encadrer par la loi ces fameux engins. Des tribunes se multiplient, des pétitions aussi et des manifestations comme à Berlin en avril 2020 alors que se tient un forum international virtuel sur les SALA auquel participent une soixantaine de pays. La campagne repose aussi sur le recueil de témoignages, des rapports scientifiques ou encore ce sondage effectué dans 23 pays en 2019 par « Stop Killer Robots » révélant que six humains sur dix sont contre l'utilisation des « robots tueurs ».
Rappelons-nous que les États ont su interdire les armes chimiques et biologiques (1993), les lasers aveuglants, les mines antipersonnels (1997) et les armes à sous-munitions (2008). L'usage de ces armes a ainsi fortement réduit et toutes formes de contravention par des pays est largement stigmatisé. Ona pu observer que même les Etats non-signataires de ces traités ont fini par s'aligner, sauvant d'innombrables vies civiles.
Pour aller plus loin :
- L'organisation Human Rights Watch a listé la position de chaque pays par rapport à l'idée de signer un traité international, à voir ici https://www.hrw.org/fr/report/2020/08/26/stopper-les-robots-tueurs/positions-des-pays-sur-linterdiction-des-armes
- Une campagne internationale portée par des citoyens engagés au sein de l'ONG Stop Killer Robots existe. De nombreuses actions sont recensées sur leur site https://www.stopkillerrobots.org/take-action/join-the-campaign/
- Un rapport développant les conclusions d'une mission d'information sur les systèmes d'armes létaux autonomes portée par des députés français en juillet 2020 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_def/l15b3248_rapport-information
16.04.2025 à 16:04