12.12.2025 à 14:40
Matheo Malik
Zilupe.
Ce nom ne vous dit peut-être rien. Pourtant, c’est par cette petite ville lettone que les armées de Poutine seraient le plus susceptibles d’effectuer une percée dans l’OTAN.
Moscou connaît nos maillons faibles — et nous ne les protégeons pas assez.
De la Lettonie au Svalbard, cartographie des points fragiles que la Russie pourrait essayer de briser en 2026.
L’article Par où Poutine attaquera-t-il l’Europe ? est apparu en premier sur Le Grand Continent.
Pour éviter les écueils du rassurisme et de l’alarmisme, il faut toujours partir des faits : Poutine menace clairement et directement l’Europe — et nous ne sommes pas prêts. Dans cette période d’incertitude, notre rédaction indépendante et européenne ne peut se développer que grâce à vous, nos lectrices et lecteurs : découvrez toutes nos offres pour nous soutenir en vous abonnant au Grand Continent
Soixante-cinq kilomètres. C’est la distance qui sépare la frontière du Bélarus de celle de l’enclave russe de Kaliningrad. Cette zone entre la Pologne et la Lituanie — dite corridor de Suwalki — assure la continuité territoriale du cœur de l’Union européenne, « de Lisbonne à Tallinn » ; elle constitue le seul lien continental de l’Alliance atlantique avec les trois républiques baltes.
Depuis 2015, la région est l’objet de toutes les attentions.
Cette année-là, un article de Paul McLeary compare le corridor de Suwalki à la « trouée de Fulda » qui avait, pendant la Guerre froide, concentré une grande part des peurs d’une invasion par les forces du Pacte de Varsovie 34.
Depuis l’installation en 2016 de brigades multinationales de l’Alliance dans cette zone 35, on imagine que les forces russes massées au Bélarus, auraient pour plan, dès le début d’une guerre contre l’OTAN, de traverser ce corridor. Dans le même mouvement, elles pourraient désenclaver Kaliningrad et couper les pays baltes du reste de l’alliance, ce qui faciliterait leur invasion ultérieure 36.
Plus récemment, les projets de « murs » contre les drones sur le flanc Est de l’Europe envisagent d’automatiser la détection et la neutralisation des « forces ennemies massées dans le corridor de Suwalki » 37.
Les Russes nous feront-ils cependant la faveur d’attaquer là où nous les attendons ?
Ou faut-il chercher ailleurs le maillon faible ?
Et d’ailleurs, le maillon faible de quoi ?
Pendant la Guerre froide, lorsque les craintes se concentraient sur la vulnérabilité de la trouée de Fulda, le scénario de référence d’un conflit contre le Pacte de Varsovie était celui d’un déferlement de l’armée rouge et de ses alliés sur l’Europe occidentale — plus ou moins précédé d’emploi d’armes nucléaires.
À cette époque, l’URSS disposait des moyens et des effectifs pour envisager la conquête de l’Europe, tout en assumant le risque d’apocalypse ; il n’y a guère que trois-cents kilomètres entre la frontière tchèque et le Rhin.
Au même moment, le risque d’un Hamburg Grab 38 était bien compris : l’OTAN envisageait que les Soviétiques tentent une prise de gage territorial limitée, qui « testerait » la résolution de l’Alliance et pourrait exposer le manque de volonté américaine de s’engager pour une « simple ville allemande ».
Cette raison fut l’une de celles qui justifièrent le maintien d’une défense de l’avant, à la fois puissante mais très exposée, au plus près du rideau de fer. L’Alliance assumait une plus grande vulnérabilité initiale en cas — peu probable — de guerre totale, en échange d’une limitation du risque — plus probable — de prise de gage territorial.
Par analogie, il peut donc être tentant de penser que le corridor de Suwalki constituerait notre nouvelle trouée de Fulda : sa prise permettrait de diviser l’alliance en deux ; elle constituerait un test majeur pour nos forces conventionnelles et permettrait à la Russie d’engager le conflit dans des termes favorables.
À Moscou, les siloviki pourraient profiter du « moment trumpien » pour tenter de faire vaciller l’OTAN et l’Union.
Stéphane Audrand
Est-il cependant vraiment dans la stratégie de la Russie d’engager une lutte du fort au fort en frappant là où on l’attend ?
Une attaque massive dans cette région entraînerait en effet inéluctablement la Pologne dans le conflit. Elle constituerait un électrochoc majeur pour l’OTAN et pour l’Europe en mettant en danger la totalité des forces de réassurance présentes dans les pays baltes. Pour toute administration américaine, elle risquerait de représenter une menace telle qu’elle ne pourrait être ignorée.
Face à une Pologne qui alignera bientôt la première armée de terre d’Europe 39, une telle attaque impliquerait pour la Russie d’engager un corps de bataille tout au bout du Bélarus, avec un ravitaillement très dépendant de l’axe Hrodna–Minsk, exposé le long de la frontière lituanienne.
Elle justifierait toutes les attaques envisageables sur Kaliningrad ; le cœur du conflit pourrait se situer en aval de l’enclave — les forces russes rencontrant une résistance à mi-chemin.
Touchant la Lituanie où stationne la brigade sous commandement allemand, l’invasion entraînerait Berlin dans la guerre — ce alors que l’Allemagne, selon les conditions politiques qui prévalent, pourrait être tenue à l’écart d’une confrontation armée.
Enfin, le terrain du corridor de Suwalki est peu adapté à ce qu’est devenue l’armée russe aujourd’hui : une force qui s’appuie sur ses drones et son infanterie devrait envahir une zone boisée — moins propice aux drones — et aux sols peu porteurs dans lesquels l’infanterie risquerait de s’enliser 40.
En d’autres termes, attaquer par le corridor de Suwalki serait pour la Russie un immense risque politique et militaire.
Certes, depuis février 2022, on ne peut exclure un comportement en apparence suicidaire de la part du pouvoir russe — dont la rationalité et la culture stratégique diffèrent beaucoup des nôtres. Pourtant, même avec une grille de lecture adaptée, il semble que la probabilité d’attaque contre le corridor soit tout de même assez faible au regard des objectifs de Vladimir Poutine.
À court terme, la cible du pouvoir russe actuel vis-à-vis de l’Europe n’est pas la conquête territoriale mais bien l’affaiblissement de l’Union elle-même en tant qu’institution.
Cela vaut aussi pour l’OTAN : en tant qu’organisations qui réunissent des États plus faibles que la Russie pour créer une force collective qui lui est supérieure, ces institutions constituent notre « centre de gravité ». Que ces deux institutions s’effondrent et la Russie se retrouvera en position de force face à chacun des anciens membres — capable de dicter son agenda de domination impériale à des nations dont la solidarité aura été testée et mise en échec.
Le bénéfice est double : sur son territoire, la fédération de Russie effacerait toute alternative désirable pour les peuples qui la constituent ; à l’étranger, elle détruirait deux des piliers d’un ordre international fondé sur le droit : la légitime défense collective et le respect des frontières et de la souveraineté des nations — grandes ou petites 41.
Comment s’y prendre pour détruire une institution ?
Le moyen est simple : il s’agit de tester sa solidité face à une crise qu’elle est supposée savoir gérer — en manœuvrant pour qu’elle échoue.
À cette fin, il est inutile d’infliger d’immenses destructions humaines ou matérielles : un échec politique suffit.
Dans le cas de l’Union comme de l’OTAN, la solidarité des membres est le fondement de l’institution, inscrit dans les textes fondateurs comme un acte de foi. Pourtant, si cette solidarité pendant la Guerre froide était généralement forte entre Européens, l’arrimage des États-Unis a toujours constitué un point de vigilance sur notre rive de l’Atlantique.
À chaque crise, du blocus de Berlin aux Euromissiles, l’Alliance a toujours présenté un front relativement uni : le leadership américain était sans équivoque pour promettre un engagement et des représailles en cas d’attaque contre l’Europe — même si leur forme et leur intensité s’inscrivaient dans une certaine ambiguïté stratégique.
Cette fermeté n’a pas disparu avec la Guerre froide. En 2014, après l’invasion de la Crimée et sans attendre une réponse collective de l’Alliance, les États-Unis avaient immédiatement envoyé des forces et fait preuve de leadership pour organiser la réponse collective qui fondait la dissuasion sur la réassurance 42. Une telle réaction avait redonné du crédit à une administration Obama — dont on avait pu douter compte tenu de son orientation en faveur de l’Asie et du désarmement nucléaire.
En 2025, avec Donald Trump à la Maison-Blanche, la situation est radicalement différente.
Malgré leur incapacité à triompher en Ukraine, les siloviki au pouvoir à Moscou pourraient profiter du « moment trumpien » pour tenter de faire vaciller l’OTAN et l’Union.
Pour ce faire, il leur faut trouver un objectif qui remplisse plusieurs critères.
D’abord, le but visé doit être suffisamment important pour être significatif à beaucoup d’Européens — mais aussi assez peu critique pour que l’administration Trump ait toutes les raisons de refuser un engagement.
Ensuite, il doit dans l’idéal ne pas justifier, aux yeux de nombreux Européens, que ceux-ci risquent une guerre contre la Russie.
Enfin, l’objectif doit être propice à l’application de la doctrine russe de « guerre d’un niveau supérieur » fondée sur le contournement de la lutte armée — et qui fait de la guerre un phénomène à la fois permanent, protéiforme et hybride, dans lequel le combat n’est qu’une phase parmi d’autres de l’action destinée à soumettre l’adversaire 43.
À l’aune de ces critères, on peut faire l’hypothèse que le corridor de Suwalki serait un « trop gros morceau ».
Ce corridor est à la fois trop consensuel pour les Européens et trop difficile à ignorer pour les Américains.
La Lituanie n’est pas un pays propice pour des actions d’ingérence russes, et tenir la Pologne et l’Allemagne hors du conflit devrait pour la Russie être une priorité ; du reste, le terrain n’est pas favorable et les voies de communication seraient exposées.
Pour Moscou, le pari est risqué — politiquement et militairement.
De même, la ville de Narva, en Estonie, régulièrement citée aux côtés de Suwalki comme pouvant faire l’objet d’une tentative de prise de gage territorial, constitue également une cible difficile — même si on a pu la comparer à Dantzig en se demandant s’il fallait « mourir pour Narva » 44.
Certes, la ville jouxte la frontière — une position propice pour une attaque surprise — et elle abrite des minorités linguistiques russophones pouvant être instrumentalisées — ce qui facilite les actions d’ingérence et de manipulation politique. Sur le plan logistique, la Russie pourrait par ailleurs utiliser ses lignes intérieures et serait moins exposée à des manœuvres sur ses flancs tout en bénéficiant de ses bulles de déni d’accès nationales.
D’autres raisons peuvent cependant dissuader Moscou d’attaquer par ce côté : l’Estonie abrite le groupe de combat de l’OTAN dirigé par les Britanniques, au sein duquel se trouve le groupement français. La perspective d’affronter, au premier jour et à la première heure des combats, les troupes des deux puissances nucléaires européennes constitue un facteur défavorable — tant par leur qualité que par les risques d’escalade.
Tout aussi défavorable est la perspective de voir la Finlande intervenir, pays très proche de l’Estonie, disposant d’une armée considérable et autonome, et qui pourrait rapidement miner les eaux devant Saint-Pétersbourg, paralysant — enfin — la flotte des pétroliers russes.
Si cela ne suffisait pas, l’Estonie elle-même fait des efforts considérables pour améliorer sa défense nationale : elle pourrait devenir une « abeille pouvant paralyser un éléphant » pour reprendre les mots de son ministre de la Défense dans ces pages.
Les scénarios d’attaque évoquent parfois le Finnmark norvégien. Il serait cependant pour la Russie une option délicate.
Certes, par le passé, la Russie a été soupçonnée d’encourager au Finnmark des mouvements d’espionnage. Elle a aussi tenté d’y entretenir une influence via des actions pseudo-mémorielles 45.
La société norvégienne est cependant très soudée et la Finlande proche serait disposée à intervenir. Du reste, les actions russes devraient partir de la péninsule de Kola — l’un des bastions de la dissuasion nucléaire — notamment par la présence de bases abritant des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.
Ce qui est plus important, c’est qu’on voit mal quel récit Moscou pourrait mobiliser pour justifier une invasion du Finnmark, au-delà de la rhétorique classique qui consiste à dire que la seule présence de l’OTAN près de sa frontière constitue une menace.
En cas de crise déjà entamée, une action dans cette zone aurait tout au plus un potentiel de diversion important, en neutralisant une grande partie de la capacité norvégienne à se projeter ailleurs ; S’emparer du port de Kirkenes serait une agression qui rendrait certes une intervention de l’OTAN difficile sur le plan militaire, mais relativement consensuelle sur le plan politique — du moins entre alliés européens.
Enfin, la question de la Moldavie est assez souvent soulevée : là encore, la situation ne semble pas se prêter à une action militaire.
La situation moldave est objectivement dépendante du destin de l’Ukraine et de sa capacité à conserver la région frontalière d’Odessa.
Pour l’heure, les forces russes en Transnistrie sont à la fois trop faibles pour tenter un coup de force contre la Moldavie, trop faibles pour résister à une intervention ukrainienne et impossibles à renforcer de manière significative tant que dure le conflit en Ukraine.
Autrement dit : il est dans l’intérêt de Moscou de maintenir le statu quo militaire en Moldavie tant que l’Ukraine résiste.
La déstabilisation de la Moldavie recherchée par la Russie ne peut venir pour l’heure que d’actions d’ingérence sous le seuil de la lutte armée.
Enfin, n’étant pas membre de l’Union ni de l’OTAN, l’attaque de la Moldavie aurait surtout, à nouveau, une valeur de test.
À bien des égards, une incursion à la frontière lettone pourrait en revanche constituer une option tentante pour Moscou.
Dans le cadre d’une telle opération, il ne s’agirait pas de mener une grande « campagne d’invasion » mais de s’enfoncer de quelques kilomètres, via une opération sous faux drapeau, pour prendre un ou deux villages dans un secteur comportant des minorités russophones.
La carte des minorités russophones fournit à cet égard un « plan de marche » assez commode.
Les environs de Zilupe, dans l’est du pays, très éloignés de la capitale Riga et du quartier général des troupes de l’OTAN qui s’y trouvent, combinent un terrain relativement plus ouvert que Suwalki, la présence de minorités russophones ainsi qu’une voie ferrée et un axe routier majeur depuis la Russie.
La Lettonie abrite la plus importante minorité russophone des pays baltes. Une bonne part de ces russophones s’est installée à l’époque soviétique : ils représentent, d’après les autorités lettones, 23,7 % de la population 46.
Une campagne d’influence dans le pays trouverait facilement quelques relais disposés à soutenir le récit de Moscou — moyennant peut-être des sommes d’argent.
Dans une campagne d’influence, la véracité compte moins que la vraisemblance.
Et de telles campagnes ont déjà commencé : le gouvernement letton s’efforce d’y répondre au mieux, en coopération avec le Strategic Communications Center of Excellence de l’OTAN situé dans le pays 47.
La Russie pourrait aussi tabler sur l’impréparation des forces armées adverses.
En Lettonie est stationnée la brigade multinationale de l’OTAN commandée par le Canada, une unité composée d’un grand nombre de membres (14). Mais une partie de ses forces est issue de pays dont les armées ne sont pas parmi les mieux préparées au combat combiné moderne 48.
En novembre 2025, lors de l’exercice « Resolute Warrior » de cette brigade, aucune image n’a été diffusée qui montrerait l’emploi de drones, de cope cages ou de tactiques à l’œuvre en Ukraine : au contraire, chars non protégés, pièces d’artillerie statiques non camouflées et placées à découvert ou hélicoptères approchant la zone de manœuvre en plein jour laissent planer le doute sur la qualité de l’entraînement de cette unité 49.
Tous ces facteurs font qu’il serait possible pour la Russie de jouer une partition connue : fomenter des actes sous de faux drapeaux contre les minorités russophones, faire passer des armes en contrebande — via le port de Riga —, agiter des milices, crier à l’oppression et faire intervenir ses forces sans reconnaissance officielle pour s’emparer de quelques villages à la frontière et s’enterrer sous la protection de drones et de missiles antiaériens.
Conformément à leur doctrine, les Russes charrieraient une puissance de feu supérieure — mais qui resterait en grande partie sur leur territoire, obligeant les Européens à assumer le coût politique d’une frappe sur la Russie.
Les drones présentent en outre l’avantage de pouvoir accroître l’ampleur du « déni plausible » en prétendant dans un premier temps qu’ils ne sont pas « russes ».
Une telle tactique permettrait ainsi d’éviter d’engager directement au premier jour les troupes britanniques et françaises stationnées en Estonie, mais aussi les troupes allemandes et polonaises positionnées dans le corridor de Suwalki.
Elle ne donnerait en outre pas vraiment de prétexte pour une attaque contre Kaliningrad.
Face à une incursion limitée sous un faux drapeau, niée par Moscou, la réaction de l’Alliance serait donc mise à rude épreuve.
Certes, les plans de fortification de leur frontière par les pays baltes sont ambitieux. Seront-ils cependant menés à bien avant la fin de la présidence Trump II ? Par exemple, la défense lettone ne prévoit pas d’achever les travaux majeurs avant 2029 50, soit à la fin du mandat de l’actuel président américain.
Pour la Russie, attaquer la Lettonie, c’est attaquer à la fois l’OTAN et l’Union dans le même mouvement — coup double donc, et, si l’une des deux institutions vacille, coup gagnant.
À bien des égards, une incursion à la frontière lettone pourrait constituer une option tentante pour Moscou.
Stéphane Audrand
Bien plus au nord, l’archipel du Svalbard pourrait constituer une autre proie de choix pour Poutine.
Bien que placé sous souveraineté norvégienne, le statut de l’archipel est fixé par un traité qui date de 1925 et interdit sa militarisation.
Ce traité précise en outre que tous ses signataires, parmi lesquels figure la Russie, bénéficient d’un « égal accès » à ses ressources naturelles 51.
Plus près de nous, le gouvernement norvégien tente de réaffirmer sa souveraineté sur l’archipel par des dispositions légales qui ne sont pas reconnues comme valides par la Russie, au titre de son interprétation du traité de 1925.
La défense de l’archipel serait difficile pour la Norvège : sa flotte de haute mer ne compte que quatre frégates et aucun navire supplémentaire ne devrait être admis en service avant 2030 au mieux 52.
La Russie a par ailleurs depuis 2022, décidé de renforcer la présence de ses nationaux sur l’archipel 53.
Situé au nord du 76e parallèle, l’archipel du Svalbard constitue une prise arctique très éloignée du cœur du continent européen et sans doute des préoccupations de la plupart de ses populations.
Son environnement polaire très difficile fait que seules les forces d’une poignée de pays — dont, en Europe, la France et le Royaume Uni — seraient capables d’y intervenir aux côtés de la Norvège.
Le Svalbard abrite en outre une mine de charbon russe, dotée d’un important personnel.
Les armes à feu sont nombreuses et « obligatoires » sur les îles, en raison de la présence d’ours polaires.
La Russie dispose de forces arctiques certes éprouvées par la guerre en Ukraine mais qui conservent une expertise indéniable dans cet environnement 54.
Elles bénéficieraient de la proximité de la péninsule de Kola, mais sans l’exposer directement à des frappes.
Membre fondateur de l’OTAN, la Norvège n’est pas membre de l’Union, mais demeure son principal fournisseur de gaz naturel et entretient des liens étroits et confraternels avec le reste de l’espace européen.
La solidarité de principe sera sans doute forte, même si le comportement de la Norvège pour réaffirmer sa souveraineté sur l’archipel expose à des attaques de désinformation russes qui fourniraient aux pays peu désireux de soutenir Oslo autrement qu’en parole des arguments pour ne pas intervenir.
On devine qu’en cas d’action russe contre le Svalbard — par exemple pour « défendre » les « intérêts économiques » — la réunion du Conseil de l’Atlantique nord serait compliquée par les récentes visées américaines en direction du Groenland et un consensus difficile à trouver.
En somme, intervenir au Svalbard pour la Russie permettrait de « planter un drapeau » dans un territoire européen tout en offrant aux États-Unis des arguments solides pour ne pas accepter l’activation de l’article 5.
Combien de pays européens s’engageraient alors dans une coalition sans soutien américain, dans le grand nord, pour aller disputer quelques arpents de toundra ?
Le dommage politique à la solidarité européenne serait considérable.
Et cette option est en outre cumulable à une crise en Lettonie — les forces russes impliquées pouvant être très différentes.
L’archipel du Svalbard pourrait constituer une proie de choix pour Poutine.
Stéphane Audrand
Dans les deux cas étudiés, des mesures militaires peuvent être prises, rapidement pour parer aux risques de prise de gage par la Russie, par exemple en répartissant mieux les « grandes nations » dans les pays baltes, pour s’assurer qu’il sera impossible d’agresser l’un d’entre eux sans combattre Français, Britanniques ou Allemands.
Sur le plan diplomatique, un effort considérable est à mener pour que la Pologne accepte aussi de participer à ces groupes de réassurance et ne se contente pas de former une armée forte mais terrorisée à l’idée de franchir sa propre frontière pour aider un allié.
Dans le grand nord, la préparation opérationnelle des nations européennes doit être renforcée — sans aide américaine — dans la perspective de défendre les droits européens en Arctique : qu’il s’agisse du Groenland, de la liberté de navigation, du Svalbard ou de l’Île aux Ours, les Européens doivent disposer de moyens crédibles et entraînés pour défendre et si nécessaire reprendre de vive force toute prise de gage russe.
Il est vrai que les déboires de la Royal Navy, notamment dans le domaine sous-marin, fragilisent encore les positions européennes 55.
Il revient peut-être à des nations traditionnellement absentes de ces eaux — comme le Portugal — de venir s’y entraîner.
Au large, comme nous l’avions déjà signalé, un effort important d’adaptation et de protection de nos flux maritimes est à envisager, même si la menace prendra peut-être — au moins sous la mer — quelques années de plus pour se concrétiser.
Enfin, de manière transverse, il importe de convaincre les pays européens qui s’y refusent encore d’investir dans des capacités de commandement et de contrôle (C2), de renseignement, de surveillance et de reconnaissance qui ne soient pas américaines.
En sus des capacités de l’OTAN, cela nous permettrait de mener un conflit « avec les États-Unis si nous le pouvons, sans eux si nous le devons ».
Mais les ajustements militaires, capacitaires, techniques, ne sont pas les plus importants.
Il y a de fortes chances que vous soyez en train de lire cet article sur un écran.
C’est ici que commence le maillon le plus faible de l’Europe.
Le principal mode d’action russe déjà à l’œuvre — on l’a souvent répété — est la guerre informationnelle, pour affaiblir la cohésion de nos sociétés démocratiques. La Russie y consacre des moyens considérables, la place au même niveau que la lutte armée et investit maintenant sur l’IA pour redoubler d’efforts 56.
Les manœuvres d’influence, d’ingérence, de diffusion de fausses nouvelles sont la « Kalachnikov du XXIe siècle » : peu coûteuses, faciles à produire et à utiliser, présentes partout et se prêtant à de nombreux usages, elles permettent à Moscou de mener sa guerre contre l’Europe directement à l’intérieur de nos téléphones.
Le point commun entre tous les scénarios envisagés dans cet article est qu’ils seraient des tests de cohésion politique pour les Européens — avec ou sans les États-Unis, voire contre eux.
Mais pour que cette cohésion des institutions se manifeste, il faut aussi qu’elle s’appuie sur une cohésion sociétale.
Cette question a été admirablement mise en scène dans le film Darkest Hour, lorsqu’un Churchill hésitant, pris dans la tourmente de mai-juin 1940, va « tester » la cohésion des Britanniques dans le métro de Londres et en sort lui-même surpris par sa solidité.
À l’heure des réseaux sociaux, cette résilience sociétale est plus fragile que jamais et, à Berlin, Londres ou Paris, les prochaines échéances électorales pourraient porter au pouvoir des partis plus proches des idées de Donald Trump que de l’héritage démocratique européen.
Ne nous trompons pas : nos sociétés européennes sont en crise et le déclin nous menace.
Mais autour d’elles, la prédation des empires ne mettra pas de gants.
Le défi le plus important pour nos sociétés n’est pas militaire. Il est politique. Nous saurons renforcer nos maillons faibles militaires si nous comprenons que notre cohésion n’est pas l’affaire de tous — mais qu’elle nous concerne chacun, individuellement.
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11.12.2025 à 20:07
Matheo Malik
« Nous sommes la prochaine cible de la Russie, et nous sommes déjà en danger. »
Depuis Berlin, le secrétaire général de l’OTAN a adressé un message d’une particulière gravité aux citoyens de l’Union.
Nous le traduisons.
L’article « Nous devons nous préparer à une guerre d’une ampleur comparable à celle qu’ont connue nos grands-parents ou nos arrière-grands-parents » : le discours de Mark Rutte est apparu en premier sur Le Grand Continent.
Bonjour, cher Johann, cher Detlef, cher Wolfgang, bonjour à tous. Merci pour cet accueil chaleureux, c’est toujours un plaisir d’être à Berlin.
Il y a un peu plus de 36 ans, lors d’une nuit désormais célèbre de novembre, le secrétaire général de l’OTAN de l’époque Manfred Wörner a sauté dans sa voiture et a roulé toute la nuit jusqu’à Berlin.
Dans la précipitation, il avait oublié d’informer son équipe à Bruxelles de sa destination.
Manfred rentrait chez lui en Allemagne pour se joindre à la foule qui célébrait la chute du mur de Berlin.
Aujourd’hui, un morceau du mur se trouve au siège de l’OTAN. Il s’agissait d’une barrière destinée à retenir les gens à l’intérieur et à empêcher les idées de passer ; maintenant, c’est un monument à la force de la liberté, un rappel du pouvoir de l’unité et une leçon qui nous enseigne que nous devons rester forts, confiants et déterminés. Car les forces obscures de l’oppression sont de nouveau en marche. Je suis ici aujourd’hui pour vous dire quelle est la position de l’OTAN et ce que nous devons faire pour empêcher une guerre avant qu’elle ne commence.
Nous devons être très clairs sur la menace : nous sommes la prochaine cible de la Russie, et nous sommes déjà en danger.
Lorsque je suis devenu secrétaire général de l’OTAN l’année dernière, j’ai averti que ce qui se passait en Ukraine pouvait également arriver aux pays alliés et que nous devions adopter un état d’esprit de guerre.
Cette année, nous avons pris des décisions importantes pour renforcer l’OTAN.
Lors du sommet de La Haye, les Alliés ont convenu d’investir 5 % du PIB annuel dans la défense d’ici 2035, d’augmenter la production de défense dans l’ensemble de l’Alliance et de continuer à soutenir l’Ukraine.
Mais ce n’est pas le moment de nous féliciter.
Je crains que trop de gens ne se reposent tranquillement sur leurs lauriers, que trop de gens ne ressentent pas l’urgence de la situation, que trop de gens pensent que le temps joue en notre faveur.
Ce n’est pas le cas : c’est maintenant qu’il faut agir.
Les dépenses et la production d’équipements de défense des pays alliés doivent augmenter rapidement, nos forces armées doivent disposer de ce dont elles ont besoin pour assurer notre sécurité — et l’Ukraine doit disposer de ce dont elle a besoin pour se défendre, dès maintenant.
Nos gouvernements, nos parlements et nos citoyens doivent être unis dans cette lutte, afin que nous puissions continuer à protéger la paix, la liberté et la prospérité, nos sociétés ouvertes, nos élections libres et notre presse libre.
Nous devons tous accepter que nous devons agir dès maintenant pour défendre notre mode de vie.
Car cette année, la Russie est devenue encore plus effrontée, imprudente et impitoyable envers l’OTAN et l’Ukraine.
Pendant la guerre froide, le président Reagan avait mis en garde contre les « pulsions agressives d’un empire du mal ». Aujourd’hui, le président Poutine s’attelle à bâtir un nouvel empire.
Il jette toutes ses forces sur l’Ukraine, tuant des soldats et des civils, détruisant les refuges de l’humanité : maisons, écoles et hôpitaux.
Depuis le début de l’année, la Russie a lancé plus de 46 000 drones et missiles contre l’Ukraine. Elle produit probablement 2 900 drones d’attaque par mois, ainsi qu’un nombre similaire de leurres destinés à détourner l’attention des défenses aériennes.
En 2025, la Russie a produit environ 2 000 missiles de croisière et balistiques terrestres, ce qui la rapproche de son pic de production.
Tandis que Poutine tente de détruire l’Ukraine, il ravage également son propre pays.
Depuis le début de la guerre en 2022, on dénombre plus de 1,1 million de victimes russes. Cette année, la Russie a perdu en moyenne 1 200 soldats par jour. Pensez-y : plus d’un million de victimes à ce jour, et 1 200 par jour, tués ou blessés, rien que cette année.
Poutine paie son orgueil avec le sang de son propre peuple — s’il est prêt à sacrifier ainsi les Russes ordinaires, que sera-t-il prêt à nous faire ?
Dans sa vision déformée de l’histoire et du monde, Poutine estime que notre liberté menace son emprise sur le pouvoir — et que nous voudrions détruire la Russie.
Mais Poutine s’en charge très bien tout seul.
L’économie russe est désormais axée sur la guerre, et non sur la prospérité de son peuple. La Russie consacre près de 40 % de son budget à l’agression, et environ 70 % de toutes les machines-outils en Russie sont utilisées dans la production militaire. Les impôts augmentent, l’inflation a explosé et l’essence est rationnée.
Le prochain slogan de campagne présidentielle de Poutine devrait être : « Make Russia Weak Again. » 57 Bien sûr, ce n’est pas comme si des élections libres et équitables le dérangeaient.
Comment Poutine peut-il poursuivre sa guerre contre l’Ukraine ?
La réponse est simple : la Chine.
La Chine est la bouée de sauvetage de la Russie. Elle veut empêcher son allié de perdre en Ukraine.
Sans son soutien, la Russie ne pourrait pas continuer à mener cette guerre. Environ 80 % des composants électroniques essentiels des drones russes et d’autres systèmes sont par exemple fabriqués en Chine. Lorsque des civils meurent à Kiev ou à Kharkiv, la technologie chinoise est souvent présente dans les armes qui les ont tués.
N’oublions pas non plus que la Russie compte également sur la Corée du Nord et l’Iran dans sa lutte contre la liberté, pour ses munitions et son équipement militaire.
Jusqu’à présent, Poutine n’a joué le rôle de pacificateur que lorsque cela lui convenait, afin de gagner du temps pour poursuivre sa guerre.
Le président Trump veut mettre fin au bain de sang dès maintenant — et il est le seul à pouvoir amener Poutine à la table des négociations.
Mettons donc Poutine à l’épreuve : voyons s’il veut vraiment la paix ou s’il préfère que le massacre continue.
Il est essentiel que nous continuions tous à faire pression sur la Russie et à soutenir les efforts sincères visant à mettre fin à cette guerre.
Grâce au soutien de l’OTAN, l’Ukraine peut aujourd’hui se défendre, être en position de force pour garantir une paix juste et durable, et être en mesure de dissuader toute agression russe à l’avenir.
Des milliards de dollars de matériel militaire essentiel affluent en Ukraine, provenant des États-Unis et financés par les Alliés et les partenaires.
Il s’agit d’une puissance de feu que seule l’Amérique peut fournir ; nous le faisons dans le cadre d’une initiative de l’OTAN baptisée PURL.
Depuis son lancement cet été, PURL a fourni environ 75 % de tous les missiles destinés aux batteries Patriot de l’Ukraine et 90 % des munitions utilisées dans ses autres systèmes de défense aérienne.
Je tiens à remercier l’Allemagne et les autres Alliés pour leur soutien.
Le programme PURL permet à l’Ukraine de continuer à se battre et protège sa population. Je compte sur un plus grand nombre d’Alliés pour y contribuer et pour renforcer leur soutien à l’Ukraine de nombreuses autres manières.
Car nous devons renforcer l’Ukraine afin qu’elle puisse arrêter Poutine dans son élan.
Imaginez simplement que Poutine parvienne à ses fins : l’Ukraine sous le joug de l’occupation russe, ses forces pressant contre une frontière plus longue avec l’OTAN, et le risque considérablement accru d’une attaque armée contre nous.
Cela nécessiterait un changement véritablement gigantesque dans notre dissuasion et notre défense.
L’OTAN devrait augmenter considérablement sa présence militaire le long de son flanc oriental, et les Alliés devraient aller beaucoup plus loin et plus vite en matière de dépenses et de production de défense.
Dans un tel scénario, nous regretterions l’époque où 3,5 % du PIB consacrés à la défense nous paraissaient suffire.
Ce chiffre augmenterait considérablement, et face à cette menace imminente, nous devrions agir rapidement. Il y aurait des budgets d’urgence, des coupes dans les dépenses publiques, des perturbations économiques et une pression financière supplémentaire.
Dans ce scénario, des compromis douloureux seraient inévitables, mais absolument nécessaires pour protéger nos populations.
Ne l’oublions donc pas : la sécurité de l’Ukraine, c’est notre sécurité.
Les défenses de l’OTAN peuvent tenir pour l’instant. Mais avec son économie consacrée à la guerre, la Russie pourrait être prête à utiliser la force militaire contre l’OTAN d’ici cinq ans.
Elle intensifie déjà sa campagne secrète contre nos sociétés.
La liste des cibles de sabotage de la Russie ne se limite pas aux infrastructures critiques, à l’industrie de la défense et aux installations militaires. Des attaques ont été perpétrées contre des entrepôts et des centres commerciaux, des explosifs ont été dissimulés dans des colis, et la Pologne enquête actuellement sur des actes de sabotage contre son réseau ferroviaire.
Cette année, nous avons assisté à des violations flagrantes de l’espace aérien par la Russie.
Qu’il s’agisse de drones au-dessus de la Pologne et de la Roumanie ou d’avions de chasse au-dessus de l’Estonie, de tels incidents mettent des vies en danger et augmentent le risque d’escalade.
Si nous pensons souvent au risque principalement en termes de flanc oriental, le rayon d’action de la Russie ne se limite pas à la terre ferme.
L’Arctique et l’Atlantique sont des voies supplémentaires, qui nous rappellent une fois de plus pourquoi cette Alliance est si cruciale depuis tant d’années, des deux côtés de l’Atlantique.
Nous travaillons donc ensemble pour assurer la sûreté et la sécurité de tous les Alliés, sur terre, en mer et dans les airs. Nous avons renforcé notre vigilance, notre dissuasion et notre défense le long du flanc Est avec Eastern Sentry, et nous continuons à protéger nos infrastructures critiques en mer avec Baltic Sentry.
La réponse de l’OTAN aux provocations de la Russie a été calme, décisive et proportionnée, mais nous devons nous préparer à une nouvelle escalade et à une nouvelle confrontation.
Notre engagement indéfectible envers l’article 5 du Traité, selon lequel une attaque contre l’un est une attaque contre tous, envoie un message fort.
Tout agresseur doit savoir que nous pouvons riposter avec force, et que nous le ferons. C’est pourquoi nous avons pris des décisions cruciales à La Haye : en matière de dépenses de défense, de production et de soutien à l’Ukraine.
Nous constatons des progrès importants. Prenons l’exemple de la production de munitions : la production européenne d’obus d’artillerie de 155 millimètres a été multipliée par six par rapport à il y a deux ans.
J’ai visité cette année une nouvelle usine en Allemagne, à Unterlüß, qui prévoit de produire 350 000 obus d’artillerie par an.
L’Allemagne est en train de modifier en profondeur son approche de la défense et de l’industrie afin d’augmenter la production — et les investissements qu’elle consacre à ses forces armées sont extraordinaires. Environ 152 milliards d’euros sont prévus pour la défense d’ici 2029, soit 3,5 % de son PIB d’ici 2029.
L’Allemagne est une puissance de premier plan en Europe et une force motrice au sein de l’OTAN. Le leadership allemand est essentiel pour notre défense collective. Son engagement à assumer sa part équitable pour notre sécurité est un exemple pour tous les Alliés.
Nous devons être prêts. Car alors que ce premier quart du XXIe siècle touche à sa fin, les conflits ne se livrent plus à distance : ils sont à nos portes.
La Russie a ramené la guerre en Europe et nous devons nous préparer à une guerre d’une ampleur comparable à celle qu’ont connue nos grands-parents ou nos arrière-grands-parents.
Imaginez un conflit touchant chaque foyer, chaque lieu de travail, entraînant destruction, mobilisation massive, des millions de personnes déplacées, des souffrances partout et des pertes extrêmes.
C’est une pensée terrible.
Mais si nous tenons nos engagements, c’est une tragédie que nous pouvons éviter.
L’OTAN est là pour protéger un milliard de personnes, des deux côtés de l’Atlantique.
Notre mission est de vous protéger, vous, vos familles, vos amis et votre avenir.
Nous ne pouvons pas baisser la garde, et nous ne le ferons pas.
Je compte sur nos gouvernements pour respecter leurs engagements et pour aller plus loin et plus vite — car nous ne pouvons ni faiblir, ni échouer.
Écoutez les sirènes retentir à travers l’Ukraine, regardez les corps retirés des décombres et pensez aux Ukrainiens qui pourraient s’endormir ce soir et ne pas se réveiller demain. Qu’est-ce qui sépare ce qui leur arrive de ce qui pourrait nous arriver ?
Seulement l’OTAN.
En tant que secrétaire général, c’est mon devoir de vous dire ce qui nous attend si nous n’agissons pas plus rapidement, si nous n’investissons pas dans la défense et si nous ne continuons pas à soutenir l’Ukraine.
Je sais que ce message est difficile à entendre à l’approche des fêtes de fin d’année, alors que nos pensées se tournent vers l’espoir, la lumière et la paix.
Mais nous pouvons puiser courage et force dans le fait que nous sommes unis au sein de l’OTAN, déterminés et conscients d’être du bon côté de l’Histoire.
Nous avons un plan, nous savons ce qu’il faut faire, alors agissons.
Nous le devons.
Merci.
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05.12.2025 à 01:05
Marin Saillofest
L’étude conduite par Destin Commun dans les quatre principales puissances militaires européennes (France, Royaume-Uni, Allemagne et Pologne) et aux États-Unis révèle les enseignements de la guerre en Ukraine tirés par les populations.
Dans un contexte de fortes inquiétudes quant à une contamination du retour de la guerre en Europe, les Européens sont unis sur des sujets clefs : refus d’un accord de paix défavorable à Kiev, besoin de renforcement des capacités de défense — et pertinence du concept de sécurité collective.
L’article Ukraine : comment les Européens voient-ils la fin de la guerre ? est apparu en premier sur Le Grand Continent.
Le soutien à l’Ukraine est majoritaire au sein des pays européens 58. En France, les deux-tiers (68 %) des sondés estiment qu’il est important pour leur pays que Kiev défende sa souveraineté contre la guerre d’agression russe. On retrouve des chiffres similaires en Allemagne (66 %) et aux États-Unis (69 %). Au Royaume-Uni, 79 % des sondés sont en accord avec cette affirmation.
En Pologne, pays frontalier de l’Ukraine, le soutien de la population demeure fort « mais des signes de lassitude et d’ambivalence croissante sont de plus en plus visibles », selon le directeur général de More in Common Pologne, Adam Traczyk. Il explique : « Ces changements sont dus à la fois à la rhétorique anti-ukrainienne des politiciens d’extrême droite et aux critiques des conservateurs traditionnels, notamment du président Karol Nawrocki, qui estime que l’Ukraine n’a pas montré suffisamment de gratitude pour le soutien considérable apporté par la Pologne depuis le début de la guerre ».
En France aussi, derrière ce soutien majoritaire réside également une certaine fatigue. Celle-ci est particulièrement prononcée au sein de l’électorat du Rassemblement National, dont la moitié (50 %) estime que Paris en a « trop fait » dans son soutien à l’Ukraine. Ainsi, la part de sondés estimant que la France devrait immédiatement cesser d’apporter de l’aide à Kiev a augmenté de 2 points par rapport à la précédente vague de mars, passant de 22 à 24 %.
Cette lassitude vis-à-vis du soutien à l’Ukraine répond notamment à des questionnements économiques. Lorsqu’on demande aux Français s’ils seraient prêts à payer plus d’impôts sur le revenu ou bien que le pays contracte davantage de dette afin d’aider Kiev, 87 % et 76 % des sondés respectivement s’y opposent.
Si les pays d’Europe occidentale ont été relativement épargnés par les répercussions de la guerre russe contre l’Ukraine — bien que Moscou ait mené plusieurs dizaines d’attaques hybrides contre le continent depuis 2022 —, la crainte liée à l’émergence d’un conflit armé demeure majoritaire. Ainsi, 76 % des Français déclarent être inquiets quant à l’éclatement d’une guerre en Europe dans les prochaines années.
Ce climat semble être en partie alimenté par des déclarations récentes de responsables politiques et militaires. Lorsqu’on demande aux Français comment ils ont perçu les propos du chef d’état-major des armées Fabien Mandon, qui a déclaré le 18 novembre qu’il fallait que la France « accepte de perdre ses enfants » face à l’éventualité d’une guerre avec la Russie, 85 % des sondés disent les avoir trouvés « inquiétants », tandis que 73 % les considèrent « alarmistes ». Parmi les électeurs du Rassemblement National et de La France insoumise, 80 % les ont jugés « inacceptables ».
Ce sentiment d’insécurité est renforcé par les doutes des Européens quant aux capacités de leurs armées à les défendre face à la perspective d’une confrontation armée avec la Russie. Selon notre dernier sondage Eurobazooka réalisé par Cluster 17 et publié le 4 décembre, 69 % des Européens pensent que leur pays ne serait pas capable de se défendre militairement. En Belgique, en Italie et au Portugal, ce chiffre dépasse les 80 %, tandis qu’il est de 51 % en France.
C’est au sein de l’électorat du Rassemblement National, et dans une moindre mesure de La France insoumise, que l’on trouve la plus grande proportion de positions favorables à la Russie. L’analyse comparative entre pays révèle que les électeurs du RN éprouvent moins de sympathie pour l’Ukraine que ceux de Reform UK au Royaume-Uni ou bien que les électeurs du Parti républicain aux États-Unis — mais nettement plus que ceux de l’AfD en Allemagne.
Bien que les deux-tiers (66 %) de la population française considèrent la Russie comme étant responsable de la guerre en Ukraine, 32 % des électeurs du Rassemblement National déclarent que l’Ukraine est la seule responsable du conflit (12 %) ou bien que cette responsabilité est partagée par les deux pays (20 %).
Ce point illustre une fracture au sein du spectre politique français entre les partisans des extrêmes et le reste de l’électorat. Celle-ci se révèle également sur la question de la cybersécurité.
Alors que 88 % des français estiment que leur pays est une cible prioritaire de la désinformation russe, une majorité d’électeurs de la France Insoumise (54 %) et une part importante des électeurs du Rassemblement National (48 %) pense que l’on a tendance à « exagérer » l’importance de la désinformation russe en France.
Seule une minorité d’Européens considère que Donald Trump a aidé l’Ukraine à se défendre contre la Russie. C’est en France et au Royaume-Uni que les sondés sont les plus critiques vis-à-vis des tentatives de négociation du président américain : respectivement 42 % et 43 % disent que celui-ci a freiné la capacité de l’Ukraine à se défendre.
Selon le directeur exécutif de More in Common UK, Luke Tryl, les Britanniques craignent qu’un accord précipité entre l’Ukraine et la Russie, négocié par l’intermédiaire des États-Unis, ne récompense l’agression russe et ne laisse l’Ukraine vulnérable. Tandis que la polarisation partisane en faveur de l’Ukraine « est prononcée sur le continent, tous les principaux électorats britanniques soutiennent l’Ukraine et estiment que la guerre est importante pour la Grande-Bretagne ».
De la même manière, le plan de paix de Trump pour l’Ukraine fait lui aussi l’objet d’un rejet massif par les Européens. Près de 60 % des sondés au Royaume-Uni (58 %), en Pologne (58 %) et en France (56 %) considèrent ainsi qu’une réduction de la taille des forces armées ukrainiennes ainsi qu’une limitation de leurs capacités serait « inacceptable ».
Les autres principales propositions portées conjointement par les États-Unis et la Russie — inscription dans la constitution de l’Ukraine d’un engagement à ne pas rejoindre l’OTAN, interdiction de stationnement de troupes de pays membres de l’Alliance atlantique sur le territoire ukrainien et reconnaissance des régions ukrainiennes occupées par Moscou comme étant russes — font elles aussi l’objet d’un rejet massif.
La directrice générale de Destin Commun, Laurence de Nervaux, estime que les Européens tout comme les Américains « partagent une grande lucidité quant aux intentions belliqueuses de la Russie et sont unis dans le refus des concessions qui figurent dans le plan de paix ». L’enquête montre ainsi que « de part et d’autre de l’Atlantique, les citoyens réaffirment l’importance de l’alliance transatlantique dans la période actuelle, se démarquant de l’attitude volatile de Donald Trump, mais appellent aussi de leurs vœux une évolution vers une plus grande autonomie stratégique de l’Europe ».
La franche opposition des Européens au plan de paix de Trump tient notamment au fait que ces derniers considèrent que la Russie ne tiendrait pas ses engagements pris dans le cadre d’un éventuel accord de cessez-le-feu. En France, 70 % des sondés disent qu’il est « peu » voir « pas du tout » probable que Moscou respecte un accord conclu avec l’Ukraine. Cette part est de 63 % en Allemagne et aux États-Unis, tandis qu’elle monte à 76 % au Royaume-Uni.
Les sondés partageant cet avis sont d’ailleurs plus nombreux qu’en mars, lors de la précédente vague du sondage, dans tous les pays étudiés : +6 points aux États-Unis et en Allemagne, +7 points en France et +8 points au Royaume-Uni.
Moscou a violé à plusieurs reprises des cessez-le-feu mis en place depuis le début du conflit. Ce fut notamment le cas en mars-avril, lorsque Moscou avait violé à 29 reprises en l’espace de deux semaines l’accord censé protéger les infrastructures énergétiques, puis en avril lors du week-end pascal.
Ces « trêves », parfois déclarées unilatéralement par Poutine, comme à Pâques, visaient à envoyer un signal « d’ouverture » à Donald Trump lorsque celui-ci montrait des signes d’impatience quant à l’absence de volonté de son homologue russe à parvenir à une paix durable en Ukraine.
Le sondage conduit par Destin Commun révèle que 60 % des Français considèrent qu’il est probable que la Russie tente d’envahir d’autres pays européens au cours des prochaines années si elle réussit à s’emparer d’une part importante du territoire ukrainien. Tandis que cette part est similaire au Royaume-Uni (68 %) et aux États-Unis (63 %), cette est nettement plus faible en Allemagne, où une minorité (46 %) voit ce scénario comme étant probable.
En France, là encore, une minorité des électeurs de La France insoumise et du Rassemblement National (47 %) pensent qu’une réussite militaire russe en Ukraine serait susceptible d’encourager le Kremlin à revendiquer davantage de territoires appartenant à d’autres pays.
La diplomatie russe ne cesse pourtant de mobiliser une rhétorique militariste menaçante pour les pays européens. Dans son numéro d’octobre, la revue La Vie internationale, publiée par le ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, présentait ainsi au public russe un article au titre éloquent : « Brûler jusqu’à la Manche ? Quelles garanties de sécurité efficaces à l’heure d’un affrontement historique entre la Russie et l’Occident ».
Comme le rappelait Sergueï Karaganov dans ces pages, pour le Kremlin et ses affidés « la guerre est dans les gènes des Russes ». Poutine parie définitivement sur une guerre éternelle et sans limites pour se maintenir au pouvoir indéfiniment.
Face à une hostilité russe envers l’Europe reconnue par la majorité des Européens, ces derniers voient la défense collective comme une composante importante des capacités de défense du continent. Ainsi, les trois-quarts (75 %) des Français considèrent que l’OTAN est une organisation importante (26 %) voire essentielle (49 %) pour la défense du pays. Au Royaume-Uni et en Allemagne, ces niveaux sont encore plus élevés : 81 % et 84 % respectivement.
La part de sondés considérant que l’OTAN joue un rôle important pour la défense de leurs pays est moindre aux États-Unis, celle-ci atteignant 65 %. Depuis son retour au pouvoir, Donald Trump a porté atteinte à plusieurs reprises à l’Alliance atlantique, notamment en se positionnant comme un intermédiaire entre l’OTAN et la Russie dans les négociations autour de la guerre en Ukraine, plaçant les États-Unis comme un troisième parti neutre plutôt que l’une des forces majeures derrière l’alliance transatlantique.
Si la confiance en l’OTAN demeure élevée, les Européens veulent que l’Europe développe son indépendance en matière de défense. Cette part dépasse les 80 % au Royaume-Uni (85 %) et en France (82 %), tandis qu’elle est légèrement plus faible en Pologne (75 %). Les Américains eux-mêmes sont largement favorables à une autonomie européenne dans le domaine de la défense : 72 % soutiennent cette proposition, tandis que 28 % s’y opposent.
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