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02.05.2025 à 18:53

Crypto, Trump Organization, élection roumaine : que retenir de la tournée européenne de Donald Trump Jr. ?

Marin Saillofest

Le fils aîné de Donald Trump et influenceur conservateur, Don Jr., a réalisé du 25 au 28 avril une tournée en Europe de l’Est qui l’a amené en Hongrie, en Serbie, en Bulgarie puis en Roumanie.

Au cours de ces visites, Don Jr. a critiqué les pays d’Europe de l’Ouest, qui crouleraient sous les réglementations, encouragé les investisseurs européens à choisir les États-Unis plutôt que la Chine, et rencontré plusieurs personnalités souverainistes, allant d’Aleksandar Vučić au candidat à l’élection présidentielle roumaine Victor Ponta.

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Texte intégral (2032 mots)

En fin de semaine dernière, du 25 au 28 avril, Donald Trump Jr., le fils aîné du président américain, vice-président exécutif de la Trump Organization et architecte de l’ombre du mouvement MAGA, a entamé une tournée européenne de quatre jours au cours de laquelle il s’est rendu en Hongrie, en Serbie, en Bulgarie puis en Roumanie.

L’agenda de sa visite, dans le cadre d’une série de conférences intitulée « Trump Business Vision 2025 », organisée par Salem Media (une entreprise médiatique américaine « au service des communautés chrétiennes et conservatrices du pays » dont Don Jr. est actionnaire 1), visait officiellement à renforcer les liens entre la Trump Organization et l’Europe de l’Est. 

Son itinéraire met en évidence deux priorités : exercer des pressions sur la Hongrie et la Serbie pour qu’elles engagent un processus de découplage avec la Chine et interférer dans le processus électoral en Roumanie.

  • Ainsi, le vendredi 25 avril, il s’est rendu en Hongrie où il a notamment rencontré le ministre des Affaires étrangères hongrois Péter Szijjártó. Mi-avril, le chargé d’Affaires à l’ambassade des États-Unis en Hongrie avait mis en garde Budapest contre les investissements chinois, soulignant une source potentielle de tension avec l’administration Trump : « Le président Trump est clair. La Chine constitue un défi stratégique pour les États-Unis et leurs alliés, un défi qui exige vigilance, transparence et unité » 2.
  • Le ministre de l’Économie Marton Nagy a toutefois déclaré lundi 28 avril : « Nous ne voyons pas aux États-Unis un potentiel d’investissement comparable à celui de la Chine. Notre position est très pragmatique » 3.
  • En Serbie, le 26 avril, Don Jr. a rencontré des hommes d’affaires à Belgrade lors d’un événement organisé par la Chambre de commerce. Il a dîné avec le président serbe Aleksandar Vučić, proche de Xi Jinping.
  • Le dimanche 27 avril en Bulgarie, il a rencontré Victor Ponta, candidat indépendant (ex PSD) à l’élection présidentielle roumaine. Il a aussi participé à un débat « sur la crise économique et le partenariat avec les entreprises américaines » et à un événement organisé par la plateforme bulgare de crypto-monnaies Nexo, co-fondée par l’ancien député Antoni Trenchev. 
  • En Roumanie, où il s’est rendu le 28 avril, il a participé à un événement à Bucarest co-organisé par Adrian Thiess, ex-directeur de la campagne présidentielle de Călin Georgescu. Il a aussi donné un entretien à une chaîne de télévision roumaine.

Le rôle officieux joué par Don Jr. au sein de l’administration suscite l’attention de nombreuses figures politiques et hommes d’affaires.

  • Alors qu’il participait à Sofia à l’événement organisé par Nexo, Trenchev a annoncé que la plateforme allait « retourner aux États-Unis », ajoutant : « Grâce à la vision et au leadership du président Donald J. Trump, de son administration et de sa famille, les États-Unis sont à nouveau un lieu où l’innovation est encouragée et non étouffée » 4.
  • La plateforme bulgare s’était retirée du marché américain l’an dernier suite au lancement en 2022 d’une enquête par le Bureau de protection des consommateurs en matière financière en raison de ses taux trop élevés 5. Quelques semaines plus tard, le parquet bulgare lançait une enquête contre Nexo pour soupçons de blаnсhіmеnt d’argent, d’асtіvіtéѕ bаnсаіrеѕ іllégаlеѕ, de délіtѕ fіѕсаuх еt de frаudе іnfоrmаtіquе 6.
  • Depuis le 20 janvier, Donald Trump a œuvré pour des plateformes d’échange de cryptomonnaies, notamment en ordonnant à la Securities and Exchange Commission (SEC), l’organisme fédéral de réglementation et de contrôle des marchés financiers, d’interrompre voire d’abandonner ses enquêtes pesant sur Binance, Coinbase et d’autres acteurs.
  • Les entreprises crypto ont contribué à hauteur de 18 millions de dollars au fonds d’investiture de Trump, et leurs dons ont représenté 43,5 % du total des contributions financières d’entreprises aux plateformes de soutien aux candidats (PAC) au premier semestre 2024 — un chiffre sans précédent.

Don Jr. a également profité de sa présence en Europe pour s’entretenir à Sofia avec le candidat roumain indépendant à l’élection présidentielle et ancien Premier ministre PSD, Victor Ponta — qui a déposé sa candidature en portant une casquette rouge d’inspiration trumpiste avec l’inscription Romania pe primul loc (La Roumanie d’abord). Les deux hommes s’étaient déjà rencontrés lors de la précédente visite de Don Jr. à Belgrade en mars, où Ponta se trouvait pour voir Sebastian Ghiță, un ancien député roumain en fuite depuis 2017 suite au lancement de plusieurs enquêtes pour corruption 7.

  • C’est à la chaîne de télévision roumaine România TV, fondée par Ghiță en 2011, que Don Jr. a donné le seul entretien de sa tournée européenne. Le fils aîné du président a vanté le « potentiel » que celui-ci voyait dans les pays d’Europe de l’Est, en opposition aux pays d’Europe de l’Ouest, présentée comme croulant sous les réglementations et où « personne ne veut travailler » 8.
  • Don Jr. a affirmé n’occuper « aucun rôle dans la politique » et vouloir travailler « uniquement dans le secteur privé ».
  • Il a toutefois déclaré que Trump et lui-même créaient « une grande opportunité pour les affaires et l’emploi en Roumanie et en Europe de l’Est », avant d’ajouter avoir besoin « d’une personne qui sache prendre des décisions et qui comprenne comment tout fonctionne pour pouvoir le faire ».

Les voix les plus influentes de l’entourage du président américain — du vice-président J.D. Vance à Elon Musk — avaient vivement critiqué l’annulation des résultats du premier tour de l’élection présidentielle du 24 novembre 2024, et apporté un soutien explicite à la candidature de Călin Georgescu qui a été invalidée par la Commission électorale le 9 mars. 

  • Le candidat du parti d’extrême-droite AUR (Alliance pour l’unité des Roumains, Alianța pentru Unirea Românilor, CRE), George Simion, est premier dans les sondages avec environ 30 % des voix et devrait arriver en tête du premier tour, qui aura lieu dimanche 4 mai. Ponta est crédité de 11,6 % des votes.
  • Dans un message publié le 29 avril, l’ambassade américaine à Bucarest citait le discours du vice-président J.D. Vance à Munich : « La démocratie repose sur le principe sacré que la voix du peuple compte […] Un mandat démocratique ne peut pas être obtenu en ignorant son électorat sur des questions aussi centrales que celle de savoir qui peut faire partie de notre société commune » 9.
Sources
  1. Donald Trump Jr., Lara Trump strike deal with Salem Media », The Hill, 14 avril 2025.
  2. US Envoy Tells Orban’s Hungary to Be Wary of Chinese Investments », Bloomberg, 15 avril 2025.
  3. Hungary Rejects US Pressure to Cut Its Chinese Economic Ties », Bloomberg, 28 avril 2025.
  4. Nexo Re-Enters the U.S. Market, 28 avril 2025.
  5. Decision And Order On Petition By Nexo Financial Llc To Modify Civil Investigative Demand, Consumer Financial Protection Bureau (CFPB), 7 décembre 2022.
  6. Прокуратурата влезе в офиси на криптобанката Nexo. Разследва се предполагаемо пране на пари », Свободна Европа, 12 janvier 2023.
  7. Cum s-a întâlnit Victor Ponta cu Sebastian Ghiță la Belgrad cu ocazia vizitei lui Donald Trump jr. / Avertisment pentru mogulul fugar care îl susține mediatic : Orice patron de presă care vrea să pună președinți ajunge rău », G4 Media, 31 mars 2025.
  8. Donald Trump Jr. laudă România : „Eu și tatăl meu creăm o mare oportunitate pentru afaceri și locuri de muncă în Europa de Est” », România TV, 28 avril 2025.
  9. Publication sur Facebook de l’ambassade des États-Unis en Roumanie, 29 avril 2025.

02.05.2025 à 17:32

L’art de la guerre sainte : Poutine et Kirill ouvrent un front en Serbie

Matheo Malik

« Il faut que notre petite barque, voguant en eaux troubles, reste toujours amarrée au grand navire russe. »

Alors que l’Église catholique pleurait la mort du pape François, à Moscou, sous les ors du Kremlin, le Patriarche Kirill et le président russe accomplissaient une sorte de rituel théologico-politique : la mise en scène du rattachement au « monde russe » de l’Église de Serbie.

Peu remarqué en Occident, ce moment pourrait se révéler décisif.

Le bras armé de la prochaine invasion est désormais la religion orthodoxe.

Le prochain objectif a été énoncé à Moscou ce 22 avril : prendre Belgrade.

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Texte intégral (4215 mots)

Ce 22 avril, le président Vladimir Poutine et le patriarche de Moscou et de toutes les Russies ont reçu au Kremlin le patriarche Porfirije (Porphyre), premier dignitaire de l’Église orthodoxe serbe. Cette rencontre a été l’occasion de manifester l’alignement politique de la Serbie sur la politique russe, tout en confirmant le rôle de relais idéologique de cette politique exercé par l’Église orthodoxe serbe. 

Symboliquement, Vladimir Poutine et le patriarche Kirill s’y sont exprimés en russe, avec une traductrice russo-serbe, tandis que le patriarche Porphyre s’est adapté à ses interlocuteurs en prenant la parole, sans traduction, dans un russe correct, mais malgré tout hésitant. 

Malgré sa candidature à l’Union européenne, la Serbie d’Aleksandar Vučić mène une politique largement alignée sur celle du Kremlin. Il y a quelques jours, l’ambassadeur de la Fédération de Russie à Belgrade, Aleksandr Botsan-Kharchenko, confirmait que Moscou comptait sur la Serbie pour maintenir sa ligne géopolitique pro-russe, qui se traduit à la fois par un soutien institutionnel et par des résolutions économiques et juridiques, comme l’absence de sanctions vis-à-vis de la Fédération de Russie depuis février 2022, malgré les pressions répétées des Européens, et l’exemption de visas accordée aux citoyens russes, alors même que la candidature à l’Union européenne exigerait de la Serbie qu’elle introduise un régime de visas pour une série de pays, dont la Russie, la Biélorussie, la Chine ou la Turquie.

Si le Kremlin voit dans l’Église orthodoxe un puissant levier diplomatique et idéologique au service de ses jeux d’influence dans l’ancien espace soviétique, cette stratégie est particulièrement nette en Serbie.

Parmi les 1 500 signataires de la « Déclaration de Volos », condamnant comme « hérétique » l’idéologie du « monde russe », on ne trouve que trois citoyens serbes, qui ne font d’ailleurs pas partie du clergé. En retour, la Fédération de Russie et l’Église orthodoxe russe soutiennent activement la politique identitaire et nationaliste menée par la Serbie dans son espace proche, notamment en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo et au Monténégro. Elles comptent ainsi parmi les principaux défenseurs des revendications sécessionnistes de la « République de Serbie » (Republika Srpska), en Bosnie. Vladimir Poutine a accordé plusieurs rencontres à Milorad Dodik, principale figure politique de ce mouvement sécessionniste, contre lequel la police fédérale de Bosnie a émis un mandat d’arrêt pour violation de l’ordre constitutionnel en mars dernier, avant d’échouer à l’arrêter dans la nuit du 23 avril. Sputnik Serbia, agence de presse russe en langue serbe, se fait aussi l’écho des discours de Dodik, en faveur de la Grande Serbie, slave et orthodoxe, appelée à s’affranchir de la tutelle d’États artificiels comme la Bosnie. Enfin, l’une des clefs de ce rapprochement a été le véto posé par la Fédération de Russie à la résolution britannique portée au Conseil de sécurité de l’ONU en 2015, tendant à reconnaître le massacre de Srebrenica comme un génocide  : une partie de la population serbe ressent encore aujourd’hui une gratitude sincère à l’égard de cette décision, qui a évité aux Serbes l’appellation infamante de peuple génocidaire.

La situation serait moins alarmante si elle ne rappelait pas celle de l’Ukraine de 2013. 

Comme Viktor Ianoukovytch, Aleksandar Vučić est accusé de liens avec les milieux criminels.

Comme lui, il adopte certains mots d’ordre et méthodes de la Russie, tout en luttant contre un mouvement de protestation où se mêlent des revendications sociales et économiques, une condamnation de la corruption, des aspirations libérales et démocratiques — un mouvement que les autorités russes et serbes n’hésitent pas, comme on le lira ci-dessous, à qualifier de « révolution de couleur », comme la « Révolution orange » de 2004 en Ukraine.

Enfin, comme Ianoukovytch, Vučić s’efforce de jouer sur tous les tableaux, en condamnant l’agression russe en Ukraine, mais sans imposer la moindre sanction à la Russie ; en poursuivant l’intégration européenne, mais sans se plier à l’ensemble des demandes associées. Dans un espace marqué par une expérience de la violence et des détestations identitaires et religieuses sans commune mesure avec les divisions qui pouvaient exister en 2013 entre Lviv et Kharkiv, la Serbie reste l’un des terrains explosifs de l’Europe et l’un des pays où se déterminera l’avenir des relations entre l’Union européenne et la Russie.

Vos Saintetés, permettez-moi de vous souhaiter chaleureusement la bienvenue à Moscou, dans ces pièces où règne une atmosphère toute particulière. Nous nous réjouissons de votre venue. 

Je n’ignore pas que l’Église orthodoxe serbe contribue fortement au renforcement des relations entre nos peuples, qui entretiennent traditionnellement les liens les plus étroits, propres aux relations de confiance entre alliés.

Permettez-moi de vous adresser tous mes vœux pour le dimanche de Pâques, notre fête commune.

J’ai déjà eu l’occasion de souligner que les relations russo-serbes avaient toujours eu un caractère très particulier. C’est encore le cas de nos jours, du fait notamment des solides et profondes racines spirituelles qui nous unissent.

Nous sommes toujours heureux de vous voir. Le 9 mai, nous attendons la visite à Moscou du président de la Serbie à l’occasion des cérémonies de la Victoire dans la Grande guerre patriotique.

Nous savons que la situation dans les Balkans n’est pas des plus simples et avons bien conscience de vos efforts pour renforcer la position de la Serbie, notamment à travers le Concile panserbe que vous avez organisé. Nous sommes toujours ravis de vous accueillir, soyez les bienvenus. 

Le premier Concile panserbe s’est tenu à Belgrade le 8 juin 2024 sous le slogan  : « Un seul peuple, un seul concile  : Serbie et République serbe ».

Il regroupait des représentants des autorités de Serbie, de la République serbe de Bosnie (région à majorité serbe intégrée à la Bosnie-Herzégovine), des Serbes du Kosovo ainsi que de la diaspora serbe de Macédoine du Nord et du Monténégro. L’objectif du concile consistait à diffuser l’idée que les Serbes, quelle que soit l’entité étatique dans laquelle ils résident, constituent un seul et même peuple.

Patriarche Porphyre

Monsieur le Président, pardonnez-moi, je vais dire quelques mots, je ne parle pas excellemment le russe, mais je le comprends très bien. Monseigneur Irénée, qui m’accompagne, le parle parfaitement.

Tous nos remerciements pour votre accueil et tous mes vœux pour la fête de Pâques. Le Christ est ressuscité  ! Je souhaite que cette Résurrection soit notre voie et notre réalité, le pilier de notre foi. Elle signifie que la victoire est connue et qu’elle dépend de la volonté de Dieu. Nous devons faire ce qui dépend de nous.

Je tenais à vous remercier pour toutes les actions que vous entreprenez sur le terrain des valeurs. Car on ne peut vivre sans repères de valeurs, sans valeurs, sans idéologie — non pas une idéologie au sens, psychologique, comme vous l’avez dit, mais au niveau essentiel, au fond de nous. Tout dépend de la foi. De la manière dont chacun croit dépend sa vie, sa parole et tout le reste.

Vous savez, et vous l’avez-vous-même souligné, que par le passé les relations entre l’Église russe et l’Église serbe ont toujours été placées sous le signe de l’amour et de la bonne entente. Je pense qu’il en est encore ainsi aujourd’hui. N’est-ce pas  ?

Patriarche Kirill

Tout à fait.  

Patriarche Porphyre

Mes prédécesseurs, les patriarches de l’Église serbe, ont toujours été très liés à leurs homologues de l’Église russe. Mon prédécesseur direct, Sa Sainteté le patriarche Irénée, disait  : « Il faut que les Serbes… » Comment disait-il  ? 

Métropolite Irénée

Il disait  : « Il faut que notre petite barque, voguant en eaux troubles, reste toujours amarrée au grand navire russe ».

Patriarche Porphyre

C’est bien ce que nous ressentons et ce que nous croyons.

Je dois le dire, pour que vous le sachiez, et vous le savez déjà, mais il est toujours bon de le rappeler, que le peuple serbe se considère comme ne faisant qu’un avec le peuple russe. Il arrive même que les Serbes placent davantage d’espoirs dans la politique russe que dans la politique serbe — peut-être paradoxalement.

Il y a deux semaines, je me trouvais à Jérusalem pour y rencontrer le Patriarche [Théophile III], avec lequel j’ai beaucoup discuté. Il ne savait pas que je devais me rendre à Moscou. Nous avons évoqué la situation globale de l’orthodoxie et il a déclaré  : « Vous savez, nous avons un atout ». Lorsque je lui ai demandé lequel, il m’a répondu  : « Vladimir Poutine ». Avec ces quelques mots, tout était dit.

Nous vous sommes reconnaissant de votre soutien et de la position que vous maintenez sur le Kosovo, la République serbe [de Bosnie-Herzégovine] et, bien sûr, le Monténégro, où se trouvent notre peuple et notre Église. Vous ne l’ignorez pas  : sans votre soutien, et celui de la Chine, je ne sais pas ce qu’il serait advenu du Kosovo. J’y étais pour Pâques, j’y ai célébré la liturgie — c’est, après tout, la capitale du Patriarcat serbe.

L’indépendance du Kosovo vis-à-vis de la Serbie — proclamée par le premier en 2008 — est actuellement reconnue par plus de la moitié des États membres de l’ONU, mais, parmi les membres permanents du Conseil de sécurité, la Chine et la Russie s’y opposent. C’est aussi le cas de plusieurs pays de l’Union européenne (Chypre, Espagne, Grèce, Roumanie, Slovaquie), alors que le Kosovo est considéré comme un candidat potentiel à l’adhésion, après son dépôt d’une demande en décembre 2022.

Nous souhaiterions que vous poursuiviez sur cette ligne et fassiez tout ce qui est en votre pouvoir. Indépendamment de la politique, indépendamment des questions de personnes, de l’actualité, le peuple serbe n’a pas de perspectives d’avenir sans le Kosovo et sans la République serbe.

Bien sûr, nous [les représentants de l’Église] avons d’excellentes relations avec le président [Aleksandar

Le 16 avril dernier, plusieurs porte-paroles de la Commission européenne, dont Anitta Hipper et Guillaume Mercier, ont condamné la décision du président Aleksandar Vučić de participer aux cérémonies du 9 mai à Moscou, rappelant que la procédure d’adhésion de la Serbie à l’Union européenne supposait aussi un alignement sur ses valeurs et sa politique étrangère. Cet argument est toutefois affaibli par le fait que le Premier ministre slovaque Robert Fico a lui aussi fait état de sa décision de se rendre sur la Place rouge le 9 mai.

Dans une interview accordée ce 30 avril à la chaîne de télévision russe RTVI, l’ambassadeur de la Fédération de Russie à Belgrade, Aleksandr Botsan-Kharchenko, tâchait de maintenir une illusion d’équilibre, en soulignant que le choix du président Vučić ne remettait aucunement en cause l’orientation européenne de la Serbie, mais que « l’adhésion et le processus d’intégration devaient se faire dans le respect de la souveraineté et du libre choix de la Serbie ».

Notre position à propos du Kosovo, de la République serbe et du Monténégro, à mon sens, dépend largement de la position de l’État russe, de la Fédération de Russie à l’échelle globale. Mon désir, qui est aussi celui de la majorité de l’Église, est que, si jamais de nouvelles divisions géopolitiques venaient à se produire, nous restions ancrés dans l’environnement russe.

Métropolite Irénée

Dans le monde russe. 

La proximité idéologique entre la Russie et la Serbie est allée jusqu’à l’adoption par certains responsables serbes des principaux mots-clefs du régime de Vladimir Poutine  : ainsi, en 2021, le ministre de l’Intérieur serbe Aleksandar Vulin appelait à la défense du « monde serbe » et à un renforcement économique et militaire de la Serbie propre à lui permettre de « défendre les Serbes quel que soit l’endroit où ils vivent ».

Patriarche Porphyre

« Ce qui se passe aujourd’hui au niveau des valeurs, de la morale en Occident, je vous le dis franchement, il n’y a pas de raisons de se cacher : tout cela est démoniaque. » Patriarche Kirill
« Je dois le dire, pour que vous le sachiez, et vous le savez déjà, mais il est toujours bon de le rappeler, que le peuple serbe se considère comme ne faisant qu’un avec le peuple russe. » Patriarche Porphyre

Oui, dans le monde russe, dans le monde orthodoxe. Nous venons de parler de la situation de l’orthodoxie avec Sa Sainteté le patriarche Kirill, les choses ne sont pas simples. 

Nous aussi, nous traversons en ce moment une révolution. Comment dit-on, déjà  ?

Métropolite Irénée

De couleur.

Patriarche Porphyre

Une révolution de couleur, vous êtes au courant. J’espère que nous surmonterons cette épreuve, comme vous l’avez dit. Parce que nous savons et sentons bien que les centres de pouvoir en Occident refusent de favoriser l’identité du peuple et de la culture serbes.

Depuis les années 2003-2004, avec la « Révolution des Roses » en Géorgie, la « Révolution Orange » en Ukraine et la « Révolution des Tulipes » au Kirghizstan, la Russie a fait de la prévention des soulèvements populaires dans son espace proche et sur son propre territoire un élément clef de sa politique extérieure et de sa répression intérieure. Le fait que le Kremlin se sente perpétuellement menacé par des mouvements de masse qu’il imagine — ou, du moins, présente comme — ourdis par l’Occident, a été l’un des principaux facteurs du tournant militariste et policier de la Russie de Vladimir Poutine au cours des deux décennies passées.

De ce point de vue, le fait d’ériger en « révolution de couleur » les manifestations de masse contre le président Aleksandar Vučić, déclenchées par l’incident de Novi Sad en novembre 2024, est une manière de les interpréter comme un nouveau danger pour l’équilibre géopolitique du continent et de légitimer la répression du mouvement.

De fait, les manifestants ont accusé le gouvernement d’avoir fait illégalement usage d’un canon à son pour disperser la foule lors d’une manifestation de mars 2025 qui avait rassemblé jusqu’à 300 000 personnes. Les experts appelés par le gouvernement à enquêter sur cet usage ont conclu négativement. L’enquête avait été confiée au Service de sécurité de la Fédération de Russie.

Merci pour vos mots chaleureux et que Dieu nous donne force et sagesse. Nos prières vous accompagnent toujours et j’espère que le Seigneur vous viendra en aide.

Vladimir Poutine

Votre Sainteté, vous venez de parler d’identité et c’est bien une question centrale pour l’Église dans son ensemble, y compris pour l’Église orthodoxe russe sous la direction de Sa Sainteté le patriarche de Moscou et de toutes les Russies. Sa Sainteté le patriarche met en œuvre des efforts considérables pour renforcer nos valeurs traditionnelles, nos fondements spirituels. À chaque fois que je le rencontre, nous ne manquons pas d’évoquer nos frères dans l’orthodoxie. C’est la position de Sa Sainteté le patriarche, et je ne doute pas qu’il en fasse état régulièrement dans vos échanges. Votre Sainteté  ?

Patriarche Kirill

Très estimé Vladimir Vladimirovitch, je suis très heureux que cette rencontre ait été organisée.

Parmi l’ensemble des églises autocéphales, celle de Serbie est la plus proche de l’Église russe, à la fois par la culture et par la langue, et même sur le plan historique  : nos pays ne se sont jamais fait la guerre. S’ils ont combattu, c’était toujours côté à côté, contre un ennemi commun.

Cet amour pour les Russes, pour le peuple russe, pour l’Église russe, est profondément enraciné dans la culture de la Serbie, du peuple serbe. C’est pourquoi il s’agit de nos amis les plus proches, de nos frères par l’esprit et par la philosophie de vie. Tout cela est d’une importance capitale à la fois lorsque nous discutons des problèmes courants et lorsque nous nous rencontrons dans des cadres inter-orthodoxes. L’Église serbe est la plus proche de nous, et je ne l’affirme pas simplement parce que le patriarche serbe est parmi nous, mais parce que c’est la pure vérité.

Si nous nous plaçons sur le plan de l’histoire, nous constatons que le peuple serbe et l’Église serbe n’ont jamais trahi la Russie, alors que d’autres peuples slaves, qu’il n’est pas besoin de nommer, ont parfois changé d’orientation, au moins pour un temps, sous la puissante influence des pressions militaristes de l’Occident. Ils ont changé d’orientation, puis s’en sont repenti, mais cela ne change rien au fond du problème. Or, la Serbie ne l’a jamais fait. Cet amour de la Russie est presque, pourrait-on dire, inscrit dans les gènes du peuple serbe. Il ne peut donc pas manquer de se refléter dans les relations entre nos Églises. Nous sommes toujours en accord sur les questions de fond. Lorsque des dissensions surgissent en terrain inter-orthodoxe, nous ressentons toujours le soutien amical de l’Église serbe.

Certes, il faudrait bien sûr ajouter que les Serbes sont plus occidentaux que nous — c’est ainsi que Dieu en a décidé. L’Église serbe est une Église qui fait directement face au monde occidental, dont elle a pu recevoir et continue sans doute de recevoir beaucoup d’enseignements utiles, dans le monde scientifique comme culturel. En revanche, ce qui se passe aujourd’hui au niveau des valeurs, de la morale en Occident, je vous le dis franchement, il n’y a pas de raisons de se cacher  : tout cela est démoniaque. 

« Cet amour de la Russie est presque, pourrait-on dire, inscrit dans les gènes du peuple serbe. » Patriarche Kirill
« Nous sommes toujours heureux de vous voir. Le 9 mai, nous attendons la visite à Moscou du président de la Serbie à l’occasion des cérémonies de la Victoire dans la Grande guerre patriotique. » Vladimir Poutine

Patriarche Porphyre 

Absolument.

Patriarche Kirill

Pourquoi « démoniaque »  ? Parce que faire perdre à l’être humain le sens de la différence entre le bien et le mal est l’œuvre du démon. Cette différence n’existe plus, elle a été remplacée par des choix d’attitudes. L’Église affirme  : « Il ne faut pas agir ainsi ». Et la parole divine dit, de même  : « Il ne faut pas agir ainsi ». Mais la culture séculière d’aujourd’hui répond  : « Et pourquoi pas  ? L’être humain est libre d’agir comme il l’entend, cela relève de son choix libre ».

Cette disposition sape directement les fondements moraux de l’existence humaine, jusqu’à nous menacer d’une catastrophe civilisationnelle inimaginable. En effet, si l’intégrité de la personne humaine se dissout, alors tout le reste s’effondre du même coup. C’est ce que professe, comme vous le savez, l’Église orthodoxe russe, y compris sur la scène internationale. Mais nous avons besoin pour cela d’alliés bien disposés. […] 

Les personnes présentes autour de cette table, Sa Sainteté, Monseigneur Irénée, sont les véritables guides spirituels de leur peuple. Je connais l’amitié profonde qu’ils cultivent vis-à-vis de la Russie et de vous personnellement [Vladimir Poutine]. Cette rencontre d’aujourd’hui est donc pour moi un moment émouvant, un moment de véritable élévation spirituelle. J’ai bon espoir qu’elle ouvre des perspectives bénéfiques pour le développement futur des relations entre l’Église russe et l’Église serbe ainsi qu’entre la Serbie et la Russie.

Vladimir Poutine

Votre Sainteté, vous avez évoqué les événements qui se déroulent à l’Ouest et nous avons été témoins de vos rencontres avec le pape, qui nous a quittés en cette période de Pâques. Cela me semble confirmer qu’il reste encore en Occident des personnes, des forces, y compris des forces spirituelles, attachées à la restauration des relations et des fondements spirituels. 

Patriarche Kirill

C’est assuré.

Vladimir Poutine

La culture occidentale, quoi qu’on veuille en dire, repose sur des fondements chrétiens. 

Patriarche Kirill

Vous évoquez à raison le défunt pape. C’était un homme aux idées et aux convictions fortes, prêt à défendre sa vision malgré toutes les pressions qu’il subissait, notamment pour le forcer à prendre ses distances avec l’Église russe.

Comme le rappelle dans ces pages Jean-Louis de la Vaissière : « Soucieux de mener à bien le laborieux chemin de dialogue avec l’Église orthodoxe russe, François aura tardé à prendre ses distances avec Kirill, ex-agent du KGB, grand soutien de Poutine. Ce rapprochement œcuménique, initié par une rencontre à Cuba en 2015, était pour François un enjeu considérable, car le patriarcat de Moscou représente géographiquement la plus importante partie de l’orthodoxie. Après avoir mené en visio avec lui en 2022 un dialogue de sourds, il fallut à François du temps pour arriver à ce constat  : « le patriarche ne peut pas se transformer en enfant de chœur de Poutine » et critiquer « l’instrumentalisation du sacré ». Un vague projet de sommet entre François et Kirill était remis aux calendes grecques. »

Maintenant qu’il se trouve dans l’autre monde, je peux le citer sans lui demander sa permission. Quand les pressions de ses collaborateurs proches, qui voulaient le faire changer de ligne, l’éloigner de tout ce qui relevait de la politique russe, quand toutes ces pressions ont atteint leur acmé, il a simplement répondu  : « Ne me tournez pas contre Kirill ». Cette phrase est restée gravée dans ma mémoire et ma conscience tout le temps qu’il était encore en vie. Nous entretenions les meilleures relations. Aujourd’hui, Dieu l’a rappelé dans l’autre monde, mais je n’oublierai pas son attitude bienveillante envers la Russie et l’Église russe. 

Vladimir Poutine

Moi aussi. Nous nous sommes rencontrés plus d’une fois et il est évident, je peux le confirmer moi-même, qu’il a toujours conservé une attitude de sympathie vis-à-vis de la Russie. Compte-tenu de ses origines latino-américaines et des dispositions de l’immense majorité de la population d’Amérique Latine, tout le portait à ressentir la nécessité d’entretenir les relations les plus bienveillantes avec la Russie.

Si le président russe utilise ici l’expression fixe d’écrasante majorité (podavljajuščee bol’šinstvo), on ne peut s’empêcher d’y lire en filigrane une référence au concept-phare de « majorité mondiale » (mirovoe bol’šinstvo) par lequel le poutinisme désigne, depuis des années maintenant, l’ensemble des espaces de la planète qui suivent un cours divergent ou contraire à celui de l’Occident, parfois aligné sur la politique russe.

02.05.2025 à 14:30

Que continent l’accord sur les minéraux signé entre les États-Unis et l’Ukraine ?

Marin Saillofest

Principal sujet de discussion dans les relations américano-ukrainiennes depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, l’accord sur l’exploitation des minéraux ukrainiens a finalement été signé mercredi 30 avril. Le 1er mai, Kiev a publié le texte en intégralité, qui doit encore être ratifié par le parlement ukrainien.

Après plusieurs semaines de négociations, l’Ukraine est parvenue à obtenir des conditions bien plus favorables par rapport aux précédentes versions de l’accord.

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Texte intégral (1211 mots)

Mercredi 30 avril, les États-Unis et l’Ukraine ont, après des négociations et l’humiliation par Trump de Zelensky dans le bureau ovale fin février, signé un « Accord sur la création d’un fonds d’investissement pour la reconstruction entre les États-Unis et l’Ukraine ». Précédemment présenté comme un accord sur les minéraux ukrainiens, le texte signé va au-delà des seules terres rares, mais couvre également d’autres ressources comme le pétrole, le gaz naturel, l’or et le cuivre.

Malgré cet élargissement par rapport au cadre initialement fixé par l’administration Trump, la version signée de l’accord est beaucoup plus favorable à Kiev que les précédentes versions.

La dernière proposition américaine, élaborée fin mars, prévoyait la création d’un organisme de supervision composé de cinq membres, dont trois Américains, qui serait chargé d’un fonds d’investissement conjoint. 

Le nouvel accord précise quant à lui que le fonds sera géré « conjointement », aucune des deux parties n’exerçant un rôle dominant.

  1. Le texte ne comporte aucun langage portant sur l’aide américaine perçue par Kiev depuis le lancement de l’invasion russe de 2022. Trump avait initialement exigé un « remboursement de 500 milliards » de dollars, avant d’abaisser ce montant à 300 puis à 100 milliards. Le Kiel Institute évalue le montant total de l’aide américaine à 114 milliards d’euros (soit environ 130 milliards de dollars).
  2. L’accord précise que Kiev conserve le contrôle sur l’exploitation des ressources, bien qu’il octroie aux États-Unis des droits préférentiels sur l’extraction minière. Celui-ci est également limité aux futurs projets, et ne concerne ainsi pas les activités d’extraction existantes. Pour certaines ressources, comme les terres rares, la construction de nouvelles mines pourrait prendre plus d’une décennie 1.
  3. Aucune garantie de sécurité pour l’Ukraine n’est explicitement mentionnée dans le texte, bien que celles-ci constituaient l’une des principales exigences de Kiev. L’administration Trump considère que la seule présence d’investissements américains dans le pays suffiront à « dissuader » la Russie de lancer de nouvelles attaques à l’avenir.
  4. Toutefois, l’Ukraine a obtenu que l’accord ne perturbe pas son processus d’adhésion à l’Union. Le texte comporte ainsi une clause précisant : « Si, après la signature du présent accord, l’Ukraine doit assumer des obligations supplémentaires liées à son adhésion à l’Union européenne qui pourraient avoir une incidence sur la présente disposition, les parties se consulteront et négocieront de bonne foi afin d’adopter les ajustements appropriés ».
  5. D’une manière assez surprenante, compte tenu de précédentes déclarations de Trump et de plusieurs membres de son administration, la Russie est implicitement désignée dans le texte comme étant l’État agresseur. L’Ukraine est quant à elle présentée comme contribuant au « renforcement de la paix et de la sécurité internationales ».
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L’Ukraine dispose de l’un des sols les plus riches d’Europe en minéraux, métaux et ressources naturelles. Selon le gouvernement ukrainien, le pays a les premières réserves européennes de lithium et d’uranium et détient 25 des 34 matières premières reconnues en 2023 comme « critiques » par l’Union européenne.

  • La valeur de ces ressources, dont seulement 15 % des gisements connus étaient exploités avant le lancement de l’invasion de 2022, est estimée par Kiev à 26 000 milliards de dollars.
  • Toutefois, selon plusieurs estimations, environ la moitié de la valeur des ressources de l’Ukraine est actuellement sous contrôle de l’armée russe — dont une partie importante depuis 2014 —, soit environ 12 500 milliards de dollars de minéraux, charbon, pétrole et gaz naturel 2.
  • Pour l’administration Trump, l’extraction de ces ressources cruciales pour la transition énergétique ainsi que la fabrication de composants utilisés dans les hautes technologies permettrait de réduire la dépendance des chaînes de production américaines vis-à-vis de Pékin.

La signature de l’accord, qui doit encore être ratifié par le parlement ukrainien le 8 mai, est largement décorrélée des discussions en cours portant sur la mise en place d’un cessez-le-feu. Le secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent, a toutefois déclaré que l’accord « donne au président Trump la possibilité de négocier avec la Russie sur une base encore plus solide » 3. Moscou n’a pas officiellement réagi à la signature de l’accord, mais le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a déclaré le jour de la signature : « Les causes profondes de la crise ukrainienne sont trop complexes pour être résolues du jour au lendemain […] Il y a de nombreuses nuances à prendre en compte » 4.

Sources
  1. Expert reaction to US-Ukraine Minerals Deal », Science Media Centre, 1er mai 2025.
  2. The Mineral Wars – How Ukraine’s Critical Minerals Will Fuel Future Geopolitical Rivalries, CIRSD.
  3. US says minerals deal will strengthen Trump in talks with Russia », Reuters, 1er mai 2025.
  4. Песков : США хотят быстрого урегулирования на Украине, но причины конфликта сложны », TASS, 30 avril 2025.

02.05.2025 à 11:48

Économie russe : pourquoi les prix de l’immobilier ont doublé à Moscou en cinq ans

Marin Saillofest

En à peine cinq ans, le prix moyen d’un appartement neuf d’une pièce à Moscou a presque doublé, passant de 6,9 à 12,9 millions de roubles (environ 73 500€) — soit une augmentation de 86 %. Pour les studios, l’augmentation représente + 97 % sur la même période. La hausse des prix est notamment dûe à l’augmentation des taux directeurs de la Banque centrale suite à l’invasion de l’Ukraine de 2022, et à la baisse de l’offre de nouveaux logements.

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Texte intégral (877 mots)

En 2020, durant la pandémie de coronavirus, les confinements et autres mesures restrictives ont conduit à une baisse considérable de la demande de biens immobiliers. Afin de stimuler les ventes, le gouvernement russe avait lancé un nouveau programme dit de « prêts hypothécaires préférentiels » (льготная ипотекаi). Celui-ci avait connu un important succès, plusieurs centaines de milliers de familles ayant bénéficié des taux d’intérêts réduits subventionnés par l’État 1.

La hausse de la demande a toutefois favorisé l’augmentation des prix des logements neufs, alors que les taux d’intérêts élevés de la Banque centrale dissuadent les promoteurs de financer la construction de nouveaux logements.

  • En octobre 2024, afin de contenir l’inflation, la Banque centrale russe a porté ses taux directeurs à 21 %, soit leur niveau le plus élevé depuis le début des années 2000.
  • Les promoteurs sont les premiers affectés par la récente hausse des taux. Au cours du premier trimestre 2025, de nouveaux projets de logement totalisant seulement 8,1 millions de mètres carrés ont été lancés en Russie, soit une baisse de 24 % par rapport à l’an dernier.
  • L’augmentation des taux, du coût de la main-d’œuvre, des matériaux de construction ainsi que la hausse des impôts sur le revenu alimentés par la guerre de Poutine en Ukraine se répercutent sur le prix du m², qui se situait en moyenne à 1 840 € en mars — contre 1 270 € en février 2022.

C’est à Moscou, qui concentre près d’un dixième de la population du pays, que la hausse des prix a été la plus significative depuis 2020. Il faut désormais débourser 12,9 millions de roubles en moyenne pour l’achat d’un appartement neuf d’une pièce dans la capitale russe (+ 86 % en cinq ans), et 9,6 millions de roubles pour un studio (+ 97 %). La location a elle aussi été impactée par la hausse globale des prix : le coût du loyer représente aujourd’hui 74 % du salaire moscovite moyen, contre 63 % il y a deux ans 2.

  • La hausse des prix limite l’installation à Moscou de familles à revenus modestes. Pour un budget de 5 millions de roubles (environ 53 000€), qui permettait avant 2020 d’acheter un appartement de 30 à 40 m² dans des quartiers proches du centre, il existait en mars dernier seulement 7 lots disponibles à l’échelle de la ville — contre 112 en 2024 3.
  • En parallèle, les autorités municipales encouragent le développement de l’immobilier de haut standing. Au 1er trimestre 2025, une étude d’Intermark City Real Estate révèle que Moscou est passée en trois ans de la 18e à la 5e place mondiale dans le classement des villes où le prix de l’immobilier pour des logements haut de gamme est le plus élevé.
  • Le coût d’achat moyen au mètre carré dans ces immeubles de luxe se trouve désormais à 21 600€ à Moscou, soit plus qu’à Shanghai (19 700€), Londres (18 900€) ou Paris (18 600 €).

La hausse des prix de l’immobilier a conduit à une augmentation considérable de la durée moyenne des prêts hypothécaires en Russie : afin de maintenir les mensualités à un niveau abordable, il faut en moyenne aujourd’hui 26 ans pour rembourser l’achat d’un nouveau logement 4. En conséquence, plus de la moitié des prêts hypothécaires sont désormais remboursés par des personnes à la retraite.

Sources
  1. Взлет и падение льготной ипотеки », Коммерса́нтъ, 1er juillet 2024.
  2. Russia struggles to tame inflation in ‘overheating’ war economy », Financial Times, 20 décembre 2024.
  3. Квартиры до ₽5 млн : что можно купить за такую сумму в Москве в 2025 году », РБК, 14 mars 2025.
  4. Экономика 17 апреля 2025, 00:01 Платить подолгу : средний срок ипотеки в РФ приблизился к рекордным 26 годам », Известия, 17 avril 2025.

02.05.2025 à 06:40

15 fictions à lire en mai

Matheo Malik

« L'expédition n'est pas facile, il faut s'aventurer tout au bout du couloir. Il fait plus de cent mètres et il est toujours sombre — les locataires ne cessent d'y voler les ampoules. »

Pour les pages Littérature de la revue, ce printemps est un peu particulier : deux livres lauréats du Prix Grand Continent paraissent dans leurs traductions françaises.

Elles sont à découvrir avec notre sélection littéraire du mois de mai — dans les cinq langues de la revue.

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Texte intégral (4298 mots)

Claudia Piñeiro, La muerte ajena, Alfaguara

« Verónica Balda est journaliste.

Elle anime l’une des matinales les plus écoutées du pays. 

Un jour, elle reçoit une nouvelle qui va bouleverser sa vie : une jeune femme est tombée du cinquième étage d’un immeuble du quartier de Recoleta, à Buenos Aires. 

L’appartement appartient à un entrepreneur agricole renommé et la mort de cette femme est bien plus qu’une simple nouvelle alarmante. Verónica sait qui elle est, une histoire dense et secrète les relie. Au fil du roman, le lecteur découvrira différentes versions des faits, révélant à quel point un récit peut être multiple et subjectif, plein d’artifices et de suppositions. 

Maîtresse dans l’art de créer des atmosphères inquiétantes et de manier la tension narrative, Claudia Piñeiro aborde avec audace un sujet d’une actualité effrayante et dévoile, à travers la possibilité toujours fascinante de la fiction, l’un des liens les plus sombres, intimes et anciens : celui de la prostitution VIP avec le pouvoir en place. »

Parution le 29 mai.

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Dominique Fourcade, voilà c’est tout, P.O.L

« tueuse, et tuante 

est l’époque 

à nouveau insensément cruelle

c’est un murmure distinct entre des lèvres inconnues sur lesquelles on a peur de poser les siennes. 

Directement écrit à la suite de ça va bien dans la pluie glacée (P.O.L, 2024), ce nouveau poème intensifie la déchirure provoquée par les événements tragiques de la guerre à Gaza — dans l’intimité, le quotidien, dans l’histoire, dans les oeuvres (poésie, sculpture, musique…). 

Chaque texte tremble d’espérer que le moment présent ne soit pas celui où « la race humaine a peut-être besoin du bain de sang et du passage périodique dans la fosse funèbre » (reprenant les mots de Marguerite Yourcenar dans les Mémoires d’Hadrien). Le poète ajoute : « Je redoute que ce soit le cas pour la Palestine comme pour Israël ». 

Texte à la fois spectaculaire, érotique, psalmodique, répétitif, dissonant, composé de plusieurs moments lyriques arrachés à la vie, aux événements, aux rencontres, notamment de splendides variations autour de la sculpture de Rodin, Iris, messagère des dieux. voilà c’est tout est écrit au bord du précipice collectif, repoussant la mort, tenant jusqu’au bout à « la condition de voyeur », devant le monde et son désastre, sa beauté, jusque dans « l’impasse de la condition humaine ». Sachant qu’il n’y a de vérité que paradoxale : Je vous interdis, vous m’entendez, je vous interdis de perdre espoir. »

Parution le 15 mai.

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Maciej Siembieda, Sobowtór (Le sosie), Agora

« Qui est cet homme qui trompe le monde de l’art depuis des siècles ?

Des œuvres inconnues d’un maître de la Renaissance apparaissent régulièrement dans des ventes aux enchères et des collections privées.

Elles sont parfaitement exécutées, peintes sur des toiles du XVIe siècle, et pourtant… elles sont fausses. La légende veut que leur auteur soit « Gemello », un génie de la peinture et maître de la contrefaçon qui vivrait depuis plusieurs siècles. Depuis l’époque de Napoléon, les polices de toute l’Europe tentent en vain de le capturer.

Lorsqu’une fondation créée par un politicien conservateur annonce l’exposition de portraits inconnus de Martin Luther et Jean Calvin, Jakub Kania, ancien procureur de l’Institut national de la mémoire nationale et désormais expert en fraude à l’assurance, commence à avoir des soupçons. S’agit-il vraiment de chefs-d’œuvre datant de plusieurs siècles ou d’une vaste escroquerie qui permettra à la fondation de gagner des millions ? L’enquête le mène de la Varsovie contemporaine à la Cracovie d’avant-guerre et à Vienne, jusqu’à l’Europe d’après-guerre. Avec Ludmiła Ungier, journaliste et critique d’art, Kania découvre que la mystification va beaucoup plus loin que quiconque aurait pu l’imaginer.

Qui est vraiment « Gemello » ?

L’histoire du faussaire est-elle vraie ?

Ou peut-être que derrière cette mystérieuse affaire se cache quelque chose de plus dangereux que la simple contrefaçon de tableaux ? »

Publié le 23 avril.

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Stefano Massini, Donald. Storia molto più che leggendaria di un Golden Man, Einaudi

« Peut-on raconter l’histoire de l’homme le plus puissant de la terre comme le ferait un conteur des siècles passés, en mêlant histoire et légende, chronique et mythe, horreur et parodie ?

Pour narrer la vie de son protagoniste encombrant, exagéré et prédestiné, Stefano Massini part du début : une famille d’origine allemande, une allée bien entretenue qui traverse une pelouse parfaitement tondue, une maison nichée dans le calme idyllique du Queens.

Pour tempérer la légende par l’humour et saboter la mythologie par le sarcasme, Massini entre dans les moindres détails et les relie à la trajectoire d’une existence peuplée de personnages : les parents, le directeur, le chauffeur, la Golden Wife. Et puis l’avocat, celui qui sent le potentiel de Donald et qui est le premier à percevoir son charisme, qui lui enseigne le désenchantement et l’utilitarisme. Qui le pousse vers le succès, jusqu’à la conquête de New York, jusqu’à la plus haute tour qui porte son nom.

Pendant ce temps, dans le monde, l’histoire continue : les discours incendiaires de Malcolm X, Lee Oswald qui sort de chez lui armé d’un fusil, Elvis Presley et Frank Sinatra, Muhammad Ali qui vole comme un papillon…

Mais pendant que tout cela se passe, nos yeux sont exclusivement tournés vers les aventures de ce garçon à la peau rougie et aux cheveux blonds qui devient rapidement un homme, se fait appeler « Golden Boy », séduit les filles et ne respecte pas l’autorité des autres. Nous caressons l’herbe des terrains de baseball où il joue, nous le voyons porter son premier costume élégant et monter dans une Cadillac, nous l’accompagnons dans son ascension triomphale sur le marché immobilier…

Jusqu’à ce que nous voyons prendre forme sa dernière idée grandiose : la politique comme stratégie de sortie.

Au désastre financier, à l’obsolescence, à la vieillesse, peut-être à la mort. Stefano Massini écrit la chanson de geste d’un personnage opaque, insaisissable, qui fait du mensonge un art et du succès une obsession.

Voici l’histoire des dix minutes cruciales et des fatalités qui ont fait de Donald J. Trump l’anti-héros du siècle dernier et la grande terreur du millénaire qui vient de commencer. »

Parution le 13 mai.

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Camila Sosa Villada, El viaje inútil, Tusquets

Avec rage et poésie, voici le récit cru de la vie de Camila Sosa Villada, de ses origines, de son enfance douloureuse — un corps de femme clandestin battu par la fureur alcoolique de son père, de son expérience en tant que travesti qui connaît la prostitution, mais aussi le succès au théâtre, et de là, l’écriture, qui ne peut être que radicale, intense, à la recherche d’une réparation impossible : 

« J’écris pour qu’une histoire soit connue.

L’histoire de mon travestisme, de ma famille, de ma tristesse dans l’enfance, de toute cette tristesse prématurée qu’était ma famille, de l’alcoolisme de mon père, de les carences de ma mère.

Les déménagements qui m’éloignaient pour toujours de mes amis, du climat de mes chambres, de l’habitude des cours, de la sécurité d’une cachette. 

J’écris pour pouvoir raconter les images qui ont peuplé mon enfance.

Aussi pour raconter la lutte de ma famille contre la pauvreté, une lutte qui nous a dévastés et rendus malades de rancœur, de désamour et d’indifférence, tous contre tous. »

Parution le 7 mai.

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François-Henri Désérable, Chagrin d’un chant inachevé. Sur la route de Che Guevara, Gallimard

« Cet automne-là, les taux d’intérêt étaient en baisse, les prix de l’immobilier en hausse, ma famille, mes amis s’inquiétaient : est-ce qu’il n’était pas temps que j’investisse dans la pierre ?

Avec un peu de chance et un banquier indulgent, je pouvais peut-être m’endetter sur trente ans (mon âge à l’époque).

Je n’en avais ni les moyens ni l’envie.

Signant un acte de vente, j’aurais eu la sensation de signer mon propre registre d’écrou — et de voir ma liberté circonscrite à quelques mètres carrés.

Et puis un appartement, ça se meuble ; aux meubles, il faudrait toujours préférer son sac de voyage. » 

De Buenos Aires à Caracas, François-Henri Désérable nous embarque dans une formidable traversée de l’Amérique du Sud.

Cinq mois à moto, en stop, en bateau, avec une seule contrainte : emprunter l’itinéraire qui fut celui d’Alberto Granado et d’Ernesto « Che » Guevara, lors du fameux voyage à motocyclette, soixante-cinq ans plus tôt.

Parution le 8 mai.

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Juan José Millas, Ese imbécil va a escribir una novela, Alfaguara

« Un écrivain qui répond curieusement au nom de Juan José Millás est chargé par le journal pour lequel il travaille d’écrire ce qui pourrait être, selon lui, son dernier reportage. 

Il doit donc réfléchir soigneusement au sujet qui servira de point d’orgue à toute une carrière. 

La recherche du reportage parfait réveille en lui le souvenir d’un épisode de son passé, enveloppé dans le brouillard entre réalité et imagination, qui le confronte à une partie de sa vie oubliée au fil des ans.

Qu’est-il arrivé au directeur de la succursale de la Banco Hispano Americano qu’il était allé visiter un matin de son enfance avec sa mère ? Et à son ami d’université, Alberto ?

Juan José Millás aborde dans cette histoire, à la fois étrange et profonde, le mystère de l’identité, les limites de la fiction et le pouvoir de la littérature pour donner forme au réel. 

Ese imbécil va escribir una novela (« Cet imbécile va écrire un roman ») représente un saut mortel pour Millás en tant que narrateur, qui joue avec le lecteur dans ces pages comme un illusionniste, un magicien des mots, un prestidigitateur éblouissant. »

Parution le 8 mai.

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Christian Berkel, Sputnik, Ullstein

« Le 4 octobre 1957, les premiers satellites atteignent l’orbite terrestre. 

Peu après, Sputnik voit le jour à Berlin-Ouest. 

Il grandit entre les histoires de Sala, sa mère bien-aimée qui oppose ses propres images à la réalité, et les livres de son père Otto.

Très tôt, le monde devient sa scène, tout le monde semble jouer un rôle — et comment comprendre la vie autrement ?

Adolescent, il s’enfuit à Paris : dans le monde de la littérature et auprès d’Annie, qui lui apprend le désir, l’amour et la jalousie. Puis il revient en Allemagne, en plein dans le monde théâtral des années 70, marqué par le renouveau. Une période d’expérimentation effrénée s’ensuit, jusqu’à ce que Sputnik commence à deviner qui il est, ou du moins qui il pourrait être.

Dans son troisième roman, Christian Berkel se lance à nouveau sur les traces de sa vie.

Mais bien davantage qu’un regard en arrière, cette histoire est un voyage hors de celle-ci, vers un présent effroyablement différent, dans lequel nous ne comprendrons jamais qui nous sommes sans le passé. »

Parution le 30 mai.

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Fernanda Melchor, Ici, c’est pas Miami, Grasset

« Veracruz, sur la côte caribéenne du Mexique, est l’une des villes les plus dangereuses du monde.

C’est aussi le lieu de naissance de Fernanda Melchor, figure incontournable des lettres latino-américaines. 

Avec ce recueil de chroniques littéraires, la romancière fait le portrait d’une cité portuaire ravagée par le narcotrafic depuis les années 1970. Dans chaque récit, Fernanda Melchor raconte comment ses habitants vivent sous le joug d’une violence généralisée où les fusillades, les règlements de compte et la corruption n’épargnent personne.

Une ancienne reine du carnaval, accusée d’infanticide, est traitée comme une paria ; un avocat, convoqué par un membre du cartel Los Zetas, s’arrange avec la vérité  ; des clandestins dominicains, épuisés par leur traversée, croient être à Miami quand ils accostent à Veracruz ; une adolescente, possédée par un démon, doit subir un exorcisme.

La réalité de Veracruz est cruelle, mais les bourreaux ont aussi des élans d’humanité, et les victimes leur part d’ombre.

Dans la grande tradition du journalisme littéraire qui va de Truman Capote à Leila Guerriero, Fernanda Melchor interroge l’origine du mal, en affirmant le pouvoir des mots pour le combattre. L’intelligence de cette observatrice de son temps et de la condition humaine fait d’Ici, c’est pas Miami une lecture dont nul ne peut sortir indemne. »

Parution le 7 mai.

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Tomasz Różycki, Les Voleurs d’ampoules, Noir sur blanc — Prix Grand Continent

« Habitant au dixième et dernier étage d’une barre d’immeuble, chef-d’œuvre d’architecture brutaliste à l’époque du communisme tardif, Tadeusz s’est vu confier par son père une tâche difficile : aller porter un précieux, un miraculeux paquet de café en grains à M. Stefan, le seul voisin à posséder encore un de ces vieux moulins à manivelle. 

L’expédition n’est pas facile, il faut s’aventurer tout au bout du couloir. Il fait plus de cent mètres et il est toujours sombre — les locataires ne cessent d’y voler les ampoules. 

À la faveur de cette odyssée, Tomasz Różycki nous raconte le quartier de son enfance, avec ses monstres, ses demi-dieux, ses ragots, ses petites affaires et ses exploits de légende. Ithaque ? C’est un appartement de 35 m2 que Tadeusz habite avec ses frères et sœurs et leurs parents. 

De même que la mémoire de l’auteur, ce long chemin obscur a tout du labyrinthe.

Dans une prose tantôt lyrique, tantôt clinique, avec autant d’humour que de goût pour la rêverie, ce panorama d’une enfance au crépuscule de l’époque communiste est un enchantement. »

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Lire son discours lors de la cérémonie du Prix Grand Continent 

Lire sa pièce de doctrine sur l’élargissement européen

Rencontrer l’auteur à la BnF le 22 mai

Héctor Abad Faciolince, Ahora y en la hora, Alfaguara

« Au milieu de l’année 2023, à peine remis d’une opération à cœur ouvert, Héctor Abad Faciolince a accepté l’invitation à un salon du livre en Ukraine.

Ce voyage littéraire s’est toutefois transformé en quelque chose d’autre : explorer les horreurs de l’invasion russe dans la région de Donetsk, près du front, en compagnie de quatre autres personnes.

Le dernier jour, pour se dire au revoir, le groupe de voyageurs s’est rendu dans une pizzeria de Kramatorsk pour dîner.

Là, « comme un coup de tonnerre », ils ont été victimes d’un événement qui allait les transformer à jamais : un missile russe, contenant six cents kilos d’explosifs, s’est abattu en plein centre de la ville, tuant treize personnes et en blessant plus de soixante. L’une des victimes mortelles était la jeune écrivaine ukrainienne Victoria Amélina, guide et compagne de ce voyage testimonial qui s’est terminé en tragédie.

Dans ce récit intense, où la vie, la vieillesse et la mort s’opposent de manière vertigineuse, l’auteur fait la chronique de ces événements et revient avec une franchise émouvante sur les thèmes qui ont inspiré le meilleur de sa littérature : les effets dévastateurs de la violence et de la guerre ; l’indignation face à la mort d’innocents ; la culpabilité et la stupeur de ceux qui n’ont pas succombé, et leur irrépressible envie de raconter ce qu’ils ont vu et de réfléchir à l’expérience étrange et hasardeuse d’avoir survécu — une fois de plus. »

Parution le 22 mai

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Philippe Claudel, Wanted, Stock

« Mon idée est toute simple, non ? Je suis étonné de ne pas y avoir pensé plus tôt. »

Elon Musk

Parution le 14 mai.

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Aroa Moreno Durán, Retour à Pasaia, Albin Michel — Prix Grand Continent

« Lorsqu’elle apprend que sa grand-mère est mourante, Adirane quitte Madrid pour retourner dans la maison de son enfance à Pasaia, village de pêcheurs sur la côte basque espagnole. 

Espère-t-elle élucider le mystère d’une tragédie qui hante sa famille depuis la guerre civile ? 

Ou renouer avec sa propre mère, qui vit toujours là ? 

Tandis qu’un dialogue, hésitant et tourmenté, reprend entre les trois femmes, se dessine une généalogie traversée par les secrets et les non-dits : Ruth, la grand-mère, exilée très jeune pendant la guerre ; Adriana, la mère, qui a toujours tu les circonstances de la naissance de sa fille : Adirane, enfin, qui fuit sa petite de cinq ans. 

Imbriquant l’histoire intime de trois générations de femmes à celle, mouvementée, du Pays basque, Aroa Moreno Duran enracine dans un territoire marqué par la violence une puissante réflexion sur la maternité, la mémoire et la transmission, maintenant avec brio le suspense jusqu’à la dernière page. »

Lire le discours de réception du Prix Grand Continent 

Lire son compte-rendu publié dans la revue

Roberto Saviano, L’amore mio non muore, Einaudi

« Rossella Casini a un peu plus de vingt ans.

Elle est originaire de Florence.

Elle a un père et une mère aimants qui ne lui font manquer de rien.

Elle mène une existence tranquille même si nous sommes en Italie, en 1977 — et que les places sont animées par les contestations politiques, les rues envahies par la colère, la violence et l’héroïne.

Du jour au lendemain, Francesco vient bouleverser la vie de Rossella.

C’est un étudiant calabrais qui vit loin de chez lui. Le sentiment qui naît entre eux est quelque chose qu’aucun des deux n’a jamais connu. 

Après quelques mois insouciants, Rossella découvre que la famille de Francesco est liée à une puissante mafia.

Pendant des vacances à Palmi, où elle a emmené ses parents, elle assiste à l’éclatement d’une vendetta : un tourbillon de violence qui emporte tout et tout le monde, dont Rossella choisit de ne pas s’échapper, du moins pas sans Francesco. Elle est convaincue que leur amour est si puissant qu’il peut mettre fin au carnage. Qu’il est l’ingrédient nécessaire pour changer le cours des choses.

Le 22 février 1981, Rossella Casini disparaît mystérieusement après avoir annoncé son retour à la maison. 

Personne ne la reverra jamais.

Bien que son corps n’ait pas été retrouvé, elle est reconnue par l’État comme victime de la ‘ndrangheta.

Roberto Saviano a écrit le roman de son histoire, une aventure humaine déchirante, pleine d’amour, de violence et de courage. »

Parution le 7 mai.

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Renata Bożek, Wyjarzmiona (Exorcisée), Marginesy

« Une jeune fille de la campagne qui prend son destin en main.

L’histoire commence en 1831, à la fin du mois d’octobre, lorsque Rozalka Balawender, une enfant paysanne en haillons, une prière aux lèvres et un corbeau bien desséché dans la main, jure vengeance à son maître.

Quinze ans plus tard, vêtue de pantoufles en cachemire et d’une robe en soie, elle se prépare à épouser un riche fiancé.

Comment a-t-elle réussi cette ascension sociale ?

Quels crimes et quelle débauche l’y ont conduite ?

Les péripéties de cette jeune fille hors du commun racontent l’ascension sociale.

Une histoire où le polonais standard se mêle au dialecte de la campagne lubélienne et où des personnages fictifs côtoient des personnages historiques. Vêtue d’un costume d’époque, elle participe à un débat sur les inégalités sociales et les chances de s’échapper de son milieu d’origine. C’est enfin une histoire sur le pouvoir de la différence et sur la force qui pousse l’être humain à évoluer et à changer. »

Paru le 23 avril.

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Crédits
Sélection par Florent Zemmouche, Kinga Siatkowska-Callebat et Emmanuelle Terrones. Sauf indications contraires explicites, les textes de description sont les quatrièmes de couverture disponibles sur les sites des éditeurs.

01.05.2025 à 06:00

L’ombre du Cloud : armer l’Europe dans la guerre invisible des données

Matheo Malik

La propriété et la gestion de nos données personnelles ont fait de l’Union un protectorat numérique américain.

Échapper à cette emprise suppose de comprendre ce qui nous menace et dans quelles infrastructures il est aujourd’hui urgent d’investir.

Gilles Babinet et Milena Harito proposent une cartographie — et formulent des recommandations concrètes.

L’article L’ombre du Cloud : armer l’Europe dans la guerre invisible des données est apparu en premier sur Le Grand Continent.

Texte intégral (6022 mots)

Dans l’étau inquiétant qui a pris la forme d’une alliance entre Trump et Poutine, l’Union européenne a, depuis cent jours, pris brutalement conscience de sa vulnérabilité si un conflit armé direct venait à se déclarer contre elle. Mais elle est soumise à d’autres risques considérables en cas d’agressions plus hybrides et horizontales. En particulier, elle se trouve particulièrement exposée sur le front de tout ce qui relève des technologies numériques.

Des hôpitaux aux banques, des modes de transport ferroviaire et aéroportuaire à nos courriels et messageries diverses, nos vies s’organisent autour de services numériques. Un dysfonctionnement mineur pourrait créer d’immenses troubles, comme l’a montré la panne informatique, non intentionnelle, qui a touché le monde entier en juin 2024 1 ou encore récemment les impressionnantes coupures de courant qui ont paralysé l’Espagne.

La liste des services vulnérables est longue — et ne cesse de croître. 

Ces services sont fournis en Europe majoritairement par quelques entreprises américaines qui ont accumulé une puissance parfois plus importante que de nombreux pays. Certains États se rendent désormais compte de l’ampleur de leur dépendance : des armements comme l’avion F-35 sont en pratique des systèmes informatiques comprenant des millions de lignes de code, dont le fonctionnement dépend du gouvernement des États-Unis. Malgré les dénégations du Pentagone, il n’y a guère de doute sur le fait que celui-ci pourrait en prendre le contrôle par de multiples moyens — arrêt des mises à jour, arrêt des services numériques à distance ou utilisation de « backdoors » (portes dérobées).

Cette situation de dépendance extraordinaire s’est progressivement mise en place au cours des trente dernières années.

Bien entendu, les Européens ne peuvent pas débrancher tout système logiciel d’origine américaine du jour au lendemain.

Cela serait proprement impossible — et surtout pas nécessairement utile. Mais il serait tout aussi inconséquent de se braquer dans une position de faiblesse. Dans le nouvel ordre mondial qui se profile, encerclant chaque jour davantage l’Europe, la défense de nos frontières, de notre économie, de notre mode de vie et de nos valeurs devra se penser d’une manière nouvelle.

Nous devons cerner ce risque avec clairvoyance tant il est vrai que la domination par le numérique peut aller bien plus loin que les rapports de forces entre États, tels que nous les connaissons aujourd’hui.

Dès lors, il importe de définir, par ordre d’importance, les points d’exposition de nos vulnérabilités numériques et de créer une feuille de route pour y remédier progressivement.

En matière d’infrastructures, un dysfonctionnement mineur pourrait créer d’immenses troubles.

Gilles Babinet et Milena Harito

Ces vulnérabilités relèvent de trois grandes catégories  : la maîtrise de l’infrastructure numérique essentielle ; les services numériques — indispensables à notre résilience, mais aussi à notre compétitivité, car c’est bien dans le secteur numérique que la productivité de l’Europe a décroché depuis les années 2000 2 ; et la protection face à la croissance des cyberattaques et de la désinformation.

« Des hôpitaux aux banques, des modes de transport ferroviaire et aéroportuaire à nos courriels et messageries diverses, nos vies s’organisent autour de services numériques. Un dysfonctionnement mineur pourrait créer d’immenses troubles. »
« Les Européens ne peuvent pas débrancher tout système logiciel d’origine américaine du jour au lendemain. »

L’infrastructure numérique critique de l’Europe : la vulnérabilité du Cloud

En cas de guerre hybride, le point de vulnérabilité maximal des Européens, et qui subirait les impacts les plus lourds, serait l’infrastructure numérique, avec ses nombreuses couches matérielles et logicielles.

Les deux piliers de l’infrastructure indispensable — et pourtant peu visible — de notre vie numérique sont les réseaux de télécommunications et le Cloud

Chacun saurait dire ce que sont les réseaux de télécommunications  : des fibres, des antennes mobiles, parfois des satellites et de nombreux équipements complexes, qui permettent de réaliser les communications. 

Au-dessus de ces réseaux de télécommunications, notre vie personnelle, économique et publique se passe en grande partie dans des centres de données — que nous désignons par l’expression floue de « Cloud ».  S’il arrive que nous ayons encore quelques gigabits de données stockés dans les disques de nos ordinateurs ou dans nos entreprises, une grande partie d’entre elles s’est déjà envolée vers le « Nuage » — des photos de nos téléphones portables jusqu’aux données beaucoup plus vitales des entreprises ou des organismes publics.

Les systèmes d’information et les bases de données massives de notre vie numérique se trouvent dans ces centres gigantesques, composés d’infrastructures physiques, de connectivité, d’énergie, de supercalculateurs, ainsi que de nombreuses couches de logiciels et d’outils informatiques sophistiqués — y compris d’intelligence artificielle. Ces logiciels constituent la valeur ajoutée du Cloud. Ils demandent beaucoup d’investissements et d’innovation et sont au centre d’une compétition commerciale féroce, mais aussi — et peut-être surtout — d’une compétition pour le contrôle des données.

Alors que les réseaux de télécommunications sont déployés physiquement en Europe et sont en majorité opérés par des entreprises européennes, le Cloud est détenu et opéré pour environ 65 % par trois entreprises américaines  : Google, Microsoft et Amazon. Certes, les centres de données peuvent être physiquement situés en Europe ou aux États-Unis. Mais les couches logicielles qui apportent la valeur ajoutée du Cloud restent contrôlées par ces entreprises de la Big Tech. L’Europe est aujourd’hui dépendante de celles-ci, comme des lois américaines auxquelles elles sont soumises.

Que se passerait-il si, demain, dans un moment de tension transatlantique, nous n’avions plus accès à nos données stockées dans Google Cloud  ?

Si nos données de sécurité sociale confiées à Microsoft Azur n’étaient plus disponibles  ?

Comment pourrait fonctionner la SNCF — dont le système d’information, d’une complexité analogue au système nerveux du corps humain, est placé sur le Cloud — ou le parc nucléaire français — dont les  données de la maintenance des pièces d’usure ont été confiées au Cloud d’Amazon AWS ?

Alors que les réseaux de télécommunications sont déployés physiquement en Europe et sont en majorité opérés par des entreprises européennes, le Cloud est détenu et opéré pour environ 65 % par trois entreprises américaines  : Google, Microsoft et Amazon.

Gilles Babinet et Milena Harito

Pour l’instant et malgré les récentes tensions commerciales avec les États-Unis, le scénario du pire d’un usage des services utilisant le Cloud comme moyen de coercition reste plus qu’hypothétique. Mais les scénarios de guerre ouverte — le président Trump se levant un matin et intimant aux grands acteurs numériques de couper les services numériques américains fournis à l’Union européenne — sont en fait moins inquiétant que des scénarios hybrides, beaucoup plus proches de nous et auxquels il faut se préparer : un conflit insidieux, fait de petits dysfonctionnements, astucieusement utilisés pour maintenir la pression — telle que l’interruption pendant plusieurs heures du système de communication par Satellite Starlink en Ukraine en octobre 2022 par exemple. Certains services de Cloud pourraient être réduits, voire même éteints, pendant de courtes périodes, en fonction du type d’acteur que l’on souhaite atteindre et du message que l’on souhaite véhiculer. Et cela serait possible avec ou sans la connivence du gouvernement américain.

Mettre l’infrastructure numérique au cœur de la défense européenne

Cette vulnérabilité massive du fonctionnement de nos entreprises et de nos institutions face aux géants du Cloud est la raison pour laquelle, dans son discours devant la Chambre et le Sénat italien le 18 mars 2025, traduit et commenté dans la revue, Mario Draghi avait plaidé pour inclure les dépenses concernant le Cloud et la cybersécurité dans les dépenses de la défense européenne.

Le marché européen du Cloud s’estime en 2024 autour de 110 milliards d’euros — soit environ deux fois et demi moins que le marché européen. Les trois opérateurs américains appelés « hyperscalers » — Amazon Web Services, Microsoft Azure and Google Cloud — en détiennent environ 65 % répartis dans le monde et en Europe. Ils fournissent généralement les solutions les plus complexes et à plus forte valeur ajoutée, qui sont aussi les plus difficiles à remplacer. Les principaux fournisseurs européens sont SAP, Deutsche Telekom et OVH avec environ 2 % de part de marché chacun. Ils sont suivis par Telecom Italia, Orange Business et une myriade de petits acteurs. 

Il est crucial de comprendre ce qui est à l’origine de cette situation. 

Elle est tout d’abord le résultat d’une culture américaine plus favorable à l’innovation, qu’il s’agisse du venture capital qui finance des startups développant des applications en Cloud ou des entreprises traditionnelles qui n’hésitent pas à adopter massivement de nouvelles pratiques beaucoup plus rapidement que les entreprises européennes 3.

En second vient l’intégration du marché américain, qui permet à toute entreprise technologique de s’adresser sans nécessité d’adaptation et de traduction, et surtout sans adaptation réglementaire, à 350 millions de consommateurs potentiels. Cet avantage concurrentiel d’échelle est particulièrement important pour les services numériques, où les coûts sont en général fixes et donc où chaque client supplémentaire représente un coût quasi-nul 4.

« Le marché européen du Cloud s’estime en 2024 autour de 110 milliards d’euros — soit environ deux fois et demi moins que le marché européen. »
« Les trois opérateurs américains appelés « hyperscalers » — Amazon Web Services, Microsoft Azure and Google Cloud — en détiennent environ 65 %. »

Après le développement rapide des services propres d’Amazon, Google et Microsoft, et de l’infrastructure Cloud qui était d’abord nécessaire pour ces services, une intégration verticale a été mise en place par les acteurs nord-américains. La rente obtenue par la position quasi-monopolistique dans les services numériques leur a permis d’étendre le Cloud et de le proposer à toutes les entreprises, et aux gouvernements, pour héberger leurs données et leur systèmes informatiques. C’est ainsi que s’est construite la position dominante des hyperscalers. Des pratiques de financement croisé monopolistiques, notamment mises en œuvre par Amazon, ont été pointées par un rapport du Congrès américain  et par l’Autorité de Concurrence en France en 2023 — mais ces signalements sont restés sans conséquences.

D’énormes investissements disponibles ont permis aux géants hyperscalers de construire des avantages concurrentiels, puis graduellement de s’étendre à d’autres domaines annexes, afin de devenir encore plus puissants et indépendants  : des câbles sous-marins aux datacenters, de l’énergie aux processeurs et aux modèles d’IA. 

Mais pour l’heure, que ce soit à l’échelle nationale ou européenne, la riposte s’est exprimée essentiellement sur le plan réglementaire.

Les trois opérateurs américains appelés « hyperscalers » — Amazon Web Services, Microsoft Azure and Google Cloud — détiennent environ 65 % du marché du Cloud dans le monde et en Europe.

Gilles Babinet et Milena Harito

En France, un ensemble de règlements récents vise à préserver la sécurité des systèmes d’information et des données qui recourent au Cloud

C’est ainsi qu’ont été créés les standards de Cloud de confiance et, plus exigeant encore, de Cloud souverain. Ces derniers obligent les entreprises à héberger et à traiter les données dans l’Union européenne, par du personnel basé en Europe, évitant ainsi en théorie les risques liés aux lois extraterritoriales comme le Cloud Act américain.

Au niveau européen, différentes directives et règlements visent à ouvrir le marché, à éviter des concentrations et à promouvoir la concurrence, entre autres par des règles d’interopérabilité de données qui facilitent le changement de fournisseur — il s’agit des Data Act, Data Governance Act, et Digital Markets Act. Mais les discussions européennes sur la certification pour les services Cloud (EUCS) n’ont pas été concluantes depuis 2019.

En théorie toutes les données — y compris celles des systèmes informatiques complexes des entreprises américaines qui gèrent le Cloud Souverain — seraient donc hébergées et soumises aux lois européennes.

En pratique, en cas de tensions accrues, il pourrait en être autrement.

L’évolution et les mises à jour deviendraient compliquées, même au sein d’un Cloud souverain, tant les sous-éléments qui le composent ont été hégémonisés par les États-Unis — même les éléments décrétés open source peuvent ainsi être soumis à une licence régie par le droit américain 5.

Mais dans un contexte géopolitique de remise en question de la valeur des lois et de règles qui sous-tendaient jusqu’alors l’ordre international, on peut légitimement s’interroger : ces protections réglementaires, qui ont leur pertinence, fonctionneront-elles dans un monde impérial post-2025  ? 

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Une stratégie numérique pour l’Union face à l’Empire

Il ne s’agit plus de spéculer sur d’éventuels renoncements au droit de certains acteurs. 

La menace est désormais avérée. 

Le 27 janvier 2025 le président Trump a licencié les trois membres démocrates du Privacy and Civil Liberties Oversight Board, un organe clef du Data Privacy Framework (DPF) 6 — texte imparfait qui permet toutefois à des milliers d’entreprises de transférer légalement les données des Européens aux États-Unis. Sa mission est de vérifier que le FBI ou la CIA respectent bien des principes de droit lorsqu’ils accèdent aux données personnelles des Européens (emails, messages…). La mainmise politique de l’administration Trump sur cet organisme laisse désormais entrevoir la possibilité que les États-Unis ne s’embarrassent plus de  l’accord donné aux Européens. 

Au-delà des réglementations de l’Union, des initiatives industrielles européennes visent à aller plus loin.

En France, il existe des consortiums de Cloud Souverain comme Blue (Orange, CapGemini) — qui sont toutefois bâtis sur des technologies Microsoft Azure. Il en est de même pour S3ns (Thales, Alphabet), avec la technologie Google. Le principe directeur est de faire en sorte que la gouvernance de ces infrastructures informatiques ne donne aucune prise en cas de requête d’une autorité américaine. Le code américain est licencié à une entité de droit français, dont la gouvernance est composée exclusivement de citoyens français. 

La dépendance européenne aux entreprises de la Big Tech reste critique. Il est temps d’accélérer.

Gilles Babinet et Milena Harito

L’initiative Gaia-X, lancée par la France et l’Allemagne, consiste quant à elle en une collaboration entre entreprises, gouvernements et universités pour mettre en place un ensemble de standards qu’adopteraient différents acteurs d’infrastructure européenne de données et de technologies souveraines. Elle permettrait de favoriser l’essor des acteurs européens existants et de réduire la dépendance vis-à-vis des acteurs non européens. La caractéristique centrale de Gaia-X consiste à standardiser les formats d’échanges pour favoriser le développement d’une constellation de Clouds inter-compatibles, et donc facilement interchangeables. 

Pourtant, malgré ces initiatives, entre 2017 et 2022, la part de marché des fournisseurs européens a baissé de 27 % à 13 % — au bénéfice des trois hyperscalers mentionnés plus haut. 

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la dépendance européenne aux entreprises de la Big Tech reste critique. Il est temps d’accélérer.

Nous estimons que plusieurs actions résolues sont nécessaires pour que l’Europe puisse tout à la fois restaurer son autonomie stratégique, sa compétitivité et sa capacité d’innovation, dans le champ du Cloud mais aussi de l’IA — qui reste pour l’instant très dépendante d’une infrastructure en Cloud

Nous identifions trois priorités stratégiques :

1 — Favoriser une perspective technologique de moyen terme 

Il ne suffira pas à l’Europe de se prémunir de la versatilité possible de ses partenaires technologiques : elle devrait aussi faire des paris technologiques de moyen terme. 

En 2031, avec la croissance de la quantité de données due à l’IA et la rapidité des réseaux 5G, on estime que plus de la moitié des données pourraient être traitées plus efficacement en « périphérie », sans traverser des réseaux, en mode appelé « Edge Computing ». Contrairement au Cloud, pour lequel la domination des géants américains et chinois est déjà actée, le Edge reste un territoire à conquérir 7.

Alors que les objectifs numériques de l’Union prévoyaient 10 000 nœuds sécurisés et souverains en périphérie de réseaux en 2030 8, uniquement trois étaient commercialement déployés en septembre 2024. Ces objectifs nécessitent une adaptation au nouveau contexte transatlantique, en mettant en œuvre une feuille de route de long terme qui identifie les composantes de la chaîne de valeur devant impérativement rester sous contrôle souverain. 

S’il est irréaliste de produire des processeurs de taille de gravure inférieure à 4 nm en Europe, il n’en est pas moins inexcusable d’avoir délégué l’encryption de services critiques à des acteurs étrangers. Il convient donc de demander aux Organisations d’infrastructures vitales (OIV) de soumettre des feuilles de route comprenant un plan à la fois de remédiation en cas de panne d’un fournisseur logiciel d’un service essentiel, et d’autonomisation progressive sur une échelle de temps long.

2 — Créer les conditions pour accélérer les investissements 

Le rapport Draghi évoque un déficit cumulé d’investissements de l’Union par rapport aux États-Unis qui se chiffre en milliers de milliards d’euros — à titre d’exemple, dans le domaine du Cloud, Amazon AWS prévoit d’investir 100 milliards en infrastructure IA seulement en 2025.

Face à un tel constat, le tropisme européen s’exprime généralement par l’ambition, le plus souvent illusoire, de créer « le nouvel Airbus » — qu’il s’agisse des « microprocesseurs », « batteries », « chars de combat » ou « avions de chasse » — pour souvent constater, quelques années plus tard, un vaste gâchis d’argent public. 

Il conviendrait donc selon nous de limiter autant que possible les politiques industrielles et de diriger l’investissement vers la synchronisation de la recherche à l’échelle européenne — rendant ici grâce aux Advanced Research Projects Agency (ARPA) américaines, à la National Science Foundation et à quelques autres organismes de financement de la recherche.

De même, on peut éviter l’investissement direct en capital, en privilégiant l’investissement en fond de private equity secondaire — une sorte de venture capital sous forme d’abondement maximisant l’effet de levier et minimisant le risque.

Le tropisme européen s’exprime généralement par l’ambition, le plus souvent illusoire, de créer « le nouvel Airbus » pour souvent constater, quelques années plus tard, un vaste gâchis d’argent public.

Gilles Babinet et Milena Harito

L’accélération de l’Union de l’épargne et des investissements (UEI) devrait être une priorité, de sorte à mieux orienter l’épargne de l’Union vers des investissements productifs en général 9. Comme le préconisaient les rapports Letta et Draghi en 2024, la nécessité d’avoir une Europe plus intégrée qui favorise les effets d’échelles est toujours d’actualité — et elle est sans doute plus importante encore dans le numérique que nulle part ailleurs.

Pour rationaliser les investissements dans le Cloud et le Edge Cloud, il est possible de favoriser des investissements communs et partagés entre acteurs européens, selon des modèles déjà connus pour les déploiements d’infrastructures numériques de fibre en France ou de réseaux mobiles en Europe. 

Les plus grandes entreprises numériques de l’Union sont les opérateurs de télécommunications qui ont déployé en Europe une excellente infrastructure de fibres et de réseaux mobiles, basée sur une chaîne d’approvisionnement télécom également européenne. Ils ont la taille, l’organisation, les centres de traitements de données en périphérie de réseaux et la 5G nécessaires pour les investissements massifs dans le Edge Cloud — bien sûr en coopération avec des partenaires spécialisés. 

Toutefois, leur niveau d’investissement reste limité à cause du marché européen très fragmenté. On dénombre 34 groupes d’opérateurs mobiles en Europe là où, pour des marchés comparables, il y en a 3 ou 4 aux États-Unis ou en Chine. Il est nécessaire de bâtir sur la force de ces grands acteurs européens et de leur créer de nouvelles marges de manœuvre, en favorisant les fusions d’opérateurs pour leur donner les moyens d’investir, seuls ou en partenariats, dans le Edge Cloud.

Pour ce faire, un changement radical, bien identifié dans le rapport Draghi, est nécessaire  : appliquer les règles de concurrence au seul niveau pertinent, qui est celui du marché européen dans sa totalité. Associer des engagements d’investissement forts, tout en permettant plus de fusions permettrait à des entreprises européennes de devenir des acteurs à l’échelle pertinente du Cloud — et de conduire vers une situation de marché européen plus équilibrée.

Enfin, il est nécessaire de souligner l’intérêt que pourrait avoir une logique de standards du système d’armement européen. À l’heure où il apparaît incontournable que l’IA contamine tous les domaines de défense, l’opportunité pour l’Europe de s’affranchir d’une logique atlantiste pour favoriser son propre modèle permettrait une forte mutualisation des investissements en R&D, dont les retombées civiles à moyen terme pourraient être considérables, en particulier sur les sujets d’IA, de Cloud et de technologies numériques au sens large. 

« Dans le monde numérique, le pouvoir est désormais hyperconcentré. »
« Il va au-delà des gouvernements et il est en train d’échapper à la démocratie. »

3 — Renforcer l’action publique 

À chaque étape, les politiques publiques jouent un rôle décisif. Or puisqu’il en est de même pour nos compétiteurs dans les autres parties du monde, nous devons, comme les autres, faire un usage stratégique de notre puissance publique.

Pour sortir de la situation actuelle de verrouillage par les acteurs américains — ayant sans doute résulté d’un manque de vision de nombre d’acteurs — nous avons la possibilité de développer des standards et de l’interopérabilité pour ouvrir le marché 10.

Dans ce domaine, l’exemple de l’Inde est édifiant.

Le pays s’est attaché à recréer une dynamique de résilience numérique à travers la création des services numériques fondamentaux, de système de paiement ouvert, d’identité numérique biométrique et une importante initiative de Cloud destinée essentiellement à abriter les services publics numériques de l’Inde Fédérale, mais aussi des États indiens qui le souhaiteraient. Cette initiative, largement basée, sur de l’open source permet, en particulier en ce qui concerne le Cloud, de fédérer une large panoplie d’outils, sans reposer uniquement sur ceux des grands acteurs américains.

L’initiative prise par la direction du numérique en France (DINUM) en collaboration avec les autorités allemandes, consistant à développer une suite numérique open source pour le secteur public en tant qu’alternative à Microsoft Office, est emblématique de ce qu’il conviendrait de faire : utiliser la puissance publique pour susciter le développement de socles logiciels en source ouverte et favoriser la standardisation d’expériences utilisateurs alternatives aux services fournis par les grandes entreprises américaines.

À l’exception de l’accès aux terres rares et de la fabrication de microprocesseurs de pointe, les infrastructures informationnelles ne contiennent aucune technologie réellement inaccessible aux Européens.

Gilles Babinet et Milena Harito

Il n’est pas réaliste d’espérer rattraper le niveau technologique des hyperscalers

Mais en mutualisant les efforts et en démultipliant ce type d’approche, il est possible de parvenir sur une perspective de temps long à un niveau de qualité et d’innovation probablement équivalent — voire supérieur — à ce que font ces acteurs d’outre-Atlantique.

Bifurquer : il est encore possible de choisir la voie européenne

L’Europe a de nombreuses « cartes en main » pour gagner en autonomie dans son infrastructure numérique.

Il est faux d’affirmer que l’Europe serait condamnée à sortir de l’histoire, que son déclassement technologique serait désormais irrémédiable et qu’il nous faudrait donc accepter de nous plier aux termes d’une « Pax Americana » au sein de laquelle l’usage des technologies informationnelles serait fatalement d’origine d’outre-Atlantique.

L’exemple des infrastructures informationnelles le montre bien : à l’exception de l’accès aux terres rares et de la fabrication de microprocesseurs de pointe, elles ne contiennent aucune technologie réellement inaccessible aux Européens. Il s’agit donc de créer les conditions qui permettraient aux consommateurs de bénéficier des avantages spécifiques à ces technologies — à commencer par leurs rendements croissants. 

L’intégration des régulations nationales et des marchés de capitaux à une échelle européenne doit être une priorité — qui a d’ailleurs été justement identifiée par le rapport Draghi. Reste à créer une culture et des compétences communes au niveau européen, un objectif probablement plus ambitieux, mais tout aussi nécessaire.

Enfin, il faut prendre garde pour éviter de tomber dans un piège trop commun  : la volonté de rattraper plutôt que de créer sa propre voie. 

On ne compte plus les plans de mise à niveau : leurs conséquences sont presque toujours décevantes. Il ne s’agit donc pas ici de faire ce que d’autres ont déjà fait, mais bien de préempter les besoins à venir. Il s’agit de faire des choix correspondant aux besoins des Européens, qui divergent de plus en plus de ceux des Américains, et finalement de permettre à des technologies adaptées à l’environnement européen d’advenir. 

Dans le monde numérique, le pouvoir est désormais hyperconcentré. 

Il va au-delà des gouvernements et il est en train d’échapper à la démocratie. 

Pour protéger nos frontières, notre économie, notre mode de vie et nos valeurs, il faut agir vite.

Sources
  1. Panne informatique mondiale  : des aéroports, des hôpitaux et de nombreuses autres entreprises paralysés dans le monde entier », Le Monde, live du 19 juillet 2024.
  2. The Draghi report on EU competitiveness, Commission européenne, septembre 2024.
  3. North America Vs Europe : Who Will Win the Race to Cloud Adoption ? », BigStep, 19 janvier 2015.
  4. winner takes all) telle qu’elle a été énoncée par Brian Arthur dès 1996. Voir W. Brian Arthur, « Increasing Returns and the New World of Business », Harvard Business Review, Juillet-août 1996.
  5. Understanding US export controls with open source projects, Linux Foundation, juillet 2020.
  6. Transfert de données transatlantique : l’Europe annonce un nouveau Privacy Shield », 01net, 10 juillet 2023. 
  7. Infrastructures numériques : un plan décisif, Institut Montaigne, mars 2025.
  8. Europe’s Digital Decade : digital targets for 2030, European Commission, septembre 2023.
  9. La Commission dévoile la stratégie de l’union de l’épargne et des investissements visant à améliorer les possibilités financières », Communiqué de presse, Commission européenne, 19 mars 2025.
  10. Data Act enters into force : what it means for you », Directorate-General for Communication,  European Commission, 11 janvier 2024.
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