LePartisan.info À propos Podcasts Fil web Écologie Blogs REVUES Médias
Souscrire à ce flux
Groupe d'Etudes Géopolitiques

Abonnés Articles en ACCÈS LIBRE Actu Economie Guerre

▸ les 4 dernières parutions

30.06.2025 à 19:28

L’Iran face à ses limites : 10 points sur les causes structurelles d’une cassure tactique

Matheo Malik

Proxies régionaux. Soutien de Moscou. Latence nucléaire. Dissuasion balistique.

L’équilibre sur lequel Téhéran avait bâti sa doctrine a chancelé — avec une rapidité impressionnante.

Une semaine après l’annonce d’un cessez-le-feu entre l’Iran et Israël, il est possible de dresser un bilan détaillé des raisons structurelles qui ont permis à Tel Aviv de déjouer les plans de la République islamique et de dégager des perspectives.

L’article L’Iran face à ses limites : 10 points sur les causes structurelles d’une cassure tactique est apparu en premier sur Le Grand Continent.

Texte intégral (8344 mots)

poi

Points clefs
  • Avant le début de l’opération Am Kalavi, la stratégie iranienne reposait sur une doctrine hybride mêlant dissuasion balistique, latence nucléaire et appui régional sur des proxies. C’est cet équilibre subtil qu’Israël a cherché à casser.
  • L’étude fine des actes de guerre ayant eu lieu entre Israël et l’Iran du 13 au 24 juin porte plusieurs leçons : si la défense antimissile ne peut pas se substituer complètement à la dissuasion nucléaire, elle a prouvé son efficacité face à la stratégie incrémentale puissante déployés par les systèmes de missiles iraniens. Mais Téhéran dispose toujours d’une relative capacité de dissuasion conventionnelle.
  • Si la possibilité pour l’Iran de se doter de l’arme nucléaire a été décalée de quelques mois par les frappes israéliennes et américaines, le risque de voir d’autres pays chercher à devenir des puissances nucléaires grandit — d’autant plus difficile à contrer que la prolifération pourrait être portée, cette fois, par des alliés des États-Unis.

La BITD iranienne avant l’attaque du 13 juin : stratégie hybride et intégration sans alliance avec Moscou (Julia Tomasso)

1 — Artesh, AFGS, Pasdaran : une grande armée hybride et vétuste

Le Guide suprême s’appuie sur deux structures pour diriger et coordonner les forces armées : l’état-major général (AFGS), chargé de la stratégie militaire, et le quartier général central de Khatam-al Anbiya, responsable des opérations conjointes. Ces deux structures régissent ensuite le fonctionnement de trois piliers : l’armée régulière (Artesh), le Corps des Gardiens de la révolution (Pasdaran) et le Commandement des forces de l’ordre (LEC).

L’Artesh est l’armée régulière de l’Iran, chargée de défendre le territoire national. Elle comprend des forces terrestres, aériennes, navales, ainsi qu’une force de défense aérienne. Les Pasdaran, quant à eux, sont une force militaire idéologique destinée à protéger le régime et ses valeurs révolutionnaires. Il dispose de ses propres forces terrestres, navales et aérospatiales, ainsi que d’unités spéciales comme les milices Basij, la force Al-Qods et le renseignement. 

Ces différents acteurs obéissant à des logiques de commandement distinctes et pas nécessairement coordonnées, il est difficile d’évaluer leur efficacité opérationnelle et donc de comparer l’armée iranienne aux autres forces de la région.

Selon les chiffres du Military Balance 2025 1, l’Iran disposerait de la plus grande force armée de la région en nombre, avec environ 610 000 personnels actifs, dont 350 000 pour l’Artesh et 190 000 pour les Gardiens de la révolution, plaçant le pays devant l’Égypte (438 500 effectifs) et l’Arabie saoudite (257 000 effectifs). 

Cette supériorité numérique masque des lacunes capacitaires importantes, notamment dans les domaines naval et aérien. La marine iranienne a des capacités limitées tandis que l’arsenal aérien repose encore sur des appareils américains (tel que le

Toujours selon le Military Balance, le budget officiel de la défense iranienne pour l’année 2024 s’élève à 8,04 milliards de dollars, calculé sur la base du taux de change officiel. Si celui de 2025 demeure encore inconnu, des médias officiels iraniens feraient état d’une hausse de 200 % 2. En comparaison, le budget militaire d’Israël avoisine les 125 milliards de dollars, celui de l’Arabie saoudite les 71 milliards de dollars, et les Émirats arabes unis dépassent les 20 milliards de dollars. Face à cette disparité budgétaire, l’Iran compense par une doctrine hybride, mêlant guerre asymétrique, proxies, déploiement de milices affiliées, et usage tactique de la dissuasion balistique.

C’est précisément cette stratégie qu’Israël a cherché à désamorcer avec son attaque du 13 juin.

2 — La BITD iranienne : combien de divisions ?

Depuis la Révolution islamique de 1979 et la guerre Iran-Irak (1980-1989), Téhéran a fait de l’autonomie industrielle un impératif stratégique.

La base industrielle et technologique de défense (BITD) iranienne s’est progressivement structurée autour d’un noyau étatique puissant. Ce dernier est composé d’organismes tels que le ministère de la Défense (MODAFL), l’Organisation des industries aérospatiales (AIO) et les industries aéronautiques (HESA). 

Sur la base de ce réseau fermé, étanche aux influences extérieures, l’industrie de la défense iranienne s’est donc progressivement construite sur un équilibre entre techniques low-cost, innovation frugale et optimisation des ressources — permettant à Téhéran de compenser pour partie son isolement technologique.

La BITD iranienne intègre aujourd’hui une large gamme de systèmes d’armes.

Elle produit en autonomie relative des missiles balistiques (Fateh-110, Qiam, Khorramshahr), des missiles de croisière (Soumar), des drones (Shahed-136, Mohajer-6), des systèmes sol-air (Bavar-373) et des radars.

L’Iran compense sa faiblesse budgétaire par une doctrine hybride, mêlant guerre asymétrique, proxies, déploiement de milices affiliées, et usage tactique de la dissuasion balistique.

Julia Tomasso

La mise en service en mai 2025 du missile Qassem Bassir, doté d’un guidage électro-optique, illustre les progrès réalisés dans le domaine de la guerre électronique.

Cette relative autonomie industrielle repose sur plusieurs techniques développées depuis 46 ans : la rétro-ingénierie (ou reverse engineering), la modularité et un recours important aux composants civils. C’est via des techniques de rétro-ingénierie que l’Iran a ainsi pu développer le drone Shahed-171, inspiré RQ-170 américain. Le régime analyse, reproduit et adapte les systèmes étrangers à ses besoins. Nombre d’entre eux intègrent des composants occidentaux acquis via des réseaux offshore ou des plateformes commerciales. La modularité des systèmes permet également la réutilisation de composants, renforçant ainsi l’efficience industrielle. Un même moteur peut donc équiper plusieurs types de drones. Enfin, l’emploi croissant de l’impression 3D (ou additive manufacturing) ouvre des perspectives supplémentaires, notamment pour la fabrication locale de pièces complexes. 

Ces avancées doivent toutefois être nuancées.

La BITD iranienne demeure dépendante de certaines importations critiques, en particulier pour les plateformes complexes. Entre 2023 et 2024, l’Iran n’a reçu que quelques avions Yak-130 de Russie et a signé des contrats pour des Su-35, encore en attente de livraison. Sa flotte aérienne est donc faible et limitée. 

Cette dépendance se retrouve également dans l’électronique : les composants essentiels à la navigation, au guidage ou à la communication (FPGAs, GPS, DSPs) proviennent ainsi majoritairement d’Europe ou des États-Unis, rendant la BITD iranienne particulièrement vulnérable aux embargos et aux sanctions en place.

Le Guide suprême s’appuie sur deux structures pour diriger et coordonner les forces armées : l’état-major général (AFGS), chargé de la stratégie militaire, et le quartier général central de Khatam-al Anbiya, responsable des opérations conjointes. Ces deux structures régissent ensuite le fonctionnement de trois piliers : l’armée régulière (Artesh), le Corps des Gardiens de la révolution (Pasdaran) et le Commandement des forces de l’ordre (LEC).
C’est via des techniques de rétro-ingénierie que l’Iran a ainsi pu développer le drone Shahed-171, inspiré RQ-170 américain. Le régime analyse, reproduit et adapte les systèmes étrangers à ses besoins. Nombre d’entre eux intègrent des composants occidentaux acquis via des réseaux offshore ou des plateformes commerciales. La modularité des systèmes permet également la réutilisation de composants, renforçant ainsi l’efficience industrielle.

3 — Iran-Russie : des drones et une coopération stratégique sans alliance

En janvier 2025, le régime iranien dévoilait 1 000 nouveaux drones stratégiques capables, selon les représentants du gouvernement, d’atteindre Israël ainsi que les différentes bases américaines dans la région. 

Mais le contraste entre l’usage intensif des drones iraniens par la Russie en Ukraine et leur emploi limité par l’Iran contre Israël interroge.

Il s’explique en fait par deux facteurs principaux, d’ordre à la fois géographique et technique.

Là où le théâtre ukrainien se prête particulièrement bien à l’emploi de drones tactiques — les distances à parcourir de part et d’autre de la ligne de front sont relativement courtes — l’Iran et Israël sont séparés par des milliers de kilomètres, ce qui rend toute frappe directe par drone beaucoup plus complexe.

Or si les drones iraniens Shahed-129 ou Shahed-149 disposent d’une autonomie importante, ils souffrent néanmoins d’un rayon d’action limité — environ 1 700 kilomètres pour l’un et 1 300 kilomètres pour l’autre. Seule une poignée de modèles, comme le HESA Karrar — dérivé d’un drone-cible américain des années 1970 — offre une portée théorique suffisante pour frapper le nord d’Israël. Mais leur usage reste ponctuel et conditionné à des lancements à proximité du théâtre, souvent via des relais régionaux. 

Les Shahed-136

Moscou a par ailleurs désormais elle-même les moyens de développer son propre modèle de drone inspiré du Shahed. Sahara Thunder a ainsi joué un rôle d’intermédiaire 3 pour transférer à la Russie la technologie, les kits d’assemblages et les compétences nécessaires pour produire les Shahed-136 localement, sous le nom de Geran-2 dans une usine exploitée par la société Albatross, située à Elabouga au Tartastan. Ce site a été financé par un accord d’une valeur de 1,4 milliards d’euros. Ce partenariat met en évidence la résilience des réseaux d’approvisionnement malgré les sanctions, mais aussi la capacité de la Russie et de l’Iran à renforcer une collaboration technico-industrielle à finalité militaire, même en l’absence d’alliance défensive entre les deux pays. 

En cohérence avec sa doctrine de souveraineté qui privilégie l’indépendance en refusant toute forme de contrainte externe, le régime iranien n’a pas souhaité entrer dans une alliance militaire avec la Russie.

Julia Tomasso

Malgré la signature du partenariat stratégique en janvier 2025, Moscou n’a toujours pas livré ses systèmes de défense antimissile S-400

Cet accord ne contenant aucune clause d’assistance militaire mutuelle, ce retard n’entre toutefois pas en contradiction avec les termes de l’entente : en d’autres termes, la coopération russo-iranienne repose davantage sur des convergences tactiques plutôt que sur une alliance militaire formelle. 

Si la Russie a condamné fermement les frappes iraniennes et américaines, Moscou souhaite préserver sa marge de manœuvre régionale et une position de relative neutralité entre Téhéran et Tel-Aviv. Le conflit entre l’Iran et Israël détourne l’attention internationale de la guerre en Ukraine et une implication directe au profit de l’Iran risquerait de compromettre les liens de la Russie avec les monarchies du Golfe, l’Égypte ou Israël. Ces derniers, bien que distendus depuis le 7 octobre, n’ont en effet pas été totalement rompus.

Du côté iranien, le régime n’a en réalité pas non plus semblé souhaiter une alliance militaire formelle avec la Russie. Ce choix est cohérent avec la doctrine iranienne de souveraineté qui privilégie l’indépendance et refuse toute forme de contrainte externe. Cette tradition, née de la Révolution islamique de 1979 a été remise à l’ordre du jour en 2005 dans la 20-Year National Vision of the Islamic Republic of Iran for the dawn of the Solar Calendar Year 1404 [2025 C.E.] 4 approuvée par l’ayatollah Khamenei.

Finalement, les différences d’approches freinent la construction d’une alliance entre les deux pays — ce qui n’empêche pas pour autant des projets bilatéraux structurants, comme le corridor de transport Nord-Sud ou les investissements iraniens dans le pétrole russe. En 2022, l’Iran a ainsi signé des accords avec Gazprom pour des projets d’installations gazières s’élevant à 40 milliards de dollars. 

S’ajoutent à cela des considérations militaires et industrielles. 

La Russie étant soumise à un régime de sanctions occidentales de plus en plus strict, elle est contrainte à des arbitrages sur ses exportations d’armement. La priorité est donnée à la production domestique — notamment de drones iraniens Shahed-136, via son usine au Tatarstan. 

Le cas des missiles S-300 l’illustre bien : après avoir suspendu ce programme en 2010 sous pression onusienne, Moscou a finalement livré ces systèmes à l’Iran entre 2016 et 2017 — mais non sans retards, tensions diplomatiques, et le développement parallèle, par Téhéran, de son propre système Bavar-373. 

Balistique, anti-balistique et aérien (Etienne Marcuz)

4 — Les missiles et les drones utilisés par l’Iran dans la « guerre des douze jours » : comprendre la stratégie « incrémentale » de Téhéran

Si l’on se fie aux déclarations iraniennes au cours du conflit, Téhéran semble avoir adopté une approche incrémentale dans ses frappes, annonçant à plusieurs reprises l’introduction de nouveaux types de missiles à mesure que le conflit évoluait. 

Les drones, au premier rang desquels les Shahed, n’ont ainsi contribué que marginalement aux frappes en raison de leur grande vulnérabilité, la quasi-totalité de ceux envoyés contre Israël ayant été interceptés, probablement avant même leur entrée dans l’espace aérien du pays. 

Pour ce qui concerne les missiles, les vagues des premiers jours auraient surtout vu les Emad et Ghadr et leurs dérivés entrer en action. Ces missiles à propulsion liquide de moyenne portée — inférieure à 2000 kilomètres — sont dérivés du Shahab-3, lui-même issu du No-Dong, un missile nord-coréen développé au cours des années 1980 et 1990. Bien que diverses modernisations leur aient permis d’augmenter leur portée et leur précision, ils restent une cible relativement aisée pour le bouclier antimissile israélien en raison de leur trajectoire prédictible et très haute, rendant possible une destruction hors de l’atmosphère au moyen des missiles d’interception exo-atmosphérique Arrow 3.

L’utilisation prioritaire de ces missiles plus facilement interceptables dans les premières phases du conflit pourrait s’expliquer tactiquement par une volonté d’épuiser le bouclier antimissiles israélien pour augmenter ainsi les chances de pénétration des systèmes plus évolués dans un second temps.

En parallèle à ces missiles vulnérables aux défenses antimissiles, les forces armées iraniennes ont également mis en œuvre des missiles aérobalistiques à propulsion solide Haj Qassem — nommé en l’honneur du « martyr » Qassem Soleimani — et Kheibar Shaken. Leur trajectoire dite « tendue » les conduit à rester dans les hautes couches de l’atmosphère durant une partie significative de leur vol. Cette particularité leur vaut de rester plus longtemps sous l’horizon des radars adverses mais également de manoeuvrer suffisamment pour ne pas adopter une trajectoire prédictible — à l’inverse des missiles balistiques classiques. 

Ces deux caractéristiques font des missiles aérobalistiques des cibles plus complexes à traiter pour les défenses antimissiles. La mise en œuvre d’une combinaison de missiles balistiques et aérobalistiques force par ailleurs les radars à rechercher la menace dans différents secteurs du ciel.

À partir du 18 juin, soit au sixième jour de la guerre, alors que de premières informations commençaient à émerger sur un épuisement des stocks d’intercepteurs israéliens, l’Iran a utilisé de nouveaux types de missiles en déployant trois types d’armes.

Le premier fut le Fatteh-1, qualifié d’hypersonique bien qu’il s’agisse vraisemblablement d’un missile aérobalistique dont la tête séparable du booster est dotée d’un petit système de propulsion lui permettant de conserver sa vitesse plus longtemps malgré les frottements de l’atmosphère, tout en lui offrant une capacité de manoeuvre plus importante que les missiles aérobalistiques classiques. Il avait été utilisé au combat pour la première fois en octobre 2024.

Téhéran semble avoir adopté une approche incrémentale dans ses frappes, annonçant à plusieurs reprises l’introduction de nouveaux types de missiles à mesure que le conflit évoluait.

Étienne Marcuz

Le second fut le missile balistique bi-étage à propulsion solide Sejjil-2. Mis en service en 2012, il s’agissait de la première utilisation au combat du missile à la plus longue portée de l’arsenal iranien — soit environ 2500 kilomètres selon les estimations disponibles. Si cela lui confère mécaniquement une vitesse plus importante, il ne représente toutefois pas une menace beaucoup plus contraignante pour la défense que les autres missiles balistiques dérivés du Shahab-3. Il semble par ailleurs avoir été utilisé seul, avec un unique exemplaire tiré, faisant de ce tir essentiellement une opération de communication.

Le dernier missile introduit fut un système à sous-munitions, dont le vecteur exact reste indéterminé. L’usage de sous-munitions vise en théorie à augmenter la surface de destruction du missile, ce qui en fait par exemple une arme de choix contre une base aérienne. Si elles sont larguées tôt durant le vol, les sous-munitions peuvent également saturer les défenses antimissiles qui doivent intercepter une vingtaine d’objets au lieu d’un seul. Cela se fait toutefois au prix d’une dispersion importante des charges, augmentant d’autant plus les risques de dommages collatéraux contre les populations civiles.

Si les vagues successives de missiles iraniens ont perdu en densité au cours du conflit, le nombre d’impacts, lui, semble avoir augmenté. 

Malgré une forte attrition de ses lanceurs due aux actions offensives israéliennes, la stratégie de frappes de l’Iran mêlant saturation puis diversification des vecteurs pourrait donc avoir eu un certain succès en termes de pénétrabilité du bouclier antimissiles, au détriment des civils vivant à proximité des cibles visées — même si l’évaluation des dommages sur les cibles d’intérêt militaire est rendue difficile par la censure en vigueur dans le pays.

Si cette guerre a mis fortement à contribution le stock de missiles balistiques iraniens, Téhéran dispose vraisemblablement toujours de moyens de frapper Israël — en témoignent les vagues successives ayant été tirées dans les heures précédant le cessez-le-feu.

Enfin, certains des missiles les plus modernes ne semblent pas avoir été utilisés au cours du conflit, comme le missile balistique Khorramshar-4. 

À cet égard, Iran dispose donc toujours, après la guerre, d’une certaine capacité de dissuasion conventionnelle.

5 — Le bouclier antimissile israélien à l’épreuve des systèmes iraniens : comment a fonctionné la défense israélienne ?

Les performances du bouclier antimissile israélien peuvent s’expliquer par deux grands facteurs : une superficie relativement faible à défendre, permettant une excellente couverture radar, ainsi qu’une forte concentration des batteries de défense antimissile, combinée à un système défensif intégré et multicouches. 

Ce bouclier est en effet constitué de trois voire quatre couches d’interception complémentaires dont les données sont centralisées, constituant un « système de systèmes » et permettant une stratégie dite « shoot-look-shoot ». En cas d’échec lors d’une interception, une couche inférieure peut prendre le relais. Cette approche permet d’éviter de tirer plusieurs intercepteurs simultanément contre une cible unique pour pallier une défaillance éventuelle et donc de gaspiller de précieuses ressources, ainsi que d’engager les différents types de missiles assaillants là où ils sont les plus vulnérables.

Les différentes couches se répartissent en tranche d’altitude de la manière suivante, chacune d’elle servant à défendre des zones plus ou moins large en fonction de la hauteur à laquelle elles sont actives :

  • La couche haute — dite exo-atmosphérique — est active au-dessus de 100 kilomètres d’altitude. Elle est destinée à intercepter les missiles ou leur tête en phase dite balistique — à la fois en phase ascendante et en phase descendante — hors de l’atmosphère, là où ils sont le plus vulnérables en raison de la prédictibilité de leur trajectoire. Cette couche est constituée de l’Arrow 3 israélien appuyé en complément par le SM-3 tiré depuis des navires de guerre états-uniens. Il s’agit d’une défense dite « de territoire », une batterie — composée de 24 missiles prêts au tir — ou un navire pouvant défendre une zone de la taille d’un petit État comme Israël, bien que le pays en possède plusieurs dispersées sur son territoire.
  • La couche intermédiaire — ou « haut-endo-atmosphérique » — est active au-dessus de 20 ou 30 kilomètres d’altitude jusqu’à environ 100 kilomètres — les données exactes étant classifiées. Elle engage les vecteurs offensifs adverses avant leur entrée dans les couches les plus denses de l’atmosphère, là où leur capacité de manœuvre est la plus importante. Il s’agit d’une couche très exigeante en raison des contraintes thermiques liées aux vitesses d’évolution des systèmes. Pendant la guerre, les Arrow 2 israéliens et le THAAD états-unien étaient chargés des interceptions en haut-endo-atmosphérique pour une défense dite « de zone » pouvant protéger une région israélienne.
  • La couche basse — ou bas-endo-atmosphérique — est active sous 20 km d’altitude. Elle intercepte le reliquat des armes adverses ayant réussi à passer à travers les deux couches précédentes. Le temps de réaction est très faible, les têtes ne passant que quelques secondes dans cette tranche d’altitude gérée par les systèmes Fronde de David israéliens. Ces batteries font de la défense de point contre les missiles balistiques et aérobalistiques et ne peuvent protéger qu’une zone de faible superficie comme une petite ville ou un quartier d’une agglomération comme Tel Aviv. Au plan opérationnel, cette couche peut également engager les drones à longue distance.
  • La défense terminale est assurée par le Dôme de Fer. Alors que ce système a été initialement conçu pour intercepter des roquettes très courte portée tirées par le Hamas et le Hezbollah, des vidéos amateur du conflit 5 ont montré que ses batteries auraient réussi à intercepter une tête de missile balistique iranien, témoignant de la grande versatilité du système israélien.

Ce système multicouches intégré ainsi que les surperformances de systèmes comme le Dôme de Fer expliquent le succès de la défense antimissile israélienne.

L’Iran dispose toujours, après la guerre, d’une certaine capacité de dissuasion conventionnelle.

Étienne Marcuz

Son efficacité semble toutefois avoir diminué progressivement au cours du conflit. 

Cela peut s’expliquer par un stock déjà fortement sollicité dans les mois précédents le conflit — notamment lors des attaques iraniennes d’avril et d’octobre 2024 — mais également en raison des attaques houthis qui ont très régulièrement ciblé le territoire israélien depuis fin 2023. La diversification progressive des vecteurs iraniens évoquée plus haut pourrait également avoir contribué à mettre en défaut le bouclier.

Les performances du bouclier antimissile israélien peuvent s’expliquer par deux grands facteurs : une superficie relativement faible à défendre, permettant une excellente couverture radar, ainsi qu’une forte concentration des batteries de défense antimissile, combinée à un système défensif intégré et multicouches. 
Si Israël a réussi à neutraliser une part significative des vecteurs iraniens, tant la Russie que l’Europe se retrouveraient rapidement en difficulté face à des attaques du même type. Alors que la Russie dispose d’ores et déjà d’un arsenal conséquent, il est nécessaire pour l’Europe de se doter de telles armes pour pouvoir répondre de manière proportionnée à une attaque russe à l’encontre de l’un de ses membres, tout en protégeant ses infrastructures les plus stratégiques avec un système antimissile multicouches et intégré.

6 — Comment Israël a pris en défaut et percé la défense antiaérienne de l’Iran 

Le succès retentissant de la défense antimissile israélienne est à mettre en parallèle avec l’échec quasi-complet de la défense anti-aérienne iranienne.

Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer, au premier rang desquels une campagne de neutralisation des défenses adverses (SEAD) menée avec une très grande efficacité dès les premières heures de l’opération — mêlant frappes aériennes et opérations spéciales dans la profondeur grâce à des drones opérés par des agents infiltrés en territoire iranien.

Par ailleurs, les faiblesses du système défensif iranien avaient déjà été mises en lumière en 2024 lorsqu’Israël avait neutralisé les quatre batteries S-300 d’origine russe en deux frappes distinctes, la première en avril et la seconde en octobre. Devant le refus russe de vendre à Téhéran des systèmes S-400 plus modernes, ces batteries constituaient le fer de lance du système défensif iranien.

En analysant des vidéos de propagande iranienne, des chercheurs états-uniens ont également réussi à montrer 6 que le système de défense du pays n’était pas aussi intégré que beaucoup l’avaient cru. Les systèmes d’arme de conception locale, présentés comme équivalents à leurs homologues russes, auraient ainsi des capacités inférieures.

Malgré les exercices réguliers mettant en oeuvre la défense antiaérienne — le dernier connu s’étant déroulé début 2025 — celle-ci s’est donc rapidement effondrée, laissant le champ libre à l’action des forces aériennes israéliennes, qui ont toutefois déploré la perte de trois drones de reconnaissance et d’attaque à long rayon d’action HERMES 900.

7 — Leçons polémologiques pour les missiles balistiques et la défense antimissile

Avant les frappes iraniennes de 2024, l’efficacité de la défense antimissile face à une attaque balistique saturante était jugée au mieux questionnable, au pire inefficace. 

Ces frappes et la courte guerre qui vient de s’achever ont démontré l’inverse, avec toutefois certaines limites :

  • Le modèle israélien est difficilement réplicable à l’échelle d’un grand pays et moins encore d’un continent comme l’Europe. Vouloir protéger un pays comme la France demanderait des investissements très conséquents, hors de portée au regard du contexte économique actuel. Le Golden Dome voulu par l’administration Trump pour protéger le territoire états-unien risquerait de coûter des sommes astronomiques pour un résultat très incertain. Plutôt que de chercher à protéger l’ensemble d’un pays, une focalisation sur les zones les plus stratégiques semble à privilégier — par exemple les emprises des forces nucléaires ou les grands centres de commandement. La logique derrière de tels dispositifs serait de décourager une attaque désarmante adverse ou à défaut d’en réhausser significativement le coût.
  • Si la défense antimissile a démontré un succès indéniable, son efficacité sur la durée est allée en décroissant, révélant une fois de plus la nécessité de disposer de stocks conséquents, alors que le coût de fabrication d’un intercepteur est plus élevé que celui d’un missile balistique en raison d’une plus grande complexité. Un bouclier risque donc de rapidement se retrouver à saturation et doit être vu avant tout comme un moyen d’éviter un chantage de la part d’un adversaire, en permettant d’absorber une attaque limitée.
  • Enfin, les succès récents d’Israël ont démontré l’efficacité d’une défense antimissile à l’échelle régionale. Une défense contre une attaque saturante de missiles de portée intercontinentale reste toutefois inenvisageable pour l’heure, les vitesses d’évolution des vecteurs étant significativement plus importantes et engendrant de très fortes contraintes aussi bien techniques qu’opérationnelles sur le système défensif.

Au regard de ces limites, la défense antimissile ne peut donc pas complètement se substituer à la dissuasion nucléaire. Mais elle présente, compte tenu de ses résultats, une complémentarité intéressante.

Si la défense antimissile a démontré un succès indéniable, son efficacité sur la durée est allée en décroissant, révélant une fois de plus la nécessité de disposer de stocks conséquents.

Étienne Marcuz

Il en va de même des missiles balistiques et autres systèmes de frappes dans la profondeur (missiles de croisière, armes hypersoniques, drones, etc.) qui ont démontré leur pertinence durant le conflit russo-ukrainien toujours en cours, encore plus que durant la guerre israélo-iranienne.

De tels systèmes permettent d’infliger des dégâts d’ordre stratégique à l’adversaire en frappant des cibles économiques — raffineries, industries, etc. — ou militaires — bases aériennes, radars d’alerte avancée, etc. — sans franchir le seuil nucléaire.

Si Israël a réussi à neutraliser une part significative des vecteurs iraniens, tant la Russie que l’Europe se retrouveraient rapidement en difficulté face à des attaques du même type. Alors que la Russie dispose d’ores et déjà d’un arsenal conséquent, il est nécessaire pour l’Europe de se doter de telles armes pour pouvoir répondre de manière proportionnée à une attaque russe à l’encontre de l’un de ses membres, tout en protégeant ses infrastructures les plus stratégiques avec un système antimissile multicouches et intégré. L’European Long Range Strike Approach (ELSA) et l’European Skyshield Initiative (ESSI) ne sont que des débuts qu’il faut encore concrétiser.

La dimension nucléaire (Héloïse Fayet)

8 — L’impact de la guerre sur le programme nucléaire iranien 

Après plus de dix jours de frappes israéliennes, principalement sur les sites de Fordo, Natanz et Ispahan, ainsi que les frappes américaines de l’opération Midnight Hammer mené par des B-2 et des Tomahawk sur ces mêmes sites, il est encore difficile d’évaluer les conséquences sur les composantes du programme nucléaire iranien 7.

Il paraît clair qu’une partie des centrifugeuses utilisées par l’Iran pour enrichir de l’uranium à différents niveaux — jusqu’à 60 % dans certains sites — a été détruite par les frappes, même si elles étaient enterrées : selon le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), ces centrifugeuses sont extrêmement sensibles aux chocs, aux vibrations et à la poussière, et ont donc subi des dégâts.

Mais le programme nucléaire iranien ne se résume pas aux centrifugeuses.

L’une des questions clefs qui demeure en suspens pour le moment est celle de l’état du stock d’uranium enrichi par l’Iran, en particulier celui produit à Fordo. Selon des sources américaines et iraniennes, des précautions avaient été prises avant les frappes américaines sur Fordo pour transporter plus de 400 kilogrammes d’uranium enrichi à 60 % vers un site encore inconnu à ce jour. Sous cette forme, la matière ne présente pas une forte radioactivité et peut donc échapper à certains traqueurs. À lui seul, ce stock ne suffit pas à fabriquer une arme nucléaire fonctionnelle : d’autres étapes techniques, notamment l’usinage d’uranium métal, la recherche en détonique, et la création de gaz spécifiques, seraient nécessaires à l’Iran si le Guide suprême venait à prendre la décision de doter son pays d’une arme — décision qu’il n’avait semble-t-il pas prise avant les frappes israéliennes, bien que l’Iran disposait de toutes les capacités techniques pour franchir ce seuil.

Si les actions israéliennes et américaines ont permis de ralentir l’avancée technique du programme nucléaire iranien tout en affaiblissant certaines composantes clefs, une reconstruction demeure possible.

Héloïse Fayet

Enfin, ces frappes ont mis à mal deux autres composantes du programme : les scientifiques et l’arsenal balistique. 

En effet, à ce jour, plus d’une dizaine de scientifiques prenant part au programme nucléaire iranien ont été neutralisés par Israël. Si la transmission de techniques est cruciale dans un programme, il est toutefois difficile d’anéantir l’ensemble de cette chaîne industrielle : il est donc probable que le savoir-faire existe encore. Du côté des missiles balistiques, plusieurs centaines auraient été détruits dans des frappes israéliennes très ciblées, dont certains avec une double capacité d’emport — autrement dit : ils auraient pu être équipés d’une tête nucléaire si une telle était produite par l’Iran. 

Au total, les actions israéliennes et américaines ont permis de ralentir l’avancée technique du programme nucléaire iranien tout en affaiblissant certaines composantes clefs, mais une reconstruction demeure possible.

Tout porterait à croire qu’Israël et les États-Unis ont estimé que le risque de prolifération post-frappes était un prix acceptable à payer. Cette stratégie pourrait toutefois s’avérer dangereuse — et comporte même le risque d’être contre-productive.
Il est possible que l’Iran cherche désormais à relancer son programme nucléaire d’une façon beaucoup plus clandestine et souterraine en assumant le risque de nouvelles frappes sur son territoire et en cherchant à purger le régime d’éventuels espions ou assets israéliens — ce qui pourrait des conséquences dramatiques pour la population et en termes de sécurité et de sûreté nucléaire.

9 — Le futur de la stratégie nucléaire de l’Iran

Les frappes américaines et israéliennes témoignent de l’échec d’un point fondamental dans la stratégie de dissuasion conventionnelle de l’Iran 8 : la latence nucléaire, c’est-à-dire la capacité à fabriquer une arme nucléaire en quelques mois.

Ce statut d’État du « seuil nucléaire » était en effet l’un des trois piliers aux côtés du réseau de l’Axe de la Résistance — l’ensemble des milices proches de l’Iran, dont les capacités d’agir ont été largement diminuées par Israël depuis le 7-Octobre — et l’arsenal balistique iranien — qui a montré ses limites (cf. supra points 6 et 7). 

Tout porterait à croire qu’Israël et les États-Unis ont estimé que le risque de prolifération post-frappes était un prix acceptable à payer. 

Cette stratégie pourrait toutefois s’avérer dangereuse — et comporte même le risque d’être contre-productive.

Face à ce constat d’échec partagé par les Iraniens, Téhéran semble tout d’abord se diriger vers une remise en cause du régime de non-prolifération, considérant qu’il s’agirait d’une « injustice » nucléaire.

Selon leur interprétation du TNP, les sites nucléaires iraniens qui faisaient l’objet d’accords de garanties avec l’AIEA ne pouvaient en effet faire l’objet d’attaques militaires : Israël et les États-Unis, deux puissances nucléaires, auraient donc attaqué illégalement les installations nucléaires — officiellement utilisées à des fins strictement pacifiques — d’un État non-doté de l’arme nucléaire. Le Parlement iranien s’est exprimé en faveur d’une sortie de l’Iran du TNP, ce qui pourrait être contreproductif pour l’Iran 9 : en effet, si Téhéran souhaite continuer à convaincre la communauté internationale que son programme est en strict respect du TNP, il aurait plus intérêt à demeurer à l’intérieur du traité — ne serait-ce que pour être inclus dans les discussions et déposer des plaintes officielles au sein de l’instance. 

Les frappes américaines et israéliennes témoignent de l’échec d’un point fondamental dans la stratégie de dissuasion conventionnelle de l’Iran : la latence nucléaire

Héloïse Fayet

En parallèle, l’Iran a d’ores et déjà remis en cause ses accords avec l’AIEA, le Parlement ayant voté pour une suspension de la coopération avec l’Agence et l’arrêt de toutes les inspections de sites nucléaires. En effet, Téhéran accuse ainsi le directeur de l’Agence Rafael Grossi d’être à l’origine des frappes israélo-américaines en ayant publié un rapport « biaisé » sur le programme nucléaire iranien début juin, et en accusant l’Iran de ne pas respecter pleinement ses engagements vis-à-vis de l’AIEA et du TNP 10.

Si Israël semble avoir utilisé son propre renseignement sur l’avancée du programme pour justifier son attaque, il est certain que ce rapport a été instrumentalisé par certains soutiens d’Israël pour ne pas critiquer les actions cinétiques de l’État hébreu. Une telle remise en cause des relations entre l’Iran et l’AIEA serait dramatique pour le suivi du programme iranien, dont les installations sont déjà beaucoup plus difficiles d’accès — et donc plus complexes à surveiller — du fait des frappes.

Même si un retour à la table des négociations est toujours possible, cela nécessiterait d’importantes concessions de la part de l’Iran et surtout un niveau de confiance entre les parties qui n’est pas atteignable aujourd’hui.

Téhéran critique ainsi vivement les pays européens parties au JCPoA qui ont soutenu, au moins politiquement, les frappes israéliennes dans les premiers jours, remettant profondément en cause la pertinence du format E3+Iran.

Contrairement à ce qu’il n’a de cesse d’affirmer, il n’est pas non plus certain que Donald Trump se montre capable d’empêcher une reprise des frappes israéliennes. En étant resté relativement neutre pendant la séquence, Moscou s’est peut-être ménagé une marge de manœuvre pour une future médiation — rien ne dit pour l’heure qu’elle rencontrerait plus de succès.

En tout état de cause, il est possible que l’Iran cherche désormais à relancer son programme nucléaire d’une façon beaucoup plus clandestine et souterraine en assumant le risque de nouvelles frappes sur son territoire et en cherchant à purger le régime d’éventuels espions ou assets israéliens — ce qui pourrait des conséquences dramatiques pour la population et en termes de sécurité et de sûreté nucléaire.

10 — Est-ce la fin de la non-prolifération ?

Les actions militaires israéliennes et américaines, qui s’ajoutent aux nombreuses sanctions pesant sur l’Iran, peuvent susciter deux types de réactions opposées parmi les candidats à la prolifération nucléaire.

D’un côté, ces États pourraient considérer qu’ils sont incapables d’endurer une telle pression militaire et économique et que le bénéfice d’une hypothétique arme nucléaire n’en vaudrait pas la peine. Il serait alors plus rentable pour eux de développer au maximum leurs forces conventionnelles et de chercher à rejoindre une alliance nucléaire. Ce fut par exemple le choix de nombreux pays européens au tournant des années 1960, lorsque la perspective de rejoindre l’OTAN et de bénéficier des garanties du TNP furent perçues comme plus attirantes que la poursuite d’un programme atomique. 

De l’autre, l’échec d’une dissuasion par la latence nucléaire pourrait pousser d’autres États à risquer le tout pour le tout, considérant que seule une arme nucléaire pourrait les protéger efficacement d’une agression par un autre État nucléaire — en particulier si les alliances nucléaires venaient à s’affaiblir ou en cas d’infériorité conventionnelle par rapport à l’adversaire. Lutter contre cette stratégie est d’autant plus complexe que les candidats à la prolifération sont aujourd’hui majoritairement des alliés et partenaires des États-Unis, en particulier la Corée du Sud qui a exposé à plusieurs reprises son intérêt pour la relance de son programme nucléaire national, ou l’Arabie saoudite qui est cependant moins avancée sur le plan technique. Des débats sur le besoin de repenser la dissuasion élargie américaine ont également lieu en Europe. 

S’ajoutant à la possible sortie par l’Iran du TNP, le manque de considération du président américain pour les normes internationales s’avère particulièrement inquiétant : ses déclarations selon lesquelles les États-Unis pourraient soutenir une prolifération en Corée du Sud car cela lui permettrait de retirer les militaires américains déployés sur place, ne peuvent que fragiliser encore plus la non-prolifération 11, essentielle à la stabilité stratégique.

Sources
  1. The Military Balance », 2025.
  2. Irna News.
  3. Airborne Axis : Inside The Deal That Brought Iranian Drone Production To Russia », C4ADS, 2025.
  4. ici en version anglaise.
  5. Thomas Schlijper sur X.
  6. Iran’s (Not So) Integrated Air Defenses at Natanz », Arms Control Wonk, 19 mai 2025.
  7. The United States may destroy the Fordow enrichment plant. It won’t make the Iranian nuclear threat go away », Bulletin of the Atomic Scientists, 17 juin 2025.
  8. La stratégie de dissuasion iranienne a échoué à prévenir une offensive », Le Monde, 23 juin 2025.
  9. Iran’s dangerous gamble of threatening to withdraw from the NPT », Bulletin of the Atomic Scientists, 19 juin 2025.
  10. Iran files complaint against Grossi with UN Security Council », Tehran Times, 21 juin 2025.
  11. Iran and the Changing Character of the Nonproliferation Regime », CSIS, 20 juin 2025.
PDF

30.06.2025 à 17:03

Espagne, Italie, France : l’Europe fait face à sa première grande vague de chaleur de l’été 2025

Marin Saillofest

En Amérique du Nord comme en Europe, les vagues de chaleur observées ces derniers jours ont un point en commun : elles surviennent plus tôt dans l’année.

Le « dôme de chaleur » à l’origine de la forte hausse des températures à travers le continent devrait s'essouffler à partir de mercredi 2 juillet, mais le phénomène a de fortes chances de se produire à nouveau au cours de l’été.

L’article Espagne, Italie, France : l’Europe fait face à sa première grande vague de chaleur de l’été 2025 est apparu en premier sur Le Grand Continent.

Texte intégral (1023 mots)

Depuis la fin de semaine dernière, la formation d’un « dôme de chaleur » au-dessus de l’Europe a contribué à une forte hausse des températures, notamment dans la partie sud du continent, qui fait en ce moment face à la première grande vague de chaleur de l’été.

  • En Espagne, le record de température enregistré au cours du mois de juin a été battu samedi 28 dans la ville de Huelva, en Andalousie, avec un pic à 46°C.
  • La France connaît quant à elle sa 50e vague de chaleur depuis 1947, selon Météo-France. La plus longue, en 1983, avait duré plus de trois semaines, du 9 au 31 juillet 1.
  • Il faisait 26°C à Oslo, en Norvège, samedi 28 juin, 31°C à Londres, 30°C à Berlin, 40°C à Lisbonne et Tirana et 38°C à Rome.

Ce dôme, qui est provoqué par le blocage de l’air circulant dans les basses couches de l’atmosphère par un puissant anticyclone, établit une connexion avec l’air chaud et sec caractéristique de l’Afrique du Nord. Celui-ci devrait progressivement s’essouffler à partir de mercredi 2 juillet, mais le phénomène a de fortes chances de se produire à nouveau : ces derniers ont presque triplé en durée et en intensité depuis les années 1950 en Europe et aux États-Unis 2.

  • En plus des pics de température attendus dans la journée de lundi 30 juin, les températures durant la nuit devraient elles aussi se maintenir au-dessus des 20°C dans une grande partie du sud du continent.
  • En Italie, les villes de Milan, Naples, Florence ou Rome s’attendent à des températures qui pourraient ne pas descendre en-dessous de 25 voire 28°C dans le centre des grandes villes — ce qu’on appelle des « nuits tropicales » 3.
  • Samedi 28 juin, des températures positives ont été enregistrées au sommet du Mont Blanc, un record pour cette période de l’année, avec l’isotherme zéro degré mesuré à 5 136 mètres d’alltitude, ce qui aura des conséquences sur la fonte des glaciers et du permafrost.
  • Plus de 200 écoles seront fermées en France lundi et mardi afin de permettre aux élèves de rester chez eux. Selon les Nations unies l’an dernier, un élève sur sept dans le monde (soit 242 millions) a connu des perturbations dans sa scolarité en raison d’événements climatiques.

L’Europe se réchauffe actuellement plus rapidement que la moyenne mondiale et les températures terrestres sur le continent devraient encore augmenter de 1,2 à 3,4 °C dans un scénario où le réchauffement climatique est limité à 1,8 °C d’ici la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle, et de 4,1 à 8,5 °C dans un scénario où le réchauffement atteindrait 4,4 °C d’ici 2100 4.

Selon un rapport de la Banque mondiale publié la semaine dernière, le nombre annuel de journées plus chaudes que les normales de saison devrait plus que tripler d’ici 2050 en Europe et en Asie centrale.

  • Ainsi, toutes les villes européennes à l’exception de Gdansk et de Bydgoszcz, en Pologne, connaîtront entre 40 et 70 journées « chaudes » de plus par an — par rapport aux décennies précédentes 5.
Sources
  1. Canicule : encore de très fortes chaleurs, Météo-France, 29 juin 2025.
  2. Temperatures reach dangerous highs as ‘heat domes’ hit Europe and US », Financial Times, 29 juin 2025.
  3. Ondata di calore senza precedenti, Italia e l’Europa nella morsa dell’anticiclone africano », Il Fatto Quotidiano, 29 juin 2025.
  4. Global and European temperatures, European Environment Agency, 16 juin 2025.
  5. Unlivable. How Cities in Europe and Central Asia Can Survive ‒ and Thrive ‒ in a Hotter Future, Banque mondiale et Global Facility for Disaster Reduction and Recovery, 24 juin 2025.
PDF

30.06.2025 à 12:23

L’armée russe a lancé près de 5 000 drones contre l’Ukraine en juin — soit 15 fois plus qu’au cours de la même période en 2024

Marin Saillofest

Tandis que les négociations de cessez-le-feu entre Kiev et Moscou sont au point mort, l’armée russe continue d’intensifier ses attaques aériennes. Au cours du week-end, l’Ukraine a subi l’attaque la plus importante depuis février 2022, avec un total de 537 drones et missiles lancés dans la nuit de samedi à dimanche.

L’article L’armée russe a lancé près de 5 000 drones contre l’Ukraine en juin — soit 15 fois plus qu’au cours de la même période en 2024 est apparu en premier sur Le Grand Continent.

Texte intégral (677 mots)

En Ukraine, le week-end a de nouveau été marqué par une intense campagne aérienne ruse dont l’ampleur a dépassé ce que le pays connaît depuis février 2022. Dans la nuit de samedi 28 à dimanche 29 juin, l’armée russe a lancé 537 drones et missiles sur 7 régions. Il s’agit de l’attaque la plus importante depuis le lancement de l’invasion à grande échelle.

  • Depuis le 1er juin, près de 5 000 drones ont été tirés contre l’Ukraine, soit 15 fois plus qu’au cours de la même période l’an dernier.
  • En raison de la massification des attaques, le taux d’interception est en baisse : 211 Shahed sur les 477 tirés dans la nuit de samedi à dimanche ont été détruits par les défenses anti-aériennes ukrainiennes, soit 44 % 1.
  • Sur le mois de juin, le taux d’interception se situe juste au-dessus des 50 %, soit en légère hausse par rapport à mai.
  • Celui-ci demeure toutefois bien inférieur aux taux enregistrés au cours des deux années précédentes, qui était en moyenne supérieur à 80 %.

Ces attaques massives devraient se multiplier au cours des prochaines semaines, à mesure que la Russie augmente ses capacités de production de Shahed. En plus du nombre de vecteurs utilisés, l’armée russe place également au milieu de ces « essaims » des drones non-armés Gerbera, dont le rôle consiste à saturer les défenses anti-aériennes ukrainiennes.

  • L’armée ukrainienne a perdu durant le week-end un avion de chasse F-16, mobilisé pour repousser l’attaque aérienne russe. Le pilote est également décédé.
  • Il s’agit du quatrième appareil perdu par Kiev depuis le premier déploiement de l’avion à l’été 2024.
  • Les forces armées ukrainiennes disposent encore d’une douzaine d’appareils.

Contrairement aux drones FPV utilisés sur la ligne de front, contre lesquels plusieurs remparts efficaces existent, il n’y a de solution miracle pour repousser des vagues de plusieurs centaines de Shahed — mis à part utiliser des intercepteurs Patriots, NASAMS ou IRIS-T dont les munitions coûtent un à plusieurs millions de dollars l’unité.

  • Les vagues d’attaques russes comportant plus d’une centaine de vecteurs sont devenues relativement habituelles, bien que celles-ci provoquent toujours des dégâts.
  • Dans la nuit de dimanche à lundi, 107 drones ont été tirés, parmi lesquels 74 ont été neutralisés. Sur la trentaine de Shahed qui n’ont pas été interceptés, certains se sont écrasés dans des zones habitées, comme dans la région de Kharkiv, où au moins 8 personnes ont été blessées.
  • Les négociations visant à établir un cessez-le-feu sont quant à elles au point mort, Poutine ayant qualifié vendredi 27 les mémorandums soumis par les délégations russe et ukrainienne à Istanbul au début du mois de « complètement opposés ».
  • Le président russe a déclaré que des « négociations seront organisées afin de trouver des solutions », sans toutefois préciser de date pour un prochain cycle de discussions 2.
Sources
  1. Путин назвал меморандумы России и Украины “прямо противоположными” », РБК, 27 juin 2025.
PDF

30.06.2025 à 06:00

« En matière de défense, l’Europe doit apprendre à produire elle-même », une conversation avec Anders Fogh Rasmussen

Matheo Malik

Secrétaire général de l’OTAN de 2009 à 2014 après avoir été sept ans premier ministre du Danemark, Anders Fogh Rasmussen a joué un rôle central dans l’histoire récente de la relation transatlantique.

À l’issue du sommet de La Haye qui a vu les membres de l’Alliance accepter de porter leurs dépenses de défense à 5 % du PIB d’ici 2035, nous le rencontrons avec une question clef : peut-on vraiment être alliés avec Trump ?

L’article « En matière de défense, l’Europe doit apprendre à produire elle-même », une conversation avec Anders Fogh Rasmussen est apparu en premier sur Le Grand Continent.

Texte intégral (2962 mots)

English version available at this link

Le sommet de l’OTAN s’est tenu à La Haye la semaine dernière. Selon vous, a-t-il été un succès ou un échec ?

Je suis très heureux de ce qui en est ressorti. À certains égards, la déclaration conjointe des Alliés est meilleure et plus forte que ce à quoi j’aurais pu m’attendre dans ces circonstances. Il est notamment rappelé au tout début que tous les membres de l’Alliance sont attachés à l’article 5 et qu’il s’agit bien là d’un engagement à toute épreuve. 

Cette mention met fin à l’incertitude qui a tant miné la crédibilité de la clause de défense mutuelle. C’est une affirmation importante.

Les Alliés ont décidé de souscrire à l’objectif de consacrer 5 % de leur PIB à la défense d’ici à 2035.

Même si j’aurais quant à moi souhaité un calendrier plus contraignant, je pense que c’est une bonne nouvelle que tous, sans aucune exception — y compris pour l’Espagne qui avait pourtant menacé de se mettre en retrait — se soient engagés à respecter cet objectif. 

Enfin, la déclaration de La Haye est très claire sur le soutien à l’Ukraine : sa formulation implique que les États-Unis poursuivront leur soutien militaire à Kiev.

Comment définiriez-vous la relation transatlantique aujourd’hui ?

Elle reste tendue. Le sommet a sans aucun doute apaisé certaines tensions — mais il en reste encore, notamment sur le commerce. 

En déclarant une guerre commerciale à l’Europe, Trump et les États-Unis ne respectent pas les obligations qui leur incombent en vertu du Traité de l’Atlantique Nord.

Anders Fogh Rasmussen

Peut-on être à la fois alliés militaires tout en étant en guerre commerciale ?

C’est toute la question. Le Traité de l’Atlantique Nord comporte d’ailleurs un article à ce sujet. 

Moins connu que l’article 5, l’article 2 prévoit en effet que les Alliés s’efforcent de résoudre pacifiquement les différends commerciaux entre eux et qu’ils œuvrent à renforcer leurs relations économiques.

Déclarer une guerre commerciale à l’Europe est en contradiction avec l’article 2 du traité de l’OTAN.

À cet égard, Trump et les États-Unis ne respectent pas les obligations qui leur incombent en vertu du traité. 

Mais c’est à l’Union de s’attaquer à ce problème.

J’espère qu’elle adoptera une position ferme et qu’en faisant pression sur Washington, elle parviendra à obtenir un bon accord commercial avec les États-Unis — non pas seulement un accord sur les droits de douane mais un accord commercial général.

Les États-Unis et l’Europe sont-ils encore aujourd’hui stratégiquement alignés ?

Les mots de la déclaration de La Haye ont été étayés par une déclaration publique de Donald Trump avant le Sommet : « Nous sommes avec vous jusqu’au bout » — et une autre après la réunion : « Je soutiens tout cela. Si ce n’était pas le cas, je ne serais pas ici. »

Nous sommes donc toujours alliés et alignés — mais cela ne change rien au fait que l’Europe doit être capable de se défendre seule.

C’est un fait : nous devrons investir beaucoup plus dans notre sécurité.

La rupture transatlantique va au-delà du commerce : les États-Unis ont fait de l’annexion du Groenland une priorité. En tant qu’ancien Premier ministre du Danemark, comment réagissez-vous à cette opération d’ingérence ?

Du point de vue de l’OTAN, cette question pourrait être traitée de la même manière que les différends occasionnels qui surgissent entre la Turquie et la Grèce. En tant que modérateur entre les différents membres, le Secrétaire général a d’ailleurs un rôle important à jouer sur ces sujets.

Jusqu’à présent, nous toujours avons résolu ces différends de manière pacifique. Il en irait de même, à mon sens, pour le Groenland. 

Toutefois, je ne pense pas que nous atteindrons ce stade.

La visite d’Emmanuel Macron au Groenland a envoyé un signal clair aux États-Unis : l’Europe est unie derrière le Danemark.

Anders Fogh Rasmussen

Pourquoi ?

Premièrement, aux États-Unis, le Groenland n’est pas un problème majeur : c’est certes une obsession dans la tête de Trump, mais il n’y a pas, au Congrès, de majorité favorable à une action militaire contre le Groenland.

Deuxièmement, les Groenlandais ne veulent pas faire partie des États-Unis.

Tout le monde a vu le contraste entre l’accueil très froid fait au vice-président américain J. D. Vance au Groenland et l’accueil très chaleureux réservé au président Macron. 

Cette visite a-t-elle été un signal fort selon vous ?

Absolument : la visite d’Emmanuel Macron au Groenland a envoyé un signal clair aux États-Unis : l’Europe est unie derrière le Danemark.

On peut s’étonner : vous ne semblez pas très inquiet.

Je suis calme.

Pourquoi ?

Que l’on se place du point de vue de la sécurité internationale ou des intérêts stratégiques dans des minerais critiques, Washington peut déjà obtenir à peu près tout ce qu’il veut.

Que voulez-vous dire ?

L’accord de défense entre nos deux pays remonte à 1951. 

Aux termes de ce partenariat stratégique, les États-Unis sont invités à étendre leur présence militaire au Groenland — et nous serions heureux qu’ils le fassent. 

Au cours des trois dernières décennies, ils ont réduit leur présence militaire. Or nous serions ravis de voir une présence militaire américaine plus importante au Groenland. 

En ce qui concerne l’extraction de minerais, nous avons longtemps encouragé les États-Unis à investir davantage dans l’exploitation minière groenlandaise — sans succès jusqu’à présent. Ils pourraient donc investir beaucoup plus dans l’exploitation minière au Groenland. 

Du Groenland, les États-Unis peuvent donc obtenir à peu près ce qu’ils souhaitent sur le plan militaire et économique.

Mais Trump veut plus : il veut la terre.

Il est évident que les Américains ne pourront jamais annexer ce territoire.

Ne pensez-vous pas qu’il existe un risque sérieux que Trump passe à l’action ? Comment le Danemark se prépare-t-il ?

Il n’y a pas de discussion en cours entre le Danemark et les États-Unis au niveau gouvernemental sur cette question. 

Tant qu’il s’agit d’une idée dans la tête de Donald Trump, sans soutien du Congrès américain, nous avons, je crois, toutes les raisons de ne pas s’affoler.

Dans un monde cassé et en pleine recomposition, pensez-vous que le concept d’alliance soit une idée purement européenne ?

L’Europe est un exemple excellent et très positif des avantages d’avoir des alliances collectives.

Nous avons créé l’OTAN pour assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord — c’est-à-dire l’Amérique du Nord, l’Atlantique et l’Europe. Jusqu’à présent, il s’agit de l’opération de maintien de la paix la plus réussie depuis des générations : nous avons sécurisé toute cette partie du monde. 

Nous avons créé l’Union européenne comme instrument de prévention de la guerre sur le continent européen. Là encore, c’est un immense succès. 

Les organisations collectives et multilatérales peuvent donc réellement servir d’instrument de maintien de la paix. Et le reste du monde le sait. De nombreuses voix dans la région Asie-Pacifique considèrent l’Europe comme un exemple à suivre.

Jusqu’à présent, l’OTAN a été l’opération de maintien de la paix la plus réussie depuis des générations.

Anders Fogh Rasmussen

Maintenant que l’objectif de passer les dépenses de défense à 5 % du PIB a été entériné, comment s’assurer que plus de budget se traduise concrètement par plus de sécurité pour l’Europe ?

Je ne vois qu’une seule solution : redoubler d’efforts pour acquérir les capacités essentielles qui nous font défaut aujourd’hui en Europe. Nous n’avons d’autre choix que de réduire notre dépendance à l’égard des États-Unis. 

Prenons un exemple : l’espace. Là où les États-Unis possèdent 250 satellites, les Européens en ont seulement 50.

Un autre exemple : la logistique et les transports, notamment aériens. Nous ne manquons pas de troupes en Europe, mais nous ne savons pas les déplacer : nous dépendons toujours de la capacité de transport américaine pour nous projeter. Nous avons donc besoin d’acquérir des avions de transport. De même, il nous faut pouvoir être en mesure de faire du ravitaillement en vol — c’est un autre domaine crucial sur lequel nous accusons un retard.

Les sujets sont nombreux et nous pourrions continuer : nous devrions être en mesure de supprimer les systèmes de défense aérienne de l’ennemi ; acquérir plus de drones et développer des systèmes de défense anti-drones ; intensifier également la guerre électronique…

Enfin, si nous envisageons une réduction de la présence des États-Unis en Europe, nous devrons également discuter ouvertement de notre capacité nucléaire. À cet égard, je salue les mots d’Emmanuel Macron qui a ouvert la discussion sur la possibilité pour la France d’envisager de mettre sa capacité nucléaire à la disposition de l’Europe.

Au total, il existe un large éventail d’exigences à remplir pour s’assurer que les 5 % se traduisent bien par une capacité accrue. Rien n’est acquis.

Sur le nucléaire, on voit émerger un discours en Allemagne et en Pologne — ou du moins un début de réflexion — sur la possibilité pour ces pays de se doter de leur propre arme nucléaire. Qu’en pensez-vous ?

Les deux pays que vous avez mentionnés ont signé le traité de non-prolifération nucléaire (TNP). 

Cela signifie que leurs voisins nucléaires, comme la France, ont également une responsabilité de faire appliquer le TNP. En d’autres termes, il est évident que si Paris ou Londres refusent de mettre leurs capacités nucléaires à la disposition de l’ensemble de l’Europe, cela ne pourra qu’alimenter les débats sur l’acquisition de l’arme nucléaire chez leurs voisins. 

De nombreux pays y réfléchissent actuellement, car ils constatent que la possession d’armes nucléaires est peut-être, dans le monde actuel, la seule garantie véritable de leur sécurité. 

Pensez-vous que nous pourrions assister à une prolifération en Europe et voir à termes des pays européens se retirer du TNP ?

Nous n’en sommes pas là.

J’espère que la France répondra à l’appel en se montrant disposée à localiser — si nécessaire et si cela est souhaité — des armes nucléaires sur le sol allemand, polonais ou ailleurs. Bien sûr, tout cela doit être discuté très calmement.

Que pensez-vous de la proposition commune des pays baltes, de la Finlande et de la Pologne de se retirer de la convention d’Ottawa pour installer un « rideau » de mines antipersonnel le long de la frontière avec la Russie ?

Je les comprends.

Il est évident que si Paris ou Londres refusent de mettre leurs capacités nucléaires à la disposition de l’ensemble de l’Europe, cela ne pourra qu’alimenter les débats sur l’acquisition de l’arme nucléaire chez leurs voisins.

Anders Fogh Rasmussen

Quelle est, selon vous, la probabilité d’une action russe pouvant aller jusqu’à une invasion terrestre dans la région ? 

Des opérations de déstabilisation sont déjà en cours. Selon plusieurs agences de renseignement en Europe, la Russie sera en mesure d’attaquer un pays de l’OTAN d’ici la fin de la décennie. 

C’est pour cela que, selon moi, le calendrier pour atteindre l’objectif des 5 % aurait dû être plus contraignant. 

Les Alliés se sont donnés dix ans — il aurait été préférable qu’ils s’en donnent cinq. La situation sera à nouveau examinée en 2029. Si elle est très critique à ce moment-là, ce sera un nouveau signal d’alarme.

Le fait est qu’aujourd’hui, la Russie investit davantage dans la défense que le reste de l’Europe réunie — alors que l’économie russe est comparable en taille à celle de l’Italie.

C’est un problème : les Russes sont en économie de guerre quand nous pensons comme par temps de paix.

Cela est vrai aussi bien sur les investissements que sur les règles d’appel d’offres et les conditions de livraison. Tout cela retarde l’innovation, l’invention des armes du futur, l’achat de nouvelles armes et leur déploiement.

Pensez-vous que nous puissions maintenir un niveau suffisant de soutien à l’Ukraine alors que la Russie cherche à tirer parti des tensions transatlantiques ?

Après le sommet de l’OTAN, il me semble évident que les États-Unis continueront à soutenir l’Ukraine.

N’oublions pas, par ailleurs, que le soutien européen à l’Ukraine dépasse en valeur l’aide américaine. Cela étant posé, la valeur n’est pas tout : les capacités fournies par les États-Unis sont beaucoup plus sophistiquées et avancées que les nôtres. Le soutien américain continue donc d’être indispensable. 

Si les Américains devaient se retirer — même si je ne pense pas qu’ils le feront — nous n’aurons pas le choix : nous devrons les remplacer aussi vite et aussi bien que possible.

Pourrions-nous le faire aujourd’hui ?

Oui et non.

Non, parce que nos capacités et notre industrie de défense sont trop faibles.

Oui, parce que, sous la menace, on est toujours contraint d’innover — dans cette guerre, les Ukrainiens ont d’ailleurs fait preuve d’une créativité stratégique exceptionnelle.

Faut-il s’en inspirer ?

Absolument et j’irai même plus loin. Au lieu de nous appuyer sur les lourdes industries de défense européennes, nous devrions investir directement dans l’industrie de défense ukrainienne. 

La jeune génération ukrainienne est très compétente en matière d’utilisation des nouvelles technologies. En investissant directement en Ukraine, nous pouvons faire beaucoup plus pour moins cher.

Nous devrions également attirer beaucoup plus d’investissements privés vers les entreprises de défense européennes : il est très problématique que les règles d’ESG empêchent toujours l’investissement privé dans la défense. Espérons que les dirigeants européen décideront, lors du prochain Conseil, que ces investissements sont à la fois nécessaires et pleinement conformes à ces règles.

Les récents sondages, notamment notre enquête Eurobazooka, révèlent une tendance nette : la majorité des Européens pensent que Trump est une menace et que l’augmentation des budgets de défense devrait s’accompagner d’une préférence européenne dans l’achat d’armement. Cette forte demande manque pourtant encore d’une véritable offre politique. Comment saisir politiquement le moment que nous traversons ?

Nous vivons un moment historique très dangereux — mais nous devrions y voir une opportunité. 

Bien sûr, les gens préfèrent investir dans une meilleure éducation, de meilleurs soins aux personnes âgées, de meilleurs services gardes d’enfants, etc.

Mais étant donné que nous devons investir dans la défense, je pense que dépenser de l’argent dans la technologie européenne, en investissant dans les entreprises de défense, pourrait être populaire. 

Il n’y a, de tout façon, pas d’autre solution : nous devons réduire notre dépendance à l’égard des États-Unis.

À court terme, ce sera un véritable défi. Aujourd’hui, 80 % des armes et des munitions achetées en Europe le sont hors du continent. Et la plupart d’entre elles proviennent des États-Unis. 

En matière de défense, d’armes et de munitions, l’Europe doit apprendre à produire elle-même : il est temps d’accélérer.

PDF
4 / 4
  GÉNÉRALISTES
Ballast
Fakir
Interstices
Lava
La revue des médias
Le Grand Continent
Le Monde Diplo
Le Nouvel Obs
Lundi Matin
Mouais
Multitudes
Politis
Regards
Smolny
Socialter
The Conversation
UPMagazine
Usbek & Rica
Le Zéphyr
 
  Idées ‧ Politique ‧ A à F
Accattone
Contretemps
A Contretemps
Alter-éditions
CQFD
Comptoir (Le)
Déferlante (La)
Esprit
Frustration
 
  Idées ‧ Politique ‧ i à z
L'Intimiste
Jef Klak
Lignes de Crêtes
NonFiction
Nouveaux Cahiers du Socialisme
Période
Philo Mag
Terrestres
Vie des Idées
 
  ARTS
Villa Albertine
 
  THINK-TANKS
Fondation Copernic
Institut La Boétie
Institut Rousseau
 
  TECH
Dans les algorithmes
Framablog
Goodtech.info
Quadrature du Net
 
  INTERNATIONAL
Alencontre
Alterinfos
CETRI
ESSF
Inprecor
Journal des Alternatives
Guitinews
 
  MULTILINGUES
Kedistan
Quatrième Internationale
Viewpoint Magazine
+972 mag
 
  PODCASTS
Arrêt sur Images
Le Diplo
LSD
Thinkerview
 
Fiabilité 3/5
Slate
Ulyces
 
Fiabilité 1/5
Contre-Attaque
Issues
Korii
Positivr
Regain
🌓