1 — Chronologie d’un scrutin annulé
Le premier tour de l’élection présidentielle roumaine a lieu ce dimanche, 5 mai, après l’annulation du scrutin initial par la Cour constitutionnelle le 6 décembre 2024.
Le premier tour, qui a eu lieu le 24 novembre 2024, a été remporté par Călin Georgescu — l’outsider d’extrême droite que les sondages plaçaient à 1 % dans les intentions de vote un mois plus tôt — avec 22,94 % des voix.
Les représentants des partis traditionnels, socialistes (PSD, S&D) et libéraux (PNL, PPE), qui gouvernent ensemble le pays depuis 2021, ne s’étaient pas qualifiés pour le second tour. La candidate du parti de centre droit (USR, RE), Elena Lasconi, ancienne journaliste et maire de Câmpulung, était arrivée en deuxième position avec 19,18 % des voix. Seulement 2 742 votes la séparant du candidat PSD, Marcel Ciolacu. Le candidat d’extrême droite George Simion (AUR, CRE), que les sondages plaçaient en deuxième position, était quant à lui arrivé quatrième avec 13,8 % des voix.
Le 6 décembre 2024, la Cour constitutionnelle roumaine décidait, après la déclassification des rapports des services de renseignement, d’annuler l’intégralité du processus électoral, y compris les résultats du premier tour 1.
Cette décision sans précédent, adoptée à l’unanimité, fut qualifiée de « coût d’État » par Georgescu et le candidat d’extrême droite Simion.
Elle s’appuie pourtant sur les prérogatives constitutionnelles de la Cour pour garantir l’intégrité du scrutin. Cette dernière motive sa décision en arguant qu’elle a constaté que l’ensemble du processus électoral avait été altéré par des irrégularités et des violations des règles électorales, compromettant le caractère libre et équitable du vote. Selon les juges, la Roumanie avait fait l’objet d’une campagne agressive menée en contournant la loi électorale nationale, visant les infrastructures démocratiques et exploitant les algorithmes des réseaux sociaux.
Nous avions analysé les documents consultés par les juges pour rendre leur décision ici.
Le 26 février, Călin Georgescu — auquel nous avons consacré une longue enquête dans la revue — est arrêté à Bucarest après plus de 47 perquisitions pour des motifs présumés de « troubles à l’ordre constitutionnel, troubles à l’ordre public, création d’une organisation à caractère fasciste, fausses déclarations concernant les sources de financement des campagnes électorales » 2.
Sa candidature pour le nouveau scrutin a été invalidée par la commission électorale le 9 mars, car elle aurait enfreint « les règles démocratiques d’un suffrage honnête et impartial » 3.
Les élections de ce dimanche se déroulent donc dans un climat unique : Georgescu dépassait de peu les 40 % dans les sondages début mars. Dans une enquête réalisé entre le 17 et le 20 décembre 2024, 62 % des personnes interrogées estimaient que l’annulation du scrutin avait été une « mauvaise décision » 4.
2 — Qui sont les candidats ?
Onze candidats sont en lice ce dimanche.
Selon les derniers sondages, le candidat d’extrême droite George Simion serait en tête avec environ 30 % d’intentions de vote. Il est suivi de près par deux candidats de centre droit au coude à coude : Crin Antonescu (PNL, PPE soutenu par les 3 partis au gouvernement, PSD-PNL-UDMR) avec 24,3 % et Nicusor Dan (Indépendant, ancien USR) avec 22,4 %.
Elena Lasconi (USR) n’obtiendrait quant à elle que 6 % des intentions de vote. Son propre parti, fondé par Nicușor Dan, lui a retiré son soutien pour se rallier à ce dernier — sans toutefois parvenir à la convaincre de se retirer de la course.
Un nouveau candidat, Victor Ponta, ancien Premier ministre socialiste (PSD, S&D) de 2012 à 2015 reconverti en candidat anti-système, se présente quant à lui comme Indépendant sur une plateforme inspirée du style de Donald Trump. Souhaitant capitaliser sur la popularité de l’ex-candidat condamné, il a suggéré vouloir nommer Georgescu comme Premier ministre si élu et est crédité d’environ 10 % des intentions de vote — même si quelques sondages l’ont placé au deuxième tour.
3 — Les programmes des principaux candidats : entre l’OTAN et Moscou
Parmi les principaux candidats, trois se sont prononcés explicitement contre l’annulation du scrutin de novembre : George Simion, Victor Ponta et Elena Lasconi.
Sur le fond, Simion — qui se donne comme objectif « le retour à la démocratie » 5 — dont le parti est membre du groupe CRE au Parlement européen, a conservé l’essentiel de son programme de novembre.
Il défend ainsi une « Europe des nations souveraines » et affirme vouloir protéger les droits des Roumains, qu’il estime traités comme inférieurs au sein de l’Union : « Nous mettrons en œuvre des mesures pour que l’État roumain puisse offrir une assistance juridique à tout citoyen roumain confronté à des violations de son statut de citoyen égal dans l’Union. » Il promet de maintenir la Roumanie dans l’OTAN tout en garantissant sa neutralité : « Le pays doit rester neutre, car la paix est ce qui compte le plus pour moi. » Il s’oppose par ailleurs à l’envoi d’aide militaire à l’Ukraine.
À l’opposé, Crin Antonescu défend un renforcement du partenariat stratégique avec les États-Unis, estimant que les Roumains doivent « trouver quelque chose d’indispensable » pour que Washington les prenne réellement en considération. Il propose d’augmenter les dépenses de défense à au moins 3,5 % du PIB (contre 2,3 % en 2024), tout en excluant l’envoi de troupes en Ukraine. Il souhaite cependant que la Roumanie participe activement à la reconstruction du pays.
Nicușor Dan partage l’objectif d’un budget de défense à 3,5 % du PIB. Il plaide pour un rôle accru de la Roumanie dans la coopération transatlantique entre les États-Unis et l’Union 6.
Victor Ponta insiste sur l’importance stratégique de la base militaire de l’OTAN à Mihail Kogălniceanu, située face à la Crimée. Il milite également pour l’instauration de référendums obligatoires sur les grandes décisions nationales, ainsi que pour la prison à vie pour le trafic de drogue ou de corruption à grande échelle 7.
4 — Quelles hypothèses pour le deuxième tour ?
Si les sondages se confirment et que George Simion arrive en tête au premier tour, l’issue du scrutin dépendra largement de son adversaire au second tour. La présence aux urnes sera un facteur déterminant : le samedi 3 mai, à 14h plus de 200 000 personnes avaient déjà voté à l’etranger, soit deux fois plus qu’en novembre.
Selon les dernières enquêtes d’opinion, Crin Antonescu serait alors le mieux placé pour remporter le scrutin, avec 10 points de pourcentage de plus par rapport à Simion. Il est suivi par Lasconi (+8pp), et Dan (+3pp) 8. Cette différence s’explique en partie par le fait que les électeurs de Dan seraient plus enclins à se rallier à Antonescu pour faire barrage à Simion, tandis que l’inverse pourrait être moins certain.
Hypothèse Antonescu au second tour
Hypothèse Dan au second tour
Il est à noter que le taux d’indécis atteindrait 38 % dans les scénarios de second tour opposant Simion à Ponta.
Simion et Ponta cherchent tous les deux à capter un électorat orphelin : celui de Calin Georgescu. Au scrutin de novembre, ce dernier avait cumulé au total 2,1 millions de votes, dont 31 % des voix des 18-24 ans 9 et 43 % des Roumains de la diaspora 10.
Mais plus largement, Georgescu s’est imposé comme un candidat antisystème, surfant sur la vague de dégagisme qui a marqué la majorité des scrutins mondiaux en 2024. Porté par le slogan « La Roumanie se réveille ! », il a mené une campagne nationaliste et souverainiste, articulée autour d’un rejet de l’Union européenne, de l’OTAN — qu’il considère comme des ennemis de l’esprit roumain — et de la mondialisation. Il prône un nationalisme économique radical et appelle à un rapprochement avec Moscou, réclamant le retour du gaz russe, et se déclarant admirateur de Vladimir Poutine, qu’il qualifie de « vrai leader ».
Au-delà de ces positions, Georgescu avait donné à sa campagne une dimension quasi messianique, centrée sur les « éléments essentiels à la vie » — l’eau, la nourriture et l’énergie 11 — tout en dénonçant la décadence morale de l’Occident et en mobilisant un discours teinté de références religieuses. Or malgré la récurrence de certaines thématiques, ni Ponta, ni Simion ne font aujourd’hui campagne dans cet esprit.
Si Georgescu soutient désormais officiellement la candidature de Simion, Ponta adopte une ligne souverainiste plus modérée, espérant rassembler un électorat plus large, allant du PSD à AUR, en passant par le PNL.
5 — MAGA entre en jeu
Les voix les plus influentes de l’entourage du président américain — du vice-président J.D. Vance à Elon Musk — avaient vivement critiqué l’annulation des résultats du premier tour de l’élection présidentielle du 24 novembre 2024, et apporté un soutien explicite à la candidature de Călin Georgescu qui a été invalidé par la Commission électorale le 9 mars.
Lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, le 14 février 2025, Vance, avait comparé l’annulation du scrutin à des pratiques soviétiques. Il a dénoncé la censure sous couvert de lutte contre la désinformation et estimé que les démocraties européennes devraient être assez solides pour résister aux ingérences étrangères.
Elon Musk a quant à lui publié son premier message de soutien à Georgescu mi-février. Le 18 février, il a partagé sur X une déclaration de Georgescu visant à interdire le réseau d’ONG de George Soros en Roumanie, ajoutant le commentaire : « La Roumanie mérite sa propre souveraineté ! »
Musk avait aussi réagi à la décision du Bureau électoral central d’invalider la candidature de Georgescu en qualifiant la décision de « folie », ajoutant « Comment un juge peut-il mettre fin à la démocratie en Roumanie ? ».
Dans sa tournée du 25 au 28 avril, le fils aîné de Donald Trump et influenceur conservateur, Don Jr. à rencontré Victor Ponta, qui avait déposé sa candidature au mois de mars en portant une casquette (et une cravate) rouge d’inspiration trumpiste avec l’inscription Romania pe primul loc (La Roumanie d’abord).
Dans un message publié le 29 avril, l’ambassade américaine à Bucarest a cité le discours du vice-président J. D. Vance à Munich : « la démocratie repose sur le principe sacré que la voix du peuple compte ». « Un mandat démocratique ne peut pas être obtenu en ignorant son électorat sur des questions aussi centrales que celle de savoir qui peut faire partie de notre société commune » 12.
6 — Avec quel Parlement le Président devrait-il composer ?
Lors des élections législatives du 1er décembre, le PSD a obtenu 22 % des voix. AUR est arrivée en deuxième position avec un peu plus de 18 % des suffrages, doublant ainsi son nombre de sièges. Le PNL a confirmé son recul avec 14,6 % des voix. L’USR en a obtenu 11,2 %.
Deux nouvelles formations d’extrême droite ont fait leur entrée au Parlement : SOS Romania, parti prorusse favorable à un retrait de l’Union européenne, et le Parti de la Jeunesse (POT), formation eurosceptique, souverainiste et nationaliste créée en 2023. Ils obtiennent respectivement 7,7 % et 6,4 % des voix.
Au total, l’extrême droite représente ainsi 32 % des suffrages exprimés.
Les partis proeuropéens ont tenté de former une coalition pour enrayer la progression de l’extrême droite, sans pour autant y parvenir complètement. L’USR est restée dans l’opposition 13. Le PSD, le PNL et l’Union démocrate magyare de Roumanie (UDMR) ont formé un gouvernement de coalition et reconduit Marcel Ciolacu au poste de Premier ministre. Le gouvernement a prêté serment le 23 décembre 2024.
Les attributions du président concernent surtout la politique étrangère — c’est lui qui représente la Roumanie au Conseil européen — mais il propose également le candidat au poste de Premier ministre.
Il est possible — mais pas certain ni automatique — que le résultat des élections présidentielles puisse conduire à la démission de l’actuel exécutif, surtout si le candidat des trois partis formant le gouvernement — Crin Antonescu — perd le scrutin.
Sources
- Hotărârea nr. 32 din 6 decembrie 2024 privind anularea procesului electoral cu privire la alegerea Președintelui României din anul 2024, Curtea Constituțională, 6 décembre 2024.
- 47 de percheziții pe raza județelor Sibiu, Mureș, Timiș, Ilfov și Cluj, Parchetul de pe langa Inalta Curte de Casație și Justitie.
- Decizie finală a CCR : Călin Georgescu nu poate candida la alegerile prezidențiale, Digi24, 11 mars 2025.
- 62 % dintre respondenți consideră că anularea alegerilor prezidențiale a fost o decizie proastă – sondaj IRES, G4Media, 28 décembre 2024.
- Am un singur obiectiv în cursa prezidențială : revenirea la democrație ! FOTO&VIDEO, AUR, 14 mars 2025.
- Ce spun programele electorale despre candidații la alegerile prezidențiale din 4 mai : „Seci și conservatoare”, Europa Liberă România, 1er mai 2025.
- VIDEO Victor Ponta și-a lansat programul pentru Președinție : „M-am schimbat mult față de acum 10 ani” / Ce promite fostul premier / Atac la PSD, HotNews, 6 mars 2025.
- Ultimul mare sondaj înainte de primul tur al alegerilor prezidențiale 2025 de duminică. Luptă extrem de strânsă pentru finala prezidențială, HotNews, 2 mai 2025.
- Profiluri electorale teritoriale. Cum s-au distribuit geografic și socio-demografic preferințele pentru candidații din turul 1, Critic Atac, 29 novembre 2024 ; George Costiță, Profilul alegătorului. Cine l-a votat pe Călin Georgescu, Europa Liberă Romania, 25 novembre 2024.
- Cum s-a împărțit votul în diaspora. Călin Georgescu, avans de peste 129.000 de voturi față de următorul clasat, Elena Lasconi, Digi24, 25 novembre 2025.
- Călin Georgescu, Program de Președinte.
- Publication sur Facebook de l’ambassade des États-Unis en Roumanie, 29 avril 2025.
- De ce nu a participat USR luni seară la negocierile pentru noul guvern. Întâlnirea celorlalte partide s-a încheiat fără nicio concluzie, Digi24, 16 décembre 2024.