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19.05.2024 à 19:08

Iran : le Président Ebrahim Raissi porté disparu après un accident d’hélicoptère. Que va-t-il se passer maintenant ?

Matheo Malik

Le Président de la République islamique d’Iran, Ebrahim Raissi, est porté disparu depuis dimanche soir après un accident d’hélicoptère près de la frontière avec l’Azerbaïdjan. Qui est-il ? Quelles seraient les conséquences immédiates de la disparition de ce potentiel héritier de Khamenei ? Quelle séquence s’ouvre au Moyen-Orient ? Nous dressons quelques pistes.

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Texte intégral (763 mots)

L’hélicoptère du Président de la République islamique d’Iran, Ebrahim Raissi, a été aujourd’hui, 19 mai vers 16h30 (heure de Paris) impliqué, dans un accident près de la frontière avec l’Azerbaïdjan, à Jolfa. 

  • L’armée iranienne est pleinement mobilisée pour essayer de retrouver l’hélicoptère, mais, selon plusieurs sources, l’accident a de très fortes chances d’avoir été fatal à Ebrahim Raissi. Il était accompagné de son ministre des affaires étrangères, Amir Hossein Amir Abdollahian.

Ebrahim Raissi est Président de la République islamique d’Iran depuis 2021.

  • Il a précédemment été chef du système judiciaire entre 2019 et 2021, et président de la Fondation religieuse Astan-e Qods Razavi, à qui incombe la gestion du mausolée du huitième du chiisme duodécimain dans la ville de Machhad, au nord-est de l’Iran ; cette Fondation est, en raison de l’importance des fonds qu’elle gère, un acteur majeur de la vie religieuse, politique et économique de l’Iran.
  • Tenant d’une ligne ultra conservatrice, Raissi est très peu populaire en Iran, notamment en raison de sa responsabilité directe dans les exécutions de masse d’opposants politiques à la fin de la guerre Iran-Irak, en 1988.

Que va-t-il se passer maintenant ?

  • Si son décès est confirmé, une nouvelle élection présidentielle devra être organisée dans les cinquante jours. Elle sera probablement marquée par la disqualification de tout candidat modéré et par une très faible participation.

Plus généralement, cela pourrait ouvrir une crise de succession, dans la mesure où Ebrahim Raissi était perçu comme un potentiel candidat pour remplacer le Guide Suprême de la Révolution islamique en cas d’un décès d’Ali Khamenei.

  • Il dispose en effet des qualifications religieuses nécessaires, d’une légitimité démocratique — quoique relative — et de bonnes relations avec les Gardiens de la Révolution. 
  • Dans un régime dont le caractère gérontocratique est de plus en plus affirmé, la disparition d’un cadre relativement jeune (63 ans) pourrait ouvrir une crise politique majeure. 

Cet accident va très probablement susciter les suspicions d’une responsabilité d’un acteur extérieur. 

  • Dans le contexte de la nouvelle équation théorisée par le chef d’état-major iranien à la suite de l’attaque contre Israël du 13-14 avril, une crise interne au régime iranien pourrait ouvrir une période d’incertitude pour la politique étrangère de Téhéran.

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19.05.2024 à 08:41

Qui est Lawrence Wong, le nouveau Premier ministre de Singapour ?

Ramona Bloj

Lawrence Wong a succédé à Lee Hsien Loong comme Premier ministre de la cité-État le 15 mai. Sa nomination marque une évolution importante, Wong devenant ainsi le deuxième homme à la tête du pays depuis l'obtention de l'indépendance qui n’est pas membre de la famille Lee.

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Texte intégral (506 mots)

La République « semi-démocratique » de Singapour n’a pas connu de renouvellement politique majeur depuis son indépendance en 1965, d’où l’importance de ce tournant politique.

  • Pour autant, le nouveau Premier ministre – le quatrième dans l’histoire du pays – ne représente pas une rupture nette avec ses prédécesseurs.
  • Lawrence Wong a le parcours classique d’un technocrate, à ceci près qu’il n’est pas passé par les universités britanniques prestigieuses comme Oxford ou Cambridge. Membre du Parti d’Action Populaire, qui domine le paysage politique depuis l’indépendance, il a été secrétaire de Lee Hsien Loong, puis ministre des Finances, et vice-président depuis 2022.
  • Lors de la campagne, sa reprise de la chanson Love Story de Taylor Swift sur TikTok a contribué à faire connaître ce haut fonctionnaire peu habitué à l’exposition médiatique.

    Singapour, dont le PIB par habitant défie celui des États-Unis depuis une dizaine d’années, est au centre des rivalités géopolitiques dans l’Indo-pacifique. 

    • L’île dont près de 75 % de la population est d’origine chinoise maintient une coopération militaire forte avec les États-Unis mais coopère également de plus en plus avec la Chine et refuse de se positionner clairement dans la nouvelle guerre froide.
    • Wong est d’origine chinoise par son père. Il est diplômé de l’Université du Wisconsin-Madison (en économie) et de la Harvard Kennedy School (en administration publique). 
    • Sa nomination indique le choix de la continuité, alors que le maintien d’un certain équilibre régional devient de plus en plus complexe.
    • Le nouveau Premier ministre se dit prêt à renforcer ses relations avec tous les pays sans se soucier des blocs d’alliance. Singapour est le seul pays de l’Asie de l’Est à avoir voté des sanctions à l’encontre de la Russie après l’invasion de l’Ukraine en février 2022.  

    Le centre de ses préoccupations devrait toutefois être la situation économique du pays. 

    • Singapour est – à égalité avec Zurich – la ville la plus chère au monde, et elle a occupé cette position 9 fois pendant les 11 dernières années.
    • Selon un récent sondage, la première préoccupation des Singapouriens est le coût de la vie. 
    • Dans un discours en février, Wong a déclaré avoir comme priorité la croissance économique et l’innovation dans les technologies avancées et les énergies vertes. Il souhaite accroître les partenariats économiques multilatéraux.

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    18.05.2024 à 14:00

    La mobilisation ukrainienne entre dans une nouvelle phase

    Ramona Bloj

    Confrontée à une pénurie d’hommes de plus en plus prégnante, l’Ukraine a besoin de combattants. Pour tenter de remédier à la situation actuelle, les autorités ont introduit un certain nombre d'amendements à la législation sur la mobilisation qui entrent en vigueur aujourd’hui, samedi 18 mai.

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    Texte intégral (674 mots)

    En février 2022, lors du lancement de l’invasion russe à grande échelle, les effectifs de l’armée ukrainienne avaient atteint jusqu’à 700 000 hommes.

      • Depuis, à mesure que le nombre de morts et de blessés augmente, les effectifs se sont réduits, poussant l’armée à recruter des soldats de plus en plus âgés — l’âge moyen est aujourd’hui de 43 ans.
      • Les amendements à la législation qui entrent en vigueur aujourd’hui actent l’abaissement de l’âge de la mobilisation de 27 à 25 ans. Des personnalités ukrainiennes estiment toutefois que celle-ci devrait commencer bien plus tôt, dès 20 ans.
      • Kiev met également fin au renouvellement par les consulats des passeports des hommes âgés de 18 à 60 ans résidant à l’étranger. Ces derniers doivent désormais retourner en Ukraine pour le faire, les rendant de facto mobilisables.
      • À partir du samedi 18 mai, les hommes ukrainiens à l’étranger ont de nouveau accès aux services consulaires. Selon la nouvelle législation, en addition des documents requis pour y avoir accès, les demandeurs doivent également soumettre leur document d’enregistrement militaire1.
      • Hier, vendredi 17 mai, le ministère de la Défense ukrainien a annoncé le lancement d’une application, Reserve+ (Резерв+), sur laquelle chaque homme de 18 à 60 ans pourra mettre à jour ses informations de contact dans un délai de 60 jours2.

      L’introduction de ces changements présente le risque de dissuader les Ukrainiens ayant fui la guerre de revenir, à terme, dans le pays.

      • Plus de la moitié des Ukrainiens résidant actuellement à l’étranger3 ont déjà ou comptent demander la nationalité de leur pays de résidence, selon un sondage du Kiev International Institute of Sociology4.
      • La double nationalité étant encore interdite, l’Ukraine risque ainsi de perdre une partie importante de sa population – autour de 1,3 millions Ukrainiens mobilisables résident aujourd’hui à l’étranger selon certaines estimations.

      Les gouvernements polonais et lituanien ont publiquement annoncé qu’ils étaient prêts à aider le gouvernement ukrainien à mobiliser ses ressortissants vivant dans leur pays, sans que de réels moyens légaux n’aient cependant été évoqués. En Pologne, ces propos ont été tenus par le ministre de la Défense, qui a par la suite été contredit par le vice-ministre de l’Intérieur, inquiet du potentiel impact économique provoqué par le départ de 400 000 ressortissants ukrainiens travaillant en Pologne.

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      18.05.2024 à 06:00

      D’ici 2035, le monde ne sera en mesure de produire que 50 % du lithium nécessaire pour la transition énergétique

      Marin Saillofest

      Selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie publié vendredi 17 mai, les projets actuels et annoncés ne permettront pas de répondre à la demande de cuivre, de nickel, de cobalt et de lithium nécessaire d’ici 2035 pour atteindre les objectifs climatiques. Malgré une augmentation des investissements de 10 % en 2023, 800 milliards de dollars dans le secteur minier sont nécessaires d'ici 2040.

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      Texte intégral (537 mots)

      Les matériaux dits « critiques » (lithium, cobalt, graphite, terres rares, nickel…) sont essentiels pour la fabrication de sources de production et de stockage d’énergie décarbonée. En raison d’une importante hausse de l’offre, le prix de ces matériaux a considérablement diminué en 2023, provoquant une baisse moyenne du coût des batteries électriques de 14 %1.

      • La baisse du prix des matières premières et des batteries constitue une bonne nouvelle pour les consommateurs et le déploiement des énergies renouvelables, selon l’Agence internationale de l’énergie.
      • Cette baisse a cependant contribué à rendre les investissements moins attrayants. Si ces derniers ont augmenté de 10 % l’an dernier par rapport à 2022, ils demeurent largement inférieurs aux objectifs.

      Ainsi, l’Agence considère que seulement 50 % des besoins mondiaux en lithium requis pour atteindre les objectifs climatiques fixés dans le cadre de l’Accord de Paris devraient être atteints d’ici 2035, selon les projets d’extraction et de transformation existants et à venir. Parmi les six principaux minerais identifiés comme étant clef pour la transition énergétique, quatre devraient faire face à des pénuries d’approvisionnement : le lithium, le cuivre, le nickel et le cobalt.

      • Au total, 800 milliards de dollars d’investissements sont nécessaires d’ici 2040 pour répondre à la demande de minerais dans le cadre du scénario zéro émissions nette d’ici 2050 (NZE) de l’Agence.
      • En raison de son rôle crucial dans la fabrication de batteries électriques, la demande de lithium devrait être multipliée par 8 d’ici 2040 par rapport à son niveau actuel.
      • La demande de nickel, de cobalt et de terres rares devrait doubler, celle pour le cuivre devrait augmenter de 50 % et la demande de graphite devrait être multipliée par quatre au cours de la même période.

      Si le lithium est le matériau le plus exposé à des risques d’approvisionnement, le cobalt, le graphite, le nickel et les terres rares sont quant à eux exposés à des risques géopolitiques élevés en raison de la concentration des ressources minières et de la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement. En 2030, plus de 90 % du graphite utilisé dans les batteries et 77 % des terres rares raffinées proviendront de Chine.

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      17.05.2024 à 18:12

      L’extrême droite européenne se réunit à Madrid 

      Marin Saillofest

      À partir d’aujourd’hui, vendredi 17 mai, le parti d’extrême droite espagnol Vox organise son congrès « Europa Viva 24 » qui réunira pendant tout le week-end les principales figures de l’extrême droite européenne et internationale, comme le président argentin Javier Milei.

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      Texte intégral (742 mots)

      Le leader de Vox, Santiago Abascal, organise son congrès annuel « Viva Vox » plus tôt cette année. À quelques semaines des élections européennes qui se dérouleront du 6 au 9 juin, la manifestation a une dimension continentale.

      • « Viva Vox » a habituellement lieu en octobre, mais le parti d’extrême droite espagnol a rebaptisé sa convention « Europa Viva 24 » pour tenter de relancer une campagne électorale qui peine à décoller.
      • En Espagne, les derniers sondages placent Vox à la troisième place, derrière le PP et le PSOE, avec 6 eurodéputés — deux de plus qu’en 2019.
      • Pour marquer le coup et montrer l’étendue des alliances européennes et internationales du parti, plusieurs figures d’extrême droite seront présentes. 
      • Pour ce qui est de l’Europe, on compte notamment Marine Le Pen (ID), Giorgia Meloni (CRE), Viktor Orbán (Non-inscrits depuis son départ du PPE), Mateusz Morawiecki (CRE), André Ventura (ID). La présence à la fois des représentants des partis membres du groupe Conservateurs et réformistes européens et Identité et démocratie, les deux groupes qui devraient enregistrer des scores records lors des élections de juin peut surprendre. Leur percée pourrait avoir un impact important sur les équilibres politiques dans la prochaine mandature. 
      • Plusieurs figures de premier plan de l’extreme droite à l’échelle internationale seront également présentes dont : le président de l’American Conservative Union Matt Schlapp, le vice-président de la Heritage Foundation Roger Severino, le ministre israélien de la lutte contre l’antisémitisme Amichai Chikli, le Chilien José Antonio Kast et le président argentin Javier Milei
      • Le voyage de Milei a fait l’objet de critiques en Argentine étant donné qu’il se déplace seulement pour participer à l’événement, se réunir avec Abascal et quelques hommes d’affaires. Aucune réunion n’est prévue ni avec Sánchez ni avec le roi Felipe VI. Si pour l’Espagne le déplacement est donc considéré comme un voyage privé du président argentin, pour Buenos Aires, il s’agit bien d’un voyage officiel aux frais de l’État.

      La « grande convention des patriotes européens » commence aujourd’hui, vendredi 17 mai, et durera tout le week-end jusqu’au dimanche 19 mai, dans la salle d’événement Palacio de Vistalegre à Madrid.

      Le rassemblement veut se présenter comme un moment familial et convivial qui réunira « conférences, discours, rencontres, espace commercial et gastronomique, et activités de loisirs pour grands et petits »1.

      • Aujourd’hui, Vox présente également ses 10 premiers candidats de sa liste pour les élections européennes avec une première intervention de Santiago Abascal. En fin de journée, une fête avec DJ est prévue pour les participants de moins de 30 ans. 
      • Des conférences et tables rondes auront lieu samedi à partir de 11h, organisées par le think tank Fundación Disenso, chargé des relations internationales de Vox. La session de l’après-midi sera organisée par les Conservateurs et réformistes européens (CRE) qui devraient présenter en fin de journée un manifeste.
      • C’est dimanche que se succéderont sur scène les principaux invités après un discours d’Abascal. Les interventions devraient tourner autour de « la défense de la souveraineté des nations européennes, les droits des travailleurs du secteur primaire et la protection des frontières ».

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      17.05.2024 à 13:36

      L’incursion russe en direction de Kharkiv est un prélude à sa contre-offensive d’été

      Marin Saillofest

      Depuis une semaine, plusieurs milliers de combattants russes ont pénétré en Ukraine dans l'oblast de Kharkiv, relativement épargné par les combats depuis fin 2022. Cette opération marque une phase préliminaire d’une offensive plus large que Moscou pourrait lancer d’ici cet été, avec pour objectif l’affaiblissement de l’armée ukrainienne.

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      Texte intégral (828 mots)

      La progression russe dans l’oblast de Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine, a été fulgurante par rapport aux opérations observées jusqu’alors depuis la fin de l’année 2022. En une semaine, Moscou revendique avoir capturé 274 km² de territoire dans cette région — soit autant qu’au cours des trois mois précédents.

      • La plupart des experts s’accordent pour dire qu’il est peu probable que l’armée russe cherche à s’emparer de la ville de Kharkiv, qui comptait plus 1,4 million d’habitants en 2022.
      • L’état-major russe cherche plutôt à ouvrir un second front afin de contraindre l’Ukraine à mobiliser des ressources actuellement déployées dans le Donbass.
      • Selon l’analyste Jack Watling du RUSI, l’offensive russe en direction de Kharkiv correspond aux « premières phases de son offensive d’été »1. Celle-ci ne vise pas tant à saisir Kharkiv ou d’autres grandes villes qu’à infliger le maximum de dégâts à l’armée ukrainienne.

      Cela fait plusieurs mois que Volodymyr Zelensky avertit que l’armée russe s’apprête à lancer une offensive majeure au printemps ou au début de l’été. Si la présidence ukrainienne revendique avoir mis fin à la progression russe en direction de Kharkiv2 — au mieux l’aura-t-elle ralentie3 —, elle a néanmoins été contrainte d’y dépêcher des unités préalablement déployées dans le Donbass, notamment la 92e brigade d’assaut, jusqu’alors présente sur le front de Tchassiv Yar4.

      Kiev, en plus de la menace que constitue le rapprochement des troupes russes de Kharkiv, s’attend d’ores et déjà à l’ouverture de nouveaux fronts.

      • Le directeur du renseignement militaire ukrainien Kyrylo Boudanov considère que l’offensive russe en direction de Kharkiv devrait s’estomper au cours des prochains jours.
      • L’armée russe pourrait ensuite s’attaquer à la capitale de l’oblast de Soumy, située à environ 140 kilomètres au nord-ouest de Kharkiv. Ces derniers jours, les bombardements russes aux alentours de la ville se sont intensifiés5.
      • La perspective d’une nouvelle incursion russe plus au Nord, dans l’oblast ukrainien de ​​Tchernihiv, est également plausible.

      Si Moscou a affecté un certain nombre de ressources à cette offensive, le principal objectif demeure la capture de la totalité du Donbass. Comme le notait Gustav Gressel dans nos pages en avril, l’armée russe veut s’emparer des villes de Tchassiv Yar, Avdiivka et Siversk, où les attaques continuent ces derniers jours malgré une progression russe limitée.

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      17.05.2024 à 10:06

      Aadhaar. En Inde, un identifiant numérique omniprésent menace la démocratie

      Matheo Malik

      En Inde, « la base » agrège tout, note tout, trace tout : « une fois qu’Aadhaar sera devenu un outil d’identification à tout faire, la vie en Inde sera aussi transparente pour l’État qu’une lentille de contact. »

      Du ciblage électoral à la suppression des listes, le WeChat indien pourrait faire basculer les élections. Nous publions une enquête sur le potentiel déstabilisateur d'un identifiant numérique au cœur du dispositif Modi.

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      Texte intégral (7318 mots)

      Jusqu’au 1er juin, la démocratie la plus peuplée au monde est appelée aux urnes. Comment le pouvoir autoritaire de Modi compte-t-il rester en place à la tête d’une puissance qui devient l’une des plus disputées au monde ? Pour suivre ce scrutin et ses implications, nous avons fait appel au spécialiste Christophe Jaffrelot pour nous aider à coordonner une série de publications ce printemps. Pour les suivre, pensez à vous abonner au Grand Continent

      Depuis 2009, l’Inde enregistre biométriquement sa population à grands pas. Formellement, le programme est lancé cette année-là par la création de la Unique ID Authority of India (UIDAI), une autorité administrative dirigée par Nandan Nilekani, l’un des fondateurs d’Infosys, une entreprise indienne de conseil en informatique de taille mondiale. L’identifiant numérique est nommé Aadhaar, un mot qui « se traduit par ‘fondement’ ou ‘support’. Le mot est présent dans la plupart des langues de l’Inde et peut donc être utilisé comme une marque à des fins de communication dans l’ensemble du pays. »1 Environ 95  % des 1,53 milliard de personnes que compte la population indienne en 2023, soit 1,36 milliard, auraient depuis été enrôlées alors dans le dispositif, par ailleurs exporté dans de nombreux pays du Sud et frappant à la porte du Nord2.

      Cet identifiant numérique est présenté par ses concepteurs comme un signe de modernité  :

      Le voyage vient de commencer (…). Aadhaar mobilise les technologies biométriques à des fins de développement, d’inclusion et de lutte contre la pauvreté. Nous devons réussir. Beaucoup espèrent que cet usage de la technologie pour le développement va changer les règles du jeu, en particulier les perspectives d’avenir des plus défavorisés en Inde et, à vrai dire, la nation toute entière.3

      Mais cet outil peut surtout s’avérer un danger pour la démocratie. Le rêve peut tourner au cauchemar. Dès les premières années, des militants et des membres de la société civile qui le découvrent avec effarement quand il percute leur domaine de compétence, mettent en garde contre le danger de surveillance que porte en lui ce nouvel outil numérique4. Plus tard, en 2017, l’un d’entre eux écrit encore  :

      Le plus grand danger d’Aadhaar est son potentiel de surveillance globale. C’est peut-être beaucoup plus grave que la question de la confidentialité de la base de données. Une fois qu’Aadhaar sera devenu un outil d’identification à tout faire, la vie en Inde sera aussi transparente pour l’État qu’une lentille de contact. Le gouvernement pourra accéder au détail de vos réservations de train, de vos conversations téléphoniques, de vos opérations bancaires, etc. en quelques clics de souris, sans avoir besoin d’invoquer des pouvoirs exceptionnels.5

      Dès les premières années, des militants et des membres de la société civile qui découvrent Aadhaar avec effarement quand il percute leur domaine de compétence, mettent en garde contre le danger de surveillance que porte en lui ce nouvel outil numérique.

      Nicolas Belorgey

      En cette période électorale, il ne semble pas inutile de revenir sur deux dangers qui découlent de cette surveillance de masse : le risque de profilage des électeurs afin d’influencer leur vote, et l’exclusion possible des listes électorales.

      Le ministre des transports de Delhi, Kailash Gahlot, inspecte le nouveau centre de commande et de contrôle de la DTC à Kashmere Gate, New Delhi, Inde, le 24 février 2021. © Sonu Mehta/Hindustan Times/Shutterstock

      Cambridge Analytica, version indienne

      Le profilage des électeurs pour influencer la décision de vote a été rendu célèbre par l’affaire Cambrigde Analytica. 

      Réutilisant les données de leurs comptes Facebook afin de construire des profils psychologiques d’électeurs et de les influencer lors du scrutin, la société dirigée par Alexander Nix avait ainsi considérablement pesé en 2016 sur deux élections déterminantes pour l’histoire mondiale  : les présidentielles américaines, qui avaient vu la victoire de Donald Trump, et le référendum sur le Brexit6

      La firme londonienne n’en était à vrai dire pas à son coup d’essai, puisqu’elle avait déjà fait de même avec nombre d’élections dans les pays du Sud. Mais, dans ce contexte, confiait son CEO, l’opération avait été « difficile » car « la recherche devait se faire par le porte-à-porte »7. En effet, la proportion d’internautes y est nettement plus réduite. Au contraire, dans les pays du Nord, la présence d’identifiants numériques indexés sur quantités de données personnelles, typiquement les comptes Facebook, rendait l’opération beaucoup plus facile. Ce que permet l’identifiant indien, c’est précisément de remédier à ce manque d’identification numérique des personnes dans le Sud et notamment en Inde —  et donc d’y faciliter les opérations de type Cambridge Analytica.

      Dans la description saisissante qu’il fait des méthodes électorales du Congrès et du BJP, Shivam Shankar Singh, un consultant politique qui a travaillé pour ces partis et qui est donc bien placé pour en parler, montre comment les mêmes méthodes ont été couramment utilisées en Inde dans les années suivantes8. Différentes bases de données, Facebook, Whatsapp et des enquêtes de terrain l’ont aidé à profiler les électeurs et à leur envoyer des messages ciblés, par exemple lors des élections de 2018 au Tripura. Dans cet État, le BJP a ciblé les nombreux jeunes qui n’avaient pas la mémoire de la paix ramenée depuis 2004 par le parti communiste alors au pouvoir et souffraient par ailleurs du chômage. Alors que la gestion communiste portait globalement un bilan sans tâche, il a monté en épingle un scandale isolé, diffusé aux tribus un message d’alliance avec elles — qu’il a dissimulé aux groupes hostiles à ces tribus — et, enfin, promis aux nombreux fonctionnaires des hausses de salaires — que les finances de l’État ne pouvaient en fait pas autoriser. Le BJP a remporté ces élections haut la main.

      Les méthodes de type Cambridge Analytica ont été couramment utilisées en Inde dans les années suivantes.

      Nicolas Belorgey

      Par rapport à ces pratiques, le profilage permis par l’identifiant numérique ajoute une nouvelle couche d’information, ce qui facilite le travail. Ce profilage est développé particulièrement grâce aux bases de données des États fédérés (State Resident Data Hubs, SRDH)9. En effet, pour enregistrer les personnes, l’UIDAI a recours notamment à eux — ce sont officiellement des « recenseurs » ou registrars et ils peuvent ainsi au passage conserver une copie des données qu’ils envoient à l’agence centrale. Ainsi en possession du numéro Aadhaar des personnes, d’un embryon de leur d’état-civil et parfois de leurs informations biométriques — une photo, les dix empreintes digitales, des scans des rétines —, les États recenseurs peuvent en plus ajouter dans leurs bases toutes les informations qui leur semblent pertinentes, selon le principe dit du « KYR+ »10. Le Gujarat sous Narendra Modi11, ainsi que l’Andhra Pradesh — un État en pointe dans la numérisation du pays — sont parmi ceux qui font le plus usage et développent le plus cette fonctionnalité, afin d’obtenir une meilleure vision de leurs populations. 

      Ces entrepôts introduisent par ailleurs une fragilité dans la protection des données personnelles. En effet, si le profilage électoral n’est pas mené officiellement et si les SRDH sont généralement protégés des attaques extérieures, de telles opérations peuvent être menées officieusement, rendant le système très poreux aux d’attaques intérieures — par exemple par des sous-traitants — ainsi que le rappellent des spécialistes en sécurité informatique12.

      Après sa création en 2014 à partir de la partie Nord-Ouest de l’Andhra Pradesh, le nouvel État du Telangana développe lui aussi des pratiques de profilage intrusives. 

      Peut-être conscientes des limites d’Aadhaar pour identifier biométriquement les personnes, les autorités du Telangana mobilisent une autre technique — la reconnaissance faciale.

      Nicolas Belorgey

      Juste après la création de l’État, il décrète un jour de vacances générales le 19 août 2014 pendant lequel les citoyens doivent rester chez eux avec leurs documents d’identité afin de recevoir la visite des agents recenseurs, sous peine de sanctions. En 2016 et 2017, le Telangana lance une nouvelle base de données pour laquelle, peut-être conscientes des limites d’Aadhaar pour identifier biométriquement les personnes, les autorités mobilisent une autre technique — la reconnaissance faciale. La base agrège pour chaque personne ses informations d’état-civil, celles relatives aux biens qu’elle possède, à ses consommations d’énergie, à ses prestations sociales, à son éducation, à ses crimes et délits, ainsi qu’à ses relations familiales et à ses « autres associés connus »13.

      Le ministre des transports de Delhi, Kailash Gahlot, inspecte le nouveau centre de commande et de contrôle de la DTC à Kashmere Gate, New Delhi, Inde, le 24 février 2021. © Sonu Mehta/Hindustan Times/Shutterstock

      Des bases plus intrusives, directement gérées par la police

      Le gouvernement du Telangana développe ainsi une base de données encore plus intrusive pour sa police. Il commence par la ville d’Hyderabad — qui demeure la capitale partagée entre les deux États, l’Andhra Pradesh et le Telangana nouvellement créé, pendant une période de transition — avec HydCOP, une application cumulant  l’identifiant numérique, des bases de données de la police et des données supplémentaires recueillies par celle-ci lors d’opérations de porte-à-porte, telles que les « empreintes digitales, numéros Aadhaar, numéros de téléphone, comptes sur les réseaux sociaux, carte électorale, passeport, ainsi que le nombre et les noms des membres de leur famille, de leurs associés, avocats, courtiers et concubines, le cas échéant »14. Les coordonnées GPS de la maison sont aussi enregistrées à cette occasion.

      Officiellement, il s’agit d’établir les profils des criminels et de nourrir les dossiers judiciaires des affaires en cours. En pratique, on ne sait pas si les investigations ne touchent que ce type de personnes ou sont étendues à d’autres par une police peu soucieuse des limites de son action. HydCOP est ensuite étendu à l’ensemble de l’État sous le nom de TSCOP. Si la base légale de la démarche est initialement réduite, une loi nationale de 2022 autorise la police à prélever et à conserver pendant 75 ans les données biométriques — empreintes digitales, scans de rétine, et potentiellement les photos, prélèvements sanguins et ADN — des personnes simplement arrêtées, même si aucune charge n’est ensuite retenue contre elles15. Un flou juridique demeure quant à la possibilité d’enregistrer et de conserver d’autres types de données.

      Une loi nationale de 2022 autorise la police à prélever et à conserver pendant 75 ans les données biométriques des personnes simplement arrêtées, même si aucune charge n’est ensuite retenue contre elles.

      Nicolas Belorgey

      En-dehors des SRDHs, le profilage peut aussi être fait à partir des données engendrées par chaque authentification faite avec l’identifiant numérique — « journaux » ou authentication logs dans le jargon informatique. Ces données contiennent en particulier l’identifiant de la personne, l’entité qui a réalisé l’opération, le but de celle-ci et sa localisation géographique. Compilées et regroupées, toutes ces données donnent une vision exceptionnelle de la vie d’une personne. C’est peut-être cette fonctionnalité qu’avait en tête en 2009 Ajit Doval, ancien directeur de la Sécurité Intérieure (Intelligence Bureau) et futur Conseiller National pour la Sécurité (National Security Advisor) à partir de l’arrivée au pouvoir du BJP en 2014, quand il se réjouissait en ces termes :

      L’identifiant numérique a pour but de se débarrasser des personnes indésirables (…). Avec lui, les personnes peuvent être localisées n’importe où, parce que toutes les bases seront connectées.16

      De son côté, l’UIDAI a toujours nié conserver les journaux d’authentification. Cette affirmation est cependant difficile à vérifier. De leur côté, les entités qui réalisent ces opérations un peu partout dans le pays sont nettement plus difficiles à contrôler ne serait-ce qu’en raison de leur nombre. Peu de choses en pratique les empêchent de conserver ces journaux contenant l’identifiant numérique, ou de les communiquer17.

      Ces journaux peuvent aussi être utilisés par les ministères centraux, qui ont également commencé à développer leurs propres bases. Trois d’entre eux sont particulièrement actifs à ce sujet  : le ministère de l’Intérieur, celui des Finances, enfin le ministère du Développement Rural (Ministry of Rural Development, MoRD). Ce dernier est particulièrement intéressant car il réalise le recensement économique et social (Socio-Economic Caste Census, SECC), une opération à l’origine anonymisée, qu’il transforme progressivement à partir de 2015 et avec l’aide de la Banque Mondiale et de l’UIDAI en une base de données nominative, pouvant être mise à jour « en temps réel » grâce aux journaux d’authentification18. Cette action devient particulièrement utile pour les partisans de l’identifiant après que la Cour Suprême (CS) en 2018 a limité l’usage de celui-ci essentiellement aux programmes sociaux. En effet, au moment où d’autres bases de données deviennent alors potentiellement inconstitutionnelles, le SECC, qui est indispensable aux programme sociaux, est protégé contre ce risque. Mais son spectre s’étend bien au-delà de son périmètre initial. En effet, si ces programmes sont « ciblés » sur les personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté, ce critère est toujours difficile à déterminer et fait l’objet d’une analyse au cas par cas. Pour pouvoir appliquer ce critère, les programmes ont donc vocation à s’intéresser en amont, au titre de la détermination préalable de leurs bénéficiaires, à l’ensemble de la population — qui se retrouve ainsi toujours légitimement incluse dans la base.

      De manière analogue aux acteurs publics, les acteurs privés construisent probablement leurs propres bases de données, alimentées de toutes les informations qu’ils peuvent réunir sur leurs clients directement ou en les achetant à l’extérieur.

      Au total, l’identifiant numérique permet la construction de nombreuses bases, publiques comme privées, contenant une myriade d’informations personnelles et potentiellement utilisables pour le profilage des personnes à des fins électorales.

      L’identifiant numérique permet la construction de nombreuses bases, publiques comme privées, contenant une myriade d’informations personnelles et potentiellement utilisables pour le profilage des personnes à des fins électorales.

      Nicolas Belorgey

      Les données personnelles de 78 millions d’électeurs accessibles par une application

      L’Andhra Pradesh fournit à nouveau un exemple typique de l’utilisation politique de ces bases19. Dans le cadre de la préparation des élections de 2019, le YSR Congress, un des principaux partis d’opposition, accuse le gouvernement de cet État alors dirigé par son rival le Telugu Desam Party (TDP), d’utiliser les données de ses politiques sociales pour faire du profilage et cibler ainsi certains électeurs. Une enquête subséquente montre que les données personnelles de 78 millions de personnes, ressortissants d’Andhra Pradesh et du Telangana, se trouvent hébergées sur un serveur en ligne d’Amazon. Ces données sont gérées par une firme privée, ITGrids, qui a aussi créé une application — disponible sur Google Play — pour le TDP. Son nom : Seva Mitra. Seva Mitra interagit avec cette base de données. Elle permet d’afficher un embryon d’état-civil des personnes ainsi que leurs photographie, numéro de téléphone, situation familiale, caste, revenu tiré des politiques de l’État, etc., et leur préférences électorales. L’application est conçue comme un outil pour les militants de terrain du parti, qui peuvent ainsi mieux comprendre le comportement électoral des citoyens de leur circonscription et enrichir en retour la base de données à partir des informations qu’eux-mêmes glanent lors de leurs tournées. Cet ensemble permet donc bien de faire du profilage électoral. La base est structurée en grande partie comme le SRDH de l’État de l’AP, ce qui suggère que le gros de ses données provient de cette source. Ainsi les outils numériques développés par le gouvernement de l’État apparaissent-ils faciliter non seulement ses politiques économiques et sociales, mais aussi sa propre réélection.

      Des partisans de la Grande Alliance (Mahagathbandhan) surveillent les images de vidéosurveillance diffusées dans une salle forte du collège A.N. avant les résultats des élections de l’assemblée, le 8 novembre 2020 à Patna, en Inde. © Santosh Kumar/Hindustan Times/Shutterstock

      Au niveau national, une loi de protection des données personnelles a finalement été promulguée en 2023 — soit 14 ans après la création de l’UIDAI, c’est-à-dire le temps d’enregistrer l’essentiel de la population. Par comparaison en France un projet analogue, SAFARI, avait en 1974 suscité des protestations si importantes qu’il avait immédiatement été arrêté et remplacé par la création de la CNIL. Mais cette loi est si peu consistante et truffée d’exceptions qu’elle semble davantage destinée à rassurer les populations et les partenaires commerciaux sur l’existence d’un tel cadre légal qu’à limiter la prolifération des dossiers numériques.

      Au niveau national, une loi de protection des données personnelles a finalement été promulguée en 2023 — soit 14 ans après la création de l’UIDAI, c’est-à-dire le temps d’enregistrer l’essentiel de la population.

      Nicolas Belorgey

      #WhereIsMyVote  : au Telangana, une joueuse de badminton et 2,2 millions de votes envolés

      Au-delà du profilage des électeurs, le deuxième danger induit par l’identifiant est encore plus fort puisqu’il s’agit de l’exclusion pure et simple des listes électorales. 

      Il se manifeste déjà — notamment au Telangana lors des élections de 201820. Sur les 28 millions d’électeurs que comptait cet État en 2015, 2,2 ne peuvent alors exercer leur droit de vote. Le phénomène acquiert une certaine notoriété car parmi eux se trouve la star de badminton Jwala Gutta, qui proteste sur Twitter sous le hashtag #WhereIsMyVote. 

      Cette disparition des électeurs a partie liée avec l’identifiant numérique.

      En 2014, le Telangana et l’Andhra Pradesh sont choisis par la Commission Électorale pour tester l’indexation des listes électorales — comme d’habitude, au motif d’éliminer les « faux » et « doublons ». Utilisant « un logiciel » sur lequel elle ne donne pas davantage d’informations mais qui ressemble furieusement à celui aimablement mis à disposition par l’UIDAI pour la dissémination de l’identifiant, la Commission supprime environ 3 millions de citoyens des listes électorales du Telangana. De 2015 à 2018, les listes électorales de l’Andhra Pradesh perdent aussi 2,1 millions de personnes, alors même que la population Indienne est en pleine croissance. De plus, alors que ces suppressions n’ont normalement lieu qu’après un processus où les intéressés peuvent réclamer leur droit, celui-ci est considérablement réduit en raison d’une soudaine dissolution, et de la réélection concomitante, de l’Assemblée du Telangana.

      De 2015 à 2018, les listes électorales de l’Andhra Pradesh perdent 2,1 millions de personnes, alors même que la population Indienne est en pleine croissance.

      Nicolas Belorgey

      Le danger d’exclusion des listes électorales apparaît ensuite au niveau national. En réponse à une ordonnance de la CS de 2015 rappelant que l’identifiant ne saurait être obligatoire, la Commission électorale indique officiellement qu’il ne serait pas demandé aux électeurs. Mais, en pratique, les officiers d’état-civil refusent d’inscrire les personnes qui n’ont pas Aadhaar — à moins qu’elles ne fassent à leur tour une réclamation à la CS, une démarche assez rare dans les faits21. Ces refus s’inscrivent dans le cadre de la politique générale de dissémination de l’identifiant dans le pays, qui consiste à le rendre obligatoire pour de plus en plus de choses, y compris l’inscription sur les listes électorales. Aussi les personnes qui ne se sont pas enregistrées numériquement, ou dont les informations d’état-civil sur leur carte électorale diffèrent trop de celles de la base de l’UIDAI — par exemple du fait d’erreurs d’enregistrement — courent-elles le risque de se voir rayés des listes. De nombreuses personnes ont ainsi pu être exclues dans d’autres États, mais sans le bruit médiatique fait par la championne de badminton Jwala Gutta autour de son cas, de sorte que leur situation a pu être interprétée publiquement voire par elles-mêmes comme une succession de cas isolés résultant d’une incapacité personnelle ou de problèmes techniques ponctuels — en d’autres termes, ces cas n’ont pas été politisés.

      En dépit des dégâts observés au Telangana, la Commission électorale poursuit sa politique, notamment après que le gouvernement y a nommé de nouveaux membres. 

      À partir de 2020, elle prend de nouvelles dispositions pour relier l’identifiant numérique aux cartes électorales fraîchement émises comme aux anciennes22. En 2021, le gouvernement fait même amender les lois électorales de 1950 et 1951 pour faire de ce lien une règle, en dépit d’interrogations persistantes sur sa conformité à la grande décision de la Cour suprême sur Aadhaar en 201823. En pratique, comme pour d’autres dispositifs publics, nombre de personnes acceptent de faire le lien entre les deux par peur d’être effacées des listes — de celle des bénéficiaires des politiques sociales d’abord, puis des listes électorales. Officiellement inexistante du fait de l’interdiction énoncée par la Cour suprême, cette pratique demeure en effet mise en œuvre par les fonctionnaires de terrain afin d’obliger la population à s’enrôler dans Aadhaar.

      Les suppressions de citoyens des listes électorales au Telangana – et probablement dans d’autres États – peuvent très bien avoir résulté de simples dysfonctionnements de l’opération d’indexation (seeding) des listes électorales sur l’identifiant numérique. Mais l’existence simultanée d’un profilage des électeurs et les conflits entre partis politiques à ce sujet font lourdement planer un soupçon supplémentaire sur ces suppressions.

      L’existence de bases de données incluant les préférences politiques des électeurs rend même techniquement possible une exclusion automatisée des électeurs adverses par le ou les partis ayant accès à la fois à ces bases et à un processus de « nettoyage » (cleaning) des listes électorales comme celui lancé par la Commission électorale dès 2015 — interrompu la même année par la décision de la Cour suprême — et repris en 2020. Le même résultat peut aussi être atteint manuellement, quand la réconciliation entre l’identifiant numérique et l’identifiant électoral doit être faite par des enquêteurs en chair et en os, qui peuvent, eux aussi, obéir à des motivations politiques. Quel que soit le moyen d’y parvenir, cela aurait bien sûr pour conséquence de fausser le résultat des élections.

      L’existence de bases de données incluant les préférences politiques des électeurs rend techniquement possible une exclusion automatisée des électeurs adverses par le ou les partis ayant accès à la fois à ces bases et à un processus de « nettoyage » (cleaning) des listes électorales.

      Nicolas Belorgey

      Aux États-Unis, dans les années 2000, les Républicains promulguèrent des lois électorales qui requéraient la présentation de certaines pièces d’identité plutôt que d’autres au moment du vote (voter ID laws), avec pour objectif de rendre celui-ci plus difficile pour les pauvres ou les membres des minorités et ainsi d’orienter l’opération électorale en faveur du GOP24. En Inde, l’exclusion de certains électeurs par défaut d’identifiant numérique ou d’indexation correcte des listes électorales sur celui-ci, ou encore par l’action ciblée d’agents de terrain agissant sur des motifs politiques, pourrait aboutir au même type de résultat.

      L’identifiant numérique dessine donc une menace en deux temps sur la démocratie indienne  : tout d’abord, profiler les électeurs qui peuvent l’être — selon le modèle de Cambridge Analytica — en remplaçant les comptes Facebook dans ce pays du Sud où peu de gens en ont par des dossiers numériques construits à partir de leur inclusion dans les politiques sociales, de leurs échanges téléphoniques, etc.  ; ensuite, pour les électeurs qui ne peuvent être influencés, les exclure purement et simplement des listes électorales sous couvert de nettoyage des listes, d’élimination des « faux électeurs » ou des « doublons ». Au-delà, d’autres menaces se profilent encore, comme l’exclusion de la citoyenneté à travers la constitution d’un National Register of Citizens indexé lui aussi sur l’identifiant numérique et comportant le même type de biais.

      Bien sûr, il ne s’agit là que d’un scénario pessimiste par rapport à l’éventail des possibles. Le simple fait que la presse se fasse le relais de telles informations et qu’elles suscitent l’indignation montre que la démocratie indienne n’a pas dit son dernier mot.

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      17.05.2024 à 06:30

      La tournée européenne de Taylor Swift : témoignage du déclassement de l’Europe ?

      Ramona Bloj

      Aujourd’hui, la pop star américaine se produit pour la première fois de sa carrière à Stockholm, en Suède. Lors de ses concerts à Paris, environ 20 % du public venait des États-Unis. Pourquoi ? Il revient désormais moins cher pour un Américain de faire l’aller-retour en avion tout en profitant du Vieux Continent plutôt que de payer pour voir l’artiste outre-Atlantique.

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      Texte intégral (822 mots)

      L’Eras Tour — la série de 152 concerts où Taylor Swift se produira entre mars 2023 et décembre 2024 — créé un raz-de-marée économique partout où il passe. L’engouement pour l’artiste américaine est tel que le prix moyen d’un billet pour aller la voir en concert aux États-Unis est trois fois supérieur à la deuxième artiste la plus demandée du pays, Beyoncé.

      • L’an dernier, il fallait débourser en moyenne 1 088,56 $ pour espérer avoir la chance d’écouter Taylor Swift en live — soit trois fois plus que pour un concert de Beyoncé, Coldplay ou Bruce Springsteen.
      • Seule la chanteuse britannique Adèle est encore plus chère à voir en concert, avec un ticket à 1 243,96 $ en moyenne. Celle-ci s’est néanmoins moins produite que Taylor Swift l’an dernier, avec 57 concerts contre 661.

      Après une première phase américaine de sa tournée, Taylor Swift a commencé l’année 2024 en se produisant au Japon et en France la semaine dernière, avant de retourner aux États-Unis en octobre. Avec un peu plus de 60 dates, l’Eras Tour a rapporté un milliard de dollars de profits l’an dernier, soit la tournée la plus lucrative de l’histoire — détrônant par ailleurs le Farewell Yellow Brick Road d’Elton John, qui avait duré près de 5 ans2.

      • Au-delà de l’engouement suscité à l’échelle globale par la chanteuse, ce record s’explique par le prix auquel les tickets ont été vendus aux États-Unis : 2 600 $ en moyenne pour un concert, contre 340 $ en Europe — soit 87 % moins cher, grâce en partie à un environnement réglementaire beaucoup plus développé3.
      • À Paris, lors des quatre concerts qui ont chacun rassemblé environ 42 000 personnes la semaine dernière, 20 % du public venait d’Amérique (principalement des États-Unis) selon l’exploitant de la salle de concert4.
      • Au total, environ 33 600 Américains se sont déplacés pour venir écouter Taylor Swift à Paris plutôt qu’aux États-Unis. Pour cause, selon Google Flight, le prix moyen d’un billet d’avion Paris-New York se situe entre 400 et 1 000 € (en s’y prenant à la dernière minute).


      Toutes dépenses comprises, il revient en moyenne moins cher pour un Américain de prendre l’avion, réserver plusieurs nuits d’hôtel et prendre quelques jours de vacances dans une capitale européenne plutôt que d’aller voir Taylor Swift en concert aux États-Unis. Selon l’agence de voyage américaine Embark Beyond, les concerts de l’artiste ont attiré à Paris 5 fois plus de touristes fortunés que les Jeux Olympiques5.

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      16.05.2024 à 18:15

      Sur les réseaux sociaux, des acteurs chinois arsenalisent la relation sino-russe

      Marin Saillofest

      Depuis plusieurs mois, des fausses vidéos montrant des jeunes femmes russes souhaitant épouser des hommes chinois se répandent sur les réseaux sociaux chinois. Ces contenus générés par l’intelligence artificielle s’inscrivent dans le cadre d’une pratique préexistante visant à vanter les mérites du modèle porté par Pékin.

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      Texte intégral (941 mots)

      Aujourd’hui, Vladimir Poutine est en Chine pour sa première visite à l’étranger depuis sa quatrième réélection. À Pékin puis à Harbin, les deux chefs d’État vont célébrer « la longue et forte tradition d’amitié et de coopération » que Xi et Poutine ainsi que « leur peuple » entretiennent1.

      À bien des égards, le développement de la relation sino-russe est perçu positivement en Russie.

      • Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013, le taux d’approbation du leadership chinois par la population russe a presque triplé, passant de 25 à 71 %.
      • De la même manière, 85 % des Russes ont une bonne opinion de la Chine contre 55 % fin 2013, selon le Levada Center.

      Au-delà du rapprochement apparent entre les deux pays, la dynamique s’est inversée par rapport au XXe siècle : la Chine qui, autrefois, dépendait des financements et de l’aide soviétique durant la guerre froide, occupe désormais une position de force vis-à-vis d’une Russie fragilisée et isolée depuis le lancement de l’invasion de l’Ukraine en février 2022. Cette nouvelle donne semble être en partie à l’origine d’une nouvelle tendance sur les réseaux sociaux chinois.

      Depuis quelques mois, des vidéos ont émergé sur Douyin, l’équivalent de TikTok, et Xiaohongshu notamment, montrant des jeunes femmes disant être Russes et vouloir épouser des hommes chinois — décrivant les hommes russes comme soulards et paresseux.

      • Toutes ces vidéos sont des deep fake réalisés à l’aide d’intelligences artificielles. Si les auteurs sont inconnus, il est probable que derrière ces comptes se cachent des nationalistes chinois souhaitant vanter l’attrait que représente la Chine aux yeux des étrangers2.
      • Plus perturbant encore, une des (vraies) femmes dont le visage à servi pour ces deep fake est une Ukrainienne de 21 ans étudiant aux États-Unis. Dans les vidéos, celle-ci se présente en mandarin comme une jeune Russe résidant en Chine depuis 10 ans.
      • On peut notamment la voir (ci-dessous) faire l’éloge de la relation sino-russe et présenter à une audience chinoise les avantages liés au fait d’épouser une femme russe (bonne ménagère et cuisinière notamment).
      Capture d’écran de la vidéo publiée sur la chaîne YouTube d’Olga Loiek.

      Bien qu’appliquée ici à la relation sino-russe, l’utilisation de visages de personnes réelles pour diffuser des messages vantant la liberté et les bienfaits de la vie en Chine — notamment en opposition à la vie aux États-Unis3 — n’est pas une pratique nouvelle.

      Dans son rapport publié en avril, la branche d’experts en sécurité de Microsoft décrivait un perfectionnement des techniques utilisées par des acteurs chinois visant à « attiser les divisions au sein des États-Unis et exacerber les dissensions dans la région Asie-Pacifique, notamment à Taïwan, au Japon et en Corée du Sud » via des contenus générés ou modifiés par l’IA4.

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      16.05.2024 à 15:41

      Les « vrais » Pays-Bas contre l’islam et la « racaille » : la carrière politique de Geert Wilders en 10 points

      Matheo Malik

      Vainqueur des dernières élections, Geert Wilders vient d’annoncer un accord sur un gouvernement technique extra-parlementaire dont il ne sera pas Premier ministre. Mais comme leader du PVV, il aura une influence décisive sur le destin des Pays-Bas. Qui est-il ? Quel est son parcours ? Peut-il changer le pays de l’intérieur ? À partir de ses déclarations et de ses positionnements politiques, nous brossons un portrait en 10 points clefs.

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      Texte intégral (8152 mots)

      Le Grand Continent paraît tous les jours en ligne et une fois par an en papier. Notre nouveau numéro, Portrait d’un monde cassé. L’Europe dans l’année des grandes élections, dirigé par Giuliano da Empoli, vient de paraître. Notre travail est possible grâce à votre soutien. Pour vous procurer le volume, c’est par ici — et par là pour accompagner notre développement en vous abonnant au Grand Continent.

      Lorsque son propre parti a remporté les élections législatives néerlandaises du 22 novembre dernier avec un nombre impressionnant de 37 sièges sur 150, même Geert Wilders a été surpris. Dans son discours de victoire, il s’est empressé de déclarer que plus personne ne pouvait ignorer son Partij voor de Vrijheid (PVV). Dans le message1 adressé à ses électeurs, le mot « espoir » résonne : « Les Néerlandais n’en peuvent plus et leur vote pour le PVV reflète l’espoir que ce parti fera les choses différemment. » Selon Wilders, les gens « veulent retrouver leur pays », ils veulent plus d’argent à dépenser, plus de sécurité et de meilleurs soins de santé. Par-dessus tout, l’immigration, ou selon ses termes, le « tsunami de réfugiés », doit cesser, afin que « les Pays-Bas soient à nouveau pour les Néerlandais ».

      Geert Wilders est le chef du PVV depuis 2006, un parti généralement qualifié de populiste d’extrême droite, marqué par une forte rhétorique anti-islam et anti-Union. Ses idées ont souvent pu être comparées à celles d’autres leaders populistes comme Marine Le Pen, Giorgia Meloni ou Donald Trump. Dans son programme électoral pour les élections de 2023, visant à « rendre aux Néerlandais leur grandeur », Wilders propose de protéger la culture néerlandaise aux dépens des « Autres » — immigrés et musulmans. Il accuse les réfugiés et les immigrés d’être responsables des problèmes persistants du marché du logement, du système de santé, de l’État-providence et de l’éducation publique — raison pour laquelle il souhaite une interdiction totale des demandeurs d’asile.

      Selon Wilders, les gens « veulent retrouver leur pays », ils veulent plus d’argent à dépenser, plus de sécurité et de meilleurs soins de santé. Par-dessus tout, le « tsunami de réfugiés » doit cesser, afin que « les Pays-Bas soient à nouveau pour les Néerlandais ».

      Judith Jansma

      Il affirme que la culture néerlandaise devrait être célébrée — y compris dans ses traditions racistes comme le « Zwart Piet » — et que les récentes excuses sur le passé colonial néerlandais devraient être retirées. La version de Wilders de la culture néerlandaise célèbre les valeurs traditionnelles et rejette ouvertement le progressisme et le cosmopolitisme.  Un bon exemple en est son « tweet boulettes »2 de 2021, qui a été beaucoup commenté. Il s’agit d’une publication Twitter dans laquelle il avait partagé une image de boulettes de viande hollandaises traditionnelles fraîchement cuites avec la légende suivante : « Couscous, pas question. Vive la boulette de viande ! » S’il peut paraître banal, ce tweet résume la stratégie et le positionnement politique de Wilders : il joue sur des clichés anti-élites en mettant en avant un repas soit disant typique de la classe ouvrière et en protestant silencieusement contre le mode de vie des élites urbaines qualifiées par lui de « woke », éduquées et adeptes du véganisme. En même temps, sa préférence pour les boulettes de viande traditionnelles par rapport au couscous « étranger » fait écho à l’idée que la culture néerlandaise serait tout simplement meilleure que les cultures étrangères. Si on ne sait pas, en l’occurrence, si ces boulettes de viande sont à base de bœuf ou de porc — les deux sont possibles dans la cuisine néerlandaise — il n’est pas impossible que le tweet joue également sur une dimension religieuse, mettant à l’écart de manière implicite les musulmans et les juifs. Ce simple tweet aurait pour fonction de révéler un fossé culturel entre une « vraie » culture néerlandaise et une culture « étrangère » qui menacerait la première. On retrouve un clivage culturel similaire dans les débats sur le racisme institutionnel, les droits des LGBTQI+, l’égalité des sexes, le passé colonial, l’écologie et l’agriculture — notamment lorsque le PVV est rejoint par d’autres forces d’extrême-droite et conservatrices3

      Dans la vision de Wilders, l’islam est considéré comme incompatible avec la culture néerlandaise. C’est la raison pour laquelle il veut interdire l’éducation islamique, le Coran, les mosquées et le port du foulard dans les institutions publiques, y compris le parlement. Au-delà de « l’Autre », étranger, Wilders s’oppose également aux « politiques idéologiques libérales de gauche » : il propose à ce titre l’arrêt des subventions dans le domaine des arts et de la culture, ainsi que pour l’ensemble de la société de radiodiffusion publique. Dans son discours, la crise climatique est banalisée, et les fonds destinés à l’énergie durable et à la transition climatique sont censés être mieux dépensés pour le bien-être des citoyens néerlandais. Enfin,  Wilders entend mettre un terme au « gaspillage de milliards d’euros » au profit d’États étrangers, notamment en promettant — jusqu’à ce que cette mention soit récemment retirée de son programme — d’organiser un référendum contraignant sur un « Nexit » et en réduisant l’aide au développement ainsi que le soutien militaire à l’Ukraine. En bref, son programme va à l’encontre d’éléments cruciaux de la constitution néerlandaise  — notamment le principe d’égalité, la liberté de religion, la liberté de la presse — ainsi que d’accords internationaux — comme la Convention européenne des droits de l’homme ou l’Accord de Paris sur le climat — et met en avant une image nostalgique mais irréaliste, des Pays-Bas et de son peuple prétendument honnête et travailleur.

      Dans la vision de Wilders, l’islam est considéré comme incompatible avec la culture néerlandaise.

      Judith Jansma

      Ce message n’est pas très différent des campagnes électorales précédentes du PVV. Comment le parti a-t-il donc pu soudainement devenir beaucoup plus populaire ? La réponse généralement donnée est que Wilders se serait présenté comme une alternative raisonnable aux partis traditionnels — une version plus modérée de lui-même. Mais est-ce vraiment le cas ? Pour répondre à cette question, nous analysons la carrière politique de Geert Wilders en dix moments clefs, qui permettent de mettre en lumière son évolution en tant qu’homme politique et le développement de ses idées, en passant par sa victoire électorale en novembre 2023 jusqu’à la déclaration d’un accord sur un prochain gouvernement — où il ne sera pas Premier ministre mais continuera à exercer une influence déterminante.

      1 — L’entrée de Wilders dans la politique nationale : « rien contre l’islam »

      Wilders est un visage familier à La Haye : il est député depuis 25 ans. Élu en 1998 en tant que membre du parti de droite libérale VVD, il émerge politiquement dans une période qui a vu la montée de l’homme politique d’extrême droite Pim Fortuyn et de son parti Lijst Pim Fortuyn (LPF), devenu populaire grâce à sa rhétorique anti-immigration et anti-islam. Interrogé sur son collègue, Wilders déclarait lors d’un entretien télévisé4 en 2001 qu’il n’avait « rien contre l’islam » et qu’il considérait que les déclarations de Fortuyn étaient trop généralistes. Il ajoutait alors qu’il n’y avait rien à reprocher à l’islam en tant que religion, ni à ses adeptes, mais soulignait le danger de l’extrémisme islamique. Au lendemain du 11 septembre, ce point de vue n’avait rien d’extraordinaire.

      Wilders déclarait lors d’un entretien télévisé en 2001 qu’il n’avait « rien contre l’islam ».

      Judith Jansma

      En 2002, l’écrivaine Ayaan Hirsi Ali, d’origine somalienne, rejoint le VVD. Elle et Wilders deviennent d’étroits collaborateurs. Hirsi Ali est connue pour sa collaboration avec le cinéaste Theo van Gogh, avec qui elle a produit le court-métrage controversé Submission part I. L’attitude de Wilders à l’égard de l’islam change au cours de ces années ; dans un article5 paru dans le quotidien Het Parool en 2004, il affirme que l’islam est intrinsèquement antidémocratique et qu’il constitue donc un danger pour la société néerlandaise. Cette ligne de pensée s’inscrit dans la logique du « choc des civilisations » huntingtonien, selon laquelle le monde musulman serait en fin de compte irréconciliable avec la civilisation occidentale. À la même époque, les Pays-Bas sont sous le choc des assassinats tragiques de Fortuyn en 2002 — par un écologiste radical — et de Van Gogh en 2004 — par un extrémiste musulman. C’est depuis cette période que Wilders reçoit lui aussi des menaces de mort et qu’il vit sous la surveillance permanente de la police. Fortuyn et Van Gogh furent assassinés pour les propos qu’ils tenaient et leur mort eut un impact considérable sur les discussions contemporaines concernant la liberté d’expression. Récemment, l’hebdomadaire de droite EW prenait ce moment comme référence en publiant un article6 affirmant que la gauche créait actuellement un climat de haine à l’encontre de Wilders semblable à celui qui avait été fatal à Fortuyn. Les deux cas permettent de souligner le danger d’un « Autre » intolérant — qu’il s’agisse d’un radical de gauche ou d’un extrémiste musulman.

      © AP Photo/Peter Dejong

      2 — Indépendance et verticalité : la fondation du PVV

      Après un conflit au sein de son parti, Wilders décide de quitter le VVD en 2004 pour continuer à travailler en tant que député indépendant sous le nom de « Groep Wilders ». Ses principales préoccupations politiques à cette époque sont l’entrée possible de la Turquie dans l’Union et le référendum de 2005. Wilders participe aux élections législatives de 2006 avec son nouveau parti, le PVV, et remporte 9 sièges. Dès ces débuts, le PVV n’est pas un parti comme les autres : il n’a pas de structure démocratique. Wilders en est le leader, le président et le seul membre. Wilders est le PVV, et le PVV est Wilders.

      Dès ces débuts, le PVV n’est pas un parti comme les autres : il n’a pas de structure démocratique. Wilders en est le leader, le président et le seul membre. Wilders est le PVV, et le PVV est Wilders. 

      Judith Jansma

      Cette structure de parti remarquable est le résultat de l’effondrement du LPF de Fortuyn après les élections de 2002. Lors de ces élections — qui ont lieu 9 jours seulement après l’assassinat de celui-ci — le LPF obtient 26 sièges. La coalition formée avec le VVD et le parti chrétien-démocrate CDA s’effondre après seulement trois mois en raison de conflits internes au sein de la fraction LPF. Pour éviter que son nouveau parti ne connaisse le même sort, Wilders décide de procéder différemment : il n’y aura pas de congrès ni de sections locales du PVV, pas de bureau scientifique ni de division de la jeunesse. Un petit groupe de compagnons fidèles, comme Martin Bosma et Fleur Agema, façonne à lui seul l’organisation interne du Parti. Les 37 parlementaires élus du PVV sont majoritairement des hommes, plus de la moitié d’entre eux ont une expérience politique au niveau régional ou municipal, et on compte quelques nouveaux venus. Ils se distinguent des autres représentants des partis par le fait qu’ils ont le plus souvent suivi une formation pratique. Cela correspond également au profil de l’électorat PVV, qui attire7 principalement des personnes moins instruites et moins favorisées sur le plan socio-économique.

      3 — Radicalisation et poursuites judiciaires : « Il n’y a pas de distinction entre un bon et un mauvais islam. Il y a l’islam, et c’est tout »

      Après les élections de 2006, Wilders entre dans l’opposition. Sa stratégie peut se résumer à un deux mots : polémique permanente. Au nom de la liberté d’expression, il ne cesse de provoquer et d’insulter les musulmans, ce qui lui vaut d’être accusé à plusieurs reprises d’insulte à un groupe ethnique ou religieux et d’incitation à la haine et à la discrimination. En 2006, il publie les caricatures de Mahomet du Jyllands-Posten sur son propre site web, ce qui lui vaudra un grand nombre de menaces. En 2008, Wilders sort son court-métrage Fitna — un montage d’extrémisme islamique et de terrorisme, mêlé à des citations du Coran et à des allégations sur l’influence islamique aux Pays-Bas. Le film laisse entendre que l’islam serait une religion intrinsèquement violente, qui constituerait une menace réelle pour la société néerlandaise. L’annonce de la sortie du court-métrage suscite un grand émoi chez les musulmans du monde entier. Le projet de Wilders d’organiser un concours de caricatures de Mahomet en 2018 aurait sans nul doute suscité une réaction similaire s’il n’avait pas décidé de l’annuler. Son objectif est simple : provoquer les musulmans et utiliser leur réaction comme preuve de leur nature prétendument intolérante et violente.

      Son objectif est simple : provoquer les musulmans et utiliser leur réaction comme preuve de leur nature prétendument intolérante et violente.

      Judith Jansma

      Les sociologues Evelien Tonkens et Jan Willem Duyvendak ont qualifié cette approche de « culturalisation de la citoyenneté »8. Cette conception culturelle de la citoyenneté considère le moi occidental comme moderne, séculier, émancipé et tolérant, par opposition à un Autre rétrograde et conservateur. Selon cette logique, la culture de l’Autre — en l’occurrence musulman — constituerait un danger existentiel pour la culture dominante ; elle menacerait les valeurs laïques progressistes telles que la liberté d’expression et mettrait en péril les droits des femmes et des communautés LGBTQI+. En d’autres termes, si la défense de ces valeurs progressistes n’est traditionnellement pas une priorité des partis d’extrême droite — bien au contraire — elle doit ici être interprétée comme un discours islamophobe implicite qui légitime l’exclusion des musulmans. Il s’agit d’une tendance plus large qu’on peut également observer en France avec la fixation de Marine Le Pen sur certaines valeurs séculières comme la laïcité et qu’Olivier Roy a étudiée dans ces pages.

      C’est au cours de cette période que la rhétorique de Wilders sur l’islam se radicalise.

      Alors qu’en 2001, il faisait encore la distinction entre la religion islamique et ses croyants d’une part, et une petite minorité d’extrémistes d’autre part, il abandonne cette distinction. Dans une lettre publiée9 en 2007 dans le quotidien Volkskrant, il décrit le Coran comme un « livre fasciste » qui devrait être interdit, car « le Coran est le Mein Kampf d’une religion qui vise à éliminer les autres [non-musulmans] ». Comme l’affirme le politologue Merijn Oudenampsen dans un article paru10 dans le Groene Amsterdammer, les références de Wilders à la transformation des Pays-Bas en « province du super-État islamique Eurabia » révèlent que la rhétorique antérieure du « choc des civilisations » s’est transformée en une adhésion à la théorie complotiste du « grand remplacement ». Développée par Renaud Camus dans Le grand remplacement (2010), l’idée principale des tenants de cette théorie conspirationniste est que l’Occident sera colonisé par les musulmans — grâce à leur taux de natalité plus élevé — avec le soutien et la complicité de l’establishment. Cette fantasmagorie a désormais trouvé un large écho dans le discours populiste, mais l’importance accordés aux taux de natalité se retrouve également dans les partis traditionnels de centre-droit.

      Wilders décrit le Coran comme un « livre fasciste » qui devrait être interdit, car « le Coran est le Mein Kampf d’une religion qui vise à éliminer les non-musulmans ».

      Judith Jansma

      4 — L’arrivée de Wilders au pouvoir : un cabinet minoritaire avec le soutien du PVV

      Après les élections de 2010, où le PVV arrive en deuxième position avec 24 sièges, un gouvernement minoritaire est formé avec le VVD et le CDA — Mark Rutte est son premier ministre. Un accord est conclu avec le PVV pour qu’il apporte son soutien parlementaire, de sorte que les trois partis disposent d’une majorité. Il s’agit d’un compromis, le CDA ne voulant pas former un gouvernement avec le PVV. 

      Au cours de la campagne qui a conduit à la croissance explosive du PVV, Wilders invente les personnages fictifs Henk et Ingrid, un couple néerlandais archétypal qu’il considère comme des électeurs typiques du PVV. Grâce à cette stratégie, Wilders se positionne comme le défenseur des gens « normaux », qui luttent en période de récession économique et en ont assez d’alimenter « Ahmed et Fatima ». Wilders refuse de soutenir les plans d’austérité du gouvernement et quitte les négociations. Depuis, Rutte considère Wilders comme un partenaire indigne de confiance et refuse d’entrer à nouveau dans une coalition avec son parti. Lors des élections suivantes, le PVV perd 9 sièges et retourne dans l’opposition.

      Wilders se positionne comme le défenseur des gens « normaux », qui luttent en période de récession économique et en ont assez d’alimenter « Ahmed et Fatima ».

      Judith Jansma

      5 — « Minder, minder ! » : la méthode Wilders

      Lors d’un meeting de campagne11 après les élections municipales de 2014, Wilders pose une question au public : souhaitent-ils « plus » ou « moins » de Marocains aux Pays-Bas ? La réponse est claire, elle est scandée par toute la salle : « minder, minder ! » (« moins, moins ! »). Réaction de Wilders : « je vais m’en occuper ». 

      À la suite de l’affaire dite du « minder Marokkanen », des milliers de citoyens néerlandais dénoncent Wilders pour propos discriminatoires. En 2016, le tribunal de La Haye le reconnaît coupable d’insulte contre des groupes ethniques ou religieux et d’incitation à la discrimination. La procédure s’est poursuivie jusqu’en 2021, après plusieurs appels, et la Cour suprême a finalement confirmé le verdict précédent. Compte tenu des dommages supposés causés à l’image publique de Wilders à la suite des poursuites pénales et de la surveillance policière intrusive à laquelle il doit se soumettre, considérée comme une punition suffisante, aucune amende ou peine ne lui a été imposée.

      6 — Dans le creux de la vague populiste : comprendre le succès de Wilders

      Pourtant, il n’est pas sûr que ce procès ait réellement affecté sa réputation de manière négative. 

      À l’ère de ce que l’on a appelé la « vague populiste », après le vote du Brexit et l’élection de Trump, la nouvelle stratégie de Wilders consiste à simplement rejeter ceux qui ne sont pas d’accord avec lui en les qualifiant de fake. Après le verdict de la Cour suprême, il déclare ainsi12 que cette décision ne fait que prouver que l’État de droit a failli. Auparavant, il avait suggéré que la procédure était motivée par des considérations politiques et avait accusé les juges d’être membres du parti progressiste-libéral D66. Ces propos s’inscrivent dans son récit : Wilders serait le seul et véritable porte-parole du peuple néerlandais ce qui, selon cette logique, réduirait ses opposants politiques à des opportunistes égoïstes et antidémocratiques. Lors d’un débat sur les réfugiés, il a ainsi pu parler13 d’un « faux parlement » dans lequel les intérêts du peuple ne seraient pas défendus. Des journalistes critiques ont également été traités de « racailles » dans un tweet posté14 en 2021.

      Depuis 2016, la nouvelle stratégie de Wilders consiste à simplement rejeter ceux qui ne sont pas d’accord avec lui en les qualifiant de fake.

      Judith Jansma

      Wilders poursuit une stratégie populiste typique où le peuple est présenté comme menacé par deux figures antagonistes : l’establishment et « l’Autre » étranger. Dans le sillage de la pandémie de Covid-19, cette polarisation dans le paysage politique et dans la société néerlandaise s’accentue. En fonction de ses opinions politiques, chacun prend au sérieux ou non les recommandations du gouvernement en matière de santé, ou qualifie de « fake news » ou non les plateformes médiatiques mainstream. Au cours de cette période, Wilders est témoin de l’ascension fulgurante d’un autre parti populiste d’extrême droite, le Forum voor Democratie (FVD) de Thierry Baudet, ainsi que, plus tard, de JA21 et du BoerBurgerBeweging (BBB), un parti qui représente les agriculteurs et les citoyens désillusionnés. Ensemble, ces partis ont obtenu 48 sièges lors des dernières élections de novembre — près d’un tiers du parlement néerlandais. Le discours populiste occupe le terrain dans le paysage politique néerlandais.

      Mais pourquoi Wilders a-t-il attiré plus de voix que les concurrents qui occupent le même créneau ?

      Dans l’ensemble, la campagne de l’automne 2023 s’est concentrée sur l’immigration, un sujet clef dans l’identité du PVV, tandis que les questions agricoles, qui sont davantage du ressort du BBB, n’ont pas fait l’objet d’une grande attention. Le FVD a quant à lui souffert de quelques scandales au cours des dernières années et, en raison de l’implication de Baudet dans des théories du complot antisémites et de ses déclarations sur une « conspiration de reptiles maléfiques »15, il est devenu trop controversé pour être pris au sérieux par le grand public. Cette situation est également manifeste lorsqu’on examine le comportement des électeurs16 par rapport aux élections législatives de 2021. Parmi ceux qui ont voté pour le PVV en novembre, 39 % l’avaient déjà fait en 2021, tandis que 15 % avaient déjà voté pour le VVD, 7 % pour le FVD et 6 % pour JA21. 12 % des électeurs actuels du PVV s’étaient abstenus lors des élections précédentes.

      La comparaison avec le BBB est difficile, car ce parti était encore en phase de démarrage en 2021, mais on estime qu’après leur large victoire aux élections provinciales de 2023, de nombreux électeurs du BBB sont passés au PVV ou au nouveau Nieuw Sociaal Contract (NSC) de Pieter Omtzigt, en raison de l’accent mis sur l’immigration et les moyens de subsistance.

      La campagne de l’automne 2023 s’est concentrée sur l’immigration, un sujet clef dans l’identité du PVV, tandis que les questions agricoles, qui sont davantage du ressort du BBB, n’ont pas fait l’objet d’une grande attention.

      Judith Jansma

      7 — La « racaille » : Wilders et la presse

      La relation de Wilders avec la presse néerlandaise est paradoxale. 

      D’une part, les médias et Wilders ont besoin l’un de l’autre. Wilders pour bénéficier d’une exposition gratuite — la structure de son parti sans membres payants laisse peu de budget pour des vidéos de campagne élégantes — et les médias pour le contenu. 

      D’autre part, Wilders se méfie des grands médias, qu’il considère comme faisant partie de l’élite. L’approche de Wilders vis-à-vis des médias ressemble à ce que la politologue Ruth Wodak17 a appelé le « perpetuum mobile de la droite populiste » : susciter l’attention des médias par la provocation ou le scandale d’abord, puis poursuivre des stratégies de déni, d’ambivalence, de dramatisation du statut de victime et de désignation de boucs émissaires. Grâce à cette stratégie, dont l’affaire « Minder Marokkanen » est un exemple éloquent, Wilders est en mesure de fixer lui-même l’ordre du jour et d’encadrer les débats. 

      © Hollandse Hoogte/SIPA

      Après avoir créé un scandale — la déclaration « Minder Marokkanen » — qui a fait la une des journaux et suscité une intense polémique, Wilders a précisé18 qu’il n’avait pas l’intention de s’excuser, car il « n’avait rien fait de mal ». Selon lui, il n’avait évidemment pas demandé l’expulsion immédiate de tous les Marocains, mais les médias avaient déformé ses propos en établissant des comparaisons historiques. Une fois l’affaire portée devant les tribunaux, Wilders a joué le rôle de victime, affirmant que la procédure était motivée par des considérations politiques. Il s’est présenté comme une sorte de martyr, le seul homme politique à avoir vraiment dit ce qu’il pensait, et a déclaré qu’on ne pouvait pas l’arrêter. Une tentative de substitution des juges — que Wilders considérait comme partisans — a échoué et la procédure n’a pris fin qu’en 2021. Lorsqu’il a finalement été reconnu coupable, Wilders a répondu dans les médias19 que les Pays-Bas étaient un « pays corrompu », car « les criminels marocains qui mettent le feu à des villes et à des quartiers s’en sortent généralement ». En d’autres termes, plutôt que de s’occuper de « vrais criminels », le tribunal « politiquement motivé » aurait choisi de consacrer son temps et son argent à la persécution d’un homme politique « innocent » et « honnête ».

      Dans les médias, Wilders est en mesure de fixer lui-même l’ordre du jour et d’encadrer les débats.

      Judith Jansma

      Le processus montre également la position complexe des médias dans la couverture de l’affaire : une « situation sans issue » comme le dit Ruth Wodak20. En effet, si les médias choisissent d’ignorer Wilders, ils sont considérés comme non professionnels, alors que s’ils le font, ils offrent à Wilders de l’attention et l’occasion de donner sa version des faits. Au fil des années, Wilders est stratégiquement devenu plus sélectif dans ses prestations médiatiques, cette rareté créant un intérêt accru pour les entretiens avec lui. Cela lui permet de fixer les règles à chaque fois qu’il est interviewé, notamment sur les sujets qui doivent ou ne doivent pas être abordés.

      8 — Des amis européens ?

      Depuis la chute du gouvernement soutenu par le PVV et l’affaire « Minder Marokkanen », Wilders s’est discrédité en tant que partenaire de coalition digne de confiance aux Pays-Bas. 

      Cela a éveillé son intérêt pour une collaboration au-delà des frontières nationales. En 2013, il a rencontré à plusieurs reprises Marine Le Pen pour discuter des possibilités d’unir leurs forces au niveau européen. Cela a abouti à la création de l’Europe des nations et des libertés en juin 2015 — un groupe politique au sein du Parlement européen qui comprenait le PVV de Wilders, le Front national de Le Pen (aujourd’hui Rassemblement national, RN), le FPÖ autrichien, la Lega Nord italienne (aujourd’hui Lega), le Vlaams Belang belge, la Nova Prawica polonaise et l’ancienne membre de l’UKIP Janice Atkinson. Après l’annonce officielle, Wilders a déclaré : « Aujourd’hui, c’est le jour J, le début de notre libération. Nous sommes la voix d’une résistance européenne ». Depuis 2019, le groupe continue sous le nom d’Identité et Démocratie et a été rejoint par l’AFD allemand, le SPD tchèque, l’EKRE estonien et le DF danois (Nova Prawica et Atkinson à gauche). 

      Bien qu’une coalition internationale de forces nationalistes anti-Union, travaillant ensemble au Parlement européen, puisse sembler légèrement contradictoire, ces partis partagent une vision du monde populiste qui privilégie une tradition judéo-chrétienne commune au cosmopolitisme « élitiste » et à l’altérité non-occidentale. Le titre de la conférence de 2019 à Milan, organisée par Matteo Salvini, chef de file de la Lega, est assez révélateur à cet égard : Vers une Europe du sens commun. Les peuples se lèvent. Les citoyens sont présentés comme des experts exerçant leur bon sens, par opposition aux technocrates qui se seraient trop éloignés d’eux et du mythe fondateur de l’Europe. Récemment, Salvini a organisé une nouvelle réunion à Florence, à laquelle Wilders était censé se rendre, mais qu’il a dû annuler, embourbé dans le difficile processus de formation de gouvernement aux Pays-Bas.

      Depuis la chute du gouvernement soutenu par le PVV et l’affaire « Minder Marokkanen », Wilders s’est discrédité en tant que partenaire de coalition digne de confiance aux Pays-Bas.

      Judith Jansma

      Il y a quelques semaines à peine, en avril 2024, Wilders s’est exprimé lors de la Conservative Political Action Conference (CPAC) à Budapest, mettant en garde le public contre l’immigration massive, le « wokisme » et le relativisme culturel.

      9 — Wilders gagnant : « les Pays-Bas pour les Néerlandais »

      Avec 37 sièges, le PVV est désormais la première force du Parlement et c’est à Wilders que revenait l’initiative de former une coalition. Dans un premier temps, contrairement aux années précédentes, plusieurs partis ont fait part de leur intérêt à travailler avec le PVV, ou du moins n’ont pas exclu cette option. Alors que sous Rutte, le VVD avait toujours refusé de collaborer avec Wilders depuis la crise gouvernementale de 2012, sa successeure Dilan Yeşilgöz s’est montrée ouverte à l’idée. Cette attitude a pu motiver les membres du VVD les plus à droite à voter stratégiquement pour le PVV afin de forcer une coalition VVD-PVV. Cette hypothèse est également étayée par les chiffres de report de voix mentionnés plus haut : 15 % des électeurs du VVD aux élections précédentes sont passés au PVV.

      La victoire électorale de Wilders soulève un certain nombre de questions importantes et autant de chantiers. Tout d’abord, pourquoi le message central consistant à « rendre les Pays-Bas aux Néerlandais » a-t-il séduit autant d’électeurs ? Il est essentiel de comprendre les facteurs socio-économiques et culturels sous-jacents, et il convient d’étudier cette question d’un point de vue interculturel, en établissant des comparaisons avec la France, l’Italie et les États-Unis, par exemple. Deuxièmement, pourquoi la gauche ne semble-t-elle plus en mesure de s’exprimer sur ces questions ? De nombreuses régions où le PVV a obtenu la majorité des voix sont des régions traditionnellement « rouges », alors que les partis de gauche obtiennent de bons résultats dans les zones urbaines plus riches. Ce phénomène s’inscrit lui aussi dans une tendance internationale qu’il convient d’examiner. Enfin, quelles sont les stratégies les plus fructueuses pour faire face au populisme en politique, dans les médias et sur les réseaux sociaux ? Ces dernières années, la politique néerlandaise est devenue de plus en plus polarisée, non seulement en raison de la présence de partis populistes, mais aussi parce que la rhétorique populiste du « nous » contre « eux » a également été adoptée par les partis traditionnels. En conséquence, le centre de gravité se déplace : les populistes doivent devenir de plus en plus extrêmes pour se distinguer du courant dominant. Il est clair que cette stratégie n’a aidé Wilders que jusqu’à un certain point et que ce qui était considéré comme radical à l’époque de Fortuyn est aujourd’hui beaucoup plus courant.

      Le centre de gravité se déplace : les populistes doivent devenir de plus en plus extrêmes pour se distinguer du courant dominant.

      Judith Jansma

      10 — L’avenir de Wilders après le prochain gouvernement

      Après près de six mois de négociations entre le PVV, le VVD, le NSC et le BBB, un accord de coalition, intitulé « Espoir, Courage, Fierté », a été conclu le 15 mai 2024. 

      Le document est moins détaillé qu’à l’accoutumée, puisqu’il ne compte que 26 pages, et se montre plus franc sur les mesures de subsistance et les restrictions à l’immigration. Sur ce dernier point, les partis annoncent une « loi sur la crise de l’asile » temporaire, limitant fortement l’afflux de migrants — une mesure qui entre très probablement en conflit avec le droit européen. En ce qui concerne le climat, le nouveau gouvernement met l’accent non plus sur les émissions de CO2 et d’azote, mais sur l’indépendance énergétique, tout en conservant l’essentiel de la politique actuellement en place. En ce qui concerne les soins de santé et le logement, ainsi que le soutien à l’Ukraine, aucun changement politique majeur n’est proposé.

      La seule question qui subsiste pour l’instant est de savoir qui sera le premier ministre à la tête de ce gouvernement. Lors d’une phase antérieure des négociations, les quatre chefs de parti ont annoncé qu’aucun d’entre eux n’occuperait le poste de premier ministre et qu’ils conserveraient tous leur siège au parlement. Cette décision, ainsi que la sélection des ministres — dont 50 % viendraient de l’extérieur et ne seraient pas nécessairement affiliés à l’un des partis — sont les seules choses qui restent encore sur la table des négociations.

      La campagne avait vu apparaître une version plus modérée de Wilders — les médias avaient parlé de Geert « Milders » — présenté comme un partenaire de coalition digne de confiance, prêt à mettre en veilleuse — « au frigo » selon son expression — certaines des parties les plus extrêmes de son programme électoral comme par exemple l’immigration zéro).

      Mais si l’on examine son programme électoral et l’évolution de sa rhétorique anti-islam tout au long de sa carrière, il est clair que les idées de Wilders n’ont guère été édulcorées par le ton plus apaisé qu’il a adopté ces derniers mois. L’adoucissement de Wilders est un mythe — et une stratégie de campagne réussie. Au cours des vingt-cinq dernières années, Wilders est passé de « je n’ai rien contre l’islam » à la propagation de la théorie du complot selon laquelle les musulmans et d’autres immigrants non occidentaux remplaceront la population autochtone des Pays-Bas. Il n’y a aucune raison de croire que cela changera dans un avenir proche. Même si Wilders n’est pas Premier ministre, il est urgent de déboulonner l’image erronée d’un Geert « Milders ».

      L’article Les « vrais » Pays-Bas contre l’islam et la « racaille » : la carrière politique de Geert Wilders en 10 points est apparu en premier sur Le Grand Continent.

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