24.11.2025 à 15:39
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Un lundisoir avec Chloé Froissart & Eva Pils
- 24 novembre / Avec une grosse photo en haut, lundisoir, International, 2
Dans la continuité de notre interview avec Romain Graziani (Les Lois et les Nombres) sur l'invention asiatique du totalitarisme comme pratique et idéologie de la loi-algorithme (le fa des Légistes antiques) [1], surveillance généralisée, solidarité pénale collective et essaim corrompu de fonctionnaires-mandarins sous le pilotage du centre impérial, nous invitons Chloé Froissart, professeure de sciences politiques à l'INALCO au département d'études chinoises et Eva Pils, professeure de droit à l'université de Nuremberg, pour leur participation à l'élaboration du recueil d'articles et d'entretiens que constitue Penser en résistance dans la Chine d'aujourd'hui (dir. Anne Cheng et Chloé Froissart).
Nous avons engagé, il y a maintenant quelques temps, une conversation générale sur Lundimatin consacrée au fascisme et à ses variantes [2]. Nous n'avions pas évoqué le concept de « totalitarisme » pour de multiples raisons [3]. L'une de ces raisons est que si nous avons vu – avec Alpa Sha – les pratiques fascistes des tenants de l'Hindutva, du RSS et de Modi en Inde (dont la tonalité est d'inspiration nazie et fasciste italien) –, nous n'avions pas étudié le « fascisme » à travers l'histoire russe ou chinoise. Nous avons perçu ce qu'était la guerre en Ukraine grâce à de brillants entretiens, mais n'avions pas encore essayé de comprendre les spécificités « eurasiatiques » et asiatiques du fascisme (Russie, Chine, Japon).
Avec Penser en résistance dans la Chine d'aujourd'hui, le saut est fait. Car depuis 2012, de profondes tendances totalitaires – dont certaines viennent du Légisme antique, d'autres de l'exemple soviétique et du stalinisme, d'autres encore des délires spécifiques du Mao d'après 1957 – font retour en Chine, après une parenthèse complexe. « On assiste », comme l'écrit Chloé Froissart dans son introduction, « à une résurgence des traits fondamentaux du totalitarisme » (18). Résurgence qui s'accompagne de ce que le philosophe du groupe Socialisme et Barbarie, Claude Lefort appelait le « fantasme de l'Un ». Très concrètement la « pensée de Xi Jinping » est inscrite directement dans les statuts du Parti en 2017, la loi de sécurité nationale de 2015 a fait basculer le régime de l'exigence de « stabilité » à celle de « sécurité nationale » engendrant une « criminalisation des protestations et des dissensions » (19). Après avoir absorbé juridiquement et policièrement Hong Kong dans un long et pénible processus de résistance allant du mouvement des Parapluies en 2014 à la lutte que nous avions suivi de très près en 2019 contre la loi d'extradition, la Chine a proclamé la « loi sur la sécurité des données » de 2021 grâce à laquelle la société est intégralement « siphonnée » et rendue « transparente ». La rééducation et répression des populations ethniques mineures comme les Ouïghours (dont une grande partie de la population se retrouve dans de nouveaux laogaï qui feraient pâlir d'envie un stalinien) et les Kazakhes au Xinjiang ou les tibétains, n'en est que renforcée.
Comme son titre l'indique (Penser en résistance), l'ouvrage dirigé par Cheng et Froissart ne porte pas sur les militants, les activistes, les ouvriers grévistes ou en lutte, ni sur la jeunesse insurrectionnelle, mais sur celles et ceux qui contribuent à continuer de « penser » - au sens de produire du travail intellectuel - dans un État répressif. L'intérêt du livre, pour nous, est peut-être précisément cela : à travers une série d'articles d'universitaires, d'écrivains, de juristes et de constitutionnalistes dont les auteurs vivent en Chine ou à Hong Kong, ont été en prison ou sont en sursis, mis en retraite forcée ou ont dû fuir le pays, on perçoit d'une manière extrêmement fine les effets du totalitarisme, de la censure, de la pression sociale, du contrôle sur les « stratégies d'écriture et les formes d'expression » (36) qui permettent de les déjouer, d'éviter l'auto-censure pour continuer à critiquer, de résister, directement ou indirectement. Tantôt on dissimule une critique du pouvoir sous l'abstraction d'une réflexion formelle et juridique, tantôt on a recours au comparatisme, on parle du Japon pour parler de la Chine, on se présente comme conseiller du prince, on passe par l'utopie ou l'uchronie (très classique). « Ainsi, parler de totalitarisme à propos de l'Allemagne nazie peut être recevable car, selon le PCC, la Chine est un pays démocratique. » (37) Du coup, on se retrouve avec une analyse du totalitarisme allemand et des théories de Hannah Arendt sur la « banalité du mal » par Liu Yu, une politologue en vue qui exerce à Pékin, mais tout l'art de la réception est de comprendre que lorsque l'on parle des Allemands, on parle peut-être aussi des Chinois. Avec ce texte, on peut citer celui de Xu Jilin, qui emprunte aussi à Arendt à travers la philosophie du japonais Maruyama Masao. Car Maruyama analyse le militarisme et le fascisme japonais de la période 1926-1945 comme automatisation conformiste des attitudes, absence de pensée, dissolution de l'intériorité et de la subjectivité, perte de souci pour les idées ou les valeurs transcendantes auxquelles être fidèle dans l'action en même temps que négligence pour les perpétuelles transformations du devenir qui refusent de croire en une quelconque essence figée. Or, c'est, en même temps la restitution par Xu Jilin d'une analyse-masque qui lui sert d'adresse à ses concitoyens et camarades. Pour le philosophe japonais, masque du philosophe chinois donc, parlant des soldats japonais qui participèrent au massacre de Nankin :
« Au pays, ces hommes étaient tous des citoyens de bas étage. Mais une fois arrivés sur le champ de bataille et devenus soldats de l'armée impériale – une armée associée aux plus hauts honneurs dans le système impérial –, ils se virent soudain élevés à une position privilégiée. Leurs désirs ordinairement réprimés purent se déverser avec violence sur les civils ennemis plus faibles (…). » (102)
Ce qui me paraît essentiel, à la lecture de ce livre, c'est cette articulation entre la critique et la stratégie indirecte, l'existence de la censure et de la dénonciation étant monnaie courante. Si nos universités sont attaquées sous le vocable « islamo-gauchisme » ou « wokisme », ou encore « politiquement correct » ; en Chine, un historien qui cherche à établir des faits est un « nihiliste historique ». Pour s'assurer que personne ne sombre dans ce dangereux nihilisme,
« le PCC peut s'appuyer sur une surveillance à trois pieds : outre celle exercée par les cadres du Parti, la surveillance numérique a fait son entrée dans les universités en 2013, et se double, depuis 2014, de la surveillance exercée par des informateurs recrutés – désormais ouvertement – parmi les étudiants qui sont payés pour dénoncer tout manquement aux règles. » Enfin, last but not least, « ce sont souvent plusieurs caméras, enregistrant aussi bien l'image que le son, qui sont installées dans les salles de classe et les amphithéâtres, permettant ainsi un contrôle panoptique de ses occupants, même s'il arrive que certaines petites salles en soient encore dépourvues. » (23)
Nous qui, à Lundimatin, sommes depuis toujours de dangereux « nihilistes historiques », nous terminerons cette présentation en rappelant que si Penser en résistance en Chine ancienne nous permet de parler de Chinois qui parlent de Japonais qui lisent Hannah Arendt pour parler de la Chine, n'oublions pas que nous sommes des Européens qui parlons des Chinois (qui parlent des Japonais qui lisent Hannah Arendt) pour parler des Européens qui lisent des Chinois qui parlent des Japonais pour se comprendre eux-mêmes.
Et pour finir, un exemple de « nihilisme historique » :
« En Chine, chacun connaît à peu près ces vers de Wen Tianwiang : « Au pays de Qi, le Grand Scribe avait donné sa vie pour l'histoire… » Le poème fait allusion à un historien de l'époque des Royaumes combattants (V°-VI° siècle av. J.-C.), connu pour s'être montré inflexible et ne pas avoir transigé avec la vérité historique. Ce dernier, qui occupait la fonction de Grand Scribe de l'État de Qi, avait justement eu recours au caractère shi [caractère qui veut dire « tuer » mais en un sens injuste et félon, par différence avec zhu qui veut dire « tuer » mais comme pour réparer une injustice] pour consigner dans sa chronique le fait que le conseiller Cui Zhu avait manigancé l'assassinat du duc Zhuang, qu'il était pourtant censé servir, mais qu'il savait avoir eu une liaison secrète avec sa femme. Cui Zhu exigea du Grand Scribe qu'il amendât son texte en supprimant le caractère en question, qui lui collait, il l'avait compris, l'étiquette de régicide ; l'historien s'y refusant, il le fit exécuter. Les deux frères cadets de ce dernier, qui héritèrent l'un après l'autre de la charge de poursuivre l'œuvre de leur aîné, connurent le même sort, lorsqu'ils persistèrent, à leur tour, à maintenir la version initiale du texte de leur défunt frère. Le temps passant, Cui Zhu, de guerre lasse, finit par jeter l'éponge et reconnaître les faits. » (Penser en résistance, cf. Zi Zhongyun, « Réformer la conception traditionnelle de l'histoire en Chine », p. 56).
Sommaire de l'interview :
00:00 Intro et présentation
02:20 « Penser en resistance » et refuser les catégories du pouvoir
05:33 L'écriture autonome de l'Histoire pour contrôler et réguler l'activité politique
07:58 Le courage de la vérité (jusqu'à la mort)
11:29 Les évolutions de la Chine depuis l'arrive de Xi Jinping au pouvoir en 2012
18:08 Comment le totalitarisme s'accommode de la constitution
20:45 L'abandon des principes libéraux par Xi Jinping
28:20 Qu'elle est la nature de ce totalitarisme et comment cela se traduit dans la loi et les pratiques
33:30 « Maoïsme et paradis terrestre »
38:49 De Mao à Xi Jinping, 50 nuances de totalitarisme
42:03 La « rééducation » des Ouïghours par et hors la loi
43:51 L'évolution de Hong-Kong depuis Xi Jinping
50:13 Les manières détournées et indirectes de parler en résistance
56:53 Le langage crypté de la résistance
1:00:14 La résistance constitutionnaliste
1:03:06 Le rapport entre liberté et égalité
1:07:58 La résistance est-elle une conception occidentale ?
1:11:58 La subversion au cœur de la culture chinoise
1:14:20 Comment le Parti communiste chinois récupère la pensée décoloniale
1:18:14 Colonialisme et patriotisme du Parti communiste chinois
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Comme tout un chacune, notre rédaction passe beaucoup trop de temps à glaner des vidéos plus ou moins intelligentes sur les internets. Aussi c'est avec beaucoup d'enthousiasme que nous avons décidé de nous jeter dans cette nouvelle arène. D'exaltations de comptoirs en propos magistraux, fourbis des semaines à l'avance ou improvisés dans la joie et l'ivresse, en tête à tête ou en bande organisée, il sera facile pour ce nouveau show hebdomadaire de tenir toutes ses promesses : il en fait très peu. Sinon de vous proposer ce que nous aimerions regarder et ce qui nous semble manquer. Grâce à lundisoir, lundimatin vous suivra jusqu'au crépuscule. « Action ! », comme on dit dans le milieu.
[1] Si la notion de loi (fa) dépend d'un imaginaire de la mesure, si elle est algorithme objectif des tarifications pénales et des mérites, face à la prolifération des dissidences, elle s'adjoint des dimensions à la fois mécanique et stratégique (militaire ou cynégétique) – « gâchettes, moyeux et leviers sont devenus les blasons du stratège et du politicien obtenant la victoire non plus par la vaillance ou la force, mais par la machination. » (258). La mesure pose l'objectivité ; le mécanisme, lui, implique la « démultiplication de la puissance agissante » (259). Mobilisant des « montages » (she), comme dans les arbalètes, les barques, les roues, les arcs, les gonds et les chars, l'exercice du pouvoir se fait gâchette (xie), pivots, essieux (shu), ressorts. Le pouvoir (guan) se confond avec le shi, « pouvoir positionnel », « position de force », avantages liés à la topographie qui fonctionne sur le mode du levier, redistribuant, par la position, les rapports de force. Le souverain, par sa position prééminente, renverse son état de minorité face à ses servants. Graziani reprend à Lewis Mumford l'expression, pour désigner l'État légiste, de « super État-machine » (264). Cette conception de la position (shi) on la doit à Shen Dao qui « s'émerveille en songeant à ce que serait l'analogue, pour qui prend place sur le trône, des essieux ou du gouvernail permettant de voyager en barque ou en char au bout du monde tout en restant soi-même immobile et paisiblement assis. » (264) L'idée d'un mécanisme associé à une position offrant au pouvoir un exercice objectif et efficace est symbolisé par l'arbalète. L'arbalète appartient à l'âge des armées de masse. « Le passage de l'arc à l'arbalète dans les luttes armées est une bonne synecdoque du changement qui s'opère, à l'époque des Royaumes combattants, de l'éducation martiale des jeunes patriciens à une pratique de la guerre uniquement préoccupée d'efficacité et de force de frappe. » (269) L'arbalète, par sa gâchette, ji, son mécanisme déclencheur, met en réserve un potentiel de frappe, et peut être utilisée indépendamment de la valeur morale ou charismatique de son détenteur. On a donc une trinité notionnelle de la méga-machine du pouvoir : fa, shi, ji (loi, position, gâchette). « La notion de pouvoir de position (shi) est une simple projection sur la personne du souverain de cette idée, élaborée conjointement à la notion de fa, selon laquelle un dispositif externe doit toujours l'emporter sur le talent inné, les données perceptives ou les capacités cognitives. » (274) Selon Le Jardin des Persuasions, texte de l'époque des Han, la bouche et la langue du souverain deviennent loquet et gâchette : « il suffit de froncer l'œil ou d'esquisser une moue pour sceller le sort d'un dignitaire » (275). Mais cette mécanisation topologique du pouvoir – cette machination – ne suffit pas. Si l'exercice du pouvoir trouve avec lui sa nécessité interne, il s'expose à un « problème majeur » : « la production de sa nécessité externe » (283). Soit : le fait que nul montage (she), nul mécanisme ni outil « n'est en mesure d'assurer automatiquement que seront respectées ou appliquées les lois. » (283). Et c'est là qu'intervient la dimension stratégique et cynégétique du pouvoir et de son imaginaire. Il ne suffit pas de peser, de mesurer, de compter : il faut piéger, attraper, capturer sa population à l'aide de « filets de chasse » et des « chausse-trappes ». Guanzi, ch. 53 : « Les lois et les ordonnances sont comme des cordes de maintien, tandis que les agents de l'État sont les filets suspendus. » Par exemple, chez les Mohistes, Shen Dao, Shang Yang, Maître Guan, le rôle des fa est comparable aux fouets, aux filets de pêche (wang gu), aux lacis et filet (wei gang). Le peuple est « un magma d'énergies sauvages et erratiques » (284), bancs de poisson, essaims d'oiseaux, qu'il faut capturer dans les nasses de l'État. Graziani conclut en disant que « l'arsenal de métaphores cynégétiques et martiales est l'aspect le plus tranchant de l'affûtage notionnel » des Légistes pour « dompter et pacifier » le corps social. « Au compas et au cordeau, à la roue et au levier, s'associent la cravache et le mors, les pièges à lacets, les filets et la colle, les haches, les fouets, les scies et les épées » (287). Un véritable travail d'ingénierie cynégétique.
[2] Voir, entre autres :
Des insurrections sans lumières
Le racisme ordinaire des électeurs du RN, in lundisoir avec Félicien Faury
Producteurs ou parasites, rencontre avec Michel Feher
Fascisme et bloc bourgeois, un lundisoir avec Stefano Palombarini
Tétralemme révolutionnaire et tentation fasciste, un mardisoir avec Michalis Lianos
50 nuances de fafs, enquête sur la jeunesse identitaire, Marylou Magal & Nicolas Massol
[3] Un débat historiographique sur la pertinence du concept de Hannah Arendt pour analyser le fascisme allemand (nazisme) a conduit à des réévaluation du concept de Johann Chapoutot (qui parle de « polycratie nazie » sociale-darwinienne), Christian Ingrao, Nicolas Patin à Adam Tooze (The Wages of destruction), Martin Broszat (L'État hitlérien) ou encore David Cesarani (qui nuance Arendt dans sa biographie d'Eichmann).
24.11.2025 à 12:55
dev
Un bilan d'étape. Le bref article qui suit, paru sur le site Volere la luna, traduit par nos soins, a été rédigé par une personne engagée depuis les débuts dans la lutte des No-Tav, ces opposants à la ligne à grande vitesse Lyon Turin qui doit défigurer la vallée de Suse. Leur combat est depuis vingt ans la référence de toutes les luttes de territoires menacés par un grand projet inutile et imposé. On peut ne pas partager le pessimisme apparent de la rédactrice, on peut trouver à ce texte des tonalités attristantes, mais on peut aussi le lire comme une sorte de bilan d'étape : il rappelle l'extraordinaire richesse, l'inventivité sociale, culturelle et politique de ce combat, le courage impressionnant et la joie communicative de ses acteurs. Et il est d'autant moins démobilisateur que son final est un appel à continuer la lutte.
Avons-nous fait assez ? C'est une question qui se glisse dans la mémoire, en un jour de milieu de semaine, de milieu de mois, un mercredi de novembre, quand sur les réseaux circulent des images de l'expropriation d'une maison qui va être abattue d'ici peu pour laisser place au chantier du grand projet. Le 19 novembre 2025, Telt [la société conduisant le projet, NdT] a pris officiellement possession des maisons du hameau San Giuliano (Suse), trois d'entre elles seront abattues pour faire place au chantier de la gare internationale du Tav. Pris à peu de distance, le cliché d'un photographe montre une femme âgée qui cache son visage dans un mouchoir, sans colère, comme si elle éprouvait de la honte pour sa grande douleur. C'était sa maison depuis 1959. Le photographe d'un journal local sent le besoin d'intituler la photo : « Progrès ? »
Avons-nous fait assez pour nous opposer à ce saccage ? En mettant à disposition nos corps, les actions, les pensées, les écrits ? En mettant à disposition une bonne partie de nos vies durant ces trente ans de lutte ? Des kilomètres de pas faits dans des centaines de manifestations. Rencontres, congrès, « presidi » [piquets permanents dans des bâtiments précaires servant de lieux de rassemblement] sous d'épaisses couches de neige ou avec la peau brûlée par le soleil. Voyages à travers toute l'Italie pour rencontrer et se faire connaître. Plaintes en justice, procès. Depuis quelques jours sont prévues des initiatives pour rappeler les journées vécues pour la « Libération de Venaus » ; c'était en 2005, il y a vingt ans [1].
Cette grande participation populaire qui avait permis de courir par milliers dans les prairies, de rompre les scellés et même de faire reculer les troupes d'occupation avait été possible parce que derrière lui, le mouvement avait déjà dix ans de lutte durant lesquelles s'était construite cette participation. Les instruments utilisés avaient été diversifiés. Des habituelles assemblées dans chaque commune, à la participation aux carnavals avec des masques de carton qui rappelaient le monstre Tav qui avance… le bruit du TGV enregistré à Macon et puis diffusé à plein volume au cinéma. La participation à un concours de lese (luges) qui pendant la Fête de Saint Michel descendaient à une vitesse assez dangereuse jusqu'à Sant'Ambrogio : « La lesa est la tradition, le Tav, la destruction ». Textes théâtraux mis en scène, chants, presidi, etc. Années 90 : les réunions à Condove avec le comité Habitat et à Bussoleno avec le comité No Tav. Venait à peine de se terminer (pour une fois victorieusement) la lutte contre la méga ligne Grande-Île-Piosasco mais on n'avait pas eu le temps de la fêter parce qu'un autre front s'ouvrait. C'était en 1986, quand apparaissaient les premières nouvelles sur le grand projet. On peut dire qu'il y avait eu de l'amusement, de la joie, même à faire de la politique.
Il semble aujourd'hui impossible de transmettre cette charge d'histoires, de rencontres, d'amitiés, d'amours, de construction d'une vraie communauté. Restent les souvenirs, forts, précieux. Avons-nous fait assez ? Qu'est-ce qu'on peut encore faire ? Avec le temps, par chance, est en train de se faire un passage de témoins tandis que l'un après l'autre, les acteurs d'alors s'en vont. Beaucoup des jeunes qui sont en train de reprendre le flambeau et de développer l'opposition n'étaient pas nés. Les jeunes qui sont en train d'organiser le vingtième anniversaire de Venaus, avaient alors 10-11 ans. Peu connaissent les noms des personnes qui avaient posé les bases : les techniciens, les premiers élus, le président de l'Union montagnarde, le premier avocat qui s'est occupé de la Tav.
Ce sont des phases différentes et peut-être est-il inutile de regarder en arrière mais il faut avancer avec de nouvelles idées.
Chiara Sasso
Traduction : Serge Quadruppani
[1] Le 8 décembre 2025, policiers et carabiniers évacuent le « presidio » de Venaus, village de la vallée où devait déboucher le tunnel du Tav. Deux jours plus, des dizaines de milliers de manifestants réussissent à les chasser. A la suite de cette manif de ré-occupation, le mouvement remporta une première grande victoire, puisque ce chantier-là fut abandonné. Depuis, le lieu de ce presidio a été préempté par la mairie et est devenu un espace culturel où se tient chaque année le festival de l'Alta Felicità (du « Grand Bonheur », par opposition à l'Alta Velocità, la « grande vitesse » )
24.11.2025 à 12:55
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Sur Violette Nozières, opuscule surréaliste
- 24 novembre / Avec une grosse photo en haut, Histoire, 2
En 1933, la France est secouée par l'affaire Violette Nozière : une jeune femme a tué son père qu'elle accuse d'inceste. Alors qu'elle est présentée comme un monstre, les surréalistes publient un libelle prenant sa défense et attaquant la société bourgeoise.
Le 28 août 1933, une jeune fille de 18 ans – mineure donc à l'époque – est arrêtée pour avoir empoisonné son père et tenté de tuer sa mère. C'est le début de l'affaire Violette Nozière. Ce fait divers, à l'heure où se déploie une nouvelle génération de journaux et de magazines qui s'appuient davantage sur la photo, va défrayer la chronique en raison des enjeux qu'il recèle. D'une part, le parricide constitue le crime le plus élevé dans le code pénal. D'autre part, à travers la figure de Violette Nozière, s'ouvre le procès d'une jeunesse (prétendument) frivole qui a succédé à la génération patriotique des tranchées. De plus, celle que les journalistes qualifieront de « monstre en jupons » transgresse, les normes de genre. Enfin, au cours de son interrogatoire, Violette Nozière accuse son père d'inceste [1].
Tout autant sinon plus que le parricide, c'est d'ailleurs cette « ignoble » accusation (selon la presse) qui fait s'écrouler toute l'institution morale et symbolique du père, qui lui est reprochée. De toute façon, on ne la croit pas et elle sera condamnée à la peine de mort, avant d'être graciée. Le procès de Violette Nozière est ainsi un marqueur du tabou et du déni de l'inceste, ainsi que de l'ensilencement des victimes [2].
Parmi les rares personnes qui la croient et, plus encore, la soutiennent, figurent les surréalistes.
Mon père oublie quelquefois que je suis sa fille
L'éperdu
(…)
Mots couverts comme une agonie sur la mousse
(André Breton)
Fin 1933, ils publient une brochure, composée de huit poèmes et d'autant d'illustrations, qui bouscule quelque peu l'image convenue du surréalisme. Elle cristallise ainsi la collaboration des groupes français et belge autour de poèmes « de circonstance », dans un contexte marqué par la montée du fascisme et – à la mesure de la polarisation politique et du début de reconnaissance du mouvement –, des tensions au sein du groupe français (entraînant bientôt l'exclusion de Dali). C'est cette brochure que les éditions Prairial ont eu la bonne idée de republier, avec un poème inédit de René Crevel et une éclairante postface de Diane Scott.
En couverture, une photo de Man Ray : un N brisé – première lettre du nom paternel, Nozière – sur un lit de violettes. D'emblée, les surréalistes ont compris de quoi il s'agissait : la défense de l'ordre moral et familial dont le père, « chef de famille » selon le code civil, représente le principal pilier. Dans une sorte de complainte criminelle détournée, ils vont prendre le contre-pied des gages de moralité mis en avant par les « bons Français » – la modestie du foyer familial besogneux ; la profession du père, mécanicien de trains présidentiels ; la droiture de la mère qui défend la mémoire de son défunt mari contre les accusations de sa fille (elle ira jusqu'à se porter partie civile dans le procès) – et légitimer « l'indocilité » de Violette Nozière qui ne se plie pas à ce qui est attendue d'une jeune fille des années 1930.
Elle a de nombreux amants y compris – comble d'ignominie – étrangers et Noirs, se prostitue occasionnellement, est atteinte de syphilis et cherche à échapper au cadre étriqué de sa famille et de sa classe sociale. Les surréalistes dénoncent l'hypocrisie d'une société bourgeoise qui exploite la sexualité tout en la niant et en la censurant ; une société masculine (on ne disait pas encore « machiste ») [3] :
Étudiants vieillards journalistes pourris faux
révolutionnaires prêtres juges
Avocats branlants
(André Breton)
Et plusieurs des poèmes dénoncent la lâcheté et la complicité des amants que fréquente Violette Nozière et qui, auprès de certains, avait fait part de sa détresse.
Alors que les juges et la presse évitent le terme d'« inceste », emploient une série de périphrases pour y faire référence, tout en renvoyant les dires de Violette Nozière à une manie de mythomane ou à une stratégie de défense, les surréalistes affirment la croire et voient dans le refus de l'écouter et de l'entendre, le socle d'un mensonge qui trouve dans l'autorité du père sa colonne vertébrale. Un mensonge qui s'étend de l'école à la famille, de la publicité à la sexualité, à toute la société marchande.
et toujours ces mêmes mensonges dans les catalogues
des grands magasins
mode d'hiver fournitures scolaires lingerie
(René Crevel)
Éluard devait noter dans une formule sanglante la signification offensive du geste de Violette Nozière aux yeux des surréalistes :
Violette a rêvé de défaire
A défait
L'affreux nœud de serpents des liens du sang
Nombre d'illustrations de la brochure montrent une femme nue, sans visage ou aux yeux fermés, où s'affirme une sensualité, mais une sensualité entravée ou confrontée à quelque chose de sourd et de menaçant. Le dessin de Victor Brauner est l'un des plus chargés et des plus beaux. Une femme nue, debout, sans visage et au corps démesurément agrandi, se tient devant un mur où sont dessinées des cases remplies de symboles. D'abords abstraits et géométriques – même si on peut y deviner le schéma médical d'un sexe d'homme –, ils évoluent et se muent en allégories de l'autorité masculine d'où émergent la violence : moustaches, chapeaux, couvre-chef et képi militaires, hache, scie. Puis le blanc et le vide, comme un silence aveuglant - annonce et impunité de prochaines violences ?
Aussi limitée et située que soit cette brochure – tous les signataires sont des hommes [4] –, elle n'en donnait pas moins à voir l'ordre moral, genré, familial et social que l'attitude de Violette Nozière avait transgressé et que le surréalisme entendait faire voler en éclats. Pour conclure, laissons la parole à Benjamin Péret :
Violette
qui rentrait ensuite étudier
entre le mécanicien de malheur
et la mère méditant sa vengeance
ses leçons pour le lendemain
où l'on vantait la sainteté de la famille
la bonté du père et la douceur de la mère(…)
Plus tard ce sera sur les boulevards
à Montmartre rue de la Chaussée-d'Antin
que tu fuiras ce père
dans les chambres d'hôtels qui sont les grandes gares
de l'amour
Au croupier au nègre à tous tu demanderas de te faire oublier
le papa le petit papa qui violait.
Frédéric Thomas
[1] Lire Anne-Emmanuelle Demartini, Violette Nozière, la fleur du mal. Une histoire des années trente, Paris, Champ Vallon, 2017.
[2] Il faudra attendre, en France, la seconde moitié des années 1980 pour que la parole des victimes commence à être entendue. Reste que l'affreuse banalité du viol et de l'inceste continue de faire l'objet d'un déni.
[3] Les policiers, les avocats, les juges, le jury (et en grande partie les journalistes) qui statuent sur le sort de Violette Nozière sont des hommes.
[4] Dans la postface, Diane Scott note à juste titre que Violette Nozière incarne « une contre-muse un peu abstraite ».
24.11.2025 à 09:53
dev
Un film des Soulèvements de la terre
- 24 novembre / Avec une grosse photo en haut, mouvement climat, 2
Le 17 novembre 2025, à Saint-Aubin-lès-Elbeuf (Seine-Maritime), 500 personnes et des tracteurs convergeaient vers le site industriel de BASF, un des quatre premiers producteurs de pesticides mondiaux, en vue d'une inspection et d'une mise à l'arrêt.
Ce lundi sort un court-métrage, « Bloquer BASF », qui retrace de l'intérieur une mobilisation qui en appelle d'autres partout dans le pays.
Quatre mois après les deux millions de signatures contre la loi Duplomb, une coalition inédite de paysannes, riveraines, malades, médecins, scientifiques a décidé d'entrer ensemble en action pour stopper la production des pesticides.
« Bloquer BASF » montre comment s'introduire dans un site Seveso seuil haut quitte à en arracher la grille, puis le bloquer et l'inspecter. On y entend les témoignages bouleversants de victimes de l'agrochimie dans l'hexagone et une dénonciation en acte du colonialisme chimique dont ce site est emblématique.
Deux semaines après les révélations sur Sainte-Soline, on y constate que la police française en est arrivée à un tel niveau d'indignité que ses hommes sont prêts à frapper à terre des personnes malades qui pourraient être leurs grand-mères. Et pourtant, pour Gilles, Gisèle, José, Michel, Jean-Claude et leurs amies, quand on a 70 ans et que l'on a été systématiquement intoxiqué, il n'est désormais plus question de reculer pour mettre fin à cette industrie criminelle. Illes appellent les jeunes générations à sauver les corps et les terres et à les accompagner !
Dans la continuité de cette action, les Soulèvements de la terre ont sorti une cartographie de tous les sites liés à la production de pesticides en France visible ici.
L'action de blocage du site de Saint-Aubin-lès-Elbeuf était menée à l'appel de la Confédération paysanne, du Collectif de Soutien aux Victimes des Pesticides de l'Ouest (CSVP0), de Cancer Colère, des Faucheurs Volontaires, et des Soulèvements de la terre, avec le soutien des Amis de la Terre Rouen et de la Via Campesina.