28.04.2025 à 07:44
dev
France, je t'ai tout donné, et aujourd'hui, je ne suis rien.
Même pas les moyens de me payer une chambre de bonne.
Je n'en peux plus de tes amours Tinder.
Va te faire foutre avec ton Jupiter.
Mayotte sans eau, Martinique sous chlordécone, Kanaky suffoquant sous placage ventral,
Bravo l'innovation cocorico !
Tes roublardises sont trop pour moi.
Je ne vis pas pour être ubérisée.
France « fière de Depardieu », vraiment ?
Es-tu sinistre ou est-ce encore une de tes blagues ?
Tu m'as fait militante queer-anarcho-pyromane.
Je survis à coups de pâtes Lidl, de glanages et de vols Peter Pan chez Sephora.
Il doit y avoir des moyens de résoudre ça dans le calme.
Je n'en peux plus de tes caprices d'enfant gâtée.
Chaque fois que je fais un pas en avant, tu me files une prune pour excès de vitesse.
Chaque fois que je ferme les yeux, tu inondes mes rêves de jambes épilées.
À la fête de la musique, tu m'as jetée dans la Loire, à sainte-Soline tu m'as prise en embuscade.
Depuis, j'ai démissionné de l'éducation nationale.
Vas-tu laisser Donal Trump décider de ton futur ?
Je suis obsédée par Elon Musk.
Je me connecte sur X dès que je peux.
Au réveil, dans les transports, les conseils de classe.
Les algorithmes me parlent de tatouages love is blind, de bitcoin et vidéos de chats.
Les vidéos de chats sont regardées.
Les vidéos de chattes sont regardées.
Toutes les minettes sont regardées, sauf moi.
Je ferais mieux d'évaluer mes ressources nationales.
Mes ressources nationales consistent en de délicieux croissants au beurre, quelques barrettes, Aya Nakamura parée d'or, valises LVHM, CRA cracras, HP HS, poudre de perlimpimpin.
Après avoir institutionnalisé Macdonald restaurant national, je m'attaque à l'obésity.
Il me semble de plus en plus clair que la France, it's me !
Je me fais de nouveau la conversation.
Après tout, France, c'est toi et moi qui sommes parfaites, pas le monde à venir.
Putain France,
Comment puis-je écrire un poème patriotique avec ton humour de larve ?
Bientôt le temps des cerises !
Il reste que j'admire ta télévision. Pascal Praud, Hanouna, de grands esprits libérateurs des consciences.
France #JesuisCharlie, pas de hashtag pour Luigi ?
Moi Présidente, je gracierai les arracheurs de chemises des dirigeants d'Air France.
France excrément qui sauve Benalla de la tourmente.
Si je ne craignais pas la censure, je ferais pipi sur ton hymne et ton drapeau.
Entre nous.... peut-être que c'est déjà fait, mais c'est notre petit secret !
Après maintes réflexions, mon psychiatre pense que de nous deux, c'est toi la folle.
Tu continues à t'arrimer aux croisades dans des soliloques naphtalines :
C'est de la faute aux méchants musulmans.
Aux musulmans, aux musulmans, et aux terroristes. Et aux musulmans.
La Musulmanie va nous manger tout cru. La Musulmanie folle de pouvoir. Elle veut s'accaparer nos plages et nos défilés de mode.
Elle vouloir prendre Cap d'Agde et première dame ! Elle vouloir faire de nous burkini.
Elle vouloir envoyer Femen dans désert. Elle gros émirats remplaçant choucroutes par couscous.
Ça pas bon. Hugh. Elle vouloir faire Mohamed prénom français. Elle vouloir libérer Palestine.
Ha. Elle nous vouloir avoir plusieurs femmes. Help.
Ô France,
Cher pays de mon enfance,
Ma mamounette retraitée pense que ça sert à rien d'écrire un poème, qu'ils en tous rien à foutre.
CNews a décidément bien fait son travail.
Juliette
28.04.2025 à 07:32
dev
Si le mouvement autonome italien a connu, ces dernières années, un véritable regain d'intérêt en France, permettant d'en saisir toute la richesse et la complexité, force est de constater que rien de comparable ne s'est encore produit pour le mouvement autonome allemand. Pourtant, de cette scène de squats foisonnante, de ces journées d'émeutes magnifiques, de ce mouvement antinucléaire massif et offensif, du black bloc lui-même — pratique avant tout allemande —, mais également de cette impressionnante capacité à se constituer en force matérielle, offrant un contre-monde antagoniste à la société capitaliste, il y aurait bien des choses que les francophones devraient apprendre. Grâce aux éditions La Tempête, il est enfin possible de lire — et de voir, grâce aux très nombreuses photographies contenues dans l'ouvrage — une histoire de ce mouvement explosif, écrite par un militant de la première heure.
Feu et Flamme, de Geronimo, est un livre qui ne se satisfait pas d'un discours objectif et neutre, mais analyse de l'intérieur les forces et les faiblesses de l'un des mouvements révolutionnaires les plus radicaux d'Europe. Son titre est une reprise d'un slogan utilisé dans les manifestations autonomes de l'Allemagne de l'Ouest : Du Feu, des flammes pour cramer cet État et ses prisons.
À la fin de l'année 1982, le stationnement des missiles menaçant de se réaliser à l'automne 83, les camarades de Hambourg tentent de mettre en place une coordination interrégionale des groupes autonomes. Deux rencontres sont organisées à cette fin, à Hanovre en février et à Lutter en juin. Les débats qui ont lieu à Lutter tombent au moment où un affaiblissement des nouveaux mouvements sociaux (antinucléaire, anti-guerre, squats) se faisait ressentir. Les structures organisationnelles créées pour la préparation de la manifestation contre Reagan s'étaient par exemple totalement dissoutes peu après le 11 juin, avec pour conséquence un travail de solidarité et de soutien insuffisant en faveur des personnes arrêtées lors de l'action. Ce n'est qu'au prix de grands efforts qu'un minimum de soutien put être apporté aux prisonniers face aux procès qui se préparaient.
Cet état de fait s'inscrivait dans un contexte d'isolement croissant des autonomes au sein du mouvement pacifiste qui prenait de l'ampleur, rendant nécessaires une prise de position et une stratégie communes du camp autonome :
« La situation est la plupart du temps très similaire dans les différentes villes : le milieu de gauche vole en éclat, il n'y a presque plus d'assemblées unitaires ou de discussions politiques, les groupes se retrouvent lors des actions (le plus souvent des manifestations) et se perdent ensuite de vue. Nous ne faisons que réagir aux vacheries de l'État et allons d'une action à une autre, d'un sujet à l'autre… Il n'y a presque pas de liens et d'échanges entre les différents courants politiques, il n'y a pas d'analyse commune de la situation, pas de stratégie partagée à partir de laquelle choisir nos cibles et nos actions et développer des continuités… » (Vorbereitungsmaterialien)
Au sein du groupe de préparation, il fut proposé de discuter de ce que les autonomes avaient en commun, au-delà de tout débat stratégique sur les perspectives du mouvement anti-guerre. Voici ce qui fut dit :
« Aspirer à l'autonomie est avant tout lutter contre l'aliénation politique et morale de la vie et du travail – contre la fonctionnalisation des intérêts différents, contre l'intégration de la morale de nos ennemis – la tentative de se réapproprier la vie… Cette aspiration s'exprime lorsque des maisons sont squattées pour se loger dignement ou pour ne plus devoir payer des loyers exorbitants, lorsque les travailleurs se font porter pâle parce qu'ils ne supportent plus d'être surveillés au travail, lorsque les chômeurs pillent des supermarchés… Lorsqu'ils ne se contentent pas de rejoindre les revendications des syndicats pour plus d'emplois, qui ne signifient en réalité que plus d'intégration, d'oppression et d'exploitation. Partout où les gens commencent à saboter les structures de domination politique, morale et technique, un pas est fait vers une vie auto-déterminée. Notre aspiration à l'autonomie doit aller de pair avec des débats politiques ouverts à d'autres manières de penser… et des efforts permanents pour diffuser nos idées, qui sous-tendent notre vie et nos actions. »
Les débats lors de la rencontre de Lutter (du 18 au 24 juillet 1983) étaient cependant principalement marqués par les controverses sur la situation actuelle du mouvement pacifiste et les événements qui s'étaient déroulés lors d'une manifestation de groupes autonomes et anti-impérialistes à Krefeld.
Deux manifestations ont lieu à Krefeld à l'occasion de la visite du vice-président américain, George H. W. Bush. Le mouvement pacifiste appelle à un rassemblement dans un stade excentré contre le projet de déploiement de missiles de moyenne portée et auquel participent 25 000 personnes. De leur côté, les groupes autonomes mobilisent à travers toute l'Allemagne de l'Ouest sur une ligne clairement anti-impérialiste. Ils appellent à une manifestation indépendante, contre la doctrine martiale de l'OTAN, sans essayer d'intervenir dans l'organisation du rassemblement du mouvement pacifiste. La manifestation autonome devait passer à travers le centre-ville de Krefeld et se diriger vers le lieu où Bush était accueilli, mais presque immédiatement après le départ, les quelque 1 000 camarades se retrouvent bloqués par des commandos du SEK et se font attaquer. Il y eut plus de 60 blessés, dont plusieurs graves, 138 arrestations qui donnèrent lieu à plus de 50 condamnations allant d'amendes et de Strafbefehlen [1] jusqu'à des peines de prison de deux ans. La majorité du mouvement pacifiste se désolidarise de la manifestation le jour même.
La débâcle de Krefeld montre comment une offensivité politique et pratique mal préparée peut jouer en faveur du calcul étatique d'intimidation indistincte et de division politique. Les affrontements qui suivirent donnèrent des groupes autonomes l'image de victimes de la répression de l'État, mais aussi d'objet sans défense d'un « débat sur la violence » à charge au sein du mouvement pacifiste. À l'été 1983, ce « débat sur la violence » est de plus monté en épingle par des rapports officiels de différentes administrations de la sûreté d'État (Office fédéral de la police criminelle, le parquet général fédéral, l'Office fédéral de protection de la constitution, etc.), avec l'aide des médias de masse libéraux. C'est ainsi que paraît un numéro du STERN avec en couverture une main levée tenant un pavé, accompagnée du titre « Violence – non merci ! ».
Dans ce contexte des camarades d'Hambourg notent, avec autocritique, dans un article en vue de la rencontre de Lutter :
« L'objectif des groupes autonomes (l'abolition du système capitaliste, et pas uniquement du programme nucléaire) s'est souvent cristallisé dans la question des formes de résistance et a été monté en épingle à partir de la confrontation avec l'appareil policier. Surtout ces derniers temps, cette dernière est devenue le lien apparent entre des groupes très différents (squatteur.euse.s, groupes antinucléaires, groupes anti-impérialistes, etc.) et a, en plus d'avoir provoqué l'incompréhension et la méfiance de nombreux autres groupes, fait des “groupes autonomes” un concept que l'État utilise systématiquement et très consciemment afin de réduire nos positions à la question de la violence. »
Les discussions sur l'intervention dans le mouvement pacifiste voient émerger deux positions principales. La rédaction d'AUTONOMIE à Hambourg est plutôt sceptique :
« Les événements à Krefeld ont clairement montré à quel point les chances sont faibles que le mouvement pacifiste dans sa diversité soit favorable à un soutien mutuel entre différentes formes d'action et qu'il devienne un facteur déterminant contre le déploiement des missiles. »
À l'inverse, certains groupes autonomes s'expriment en faveur d'une participation aux actions d'automne, qu'ils conçoivent comme pouvant être un élément de « radicalisation » :
« Il nous semble important de combattre l'OTAN dans sa structure et ses installations militaires de toutes les manières possibles. Ce n'est qu'ainsi que les gens prendront conscience de la complexité de cet appareil de pouvoir militaire, et la résistance contre les missiles de moyenne portée peut elle aussi jouer un rôle stratégique de ce point de vue. Nous considérons notre résistance contre les trains transportant des bombes comme un pas dans cette direction. Elle offre la possibilité d'affrontements ininterrompus et concrets pour les groupes antimilitaristes… Une attitude offensive face au déploiement de missiles à l'automne ne sera in fine pas possible sans un travail antimilitariste au niveau régional et local. Les convois de matériel militaire auront leur importance dans ce contexte aussi. » (Autonome Gruppen aus Hannover in : Vorbereitungsmaterialien)
Les discussions à Lutter ne permettent pas de faire avancer l'organisation des autonomes par rapport à l'« automne des missiles ». Les autonomes avaient certes toujours réussi à s'organiser, même au-delà de l'échelle régionale, lorsqu'il s'agissait d'une action en particulier, mais les structures élaborées à cette fin se délitaient la plupart du temps rapidement après l'événement en question. Une des raisons était qu'une organisation nécessitant des rencontres fédérales régulières se retrouvait toujours confrontée au problème de la structuration hiérarchique, ce qui allait à l'encontre des principes de la plupart des autonomes. Ces tentatives devenaient par ailleurs souvent des substituts à l'absence de liens locaux et régionaux entre autonomes – ce qui compliquait le fait d'élaborer des analyses et des stratégies communes au-delà de certains événements. Après 1983, les groupes autonomes n'essayèrent plus de s'organiser au niveau fédéral – exception faite de la campagne contre le FMI.
Le contexte politique est par la suite marqué jusqu'à l'« automne des missiles » par le fait que le mouvement pacifiste – majoritairement dominé par de grandes organisations centralisées – parvient par une non-violence idéologisée à marginaliser toute dimension anti-impérialiste et révolutionnaire de la protestation. L'unique consensus portait sur des armes spécifiques et les actions visaient à exprimer auprès des dominants le souhait du maintien de la « paix », ou autrement dit du « statu quo impérialiste ». Ce faisant, les actions qui se voulaient protestataires se limitaient à des gestes symboliques de soumission à l'État et vides de sens, qui plus est prévisibles par la police. Les positions des autonomes gênaient le besoin d'harmonie du mouvement pacifiste et ces derniers devaient donc être écartés. Dans ce contexte, le mouvement pacifiste développe des formes nouvelles de collaboration avec l'État (discussions entre les flics et les « chefs du mouvement », ligne directe entre les flics et les organisateurs des manifestations), visant à contrôler les autonomes, voir à les livrer manu militari aux flics.
Malgré toutes les contradictions, les autonomes participent massivement aux actions de blocage de Bremerhaven/Nordenham et du bâtiment des éditions Springer lors de la semaine d'actions du mouvement pacifiste, du 13 au 22 octobre 1983. Ils se reposent lors de ces deux événements sur le travail acharné des groupes antimilitaristes de la région d'Unterweser, qui s'étaient notamment réunis au sein du Komitee gegen die Bombenzüge (KGB), ainsi que sur les structures autonomes d'Hambourg.
Les forces bourgeoises et traditionnelles du mouvement pacifiste exercent cependant leur hégémonie politique tout au long des actions. Même l'approche régionale antimilitariste, contre l'infrastructure quotidienne de l'OTAN, des groupes du KGB fut intégrée par la stratégie d'alliance du mouvement pacifiste et put être rendue inopérante politiquement. Les autonomes réussissent à prendre la tête du cortège de la manifestation de Bremerhaven, mais une gestion habile de la manifestation isole le bloc autonome du reste des manifestant.e.s. Il se retrouve ainsi totalement seul, concrètement et politiquement, face à l'entrée du port qui est bloquée à la fois par les flics et des non-violent.e.s qui font un sit-in. Complètement désorienté, le bloc autonome erre pendant des heures, épuisé et fragmenté, dans la ville jusqu'à ce qu'il atteigne le soir les casernes américaines aux abords du port, dans une zone isolée, et devienne le jouet d'une police en supériorité numérique. L'ensemble de ce déroulé déprimant de la manifestation de Bremerhaven est caractéristique de l'impasse dans laquelle se trouvent les autonomes en ce qui concerne le mouvement pacifiste.
La « question de la violence », qui n'avait pas été résolue, est un point de blocage et les débats sur le fond qui avaient été évités ne peuvent plus être rattrapés. La participation des autonomes aux actions avait donc été perçue comme imposée au mouvement pacifiste, presque un putsch, ce que le déroulé de la manifestation démontre de manière on ne peut plus évidente. L'espoir nourri par de nombreux autonomes de tout de même pouvoir radicaliser le mouvement pacifiste rencontre un mur. Des autonomes de Berlin-Ouest commentent avec justesse et beaucoup de sarcasme : « Entre Brême et Bremerhaven, il y a 60 kilomètres et trois ans. »
Les craintes exprimées initialement d'un « piège de Bremerhaven » ou d'une « action de nettoyage à l'italienne » dans le cadre de l'automne des missiles ne se réalisent cependant pas non plus. L'isolement politique total des autonomes rend ce type de répression étatique superflue. Lorsque peu avant le rassemblement massif du 22 octobre à Hambourg, une manifestation de solidarité à la Hafenstraße [2] se fait attaquer par les flics et que 150 camarades se font arrêter, le mouvement pacifiste reste de marbre. La Hafenstraße n'avait rien à voir avec le désir de paix. Le mouvement exprima une dernière fois sa peur des nouveaux missiles nucléaires lors de sa semaine d'actions puis tout le monde rentra chez soi. Un mois plus tard, l'installation des missiles se fit sans résistance notable. En janvier 1984, Révolutionäre Zellen/Rota Zora constatent dans un article tonitruant intitulé « Krise – Krieg – Friedensbewegung » (Crise – Guerre – Mouvement pacifiste) :
« Les nouveaux mouvements sociaux – ça, le mouvement pacifiste l'a rendu très clair – avancent de plus en plus à contre-courant de la question des classes, parasitent toute question sociale et prennent un virage à droite. Il devient plus que douteux de se rapporter à eux comme seule référence de pratique révolutionnaire. Ce “on y va” qui donne plus d'importance à la mobilisation en tant que telle qu'à ses positions et ses objectifs, ne peut plus suffire. »
Malgré leurs expériences déprimantes lors de l'automne des missiles, les autonomes continuèrent à s'organiser encore un certain temps dans le mouvement pacifiste, mais leurs actions n'auront pas permis de radicaliser un mouvement qui touchait déjà à sa fin. À l'automne 1983, le mouvement pacifiste a déjà dépassé son apogée et ne parvient pas à se défaire de son obsession pour la « politique de paix et de désarmement » menée par l'État. Alors que sa prophétie d'une guerre imminente (« Ayez peur, la mort atomique nous menace tous ! », « Il est minuit moins cinq ! ») ne s'était pas réalisée et que la tendance mondiale était au contrôle de l'armement, ce sur quoi se fondait la légitimité de sa politique catastrophiste s'effondre. D'autre part, le déploiement sans accroc des missiles avait démontré l'inefficacité de leur stratégie légaliste. La répétition d'actions de masse aussi inefficaces que ritualisées (marche de Pâques de 84, plébiscite) n'aura pas pu stopper le processus de délitement du mouvement.
Quand bien même les actions de Hildesheim et de la région de l'Unterweser n'étaient pas vraiment des échecs, ils marquèrent la fin des actions d'ampleur des autonomes dans le domaine du pacifisme, en raison de l'absence de résonance à large échelle.
(…)
Dans cette petite fenêtre sur l'histoire, le terme aux multiples facettes d'« autonomie » n'occupe qu'une place périphérique. Il y a deux cents ans déjà, une poignée de penseurs des Lumières tout sauf insignifiants, parmi lesquels Kant et Hegel, s'acharnaient sur ce concept. Je ne le savais pas encore à la fin des années 80, car ma curiosité ne m'avait à l'époque (malheureusement) pas encore poussé à remonter aussi loin dans le passé. Le préciser permet du moins de souligner qu'il faudrait un jour s'intéresser sérieusement au concept d'autonomie. Il semble depuis peu avoir été réduit de manière simpliste au lieu commun d'indépendance. Or, se référer en permanence à une indépendance imaginaire, sans jamais nommer clairement de quoi ou pour quoi, est tout simplement une entreprise vide de sens, construite sur des bases bien fragiles. Il faut en effet comprendre, particulièrement aujourd'hui à l'aube du 21e siècle, que nous vivons dans un contexte où nous sommes plus que jamais dépendants les uns des autres. Ne pas inclure cet état de fait dans les réflexions sur le concept d'autonomie et à l'inverse s'adonner à un culte aveugle de l'indépendance se limite alors souvent à des pratiques d'un individualisme exacerbé, égoïste et bourgeois des plus désagréables. Ce sont précisément ces formes de circulation et de socialisation qui sont très concrètement nécessaires au système capitaliste. Pour le formuler encore plus clairement : certaines formes de circulation considérées sans recul sous le label d'une soi-disant indépendance ont toujours été subies avec beaucoup de brutalité par beaucoup de personnes évoluant dans le milieu autonome des années 80.
Peut-être faudrait-il réfléchir à la définition provocante de Bodo Schulze, selon laquelle : « l'autonomie est une chose fragile – ou plutôt : l'autonomie n'est pas une chose, mais une forme de circulation entre des individus, qui s'associent en vue de détruire l'ensemble des rapports de domination. Cette forme de circulation ne peut pas être théorisée. Les théories n'ont pas de prise sur ce type d'objets, qui ont une existence propre – qui existent en eux-mêmes. L'autonomie est un tel objet. L'autonomie a une existence en soi. Elle est seulement dans la mesure où les hommes agissent en vue de la révolution ».
D'un point de vue politico-historique, l'histoire des autonomes de RFA doit se pencher sur la position de certains camarades, selon lesquels l'autonomie serait une « exportation italienne » qui aurait en RFA et à Berlin-Ouest perdu son caractère prolétarien au profit d'une « expression petite-bourgeoise individualiste typiquement allemande ». Qu'en est-il ?
Peut-être une définition de l'autonomie de Johannes Agnoli, formulée précisément à l'intersection des expériences italienne et ouest-allemande, autour de 1975, peut-elle nous éclairer :
« L'autonomie dont je parle c'est l'autonomie de classe… à la fois en tant que mouvement de classe, le mouvement des ouvriers contre le capital, le mouvement du travailleur en tant que sujet de la production contre celui du travailleur en tant qu'objet de la mise en valeur ; et, au-delà de l'usine en tant que tendance ou mouvement des masses indépendantes contre la tentative du capital de les considérer comme des objets de la transformation de la plus-value en profit, comme des objets de consommation. Dans les deux cas, l'autonomie est la tentative… de la classe, dans la lutte pour son émancipation, de s'autonomiser du mouvement du capital, du mouvement cyclique du capital… L'autonomie de classe signifie… que le mouvement de classe en tant que mouvement d'émancipation, en tant que processus de prise de conscience, évolue de manière totalement indépendante du cycle économique… Si en RFA le soulèvement des ouvriers contre la mise en valeur est encore très en retard… dans la reproduction de l'ensemble de la société, le soulèvement en faveur de la valeur d'usage contre la valeur d'échange a plutôt pris des formes assez concrètes… L'autonomie du mouvement du capital peut s'exprimer, tel qu'en RFA, comme le refus que tout un chacun soit pris dans le processus de réalisation sur le marché… L'autonomie signifie… non un refus du principe d'organisation, mais bien un refus d'une quelconque organisation qui développe un intérêt propre qui n'est plus l'intérêt de classe… Ce que je veux dire c'est ceci : l'autonomie de classe n'est pas contre l'organisation. Ce sont bien plutôt les organisations traditionnelles qui ne sont plus en mesure de représenter les intérêts de classe. » (Langer Marsch, février 1976)
Peu importe. Lors de discussions, en particulier sur le passé, avec d'anciens camarades, ou d'autres encore actifs, il faut garder à l'esprit qu'ils ont parfois tendance à généraliser leurs expériences, qui sont parfois terminées depuis longtemps, dans tel ou tel jardin ouvrier. C'est une façon de faire : s'attribuer du moins a posteriori une grande importance. Or, ce qui réveille chez certains un souvenir agréable n'a aucune raison d'être pertinent pour d'autres personnes et encore moins dans un contexte différent. Celui qui résume donc l'histoire des autonomes d'aujourd'hui à un simple produit d'export italien, doit à juste titre accepter de se voir poser la question suivante : ces derniers n'existaient-ils pas déjà dans la société allemande des années 50 et 60, même s'ils ne s'appelaient eux-mêmes pas ainsi ? Remémorons-nous à ce titre simplement les émeutes des Halbstarken [3] dans les concerts de rock des années 50, ce qu'on appelle les Schwabinger Krawalle [4] à Munich en 1962 et les militants de la Subversive Aktion [5] du milieu des années 60. Ces cas montrent que l'esprit de l'autonomie dans ces contrées n'est pas uniquement d'origine italienne, mais en réalité bien plus ancien que ce que l'extrait historique que je vous propose laisse à penser. Cet esprit semble depuis un certain temps déjà avoir hanté les nuits des dirigeants et leur avoir provoqué des maux de tête. S'il s'agit cependant de l'influence politique réelle de la gauche radicale dans la société allemande, il semble plus pertinent de représenter l'histoire des autonomes comme résultat de conflits et d'affrontements politiques depuis 1967.
La description des autonomes des années 80 présente cependant une autre difficulté : l'utilisation indiscriminée de termes tels que « mouvement des autonomes », « radicaux de gauche », ou « puissance politique des autonomes ». Dans l'« étude » qui suit, il a ainsi été renoncé à une définition figée de l'objet mouvant que sont les « autonomes », notamment pour éviter de lui faire violence par l'usage aussi autoritaire qu'arbitraire d'un seul terme.
L'on peut tout de même dire, avec prudence, que le terme de gauche radicale est compris dans les années 60 et 70 comme ce qui se situe résolument à gauche des organisations du mouvement ouvrier classique, sans tout à fait se recouper avec les formes et les théories traditionnelles de l'anarchisme. Son sens a évolué dans les années 80 : à cette époque il décrivait plus précisément ce qui se situait à gauche du parti des Verts. Il existait dans les années 80 toutefois d'autres groupes qui se définissaient eux-mêmes comme de gauche radicale, mais qui se distinguaient volontairement des autonomes.
Ce livre n'a pas la prétention d'être une représentation exhaustive de toute l'histoire de la gauche radicale allemande. Il manque ainsi un chapitre, initialement prévu, sur l'histoire de la gauche radicale à Berlin-Ouest. Cette ville a été, avec Francfort, l'épicentre de l'agitation et de l'action de la révolte étudiante de 68. Cela est notamment perceptible à travers le foisonnement de la culture des revues – qui se poursuit depuis Linkeck, 883, Fizz, Info-Bug, Radikal jusqu'à Interim aujourd'hui. Il est encore possible de nos jours de lire avec enthousiasme certains passages du livre Die Gücklichen de P. P. Zahl, dans lesquels il décrit en détail l'organisation et le déroulé des « manifestations de lutte » massives de mai 1970 contre l'invasion des impérialistes américains au Cambodge. Ici et là, lors de manifestations, on chante encore quelques phrases percutantes de la chanson légendaire Rauch-Haus des Scherben. Et il y a aussi le Blues, le Tommy Weisbecker Haus, les procès d'Agit, la lutte pour des maisons des jeunes autogérées, la présence sur le terrain contre la destruction de logements et les loyers exorbitants et la présence sur le terrain tout court…
Le milieu de gauche radicale des années 70 et 80 n'a à aucun moment disposé d'un organe de communication commun et transversal, par exemple sous la forme d'un journal ou d'une organisation contraignante. Certains aspects d'événements offensifs-spontanéistes et anarchistes-individualistes sont ainsi difficiles à retracer chronologiquement, comme le serait l'histoire d'une organisation, et donc à retranscrire. Nombre de camarades qui prenaient part à tel ou tel conflit ou telle ou telle lutte dans les années 70 avaient mieux à faire que de s'enfermer dans un bureau pour faire un bilan bien propret de leurs efforts politiques. Et comment généraliser dans un récit le fait qu'il arrivait constamment qu'à un endroit des camarades laissent tomber la politique par frustration et qu'à un autre endroit, au même moment, d'autres camarades commençaient quelque chose de totalement nouveau ? Peut-être que cette sorte de désorganisation a justement permis une grande diversité d'initiatives et de tentatives qui n'instrumentalisaient pas la politique. Face à cela, le désir de systématiser cette histoire dans un récit historique est secondaire.
Pour des raisons de logique et de lisibilité, des idées seront développées, qui n'ont peut-être jamais existé telles quelles en pratique. Par ailleurs, la répartition en trois blocs temporels – la révolte de 68, les années 70 et les années 80 – est simplement une béquille choisie arbitrairement pour mieux identifier certains axes de développement. Dans ce contexte, on ne peut suffisamment souligner que tous les liens existent 1. « en soi », 2. sont « complexes » et 3. « contradictoires », et qu'ils sont bien entendu toujours étroitement « liés », de la même manière que toutes les frontières sont difficiles à tracer.
La rédaction de la première version de Feu et Flammes était motivée, entre autres et de manière sous-jacente, par la volonté de faire une liste des nombreuses erreurs de départ, accompagnée d'une description précise du lieu, voire même de l'heure où ces erreurs avaient été commises. Avec un recul que seul le temps permet, je dirais aujourd'hui que les dispositions petites-bourgeoises de ma conscience antiautoritaire m'ont parfois poussé à traiter le royaume de la liberté comme une petite propriété privée, faisant ainsi mien le principe douteux du droit de possession d'un territoire sans maître. Qu'on veuille bien me le pardonner, et tout particulièrement Hans Jürgen Krahl qui m'a inspiré cette réflexion. Cette nouvelle conclusion m'encourage pourtant à en appeler aux lecteur.ice.s : reconstituons aujourd'hui notre histoire, non comme anecdote ou événement particulièrement héroïque, mais en tant que processus animé et à tout point de vue surprenant, afin que demain notre intervention dans la société soit plus pertinente encore.
(...)
En 1981, à l'occasion d'une réunion dans la ville italienne de Padoue, des militants autonomes ont formulé huit thèses visant à identifier les dénominateurs communs entre les différents groupes qui commençaient à se faire appeler « autonomes ». Ces thèses n'ont jamais été vraiment formalisées, et différentes versions remaniées et actualisées ont été publiées – par exemple dans le n° 97 extra de radikal (août 1981) ou dans le livre de 1995 Der Stand der Bewegung (voir la postface) – mais les idées et les sentiments mentionnés dans le texte original restent à ce jour au cœur de l'identité autonome, bien que chacun de ces points ait été âprement débattu et parfois rejeté avec conviction par certaines branches du mouvement.
1. Nous nous battons pour nous-mêmes, d'autres se battent pour eux-mêmes, et ensemble nous devenons plus forts. Nous refusons de prendre part aux « luttes par procuration ». Nos activités s'appuient sur la participation de chacun, « la politique à la première personne ». Nous ne nous battons pas pour une idéologie, ni pour le prolétariat, ni pour « le peuple ». Nous nous battons pour une vie autodéterminée dans tous les aspects de notre existence, en gardant à l'esprit que la liberté de tous est la condition de notre propre liberté.
2. Nous ne dialoguons pas avec le pouvoir ! Nous ne faisons que formuler des revendications, auxquelles le pouvoir peut décider de répondre, ou non.
3. Nous ne nous sommes pas rencontrés sur nos lieux de travail. Le travail reste pour nous une exception. Nous nous sommes rencontrés à travers le punk, la « scène » et la sous-culture qui l'entoure.
4. Nous nous reconnaissons tous dans un « anarchisme diffus » mais nous ne sommes pas des anarchistes au sens traditionnel. Certains d'entre nous considèrent le communisme/marxisme comme une idéologie d'ordre et de domination – une idéologie qui désire l'État, tandis que nous le rejetons. D'autres ont la conviction que la véritable idée communiste a été dénaturée. Quoi qu'il en soit, le terme de « communisme » nous pose tous problème, en raison de son affiliation avec des expériences comme la RDA ou les K-Gruppen.
5. Le pouvoir pour personne ! Ni « pouvoir ouvrier », ni « pouvoir au peuple », ni « contrepouvoir », le pouvoir pour personne !
6. Sur le fond, nous n'avons rien à voir avec la « scène alternative », même si nous empruntons ses infrastructures et ses moyens techniques. Nous sommes conscients du fait que le capitalisme utilise la scène alternative au service d'un nouveau cycle de capital et de travail, comme champ d'activité pour la jeunesse au chômage, mais aussi comme champ d'expérimentation pour tenter de résoudre les difficultés économiques et de pacifier les relations sociales.
7. Nous n'avons pas tranché entre nous si nous sommes une révolte ou si nous voulons une révolution. Certains appellent de leurs vœux une « révolution permanente », mais d'autres pensent que cela reviendrait de fait à une « révolte permanente ». Ceux qui se méfient du terme de « révolution » pensent qu'il contient l'idée qu'adviendra un jour le règne de la liberté, chose à laquelle ils refusent de croire. Pour eux, la liberté ne peut exister qu'un court instant, entre le moment où le pavé quitte la main du lanceur et celui où il atteint sa cible. En tout cas, ce que nous désirons tous en priorité, c'est abolir et détruire, et non pas formuler quoi que ce soit de positif.
8. Nous n'avons pas d'organisation en tant que telle. Nos formes d'organisation sont toutes plus ou moins spontanées. Réunions d'occupation, chaînes téléphoniques, assemblées autonomes et plein de petits groupes, qui peuvent se former à court terme, le temps d'une action ou d'une manifestation, ou à plus long terme pour des projets comme radikal, Radio Utopia ou des actions plus illégales. Il n'existe aucune structure plus solide que cela, rien qui ressemble à un parti, et aucune hiérarchie. Le mouvement n'a par exemple produit aucun représentant à ce jour, comme Negri, Dutschke ou Cohn-Bendit, etc.
[1] Procédure juridique simplifiée en cas de délits de faible gravité, similaire à l'ordonnance pénale en France.
[2] La Hafenstraße est une rue de Hambourg, dans le quartier de St Pauli, qui comptait plusieurs squats qui se font perquisitionner et dont les habitants se font arrêter en 1983.
[3] Groupes de jeunes qui rappellent les « Blousons noirs » en France à la même époque. Le terme de « Halbstarke » désigne dès le début du XXe siècle la jeunesse « corrompue » issue du prolétariat.
[4] Il s'agit d'émeutes provoquées par l'intervention de la police pour disperser un concert de rue. Elles durent quatre jours et mobilisent jusqu'à 5 000 jeunes.
[5] Groupe de réflexion qui avait également l'habitude de rédiger des tracts.
28.04.2025 à 07:29
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Dans le dernier Libé des écrivains, l'autrice Esther Teillard signait un article à propos des Parisiens qui débarquent à Marseille prennent leurs clics et une claque. Il a suscité beaucoup de critiques et un peu d'ironie. La mère d'un ami, marseillaise, y voit surtout du mauvais travail. [1]
Naissance
Je suis né à Marseille en 1999. Marseille m'a toujours été présentée comme la ville miroir d'une autre ville portuaire que je n'ai jamais vue autrement qu'à travers les mots de ma mère qui y est née et y a vécu quelques années d'enfance et de guerre, par les mots de ma grand-mère qui y est née aussi et y a vécu exactement la moitié de sa vie avant d'en partir — un calcul simple qu'on peut effectuer avec exactitude maintenant qu'elle est morte et qu'on connaît son âge définitif. Donc ma mère est née de l'autre côté de la mer. Elle n'est pas née à Marseille. D'accord ? Elle est arrivée ici, enfant. Elle a grandi ici, dans le quartier de la Capelette. Elle vit rue de Lodi depuis plus de trente ans, dans le même appartement. C'est là que j'ai grandi, avec mes frères et sœurs. C'est là que je vais quand je viens à Marseille pour quelques jours. Parce que je suis parti, maintenant. Mais j'ai grandi là. École maternelle Delphes. École primaire Lodi. Collège et lycée dans le privé à Castellane. Voilà d'où je viens. Voilà d'où j'écris, du coup. Pour que ce soit bien clair. Et j'ai vu les parisiens arriver, à la fin des années 2010. J'ai vu les commerces fermer. J'ai inspecté les travaux pas finis. Les nouveaux restaurants qui ouvraient. Les quartiers de la ville qui étaient en chantier et ceux qui ne l'étaient pas. Les immeubles. Je suis repassé rue d'Aubagne et j'ai pleuré à chaque fois pour les huit. Les huit qui sont morts dans les effondrements, aux numéros 63 et 65. J'ai vu la place se faire renommer « Place du 5 novembre 2018 ». J'ai pleuré encore. Je suis parti de Marseille. D'accord ? J'en pouvais plus, de vivre ici. J'en ai voulu à ceux qui venaient ici et qui parvenaient à y être heureux. Je me suis demandé pourquoi eux ils y parvenaient et pas moi. C'est pas juste parce que je suis né ici. Ça devait être autre chose. Forcément. J'ai dit à ma mère que cette ville était impossible pour moi. La ville qui l'avait accueillie enfant : impossible pour moi. Elle ne s'est pas vraiment énervée. Elle a dit : regarde, c'est ici qu'on vit. C'est ici qu'on vit tous. On est tous arrivés ici, arrachés, et c'est ici qu'on s'est enracinés de nouveau. Les départs ne sont pas des trahisons. On essaie de les comprendre. Qu'est-ce que cette ville t'a fait subir pour que tu la détestes autant ? Je ne pouvais pas savoir. On ne sait jamais qui se sent chez soi et pourquoi. Et comment. Je suis bien placée pour le savoir. Je crois que nous, on se sent à la maison ici. On n'a rien qui pourrait nous empêcher d'aller ailleurs, pourtant. Nos tombes ? Nues. En défaut de paiement. Ou de l'autre côté. Dispersées. Nos tombes sont dans nos mémoires, tu sais ça. On leur aménage des stèles, comme ça, dans nos têtes. On est propriétaires de rien ici. Mais on reste quand même. C'est comme ça.Fuite en arrière
Bon. J'ai vu des gens aller et venir. Je le réécris : j'ai vu les parisiens arriver à Marseille à la fin des années 2010. Essayer de changer certains quartiers. Avoir des exigences envers la ville. Oui, je les vois repartir depuis quelques mois. Je partage le constat d'Esther Teillard dans son dernier article pour Libération, article très critiqué — à raison. Je partage le constat de départ uniquement ; pas le reste. Faire appel à une psychologue ? Alors que la situation est sociologique ; forcément sociologique. Ce phénomène de redépart ne me fait pas ricaner. Bien sûr, je me moque d'eux. Bien sûr. Comment ne pas trouver ça ridicule. Vous croyiez qu'on pouvait vivre ici comme ailleurs ? Vraiment ? (Rires). Mais, vous allez repartir, comme ça ? Vous avez fait fermer des rues entières pour ouvrir vos restaurants vos terrasses et maintenant vous repartez, mécontents ? Alors que le texte d'Esther Teillard rend légitime l'installation d'un couple de parisiens à Marseille, je dis : de quel droit ? Vous êtes venus chercher ici quelque chose qui n'existe pas. On refuserait à ce couple les toilettes d'un café parce qu'ils n'ont pas l'accent marseillais. Ouin, ouin. Vous expérimentez pour la première fois et dernière fois de votre vie ce que vivent vraiment les personnes racisées dans la moitié des arrondissements de la capitale dans la moitié du territoire français. Vous expérimentez pour la première et dernière fois ce que vivent vraiment les personnes trans devant toutes les toilettes-frontières. Le soupçon. Le rejet. Alors que j'écris ces lignes, je repense à ce couple de parisiens qui a ouvert l'antenne d'une grande chaîne de pizzeria à Notre-Dame-du-Mont ; l'occasion de privatiser l'étage pour en faire un bar à cocktails sur invitation qui fonctionne uniquement par réseautage. Qui exclut qui ? Qui soupçonne qui ? Vraiment ? Je repense à cette presse de quartier rue de Lodi qui a fermé et été replacée par un restaurant à vingt euros le plat. Qui exclut qui ? Vous pensez que les marseillais détestent les parisiens mais vous n'avez rien compris. D'opposer les uns et les autres sans, de ne dire que ça, de ne pas dire les dynamiques de pouvoir et les verticalités — c'est l'inverse d'écrire. En fait, je crois qu'on s'en fout un peu, des parisiens. Les marseillais détestent les bourges venus d'ailleurs venus ici imposer leurs vies et leurs prix. C'est tout. Les marseillais détestent leurs dirigeants politiques qui ont détruit la ville pendant plus de trente ans — corruption, malversation, commerce de la mort, etc. C'est surtout ça, en fait. Les marseillais détestent la police quand elle tue l'un des siens. Les marseillais détestent le CRA illégal d'Arenc ils détestent le CRA légal du Canet. Et Marseille n'est pas hostile. Marseille n'est pas crade. D'ailleurs, Marseille ne supporte pas qu'on porte une quelconque forme de discours sur elle et ses habitants. Marseille : elle fait ce qu'elle veut.Clac clac clac Speedy Gonzales — je veux parler d'une juge dans un Centre de Rétention Administratif. Je veux parler du CRA du Canet. Je pense aux audiences bien bien bien aux pendus qui s'entassent et l'encombrent de dossiers à fermer vite vite vite avec ses escarpins des corps à enjamber clac clac clac. D'accord ? Clac ? Je pense que les chiffres ne s'inventent pas mais que certains s'arrangent. Certains fabriquent — faussaires. Certains chiffres peuvent être différents selon : chef du CRA, ou service médical. La pendaison du jeune homme de 22 ans un premier décembre tout le monde est d'accord. Chiffres ? Sur une année, le service médical compte : 42 tentatives de suicide. Le service médical tient le registre il compte : 14 pendaisons, 13 ingestions diverses (pile, shampoing, briquet), 15 automutilations. C'est bon, c'est noté. On en fait quoi du registre ? Rangé. Rangé dans le casier. 42 tentatives. La même année le chef du centre conte : 17 tentatives. 17 tentatives ? Le chef du centre est un conteur public, conteur étatique. Le récit est fait, il est rangé, rangé dans le casier, puis publié, récit-rapport, publié pour le ministère des contes ; la belle histoire — rat-comptée. Quand je pense aux claques je pense aux effondrements de la rue d'Aubagne et je pense à des noms. Je pense à Xavier Cachard. Élu de droite, vice-président du conseil régional. Propriétaire d'un appartement indigne au 65 rue d'Aubagne qu'il louait en toute connaissance de cause. Jusqu'à l'effondrement. Je pense à Julien Ruas, un autre nom. Ancien adjoint au maire Jean-Claude Gaudin, délégué à la prévention et à la gestion des risques. Il a délibérément ignoré les signalements concernant l'insalubrité des immeubles effondrés. Aujourd'hui, en avril 2025, il est toujours élu municipal. Et parce qu'il bénéficie de la protection des fonctionnaires, ses avocats ont été payés à hauteur de plusieurs centaines de milliers d'euros par la Ville de Marseille lors de son procès pour homicide involontaire et mise en danger de la vie d'autrui. Je pense : aux claques perdues.
Le bruit des claques. Vraiment, je n'aurais pas pensé… Quand je pense à Marseille et aux claques je pense àMa mère parle
Coucou mounette ! Je prépare un article sur Marseille en réponse à l'article nul de Libé. Quand t'as le temps, tu veux bien m'écrire quelque chose ? Par exemple, répondre à la question : pourquoi l'article d'Esther Teillard t'a mise en colère ? Tu peux me faire un message vocal, aussi, si t'as la flemme d'écrire. Bisous. Ma mère répond : OK. Le lendemain, je reçois un message vocal de deux minutes. « Alors, déjà, c'est pas un article. C'est du mauvais travail. Elle a pris une petite anecdote sur une ville pour en faire une généralité, sur une ville qui a 2600 ans, qui a toujours accueilli des étrangers. Plus ou moins bien, d'ailleurs. Elle a mal accueilli les italiens, mal accueilli les arméniens, mal accueilli les pieds-noirs… Tout compte fait, des années ou des décennies plus tard, ils y sont encore, non ? Elle continue à accueillir et à s'enrichir des gens qui arrivent. Bon, ben, on pourrait faire des tas d'anecdotes sur des tas de villes. J'ai été mal accueillie à Lyon, je me suis ennuyée à Pau, je pourrais dire que Bordeaux est une ville bourgeoise qui aime pas les homos. C'est débile. C'est du mauvais travail, et je crois qu'il faut même pas y répondre. Parce que c'est pas à la hauteur. Écrire cette espèce de punition : vous voyez, vous les avez mal traités, ils repartent. C'est nul. Et ça sera bien les seuls à repartir ! Parce qu'il faut les moyens de repartir d'une ville qui vous accueille mal, quand même. Bon. Tous ces gens qui constituent Marseille, mes anciens collègues fonctionnaires qui viennent de Bretagne, de Nancy, de toutes les régions, de Corrèze, de Pologne ou du Maroc… plus ou moins, ils y restent. Pas tous… Cet article, on s'en fiche, en fait. Voilà. Il faut ignorer. Il faut dire : faites du vrai travail. D'autant plus quand vous écrivez et publiez un article sur une ville. Faites du travail profond, d'observation. Là, c'est inintéressant. C'est : ni fait, ni à faire. »Baptiste Thery-Guilbert
[1] Certaines parties de ce texte sont des réécritures de certains passages de Lésions, publié aux éditions blast (2023), ou de Mémoires aimantées, une nouvelle qu'on pourra lire dans le prochain numéro deTrou noirconsacré à Marseille (parution en mai 2025).
28.04.2025 à 07:28
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(le cinéma pour descendre, creuser un peu et faire le mur) Saad Chakali & Alexia Roux
- 28 avril / Avec une grosse photo en haut, 4, LittératurePartir de l'impasse, c'est tout ce qui nous oblige, nous y sommes forcé-e-s. Comment s'en sortir sans sortir, voilà encore dire ce qui nous arrive. Au départ de l'impasse, il n'y a pas seulement un état de fait, l'impossibilité de passer, de frayer un passage, de se faire les passagers du monde en dépit des forces qui conspirent à le clôturer en le rendant inhabitable. Il y a encore une impossibilité posée en condition de toutes les possibilités – de passer, de penser. Pas un seul passeur, ainsi en cinéma, qui n'ait pour départ le devoir d'endurer l'impasse avec le courage d'en dire la vérité – contre le principe de non-contradiction, l'aporie échapperait ainsi aux oppositions logiques au nom de l'irréductibilité sauvage des antinomies. Si tant de films passent, le cinéma demeure en aidant les regards à faire le mur de l'écran.
« (Dead end !) Why we should be on dead end street ?
(Dead end !) People are living on dead end street
(Dead end !) I'm gonna die on dead end street »
(The Kinks, « Dead End Street », 1966)
« Le secret de Polichinelle est que, dans la comédie de la vie,
il n'y a pas de secret, mais seulement, à tout instant, une échappée »
(Giorgio Agamben, Polichinelleou Divertissement pour les jeunes gens en quatre scènes, éd. Macula, 2017, p. 92).
1a) L'impasse dit ce qui ne passe pas, la voie bloquée par son impraticabilité, l'absence d'issue, le cul-de-sac – dead-end. Aucune possibilité de faire un pas – de plus, même de côté. Pas, dont l'impasse est une dérivation sémantique, est un mot équivoque qui se retourne sur lui-même comme une maladie auto-immune puisque le même mot confond le dépôt d'un pied devant l'autre afin de marcher avec l'adverbe de la négation : « Je ne marche même pas d'un pas » disait-on déjà il y a mille ans. L'impasse dit ainsi l'impossibilité même qu'il y ait un pas. L'impasse l'est d'aucun pas.
L'impasse appartient de plein droit au vocabulaire de la psychanalyse. Jacques Lacan reconnaissait ainsi au geste inaugural de la méta-psychologie inventée par Sigmund Freud le miracle d'avoir trouvé, dans l'impasse d'une situation psychique, la force subjective d'une intervention. L'impasse caractérise alors la possibilité d'un départ en dépit de ce qui le contrarie et le symptôme en représente en psychanalyse le point de capiton, le réel qui fait la souffrance du sujet sans possibilité d'en crever l'abcès, même par fixation. Les passages à l'acte valent à ce titre autant d'impasses quand le symptôme demande moins à être résorbé qu'à être entendu comme le réel du sujet. Trouver une voie à ce réel est l'objet de l'analyse en affrontant toutes les résistances au frayage de cet accès.
Deux résistances ont été identifiées par la psychanalyse quand l'accès au symptôme est impossible à trouver : l'acting-out et le passage à l'acte. Dans un premier cas, le recours ostentatoire et compulsif à l'activisme travestit l'impasse en « l'un passe », un simulacre hystérique de sortie reconduisant en réalité au cul-de-sac du symptôme ; pour le second, la sortie de scène est avérée, par exemple dans la mort que l'on ose provoquer, à l'encontre de l'autre ou en se la donnant à soi.
L'accès au réel du symptôme qui fait l'impasse du sujet peut également conduire à l'impasse de l'analyste quand sa quête de symboles fait écran à la parole de l'analysant. La figure du mythologue doit alors céder le pas à celle de l'enquêteur. C'est l'invention lacanienne de la « passe » qui, à partir d'un fragment d'Héraclite sur la foudre, invite un analyste en formation à justifier auprès de deux psychanalystes, les « passeurs », des raisons de son engagement dans la psychanalyse [1].
L'impasse concerne par conséquent autant l'analysant que l'analyste, elle se situe des deux côtés de la cure psychanalytique. Si la passe a été sanctionnée par l'échec de son institutionnalisation, elle a trouvé à rebondir ailleurs. L'échec est à ce à partir de quoi fonder la relance inventive des tentatives. À l'instar du communisme selon Slavoj Žižek en lui associant un mot de Cap au pire de Samuel Beckett : « Essayer encore. Rater encore. Rater mieux » [2]. L'impasse est donc au départ de la psychanalyse, comme l'aporie qui en est le parfait synonyme l'est aussi pour la philosophie.
1b) L'impasse d'un certain cinéma, ainsi celui d'action spectaculaire, emblématique de l'industrie hollywoodienne, montre toute son impuissance symptomatique à construire les scènes de l'être-en-commun où le partage d'un silence ou l'égalité d'une écoute feraient droit au désir de ne pas s'en laisser compter par les blocages du passage et de l'accès. L'hégémonie dépensière de l'acting-out, de la performance narcissique des acteurs à l'usage inflationniste des effets spéciaux en passant par la virtuosité technique en signe ostentatoire de qualité (le recours actuel au plan-séquence, biaisé par les trucages invisibles du numérique), est l'attestation incessante de la reconduction du symptôme.
1c) Revient alors en mémoire un film de Brian de Palma sorti en 1993. Son titre original : Carlito's Way. Son titre français : L'Impasse. On notera déjà ce petit fait linguistique remarquable que le passage du titre original anglais au titre français induit un renversement si fort de sens : la voie de Carlito, le protagoniste joué par Al Pacino en double mélancolique du Tony Montana de Scarface (1983) puisqu'il a renoncé à l'acting-out sous cocaïne, y est devenue en effet une impasse. Et celle-ci est magnifique puisque, de la voie à l'impasse, il y a bien un passage que le film saurait formaliser.
La fiction s'y joue en effet selon deux modalités, narrative (c'est une boucle fermée) et filmique (la boucle est au contraire ouverte). Sur le versant de la narration, le récit commence par la fin : Carlito Brigante, l'ancien gangster d'origine portoricaine revenu dans le barrio de sa jeunesse, est abattu par l'un de ses rivaux mimétiques, un double parodiant sa jeunesse, au moment où il retrouve sur le quai de la gare de New York la femme qu'il aime et avec qui il veut s'enfuir. Toute l'histoire remonte à l'enchaînement des circonstances qui aboutiront à cette conclusion fatale qui se boucle sur l'introduction du film, toutes deux étant en noir et blanc. Sur le versant de la puissance émotionnelle que le film de Brian de Palma saura déployer, c'est toute autre chose qui est ressentie, la croyance que le héros va s'en sortir malgré tout, même s'il ne s'en sort pas. La narration clôt, circonscrit, elle referme ce qu'elle a programmé d'ouvrir, quand la croyance dont le cinéma est capable tient de la déclosion ; le désir que le héros s'en tire, plus fort que le savoir de son échec toujours déjà avéré.
La voie de Carlito est une impasse (il est abattu d'emblée) et c'est pourtant depuis elle qu'il y a, mieux que le cul-de-sac d'une narration circulaire, l'accès à la possibilité d'une passe, le frayage non d'une sortie mais de son désir malgré tout, en dépit du savoir des causalités et des conséquences qui s'en déduisent. Le premier plan du film de Brian De Palma est, en gros plan et en noir et blanc, la balle tirée du canon d'un pistolet muni d'un silencieux et qui troue une écharpe. On y reconnaîtrait le principe même de la projection du film, le paradigme du tout premier film muet projeté si l'on veut le voir ainsi, que nous sommes en train de regarder : on sait que le film, une fois lancé, projeté sur l'écran pareil à un linceul, une écharpe géante, va finir et comment il va finir ; il n'en demeure pas moins que l'on désire croire qu'une autre issue est encore possible. La balle tirée trace le cercle de la mort, mais le trou n'empêche pas pour autant la trouée de la croyance sur l'écharpe du savoir. « Autrement dit, la certitude sur laquelle se fonde une action n'est pas affaire de savoir, mais affaire de croyance : (…) l'acte vrai vient combler les lacunes de notre savoir » [3].
Carlito's Way / L'impasse vérifierait ainsi ce que Jean-Louis Comolli disait déjà du pacte du spectateur avec la fiction, au cinéma mais pas exclusivement, en s'appuyant sur la fameuse formule d'Octave Mannoni au sujet du déni : « Je sais bien, mais quand même ». Le déni est un mécanisme de défense inconscient face à la réalité dont la mise en acte est la dénégation. Le déni (de réalité) n'est pas fautif quand il est assumé ; le semblant n'est pas l'illusion. Le savoir n'empêche pas la croyance, ce sont deux régimes de pensée spécifiques. Il y a ce que je sais (bien) et il y a ce que je crois (quand même) et la croyance est la possibilité d'une alternative aux faits que ne résorbe pas leur savoir qui voudrait clôturer le champ des potentialités [4]. On le dira donc ainsi : je sais bien que le film de Brian De Palma n'est qu'une fiction, et que celle-ci commence et finit par l'assassinat de son protagoniste ; pourtant j'y crois comme s'il en allait de ma vie, comme si sa vie à lui en allait de la mienne. Je sais bien que l'impasse s'impose à Carlito mais, quand même, je crois en sa sortie. Par surcroît, l'écran sur lequel est projeté le film est un mur invitant à sortir de la salle quand il est fini.
Carlito Brigante est un danseur de sa propre solitude, un mage noir et blanc traversé par les puissances fluctuantes du mana [5]. Il est un passeur, ce mot de passe emblématique pour le critique Serge Daney, et dont l'origine revient à Jean-Louis Comolli au sujet du jazzman Eric Dolphy.
1d) Une autre formulation, issue de L'Esthétique de la résistance de Peter Weiss, ce grand triptyque romanesque écrit entre 1971 et 1981 et consacré au mouvement ouvrier allemand, de l'insurrection spartakiste écrasé par la république de Weimar en 1918 à la défaite du nazisme en 1945, et que cite Jean-Luc Godard dans Le Livre d'image (2018), le répète encore sur le versant de l'espérance : « Même si rien ne devait être comme nous l'avions espéré, ça ne changerait rien à nos espérances ».
Si le réel est littéralement l'impossible en tant qu'il s'oppose au possible, l'impasse est toutefois la condition paradoxale de toutes les possibilités, possibilités de croire et d'espérer, possibilités de désirer autre chose que ce qu'il y aurait sans reste, non sa négation. L'impasse n'est pas le contraire de la passe, mais son transcendantal. De la même façon que l'impensable n'est pas le contraire de la pensée, mais la condition même de possibilité pour penser, que l'indécidable est la condition de possibilité de toute décision, et que l'impardonnable l'est encore pour la possibilité de pardonner.
2a) Si l'impasse est au départ de la psychanalyse, dont l'invention est contemporaine du cinéma, l'aporie qui en est le synonyme est au départ de la philosophie, dont l'invention est contemporaine de la démocratie. L'impasse peut effectivement servir de mur à la projection cinématographique, tandis que l'aporie est la vérité refoulée de la démocratie, qui ne nomme pas à l'origine un régime parlementaire et représentatif, mais un principe de gouvernement où le pouvoir qui n'appartient à personne peut aller et revenir également à n'importe qui. La démocratie est ainsi le pouvoir des sans-pouvoirs, Jacques Rancière y a souvent insisté. La « haine de la démocratie », qui est selon lui une réaction de l'oligarchie libérale à l'exigence d'égalité [6], n'est peut-être pas sans lien avec la haine du cinéma dont l'esthétique, égalitaire et démocratique, est ce que l'industrie veut contenir au nom de la reconduction des hiérarchies, acteurs et figurants, fiction et documentaire [7].
L'aporie dit à sa racine, autrement dit radicalement, la privation (a-), l'empêchement pourtant posé en nécessité dans le passage du gué (poros). Dans le Banquet de Platon, la naissance d'Éros eut lieu le jour où Pénia, déesse de la pauvreté dont le nom a donné celui de peine, se coucha près de Poros ivre, dieu des expédients et des passages (son nom a donné tous les dérivés de porte et de par) [8].
2b) Érotique est l'indigent réfractaire, le pauvre qui, malgré les contrôles policiers, arrive à passer, le paria extravagant qui sait vagabonder dans l'ivresse des expédients lui offrant de franchir le gué. Érotique est le va-nu-pied disposé à être un affranchi, Charlot en figure l'emblème immortel. L'ange nécessaire a le courage des impasses quand il faut sacrifier le vagabond puisque sa moustache lui a été volée par le dictateur ; il l'est aussi des apories quand, pour lui, rire et pleurer coïncident. Érotique-aporétique est le cinéma aux semelles de vent, celui des Ariel qui ont tiré des frontières le fil tramant leurs rhapsodies, de Jocelyne Saab à Franssou Prenant en passant par Narimane Mari.
2c) L'aporie : si Jacques Derrida s'y est frotté avec beaucoup de zèle et autant d'ardeur, c'est qu'elle est au cœur non seulement de la philosophie, mais de la déconstruction de ses présupposés métaphysiques à laquelle il aura consacré sa vie. En juillet 1992, le philosophe prononce une conférence lors de la décade de Cerisy-la-Salle qui lui est dédiée, qu'il publie en 1993 et reprend en 1996 pour les éditions Galilée sous le titre Apories – Mourir, s'attendre aux 'limites de la vérité' [9].
Si l'aporie est au départ de la philosophie, c'est pour la contrarier, la faire achopper sur ses bases et interroger ses fondements en sondant l'impensé de ses soubassements. La contradiction insoluble que l'aporie indique n'y a pas seulement valeur d'exception à la règle ; plus que cela, elle nomme la butée des binarités, le blocage des partitions catégoriques, un défi aux distinctions comme aux oppositions logiques. Une promesse aux limites de la responsabilité de la tenir est un devoir sans être un commandement. Le dehors du déjà pensé, dans la promesse héroïque de l'incalculable.
Chez Jacques Derrida, l'aporie qualifie l'expérience de l'impossible ; ainsi, la justice qui est infinie en excédant les règles finie du droit ; ainsi, l'hospitalité qui est irréductible aux politiques d'accueil des étrangers ; ainsi, le pardon qui a l'impardonnable pour impossible condition ; ainsi la mort qui est toujours celle de l'autre puisqu'il est impossible de dire « je suis mort » tout en l'étant. Les apories ont à voir ainsi avec les antinomies de la langue puisqu'il y a plus d'une langue. Les apories sont des inconditionnalités qui, en tant que telles, posent des conditions de possibilités ; souveraines, elles n'en appellent néanmoins à aucun souverain, ni à aucune forme de souveraineté. Si elles ont lien au neutre qui signifie à la lettre ni l'un-e, ni l'autre, elles n'ont rien à voir avec toute idée de neutralité. Elles engagent à endurer une époque qui s'y voue quand la règle est à l'état d'exception.
Parmi les apories, on retiendra khôra, ce mot grec ancien qui résiste à sa conceptualisation comme à toutes les interprétations ; ses traductions sont nombreuses (le territoire rural de la polis au-delà ou en deçà de l'opposition ville-campagne, la région ou le lieu, la mère ou la nourrice), sans être jamais définitives. Un lieu d'avant tout lieu qui échappe à la distinction du mythos et du logos, en deçà de la dette et de l'échange. Khôra est instable, invite aux antinomies et oblige aux dissymétries. Inconcevable, son secret est impénétrable. Khôra est le lieu hors lieu, sans essence et insituable, de tout site, celui par où commence la dissémination, qui est sans fin et que guette la déconstruction.
L'aporie est l'impasse en condition même de toute passe, l'impossible en condition même du possible. L'aporie en paradigme de tout transcendantal serait comme un archi-transcendantal.
Pour le Platon du Timée, Socrate en occupe la place qui est celle des sans-lieux. Le geste philosophique inaugural est sans lieu propre, atopique ; c'est pourquoi, dirait Frédéric Neyrat, nous sommes des aliens dont la condition d'existence est terrestre autant qu'elle est, contre tout géocentrisme, extraterritorialité [10]. Charlot encore, burlesque cosmique et socratique, le paria qui ne craint pas de perdre sa place puisqu'aucune ne lui revient de droit. Pour Aristote, khôra est le diaphane à partir de quoi l'idée accède au visible ; l'héritage grec du christianisme en a tiré un emblème de son iconographie, la Vierge Marie, le réceptacle abritant le verbe sans que ne le brise l'idée de Dieu dont il est le relais. Khôra est le ventre fécond donnant chair à l'image, son hymen impossible à déchirer. Marie José Mondzain en poursuit l'idée en lui trouvant un mot de passe, la zone (zonè dit en grec la ceinture, puis la périphérie). Elle célèbre ainsi le fond d'indétermination et de liberté des puissances imaginales et des opérations créatrices qui s'en déduisent, capables de faire des rapports à partir d'une absence de rapport préalable – ce qui s'appelle en cinéma le montage [11].
2d) Khôra est l'écran blanc de cinéma, fondu dans le miroir noir de nos petits écrans domestiques. Khôra en possibilité de toute image s'est vu donner au cinéma les images qui, jamais, n'en épuisent l'idée : la pellicule qui flambe chez Ingmar Bergman, Jerzy Skolimowski et Monte Hellman, la planète molle et océanique de Solaris (1972) d'Andreï Tarkovski, les rideaux de David Lynch, l'écran noir chez Marguerite Duras et Jean-Luc Godard, chez Jean-Marie Straub et Danièle Huillet.
Tous les cinéastes qui comptent, au-delà toute comptabilité, sont des zonards comme le dirait encore Marie José Mondzain, des passeurs de frontières, des passagers clandestins aux manières traversières, des transbordeurs, des frayeurs de passages depuis l'impasse qui peut effrayer. On insistera ici sur la spécificité du dispositif de la salle dans l'expérience cinématographique. D'abord, on y descend souvent en rejouant les catabases mythiques, Gilgamesh et Orphée, Hercule et Ulysse, Dante et Virgile, ces descentes dans les limbes des périphéries du genre examinées aussi par Patrice Rollet [12] ; avant l'anabase platonicienne, la descente souterraine toujours suivie d'une remontée vers le soleil. Ensuite, la projection a également besoin d'un mur nécessaire à y apposer son écran.
La descente dans le souterrain, comme dans La Jetée (1962) de Chris. Marker où le héros qui voyage à travers le temps à la poursuite d'une image d'enfance qui le hante se cache dans les souterrains du palais de Chaillot, alors le refuge de la Cinémathèque française ; le mur que l'on construit moins qu'on le fait, comme dans Le Trou (1960) de Jacques Becker où le travail bruyant des détenus désirant s'évader est le bruit même de leur idée, le boucan du plan qu'ils auront pensé.
D'autres catabases auront trouvé leur lieu dans les chambres, ces variations de l'originelle camera obscura où l'on s'y confine pour y soigner sa convalescence, leur dedans qui est un dehors plus vaste que tout extérieur, chez Chantal Akerman et Jean Eustache, Nicolas Klotz et ÉlisabethPerceval.
2e) L'impasse est une descente (dans le souterrain et ses murs recouverts de velours – le velvet underground des salles de cinéma) et la catabase, avant d'en appeler à une anabase, oblige au mur qu'il faut faire et il faut se le faire pour passer comme Alice de l'autre côté. Giorgio Agamben en a fourbi la formule dans l'amitié de Polichinelle puisqu'à ses côtés, la vie apparaît comme une comédie plus digne que toute tragédie. Son secret ? Il n'y pas de secret mais, à tout instant, l'échappée d'un rire en guise de pas de côté : « Dans la vie des hommes – tel est son enseignement – la seule chose importante est de trouver une sortie. Vers où ? Vers l'origine. Parce que l'origine est toujours au milieu, elle ne se donne que comme interruption. Et l'interruption est échappatoire » [13].
Le pas de côté est la parabase qui, même sur place, toujours engage à la parallaxe, à tous les écarts parallactiques qui déplacent les regards en creusant depuis le réel l'ouvert d'autres perspectives [14].
La sortie par le milieu qui est une interruption, l'accès qui est une échappée depuis l'origine. La formule de Polichinelle se ramasse selon GiorgioAgamben encore ainsi : « Ubi fracassorium, ibi fuggitorium – là où il y a une catastrophe, il y a une échappatoire » [15]. C'est le faux-raccord qui brise le continuum spatio-temporel en ouvrant à la dimension de l'esprit, dans Gertrud (1965) de Carl T. Dreyer, Procès de Jeanne d'Arc (1961) et Mouchette (1967) de Robert Bresson, Val Abraham (1993) de Manoel de Oliveira. Tous adeptes du « style transcendantal » pour reprendre le terme de Paul Schrader, soucieux d'offrir à leurs héroïnes respectives la possibilité d'une échappée par le milieu – la collure entre les plans dont l'image a tant fasciné Sylvie Pierre et Jacques Rivette.
C'est, ailleurs et dans le registre du comique burlesque, le sifflet de Harpo Marx qui prolonge la langue inconnue et inouïe de Polichinelle ou bien encore les révolutions de Claude Melki dans L'Acrobate (1976) de Jean-Daniel Pollet dont les tangos renouent avec les rotations cosmiques.
2f) L'impasse, si elle est formellement le contraire du passage, est au départ de toute passe, l'impossible en condition du possible. L'aporie qui en est le synonyme est la pierre d'achoppement par où la philosophie s'échappe d'elle-même en recommençant par le milieu, le skandalon originaire des antinomies insolubles et des dissymétries qui font sauter le bouchon du principe de non-contradiction et des logiques binaires et dualistes. La pensée y engage toute sa puissance dialectique en ressaisissant que la relève des contradictions n'est pas le trois de synthèse sous lequel se subsument les oppositions, mais la relève de ce qui échappe à l'épreuve nécessaire de l'antagonisme. La fuite vers le dehors où l'appel du neutre, qui n'est pas la neutralité reconduisant à l'impasse du consensus (le « en même temps » macronien), est l'invocation d'un reste inassimilable.
De deux choses, pas l'une ; ni l'une, ni l'autre, au contraire : voilà tout ce que l'on aura appris des penseurs et passeurs de la dialectique quand elle se voit retournée sur et contre elle-même, les essais de Jean-Luc Godard, Harun Farocki et Walter Benjamin. Au milieu, on trouvera la sémantique générale d'Alfred Korzybski qui aura pris acte des acquis de la théorie de la relativité et de la mécanique quantique pour parer aux confusions de la représentation et de la réalité, consécutives à l'hégémonie du principe de non-contradiction hérité de la pensée d'Aristote : « La carte n'est pas le territoire ». On sait l'influence que la sémantique générale a exercée sur des écrivains tels A. E. van Vogt et William Burroughs, et les penseurs Gaston Bachelard, Gregory Bateson et Henri Laborit [16].
La dialectique dans sa dimension la plus critique, il faudrait en retrouver la puissance fragmentaire et foudroyante chez les présocratiques ; ainsi, Héraclite, qui est un penseur de l'être, à la fois mouvant (c'est un devenir), relatif (c'est un assemblage discutable d'éléments disparates et hétérogènes) et contradictoire (il ne coïncide jamais avec lui-même). Quand Aristote pose que A = A, soit dit qu'il est non-A, Héraclite pensait plus d'un siècle avant ce dernier que A = A + non-A [17].
On trouvera enfin à l'extérieur du monde occidental des modes de pensée avoisinants ; ainsi, le tétralemme des philosophies orientales, indienne, chinoise et japonaise. Le tétralemme pose quatre possibilités pour une seule proposition, au-delà des oppositions binaires et des dilemmes solubles dans la pensée aristotélicienne (A ne peut être en effet identique à lui-même tout en étant différent de lui-même). Avec le tétralemme, chaque lemme (ou proposition intermédiaire) ayant une valeur de vérité entre un prédicat et un sujet s'agence avec les autres pour composer un carré des possibilités en dépassant l'opposition binaire et aristotélicienne des affirmations et des négations. Dans cette perspective, une chose peut être ou vraie ou fausse, à la fois vraie et fausse, et ni vraie ni fausse.
2g) Qu'une chose ne soit pas identique à elle-même, la Jungle de Calais l'a prouvé dans les films que Sylvain George et Élisabeth Perceval et Nicolas Klotz lui ont consacré. Le bidonville peuplé d'apatrides qui fuient les guerres de l'impérialisme fossile [18], et ceinturé par un maillage étatique serré de dispositifs de contrôle et de sécurité a aussi été le site d'une utopie oblique, la construction inachevée (parce qu'elle aura été pour cette raison même bazardée) d'un être-en-commun en devenir, une communauté de destin pour parias nomades en restes vivants d'entre les états-nations.
La Jungle aura été tout cela à la fois, une aporie du droit, ainsi qu'une impasse pour les exilé-e-s cherchant refuge en Europe, mais également un sas de passage et un lieu hors lieu – topos outopos. Une « troisième aire » d'après Giorgio Agamben, inspiré ici par Donald W. Winnicott : ni la scène hallucinée des fantasmes, ni l'espace indifférent des objets, mais une zone intermédiaire (Marie José Mondzain, encore), un « lieu épiphanique » au principe d'une « topologie de l'irréel » en vertu de quoi ce qui est réel perd de sa réalité, tandis que l'irréel est en voie de se réaliser [19]. Ainsi, l'utopie concrète d'une communauté sans programme, surgissante et insurgée, ses restes vivants d'entre les nations bricolant depuis leurs ruines de nouveaux modes d'habitabilité, des formes neuves de vie.
Si les cinéastes sont des penseurs au sens où ils sont des transbordeurs, des passeurs, c'est en topographes de l'irréel, à la lisière de la fiction et du documentaire comme Lav Diaz, Ghassan Salhab et Tariq Teguia. Comme Christophe Clavert qui emprunte La Route de Cayenne pour voir ce qui résonne entre le maintenant et l'autrefois, Mehdi Benallal qui soupèse entre les vies de peu et les statues reléguées du passé le poids de consistance subtile du communisme, et Ian Menoyot qui descend dans les catacombes de Bruxelles pour y retrouver la Senne, le fleuve enfoui et refoulé.
3) Une dernière formule pour la route et la suite du monde qui, on le sait bien, s'apparente à la seule persécution forcenée, mais quand même, on y croit et si nos espérances seront encore déçues, la déception ne les changera en rien, donnée par Ghérasim Luca : comment s'en sortir sans sortir.
L'écrivain d'origine roumaine a été un génial praticien de la poésie sonore, un frayeur sauvage entre les langues (il parlait le roumain, le yiddish, l'allemand et le français). Ghérasim Luca a été un bégayeur extraordinaire du français selon Gilles Deleuze, qui n'était pas sa langue de naissance, mais une langue d'adoption qu'il a déterritorialisée au nom d'une étrangeté que le national lui fait oublier. Comme Joseph Conrad avec l'anglais, Franz Kafka avec l'allemand et Samuel Beckett, déjà, avec le français. Son récital poétique filmé en 1988 par Raoul Sangla pour FR3 et la SEPT est un événement audiovisuel, comme l'ont été autrement les pièces écrites pour la télévision par Samuel Beckett entre 1975 et 1982, Quad, Trio du Fantôme, ... que nuages... et Nacht und Träume [20].
Comment s'en sortir sans sortir : par l'écriture qui oralise et les consonances qui crépitent par dérivation sémantique ; par le jeu des répétitions qui tiennent à la fois de la transe et du babil ; par un ésotérisme kabbalistique qui est une érotique aporétique du verbe. Avant de se jeter dans la Seine quasiment un quart de siècle après Paul Celan, son aîné gémellaire, Ghérasim Luca ouvre aux grandes respirations qui ont longtemps conjuré ses tentatives de suicide, fourbissant dans l'impasse du conformisme littéraire d'explosives apories. Son anarchisme poétique est un cri vital, celui par où le monde finit et par où il recommence, et par quoi le vieillard que la mort hantait se refait nouveau-né dans la langue de l'autre. On s'en souvient, ses proférations sorcellaires nous avaient redonné à souffler à l'époque où la pandémie de Covid-19 nous obligeait à tenir bon dans le confinement.
Comment s'en sortir sans sortir ? Comme les quatre figures de Quad occupent le carré de la scène en séries de pas qui épuisent le possible sans en épuiser le désir, même quand on est fatigué, même quand l'épuisement est là. Comme Ghérasim Luca, héros-limite d'une poétique des limites de la langue par où le dehors est cosmique. En partant de l'impasse pour arriver à l'aporie, à l'impossible qui n'est pas l'anéantissement du possible, mais au contraire : la condition même des possibilités.
Depuis l'épuisement, quoi ? le désir de persévérer, comment autrement vivrait-on, on ne le pourrait.
« Une prison c'est l'être lui-même cloîtré derrière sa clef et son cercle, et comme une louve au rire acre mais fier, l'ouvrir s'aime mieux à l'écart, c'est mieux écarter la rupture entre le cri sacré du moi et les griffes de l'autre, c'est à dire un moi, un moyen de sacrifier la créature à quelque chose d'autre, massacrer le créateur dans sa créature, et avec les os de l'écho du chaos et dans une sorte de coma de combat entre l'homme et l'atome, la tomate, l'automate, recréer le créé et être ainsi par rapt, par rapport à lui, la parade d'un para-être qui surgit et s'insurge à l'intérieur de soi-même comme le coma, comme une comète en coma dans le ventre de la terre. »
(Ghérasim Luca, « La Voie lactée », Héros-limite, éd. José Corti, 1995)
Saad Chakali & Alexia Roux
[1] ) Jacques Lacan, intervention au congrès de la grande Motte, juin 1975, Lettres de l'École n° 15, [p. 185. Dans un article intitulé « Impasses du destin », Claude Brabant y fait référence en rappelant le fragment d'Héraclite qui a inspiré à Lacan l'idée de la passe : « Les choses qui sont là, la foudre les conduit toutes. », en précisant ceci : « Ni l'éclair ni le tonnerre, mais la foudre : ce qui tombe et qui frappe, entre sonore et visible – ni l'un ni l'autre, mais dans leur faille, leur interstice (…) » (La clinique lacanienne, « Les impasses de la cure », 2012/1, n°21, pp. 13-18).
[2] ) Samuel Beckett, Cap au pire, éd. Minuit, 1982, p. 8 ; Slavoj Žižek, Après la tragédie, la farce ! ou Comment l'histoire se répète, éd. Flammarion-coll. « Champs essais », 2011 (2009 pour l'édition originale), p. 195.
[3] ) Slavoj Žižek, Après la farce, ibid., p. 234.
[4] ) Jean-Louis Comolli, Corps et cadre. Cinéma, éthique, politique éd. Verdier, 2012, pp. 91-100.
[5] ) Jean-François Buiré, De Palma Mana Cinéma, Les Éditions Pot D'Colle, 2024.
[6] ) Jacques Rancière, La haine de la démocratie, éd. La Fabrique, 2005.
[7] ) Georges Didi-Huberman, Peuples exposés, peuples figurants. L'Œil de l'histoire, 4, éd. Minuit-coll. « Paradoxe », 2012 ; Jean-Louis Comolli, Cinéma contre spectacle, éd. Verdier, 2009 ; Cinéma, numérique, survie, éd. ENS, 2019.
[8] ) Platon, Le Banquet, 201d-203e.
[9] ) Jacques Derrida, Apories – Mourir, s'attendre aux 'limites de la vérité', éd. Galilée, 1996.
[10] ) Frédéric Neyrat, La condition planétaire, éd. Les Liens qui Libèrent, 2025.
[11] ) Marie José Mondzain, L'image, une affaire de zone, éd. D-Fiction-coll. « Frontières », 2014 (e-book).
[12] ) Patrice Rollet, Descentes aux limbes. Confins du cinéma, éd. P.O.L.-coll. « Trafic », 2019.
[13] ) Giorgio Agamben, Polichinelle ou Divertissement pour les jeunes gens en quatre scène, éd. Macula, 2017, p. 34.
[14] ) Slavoj Žižek, La Parallaxe, éd. Fayard-coll. « Ouvertures », 2006.
[15] ) Giorgio Agamben, op. cit.
[16] ) Alfred Korzybski, Une carte n'est pas le territoire. Prolégomènes aux systèmes non-aristotéliciens et à la Sémantique générale, éditions de L'Éclat-coll. « poche », 2015 (1997 pour la première édition française).
[17] ) Marc Froment-Meurice, Héraclite L'Obscur. Fragments du même, éd. Galilée, 2020.
[18] ) Andreas Malm, Pour la Palestine comme pour la Terre. Les ravages de l'impérialisme fossile, éd. La Fabrique, 2025.
[19] ) Giorgio Agamben, Stanze. Parole et fantasme dans la culture occidentale, éd. Payot & Rivages, 1994, p. 103.
[20] ) Ghérasim Luca, Comment s'en sortir sans sortir, éd. José Corti, 2008 ; Samuel Beckett, Quad et autres pièces pour la télévision suivi de L'Épuisé par Gilles Deleuze, éd. Minuit, 1992.
28.04.2025 à 07:27
dev
Nous sommes maintenant si bien entrelacés et serrés les uns aux autres dans notre fosse que le mouvement nous est presque devenu impossible.
De la fosse on devrait entendre sortir un son constant de râle et de plainte, composé des milliers de râles et de plaintes solitaires qui émanent des corps enchevêtrés les uns dans les autres. Mais l'air y est si rare que le son, aussitôt émis, se trouve étouffé par la fosse, et que tout ce qui, de ce brouet, parvient à l'extérieur se réduit à un faible murmure auquel il faut tendre l'oreille.
Il n'y a pas si longtemps nous bougions encore allègrement. Il nous était même possible, du moins était-ce possible aux plus vivaces d'entre nous, de nous déplacer individuellement dans la fosse sur des distances relativement longues.
Je pouvais, je ne dis certes pas nager, cela ne rendrait pas la nature hybride, à la fois charnelle et osseuse de l'élément dans lequel nous sommes immergés, mais je pouvais tout de même avancer. En me servant de mes pieds et mains comme de palmes griffues, je m'agrippais aux autres corps et me propulsais de l'un à l'autre. Je devais adopter un mouvement ondulatoire continu de mes vertèbres, de ma nuque, de mes épaules et de mes hanches pour serpenter entre eux. J'enfonçais mes coudes d'une cage thoracique à l'autre, je m'agrippais parfois au velours déchiré d'un reste de vêtement, parfois à une chaussure, parfois à un visage, et je sentais alors la peau partir sous mes ongles.
J'avais sûrement dû m'excuser au début, comme cela est naturel à un individu qui, ayant été élevé dans un espace social de densité normale, doit soudain traverser un couloir rempli de monde.
Mais aujourd'hui j'ai oublié ces manières. La foule a ceci de nécessaire et d'irrépressible que, quand après un certain temps d'immersion elle devient votre condition, le sentiment de l'individualité d'autrui finit rapidement par y être absorbé. Vous n'avez plus affaire qu'à des reliefs, à des formes portées sur des vagues.
Aujourd'hui quand je sens les os craquer hors de moi sous la pression de mes membres, quand on entend claquer ou rompre un organe dans un ventre, quand mon oreille se colle à une bouche tordue de douleur, tous ces sons me sont aussi familiers que ceux du battement cardiaque de sa mère pour le fœtus flottant dans son amnios. Ils me bercent, me rassurent, me confirment l'efficacité de mon effort.
En avançant, on a le sentiment de passer entre les mailles d'un gigantesque filet de jambes, de bras, de doigts et de troncs humains. J'ai exploré ainsi une bonne partie de la fosse, sans cependant jamais parvenir à atteindre aucune de ses parois. Je butai à chaque fois sur un nouveau corps avant d'y arriver, sur un nœud de corps dont la trop grande intrication, malgré mes efforts et mon habileté à me faufiler, m'interdisait tout progrès.
Mais de tels déplacements de vaste amplitude ne sont plus possibles aujourd'hui. Soit qu'ils soient tombés par erreur, soit qu'on les ait fait basculer à dessein, par vengeance ou par châtiment, de nouveaux arrivants sont venus nous rejoindre dans la fosse en un nombre bien supérieur à ses capacités physiques déjà poussées à leur limite.
Certains, tout en haut, ont bien dû protester contre cette irrationnalité, par principe. Mais les contrôleurs de la fosse semblent ne rien entendre à la logique la plus élémentaire. Et fatalement la fosse a fait son travail. Les corps se sont répartis comme des billes dans un sac, ils ont remué et se sont tassés. On dit qu'il n'y a pas plus de place, mais que voulez-vous, on en trouve toujours. C'est physique.
Certains, par un réflexe vital, ont dû se concentrer au maximum en eux-mêmes, comme des boules, en se roulant et en enfonçant leurs membres dans leur sternum.
D'autres, au contraire, ont dû se distendre et s'élonger le plus possible, jusqu'à devenir des sortes de guimauves humaines enroulées en caducée sur leur colonne.
Et la densité, déjà extraordinaire, s'est encore accrue, limitant nos mouvements individuels au minimum, c'est-à-dire à ces lamentables frémissements sur place dont nous sommes tous animés.
Il serait facile de se plaindre, tant est grande l'apparence, l'évidence même de notre torture. Nous trouverions sans difficulté des gens du dehors, s'il en reste, pour nous prendre en pitié. Mais ce serait très injuste envers notre condition. Il est vain de nier que la torture s'accompagne, du moins s'accompagnait-elle au début et s'accompagna-t-elle-même fort longtemps de muettes délices dont il serait difficile de donner une idée.
Quelle liberté, au début, que de s'amouracher d'épaules vagabondes, qui passent comme des antilopes sauvages, de tutoyer des aines et des genoux. Quelle griserie que de ne plus avoir à appréhender des corps entiers. Le corps, il faut le sentir en morceaux.
Dans notre condition, les défenses de la volonté ont vite baissé. En temps normal, vous gardez toujours la main sur votre corps, vous le conduisez comme une communiante dans la nef d'une église, comme un chien chez le vétérinaire.
Mais il nous a fallu abandonner ces vieux réflexes de petites personnes bourgeoises et jalouses. Soit que les vêtements aient été peu à peu réduits en haillons par nos incessants frottements, soit que plusieurs d'entre nous aient été préalablement dénudés par les contrôleurs, de manière protocolaire, avant leur chute forcée dans la fosse, le fait est que notre contact contraint n'a pas pu préserver l'ancienne pudeur.
Au début on souffre bien de sa conscience, on voudrait se retenir soi-même du mal qu'on cause involontairement aux vies qu'on mutile, aux beautés qu'on éborgne de l'orteil. On se tourmente d'une intrusion fatale par les muqueuses intestines d'autrui, mais on ne peut que serrer le poing. Puis on s'habitue, que voulez-vous.
Quand il n'y a plus personne pour se plaindre de ce que vous faites à son sacrum ou à ses lombes, ma foi, les choses changent vite. Les organes se sont émancipés. Les relations se sont multipliées à une vitesse excessive, bien supérieure aux capacités de résistance de notre vieille conscience.
Et réciproquement, avec quelle facilité, au bout d'un certain temps d'immersion, on devient indifférent au sort de ce qu'on appelait autrefois son intimité, d'autant plus qu'il faudrait pouvoir protéger simultanément ce qui arrive aux quatre coins de son anatomie écartelée. Des vulves chaudes s'ouvrent comme des oursins aux clavicules et aux moignons. Nos bouches se sont habituées à ne pas résister.
Vous pouvez garder des cuisses moites enroulées à votre cou plusieurs jours et errer avec elles au cœur de la fosse avant qu'elles ne se détachent sous l'effet d'un nouveau courant de chair, d'une lame de fond qui vous les arrache à jamais.
Vous pouvez être déchiré entre votre bouche et votre bas-ventre, tous deux pris dans deux blocs, deux amas de corps aux pressions et aux vitesses tout à fait différentes. Il y a maintenant entre les organes d'un même corps une indépendance presque totale. La bouche vit sa vie, et vous pouvez penser à autre chose.
Je ne sais combien nous sommes dans la fosse, mais on peut raisonnablement conjecturer que chaque occupant y a déjà été en contact au moins une fois avec tous les autres, je veux dire : avec au moins une partie de chacun des autres occupants.
Cela pourrait se calculer.
Avec l'accroissement de la densité de population, le mouvement, sans cesser d'être possible, s'est cependant extraordinairement ralenti, et il est lui-même devenu un mouvement global, comme la rotation d'une matière presque uniforme sur elle-même, ou plutôt une rotation de plusieurs vagues de rotations contraires. Il suffit d'un seul mouvement de jambe à une extrémité de la fosse, pour que l'énergie transmise par contiguïté, de corps en corps comme une onde dans une mélasse hypersensible, soit ainsi amplifiée, décuplée, et que cette impulsion ait des conséquences incompréhensibles dans toute la fosse.
À partir d'un certain seuil de densité, le couple est apparu comme une unité plus fondamentale et plus précieuse que l'individu.
Certains ont essayé de rester accouplés, noués dans les bras les uns des autres, emboîtés en petites cuillères, roulés en une boule compacte à quatre bras et quatre jambes, comme des scarabées carapacés. Mais les impitoyables rotations ont finalement eu raison de leurs forces, et les couples ont tous été séparés, sans pouvoir hurler leur douleur.
D'autres couples se reforment aussitôt au hasard des déplacements, par l'heureuse conformation de certaines de leurs parties, mais ils ne durent jamais longtemps. On attrape une main au passage que l'on serre presque par réflexe, comme un bébé serre le doigt qui se glisse dans sa main. Telle ossature aiguë se loge dans les chairs molles. On s'accroche malgré soi à une prise, on glisse, on dérape. Des seins inégaux reçoivent votre nuque. Vous vous arrimez dans des hanches disloquées, et l'idylle dure quelques minutes ou quelques semaines, sans, le plus souvent, que vous n'ayez jamais connaissance du visage de votre providentielle et éphémère moitié.
Des épididymes se déroulent en serpentins, en guirlandes autour des poignets cassés. Des cols en feu zèbrent notre nuit perpétuelle comme des météores.
Moi-même je me souviens mal de Kristell. Je peine à redessiner dans ma mémoire les contours exacts de sa silhouette. Peut-être nous sommes-nous recroisés depuis notre séparation, c'est même statistiquement le plus probable étant donné le nombre élevé de mes contacts par jour. Peut-être même ai-je été réaccouplé à sa gorge ou à sa cheville. (J'ai une prédilection pour les gorges et les chevilles.) Peut-être l'ai-je connue à nouveau et je ne l'aurais pas reconnue.
Au début je l'ai cherchée. Mes explorations étaient tendues vers cet unique objectif. Je ne pouvais l'appeler, tant le son dans la fosse est étouffé par la chair qui l'emplit. Je me suis épuisé à arpenter l'espace au lieu de m'y laisser porter. Poussé par le sentiment encore vif de mon ancienne identité, je ne me souciais pas des autres occupants, des milliers de lambeaux vivants auxquels s'appuyait pourtant mon effort mesquin. Mais j'ai fini par perdre ce désir.
J'ai cessé d'éprouver le manque comme une perte. Je ne lutte plus contre le mouvement interne de notre grand corps collectif. Aujourd'hui je ne saurais trop quoi faire de l'ancienne Kristell toute entière si nous étions remis face à face, si ses parties éparses se recomposaient sous l'autorité de sa bouche et se remettaient à parler de concert avec elle.
D'aucuns pourraient avancer l'idée que nous expérimentons dans notre fosse un nouveau stade plus économique ou plus avancé de l'humanité, mais pensez que c'est bien malgré nous. Pour ma part je ne pense pas en des termes si abstraits. Je n'ai pas ce luxe. Je suis plus bassement matérialiste.
Je me dis qu'un processus, il faut seulement l'épouser. Il faut le mener jusqu'à son épuisement. Certains attendent peut-être l'immobilité totale de notre grand corps comme une délivrance, l'attendent religieusement comme un accomplissement. Ils espèrent que toutes nos souffrances passées et présentes se trouvent en quelque sorte justifiées par l'état final d'immobilité auquel nous semblons fatalement voués, à plus ou moins longue échéance.
À ce moment, qui sait ce qui arrivera. Les contrôleurs ne pourront plus appliquer leur programme mécaniquement, comme ils l'ont fait jusqu'à présent avec une rigueur imperturbable. Il faudra bien prendre une décision.
Mais je n'ai pas cette foi. Pour moi, le processus se suffit à lui-même. Je vois l'immobilité comme une phase transitoire du processus, plutôt que comme son terme. On n'en finit jamais, n'est-ce pas. J'ai arrêté de chercher les limites de la fosse. Elle est devenue notre peau.
Je sens que je peux encore me simplifier. Mes muscles se sont déjà détachés de mes os. Mes nerfs sont au-dehors. Je peux encore continuer.
Mon seul et constant travail consiste désormais à abandonner tout ce qui me reste de cette orgueilleuse volonté dont je souffre encore plus que des maux physiques. Et ainsi dois-je tourner, toujours davantage, selon l'extrême lenteur de notre condition. Je dois tourner sans répit dans la fosse comme dans un kaléidoscope de chair palpitante.
Frédéric Bisson
28.04.2025 à 07:26
dev
Scénario pour une émancipation écologiste Un lundisoir avec Alessandro Pignocchi
- 28 avril / Avec une grosse photo en haut, lundisoir, Positions, 4Si vous ne savez pas que les mésanges conspirent secrètement pour abolir le capitalisme et qu'il est possible d'entrer dans la tête de Bruno Retailleau grâce à un rituel animiste douloureux, c'est que vous n'avez jamais lu les excellentes et hilarantes bandes-dessinées d'Alessandro Pignocchi. Après La recomposition des mondes et Ethnographies des mondes à venir avec Philippe Descola [1], l'ancien chercheur en sciences cognitives revient avec un projet peut-être encore plus ambitieux. Avec Perspectives terrestres, Scénario pour une émancipation écologiste, Alessandro Pignocchi propose une hypothèse politique hybride qui ne se satisfait ni d'une pureté révolutionnaire dépendante du « grand soir », ni des illusions réformistes auxquelles plus personne ne croit de toute façon. Il s'agirait de renouer avec les milieux de vie, de territorialiser les forces politiques et de nouer les alliances qui permettent à la fois prendre au sérieux la question de la subsistance et celle du démantèlement de ce qui détruit la vie, la planète et tout le reste. Il s'agirait en somme d'accueillir le devenir émeutier de Marine Tondelier et d'accepter que Jean-Luc Mélenchon puisse au moins diriger un potager. Programme vaste et audacieux qui vient nourrir les questionnements politico-stratégiques.
00:00 Présentation
2:20 Lutter par et depuis les affects : diffuser les possibilités de joie et d'intensité de vie
7:36 Reprendre prise sur le monde depuis nos attachements aux territoires, aux milieux de vie et au vivant non-humain
10:25 L'attitude objectivante VS l'attitude subjectivante
17:23 De l'impossibilité de connaître 51 vaches ou comment l'élevage intensif modifie substantiellement le rapport au non-humain
21:35 La pensée du vivant : programme révolutionnaire ou anesthésiant pour bourgeoisie déprimée
29:41 Renverser les coordonnées de la valorisation économique de soi
35:42 Entre le réformisme social-démocrate et le mythe du grand soir : le gradualisme et l'oscillation saisonnière
41:47 Archipels, désertion et autonomie : luxe communale ou alternative pour privilégiés ?
47:36 Face à l'effondrement de l'hypothèse sociale-démocrate : fascisme ou prises de terres
51:14 Territorialiser les forces politiques
55:52 Engager la conflictualité, organiser le démantèlement
1:01:22 Se débarrasser de Retailleau dans un rituel animiste
1:08:07 Réactiver la joie de la grève ouvrière, réactualiser le lieu de la conflictualité politique
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Gripper la machine, réparer le monde - Gabriel Hagaï
La guerre globale contre les peuples - Mathieu Rigouste
Documenter le repli islamophobe en France - Joseph Paris
Les lois et les nombres, une archéologie de la domination - Fabien Graziani
Faut-il croire à l'IA ? - Mathieu Corteel
Banditisme, sabotages et théorie révolutionnaire - Alèssi Dell'Umbria
Universités : une cocotte-minute prête à exploser ? - Bruno Andreotti, Romain Huët et l'Union Pirate
Un film, l'exil, la palestine - Un vendredisoir autour de Vers un pays inconnu de Mahdi Fleifel
Barbares nihilistes ou révolutionnaires de canapé - Chuglu ou l'art du Zbeul
Livraisons à domicile et plateformisation du travail - Stéphane Le Lay
Le droit est-il toujours bourgeois ? - Les juristes anarchistes
Cuisine et révolutions - Darna une maison des peuples et de l'exil
Faut-il voler les vieux pour vivre heureux ? - Robert Guédiguian
La constitution : histoire d'un fétiche social - Lauréline Fontaine
Le capitalisme, c'est la guerre - Nils Andersson
Lundi Bon Sang de Bonsoir Cinéma - Épisode 2 : Frédéric Neyrat
Pour un spatio-féminisme - Nephtys Zwer
Chine/États-Unis, le capitalisme contre la mondialisation - Benjamin Bürbaumer
Avec les mineurs isolés qui occupent la Gaîté lyrique
La division politique - Bernard Aspe
Syrie : la chute du régime, enfin ! Dialogue avec des (ex)exilés syriens
Mayotte ou l'impossibilité d'une île - Rémi Cramayol
Producteurs et parasites, un fascisme est déjà là - Michel Feher
Clausewitz et la guerre populaire - T. Drebent
Faut-il boyotter les livres Bolloré - Un lundisoir avec des libraires
Contre-anthropologie du monde blanc - Jean-Christophe Goddard
10 questions sur l'élection de Trump - Eugénie Mérieau, Michalis Lianos & Pablo Stefanoni
Chlordécone : Défaire l'habiter colonial, s'aimer la terre - Malcom Ferdinand
Ukraine, guerre des classes et classes en guerre - Daria Saburova
Enrique Dussel, métaphysicien de la libération - Emmanuel Lévine
Des kibboutz en Bavière avec Tsedek
Le macronisme est-il une perversion narcissique - Marc Joly
Science-fiction, politique et utopies avec Vincent Gerber
Combattantes, quand les femmes font la guerre - Camillle Boutron
Communisme et consolation - Jacques Rancière
Tabou de l'inceste et Petit Chaperon rouge - Lucile Novat
L'école contre l'enfance - Bertrand Ogilvie
Une histoire politique de l'homophobie - Mickaël Tempête
Continuum espace-temps : Le colonialisme à l'épreuve de la physique - Léopold Lambert
« Les gardes-côtes de l'ordre racial » u le racisme ordinaire des électeurs du RN - Félicien Faury
Armer l'antifascisme, retour sur l'Espagne Révolutionnaire - Pierre Salmon
Les extraterrestres sont-ils communistes ? Wu Ming 2
De quoi l'antisémitisme n'est-il pas le nom ? Avec Ludivine Bantigny et Tsedek (Adam Mitelberg)
De la démocratie en dictature - Eugénie Mérieau
Inde : cent ans de solitude libérale fasciste - Alpa Shah
(Activez les sous-titre en français)
50 nuances de fafs, enquête sur la jeunesse identitaire avec Marylou Magal & Nicolas Massol
Tétralemme révolutionnaire et tentation fasciste avec Michalis Lianos
Fascisme et bloc bourgeois avec Stefano Palombarini
Fissurer l'empire du béton avec Nelo Magalhães
La révolte est-elle un archaïsme ? avec Frédéric Rambeau
Le bizarre et l'omineux, Un lundisoir autour de Mark Fisher
Démanteler la catastrophe : tactiques et stratégies avec les Soulèvements de la terre
Crimes, extraterrestres et écritures fauves en liberté - Phœbe Hadjimarkos Clarke
Pétaouchnock(s) : Un atlas infini des fins du monde avec Riccardo Ciavolella
Le manifeste afro-décolonial avec Norman Ajari
Faire transer l'occident avec Jean-Louis Tornatore
Dissolutions, séparatisme et notes blanches avec Pierre Douillard-Lefèvre
De ce que l'on nous vole avec Catherine Malabou
La littérature working class d'Alberto Prunetti
Illuminatis et gnostiques contre l'Empire Bolloréen avec Pacôme Thiellement
La guerre en tête, sur le front de la Syrie à l'Ukraine avec Romain Huët
Abrégé de littérature-molotov avec Mačko Dràgàn
Le hold-up de la FNSEA sur le mouvement agricole
De nazisme zombie avec Johann Chapoutot
Comment les agriculteurs et étudiants Sri Lankais ont renversé le pouvoir en 2022
Le retour du monde magique avec la sociologue Fanny Charrasse
Nathalie Quintane & Leslie Kaplan contre la littérature politique
Contre histoire de d'internet du XVe siècle à nos jours avec Félix Tréguer
L'hypothèse écofasciste avec Pierre Madelin
oXni - « On fera de nous des nuées... » lundisoir live
Selim Derkaoui : Boxe et lutte des classes
Josep Rafanell i Orra : Commentaires (cosmo) anarchistes
Ludivine Bantigny, Eugenia Palieraki, Boris Gobille et Laurent Jeanpierre : Une histoire globale des révolutions
Ghislain Casas : Les anges de la réalité, de la dépolitisation du monde
Silvia Lippi et Patrice Maniglier : Tout le monde peut-il être soeur ? Pour une psychanalyse féministe
Pablo Stefanoni et Marc Saint-Upéry : La rébellion est-elle passée à droite ?
Olivier Lefebvre : Sortir les ingénieurs de leur cage
Du milieu antifa biélorusse au conflit russo-ukrainien
Yves Pagès : Une histoire illustrée du tapis roulant
Alexander Bikbov et Jean-Marc Royer : Radiographie de l'État russe
Un lundisoir à Kharkiv et Kramatorsk, clarifications stratégiques et perspectives politiques
Sur le front de Bakhmout avec des partisans biélorusses, un lundisoir dans le Donbass
Mohamed Amer Meziane : Vers une anthropologie Métaphysique->https://lundi.am/Vers-une-anthropologie-Metaphysique]
Jacques Deschamps : Éloge de l'émeute
Serge Quadruppani : Une histoire personnelle de l'ultra-gauche
Pour une esthétique de la révolte, entretient avec le mouvement Black Lines
Dévoiler le pouvoir, chiffrer l'avenir - entretien avec Chelsea Manning
Nouvelles conjurations sauvages, entretien avec Edouard Jourdain
La cartographie comme outil de luttes, entretien avec Nephtys Zwer
Pour un communisme des ténèbres - rencontre avec Annie Le Brun
Philosophie de la vie paysanne, rencontre avec Mathieu Yon
Défaire le mythe de l'entrepreneur, discussion avec Anthony Galluzzo
Parcoursup, conseils de désorientation avec avec Aïda N'Diaye, Johan Faerber et Camille
Une histoire du sabotage avec Victor Cachard
La fabrique du muscle avec Guillaume Vallet
Violences judiciaires, rencontre avec l'avocat Raphaël Kempf
L'aventure politique du livre jeunesse, entretien avec Christian Bruel
À quoi bon encore le monde ? Avec Catherine Coquio
Mohammed Kenzi, émigré de partout
Philosophie des politiques terrestres, avec Patrice Maniglier
Politique des soulèvements terrestres, un entretien avec Léna Balaud & Antoine Chopot
Laisser être et rendre puissant, un entretien avec Tristan Garcia
La séparation du monde - Mathilde Girard, Frédéric D. Oberland, lundisoir
Ethnographies des mondes à venir - Philippe Descola & Alessandro Pignocchi
Enjamber la peur, Chowra Makaremi sur le soulèvement iranien
Le pouvoir des infrastructures, comprendre la mégamachine électrique avec Fanny Lopez
Comment les fantasmes de complots défendent le système, un entretien avec Wu Ming 1
Le pouvoir du son, entretien avec Juliette Volcler
Qu'est-ce que l'esprit de la terre ? Avec l'anthropologue Barbara Glowczewski
Retours d'Ukraine avec Romain Huët, Perrine Poupin et Nolig
Démissionner, bifurquer, déserter - Rencontre avec des ingénieurs
Anarchisme et philosophie, une discussion avec Catherine Malabou
La barbarie n'est jamais finie avec Louisa Yousfi
Virginia Woolf, le féminisme et la guerre avec Naomi Toth
Françafrique : l'empire qui ne veut pas mourir, avec Thomas Deltombe & Thomas Borrel
Guadeloupe : État des luttes avec Elie Domota
Ukraine, avec Anne Le Huérou, Perrine Poupin & Coline Maestracci->https://lundi.am/Ukraine]
Comment la pensée logistique gouverne le monde, avec Mathieu Quet
La psychiatrie et ses folies avec Mathieu Bellahsen
La vie en plastique, une anthropologie des déchets avec Mikaëla Le Meur
Anthropologie, littérature et bouts du monde, les états d'âme d'Éric Chauvier
La puissance du quotidien : féminisme, subsistance et « alternatives », avec Geneviève Pruvost
Afropessimisme, fin du monde et communisme noir, une discussion avec Norman Ajari
Puissance du féminisme, histoires et transmissions
Fondation Luma : l'art qui cache la forêt
L'animal et la mort, entretien avec l'anthropologue Charles Stépanoff
Rojava : y partir, combattre, revenir. Rencontre avec un internationaliste français
Une histoire écologique et raciale de la sécularisation, entretien avec Mohamad Amer Meziane
LaDettePubliqueCestMal et autres contes pour enfants, une discussion avec Sandra Lucbert.
Basculements, mondes émergents, possibles désirable, une discussion avec Jérôme Baschet.
Au cœur de l'industrie pharmaceutique, enquête et recherches avec Quentin Ravelli
Vanessa Codaccioni : La société de vigilance
Comme tout un chacune, notre rédaction passe beaucoup trop de temps à glaner des vidéos plus ou moins intelligentes sur les internets. Aussi c'est avec beaucoup d'enthousiasme que nous avons décidé de nous jeter dans cette nouvelle arène. D'exaltations de comptoirs en propos magistraux, fourbis des semaines à l'avance ou improvisés dans la joie et l'ivresse, en tête à tête ou en bande organisée, il sera facile pour ce nouveau show hebdomadaire de tenir toutes ses promesses : il en fait très peu. Sinon de vous proposer ce que nous aimerions regarder et ce qui nous semble manquer. Grâce à lundisoir, lundimatin vous suivra jusqu'au crépuscule. « Action ! », comme on dit dans le milieu.
[1] voir notre entretien https://lundi.am/Ethnographies-des-mondes-a-venir