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La Lettre de Philosophie Magazine

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27.11.2025 à 21:00

Voyage dans les égouts de Paris

nfoiry

Voyage dans les égouts de Paris nfoiry jeu 27/11/2025 - 21:00

« Jeudi dernier, c’était le jour du beaujolais nouveau. Je commençais à attraper froid, et une sale petite bruine s’était mise à tomber, agrémentée d’un vent glacial. C’est bien sûr le soir où j’avais programmé une exploration nocturne des égouts de Paris, dans le cadre d’un article à paraître.

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Rendez-vous est pris à 19h30. Je me retrouve en compagnie de Mika, notre guide égoutier, et d’une dizaine de curieux, sous le pont de l’Alma, à arpenter les tunnels au rythme des “bip bip” pas si rassurants émis par un boîtier destiné à nous alerter en cas d’intoxication aux gaz. Après avoir parcouru quelques mètres sous terre, nous voilà en face d’une grande étendue d’eau marron, où flotte une quantité de déjections qui avancent sous nos yeux au rythme d’un courant assez rapide.

Au rythme du “bateau-vanne”

Une odeur (prévisible) de canalisation flotte dans l’atmosphère. “Si vous tombez, c’est quatre jours d’hôpital minimum”, prévient Mika. Nous sommes séparés de l’eau brunâtre par une sorte de filet de pêche qui recouvre la surface, mais j’ai quand même le réflexe de me reculer. Plus loin, on aperçoit un “bateau-vanne”. L’engin imposant, retenu par des chaînes, sert à nettoyer les dépôts solides qui gisent au fond des souterrains. “Le processus prend plus de trois semaines car le bateau avance mètre par mètre”, précise le guide. 

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Cet univers pour le moins archaïque m’a étonnée. Une part de moi s’attendait peut-être à voir des canalisations toutes propres et des robots high-tech ultra-sophistiqués triant les déchets en silence. Certes, ces machines existent : on les appelle “les dégrilleurs mécaniques”, dotés de sortes de bras censés trier les gros détritus. “Mais elles dysfonctionnent à cause des lingettes jetées dans les toilettes qui se posent dessus et qu’on passe notre temps à retirer”, explique Mika.

Les autoroutes du caca

L’intelligence artificielle paraîtrait bien ridicule face à cette immensité d’eau souillée et croupissante à gérer. À la place, il y a du gros œuvre, de l’ingénierie civile robuste qui date de la période Haussmann, dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Les 2 500 kilomètres de tunnels qui constituent les égouts parisiens sont parcourus par des tuyaux en grès. “Au plafond, vous avez les eaux propres et en bas les eaux sales”, poursuit notre guide. On remarque d’ailleurs que le tuyau des eaux sales est tout encroûté par rapport à l’autre. “C’est normal, l’eau sale est pleine d’acides et de bactéries qui rongent le matériel.”  

En plus d’être costaud, le système est intuitif. Il est inspiré par le fonctionnement de la nature. Tout comme les rivières se jettent dans les fleuves situés en aval, les égouts placés en hauteur se déversent dans ceux localisés plus bas. C’est ce que l’on appelle le modèle “gravitaire”, qui fonctionne donc grâce à la gravité, sans l’aide de pompes. Les petits égouts, “les branchements particuliers”, sont reliés à de plus grandes canalisations, que l’on appelle “égouts élémentaires”, eux-mêmes reliés à des grandes cavités souterraines de plus de 25 kilomètres, “les émissaires”, qui sont – pour le dire très prosaïquement – des sortes d’autoroutes du caca qui mènent jusqu’aux stations d’épuration.

Travailler en fonction de la nature

Les concepteurs des égouts comme les égoutiers travaillent avec la nature et en fonction d’elle. Dans son livre La Terre et les rêveries de la volonté (1948), auquel j’ai pensé en arpentant l’antre de la ville, Gaston Bachelard explique que la vie souterraine “enracine l’atelier dans la nature”. Tous ceux qui travaillent sous terre sont obligés de composer avec les éléments naturels. Leur “atelier”, leur lieu de travail est situé à même la terre, en son sein. Ils doivent adapter leur façon de faire à cette situation tellurique. Par exemple, en cas de forte pluie, les égoutiers parisiens sont massivement mobilisés et peuvent utiliser ce que l’on appelle un “déversoir d’orage”, qui consiste simplement à rediriger les eaux de pluie dans la Seine. 

Parce qu’ils sont très loin des techniques hypermodernes censément miraculeuses, les égouts représentent une des meilleures manières de nous ramener tous et toutes à une forme d’humilité. Ils nous rappellent que nous sommes pris entre deux mondes naturels : un en haut et un en bas. En haut, les orages ou les tempêtes. En bas, nos propres déjections. Deux natures que nous tentons tant bien que mal de canaliser… avec des canalisations, et grâce au travail de précision et de rapidité effectué chaque jour par les égoutiers. “L’un des arrondissements les plus à risque en cas de problème d’égouts, c’est le VIIe. Si on fait mal notre travail, c’est l’Assemblée nationale et l’Élysée qui risquent se retrouver les pieds dans la merde !” plaisante le guide. Une expérience fécale qui pousserait peut-être nos élus à redescendre sur Terre ? »

novembre 2025
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27.11.2025 à 17:00

La “théorie des climats” chez Montesquieu, c’est quoi ?

nfoiry

La “théorie des climats” chez Montesquieu, c’est quoi ? nfoiry jeu 27/11/2025 - 17:00

L’endroit où nous vivons détermine-t-il la manière dont nous vivons et souhaitons être gouvernés ? C’est la question au cœur de la « théorie des climats », thèse célèbre de Montesquieu dans son livre De l’esprit des lois. L’éclairage de Nicolas Tenaillon, professeur de philosophie et auteur.

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Inspirée par les Anciens mais formulée de manière systématique par le baron de Montesquieu dans De l’esprit des lois (1748), la théorie des climats soutient que les latitudes exercent sur les peuples une si forte influence qu’elles déterminent en partie leurs mœurs et les formes de gouvernement qui leur conviennent. Est-ce à dire qu’une fatalité géographique décide de ce qu’est une bonne politique ? Pour ce fin représentant de la philosophie des Lumières qu’était Montesquieu la réponse n’est pas si simple… 

 

“Écorcher un Moscovite pour lui donner du sentiment” ?

C’est dans les chapitres XIV à XVIII de De l’esprit des lois, consacrés à l’influence des facteurs naturels sur les lois et les comportements humains, que Montesquieu développe sa théorie des climats. Bien qu’il s’inscrive dans une certaine tradition philosophique, son objet n’est pas de reprendre les observations d’Aristote sur le courage des peuples qui habitent les pays froids, ni celles des médecins antiques Hippocrate et Galien sur l’influence de l’humidité sur les nerfs. Montesquieu tire plutôt des lois générales relatives au lien qui unit d’abord la topographie à la sociologie – dont Montesquieu est l’un des précurseurs –, puis la sociologie à la politique. Il l’explique dans « l’idée générale » qui préside à son analyse.

“S’il est vrai que le caractère de l’esprit et les passions du cœur soient extrêmement différents dans les divers climats, les lois doivent être relatives et à la différence de ces passions et à la différence de ces caractères.”

Montesquieu, De l’esprit des lois

Autrement dit, on ne saurait comprendre la diversité des mœurs sans la référer à la diversité des conditions naturelles d’existence des humains. Et ce serait être un bien mauvais législateur que d’ignorer ce que le climat a fait des peuples et ce qu’il continuera à produire sur eux. Prenons ici un exemple soulevé par Montesquieu : sous les latitudes très froides, les corps deviennent moins sensibles, si bien qu’il faudrait, écrit-il, « écorcher un Moscovite pour lui donner du sentiment ». Or, sous ces mêmes latitudes glacées, le travail est particulièrement pénible. Donc on ne doit pas s’étonner, d’après le philosophe, que ce soit à coups de knout qu’on ait contraint les serfs de Russie à travailler et que cet empire froid et immense ait été dirigé par des tsars tyranniques. Non pas que Montesquieu, adversaire de l’esclavage, approuve cette pratique cruelle. Le climat ne fait pas tout. Mais du moins explique-t-il cet état de fait : « Dans tout ceci je ne justifie pas les usages, mais j’en rends les raisons. »

 

Légiférer contre vents et marées

Cependant, tenir compte du climat ne signifie pas s’y soumettre. C’est seulement chez les « sauvages » que « la nature et le climat dominent presque seuls », écrit Montesquieu, avec le langage qui caractérise son temps. Ailleurs, d’autres facteurs interviennent, comme « les manières » en Chine ou « les maximes de gouvernement et les mœurs anciennes » à Rome.

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Pour bien légiférer, il importe donc de relativiser cette influence. Aux yeux de Montesquieu, « les mauvais législateurs sont ceux qui ont favorisé les vices du climat, les bons sont ceux qui s’y sont opposés ». Le penseur et magistrat déplore ainsi que dans certains pays chauds, on ait davantage préféré valoriser la religion que le travail productif (« en Asie, le nombre de derviches ou moines augmente avec la chaleur du climat »), au risque de fragiliser la puissance de certains États.

“C’est ainsi qu’un air pur est quelquefois nuisible à ceux qui ont vécu dans un pays marécageux”Montesquieu

Mais jusqu’à quel point peut-on empêcher la mauvaise influence du climat de déterminer défavorablement les mœurs et les lois ? Libéral, admirateur de l’Angleterre, Montesquieu n’en soutient pas moins que certains pays ne pourraient se satisfaire d’une monarchie parlementaire et a fortiori d’une législation républicaine. N’hésitant pas à écrire que « la liberté même a paru insupportable à des peuples qui n’étaient pas accoutumés à en jouir », il propose, pour le faire comprendre, une image saisissante : « C’est ainsi qu’un air pur est quelquefois nuisible à ceux qui ont vécu dans un pays marécageux. »

On mesure ici toute la nuance de la pensée de Montesquieu, même s’il est vrai qu’elle n’échappe pas au défaut d’ethnocentrisme. Le climat n'explique pas tout mais il n’est jamais une donnée négligeable, même pour les peuples les plus avancés, en l’occurrence ceux qui vivent sous des latitudes tempérées comme les Européens. Aussi ces derniers seraient-ils bien avisés de reconnaître que leurs idées progressistes ne sont peut-être pas partout exportables. 

 

Des critiques en pleines Lumières

Et l’on comprend pourquoi la théorie des climats a pu être contestée par d’autres philosophes des Lumières. Denis Diderot, supervisant l’article « Climat » (1752) de l’Encyclopédie, admettait certes que « le climat influe, sans doute, sur la constitution du corps », mais il précisait d’emblée qu’il ne « détermine point nécessairement les mœurs ». De son côté, Condorcet, révolutionnaire et abolitionniste convaincu, affirmait dans ses Réflexions sur l’esclavage des nègres (1781) que « ce n’est ni au climat, ni au terrain, ni à la constitution physique, ni à l’esprit national qu’il faut attribuer la paresse de certains peuples ; c’est aux mauvaises lois qui les gouvernent ».

 

Un retour en grâce à l’heure du dérèglement climatique ?

La théorie des climats de Montesquieu a ceci de dérangeant qu’elle tend à limiter la capacité des humains à s’affranchir de leur condition naturelle pour s’accorder sur des principes communs de justice. Mais en soutenant que « l’empire des climats est le premier tous les empires », Montesquieu ne voulait-il pas seulement dire que pour le sociologue comme pour le politique, le climat doit être une donnée de base ? Et que cette cause première, plus différenciante que déterminante, est trop souvent ignorée, alors qu’elle explique pourtant la conduite de bien des peuples et qu’elle oblige le législateur à adapter ses convictions à la réalité du terrain ?

Produit d’une pensée anti-utopique, mais moins conservatrice qu’il n’y paraît, la théorie des climats est considérée aujourd’hui comme scientifiquement et anthropologiquement dépassée. Elle n’a toutefois rien perdu de sa pertinence philosophique car elle nous interroge, nous humains du XXIe siècle, de manière inédite : ne doit-on pas craindre que le dérèglement climatique bouscule aussi nos repères politiques ?

novembre 2025
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27.11.2025 à 12:00

Clara Degiovanni : “Exhumer la part vertueuse qui gît dans chacun de nos vices”

nfoiry

Clara Degiovanni : “Exhumer la part vertueuse qui gît dans chacun de nos vices” nfoiry jeu 27/11/2025 - 12:00

Agacement et hypocrisie. Tels étaient les deux vices à l’étude pour clore le cycle « Que faire de nos vices ? » dans l’émission Avec philosophie, sur France Culture, en partenariat avec Philosophie magazine. Notre journaliste Clara Degiovanni a analysé pourquoi l’agacement était « la politesse du colérique », soulignant une idée plus générale, qui anime notre nouveau hors-série : « Il faut chercher à exhumer la part vertueuse qui gît dans chacun de nos vices. »

novembre 2025
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