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21.04.2025 à 19:32

Les auteurs transfuges de classe au Québec : entre influence des écrivains français et réflexions sur les langues

Sara De Balsi, Chercheuse associée en littérature française et comparée, CY Cergy Paris Université

Les auteurs québécois de récits de transfuges de classe revendiquent l’influence des écrivains français tout en développant des thèmes propres à leur parcours dans la société canadienne.
Texte intégral (2191 mots)
Au Canada, les auteurs et autrices qui mettent en scène leur parcours de transfuge de classe s’interrogent souvent sur la manière de faire vivre dans l’écriture les langues de leur passé. Pexels, CC BY

La littérature québécoise est riche de romans et récits autobiographiques qui mettent en scène des parcours de transfuges de classe. Influencés par des auteurs français, d’Annie Ernaux à Édouard Louis, les écrivains canadiens explorent plus directement la thématique du plurilinguisme, notamment le changement de langue que peut produire le changement de classe sociale.


Le récit de transfuge de classe, narration d’un parcours de mobilité sociale ascendante, s’institutionnalise et se canonise en France dans les années 2020. Mais ce type de récit circule aussi dans l’espace francophone, notamment au Québec, où la question de la mobilité sociale recoupe plus directement qu’en France celle du plurilinguisme : si le changement de classe implique toujours un changement de variété de langue, souvent il impose de changer de langue tout court.

La littérature québécoise contemporaine est riche de romans et récits autobiographiques qui mettent en scène une ascension sociale. Bonheur d’occasion, de Gabrielle Roy (1945), classique récemment redécouvert aussi en France, en est le précurseur : ce roman en partie autobiographique est l’histoire d’une fille, issue du quartier populaire de Saint-Henri à Montréal, qui cherche, sans succès, à sortir de la pauvreté. Mais c’est surtout après « la Révolution tranquille » des années 1960, période de réformes progressistes qui entraînent des changements économiques, sociaux et politiques rapides, qu’on publie au Québec un grand nombre de récits et romans autobiographiques de la mobilité sociale, souvent écrits par des femmes issues de milieux défavorisés et ayant pu entrer en littérature par l’éducation.


À lire aussi : Les transfuges de classe dans la littérature : le cas d’Annie Ernaux


C’est en connaisseuse de cette tradition que Lori Saint-Martin (1959-2022), traductrice et professeure de littérature québécoise, écrit Pour qui je me prends, publié outre-Atlantique en 2020 et en France en 2023. Ce récit de transfuge de classe emprunte à la forme de l’autobiographie linguistique, ou « language memoirs » dans le monde anglo-saxon : il s’agit du récit de sa vie à travers les langues que l’on a apprises et avec lesquelles on a vécu.

Dans le texte de Saint-Martin confluent en effet la trajectoire de transfuge de classe de la narratrice, issue d’un milieu ouvrier de la ville anglophone de Kitchener, dans la province de l’Ontario, et sa trajectoire de translingue, autrice écrivant dans une langue seconde acquise tardivement. L’autrice se considère sauvée par sa passion pour la langue française, qui sera le moteur de son ascension sociale par les études :

« J’ai appris le français pour fuir l’anglais, fuir mon destin. […] Je suis une transfuge, une translingue. J’y ai mis du temps, j’y ai mis toute ma vie. »

Le changement de classe est rendu possible par l’apprentissage d’une nouvelle langue.


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L’influence des transfuges français

De manière générale, les récits de transfuge de classe québécois des dernières années semblent s’appuyer moins sur la tradition québécoise du roman social que sur le récit de transfuge de classe fortement institutionnalisé en France, comme le montre l’abondance de références à des auteurs français, particulièrement Annie Ernaux, Édouard Louis et Didier Eribon.

Les récits de transfuges de classe sont-ils vraiment politiques ?

Le récit de Lori Saint-Martin évoque ainsi, sans la citer, la figure d’Annie Ernaux, ne serait-ce que par l’emploi du mot « transfuge », revendiqué et popularisé par la Prix Nobel. Au début du récit, dans la phrase « J’arriverais où les miens n’étaient jamais allés, je les vengerais, je les trahirais », les verbes venger et trahir évoquent le paradoxe principal du récit de transfuge de classe, divisé entre la trahison des parents et la vengeance que constitue l’écriture, central dans l’œuvre d’Annie Ernaux.

Le récit Parler comme du monde, de l’Acadienne Annette Boudreau, une autre autrice qui vient du monde universitaire (dans ce cas, de la sociolinguistique), reprend, quant à lui, le procédé ernausien consistant à écrire à partir d’une photo d’enfance, devenu incontournable dans le récit de transfuge de classe, et cite explicitement sa source d’inspiration.

Jean-Philippe Pleau, journaliste montréalais, affirme au début de son Rue Duplessis que l’idée de ce récit lui est venue d’une interview avec Édouard Louis et ajoute plus loin que Didier Eribon, avec qui il a entretenu une correspondance, l’a encouragé à écrire son histoire. Un passage du même Édouard Louis est cité en exergue de la deuxième partie du roman autobiographique Là où je me terre, de Caroline Dawson (1979-2024), sociologue et écrivaine. Elle affirme ailleurs s’être inspirée de Retour à Reims, d’Eribon, qui lui rend hommage en retour dans une publication collective consacrée à son œuvre. Cet article est, enfin, repris comme préface de l’édition récente du roman de Dawson en France, qui contient aussi un mot introductif… d’Annie Ernaux.

Annie Ernaux en 2022 lors de la réception de son prix Nobel de littérature
Le mot « transfuge » a été revendiqué et largement popularisé par l’autrice Prix Nobel Annie Ernaux. Wikicommons, CC BY-NC-SA

Or, tous les auteurs canadiens cités sont émergents dans le champ littéraire, bien que reconnus dans d’autres domaines, comme la recherche universitaire et le journalisme : on voit par ces exemples à quel point, en se positionnant dans le sillage des récits de transfuges français, ces auteurs se construisent une filiation illustre et cherchent une caution de leur valeur littéraire.

Changer de classe, changer de langue

Les récits de transfuges au Québec exploitent particulièrement le lien entre changement de classe et changement de langue. La diglossie, c’est-à-dire la présence de deux variétés de langue hiérarchisées, qui correspondent au monde social d’origine et au monde social d’arrivée du narrateur, est omniprésente dans ce type de récit. Au Québec, l’écart entre le français québécois souvent dévalorisé et le français standard dont la norme s’établit en France hexagonale engendre le phénomène bien connu de l’insécurité linguistique, étudié puis raconté d’un point de vue personnel par Annette Boudreau dans Parler comme du monde.

À cette diglossie interne au français s’ajoute, dans certains cas, le face-à-face non seulement entre deux variétés de la même langue, mais aussi entre le français et une autre langue. On a vu que Lori Saint-Martin change de classe en changeant de langue et passe non seulement de l’anglais au français, mais de l’anglais populaire au français légitime :

« Mon anglais est clivé par la classe sociale, contrairement à mon français et mon espagnol, produits de mes études et non de mon enfance », écrit-elle dans Pour qui je me prends.

Caroline Dawson, arrivée à Montréal du Chili avec ses parents à l’âge de 7 ans, connaît aussi une trajectoire de transfuge qui est également une trajectoire translingue. Dans son cas, cependant, l’apprentissage du français à l’école provoque un éloignement douloureux du monde des parents et de l’enfance. Dans son ouvrage Là où je me terre, elle écrit :

« Le français devenait ma langue. Celle qui se superposerait lentement à l’espagnol, pourtant première et maternelle. Celle qui deviendrait une demeure. Celle qui me permettrait non seulement de dire, d’appréhender le monde mais aussi de m’éloigner des miens. De m’éloigner des miens sans les quitter. »

En plus de remplacer l’espagnol, le français instaure une séparation sociale entre la narratrice et ses parents :

« Je lisais désormais de la poésie et participais aux concours littéraires de mon école. La langue de la domination de ma mère était désormais devenue mon terrain de jeu. »

Les expériences de transfuge de classe et de langue se rejoignent et se télescopent.

Ces exemples montrent que le récit de transfuge de classe au Québec représente, plus fortement que son homologue français, le clivage de la conscience linguistique. Cette spécificité s’explique par la situation linguistique de cette province canadienne – francophone, mais entourée par l’anglais – et particulièrement de Montréal, ville bilingue et multiculturelle. Les auteurs et autrices transfuges mettent en scène la rencontre et, plus souvent, la confrontation entre les langues et s’interrogent sur la manière de faire vivre dans l’écriture les langues de leur passé.

The Conversation

Sara De Balsi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

17.04.2025 à 16:32

Séville à l’épreuve du tourisme de masse

Ivanne Galant, Maîtresse de Conférences, Docteure en études hispaniques, Université Sorbonne Paris Nord

Venise entre dans la période où elle applique une taxe d’entrée aux visiteurs à la journée pour réguler leur afflux. En parallèle, à Séville, le nombre de touristes continue d’augmenter et le gouvernement est ambivalent.
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Face à la saturation du centre historique, la Ville de Séville tente d’attirer les touristes vers de nouveaux lieux. Joan Oger/Unsplash, CC BY

En Espagne, entre 2022 et 2024, le nombre de touristes étrangers a fait un bond de 31 %. Du côté de l’Andalousie, région chérie des visiteurs, c’est la surchauffe : à Grenade, à Malaga ou à Séville, les centres historiques se transforment, et les habitants peinent à se loger.


Depuis quelques semaines, les médias saluent la croissance espagnole : un PIB en hausse de 3,2 %, soit quatre fois plus que la moyenne européenne. The Guardian a même qualifié le gouvernement de Pedro Sánchez (PSOE) de « phare progressiste en ces temps obscurs », dans un éditorial mettant en avant les politiques d’immigration, la baisse de l’inflation, le développement des investissements et des infrastructures publiques, les efforts pour la transition écologique et, bien sûr, le tourisme. En 2024, 94 millions de touristes étrangers ont dépensé 126 milliards d’euros, pour une activité représentant 12 % du PIB du pays. Mais le journal britannique mettait aussi en garde contre les effets négatifs de cette industrie.

Depuis le boom touristique des années 1950-1960, les médias relaient régulièrement les chiffres spectaculaires liés à l’activité. Aujourd’hui, chacune des 17 communautés autonomes espagnoles publie ses propres statistiques, qui sont à manier toutefois avec précaution.

Ainsi, les méthodes de calcul varient, ne prenant pas toujours en compte les locations d’appartements touristiques de type Airbnb, comme à Séville où les proportions en résultent faussées : sur les 5 millions de touristes pour 2024, les Américains seraient les plus nombreux (290 000), suivis des Français (264 000), des Italiens (250 000) et des Britanniques (210 000). Ce manque de transparence concernant les appartements touristiques est d’ailleurs une des préoccupations de l’Union européenne, qui cherche à mieux comprendre et encadrer les dynamiques de ce marché.

Mais, quelle que soit la façon dont on les compte, les touristes sont bien là, et les dérives d’un tourisme de masse, déjà pointées du doigt par les habitants réunis en collectifs avant la pandémie, sont au cœur des préoccupations. Car, si les autorités et les médias présentent souvent l’activité comme source de travail et de revenus, les conséquences sur la vie locale sont bien réelles.


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Séville, eldorado touristique

Le cas de Séville en Andalousie est particulièrement intéressant. Centre culturel et économique à l’époque musulmane, elle devient une ville riche et cosmopolite entre le XVIe et le XVIIIe siècles, car elle est, jusqu’en 1717, le seul port autorisé à recevoir les marchandises venant des colonies américaines. Un siècle plus tard, ce sont les voyageurs romantiques qui la mettent à l’honneur et en font le but de leur itinéraire espagnol : dans cette Andalousie perçue comme un Orient domestiqué, Séville séduit particulièrement, d’autant plus qu’elle est accessible en train.

La ville devient touristique et son image se façonne selon un dialogue asymétrique. D’une part, depuis l’étranger, des produits culturels mettent la ville à l’honneur, pouvant constituer une sorte de publicité passive – pensons à la cigarière Carmen, à ses multiples adaptations sur scène ou à l’écran. D’autre part, les institutions touristiques locales adaptent leur offre aux attentes des voyageurs.

Dès les années 1920, des aménagements urbains et des événements ont structuré l’activité touristique de Séville : le quartier de Santa Cruz a été rendu plus pittoresque, l’enceinte de l’exposition ibéro-américaine célébrée en 1929 est une visite incontournable. Plus tard, l’Expo 92 a accueilli 40 millions de visiteurs et a permis à la ville d’améliorer ses infrastructures.

Tous les espoirs étaient tournés vers l’après-Expo 92, avec l’idée de faire de la ville une mégalopole, mais les festivités avaient coûté trop cher, et les mauvaises herbes ont fini par envahir l’enceinte de l’exposition. Cela étant, forte de son aéroport agrandi et de sa gare flambant neuve, Séville a continué à attirer des voyageurs, embrassant cette industrie jusqu’à l’étouffement.

Diversifier les parcours et les expériences

La ville connaît un tourisme de masse, avec des visiteurs qui restent en moyenne entre deux et trois nuits et qui se pressent dans le centre historique. Face à la saturation, la mairie a tenté de placer sur la carte de nouveaux repères : l’imposante structure en bois (Metropol Parasol-Las Setas) et la tour Pelli haute de 40 étages – qui a failli coûter à la ville son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco en raison de sa hauteur impactant le skyline sévillan. Ces deux constructions modernes, œuvres de deux « starchitectes », initialement controversées pour leur esthétique et leur coût, se sont finalement intégrées à la ville.

Il a également été question de rendre touristiques des quartiers auparavant délaissés par les visiteurs : Triana, ancien quartier gitan, a vu s’ouvrir le Centro Cerámica en 2014 ; le Castillo San Jorge, ancien siège de l’Inquisition, et ses marchés alimentaires se rapprochent des Food hall prisés des touristes. Même chose pour la Macarena, avec la création du musée de la basilique, l’exhumation de la dépouille du général franquiste Queipo de Llano, ou encore la rénovation de l’église baroque San Luis des Français. La mairie a également annoncé que les quartiers de Nervión, la Cartuja et Santa Justa devraient apparaître sur les futurs plans distribués aux touristes.

Une autre stratégie consiste à capitaliser sur les films et séries tournés dans la ville. Les « films commissions » encouragent les tournages en insistant sur la logique du win-win (gagnant-gagnant) qu’ils entraînent : il y a des avantages fiscaux pour les productions, des retombées économiques locales au moment du tournage et une affluence touristique une fois l’œuvre diffusée. Lawrence d’Arabie, Star Wars, Game of Thrones, sont autant de références mises en valeur dans des circuits touristiques, et ce sera bientôt le cas des séries Berlin (spin-off de La Casa de Papel) et Sherlock Holmes (Amazon).

Il peut aussi être question de varier les expériences et de s’adresser à plusieurs publics en développant la promotion d’événements sportifs ou de festivals, en célébrant des anniversaires (celui, en 2018, de la naissance du peintre du XVIIe siècle Bartolomé Esteban Murillo ; celui, en 2025, de la création de Carmen par Bizet), en se positionnant comme une destination idéale pour le tourisme de congrès, en encourageant les voyageurs à venir en été avec la campagne Passion for Summer) (qui ne mentionnait pas les 40 °C de moyenne de juin à septembre), ou encore en ouvrant de nouvelles lignes aériennes, récemment vers la Turquie et le Maroc.

Une ville devenue inhabitable

Mais, comme on dit en espagnol « Una de cal y otra de arena » (« On souffle le chaud et le froid ») : tout semble être mis en œuvre pour attirer toujours plus de touristes, au moyen d’un double discours qui, finalement, fait fi des conséquences néfastes de l’activité sur les habitants. L’un des principaux problèmes à trait au logement saisonnier qui s’est professionnalisé, modifiant les quartiers et rendant difficile l’accès à la location pour les habitants. Le premier décret de la Junta de Andalucía – au niveau régional – date de 2016 et visait à réguler la remise des licences aux propriétaires.

Collectif Cactus Séville
Affiche du collectif citoyen Cactus : #Séville-n’est-pas-à-vendre. Collectif Cactus, CC BY-NC

En 2018, le mouvement populaire Colectivo Asamblea Contra la Turistización de Sevilla, dit Cactus, a commencé à hausser le ton, tandis qu’Antonio Muñoz, conseiller municipal PSOE chargé de l’habitat urbain, la culture et le tourisme, faisait campagne contre les appartements illégaux, tout en rassurant les habitants : Séville n’est pas au niveau de Barcelone. Après la parenthèse imposée par le Covid, les discussions entre la Région et la Ville ont repris de plus belle, sans pour autant réussir à agir de concert, tandis qu’un autre collectif d’habitants, Sevilla se muere, voyait le jour.

En juin 2023, tandis que la Junta autorisait les mairies à limiter les appartements touristiques, celle de Séville (tenue par le parti conservateur Partido Popular, PP) ne parvenait pas à rédiger un texte. Pendant ce temps, la Junta continuait de distribuer des licences (environ 25 par jour, en juillet 2024).

En mars 2024, le PP a proposé de limiter à 10 % la part de logements touristiques par quartier. Le PSOE, initialement d’accord, a demandé un moratoire et a proposé de baisser le seuil à 2,5 % : accepter les 10 %, c’était ouvrir la porte à 23 000 appartements touristiques en plus des 9 500 existants. Finalement, le décret du PP a été adopté en octobre 2024, avec le soutien de l’extrême droite Vox.

Mais les problèmes persistent : les décrets ne sont jamais rétroactifs, et dans les quartiers du centre, le mal est fait – environ 18 % d’appartements touristiques dans le centre monumental –, et d’autres problèmes s’ajoutent : uniformisation des commerces, perte d’authenticité, saturation et privatisation de l’espace public avec, notamment, l’invasion des terrasses et l'augmentation du nombre de bars, un phénomène connu sous le nom de « baretización ».

Séville, comme d’autres villes à forte attractivité touristique, oscille entre mise en valeur de son identité et mise en marché de celle-ci. La question n’est plus de savoir si le tourisme est bénéfique, mais à quelles conditions il peut être viable – pour les visiteurs, pour les habitants et pour la ville elle-même.

Le parcours touristique classique en Andalousie comprend la ville de Grenade, où les populations locales souffrent également des méfaits d'un excès de visiteurs (vous pouvez activer la traduction des sous-titres).
The Conversation

Ivanne Galant ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

15.04.2025 à 17:37

Plongée dans le quotidien des humains de la Préhistoire, il y a 40 000 ans

Nicolas Teyssandier, Directeur de recherche au CNRS, Préhistorien, Université Toulouse – Jean Jaurès

Loin du cliché d’individus errant au hasard, les « Homo sapiens » ont constitué des sociétés complexes, faites de réseaux de relations à grandes distances, d’outils et d’art.
Texte intégral (2926 mots)

Ces dernières années, de fulgurantes avancées technologiques et méthodologiques ont permis de profondément renouveler la connaissance du quotidien des Homo sapiens du Paléolithique. Nomades, vivant en groupe, capables de créer outils et peintures et dotés du même cerveau que nous, les humains de l’époque étaient déjà des êtres complexes qui vivaient au sein de sociétés connectées.


Combien de visions caricaturales parsèment les représentations sur la Préhistoire ? Des groupes errant au gré du hasard, poursuivis par des hordes d’animaux tous plus dangereux les uns que les autres ; un climat hostile et des territoires inhospitaliers au sein desquels se déplaceraient des humains pas vraiment adaptés, vaguement recouverts de morceaux de peaux informes et que l’on voit parfois marcher les pieds nus dans la neige… Et que dire encore de leurs onomatopées si éloignées d’un véritable langage ? Une véritable survie en terre hostile !

Ces représentations sont à des années-lumière de ce que la communauté des sciences du passé construit patiemment depuis des décennies. Science jeune, la préhistoire s’est construite depuis la fin du XIXᵉ siècle, moment où est entérinée l’ancienneté de l’être humain, de ses outils, mais aussi, déjà ! de sa pensée puisqu’on lui attribue alors, après moult controverses, la réalisation de représentations graphiques figuratives sur les parois des cavernes.

Depuis, d’autres tournants ont eu lieu ; notamment dans les années 1950, avec la mise au point révolutionnaire de la méthode de datation par carbone 14 permettant enfin de situer dans le temps des phénomènes. Et que dire des fulgurantes avancées technologiques et méthodologiques qui scandent les sciences ce dernier quart de siècle et qui ont transformé en profondeur ma discipline ?

Aujourd’hui, le scientifique préhistorien est comme le chef d’orchestre d’une vaste enquête policière, mettant en rythme et en musique toute la gamme des spécialités, construisant instrument après instrument les savoirs sur les sociétés du passé. Car, désormais, on séquence l’ADN de Néandertal et de Sapiens et on réfléchit à la façon dont ces humains si dissemblables anatomiquement se sont métissés et ont laissé une descendance féconde ; on reconstruit les saisons de chasse et les environnements au sein desquels chasseurs et proies se rencontrent ; les instruments microscopiques ont de longue date remplacé l’œil nu pour identifier la fonction des outils en pierre, en os ou en ivoire. Enfin, car la liste est trop longue pour être énumérée ici, on utilise toutes les technologies d’imagerie 3D pour inventorier dans le moindre détail les squelettes.


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Les Sapiens de la culture de l’Aurignacien

Ce que ces avancées permettent, c’est une vision profondément renouvelée du quotidien de la Préhistoire. Remontons donc le temps et installons-nous dans le sud-ouest de la France, il y a 40 000 ans.

Des groupes d’Homo sapiens initialement originaires d’Afrique, avec la peau foncée adaptée au fort rayonnement UV des milieux tropicaux et équatoriaux, sont installés là depuis quelques générations.

D’un point de vue anatomique, les Sapiens du Paléolithique récent nous ressemblent beaucoup, au point qu’ils passeraient sans doute inaperçus s’ils étaient déguisés en humains du XXIe siècle. Ils ont aussi la même conformation cérébrale que nous et sont donc pareillement intelligents. Des êtres complexes en somme.

Ce sont aussi des nomades, qui déplacent régulièrement leurs campements selon les saisons et les activités qu’ils souhaitent réaliser. En Dordogne, là où nous connaissons bien ces Sapiens de la culture de l’Aurignacien (l’Aurignacien est la première culture paneuropéenne d’Homo sapiens, elle tire son nom du petit abri d’Aurignac, en Haute-Garonne où elle a été définie pour la première fois au début du XXᵉ siècle), les groupes humains ne vivent pas en grotte, mais s’installent en plein air, souvent dans des emplacements stratégiques facilitant une bonne acuité visuelle sur les troupeaux de rennes et de chevaux progressant dans les environs.

À cette époque, la démographie est sans doute faible, les derniers modèles proposent une densité autour de 5 individus tous les 100 km2 ! Autant dire qu’il devrait être plus fréquent d’apercevoir un renne que les membres d’un groupe voisin. Nous savons pourtant que ces groupes disposent de réseaux sociaux denses et entretenus.


À lire aussi : À la découverte de la plus ancienne sépulture africaine datant de 78 000 ans


Comment le sait-on ? Eh bien, pour cela, intéressons-nous à un matériau privilégié des Aurignaciens : le silex. Nos Sapiens étaient des experts de la taille qui demande un long apprentissage pour disposer des compétences et savoir-faire indispensables à la réussite du projet. Ils taillent avec dextérité de longues lames régulières, aux bords bien parallèles, dont la forme et la taille sont conçues à l’avance en aménageant soigneusement le bloc à tailler.

Une fois l’outil obtenu – une lame tranchante pour découper, un grattoir pour épiler et dégraisser les peaux –, il est en général placé et fixé dans un manche en bois, à l’aide de colles végétales et de liens en cuir. Ces technologies demandent donc des outils en silex standardisés qui peuvent être facilement remplacés quand ils sont usés ou cassés.

Peintures de mains apposées dans la Grotte de Chauvet (Ardèche)
Peintures de mains apposées dans la grotte Chauvet (Ardèche). Wikicommons, CC BY

Échanges d’outils

Les silex ont ceci de remarquable qu’on peut aussi identifier leur lieu d’origine. Et en observant la trousse à outil d’un Aurignacien périgourdin, occupant un abri du vallon de Castel-Merle (Dordogne), on constate aisément la pluralité des origines des silex qui la composent. On y trouve évidemment des silex disponibles localement, mais aussi en plus faible proportion des silex d’origine régionale, de la région de Bergerac à une cinquantaine de kilomètres.

Plus surprenant, on retrouve de beaux outils dans des variétés qui ne sont connues qu’à plusieurs centaines de kilomètres du site et qui ont été acquis de proche en proche, sans doute par échange, lorsque des groupes éloignés se rencontrent. Là, ce ne sont pas des blocs de silex qui s’échangent mais bel et bien des lames ou des outils prêts à l’emploi selon des réseaux qui relient la vallée de la Vézère à la région de Saintes en Charente, à quelques 150 km au nord-ouest ou à la Chalosse (Landes) au sud-ouest à plus de 250 km.


À lire aussi : Nouvelle découverte dans la vallée du Rhône : les Homo sapiens d’Europe tiraient déjà à l’arc il y a 54 000 ans


Ces observations conduisent à concevoir des groupes mobiles sur de vastes territoires, établissant des rencontres saisonnières avec d’autres clans qui exploitent des niches écologiques différentes.

Lamelles retouchées en silex utilisées comme éléments d’armes de chasse
Lamelles retouchées en silex utilisées comme éléments d’armes de chasse du Protoaurignacien de Fumane (Italie). Armando Falcucci, CC BY-NC

Des parures qui indiquent le statut social

Ces interconnexions sociales ont conduit les Aurignaciens à concevoir et fabriquer des objets capables de diffuser des informations sur leur statut individuel et collectif. À Castel-Merle, ils ont fabriqué par milliers de toutes petites perles en ivoire, en forme de panier, qui viennent orner des coiffes, des vêtements, ou sont assemblées en colliers.

Ces parures sont ainsi un moyen d’encoder de l’information pour la transmettre à d’autres individus. Et pas n’importe lesquels ! Inutile de le faire pour les membres de votre propre groupe qui connaissent tout de votre statut social. Il en va de même pour des individus d’une autre culture qui ne comprendraient pas votre message. Non, à l’Aurignacien, les parures sont des vecteurs pour communiquer des informations d’ordre social avec des individus de votre culture mais qui ne sont pas des connaissances proches.

Cela explique aussi que selon les régions européennes où l’Aurignacien s’épanouit, des types de parures spécifiques s’individualisent et rendent compte de groupes régionaux, mettant possiblement en scène des ethnies parlant des langues différentes.

Ces sociétés s’épanouissent donc au sein de réseaux de relations à longue distance et les équipements en pierre comme les parures circulent sur de vastes territoires, suggérant des déplacements de personnes, des échanges et sans doute le développement de nouvelles règles de parentés régies par l’exogamie. Ces changements proprement anthropologiques, qui se manifestent si puissamment lors de l’Aurignacien, rendent compte du succès que connut cette culture qui accompagna le développement des Sapiens sur toute l’Eurasie occidentale, concomitamment à la dilution progressive du pool génétique néandertalien jusqu’à l’extinction totale de cette anatomie ancestrale. On peut ainsi penser que la démographie des Aurignaciens et leur organisation sociale favorisant la circulation des biens et des personnes ont nettement contribué à l’extinction de Néandertal.

Les premiers artistes

Après quelques millénaires de développement de la culture aurignacienne, ces mutations sociales vont donner lieu à l’apparition, sur le continent européen, du phénomène sans doute le plus marquant que nous ont laissé ces sociétés. Je veux ici parler de l’explosion artistique à laquelle on assiste à partir de 36 000 ans avant le présent. Ce premier art figuratif revêt des formes variées : des animaux réalistes sont sculptés dans de l’ivoire, des dessins sont tracés sur des équipements techniques et, surtout, des fresques sont peintes comme c’est le cas dans l’emblématique grotte Chauvet (Ardèche).

Cet art du dessin, réalisé à coup sûr par des spécialistes, inaugure une nouvelle manière d’appréhender le monde et de retranscrire des éléments de compréhension dans une grammaire artistique. Il s’agit là sans doute de la signature archéologique très probable d’un grand mythe d’origine au monde, originaire d’Afrique et que les Aurignaciens de Chauvet avaient en tête au moment de réaliser leurs sensationnelles peintures.

Ce tableau vivant révèle des sociétés aurignaciennes pleinement entrées dans l’Histoire. Loin des caricatures souvent proposées, il présente une vision renouvelée du quotidien de nos ancêtres il y a 40 000 ans, régi par un haut degré de technicité, des savoir-faire appris et partagés et une structure sociale évidente. Un temps où il y avait des spécialistes et sans doute des hommes et des femmes dépositaires de savoirs, et donc d’un statut, auquel tous les membres du groupe ne pouvaient prétendre.

Des groupes nomades régnant dans des steppes froides et giboyeuses, parfaitement adaptés à cet environnement glaciaire et développant des moyens de communication illustrant des réseaux de relations à grandes distances faits d’objet et d’individus circulant au sein d’immenses espaces. On le voit, on est bien loin de l’image d’individus errant au hasard puisque l’on est ici en face de sociétés complexes et pleinement modernes.


L’auteur de cet article a récemment publié Dans l’intimité de Sapiens. Vivre, il y a 40 000 ans (éditions Alisio).


Cet article est publié dans le cadre de la série « Regards croisés : culture, recherche et société », publiée avec le soutien de la Délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle du ministère de la culture.

The Conversation

Nicolas Teyssandier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

14.04.2025 à 17:40

La recherche en France : comment l’État a (ou n’a pas) financé l’innovation à travers l’Histoire

Jean-Luc Chappey, Professeur d'histoire des sciences, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

En France, deux parenthèses historiques marquent un réel investissement financier de l’État dans la recherche scientifique et l’innovation technique : la Révolution française et les Trente Glorieuses.
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Les Trente Glorieuses (1945 à 1973) ont été la seule période de large financement public de la recherche en France au XX<sup>e</sup>&nbsp;siècle. NCI/Unsplash

En France, deux parenthèses historiques marquent un réel investissement financier de l’État dans la recherche scientifique et l’innovation technique : la Révolution française et les Trente Glorieuses.


Entre 1793 et 1794, le gouvernement révolutionnaire parvient à impulser une véritable politique nationale de recherche et développement. Sous la conduite du Comité de salut public où siègent les plus grandes figures scientifiques du moment, les chimistes Guyton-Morveau et Prieur de la Côte d’Or, cette politique de recherche permet aux armées de la République française de résister aux assauts des puissances coalisées, puis de conquérir de nouveaux territoires.

Ce moment particulier de la Révolution se caractérise par une augmentation des financements publics accordés aux activités scientifiques, dont les budgets sont désormais débattus sur les bancs des assemblées.

De la culture du salpêtre nécessaire à la fabrication des munitions à l’utilisation des aérostats comme outils de renseignement aériens, les savants et les ingénieurs bénéficient d’un soutien financier sans égal des autorités, en dépit des réelles difficultés économiques et financières que connaît alors la nation.

S’ils sont encore souvent mal payés et de manière irrégulière, les savants travaillent dans de nouveaux lieux de savoirs (Muséum national d’histoire naturelle ou Conservatoire national des arts et métiers) au sein desquels s’accumulent livres, collections de plantes, de minéraux ou d’instruments confisqués à l’Église et aux émigrés (aristocrates exilés, ndlr) ou spoliés par les armées révolutionnaires.

Sous le Directoire (1795-1799), Paris s’impose comme une véritable capitale des sciences en Europe. La ville attire de nombreux visiteurs qui assistent aux enseignements dispensés dans les nouvelles institutions, comme l’éphémère École normale de l’an III ou la plus durable École polytechnique. Le rôle joué par l’État au cours de la Révolution française tranche nettement avec les régimes antérieurs et postérieurs.


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Du XVIIe à la Révolution : faiblesses de financement de l’absolutisme

En effet, auparavant, en dépit de la volonté affichée depuis Jean-Baptiste Colbert de vouloir impulser les recherches scientifiques par le biais de l’Académie royale des sciences (1666), la prise en charge des recherches scientifiques par l’État reste largement insuffisante, même dans les domaines les plus stratégiques (navigation, cartographie, astronomie, physique).

Or, le développement des sciences fondé sur la culture expérimentale repose, dès le XVIIe siècle, sur l’innovation technique et le recours à des machines de plus en plus coûteuses, telle la pompe à air. Les académiciens manquent de moyens et, en dépit d’une augmentation des sommes accordées par Louis XV puis Louis XVI, ne cessent de revendiquer des financements durables.

Obligés de rechercher un deuxième emploi, la grande majorité des académiciens ont recours au patronage de quelques grands mécènes ou aux contributions de savants dont la richesse personnelle leur permet de s’imposer comme de véritables patrons. Le naturaliste-entrepreneur Buffon, directeur du Jardin du roi et propriétaire d’une forge à Montbard, ou le chimiste-directeur de l’Arsenal et fermier général Lavoisier, tous deux, grandes figures de l’aristocratie d’Ancien Régime, mobilisent leur fortune pour pallier les insuffisances du financement royal et consolider leur autorité au sein de l’espace scientifique français et européen.

L’endettement auquel fait face l’État tout au long du XVIIIe siècle empêche la mise en œuvre d’une réelle politique des sciences par la monarchie. Certes, l’expédition de La Pérouse (1785-1788) est une entreprise particulièrement coûteuse, mais elle constitue un simple coup médiatique de Louis XVI dans la lutte à distance que se livrent les puissances impériales, la France et l’Angleterre.

S’ensuit la parenthèse dorée pour la recherche de 1793 à 1799, évoquée plus haut, lors de la période révolutionnaire.

Au XIXe siècle, une indifférence de l’État et des faux-semblants

À son arrivée au pouvoir en novembre 1799, Napoléon Bonaparte confirme l’importance des recherches scientifiques, privilégiant les institutions formant les serviteurs de l’État aux dépens des académies qui restent néanmoins des espaces de débats importants.

Accompagné par l’État qui prend en charge la rémunération des professeurs, le développement des sciences physiques au début du XIXe siècle est indissociable de la construction d’instruments et de machines de plus en plus coûteux. Mais l’argent public ne peut pas suffire à répondre rapidement à ces nouveaux besoins.

La création, par Laplace et Berthollet en 1808, de la Société d’Arcueil, société savante financée par des capitaux privés, a valeur de symbole : devant l’incapacité de l’État à financer les machines nécessaires au développement de la nouvelle physique, les savants se rapprochent des industriels et des banquiers, acteurs du capitalisme naissant, scellant ainsi l’alliance étroite entre les développements des industries et des sciences qui se renforcent tout au long du XIXe siècle.

Sous le Second Empire, le directeur de l’Observatoire de Paris Urbain Le Verrier n’hésite pas à importer des méthodes de gestion des personnels venues de l’industrie et transforme l’établissement en une véritable usine où chaque astronome est payé en fonction du nombre d’étoiles qu’il découvre.

La question des sources de financement des sciences devient une question politique, l’État étant accusé de privilégier le financement des transports et de la rénovation urbaine aux dépens des activités scientifiques. Après le philosophe Charles Jourdain qui se plaint en 1857 des « vicissitudes » structurelles du budget de la recherche et de l’enseignement, Louis Pasteur, dont la carrière s’est construite au croisement des milieux scientifiques et des milieux économiques, met en garde contre la « misère » des laboratoires qui risque d’entraîner le retard de la recherche française.

Deux ans plus tard, la défaite des armées françaises semble lui donner raison. En dépit des mots d’ordre volontaristes du chimiste, devenu ministre de l’instruction publique (1886-1887), Marcellin Berthelot et du vote de subventions supplémentaires aux laboratoires (en particulier dans le domaine médical), les hommes de la IIIe République n’augmentent pas le budget de la science de manière significative. La grande réforme des universités françaises du philosophe et directeur de l’enseignement supérieur (1884-1902) Louis Liard, dans les années 1890, s’appuie largement sur la mobilisation des finances privées.

Le XIXe se caractérise par une réelle indifférence de l’État envers les recherches scientifiques, les efforts financiers étant le plus souvent limités dans le temps et réservés à certains domaines liés à des applications industrielles, agricoles ou médicales, jugées « utiles ». Ni les Lumières ni les républicains des années 1880 qui s’en réclament ne mettent en œuvre une réelle politique scientifique cohérente.

Une seconde parenthèse d’investissement après la Seconde Guerre mondiale

Il faut finalement attendre la seconde moitié du XXe siècle pour assister à un réengagement de l’État en matière de recherches scientifiques.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le financement massif accordé aux activités scientifiques constitue le cœur du redressement national et de la promotion de l’État providence. Impulsées par la création de nouvelles institutions scientifiques (du CNRS en octobre 1939 au CEA en octobre 1945), les sciences fondamentales sont alors considérées comme les supports du développement industriel et économique, des politiques de défense comme la dissuasion nucléaire ou de gestion des populations. L’essor des technosciences participe à la construction du mythe que le progrès sera la réponse à tous les maux.

Le tournant néolibéral des années 1990

Pourtant, dès les années 1990, et en dépit, une fois encore, des déclarations d’intention, les finances accordées aux projets scientifiques et techniques restent très en deçà des attentes. À cette période, de profondes transformations sont opérées. Les politiques néolibérales de Reagan et Thatcher touchent progressivement la France et l’Union européenne à travers une série de réformes des institutions scientifiques et universitaires, dans le cadre du « processus de Bologne ». Celles-ci bouleversent les modalités de gestion de la recherche de la fin des années 1990 aux années 2010.

Parallèlement à la baisse progressive des budgets accordés aux laboratoires et aux unités de recherche, ces réformes valorisent un modèle de recherche sur contrat, souvent de trois ou quatre ans, qui, outre de faire émerger et de consolider la concurrence entre chercheurs et établissements, a pour conséquence de promouvoir l’individualisme et la surenchère de projets de courte durée. Finalement, la compétition scientifique prime sur une réelle politique de la recherche qui, lors de la récente pandémie mondiale, a particulièrement montré ses limites, la France étant incapable de produire un vaccin contre le Covid-19.

Dans ce contexte, l’annonce d’une baisse drastique du budget de la recherche française en 2025 doublée de l’idée, défendue par le président du CNRS d’une « loi vertueuse et darwinienne qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale » constitue une réelle rupture tant avec l’idéal des révolutionnaires de 1793-1794 qu'avec les ambitions des membres du Conseil national de la résistance, réaffirmé en 1954 lors du Colloque de Caen autour de Pierre Mendès-France et défendu, non sans mal, au cours des Trente Glorieuses.

C’est justement parce que les défis actuels (climatologique, environnemental ou médical) obligent à penser de nouvelles formes d’interdisciplinarité que l’État devrait investir massivement dans les sciences et y reprendre un réel pouvoir d’impulsion et de direction.

The Conversation

Jean-Luc Chappey ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

13.04.2025 à 13:03

Le retour de Murakami : « La Cité aux murs incertains », une plongée troublante entre deux mondes

Anne Bayard-Sakai, Professeure émérite de littératrue japonaise, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)

Sept&nbsp;ans après son dernier roman, Haruki&nbsp;Murakami revient avec un nouvel ouvrage, «&nbsp;la Cité aux murs incertains&nbsp;».
Texte intégral (1797 mots)
Dans son nouveau roman, Murakami traite un des motifs qui l’obsèdent : les vies parallèles. Alma Pratt/Unsplash, CC BY

Sept ans après son dernier roman, Haruki Murakami revient avec un nouvel ouvrage, la Cité aux murs incertains, travaillant les motifs du réel, de l’irréel et des vies parallèles que nous pourrions mener.

Cet article contient des spoilers.


« Il me serait très délicat d’expliquer à quelqu’un qui mène une vie ordinaire que j’ai vécu pendant un certain temps dans une cité fortifiée. La tâche serait trop complexe », fait dire Haruki Murakami à son narrateur dans son dernier roman, la Cité aux murs incertains, dont la traduction française vient de paraître, deux ans après l’original en japonais. Et pourtant, dans le mouvement même où le narrateur renonce à cette tâche impossible, l’auteur, lui, s’y attelle, pour le plus grand plaisir de lecteurs qui dans l’ensemble mènent, probablement, des vies ordinaires.

Passer d’un monde à un autre, y rester, en revenir, y retourner, disparaître… S’il fallait résumer ce dont il est question ici, ce serait peut-être à cette succession de verbes qu’il faudrait recourir. Les fidèles de cet auteur majeur de la littérature mondiale en ce XXIe siècle le savent : la coexistence de mondes parallèles est l’un des thèmes centraux de son univers, et ce roman en offre une nouvelle exploration. Mais nouvelle, vraiment ? Ces mêmes lecteurs auront peut-être éprouvé en le découvrant une impression de familiarité un peu déconcertante, quelque chose qui relèverait de l’inquiétante étrangeté, l’« Unheimlich », chère à Freud.

« Selon Jorge Luis Borges, il n’existe qu’un nombre limité d’histoires qu’un écrivain peut véritablement raconter avec sincérité au cours de sa vie. En quelque sorte, nous ne sommes capables de traiter ce nombre limité de motifs que sous différentes formes et avec les moyens limités dont nous disposons », précise l’auteur dans une postface destinée à éclairer la genèse du roman.

Précision indispensable, car l’histoire qui nous est racontée ici, Murakami l’a déjà traitée à deux reprises. D’abord en 1980, dans une nouvelle jamais republiée depuis, qui porte le même titre que le roman de 2023 (à une virgule près, comme il l’indique). Puis en 1985, dans une œuvre particulièrement ambitieuse, la Fin des temps.

Abandonner sa propre ombre

Que partagent ces trois textes ? Un lieu hors du temps, une cité ceinte de hauts murs, à laquelle on ne peut accéder qu’en abandonnant sa propre ombre, et où le narrateur occupe la fonction de liseur de rêves. Mais cette matrice romanesque est prise dans des réseaux narratifs très différents, d’une complexité croissante. Si la nouvelle de 1980 est centrée sur la Cité, le roman de 1985 est construit sur deux lignes romanesques distinctes qui se développent dans des chapitres alternés et qui s’ancrent chacune dans un univers singulier dont l’un seulement correspond à la Cité entourée de remparts – toute la question étant de savoir comment ces lignes vont finir par se croiser.

Dans cette amplification ne se joue donc pas seulement une complexification du dispositif : c’est le lien même entre des univers différents qui s’affiche désormais au cœur du dispositif avec, en 2023, ce qui apparaît comme une intériorisation d’univers pluriels et comme introjectés.


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Le roman débute avec un amour entre deux adolescents. Celui-ci se noue autour du récit qu’avant de disparaître, la jeune fille fait d’une « cité entourée de hauts murs », dans laquelle vit son être véritable tandis que seule son ombre est présente devant le jeune homme. Pour rejoindre celle qu’il a perdue, celui-ci va donc passer dans la Cité, en acceptant de se séparer de son ombre. Mais il n’y restera finalement pas, revient dans le monde (où il devient directeur d’une bibliothèque – et on sait l’importance et la récurrence de ces lieux dans l’œuvre de l’auteur), jusqu’au moment où, de nouveau, il franchira le mur d’enceinte de la Cité, avant d’en repartir…

Le narrateur est ainsi toujours pris lui-même dans une incertitude, où sa propre identité est remise en question, où la réalité s’effrite : est-il lui-même ou son ombre ? Y a-t-il un monde plus réel que l’autre ? Le narrateur dit :

« Dans ma tête se déroulait un conflit acharné entre le réel et l’irréel. Je me trouvais enserré entre ces deux mondes, à l’interface subtile entre le conscient et le non-conscient. Il me fallait décider à quel monde je voulais appartenir. »

Comme toujours dans les romans de Murakami, il n’y a pas de choix, les personnages ne sont pas maîtres de leur destin, ils sont mis dans l’incapacité de trancher.

« C’est comme si nous nous contentions d’empiler les hypothèses les unes sur les autres jusqu’à ce que, à la fin, nous ne soyons plus capables de séparer les hypothèses des faits »,

dit, à un moment donné, l’ombre et le narrateur, plus loin, d’enchérir :

« Tandis que j’étais là, seul dans la neige blanche, que je contemplais au-dessus de moi le ciel d’un bleu profond, j’avais parfois l’impression de ne plus rien comprendre. À quel monde est-ce que j’appartenais, à présent ? »

cite aux murs incertains Murakami

La question se pose à lui avec d’autant plus d’insistance que cette Cité est une ville racontée, par la jeune fille, par le narrateur, par l’auteur lui-même, que son existence est d’abord celle d’un discours, d’une production imaginaire, d’une fiction.

Mais la vie du narrateur hors de la Cité est, elle aussi, une fiction, celle inventée par l’auteur, d’où, pourrait-on dire, une indétermination sur la teneur en réalité de chacun des mondes, indétermination qui sape les certitudes du lecteur tout autant que celles du narrateur : quel est, en somme, l’univers de référence ? Murakami se garde bien de le dire.

Dans une interview, donnée à plusieurs journaux nationaux à l’occasion de la sortie du roman, Murakami explique :

« Il y a de multiples bifurcations dans la vie. Souvent je me demande ce que je serais devenu si j’avais pris à tel moment tel autre chemin. Dans un autre univers, je serais peut-être toujours patron d’une boîte de jazz. Je ne peux pas m’empêcher de penser que le monde dans lequel je suis, là maintenant, et un autre, qui n’est pas celui-là, sont intimement liés. »

Et il ajoute :

« Conscient et inconscient. Le présent qui est là, et un autre présent. Aller et venir entre ces deux mondes, voilà ce qui est au cœur des histoires que j’écris, et qui ressurgit toujours. Écrire des romans, pour moi, c’est sortir de ma conscience actuelle pour entrer dans une autre conscience, si bien que l’acte d’écrire et le contenu de que j’écris ne font qu’un. »

Si la Cité aux murs incertains occupe une place si cruciale dans son imaginaire qu’il ne cesse d’y revenir, c’est bien en définitive parce qu’elle est l’incarnation même – la mise en mots – de cet ailleurs, du temps, de l’espace, de la conscience, qui est au fondement de sa vision du monde et de son projet d’écriture.

The Conversation

Anne Bayard-Sakai ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

10.04.2025 à 17:13

Voici pourquoi l’Exposition universelle d’Osaka devrait s’inspirer de celle de 1867 à Paris

Patrick Gilormini, Economie & Management, ESDES - UCLy (Lyon Catholic University)

L’Exposition universelle de 1867 symbolise l’âge d’or du Second Empire sous Napoléon&nbsp;III. En corollaire, la question de l’amélioration de la condition ouvrière. Aujourd’hui, à Osaka, celle de l’environnement&nbsp;?
Texte intégral (2519 mots)
L’Expo&nbsp;2025 Osaka Kansai offrira au monde l’occasion de se réunir en un lieu unique afin d’explorer le thème de la «&nbsp;vie&nbsp;». Mirko Kuzmanovic/Shutterstock

L’Exposition universelle de 1867 symbolise l’âge d’or du Second Empire sous Napoléon III : un capitalisme prospère et des industriels soucieux de présenter leurs produits. En corollaire, la question de l’amélioration de la condition ouvrière. Aujourd’hui, à Osaka, sera-ce le tour de l’environnement ?


Ce 13 avril, et jusqu'au 13 octobre 2025, se tient à Osaka, au Japon, l’Exposition universelle sur le thème « Concevoir la société du futur, imaginer notre vie de demain ». La France renoue avec une tradition dont elle a été l’initiatrice au XIXe siècle : offrir au grand public un espace de dialogue, de débat et de pédagogie pour diffuser l’innovation par le caractère démonstratif des installations. Le pavillon français est une vitrine scénarisée témoignant de l’excellence et du savoir-faire français. Au sein de la zone « Inspirer des vies », il porte une vision de la France à l’international qui concilie compétitivité et développement durable. Pour Emmanuel Macron, il se présente même comme un « hymne à l’amour ».

L’architecture d’ensemble du palais de l’exposition d’Osaka présente des similitudes avec celle de l’Exposition universelle de Paris en 1867 : une forme circulaire, un jardin central, une double classification des pavillons nationaux, un espace périphérique permettant de présenter les activités d’exception et les meilleurs pratiques. Comme celle de 1867 à Paris, cette exposition est « un lieu où de nouveaux produits et technologies naissent, rendant notre vie quotidienne plus commode ».

Racines révolutionnaires et françaises

La France est l’inventrice et la principale organisatrice des expositions industrielles du XIXe siècle. La première exposition des produits de l’industrie française eut lieu sous le Directoire, en l’An IV (1798). En 1801, le Consulat reprit cette initiative destinée à offrir un panorama des productions des diverses branches de l’industrie dans un but d’émulation. Au lendemain de la Révolution, l’économie nationale devant être relancée, notamment vis-à-vis de l’Angleterre, la juxtaposition de techniques très variées et la délivrance de récompenses devaient stimuler une fructueuse concurrence nationale.

Vue extérieure du Crystal Palace lors de l’Exposition universelle de Londres, en 1851. Marcmaison

À l’occasion de la première Exposition universelle à Londres, en 1851, fut érigé à Hyde Park, le Crystal Palace. Pour le philosophe allemand Peter Sloterdijk, cette sphère est le symbole de la phase finale de la globalisation ouverte en 1492. Elle est caractérisée par un système mondial donnant à toutes les formes de la vie les traits du capitalisme. Son immense succès affichait aux yeux du monde la suprématie du modèle de civilisation développé au Royaume-Uni. Sa croyance ? Les progrès de l’industrie, du commerce et des transports entraîneraient un accroissement du bien-être général après les blocus des guerres napoléoniennes.

Miroir du libéralisme et du saint-simonisme

L’organisation de l’Exposition universelle de Paris en 1867 résulte de la conjonction de plusieurs volontés culminant sous le Second Empire, l’âge d’or du capitalisme en France. Celle des industriels, qui considèrent ces expositions comme un élément clé de leur stratégie commerciale grâce aux médailles et récompenses, instruments de validation d’une qualité industrielle glorifiée. Celle du gouvernement impérial, promoteur de cette économie de la qualité dont la politique commerciale libérale constitue un volet important. Celle des intellectuels, soucieux d’améliorer l’esthétique des produits français et de renforcer la formation professionnelle des ouvriers.

Champs de Mars à Paris, lors de l’Exposition universelle de 1867. Getarchive, CC BY-SA

Elle manifeste l’influence de la pensée saint-simonienne qui vise le progrès social et technique. L’économiste Michel Chevalier (1806-1879) fut chef de la délégation française à l’Exposition de Londres en 1851. Il avait été l'un des fervents participants à la retraite utopique de Ménilmontant, durant laquelle les disciples du philosophe Henri Saint-Simon (1760-1825) se réunirent pour élaborer une nouvelle religion centrée sur le culte de la science et de l'industrie.

Chevalier fut président du jury international de l’Exposition de 1867. Son introduction au rapport de ce jury constitue une œuvre encyclopédique qui présente en une centaine de pages l’état de l’industrie humaine et, pour ainsi dire, de la civilisation industrielle dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le rapport lui même comprend une description des récompenses attribuées par le jury spécial aux établissements et localités « qui ont développé la bonne harmonie entre les personnes coopérant aux mêmes travaux et qui ont assuré aux ouvriers le bien-être matériel, intellectuel et moral ».

Travail de fourmi

Cet évènement renvoie à une autre figure de l’histoire française de la pensée économique et sociale influencée les saint-simoniens : Frédéric Le Play (1806-1882), condisciple de Michel Chevalier à l’École polytechnique. En tant que commissaire général, il imposa sa marque à l’Exposition de 1867.


À lire aussi : Semaine de l’industrie 2024 : Emmanuel Macron a-t-il eu un moment saint-simonien ?


Diplômé de l’École polytechnique et de l’École des mines, Le Play a fait de nombreux voyages d’études, notamment en Allemagne, pour visiter les mines, les usines et s’intéresser aux populations ouvrières. Cet ingénieur est également sociologue. En se mettant en rapport intime avec les populations et les lieux, cet homme de terrain pratique une observation méthodique des faits sociaux saisis sur le vif et exposés dans le cadre de monographies. Une vérification de ces conclusions est réalisée auprès de personnalités qualifiées par leur expérience. Elle aboutit à la publication des Ouvriers européens, en 1855.

Exposition de l’homme et de la terre

Ses études des pratiques sociales joueront un rôle important lors du concours qu’il instituera pour l’Exposition universelle de 1867. Pour lui, celle-ci devait être une exposition de l’homme en parallèle d’une exposition de la terre, mettant en évidence des machines qui facilitent le travail des ouvriers. En 1867, on trouve à l’Exposition de Paris les caves de Roquefort. Un pavillon dédié participe à l’internationalisation du bon goût et contribue à la construction de l’image commerciale de la marque. Pour répondre aux enjeux d’amélioration de la condition ouvrière des boulangers, il fut encore possible admirer le pétrin mécanique couplé à la machine à vapeur promue par Louis Robert Lebaudy (1869-1931) et, avec les mêmes objectifs économiques et sociaux pour les cigarières, les premières machines à fabriquer des cigarettes.

Distribution solennelle des récompenses aux exposants dans le palais de l’Industrie, en 1867. Wikimedia commons, CC BY-SA

Sénateur du Second Empire de 1867 à 1870, la préparation de l’Exposition synthétise l’expérience de Le Play. La qualité de l’organisation joua un rôle majeur dans le succès de l’événement. La volonté d’assurer un bénéfice financier conduit à introduire des nouveautés majeures dans cette exposition : démultiplication des lieux d’exposition avec la création des pavillons, ouverture à de nouvelles problématiques, notamment la question sociale avec un musée de l’histoire du travail.

Écho favorable des élites

La plus grande liberté fut laissée aux exposants pour préparer leur installation. La voie est ouverte vers le gigantisme et le spectacle, au-delà de l’objectif initial. L’Exposition fait de Paris, pour un été, un lieu de fête. Ses résultats sont cependant loin de répondre aux attentes. Certes, l’industrie s’est modernisée et la France conserve son rang en matière d’arts décoratifs, mais la progression des États-Unis et des États allemands est patente.

Quant aux idées sociales des organisateurs – paternalisme et patronage –, elles ne reçurent un écho favorable qu’auprès de l’élite, et non des ouvriers.

Frédéric Le Play est aujourd’hui considéré, avec Tocqueville, comme le père fondateur de l’éthique de l’entreprise et de la conception française de la responsabilité sociale et environnementale. À présent, c’est moins la question sociale qui est au cœur des préoccupations que celle du nouveau régime climatique.

On ne parle plus de progrès, mais d’innovation. La question est de savoir si la globalisation prônée par Michel Chevalier en 1832 fait un monde habitable, selon Bruno Latour, et quelle fiction du cosmos offre à notre regard ces mises en scène spectaculaires.

The Conversation

Patrick Gilormini est membre de la CFDT

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