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30.06.2025 à 17:38

Immigration : Pourquoi les gouvernements n’écoutent-ils pas les chercheurs ?

Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris Nord

Les gouvernements choisissent des politiques unanimement jugées inefficaces par les chercheurs spécialistes des migrations. Comment aboutir à un meilleur dialogue ? La conférence IMISCOE, qui s’ouvre en région parisienne le 1er juillet, réunit plus de 1 000 chercheurs.
Texte intégral (2144 mots)

Les gouvernements choisissent des politiques jugées unanimement inefficaces par les chercheurs spécialistes des migrations. Comment comprendre cette absence d’écoute ? Comment y remédier ?


Les migrations sont omniprésentes, dans le débat politique comme dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Les chercheurs, pourtant, sont relativement peu visibles.

Cette situation est a priori surprenante. Malgré des moyens importants, les États ne semblent pas parvenir à maîtriser les déplacements de populations et pourraient donc bénéficier d’un échange avec les spécialistes. Or, la recherche sur les migrations est dynamique, avec un nombre croissant de connaissances sur le sujet.

Mais en pratique, le dialogue entre chercheurs et politiques est peu développé. Une des conséquences de cette situation est que les gouvernements s’obstinent dans des politiques qui sont unanimement jugées inefficaces, et même contre-productives, par les spécialistes.

C’est notamment le cas des politiques qui visent à développer l’Afrique pour freiner l’immigration. L’Union européenne y consacre des dizaines de millions d’euros, notamment au travers du Fonds fiduciaire. Pourtant la recherche a de longue date établi que le développement ne limite pas mécaniquement l’émigration, au point que le premier peut même, dans certains cas, favoriser la seconde.

Il en va de même pour la réponse à la « crise » des migrants et des réfugiés en Méditerranée. Les décideurs – et une bonne partie de la société avec eux – sont persuadés que l’Europe fait face à une hausse sans précédent des arrivées de migrants en Europe. Or la recherche montre que la crise n’est pas seulement due à une augmentation des flux, mais aussi à une politique d’accueil inadaptée. En refusant de prendre en compte cette nuance, les politiques migratoires ne font que renforcer le contrôle – avec le risque d’aggraver encore la crise.

Approche idéologique des États

La difficulté majeure tient donc dans l’approche excessivement idéologique des États. Nombre de gouvernements sont élus sur un programme de lutte contre l’immigration et blâment les migrants, les réfugiés (et même leurs descendants) pour toutes sortes de problèmes, du chômage à l’insécurité en passant par la cohésion sociale. On conçoit donc qu’ils soient hostiles aux critiques, et même à tout raisonnement légèrement nuancé.

Cette approche clivante inspire l’ensemble des politiques publiques. En France, par exemple, pas moins de 28 lois sur l’immigration ont été adoptées depuis 1980. À ce rythme, chaque loi est adoptée avant que précédente n’ait été entièrement mise en œuvre – et encore moins évaluée. Là encore, on conçoit que les chercheurs ne soient pas les bienvenus dans une activité législative qui relève en grande partie de l’affichage et de la gesticulation.

Cela s’inscrit dans une défiance plus générale vis-à-vis des sciences sociales, qui ont toujours été accusées d’idéalisme, d’irénisme – et aujourd’hui de « wokisme ». Rappelons qu’en 2015, un ancien premier ministre affirmait qu’en « expliquant » certaines réalités (comme la radicalisation), les sciences sociales contribuaient à les « excuser ».

Le paradoxe du financement public de la recherche

La réalité est un peu plus complexe, cependant. L’indifférence des pouvoirs publics à la recherche ne les empêche pas de la financer.

La Commission européenne a ainsi débloqué plus de 160 millions d’euros depuis 2014 pour les universités travaillant sur les migrations. En France, dans le cadre du programme France 2030, l’Agence nationale de la recherche (ANR) a financé à hauteur de près de 14 millions d’euros l’Institut Convergences Migrations (IC Migrations) depuis sa création en 2017.

Cela contribue au dynamisme de la recherche sur les migrations : plus de mille chercheurs vont ainsi se réunir à Aubervilliers, en région parisienne, en juillet 2025 pour la 22ᵉ conférence annuelle du réseau européen IMISCOE, organisée par l’IC Migrations.

Mais, bien que l’écrasante majorité de ces chercheurs soient critiques des politiques migratoires, celles-ci ne changent pas pour autant. Les premiers surpris sont les chercheurs eux-mêmes : en 2020, soixante d’entre eux ont écrit à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen pour exprimer leur frustration d’être financés par la Commission – mais jamais écoutés.

Dans une logique de « politiques fondées sur les faits », l’objectif affiché par les bailleurs de fonds est pourtant de mieux comprendre les migrations pour mieux les gouverner. Cette approche est louable et nécessaire, a fortiori dans une époque marquée par les fake news, par l’influence de médias ouvertement populistes et par des politiques « anti-science » dans l’Amérique trumpiste. Mais force est d’admettre que les obstacles sont nombreux.

Des chercheurs peu incités à dialoguer avec les politiques

Rappelons que, si les chercheurs sont en général ouverts au dialogue avec les décideurs ainsi qu’avec les médias et la société civile, il ne s’agit pas de leur cœur de métier.

Ils évoluent dans un milieu professionnel qui a son propre rythme, nécessairement plus lent que celui des médias ou des soubresauts politiques. Leurs carrières répondent à des logiques spécifiques, dans lesquelles les publications jouent un rôle prépondérant – ce qui conduit à une forte spécialisation et à l’usage de la lingua franca de la recherche qu’est l’anglais.

Ajoutons que beaucoup travaillent dans des conditions dégradées, marquées par un précariat croissant et le sous-financement chronique des universités. La grande majorité des chercheurs ne sont donc pas formés, pas incités (et encore moins payés) pour dialoguer avec les politiques.

Cela a conduit à l’émergence d’intermédiaires, comme les think tanks (à l’instar du Migration Policy Institute à Bruxelles) ou certains centres de recherche spécialisés (dont le « Co-Lab » à l’Institut européen, à Florence). De par leurs réseaux parmi les décideurs et leur capacité à leur parler, ces acteurs comblent un manque. Mais leur existence indique aussi à quel point le dialogue recherche-politique est un exercice à part entière, que seule une poignée de chercheurs maîtrise.

Une autre difficulté tient à l’hétérogénéité des positions des chercheurs. Des économistes aux anthropologues en passant par les juristes, tous sont critiques des politiques actuelles – mais pas pour les mêmes raisons. Certains leur reprochent de freiner la croissance en limitant l’immigration de travail, d’autres de violer les droits fondamentaux, etc.

Face à cette multiplicité de critiques, les États peuvent aisément ne « piocher » que les résultats qui les arrangent. Par exemple, quand les sciences sociales documentent la vulnérabilité des migrants et le rôle des passeurs dans l’immigration irrégulière, les États retiennent l’impératif de lutter contre ces réseaux – mais oublient que leur existence est en grande partie une réponse au contrôle des migrations qui, en empêchant les mobilités légales, incitent les migrants à se tourner vers les passeurs.

Des politiques migratoires « occidentalo-centrées »

Il existe enfin des obstacles plus fondamentaux, car la recherche renforce parfois les politiques qu’elle critique. Les politiques migratoires sont ainsi très « occidentalo-centrées ». L’Europe s’affole de l’arrivée de réfugiés sur son sol, en oubliant que la très grande majorité d’entre eux restent dans les pays du Sud. Or, c’est aussi dans les pays du Nord que la majorité du savoir est produit, avec le risque d’étudier davantage ce qui se passe en Europe qu’ailleurs.

Les appels à « décentrer » (voire à « décoloniser ») la recherche se multiplient, mais il reste difficile d’échapper à ce biais. À cet égard, les financements européens sont à double tranchant : s’ils permettent un essor de la recherche, ils sont aussi orientés vers les problématiques jugées importantes en Europe, tout en accentuant les inégalités de financement entre le nord et le sud de la Méditerranée.

Mais surtout, la notion même de « migration » n’est pas neutre : elle suppose un cadre étatique, au sein duquel les populations et les territoires sont séparés par des frontières, où citoyens et étrangers font l’objet d’un traitement bien différencié. Il est possible d’avancer que c’est justement cette organisation « westphalienne » du monde qui empêche de mieux gouverner les migrations, lesquelles témoignent des multiples interdépendances entre États.


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Le dilemme est donc assez clair. Les chercheurs sont des citoyens comme les autres et, à ce titre, ils ne sont donc pas extérieurs aux réalités sur lesquelles ils travaillent. Il est donc logique que la recherche se focalise sur les aspects les plus saillants des migrations contemporaines, et ce, d’autant plus que c’est justement vers ces réalités que les financements sont orientés. À bien des égards, pour produire un savoir pertinent et parler aux politiques, les chercheurs doivent « coller » à l’actualité.

Mais ce faisant, ils risquent de négliger des réalités moins visibles, et en conséquence de renforcer les biais qui affectent la perception sociale et politique des migrations. Il ne s’agit évidemment pas d’en appeler à une illusoire neutralité scientifique, mais de trouver un équilibre entre une logique de recherche autonome et la production d’un savoir utile à l’amélioration des politiques migratoires – à condition bien sûr que les États finissent un jour par les écouter.


Antoine Pécoud intervient sur ce sujet lors du colloque annuel de l’IMISCOE (International Migration Research Network), qui se tient sur le campus Condorcet à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), du 1er>/sup> au 4 juillet 2025.

The Conversation

Antoine Pécoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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30.06.2025 à 12:17

Sans diplôme, quelle carrière en entreprise ?

Hédia Zannad, Associate professor, Neoma Business School

Loréa Baïada-Hirèche, Maître de conférences en management des ressources humaines, Institut Mines-Télécom Business School

Pour contourner la tyrannie du diplôme en France, une étude montre la possibilité de contourner l’absence de réseaux ou de titres académiques en misant sur son capital psychologique.
Texte intégral (2221 mots)
Les trois quarts des 42 personnes interrogées, peu diplômées -- qualifications non reconnues en France --, sont parvenues à s’inscrire dans des trajectoires professionnelles ascendantes. Krakenimages/Shutterstock

Pour les salariés sans diplôme ou les réfugiés sans qualification reconnue en France, l’intégration professionnelle peut être un chemin semé d’embûches. Une étude montre la possibilité de contourner l’absence de réseaux ou de titres académiques en misant sur son capital psychologique.


Si la centralité du diplôme dans le processus de recrutement est une affaire de bon sens, seules les compétences et les performances devraient être prises en compte par la suite. Or, c’est rarement le cas. Bienvenue en France, où prévaut la « tyrannie du diplôme initial ».

Notre article « Quand tout est à (re)construire : la dynamique des ressources de carrière en contexte préjudiciable » est le fruit hybride du croisement entre deux recherches menées et publiées indépendamment l’une de l’autre. La première s’intéresse à la carrière des salariés peu qualifiés d’une grande entreprise française de télécoms – que nous appellerons T par souci d’anonymisation. La seconde s’interroge sur le devenir professionnel des réfugiés en France en provenance de zones de conflit telles que la Syrie ou l’Afghanistan.

Ces deux populations ont en commun de souffrir d’un capital sociologique – ressources économiques, sociales et culturelles – déficient au regard de leur environnement professionnel. Les premiers sont désavantagés par l’insuffisance de titres dans un environnement qui valorise les diplômes d’excellence, les seconds par la disqualification de leur bagage culturel et la disparition de leurs réseaux sociaux dans l’exil.

Alors, comment comprendre que certains réussissent sur le plan professionnel malgré l’absence ou le manque de qualifications ?

Pour répondre à cette question, nous avons fait appel au concept de « ressources de carrière ». Cette notion est composée des ressources psychologiques et sociales – les réseaux de proches –, des ressources en capital humain – éducation, formation, expérience – et des ressources identitaires – conscience de son identité professionnelle – qu’un individu peut mobiliser au service de sa carrière. À la lueur de ce concept, nous nous sommes appuyées sur l’analyse de 42 entretiens menés auprès de 24 salariés et de 18 réfugiés, suivant la méthodologie des récits de vie. L’enjeu : comprendre comment ces individus parviennent à développer des ressources de carrière au service de leur réussite professionnelle, à partir d’un capital sociologique faible.

PsyCap ou capital psychologique

Nos résultats montrent que près de la moitié des personnes interrogées, peu diplômées – ou aux qualifications non reconnues en France –, sont parvenues à s’inscrire dans des trajectoires professionnelles plus ascendantes que ce qu’une analyse sociologique aurait pu laisser prévoir.

Comment ? En étant capables de transformer leurs ressources personnelles – capital psychologique et valeurs personnelles – en ressources pour faire carrière.

Ce que révèle notre étude, c’est la puissance du capital psychologique – également nommé « PsyCap » – pour initier ou relancer une carrière… même en l’absence de capitaux sociologiques traditionnels. Le PsyCap est défini dans le cadre de la psychologie positive comme l’ensemble des forces et capacités psychologiques qui peuvent être développées pour améliorer la performance professionnelle. Il est constitué de quatre dimensions selon le professeur de gestion Fred Luthans : la confiance, l’optimisme, l’espoir et la résilience.

  • La confiance se rapporte à la foi qu’a une personne en sa capacité à transformer ses efforts en succès pour relever un défi.

  • L’optimisme renvoie à une attribution positive à propos du succès présent ou à venir.

  • L’espoir signe l’orientation résolue en direction des objectifs fixés par l’individu et, si nécessaire, son aptitude à faire bifurquer les chemins qui y conduisent pour remplacer ceux qui ont été contrariés.

  • La résilience se réfère à l’aptitude à rebondir, et même au-delà, lorsque l’individu rencontre de l’infortune.

Qualités interpersonnelles

L’analyse des récits de salariés et de réfugiés interviewés révèle trois processus distincts pour faire carrière sans diplôme ou réseaux sociaux en France : la construction, l’activation et l’obstruction.


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La construction concerne des personnes sans diplôme qui s’appuient sur leurs ressources psychologiques – résilience, détermination, optimisme, confiance en soi – ainsi que sur leurs qualités éthiques – altruisme, gratitude, humilité – pour bâtir leur parcours. L’ensemble de ces ressources psychologiques et éthiques agissent comme autant de leviers pour se créer des opportunités et transformer des obstacles en tremplins professionnels. Samuel, entré chez T sans qualification, gravit les échelons grâce à des formations, une validation des acquis (VAE) et l’appui de son management, jusqu’à un poste de direction :

« Une de mes qualités, c’est d’être assez fiable et quelqu’un à qui on peut confier des choses. Des managers ont cru en moi au-delà de ce que j’avais montré. Ils m’ont ouvert des champs possibles. »

La trajectoire des personnes interviewées montre que leur engagement attire le soutien de leur entourage professionnel. Il leur permet de trouver un emploi stable, d’acquérir des compétences par l’expérience et de construire petit à petit un projet professionnel.

Travail de deuil

Le deuxième groupe de répondants, qui représente un tiers de notre échantillon, suit une autre forme de parcours. S’ils détiennent un bon capital initial – diplôme, expérience –, ils s’appuient sur leurs ressources psychologiques pour faire carrière, selon un processus que nous avons appelé « activation ». Par exemple, Sami, réfugié et ex-journaliste iranien, mobilise ses acquis et reprend des études après une période d’adaptation difficile en France :

« Je travaillais dans le journal le plus prestigieux d’Iran, au poste le plus prestigieux… J’étais reconnu dans mon domaine… Je suis arrivé ici et je n’ai été transféré vers personne, j’ai dû repartir de zéro. Je suis devenu professeur particulier pour deux enfants parce qu’on me rendait un service ! Après cinq-six mois, j’ai trouvé un emploi de journaliste… Après dix-neuf mois, ils m’ont proposé un CDI. »

Ce processus d’activation concerne notamment les réfugiés dotés d’un capital humain initial solide – maîtrise de la langue française, études supérieures dans le pays d’origine. Leur réussite professionnelle est fondée sur leurs ressources psychologiques qui les aident à alimenter des efforts soutenus dans le sens de leur intégration. Elles semblent faciliter le travail de deuil, préalable nécessaire pour redémarrer leur vie dans un nouveau contexte.

Focalisation sur les obstacles

Un quart de nos répondants éprouve un sentiment d’échec professionnel, alors qu’ils étaient pourtant dotés en capital sociologique.

Ils sont freinés par un état d’esprit négatif ou par un sentiment d’injustice, selon un mécanisme que nous avons appelé « obstruction ». Ils se focalisent sur les obstacles et refusent certaines opportunités. Certains réfugiés qui détenaient des positions privilégiées dans leur pays d’origine ne se résolvent pas à accepter un travail jugé trop sous-dimensionné par rapport à eux. On peut citer l’exemple de Néda, ingénieure, docteure et titulaire d’un MBA qui, malgré tous ses diplômes, perçoit sa carrière chez T de manière pessimiste, dénonçant des discriminations et rejetant le fonctionnement des réseaux internes :

« Ce ne sont pas les performances seulement : le réseau, la manière de se vendre, être au bon moment au bon endroit en discutant avec la bonne personne. À chaque fois que j’ai répondu à un poste ouvert sur Internet, il y avait toujours quelqu’un qui l’obtenait, cela me fait dire que tout le monde n’est pas égal. »

Pour le sociologue Pierre Bourdieu, l’institution scolaire contribue « à légitimer les trajectoires et les positions sociales » et à déterminer la place dans la division sociale du travail. Wikimedia commons

Peut-on conclure de cette recherche que la théorie du capital sociologique de Bourdieu pêche par excès de pessimisme ?

Sa théorie de l’espace social souligne l’importance des facteurs culturels et symboliques dans la reproduction des hiérarchies sociales. Si on s’en tient à cette lecture, la réussite est essentiellement liée à la détention de capitaux culturels (compétences, titres, diplômes) et symboliques, c’est-à-dire toute forme de capital culturel, social ou économique ayant une reconnaissance particulière au sein de la société. Cette vision réduit les chances de ceux qui en sont démunis.

Notre étude montre que si les inégalités de départ pèsent lourd, elles ne sont pas une fatalité. À condition de disposer ou d’acquérir de ressources psychologiques telles que la confiance en soi, l’optimisme, l’espoir, la résilience, il est possible de contourner l’absence de réseaux ou de diplômes en misant sur sa capacité à rebondir, à apprendre, à espérer. Et, parfois, à réussir là où rien ne le laissait présager.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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29.06.2025 à 08:30

François Mitterrand, à l’origine du déclin de l’influence postcoloniale de la France en Afrique ?

Nicolas Bancel, Professeur ordinaire à l’université de Lausanne (Unil), chercheur au Centre d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation (Unil), co-directeur du Groupe de recherche Achac., Université de Lausanne

Pascal Blanchard, Historien, chercheur-associé au Centre d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation, co-directeur du Groupe de recherche Achac, Université de Lausanne

Malgré un programme de gauche influencé par le tiers-mondisme, l’ancien président François Mitterrand n’a pas rompu avec le néocolonialisme en Afrique, bien au contraire.
Texte intégral (2132 mots)

Trois pays majeurs du « pré-carré » français en Afrique subsaharienne ont connu des coups d’État militaires adossés à discours de rupture et de rejet de la France : le Mali (2021), le Burkina Faso (2022) et le Niger (2023). C’est la fin des relations néocoloniales franco-africaines conçues au moment des indépendances des années 1960 et maintenues, voire renforcées, pendant les années 1980 et 1990, particulièrement par François Mitterrand. Comment comprendre les choix de l’ancien président de la République, malgré un programme de gauche favorable au renouveau démocratique et à l’émancipation des pays africains ?


À l’occasion de la publication de l’ouvrage François Mitterrand, le dernier empereur. De la colonisation à la françafrique (aux éditions Philippe Rey, 2025), la gestion des liens et des relations entre l’Afrique et la France par l’ancien président de la République interroge : et si les deux mandats de François Mitterrand avaient été une occasion manquée de rompre avec ce que l’on nomme aujourd’hui la Françafrique ? Ne peut-on pas, en outre, imaginer cette gestion « de gauche » de la relation avec le continent comme une continuité de ce que furent les « égarements » d’une partie de la gauche française aux heures les plus sombres des guerres de décolonisations ?

La situation actuelle appelle en effet une analyse de longue durée. Rappelons les faits récents : depuis 2020, trois pays majeurs du « pré-carré » français en Afrique subsaharienne ont connu des coups d’État : le Mali en 2021, le Burkina Faso en 2022), puis le Niger en 2023. L’histoire politique et sociale de ces coups d’État est complexe et bien différente d’une nation à l’autre, mais un fait doit retenir notre attention. Le plus significatif quant aux relations franco-africaines, c’est que ces coups d’État se sont adossés à un discours clair de rupture et de rejet de la France, considérée comme une puissance néocoloniale empêchant une « véritable » indépendance, au-delà des indépendances « formelles » de 1960.

Que ce discours puisse être relativisé – la France a perdu beaucoup de ses instruments et de son pouvoir d’influence depuis les indépendances – n’infirme pas le fait que celui-ci semble avoir eu une résonance certaine dans les populations de ces pays, en particulier la jeunesse, comme en témoigne les manifestations d’hostilité envers l’ancienne puissance tutélaire (même si l’évaluation de la prégnance de ce discours est difficile, en raison notamment de l’absence de moyen de mesure de l’opinion).

La récente décision du Sénégal, allié historique et l’un des plus « fidèles » à la France – avec la Côte d’Ivoire et le Gabon –, de demander le retrait des troupes françaises ajoute un signe clair. Nous sommes dans une conjoncture historique caractérisée, qui marque la fin des relations franco-africaines telles qu’elles avaient été conçues dès 1960 : un mélange de liens directs entre les chefs d’État français et les chefs d’État africains – marque du « domaine réservé » du président de la République s’autonomisant de tout contrôle parlementaire et, plus largement, démocratique –, d’interventions militaires au prétexte de protéger les ressortissants français afin de protéger les États « amis », d’affairisme trouble animé par des réseaux eux-mêmes opaques et, enfin, d’instrument d’influence tel que le contrôle de la monnaie (le franc CFA étant sous contrôle du Trésor français), des bases militaires garantes des positions géostratégiques de l’Hexagone ou encore les centres culturels, chargés de diffuser l’excellence de la culture française. Le tout institutionnalisé à travers des accords bilatéraux de coopération).

Or, au cours des deux mandats de François Mitterrand, l’Afrique subsaharienne francophone avait connu d’importantes poussées démocratiques dynamisées par l’appétence de la société civile, comme ce fut le cas entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, notamment au Mali, au Burkina Faso ou au Niger. François Mitterrand parvient au pouvoir en 1981 (il y restera jusqu’en 1995) comme patron de la gauche et porteur d’un programme commun qui consacre plusieurs de ses propositions aux relations de la France avec le « tiers-monde », comprenant une normalisation des rapports avec les anciennes colonies d’Afrique.

Le programme commun de la gauche est typique du courant tiers-mondiste des années 1970, souhaitant rompre avec le nécolonialisme, qui a déterminé des « aires d’influence » occidentales structurant, en articulation avec la guerre froide, les relations internationales. François Mitterrand a pourtant un lourd passé colonial : il a été ministre de la France d’outre-mer en 1950 et surtout ministre de l’intérieur et enfin ministre de la justice durant la guerre d’Algérie, au cours de laquelle il a adopté des positions ultrarépressives. Des marqueurs traumatiques au sein de la gauche française et qui sont restés invisibles et inaudibles depuis soixante-dix ans. Jamais il n’a été anticolonialiste, au contraire, toute son action politique durant la IVe République a visé à conserver l’empire. Or, pour devenir le personnage central de la gauche, ce passé est inassumable. François Mitterrand va donc réécrire sa biographie au cours des années 1960 et 1970 à travers ses ouvrages, pour se présenter comme un contempteur de la colonisation, qui aurait même anticipé les indépendances. Pure fiction, mais le récit prend et le légitime comme leader de la gauche.

En 1981, dans cette dynamique, il nomme Jean-Pierre Cot au ministère de la coopération et celui-ci croit naïvement que sa feuille de route est d’appliquer les changements inscrits dans le programme commun, avec, pour horizon, la suppression du ministère de la coopération et la réintégration de l’Afrique dans les prérogatives du ministère des affaires étrangères. Car, si formellement ces prérogatives existent puisque la direction des affaires africaines et malgaches (DAM) du ministère des affaires étrangères gouverne normalement la diplomatie, le domaine réservé présidentiel concernant l’Afrique s’incarne dans une « cellule africaine » dont les membres sont nommés par le fait du prince ; ce dont témoignera, d’ailleurs, avec éclat, la nomination de Jean-Christophe Mitterrand, le propre fils de François Mitterrand, au sein de cette cellule. Dans ce tableau, Jean-Pierre Cot dérange : en tenant ouvertement un discours de recentrage des dépenses du ministère et en refusant l’octroi de subsides pour des dépenses somptuaires de potentats locaux, tout en encourageant la démocratisation des régimes africains, il indispose plusieurs de ceux-ci, qui en font état à François Mitterrand.


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En 1982, François Mitterrand est à la croisée des chemins : doit-il poursuivre l’expérience de rupture initiée par Jean-Pierre Cot ou revenir aux pratiques bien implantées de la Françafrique ? Il choisit alors la seconde option. Bien évidemment, les contraintes de la realpolitik expliquent en partie ce revirement : en répondant aux sollicitations de quelques dignitaires africains, le président français maintient en place la Françafrique et donc, dans son esprit, l’influence géopolitique de la France). Car pour François Mitterrand, farouche défenseur de l’empire durant la période coloniale, l’influence française dans les anciennes colonies répond en définitive à une forme de continuité. Certes, la France a perdu la possession de ces territoires, mais, finalement, elle peut continuer à exercer son influence sur ceux-ci, influence qui est pour François Mitterrand, comme l’était l’empire au temps des colonies, la condition de la puissance de l’Hexagone. Ce faisant, il affermit les relations quasi incestueuses entre les chefs d’États africains et le président de la République française, relations émancipées de tout contrôle démocratique comme nous l’avons vu, en France comme en Afrique. Et François Mitterrand ne se contente pas de reprendre de lourd héritage du « pré-carré », il le renforce.

Entre 1981 et 1995, la France procédera à pas moins d’une trentaine d’interventions militaires en Afrique et, surtout, François Mitterrand n’encouragera jamais concrètement les poussées démocratiques, malgré les ambiguïtés de son discours de La Baule, en 1990, laissant entendre une « prime à la démocratisation », qui ne sera jamais mise en œuvre. De plus, les scandales autour de la cellule africaine se multiplieront, mettant directement en cause son fils Jean-Christophe et, à travers lui, la figure de François Mitterrand et l’image de la France dans les pays africains.

Une occasion historique de renouveler les relations franco-africaines a donc été perdue sous les deux mandats de François Mitterrand. Ses successeurs suivirent les pas du « sphinx », fossilisant le système de la Françafrique. Seul Emmanuel Macron osa poser crûment la question du maintien de ce système, mais le « en même temps » macroniste – entre initiatives mémorielles visant la mise au jour des responsabilités historiques de la France durant le génocide des Tutsis, dans la guerre du Cameroun ou dans les massacres de Madagascar (1947) avec un rapport à venir, et un soutien effectif à des régimes corrompus – a rendu cette politique illisible.

Le résultat de ce blocage, permanent après 1982, sont sous nos yeux : une stigmatisation de la France comme puissance néocoloniale, le revirement anti-français de plusieurs pays de l’ancien « pré-carré » et son remplacement par d’autres acteurs mondiaux, à l’image de la Chine ou de la Russie.

François Mitterrand avait pourtant un programme, une majorité politique et un soutien global de l’opinion. Les fantômes de la colonisation ont eu raison d’une rupture qui aurait probablement changé l’histoire. C’est bien son parcours durant la période coloniale qui explique sa politique, celle d’un homme qui avait grandi avec l’empire, qui l’avait promu et défendu jusqu’aux ultimes moments de sa chute… et avait regardé celui-ci s’effondrer avec regret.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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26.06.2025 à 17:09

Le christianisme a longtemps vénéré des saints « transgenres »

Sarah Barringer, Ph.D. Candidate in English, University of Iowa

Les historiens ont recensé au moins 34 récits documentés sur la vie de saints « transgenres », dont trois ont connu une grande popularité dans l’Europe médiévale.
Texte intégral (2821 mots)

La Marche des fiertés LGBTQIA+ – ou Paris Pride – aura lieu samedi 28 juin 2025. Elle célébrera l’égalité des droits et la visibilité des communautés lesbienne, gai, bi, trans, intersexe, asexuel et queer alors qu’aux États-Unis, en Russie, en Hongrie ou en Italie, les discriminations fondées sur les mœurs, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre se multiplient. Contrairement à un discours promu par les conservateurs états-uniens, qui tend à opposer les valeurs chrétiennes et la défense des minorités de genre, l’histoire du christianisme montre que des saints que l’on appellerait aujourd’hui « transgenres » ont bien été promus par l’Église médiévale.


Aux États-Unis, plusieurs États dirigés par des républicains ont restreint les droits des personnes transgenres : l’Iowa a signé une loi supprimant la protection des droits civils des personnes transgenres ; le Wyoming a interdit aux agences publiques d’exiger l’utilisation des pronoms préférés ; et l’Alabama a récemment adopté une loi qui ne reconnaît que deux sexes. Des centaines de projets de loi ont été présentés dans d’autres assemblées législatives d’État afin de restreindre les droits des personnes transgenres.

Plus tôt dans l’année, plusieurs décrets présidentiels ont été pris pour nier l’identité transgenre. L’un d’entre eux, intitulé « Éradiquer les préjugés anti-chrétiens », affirmait que les politiques de l’administration Biden en faveur de l’affirmation du genre étaient « antichrétiennes ». Il accusait la Commission pour l’égalité des chances dans l’emploi, de Biden, de forcer « les chrétiens à affirmer une idéologie transgenre radicale contraire à leur foi ».

Pourtant, de façon claire, tous les chrétiens ne sont pas antitrans. Et dans mes recherches sur l’histoire et la littérature médiévales, j’ai trouvé des preuves d’une longue histoire dans le christianisme de ce que l’on pourrait aujourd’hui appeler des saints « transgenres ». Bien que ce terme n’existait pas à l’époque médiévale, l’idée d’hommes vivant comme des femmes ou de femmes vivant comme des hommes, était incontestablement présente à cette période. De nombreux chercheurs ont suggéré que l’utilisation du terme moderne « transgenre » permettait d’établir des liens précieux pour comprendre les parallèles historiques.

Il existe au moins 34 récits documentés sur la vie de saints transgenres datant des premiers siècles du christianisme. Initialement rédigées en latin ou en grec, plusieurs histoires de saints transgenres ont été traduites dans les langues vernaculaires.

Saints transgenres

Parmi les 34 saints originaux, au moins trois ont acquis une grande popularité dans l’Europe médiévale : sainte Eugénie, sainte Euphrosyne et saint Marinos. Tous trois sont nés femmes, mais se sont coupé les cheveux et ont revêtu des vêtements masculins pour vivre comme des hommes et entrer dans des monastères.

Eugénie, élevée dans la religion païenne, est entrée au monastère pour en savoir plus sur le christianisme et est devenue abbesse. Euphrosyne est entrée au monastère pour échapper à un prétendant indésirable et y a passé le reste de sa vie. Marinos, né Marina, a décidé de renoncer à sa condition de femme et de vivre avec son père au monastère en tant qu’homme.

Ces récits étaient très lus. L’histoire d’Eugénie est apparue dans deux des manuscrits les plus populaires de l’époque : Vies de saints, d’Ælfric, et la Légende dorée, de Jacques de Voragine. Ælfric était un abbé anglais qui a traduit les vies des saints latins en vieil anglais au Xe siècle, les rendant ainsi accessibles à un large public profane. La Légende dorée a été écrite en latin et compilée au XIIIe siècle ; elle fait partie de plus d’un millier de manuscrits.

Euphrosyne apparaît également dans les vies des saints d’Ælfric, ainsi que dans d’autres textes en latin, en moyen anglais et en ancien français. L’histoire de Marinos est disponible dans plus d’une douzaine de manuscrits dans au moins 10 langues. Pour ceux qui ne savaient pas lire, les vies des saints d’Ælfric et d’autres manuscrits étaient lus à haute voix dans les églises pendant le service religieux le jour de la fête du saint.

Une personne allongée sur un lit semble se lever tandis qu’un homme vêtu d’une longue cape rouge s’avance vers elle
Euphrosyne d’Alexandrie. Anonyme via Wikimedia

Une petite église à Paris construite au Xe siècle était consacrée à Marinos, et les reliques de son corps auraient été conservées dans le monastère de Qannoubine au Liban.

Tout cela pour dire que de nombreuses personnes parlaient de ces saints.

La transidentité sacrée

Au Moyen Âge, la vie des saints était moins importante d’un point de vue historique que d’un point de vue moral. En tant que récit moral, le public n’était pas censé reproduire la vie d’un saint, mais apprendre à imiter les valeurs chrétiennes.

La transition entre l’homme et la femme devient une métaphore de la transition entre le paganisme et le christianisme, entre la richesse et la pauvreté, entre la mondanité et la spiritualité. L’Église catholique s’opposait au travestissement dans les lois, les réunions liturgiques et d’autres écrits. Cependant, le christianisme honorait la sainteté de ces saints transgenres.

Dans un recueil d’essais de 2021 sur les saints transgenres et queers de l’époque médiévale, les chercheurs Alicia Spencer-Hall et Blake Gutt affirment que le christianisme médiéval considérait la transidentité comme sacrée.

« La transidentité n’est pas seulement compatible avec la sainteté ; la transidentité elle-même est sacrée », écrivent-ils. Les saints transgenres ont dû rejeter les conventions afin de vivre leur vie authentique, tout comme les premiers chrétiens ont dû rejeter les conventions afin de vivre en tant que chrétiens.


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La spécialiste en littérature Rhonda McDaniel explique qu’au Xe siècle en Angleterre, l’adoption des valeurs chrétiennes consistant à rejeter la richesse, le militarisme masculin ou la sexualité a permis aux gens de dépasser plus facilement les idées strictes sur le genre masculin et féminin. Au lieu de définir le genre par des valeurs distinctes pour les hommes et les femmes, tous les individus pouvaient être définis par les mêmes valeurs chrétiennes.

Historiquement, et même à l’époque contemporaine, le genre est associé à des valeurs et des rôles spécifiques, comme le fait de supposer que les tâches ménagères sont réservées aux femmes ou que les hommes sont plus forts. Mais l’adoption de ces valeurs chrétiennes a permis aux individus de transcender ces distinctions, en particulier lorsqu’ils entraient dans des monastères et des couvents.

Selon McDaniel, même des saints cisgenres comme sainte Agnès, saint Sébastien et saint Georges incarnaient ces valeurs, montrant ainsi que n’importe quel membre du public pouvait lutter contre les stéréotypes de genre sans changer son corps.

L’amour d’Agnès pour Dieu lui a permis de renoncer à son rôle d’épouse. Lorsqu’on lui a offert l’amour et la richesse, elle les a rejetés au profit du christianisme. Sébastien et Georges étaient de puissants romains qui, en tant qu’hommes, étaient censés s’engager dans un militarisme violent. Cependant, tous deux ont rejeté leur masculinité romaine violente au profit du pacifisme chrétien.

Une vie digne d’être imitée

Bien que la plupart des vies des saints aient été écrites principalement comme des contes, l’histoire de Joseph de Schönau a été racontée comme étant à la fois très réelle et digne d’être imitée par le public. Son histoire est racontée comme un récit historique d’une vie qui serait accessible aux chrétiens ordinaires.

À la fin du XIIe siècle, Joseph, né femme, entra dans un monastère cistercien à Schönau, en Allemagne. Sur son lit de mort, Joseph raconta l’histoire de sa vie, notamment son pèlerinage à Jérusalem lorsqu’il était enfant et son difficile retour en Europe après la mort de son père. Lorsqu’il revint enfin dans sa ville natale de Cologne, il entra dans un monastère en tant qu’homme, en signe de gratitude envers Dieu pour l’avoir ramené sain et sauf chez lui.

Bien qu’il ait soutenu que la vie de Joseph méritait d’être imitée, le premier auteur de l’histoire de Joseph, Engelhard de Langheim, entretenait une relation complexe avec le genre de Joseph. Il affirmait que Joseph était une femme, mais utilisait régulièrement des pronoms masculins pour le désigner.

Un enfant et un homme âgé se tiennent à l’entrée d’un bâtiment avec des minarets tandis qu’une religieuse, entièrement vêtue de noir, leur parle
Marinos le moine. Richard de Montbaston via Wikimedia

Même si les histoires d’Eugénie, d’Euphrosyne et de Marinos sont racontées sous la forme de contes moraux, leurs auteurs avaient également des relations complexes avec la question de leur genre. Dans le cas d’Eugénie, dans un manuscrit, l’auteur fait référence à elle en utilisant uniquement des pronoms féminins, mais dans un autre, le scribe utilise des pronoms masculins.

Marinos et Euphrosyne étaient souvent désignés comme des hommes. Le fait que les auteurs aient fait référence à ces personnages comme étant masculins suggère que leur transition vers la masculinité n’était pas seulement une métaphore, mais d’une certaine manière aussi réelle que celle de Joseph.

Sur la base de ces récits, je soutiens que le christianisme a une histoire transgenre dont il peut s’inspirer et de nombreuses occasions d’accepter la transidentité comme une partie essentielle de ses valeurs.

The Conversation

Sarah Barringer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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25.06.2025 à 17:14

Fusionner l’audiovisuel public : pour quoi faire ?

Alexandre Joux, Professeur en Sciences de l’information et de la communication, Aix-Marseille Université (AMU)

Les députés se prononceront le 30 juin sur la fusion de France Télévisions de Radio France et de l’INA porté par Rachida Dati. Les personnels sont en grève depuis le 26 juin.
Texte intégral (2256 mots)

Les députés voteront le projet de création d’une holding réunissant France Télévisions, Radio France et l’INA les 30 juin et 1er juillet – sans que l’on sache à ce stade si le groupe France Médias Monde (France 24 et RFI) en fera partie ou non. Les personnels de Radio France, qui s’y opposent, sont en grève illimitée depuis le 26 juin, ceux de France Télévisions à partir du 30 juin. Portée par Emmanuel Macron depuis 2017 et aujourd’hui par la ministre de la culture Rachida Dati, cette fusion est-elle justifiée ?


Le projet de fusion de l’audiovisuel public s’apprête à être examiné par le Parlement. Mais quelles réponses peut apporter ce projet « Big is Beautiful » aux défis des médias de l’audiovisuel public ? Revenir sur l’évolution de l’audiovisuel public, ses réussites et ses limites actuelles souligne combien l’impératif politique semble l’emporter sur l’urgence numérique.

En 1974, l’ORTF était scindée en trois entités afin d’introduire un peu de concurrence et de diversité entre les chaînes. La libéralisation de l’audiovisuel, c’est-à-dire le droit de créer des radios et des télévisions privées, se produira dix ans plus tard, entre 1982 et 1986, puis sera suivie par la privatisation de TF1 en 1987. Dès lors, l’audiovisuel public perd progressivement son image de télévision d’État et s’impose en tant qu’alternative aux offres privées de télévision. Cette spécificité ne l’a plus quitté depuis, ce qui permettra sa réunification progressive.

En 1992, France Télévision (alors sans s) naît de la réunion des deux principales chaînes publiques. La même année, la fréquence de La Cinq, en faillite, est attribuée au service public, une manière de compenser la privatisation de TF1. Avec le lancement de la TNT en 2005, France 4 vient compléter l’offre de chaînes de France Télévisions et France 5 récupère la cinquième fréquence qu’elle partageait avec Arte.

Puis il faudra toujours plus souligner la spécificité de l’audiovisuel public, ce qui conduira le président Sarkozy, en 2008, à s’inspirer du modèle de la BBC à l’occasion de la suppression de la publicité sur France Télévisions après 20 heures. En 2016, Les Républicains (LR) proposeront la création d’une « BBC à la française », c’est-à-dire la réunion de la radio et de la télévision publiques, proposition reprise en 2017 dans le programme d’Emmanuel Macron, ouvrant un chapitre qui devrait se clore en 2026, avec le début de l’examen, le 23 juin 2025, du projet de réforme de la loi audiovisuelle de 1986 visant à créer la holding « France Médias » (réunion de France Télévisions, de Radio France et de l’INA).

Mais il n’y aura jamais de « BBC à la française » parce que les audiovisuels publics européens sont très différents d’un pays à l’autre et sont régulés chacun de manière spécifique, la libéralisation de l’audiovisuel en Europe ayant emprunté une diversité de voies.

La BBC, puisqu’elle est donnée en exemple, dispose de ses propres studios, contrôle les droits sur les programmes qu’elle finance, et a une activité commerciale à l’international qui contribue à alimenter en contenus ses antennes britanniques. France Télévisions, à l’inverse, a l’obligation de recourir d’abord à des producteurs indépendants quand elle finance des programmes, ceci afin de soutenir la diversité de la création française, et n’a donc pas pu développer un catalogue important de contenus audiovisuels dont elle contrôle les droits et qu’elle pourrait exploiter commercialement. La nouvelle loi, si elle est votée, fera donc émerger France Médias, une holding unique, mais pas une nouvelle BBC, avec plusieurs enjeux identifiés : un enjeu économique et stratégique, un enjeu éditorial, un enjeu politique.

L’audiovisuel à l’heure des plateformes : l’enjeu économique et stratégique

Avec l’émergence de plateformes mondiales dans la musique et le podcast (Spotify), dans la vidéo (Netflix), les acteurs nationaux de l’audiovisuel (radio, télévision) sont contraints de s’adapter rapidement. En effet, la structure du marché a rapidement évolué parce que des acteurs nouveaux et mondialisés ont émergé, mais aussi parce que l’on assiste à un changement rapide des pratiques en faveur de la consommation à la demande. Si le déséquilibre entre plateformes mondiales et acteurs nationaux est souvent pointé du doigt, reste que l’émergence de France Médias ne devrait pas changer la donne. En effet, Radio France comme France Télévisions comptent déjà parmi les premiers producteurs de contenus audiovisuels français et Netflix et ses épigones n’ont pas vocation à les remplacer. Aux premiers, l’offre très française, aux seconds l’offre mondialisée. L’enjeu économique et stratégique d’un audiovisuel public réuni est donc à chercher ailleurs.

La logique d’un rapprochement entre un spécialiste des archives audiovisuelles, un groupe de radio et un groupe de télévision n’est pas en soi évidente. Elle le serait si les trois groupes réunis pouvaient mener une stratégie publicitaire agressive, mais les possibilités de l’audiovisuel public en la matière sont très limitées (la publicité est plafonnée sur Radio France, elle est interdite sur les chaînes de France Télévisions au meilleur moment, celui du prime time).

Reste donc un pari sur la « plateformisation », le terme étant employé pour désigner la manière dont les usagers, les producteurs de contenus et les technologies interfacent dans des écosystèmes créateurs de valeur. Sur une plateforme unique de l’audiovisuel public, un internaute attiré par une offre audio pourrait basculer vers des programmes vidéo, prenant ainsi ses habitudes sur le service qui deviendrait, si ce n’est l’unique, au moins l’une des principales portes d’entrée de sa consommation de contenus audiovisuels à la demande. Ce superportail pourrait même agréger l’offre d’autres partenaires, comme le fait déjà France.tv, la plateforme de vidéo à la demande de France Télévisions.

C’est finalement le modèle Salto, avec la convergence des médias en plus, les grands partenaires privés en moins. Mais la mise en œuvre d’une telle stratégie ne passe pas nécessairement par une fusion.

L’enjeu éditorial : convergence et agilité

Dans le domaine de l’information, France Télévisions et Radio France ont déjà fait la preuve de leur capacité à travailler ensemble sans être fusionnés, avec un résultat probant, le succès depuis 2016 de l’offre globale France Info sur Internet. Le site web et son application fédèrent les contenus des rédactions des deux groupes et s’imposent comme un portail de l’information pour l’audiovisuel public, avec un vrai succès d’audience. Ce n’est pas le cas de la chaîne d’information en continu France Info, lancée la même année par France Télévisions et qui réunit moins de 1 % de l’audience de la TNT dix ans plus tard. France Info, la radio, affiche en revanche de très belles performances, dans un contexte concurrentiel, certes, plus favorable puisqu’elle n’a pas, face à elle, de concurrentes privées sur l’information en continu. Leur fusion dans un même groupe ne devrait pas changer la donne si l’offre n’évolue pas.

La fusion de la radio et de la télévision publiques pourrait, en revanche, accélérer la mise en œuvre d’une seconde offre convergente, ICI, lancée en 2025, qui fédère les programmes locaux des rédactions de France 3 en région et des locales de Radio France (ex-réseau France Bleu). Il s’agirait, de nouveau, de créer un portail unique pour l’accès à l’information, cette fois-ci locale.

L’exemple de France Info prouve toutefois que la fusion n’est pas un préalable à la mise en œuvre opérationnelle de telles offres et que l’agilité reste un atout maître pour garantir le succès des offres en ligne. Ainsi, Radio France est parvenue à s’imposer sur l’écoute de podcasts en France avec des replays de ses programmes et avec des podcasts natifs, au point désormais de fédérer, depuis son application, l’offre de podcasts francophones issus de l’audiovisuel public (Radio France, Arte Radio, mais aussi la radio canadienne, la RTBF belge).


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Arte.tv a fait émerger une offre de vidéo à la demande de dimension européenne, sans les moyens d’un Netflix, mais avec un pari éditorial fort sur le documentaire et les séries nordiques. De ce point de vue, la pertinence de la réunion des groupes audiovisuels publics se jouera fondamentalement sur la capacité des nouvelles équipes à imaginer un projet éditorial fédérateur et adapté aux différents supports de diffusion, ce qu’un projet de loi ne peut bien sûr pas anticiper.

Reste que ces approches convergentes, qui reposent sur des synergies entre médias différents, sont souvent vouées à l’échec. Le dernier en date a été acté par Vincent Bolloré, qui voulait faire de Vivendi un groupe convergent, avant de le scinder pour redonner leur indépendance à chacun de ses médias.

L’enjeu politique : la question de l’information

Finalement, l’enjeu politique s’impose comme le plus évident. Il est nécessaire d’avoir un audiovisuel public fort dans l’information, et la réunion des rédactions de France Télévisions et de Radio France fait émerger un géant dans l’univers du journalisme audiovisuel : plus de 3 500 journalistes. Certes, ce potentiel est à nuancer, car Radio France comme France Télévisions ont des obligations de couverture locale et France Télévisions est également présente dans les outremers. Cette mégarédaction est donc répartie sur l’ensemble du territoire national, mais c’est aussi sa force. Aux États-Unis, la disparition rapide des titres de presse locale et de leurs journalistes n’augure rien de bon pour la démocratie. En France, l’audiovisuel public peut éviter ce scénario, même s’il faut espérer que la presse locale réussisse sa bascule dans le tout-numérique.

Dans le domaine de l’information, la réunion des rédactions fait sens parce que la concurrence, quand les lignes éditoriales ne sont pas fortement différenciées, conduit à multiplier les doublons au détriment de la diversité des sujets traités. Pour cela, il faut que les journalistes deviennent de plus en plus polyvalents s’ils doivent être capables de travailler pour Internet, la radio et la télévision. Mais une meilleure allocation des ressources permet de traiter mieux chaque sujet, ou plus de sujets.

Le risque de la polyvalence, en revanche, c’est la possibilité de faire plus avec moins. Or, les budgets de l’audiovisuel public sont contraints depuis plusieurs années. Si cet impératif devait s’imposer, la fusion n’augmentera pas la diversité et la qualité de l’offre d’information de l’audiovisuel public, bien au contraire. Enfin, il ne faut pas exclure la possibilité d’un gouvernement trop peu libéral, comme cela s’est produit dans d’autres démocraties. La pression sur le dirigeant unique de l’audiovisuel public sera alors immense.

The Conversation

Alexandre Joux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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24.06.2025 à 17:19

Retraites : après l’échec du « conclave », quelles leçons pour la démocratie sociale ?

Dominique Andolfatto, Professeur de science politique, Université Bourgogne Europe

Après l’échec du « conclave » sur les retraites, quel bilan tirer de cette négociation inédite ? Pourquoi cet exercice de « démocratie sociale » a-t-il échoué ?
Texte intégral (1550 mots)

Après l’échec du « conclave » sur les retraites entre patronat et syndicats, lundi 23 juin, François Bayrou cherche toujours une « voie de passage » pour obtenir un accord. Une partie de la gauche menace désormais le premier ministre de censure. Au-delà de la réforme des retraites, quel bilan tirer de ces quatre mois de négociation sous un format inédit ? Pourquoi cet exercice de « démocratie sociale » a-t-il échoué ?


Le « conclave » sur les retraites (réunissant Medef et CPME, et trois syndicats – CFDT, CFE-CGC et CFTC) a donc échoué. Aucune évolution sur l’âge de départ de la retraite (fixé à 64 ans) n’aura lieu. Également abandonnées, les évolutions a minima escomptées – réduction des inégalités hommes-femmes, assouplissement de la décote (minoration des pensions faute de trimestres cotisés suffisants), prise en compte de la pénibilité.

Faute d’abrogation de la réforme de 2023, une partie de la gauche menace déjà le premier ministre de censure. Mais quels enseignements tirer de cet exercice inédit de démocratie sociale ?

Entre tactique et démocratie sociale

En janvier dernier, François Bayrou rouvrait de façon inattendue l’épineux dossier des retraites. Cette réforme impopulaire avait soulevé beaucoup de colère, les syndicats étant vent debout contre le report de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans.

Pour le premier ministre, cette réouverture était d’abord tactique : éviter une nouvelle censure du gouvernement en remettant autour de la table les partenaires sociaux (organisations syndicales et patronales). Les syndicats, comme une majorité des partis politiques, avaient rejeté la réforme de 2023. Décider de la rediscuter, c’était assurer au gouvernement une certaine longévité en obtenant une neutralité relative des acteurs syndicaux et politiques.

Pour le premier ministre, il s’agissait également d’innover en redonnant la parole à la démocratie sociale au moment où les institutions de la démocratie politique, particulièrement l’Assemblée nationale, semblent bloquées. François Bayrou choisit alors une forme originale, celle d’un « conclave » réunissant les partenaires sociaux pour proposer une nouvelle réforme, plus acceptable pour l’opinion et soucieuse d’équilibre financier du système.

En ce sens, le « conclave » est bien un objet nouveau. Il déroge aux cadres habituels des négociations interprofessionnelles qui débouchent – ou pas – sur des « accords » modifiant le droit du travail ou social. Des locaux ministériels accueillent, à partir de la fin du mois de février, les négociateurs et de hauts fonctionnaires mis à disposition pour produire les informations et notes techniques nécessaires aux débats. Un animateur est désigné : Jean-Jacques Marette, personnalité appréciée des syndicats, ancien directeur général de l’Agirc-Arrco, le régime de retraite complémentaire des salariés du privé aux comptes équilibrés.

Un accueil ambigu des partenaires sociaux

Si ce nouveau cadre de dialogue séduit certaines organisations, notamment la CFDT ou la CFE-CGC, d’autres se montrent plus réservées ou peu demandeuses, comme le Medef. Ce nouveau cadre pour la démocratie sociale n’est-il pas trop soudain et placé sous la tutelle étroite de l’État et de son administration ? De fait, FO, troisième organisation syndicale, quitte le « conclave » dès son premier jour, déplorant une instrumentalisation. La CGT le quitte un peu plus tard pour des raisons revendicatives.

Mais comment croire que les syndicats renonceraient aux 62 ans (voire aux 60 ans) comme la CGT et certaines formations politiques qui le défendent toujours officiellement ? La CGT part lorsque le premier ministre ferme la porte au retour aux 62 ans.

Par ailleurs, les organisations patronales se montrent hostiles à toute revendication de cotisation nouvelle qui alourdiraient le coût du travail. Le syndicat patronal U2P (artisans et professions libérales) exige même des « mesures drastiques » comme un nouveau recul de l’âge de départ à la retraite.

De nombreuses interférences perturbent également le « conclave ». Celle de la Cour des comptes qui annonce que le déficit des retraites va progressivement se creuser (en milliards d’euros) si aucune nouvelle mesure d’économie n’est prise. Mais aussi celle du COR (Conseil d’orientation des retraites) selon lequel l’équilibre financier dépendra du recul de l’âge de départ à la retraite (son président évoquant même un âge de 66,5 ans).

Expliquer et responsabiliser

Tous ces éléments ont rendu cet exercice de démocratie sociale difficile, alors que les partenaires n’y étaient pas forcément préparés.

Rappelons que François Bayrou a confié aux partenaires sociaux un dossier majeur, alors que les gouvernements précédents les avaient largement déresponsabilisés lors de la fabrique de la réforme de 2023 : cycle de négociations « très cadré », absence d’interlocuteur politique lors des discussions, « contenu ficelé » des éléments à discuter, comme a pu en témoigner le négociateur de la CFDT.

Lors du « conclave », syndicats et patronat ont, jusqu’au bout, tenté de faire preuve d’esprit de responsabilité, tentant de reconstruire ensemble de nouveaux pans de la réforme.


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Reste que, pour les syndicats, il était difficile de faire une croix sur les revendications de 2023 dont l’abaissement de l’âge légal de départ à la retraite, malgré l’impératif de réduction du déficit. Rappelons que, depuis la loi de 2008 sur la « rénovation de la démocratie sociale », les syndicats sont en perpétuelle concurrence dans les entreprises et les branches d’activités pour la représentativité et les moyens et ressources qui en découlent. Pour une organisation syndicale, « céder » sur l’âge de la retraite en entérinant la réforme de 2023, c’était prendre le risque d’être accusée de trahir les mobilisations de 2023 – avec des conséquences probables lors des prochaines élections professionnelles.

Rupture avec la Sécurité sociale des origines

La fabrique des réformes de la protection sociale et l’administration de cette dernière interrogent aussi la raison d’être du « conclave » et expliquent sans doute l’échec final.

En 1945, aux origines du système français de protection sociale (dont celui des retraites), il avait été décidé que celui-ci serait fondé sur la démocratie sociale. Autrement dit, la gestion des caisses de sécurité sociale, à l’origine uniques, était confiée aux représentants syndicaux et patronaux.

Ce mode de gestion – qui vaut toujours pour les retraites complémentaires – a été remis en cause pour le régime général à compter de 1967. Les partenaires sociaux ont été progressivement mis à l’écart pour ne plus tenir qu’un rôle symbolique, l’État et des fonctionnaires spécialisés reprenant l’administration directe du système et fixant ses orientations.

Depuis, ce système a perdu son enracinement social et l’État impose des réformes récurrentes et souvent brutales alors que, dans d’autres pays, l’État fait confiance aux organisations qui procèdent de façon consensuelle.

Le « conclave » de 2025, trop circonstanciel, n’a pas réussi à inverser la tendance, même s’il a permis de mettre clairement – et démocratiquement – sur la table les arguments des diverses parties et éclairé l’opinion sur la complexité de la gestion des retraites.

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