01.07.2025 à 06:00
(Bruxelles) – Les États membres de l’Union européenne (UE), sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, sont en train de trahir leur engagement de protéger les droits humains et l’environnement dans le cadre des chaînes d’approvisionnement mondiales, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le 23 juin, ces États membres ont approuvé une proposition du Conseil européen qui, si elle prenait force de loi, rendrait caduque une directive de l’UE sur la protection des droits le long des chaînes d’approvisionnement.
Cette directive, connue sous le nom de Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, CSDDD), était destinée à protéger les victimes d’abus des droits humains, ainsi que l’environnement, tout en créant un champ d’action équitable pour les entreprises. Elle a marqué une importante transition, les entreprises habituées jusque-là à appliquer certaines normes sur une base purement volontaire étant désormais tenues légalement responsables pour les violations des droits humains et de l’environnement commises tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement. Elle était entrée en vigueur en juillet 2024 dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe (European Green Deal), le projet phare de la Commission de l’UE pour rendre l’Union plus durable et neutre sur le plan climatique d’ici à 2050.
« Les États membres de l’UE veulent réduire la loi européenne sur les chaînes d’approvisionnement à un simple morceau de papier, trahissant les victimes et les survivants d’abus commis le long des chaînes d’approvisionnement des entreprises européennes », a déclaré Hélène de Rengervé, chargée de plaidoyer senior sur la responsabilité des entreprises à Human Rights Watch. « Cette proposition trahit l’engagement de l’UE en faveur des droits humains et de la durabilité et, si elle devenait loi, aurait très peu d’impact pour empêcher les atteintes aux droits humains et à l’environnement dans les chaînes d’approvisionnement. »
La prochaine étape aura lieu lorsque le Parlement européen adoptera sa position concernant cette proposition d’abandon de la CSDDD. Il s’agira d’une occasion cruciale et définitive pour le Parlement de se prononcer pour éviter que la directive ne devienne obsolète et pour conserver de réelles protections pour les victimes d’abus commis par les entreprises.
Les efforts en vue d’affaiblir la législation ont commencé en février 2025, lorsque la nouvelle Commission de l’UE a fait volte-face et avancé une proposition dite « Omnibus » visant à vider de leur substance les éléments les plus importants de la directive. Parmi ceux-ci figurent l’obligation pour les entreprises de faire preuve de vigilance en matière de droits humains et d’environnement tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement, ainsi que la possibilité pour les victimes de poursuivre en justice les entreprises si leurs droits sont violés. Ces mesures étaient considérées comme d’importants compromis, obtenus à la suite de négociations minutieuses.
Certains lobbies industriels semblent avoir joué un rôle prépondérantdans les efforts en faveur des changements. Leurs appels à davantage de compétitivité et de simplification, qui sont utilisés pour justifier les démantèlements, masquent une vaste entreprise de déréglementation et ignorent le véritable objectif de la loi : protéger les victimes d’abus tout en créant un champ d’action équitable pour les entreprises.
L'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, la Banque centrale européenne (BCE), des entreprises progressistes, des experts juridiques et des économistes, des personnalités de haut niveau, des responsables et experts de haut rang des Nations Unies et le Groupe de travail de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme ont tous critiqué cette proposition, exhortant l’UE à ne pas affaiblir la directive.
La décision du 23 juin, prise sous l’égide de la présidence polonaise de l’UE, soutient le plan de la commission consistant à limiter les obligations de vigilance obligatoires et systématiques aux seuls fournisseurs directs. Mais, du fait que de nombreuses violations des droits humains sont commises plus loin le long de la chaîne mondiale d’approvisionnement, par exemple au niveau de l’extraction des matières premières ou de la fabrication, ces limites restreignent gravement la faculté de la loi d’empêcher les abus.
La décision est également en contradiction avec les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, qui étend la responsabilité des entreprises d’exercer leur vigilance en matière de droits humains à tous les maillons de leur chaîne de valeurs. Limiter le devoir de vigilance aux seuls fournisseurs directs équivaudrait à négliger les maillons de la chaîne d’approvisionnement où la plupart des abus sont commis, a déclaré Human Rights Watch.
« Si la CSDDD est limitée au fournisseur direct, cela voudra dire qu’elle ne sera plus que des paroles creuses pour les travailleurs », a déclaré Kalpona Akter, une activiste du droit du travail du Bangladesh. « Nous serions laissés de côté. C’est inacceptable. »
Les États membres de l’UE ont même proposé d’aller encore plus loin dans la réduction des exigences de la directive, en affaiblissant les plans d’atténuation des effets des changements climatiques et en limitant le champ d’application de la loi aux entreprises de plus de 5 000 employés et de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires.
Des estimations effectuées par le Centre de recherche sur les entreprises multinationales (Centre for Research on Multinational Corporations), présentées dans sa base de données sur la CSDDD, montrent que l’imposition d’un tel seuil exclurait 72,5 % des entreprises actuellement concernées par la loi de 2024, réduisant à moins de 1 000 le nombre de celles qui resteraient concernées.
La proposition du Conseil de limiter le devoir de vigilance essentiellement aux fournisseurs directs signifie que les entreprises pourraient ignorer les maillons de leur chaîne d’approvisionnement où se situent la plupart des risques, tout en transférant à leurs fournisseurs directs les coûts et la responsabilité du devoir de vigilance dans le cadre de contrats commerciaux inéquitables.
La décision du Conseil de remplacer une règle commune et harmonisée pour tenir les entreprises responsables par des règles propres à chaque État membre signifierait aussi qu’il y aurait 27 ensembles de règles. Cela rendrait plus complexe et plus coûteux l’application de la loi, tout en affaiblissant son aspect préventif et en encourageant les entreprises à faire du « forum shopping » pour trouver les États membres ayant les règles les plus avantageuses, a déclaré Human Rights Watch.
Des désastres industriels faisant des morts et des blessés parmi les travailleurs, comme l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza au Bangladesh, et les violations par les grandes entreprises des droits humains, du droit du travail et des normes environnementales le long des chaînes mondiales d’approvisionnement ont suscité un vaste mouvement de soutien à des législations contraignantes afin de tenir les entreprises responsables. Les organisations de défense des droits, les syndicats, des consommateurs, des dirigeants politiques et des entreprises progressistes ont milité en faveur de la loi.
Mais le processus législatif, qui a débuté en 2020, a été difficile ; il s’est heurté à une vive opposition de la part de multinationales et d’associations patronales, et les gouvernements français, italien et allemand ont mené les efforts, directement et aussi par l’intermédiaire de leurs groupement de lobbyistes d’employeurs, pour diluer les dispositions les plus importantes de la loi.
La hâte inhabituelle avec laquelle la Commission a fait avancer la proposition Omnibus, au mépris de ses obligations administratives et procédurales et sans consulter sérieusement la société civile, a conduit huit organisations de la société civile à porter plainte auprès du bureau du Médiateur européen en avril. En réaction, la Médiatrice de l’UE a ouvert une enquête en mai.
Human Rights Watch soutient cette initiative très importante des organisations et exhorte le bureau de la Mediatrice à tenter de mener à bien son enquête le plus promptement possible, dans la mesure du possible avant que le texte final de la CSDDD remaniée soit adopté. Cette enquête constitue un pas essentiel vers une complète transparence et responsabilité dans le processus de décision de la Commission, contribuant à assurer qu’elle reflète effectivement les valeurs démocratiques fondamentales de l’UE.
« Le Parlement européen a l’occasion de mettre fin à cette course au nivellement par le bas et de se battre pour une loi qui tient réellement responsables les grandes entreprises pour leurs violations des droits humains et de l’environnement », a conclu Hélène de Rengervé. « Tant les victimes des abus des entreprises que les consommateurs de l’UE méritent mieux que la situation actuelle. »
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30.06.2025 à 01:00
(New York, le 29 juin 2025) – Le gouvernement chinois a supprimé les libertés à Hong Kong depuis qu’il a imposé sa draconienne Loi sur la sécurité nationale (National Security Law, NSL) le 30 juin 2020, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Les autorités chinoises et hongkongaises ont sévèrement puni les détracteurs du gouvernement, instauré un régime de sécurité nationale extrêmement répressif et imposé un contrôle idéologique aux habitants de la ville. De plus en plus, seuls les fidèles du Parti communiste chinois (PCC) – autrement dit les « patriotes » – peuvent occuper des postes clés dans la société.
« En seulement cinq ans, le gouvernement chinois a mis fin au dynamisme politique et civil de Hong Kong et l’a remplacé par l’uniformité d’un patriotisme forcé », a déclaré Maya Wang, directrice adjointe pour la Chine à Human Rights Watch. « Cette oppression accrue risque d’avoir de graves conséquences à long terme pour Hong Kong, même si de nombreux Hongkongais ont trouvé des moyens subtils de résister au régime tyrannique. »
Play VideoDepuis l’adoption de la Loi sur la sécurité nationale, le gouvernement chinois a largement démantelé les libertés d'expression, d'association et de réunion, ainsi que des élections libres et équitables, le droit à un procès équitable et l'indépendance de la justice. Le gouvernement a de plus en plus politisé l'éducation, instauré l'impunité pour les abus policiers et mis fin à la semi-démocratie de la ville. De nombreux groupes indépendants de la société civile, syndicats, partis politiques et médias de Hong Kong ont été fermés.
Le gouvernement chinois a mis en place un nouveau régime juridique et une nouvelle bureaucratie opaques en matière de sécurité nationale, utilisant les tribunaux comme armes pour infliger de lourdes sanctions à la dissidence – jusqu’à la prison à vie – et harcelant et surveillant les Hongkongais dans le pays et à l’étranger. Les autorités réécrivent également l’histoire de Hong Kong.
Lors de la rétrocession de la souveraineté de Hong Kong à la Chine par le Royaume-Uni en 1997, Pékin avait promis un « haut degré d’autonomie » et que « le peuple de Hong Kong gouvernerait Hong Kong ». Depuis 2020, le Parti communiste chinois – qui n'est même pas enregistré comme parti politique à Hong Kong – y a toutefois étendu son contrôle sur tous les leviers du gouvernement local, en intégrant le concept de sécurité nationale de Pékin dans les lois de Hong Kong et en réorganisant la structure de gouvernance de la ville.
Plusieurs autres gouvernements ainsi que les Nations Unies ont exprimé leur préoccupation à propos de la détérioration rapide des libertés à Hong Kong, mais peu d’entre eux ont pris des mesures concrètes. Les États-Unis ont imposé des sanctions à des responsables chinois et hongkongais en 2020, 2021 et 2025 pour des abus liés à la loi sur la sécurité nationale, mais ils ont été le seul gouvernement à le faire. Le Royaume-Uni, l’Union européenne et l’Australie, qui ont également des régimes de sanctions en matière de droits humains, devraient imposer des sanctions ciblées aux responsables chinois et hongkongais les plus responsables des graves violations des droits humains, a déclaré Human Rights Watch..
« Les autres gouvernements devraient faire pression sur le gouvernement chinois pour qu'il mette fin à ses politiques répressives à Hong Kong, en demandant des comptes aux autorités responsables », a conclu Maya Wang. « Pékin ne devrait plus se sentir encouragé à resserrer son emprise sur la population de Hong Kong sans conséquences. »
Suite en anglais, comprenant plus de détails sur la répression à Hong Kong :
https://www.hrw.org/news/2025/06/29/china-building-a-patriots-only-hong-kong
28.06.2025 à 20:20
(Beyrouth) – Les récentes condamnations de 24 accusés à la réclusion à perpétuité aux Émirats arabes unis ont été prononcées à l'issue d'un procès collectif fondamentalement inéquitable, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le 26 juin, la Chambre criminelle de la Cour suprême fédérale a annulé un précédent jugement de non-lieu rendu à l’égard des 24 accusés, et les a condamnés à la réclusion à perpétuité. Ils étaient visés depuis 2023 par des accusations liées au terrorisme en vertu de la loi antiterroriste émiratie, qui est entachée de graves irrégularités.
Le jugement du 26 juin signifie que 83 des 84 accusés ont été reconnus coupables dans le cadre du procès collectif ; c’était auparavant le cas pour 53 accusés. Parmi les 83 personnes reconnues coupables, 67 ont été condamnées à la réclusion à perpétuité. Parmi les 84 accusés renvoyés en jugement en décembre 2023, une personne a apparemment été acquittée, mais Human Rights Watch n'a pas été en mesure de confirmer son identité.
Le 10 juillet 2024, la Cour d'appel fédérale d'Abou Dhabi a condamné 53 accusés à des peines allant de 10 ans de prison à la réclusion à perpétuité, à l'issue d'un procès collectif inéquitable – deuxième en termes de taille aux Émirats arabes unis – entaché de violations des garanties procédurales. La Cour a aussi classé sans suite les affaires concernant 24 autres accusés, mais le Procureur général des Émirats a ensuite fait appel de ces 24 décisions, qui ont été annulées le 26 juin dernier.
« Ce procès collectif, deuxième en termes de taille aux Émirats arabes unis, aurait été tenu pour lutter contre le terrorisme ; mais en réalité il a simplement fait partie des efforts incessants du gouvernement pour empêcher la réémergence d’une société civile indépendante dans ce pays », a déclaré Joey Shea, chercheuse sur les Émirats arabes unis à Human Rights Watch. « Punir l’activisme non violent avec des peines de prison à vie reflète le profond mépris d'Abou Dhabi à l’égard de critiques pacifiques, et de l’état de droit. »
En décembre 2023, tout en accueillant la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP28), les autorités émiraties ont poursuivi au moins 84 personnes liées à la création en 2010 d'une organisation indépendante de défense des droits. Plusieurs accusés purgeaient déjà des peines de prison pour des infractions identiques ou similaires. Ce procès collectif inéquitable a été entaché de graves violations des garanties procédurales et de normes relatives à un procès équitable. Parmi ces violations figuraient un accès restreint aux documents et aux informations concernant les accusations, une assistance juridique limitée, des propos de juges visant à influencer les témoignages, des violations du principe de double incrimination, des allégations crédibles de graves abus et de mauvais traitements, ainsi que des audiences tenues à huis clos.
Selon une déclaration publiée en janvier 2024, les autorités émiraties ont accusé les 84 hommes d'avoir créé et dirigé le Comité pour la justice et la dignité, qualifiée d’organisation terroriste clandestine par les autorités. Ces accusations étaient portées en vertu de la loi antiterroriste abusive de 2014, qui prévoit des peines allant jusqu'à la prison à vie, voire la peine de mort, pour quiconque crée, organise ou dirige une organisation « terroriste ».
En juillet 2024, d'éminents activistes tels qu'Ahmed Mansoor (membre du conseil consultatif de Human Rights Watch pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord) et l'universitaire Nasser bin Ghaith étaient jugés lors du procès collectif ; chacun a été condamné à 15 ans d'emprisonnement.
Étant donné que les accusations reposaient uniquement sur l'exercice pacifique par les accusés de leurs droits humains et que les condamnations ont été prononcées à l'issue d'un procès fondamentalement inéquitable, les autorités émiraties devraient immédiatement annuler les condamnations et libérer tous les accusés, a déclaré Human Rights Watch.
En mars 2025, un tribunal émirati a rejeté les appels des 53 défenseurs des droits humains et dissidents politiques condamnés en juillet 2024, confirmant leurs condamnations injustes et leurs peines abusives. Le 1er mars, l'agence de presse officielle des Émirats arabes unis (Wakalat Anba'a al Emarat, WAM), avait annoncé que la Chambre chargée des affaires de la sécurité de l'État, une division de la Cour suprême fédérale, rendrait son verdict d'appel le 4 mars. L'audience du 4 mars était la première et unique audience en appel. Aucun des détenus n'était présent et seul l'un des avocats des accusés a pu assister à l'audience, selon le Centre de défense des droits humains des Émirats arabes unis (Emirates Detainees Advocacy Center, EDAC), qui soutient les défenseurs des droits emprisonnés dans ce pays.
Peu d’informations sont disponibles sur la situation des 53 activistes emprisonnés, la plupart étant privés de la possibilité de visites ou d'appels téléphoniques de leurs familles, a déclaré l'EDAC. « D'après ce que nous avons entendu, ils ne sont plus détenus à l'isolement, mais rien n'est confirmé en l’absence de sources fiables d'information », a déclaré un proche. « Il n'existe aucun moyen réel d'obtenir des informations. Nous pensons qu'il s’est agi d'un simulacre de procès. »
Parmi les 84 accusés, au moins 60 personnes avaient déjà été condamnées en 2013 dans le cadre d’un précédent procès collectif visant 94 personnes ; ils étaient déjà visés en raison de leur implication dans le Comité pour la justice et la dignité, a déclaré l'EDAC. En 2013, ce procès collectif dénommé « UAE 94 », manifestement inéquitable, avait abouti à la condamnation de 69 détracteurs du gouvernement, dont huit par contumace, en violation de leurs droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion. Ces 69 accusés faisaient partie de 94 personnes détenues à partir de mars 2012, dans le cadre d'une vague d'arrestations arbitraires, dans un contexte de répression sans précédent contre la dissidence.
« Les autorités émiraties devraient annuler ces condamnations et libérer les accusés immédiatement et sans condition », a conclu Joey Shea.
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