12.10.2025 à 12:39
Dans les futurs États-Unis d’Amérique se disputent les politiciens tandis que des colons chassent les Amérindiens, que des villes apparaissent dans les prairies, que des ruées vers l’or s’organisent, et que des citoyens un peu trop à l’aise avec un colt s’entassent dans les prisons. Junior et Senior croupissent en cellule quand on vient les chercher pour faire le sale boulot, kidnapper la fille d’un sénateur pour le faire chanter.
Flâneurs et insouciants, ces bandits amateurs vont embarquer 6 gamines dans un orphelinat, ne sachant pas laquelle est la bonne, dans une fuite en avant endiablée avec à leurs trousses une gouvernante coriace, des officiers de cavalerie un peu trop fleur bleue, ou desperados nuls en géographie. Vont s’enchaîner une série de péripéties, d’évasions, cascades et bagarres portée par ces 8 antihéros qui donnent un album vivant et turbulent.
Beaucoup d’humour, de fayots au lard et d’aventures pour cette troupe informelle qui redonne un nouveau souffle au western en bande dessinée. L’occasion d’en discuter avec le scénariste, Robin Recht.
Robin Recht / photo © Manuel Lagos Cid / Le Lombard
Robin Recht : Oui j’imagine, mais pas que ! J’ai une histoire professionnelle un peu tumultueuse : je me suis aperçu au bout de 20 ans que je faisais suer tous mes scénaristes et en écrivant mon Conan puis Adieu Aaricia je me suis rendu compte que c’est parce que je voulais leur boulot !
Je ne pensais pas du tout être scénariste. Ce sont les ornières qu’on se met : on a l’impression qu’on est fait pour ce qu’on a l’habitude de faire, et en réalité, pas nécessairement.
J’ai découvert que je prenais un plaisir absolument sans équivalent dans l’exercice de l’écriture. Beaucoup plus que dans le dessin qui, pour le coup, me fait assez souffrir. Une tâche que je fais et que je sais faire, mais qui est douloureuse. Pas du tout facile.
Je me suis mis à écrire aussi, parce qu’un éditeur m’a fait confiance et m’a dit : « vas-y, propose-nous des projets, on verra bien. » Voilà, ça s’est fait par révélation.
R.R. : Je suis resté un grand gamin et j’aime beaucoup jouer avec mes jouets d’adolescence : j’ai fait Conan, j’ai fait Elric, j’ai fait Thorgal. Tout ça finalement, ce sont des héros de mon enfance. J’étais un gamin assez solitaire, et j’ai énormément joué, dans ma chambre d’enfant unique, à refaire les histoires de la Guerre des étoiles ou celle des personnages que j’avais en jouets.
Devenu adulte, c’est à peu près ce que je fais. Je reprends ces personnages et j’imagine des histoires qui me font envie. Et la mode aujourd’hui en bande dessinée, c’est d’avoir le droit de le faire. Donc, tant mieux. Et j’avais, depuis longtemps, envie de m’amuser avec les héros d’On l’appelle Trinita : Bud Spencer & Terence Hill.
C’est un truc qui me trottait dans la tête, je trouvais que les personnages allaient bien avec la BD. Ça a traîné pendant un bon moment, mais il se trouve qu’en parallèle, on a été en atelier ensemble pendant pas mal d’années avec Jean-Baptiste. On faisait nos projets respectifs et un respect puis une amitié se sont créés entre nous.
Ce n’était pas le premier dessinateur à qui je l’ai proposé —pour être parfaitement honnête et je lui en ai parlé— mais l’autre dessinateur a décliné. Je pense qu’il ne le sentait pas bien. J’en ai parlé un peu après avec Jean-Baptiste —au moment où l’histoire s’est vraiment décoincée : sur le pitch du kidnapping des gamines— et à partir de là, il m’a dit « c’est sympa, ça me dit bien » et on a commencé à monter notre petite équipe.
© Jean-Baptiste Hostache / Robin Recht / Le Lombard
R.R. : Au départ, comme des incarnations de ce que j’imaginais à partir de ces films. C’était un condensé de ce duo comique très connu entre le gros bougon et le petit facétieux & malin, qui renvoie à Astérix et Obélix et à énormément d’œuvres. C’est un motif hypra connu de la comédie.
J’avais envie de l’investir pour m’amuser parce que c’est un chouette terrain de jeu, sans forcément penser aux clins d’œil. J’ai écrit le bouquin en écriture automatique sans vraiment réfléchir à ce que j’y mettais. C’est vraiment un condensé de tout ce que j’aime bien et qui me touche.
Je me suis aperçu au final qu’il y avait pas mal de clins d’œil auxquels je n’avais pas vraiment réfléchi, peut-être que si j’y avais réfléchi j’en aurais mis un peu moins. Mais c’est comme ça que c’est sorti.
R.R. : Un peu comme tu le dis : j’avais envie de quelque chose qui aille très vite. Une idée un peu à contre emploi dans la BD qui n’aime pas l’action. On pense souvent que la bande dessinée est proche du cinéma et à mon avis pas du tout.
C’est assez proche du théâtre sauf qu’on n’a pas de problème de budget décor —on peut transporter les personnages à droite, à gauche— mais sinon c’est un peu la même économie que le théâtre qui n’aime pas beaucoup l’action non plus. Pas pour les mêmes raisons, mais à la fin on peut faire les mêmes synthèses : c’est beaucoup de dialogues, beaucoup de situations.
L’action, en bande dessinée, prend énormément de place, prend énormément d’efforts pour l’expliquer. Alors que, dans le cinéma qui est l’art du rythme et du mouvement, c’est beaucoup plus facile.
J’avais envie d’essayer de faire une BD où l’action était permanente. Mais elle ne peut pas l’être —parce que sinon ça fatigue énormément— je me suis senti obligé, en tant que premier lecteur, de mettre des respirations. Et je me suis aperçu que j’aimais bien ce rythme.
Entre très grands calmes —mais quand même en mouvement— et une espèce d’action épileptique à la Bip Bip & Coyote. Avec Jean-Baptiste on a vraiment fait des numéros d’équilibristes dans la narration et dans le dessin, pour essayer de rendre ça digeste. C’étaient des challenges vraiment costauds, mais assez marrants.
© Jean-Baptiste Hostache / Robin Recht / Le Lombard
R.R. : Complètement, on passe d’un petit sketch à un petit sketch, mais j’ai essayé d’avoir des énergies un peu différentes à chaque fois.
Avec la cavalerie qui leur colle aux basques quand ils sont en chariot ou au contraire avec du multi points de vue quand ils sont dans le saloon où il y a peu plusieurs actions en même temps. Il y a trois actions en même temps, ce qui est vraiment une tannée en BD. Et puis le grand final, un peu plus classique, avec la bagarre générale.
R.R. : C’est marrant que tu dises ça parce qu’il y a une scène qui a été enlevée, une scène à laquelle je tenais mais que j’ai finalement retirée pour différentes raisons.
A droite, à gauche, il y a des trucs qui restent de cette scène, ça donne un sentiment comme s’il y avait eu un avant, mais qui n’était pas montré. C’est un truc qu’a fait George Lucas aussi dans la Guerre des étoiles où il avait coupé le premier tiers de l’histoire pour arriver directement dans la poursuite.
Après, pour répondre aussi à ta question, ce sont des héros qui existent aussi à travers tous les films, toute la culture qui balade ce motif du gros un peu patibulaire et du petit mince un peu espiègle, ça donne une épaisseur. On a cette culture commune et on projette tout un tas de trucs qui se passent hors champ, loin des caméras. J’aime bien ça, ne pas tout donner au lecteur et laisser une place pour l’imaginaire.
© Jean-Baptiste Hostache / Robin Recht / Le Lombard
R.R. : J’écris dans mon coin. Je fais lire à Jean-Baptiste qui me donne son retour —en général assez enthousiaste ! Ce n’est pas pour rien qu’on est amis, on fonctionne un peu sur le même type de culture et d’humour. Ce n’est pas le public-test le plus atroce pour moi, parce qu’on est assez raccord. Quand un truc me fait rire, en général ça le fait rire.
Pour moi le but du jeu c’est de rire ou de sourire quand j’écris. Ça m’est arrivé pas mal de fois quand j’écrivais, j’ai fait un truc qui est assez intime dans l’humour. Après, l’humour étant la chose la moins bien partagée du monde : certains riront, d’autres souriront et d’autres pas du tout et ce n’est pas grave.
Par contre si 99% des gens me disent que mes blagues tombent à plat, je vais revoir ma copie, parce que le but du jeu n’est pas de me faire rire moi-même. Je rigole bien avec moi-même, mais si on fait un bouquin, c’est pour le proposer à un public : et il y a une politesse de la bonne humeur à avoir envers le public, quand on fait ce type de bouquin.
Il faut essayer de rendre ça sympathique, ça demande du travail, de la réécriture, du peaufinage. En fait, c’est infini, ça ne s’arrêterait jamais si on pouvait, mais à un moment il faut bien s’arrêter !
R.R. : Ça a été toute une aventure. Parce que c’est la première fois qu’on travaillait ensemble et qu’on est tous les deux auteurs de la narration dans nos albums respectifs.
En tant que dessinateur, j’écris, mais je ne m’occupe pas trop du dessin même si je pense que dans un bout de cerveau, il y a quand même un truc qui dit ce qui est possible à représenter ou pas. Donc, je n’ai pas écrit de scène infaisable en BD. Parce qu’il y en a, un exemple simple : le sabre laser au ciné c’est assez magique, en bande dessinée c’est quand même nul ! Il faut voir le mouvement sinon ça n’a aucun intérêt.
Je pense qu’instinctivement, je fais des scènes qui sont faisables. Je les ai passées à Jean-Baptiste qui a commencé à faire un board et je me suis aperçu que même si on très raccord sur l’humour ; sur sa façon de le voir, de mettre les accents toniques, de mettre les choses en place dans sa narration : ce n’était pas tout à fait mes intentions. On a commencé à faire du ping-pong de narration, mais ça s’est révélé extrêmement fastidieux.On a fait la première séquence, assez rapidement, jusqu’au moment du pont qui explose.
Et Jean-Baptiste m’a dit « tu vois le truc, fait le. Je sais où est mon territoire, où je peux m’amuser, donc ça ne pose pas de problème ». À partir de là, j’ai fait tout le storyboard qu’il suivait plus ou moins selon comment il le ressentait. Il apportait des améliorations —et avoir deuxième regard, c’est toujours mieux— parce qu’en humour, c’est très difficile de bien placer ses intentions juste au texte. C’est tellement précis sur le rythme, on peut faire deux images pour dire un truc et ça tombe à plat, alors que ça marche en une image.
Recherches publiées sur Instagram par le dessinateur ©Jean-Baptiste Hostache
R.R. : Ils reviendront, tels qu’ils sont, dans une suite. Avec Jean-Baptiste, on avait envie de continuer à les faire vivre et l’éditeur nous a donné le feu vert.
J’ai écrit le déroulé, le mois dernier, c’est le séquencier de l’album : j’ai toutes les scènes, mais il n’y a pas les dialogues. Il me reste un gros travail de dialogue à faire puis après de storyboard, donc pas mal de boulot.
Il y aura deux albums, ça, c’est sûr, après est-ce qu’il y en aura un troisième ? Très honnêtement, les dieux du commerce trancheront.
R.R. : J’aime bien l’idée d’une histoire qui se conclut. J’ai une espèce de nostalgie des albums d’Astérix, de Lucky Luke… de tout ce que j’ai lu gamin, qui proposaient des histoires autoconclusives.
Mais j’aime bien aussi aménager une porte qui permette au spectateur d’imaginer un après. Là, je dis qu’ils vont vers l’Ouest et ça pourrait très bien se conclure comme ça, mais on peut imaginer les suivre dans leurs prochaines aventures à l’Ouest.
Hâte de découvrir la suite de leurs péripéties dans le contexte de la conquête de l’Ouest pour voir comment les personnages évoluent dans le temps, on leur souhaite une belle longévité. Dites-nous en commentaire ce que vous en avez pensé.
Thomas Mourier, le 14/10/2025
Robin Recht & Jean-Baptiste Hostache - On les appelle Junior et Senior - Le Lombard
Toutes les images sont © Jean-Baptiste Hostache / Robin Recht / Le Lombard
La version coffret collector façon VHS rappelle les jaquettes des Télé K7 des années ’90, à l’occasion d’un tirage CanalBD
-> les liens renvoient sur le site Bubble où vous pouvez vous procurer les ouvrages évoqués
12.10.2025 à 12:28
28 mars
les fruits ne reviennent pas seuls
j’ai les genoux qui piquent et la poitrine qui coule
l’équinoxe me transperce le ventre
jusqu’à devenir parfois
une forme de cécité
les plantes jouent sur des trottoirs étroits
les allergies sur les souvenirs
et nous sur la lumière
derrière les arbres le rire du soleil
réveille le traumatisme
je laisse les maladies s’en retourner
les années prendront soin d’elles
rappelez-vous
nous sommes des symptômes désagréables
à la table des anges
Les mots contemporains du développement personnel (proposés chaque année davantage dans les fourgons du « Nouvel esprit du capitalisme », au sens de Luc Boltanski et Eve Chiapello), ont connu depuis un certain temps un coup de booster supplémentaire, par le biais de la « psychologie positive » envahissant « joyeusement » les médias, les réseaux sociaux et tant de cercles en quête d’influences-inspirantes™.
C’est ce corpus pour le moins ambigu qu’a choisi de dynamiter Camille Sova, à la fois fougueusement et subtilement, pour inaugurer en mars 2025 avec trois autres poétesses (Florence Jou, ainsi que Séverine Daucourt et Gabrielle Schaff, dont on vous parlera toutes deux également prochainement sur ce blog) la nouvelle collection Poésie commune crée par les éditions MF.
J’en profite pour vous signaler que le 6 décembre prochain, pour la deuxième édition de Créatine, le festival de poésie contemporaine animé à Ground Control par l’agence Book d’Alexandre Bord, une belle table-ronde réunira les quatre autrices en question et leur éditeur.
Aux esprits chagrins ou blasés (ou arborant les deux emblèmes) qui aiment à prétendre que le cut-up a depuis longtemps épuisé sa puissance investigative et poétique, « Les branches des autres » démontrera avec éclat qu’il n’en est évidemment rien, et qu’à condition d’être pratiqué avec exigence, inventivité et un je-ne-sais-quoi de malicieux, peut-être, le copiage et le collage littéraires et performatifs ont encore de fort beaux jours devant eux.
11 mai
dans les racines il y a toujours des bactéries
la douleur je la produis moi-même
mieux vaut cueillir ses propres brûlures
que s’éparpiller en cicatrisations
préférez-vous l’arrosoir ou l’univers ?
il existe un feu qui n’appartient à personne
un territoire enchanté où les êtres chers
ont encore cinq sens
je l’arrose depuis toute petite
mais il n’en sort que de la mousse
le mal a été fait
je n’ai pas pris l’univers
le géranium a changé
les étoiles apprécient malgré tout
À l’occasion de la publication des quatre recueils (celui de Camille Sova et les trois autres mentionnés ci-dessus), les éditions MF et le souple collectif qui incarne en leur sein cette nouvelle collection Poésie commune ont eu la superbe (et beaucoup trop rare) initiative de nous offrir, au même format, mais en accordéon à double sens), un petit ensemble de textes d’accompagnement particulièrement judicieux et précieux. À propos de ces « Branches des autres », on peut ainsi lire le superbe « Des branches à la branchie » de Frédérique Cosnier, mais aussi le rusé « Mais qui sait vraiment guérir ? » de Séverine Daucourt. L’un comme l’autre soulignent à leur manière le chemin hautement spécifique que l’autrice a su se tailler comme par enchantement du sécateur dans le maquis des injonctions réputées bienveillantes, injonctions masquant toujours aussi mal leur envie profonde d’un citius, altius, fortius, d’une efficacité renouvelée, repoussant les limites psychologiques humaines au service malin du capitalisme tardif qui, sinon, exténue et s’exténue.
10 juin
au plus profond du tambour
je descends avec la sauge
ensuite le monde change
c’est un pansement naturel
peut-elle avaler pour moi
les animaux du sommeil ?
regardez dans ma bouche
j’ai le deuil chronique
sur le chemin un détail et on doit partir
il faut que les fleurs du cerisier meurent
pour qu’on éprouve l’été
un nichoir n’est pas une vraie question
seule la nuit est à l’abri du crépuscule
Parmi plusieurs démonstrations implicites ou explicites que distille Camille Sova, comme mine de rien, dans ces « Branches des autres », il en est une qui me tient particulièrement à cœur : renouant avec certains fondamentaux du cut-up tels que les affirmaient hors de toute prétention aussi bien William Burroughs que Kathy Acker, il s’agit aussi d’illustrer – et avec quelle force ! – à quel point il n’y a pas de mauvais matériau (mais seulement, si l’on y tient, de mauvaises utilisations) en matière de littérature et de poésie, comme l’analysaient chacun à leur manière le Claro de « Cannibale lecteur » et de « Plonger les mains dans l’acide » (ou d’une mémorable rencontre à la librairie Charybde, en septembre 2011, dont on peut écouter des extraits ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici ou encore ici) et le Jean-Michel Espitallier de « Caisse à outils » (2006), dont ses « Centre épique » ou « Tueurs », par exemple, fournissaient à leur tour une vigoureuse mise en application (on se permettra de mentionner ici, en guise d’addendum, l’incroyable travail d’Olivier Benyahya dans « Lazar » ou dans « Une bête se nourrissant d’elle-même »). Et c’est ainsi que la poésie, se nourrissant potentiellement de tout, du banal à l’impensable et du sublime au contaminé, est simplement grande.
x
24 juillet
je ne sais pas me faire des amis au grand air
c’est dû à l’évaporation qui prend avec elle
les œufs comme les brumes
j’avais trouvé des antennes que je mettais dehors
l’ennui c’est qu’elles sont trop petites
pour humer un ami
j’avais aussi noué une amitié avec un lilas
puis il est parti
je l’ai attendu pendant la souffrance
mais la fleur était prise
j’ai bu ma distance et mes réserves d’eau
dans le silence végétal la tique dessine son sillage
partout à fleur de peau
c’était une parenthèse
entre une forme et une forme
Hugues Charybde, le 14/10/2025
Camille Sova - Les branches des autres - MF Editions
L’acheter chez Charybde ici
06.10.2025 à 16:45
Françoise Huguier lors de sa réception en tant qu’Académicienne à l’Académie des Beaux Art
©edouard-brane
https://www.academiedesbeauxarts.fr/seance-dinstallation-de-francoise-huguier
La manifestation du 2 octobre était très fréquentée, plusieurs dizaines de milliers de personnes, manifestaient en ordre et dans la ferveur des engagements et des slogans de chacun et de tous… en avant la musique, le rouleau avalait l’avenue de Villiers, sans sourciller, dans une ambiance de kermesse, où L’Internationale fut chantée. Comme la précédente manifestation du 18 Septembre, fleurissaient ici tous les âges dont toute une jeunesse combative, joyeuse, point levé, sourires et slogans percutants, alors que les sections de la manifestation animées par les syndicats étaient tout aussi engagées mais plus placides, moins enthousiastes, moins mordantes de fait….
IIl faut signaler un geste précis pour qu’une mémoire puisse nourrir l’Histoire, celle de Françoise Bornstein à la galerie Sit Down qui a organisé un hommage à Yan Morvan , suite à sa récente disparition, photographe émérite, attachant et prolixe, photographe de guerre qui a couvert nombre de conflits dont celui de l’Irlande et de Gaza.
« Un an après la disparition tragique de Yan Morvan, la galerie Sit Down s’associe aux Archives Yan Morvan, et accueille une exposition-hommage dédiée à la force de son regard et à la richesse de ses archives. Autour des publications des Archives Yan Morvan — projet éditorial unique comptant déjà plus d’une vingtaine d’ouvrages — l’accrochage a dévoilé en avant-première une sélection d’images issues de Freedom, Northern Ireland (1981) : un hors-série consacré à l’enterrement de Bobby Sands, réunissant des photographies couleur rares, prises avant et après les événements. Ce corpus pose le contexte d’un des épisodes humains et politiques marquants des cinquante dernières années. En parallèle, seront exposés plusieurs cibachromes de la célèbre série La Ligne verte — prochain volume de la collection — réalisée à la chambre en 1985 sur la ligne de démarcation qui séparait Beyrouth en deux. Accrochage d’images, présentation intégrale des publications, plongée dans une œuvre qui documente les lignes de fracture du monde contemporain : cette commémoration entend faire perdurer le regard radical et juste de Yan Morvan, et accompagner la vie d’un fonds devenu indispensable. » DP
Prochaine exposition: AURORE BAGARRY.
Il fut question notamment de résistances aux classifications, aux conventions, à toute une idéologie du Voir, l’image convenue du Brésil se trouve recouverte par une autre image, celle que Vincent Catala a recueillie sur plus de dix années à vivre les zones périphériques des trois grandes villes brésiliennes dans une recherche de modernité et de contemporanéité. Cette photographie s’expose magnifiquement dans une sorte de clameur sur les cimaises de la nouvelle galerie VU, dans une forme de célébration vibrante de couleurs franches au rythme d’un accrochage puissant et syncopé. Le silence intérieur à qui l’on doit cette maitrise n’exclut pas un chant plus profond, comme venu des abîmes et jouant en surface aux dés: l’image mallarméenne clarifie plus qu’elle ne cherche à convaincre, c’est une clameur dans un beau ciel d’été qui repose en sa nuit…
L’exposition alterne paysages, paysages urbains, portraits, éléments de décors, nuits/jours, dans une voix neuve et nette, un cri dans le silence de la vision publicitaire du pays, cri d’alerte ou un cri d’espoir, constat orienté, épreuves du Réel certes, de ce qui s’est établi en tant que formes, visibles, en tant que sujets actuels de ces réalités passées sous silence par cette autre image inaltérable du Brésil; l’image convenue d’un Brésil dansant, heureux, fait de plages à l’ Éros des corps explosants de joies, de vitalité, de corps magnifiques, de Samba, de nonchalances et de jeux, sur fond de Corcovado et de Copacabana. Faut-il oublier le paradoxe des favelas et de leurs misères mafieuses, des corps suppliciés de la drogue de la prostitution et cette image néo-coloniale d’un Brésil de tourisme, image aux deux réalités, entre pauvreté absolue et images paradisiaques.
lÎle Brésil échappe à cette bi-polarité conventionnelle et recueille en lui même, presque comme une image mentale des moments, des fréquences plus actuelles d’un Brésil, en ses réalités humaines, sociales, quasiment plastiques, réalités qui font ici images et photographies, dans un champ où la disparition des repères classiques et idéologiques sont vécus au profit d’une saillance de moments prélevés in situ, comme des images qui soudain semblent s’imposer dans leur signifiant à leur auteur. Elles sont ici la marque d’une nouvelle conscience plus froide, plus distante, plus incontournable, plus nettement intérieure, plus psychologique également, le sourire a fait place à un un regard sombre, un regard intérieur, indiquant que les vies de ces brésilien-nes sont désormais définis par l’ordre d’une intimité en retrait du monde, en combats, en souffrances. Un drame semble se jouer devant la caméra de Vincent Catala, cette disparition d’une vie plus légère, confisquée de plus en plus dans sa fibre par les enjeux sous-terrains d’un Brésil happé par la violence des politiques de ces dernières années, et finalement toujours prêt au meurtre.
Sans doute ces photographies sont-elles plus largement critiques en leurs capacités à dire le vrai par les sens, dans l’immédiateté d’une situation, d’un regard, d’une rue; tout cela s’impose à la perception et à la conscience comme un élément d’une nouvelle réalité dans un paradigme plus habile à énoncer ce qu’est vraiment ce Brésil là, que celui, plus lointainement publicitaire, forcément déceptif évoqué au fond de l’imaginaire collectif sur le manque de cette mythologie a pouvoir continuer à diffuser son fantasme alors que les réalités brésiliennes avec Bolsonaro entre autres notamment ont été assez marquantes pour l’ensemble de la société brésilienne, voire le pillage de la forêt amazonienne, les meurtres des militants et des paysans en lutte, des indiens, la destruction du pays et sa mise en coupe réglée… l’ambiance n’est plus vraiment à la samba même triste mais à faire dire ce qui est la conséquence du réel en matière de locutions politiques, regarder droit dans les yeux ce cercle de personnages et de paysages urbains sur les trois grandes villes du Brésil Sao Paulo, Rio et Brasilia, photographiées ici dans leur zone périphérique circulaire. Suite à cette évolution politico-historique qui façonne les réalités quotidiennes des brésilien-ne-s, que vaut encore pour permettre la vie, cette mythologie d’un Brésil dansant, heureux, fait de plages à l’hédonisme si séduisant, sinon de le confronter à une autre fréquence de haute intensité, de clameurs plus explosives et plus secrètes, les regrets d’une société qui a déjà sombré dans la dépression, toujours malade de son progrès à venir…
le Dossier de presse mentionne : Dans un texte puissant qu’il a consacré à Île Brésil, l’écrivain brésilien João Paulo Cuenca propose une explication. “Dans le pays qui n’a pas fait sa révolution et refuse de transformer définitivement en Histoire son passé esclavagiste et ethnocidaire, le progrès est une illusion, les droits ne sont pas garantis et le désespoir n’explose jamais. Les habitants sont comme prisonniers d’un présent permanent, sans conscience du passé ni projection vers un futur véritablement neuf”. DP…. Tout est dit de cette absurdité de l’immobilisme qui parasite tout mouvement, toute tentative de sourire à la vie, et après tout n’est-ce pas ce qui arrive aussi à nos sociétés occidentales dans un constat glacé des conflits guerriers aux portes de l’Europe?
https://galerievu.com/fat-event/ile-bresil/#next
Ile Brésil c’est aussi un livre publié chez Dune éditions.
FRANÇOISE HUGUIER OCTOBRE ROUGE
Il y a bien des combats singuliers qui se mènent ici encore où l’histoire est de de retour sur des combats plus actuels dans une mémoire engagée du côté du témoignage, Yan Morvan, ou de l’affirmation du métissage culturel avec le Mali et cette Afrique des Grillots, avec Françoise Huguier qui affirmait dans cette séance de réception l’importance de cet humanisme et de l’ouverture aux différences, à leurs mariages, à leurs fécondités au sein d’une Institution ouverte également aux changements. La Cérémonie était accorte et chaleureuse. L’histoire personnelle et professionnelle de Françoise Huguier est cette illustration d’une liberté de soi revendiquée trois fois pendant son discours inaugural, marquée singulièrement dès l’enfance par le choc des cultures et des pratiques politiques, quand enlevée avec son frère, enfant, elle se retrouve chez les Viet Minh pendant huit mois avant d’être libérée; non pas sous la pression de la diplomatie française mais par la volonté de ses « ravisseurs » et l’action du bonze de cette communauté. L’ effet assez retentissant de cet enlèvement de l’enfant et de son frère lors de l’attaque sanguinaire (14 morts) de la plantation familiale au Cambodge par les « communistes », la fuite de sa mère et leur détention avec son frère, ont sans doute créé un traumatisme complexe qui aura sur la vie de la photographe une inertie qu’on ne mesure pas toujours et qui parle souvent à travers les sujets qu’elle a photographié, les communautés dans lesquelles elle a vécu et le refuge qu’elle a , semble t-il trouvé au Mali. Françoise Huguier semble toujours avoir été une femme de combat, une chercheuse poussant les portes closes, cherchant à voir et à comprendre pour s’éprendre et photographier. Dans la préface de son dernier livre Afrique Émoi, Aya Cissoko, boxeuse et écrivaine française écrit « Amoureuse de l’Afrique, Françoise Huguier a tissé, au cours de ses nombreux voyages, des lien forts avec ce continent. Dans son cher Mali on l’appelle la « duchesse de Bamako ». Elle y crée, en 1994, la Biennale de photographie de Bamako, contribuant à faire entrer Seydou Keita et Malick Sidibé dans l’Histoire de la photographie et à mettre en lumière les photographes africains. »
Installation Françoise Huguier – Crédit Edouard Brane-
Sa détermination à voir, voyager, décrire, documenter, photographier tous les continents dont l’Afrique et le Mali n’a jamais été aussi profondément sincère, en témoigne également cette façon de vivre en musique et en dansant au son de la musique de Mama Sissoko, présent sous la coupole avec ses musiciens. Cette réception du côté de l’Académie est en tout point une reconnaissance et un plébiscite pour cette œuvre faite de voyages, de photographies, de causes, de combats, de livres. Françoise Huguier n’a pas reçu comme d’autres académiciens une épée à la symbolique trempée, mais un sceptre, réalisé par son mari, fait d’un œil, d’un globe terrestre et d’une main pointant le ciel et faisant tourné ce globe sur l’index dressé, et dont le sens avéré est assez simple, pour photographier il faut un regard et un doigt qui appuie sur le déclencheur et bien sur un monde à photographier.
Document sonore ci joint: La présentation de Coline Serreau au pupitre, présentant la vie de Françoise Huguier.
https://www.editionsodyssee.com/afriqueemoi
https://francoisehuguier.fr/livres/
Photoclimat déclare à cette intention: « une biennale engagée, gratuite et en plein air, qui fait dialoguer art et engagement citoyen à travers des expositions photo sur les grands enjeux sociaux et environnementaux de notre temps. » Nicolas henry aux commandes a compris qu’il fallait par tous les moyens engager le soft power de cette culture Contre pour en faire une culture Pour, citoyenne et engagée mondialement. Le festival cherche toujours à conquérir de nouvelles terres, s’adjoindre de nouveaux partenaires et cela en toute discrétion, c’est aussi sans doute ce pour quoi on devait s’en féliciter, afin d’être suffisamment stratège, assez sage ou trop fou au final, pour ambitionner plus de moyens, plus d’expositions, plus d’inertie, plus de lobbying positif… la tache est rude: vaincre les résistances de tous poils et convaincre de l’intérêt supérieur du Climat et de nos ressources, pour que s’expande le festival, se viralise, s’exporte cette biennale, qui va sa vie, d’aventures en aventures, sous le vent et contre les temps, pour enfin trouver une vitesse de croisière pour laquelle bien des passions, beaucoup de travail, une détermination au long cours a fait ses preuves et agrège de nouvelles forces vivantes, un sang nouveau, un esprit toujours guerrier, mais dans l’amour universel et le respect de chacun.. C’est pourquoi le festival recueille aujourd’hui ces lauriers et participe du mouvement généreux et conscient de la cause Climat, au centre d’un travail conséquent d’expositions et de partenariats.
Ce que je voyais déjà comme une atténuation du risque explosif des manifestations culturelles s’est de fait mué en une propagation de l’urgence climatique dont ici, la ferveur se renforce en faveur d’un combat artistique et culturel, débordant le débat politicien, toujours diviseur, alors que l’on ne peut souhaiter que cette conscience là, défilant au travers des expressions artistiques, joue au contraire le rôle d’assembleur, de rassemblement plus que de division. C’est sans doute la force de l’Art et des artistes, toujours en chemin vers l’Universel de nos cos conditions, vers l’addition des sujets traités comme les chapitres d’un livre singulier travaillant au plan de sa concentration et des renforcements possibles de sa propagation.
Rêvons que la volonté de se confronter encore davantage aux limites du discours culturel n’ impose pas la dilution des énergies revendicatives, voire plus révolutionnaires et que cette volonté soit aussi effective, se commute en d’autres chapitres de ce grand livre à écrire encore et toujours, au présent de nos démarches évolutives, au fil de l’eau et dans les airs, aux quatre coins du monde; Que le vent porte encore ces projets de réalisations qui font tourner la tête dans un sens ou le monde est encore le monde, un monde possible à vivre, encore possiblement joyeux.
Il faut saluer la qualité de cette édition de PhotoClimat, en cet Octobre Rouge, une qualité réelle dans la mise à disposition pour tout un public de plus de 350 tirages de grands formats dans un parcours au fil de l’eau, reliant les promenades des quais Rive Droite à la place de la Concorde, un parcours fait sous le pluie et le soleil… que demander de plus au climat parisien de cette rentrée sonore et haute en couleur et en luttes.
https://photoclimat.com/photoclimat-autour-de-la-france-2/
Pascal Therme, le 7 Octobre 2025
Octobre Rouge