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04.09.2025 à 12:00

Depuis les soulèvements Indonésiens : « Affan Kurniawan est vivant dans nos rues. »

CrimethInc. Ex-Workers Collective
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Cet article compile une interview l’entretien d’un écrivain anarchiste indonésien emprisonné et des témoignages de différents groupes anarchistes ayant activement pris part à la révolte.
Texte intégral (4563 mots)

Fin août 2025, une vague de manifestations s’est propagée à travers l’Indonésie. Cet article compile une interview l’entretien d’un écrivain anarchiste indonésien emprisonné et des témoignages de différents groupes anarchistes ayant activement pris part à la révolte.


Après l’annonce de nouvelles mesures d’austérité, des manifestations se sont répandues pendant des semaines à travers l’Indonésie avant de culminer la semaine du 25 août pour dénoncer le mépris et la corruption de l’élite politique du pays.

Le gouvernement indonésien rémunère les représentants du parlement d’un salaire mensuel de 100 millions de roupies indonésiennes (environ 5 193,29 €) - soit à peu près trente fois le salaire minimum à Jakarta, où les salaires sont pourtant les plus élevés du pays. La colère a éclaté lorsque les gens ont appris que les députés s’apprêtaient à bénéficier d’une allocation de logement de 50 millions de roupies chaque mois, alors que le pays connait une grave inflation, que la pauvreté s’étend et que des mesures austéritaires sont mises en place.

En réaction, les syndicalistes, les anarchistes, les étudiants, les gauchistes et la jeunesse en générale ont envahi les rues la semaine du 25 août. La répression policière, aux ordres de l’ancien ministre de la défense et actuel président, Prabowo Subianto a été très dure. Le 28 août, un véhicule blindé de la police nationale a percuté et tué Arfan Kurniawan, un livreur de 21 ans qui passait par-là pour une course.

Un manifestant en Indonésie tient une pancarte où l’on peut lire : « Arfan Kurniawan- tué par la police ».

En réponse au meurtre d’Affan, les livreurs, les anarchistes et les jeunes de différents milieux se sont révoltés. Les manifestants ont saccagé plusieurs commissariats, brulé et pillé des maisons de politiciens, et mis le feu a plusieurs bâtiments du gouvernement.

La situation a forcé le premier ministre à annuler sa participation au sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai. Le gouvernement a suggéré qu’ils pourraient supprimer certains avantages accordés aux politiciens et certaines des mesures d’austérité qui ont déclenché le soulèvement.

Néanmoins, le président Prabowo Subianto a choisi d’intensifier la répression et fait appel à l’armée. Au moins 6 morts ont été recensés : un étudiant a été battu à mort par la police à Yogyakarta et un vélo-taxi est décédé des suites d’une exposition aux gaz lacrymogènes à Solo. Le nombre exact de morts est inconnu. 

Gouverné par les colons hollandais jusqu’à 1949, l’Indonésie est un pays très divisé avec de grandes disparités de moyens et de pouvoir. Dans les années 1960, la répression des sympathisants présumés parti communiste d’Indonésie a fait des centaines de milliers de morts. Le mouvement anarchiste contemporain a émergé à la fin des années 80, grâce, notamment, à l’apparition de groupes de punk. En 2011, la police a créé une division « anti-anarchistes » et à de nombreuses occasions, celles et ceux perçus comme des punks anarchistes ont été enlevés et incarcérés dans des camps de rééducation de l’État. Malgré cela, le mouvement anarchiste a continué de prendre de l’ampleur.

Au vu du niveau de répression global à travers le monde, le courage de la révolte indonésienne a de quoi inspirer toutes celles et ceux qui rejettent l’ordre des choses capitaliste. Les manifestants en Indonésie ont rencontré des formes variées de répression et de blocage des moyens de communications numériques. Il est vraisemblable que ces mesures s’intensifient à mesure que le mouvement continue de croître. Nous espérons que ces premiers comptes rendus attireront l’intérêt et la solidarité que le soulèvement mérite et que chacun en tirera les enseignements nécessaires.

Affan Kurniawan ne sera pas oublié et ses tueurs ne seront pas pardonnés. Solidarité avec celles et ceux qui, dans la rue, s’en assurent.

-Des anarchistes solidaires du soulèvement indonésien

Des manifestants se rassemblent devant le quartier général de la police de la région de Jakarta.


Une conversation avec le prisonnier anarchiste et auteur, Bima

Bima est un écrivain anarchiste, traducteur et chercheur indépendant d’Indonésie emprisonné depuis 2021. Il reste actif derrière les barreaux en tant que membre de la fédération anarchiste.

Il est également le fondateur de la maison d’édition DIY Pustaka Catut et l’auteur du livre Anarchy in Alifuru : The History of Stateless Societies in the Maluku Islands, aux éditions Minor Compositons. Vous pouvez soutenir Bima via son Patreonet en savoir plus sur la campagne FireFund.

Cette interview a été menée dans les premiers jours de Septembre 2025.

Comment peut-on te présenter ?

Je suis un écrivain, un prisonnier et un membre d’une fédération anarchiste choisissant de rester anonyme pour des raisons de sécurité en ces temps effrayants.

Peux-tu nous éclairer sur le contexte du soulèvement en cours ?

Cette vague de rébellion d’août 2025 a été causée par une accumulation de colère concernant des problèmes politiques et économiques variés. Il n’y avait pas une seule et unique cause. Mais tout s’est aggravé en raison des augmentations conséquentes des impôts fonciers à travers la région, cela du fait du déficit du budget du gouvernement.

En même temps, les membres du parlement ont multiplié leurs salaires par dix. Tout a été exacerbé par les déclarations souvent facétieuses des politiciens. Par exemple, le régent de Pati (le politicien en charge de superviser le gouvernement local, les politiques et les services publics dans la régence de Pati, Central Java) a déclaré : « ces impôts ne vont pas baisser, même si une manifestation de masse de cinquante mille personnes a lieu. »

Pati a été la première ville a s’embraser avec un rassemblement d’environ cent mille personnes le 10 août 2025. Les manifestations contre l’augmentation des impôts se sont propagées jusqu’à Bone (dans la province de Sulawesi du Sud), puis dans d’autres villes. Pendant une manifestation le 28 août à Jakarta, un livreur d’une plateforme en ligne de livraison a été tué après avoir été percuté par un véhicule de police au milieu d’une manifestation. Le jour suivant, les manifestations se sont étendues à de nombreuses villes et elle continuent de s’étendre pendant que je vous écris.

Au moins six civils ont été tués directement par la répression policière jusqu’à présent, diverses maisons d’officiels ont été pillées et une demi douzaine de bureaux de représentants du conseil représentatif du peuple ont été partiellement ou entièrement brûlés. Nous étions convaincus que la rébellion allait se calmer, mais ce n’est pas le cas.

Des étudiants font face à la police durant une manifestation aux quartiers généraux régionaux de la police de Jakarta, Indonésie. 29 août 2025.

Quels types de groupes ont été impliqués dans le soulèvement ? Et dans quelle mesure s’organisent-ils ensemble ?

Il y a eu beaucoup d’organisations, de réseaux et de groupes qui ont formulé des revendications. On pourrait dire que chaque ville a ses propres revendications. De manière générale, il y a deux revendications « révolutionnaires » : la première vient du parti socialiste d’Indonésie, Perserikatan Sosialis (PS), et l’autre d’un réseau informel, décentralisé , qui a diffusé la Déclaration de la révolution fédéraliste indonésienne de 2025, qui appelle à la dissolution de l’État du système du DPR (chambre des représentants d’Indonésie) et à son remplacement par un confédéralisme démocratique. Ahmad Sahroni, un membre de la chambre des représentants (DPR) du parti démocrate national (NasDem), a qualifié ces revendications de « stupides ». Cela a entrainé l’attaque et le pillage de sa maison de Jakarta, le 30 août.

Les anarchistes insurrectionnels, individualistes, et post-gauchistes se concentrent sur les attaques et les affrontement urbains, ils appelant à la destruction de l’État et du capitalisme, mais ne se soucient pas des plate-formes et programmes qui appellent à réformer l’organisation sociale en place. De manière générale, il n’ya pas de front uni, mais nous évitons le sectarisme idéologique excessif.

Malheureusement, il y a aussi la gauche progressiste avec des revendications plus réformistes, comme la 17+8 demand (un slogan « pro-démocratie » appelant à des réformes avant le 5 septembre). Ce groupe est hautement influencé par les influenceurs libéraux en ligne qui appellent à la fin des manifestations. Ces influenceurs ont été jusqu’à déclarer que si la loi martiale était instaurée ce serait à cause de l’intensité de la résistance dans la rue et que les manifestants en seraient donc responsables. Soit une tentative de récupération centriste typique par le gaslighting et la diabolisation des organisations révolutionnaires.

Heureusement, tous les éléments de gauche et anarchistes sont d’accord sur le fait que les manifestations doivent s’intensifier. Nous ne savons pas ce qui va se passer pour l’instant, étant donné que cette guerre des discours est toujours en cours.

Pour être honnête, il y a trop de groupes impliqués dans le soulèvement pour offrir une réponse simple. La gauche entière et le mouvement anarchiste de différentes organisations a pris la rue, mais il n’y avait pas de front uni. Dans chaque ville, des progressistes, qu’ils soient des étudiants, des syndicats ou même des élèves, se rejoignent dans les actions. Certaines de ces actions, comme les attaques de commissariats, sont des initiatives spontanées sans réelle coordination.

Un poste de police de la circulation brûle, le 29 août 2025.

Comment les anarchistes contribuent-ils au soulèvement ?

Je suis un révolutionnaire pessimiste, influencé par les discours anarcho-nihilistes. Mais je plaide tout de même pour une révolution sociale parce qu’il n’y a pas d’espace social vide. l’Indonésie est l’archipel le plus multi-culturel du monde, avec de milliers de langues et d’ethnies. Un discours de séparatisme refait surface dans certaines régions. Certains nobles émanant de monarchies anciennes poussent pour leur renouveau. Il y a aussi des islamistes autoritaires, fondamentalistes et djihadistes qui veulent un califat dans le pays. Donc je pense qu’il est nécessaire pour les révolutionnaires de proposer leur programme comme alternative à toutes ces mauvaises possibilités. La vague de rébellion est le symptôme d’une grande division imminente et les anarchistes doivent assumer le rôle qu’ils ont à jouer. Sinon, les autres options sont mauvaises. Très mauvaises.

Que penses-tu qu’il va advenir de ce soulèvement ? Et comment vois-tu le futur du mouvement anarchiste en Indonésie ?

Je suis pessimiste a ce sujet. Nous nous sommes établis dans un certain nombre de villes, mais nous sommes relativement faibles de manière générale, même si nous sommes fondamentalement assez militants.

Nous sommes influencés par l’approche uruguayenne de Espesifismo qui implique deux aspects organisationnels. Cela veut dire qu’en plus que de rejoindre les organisations politiques, nous rejoignons aussi les mouvements populaires comme les syndicats, les organisations étudiantes, les organisations indigènes, etc.

Nous utilisons toujours la définition classique du mot révolution mais cela requiert une base organisationnelle solide pour qu’elle advienne. Malgré cela, les récents soulèvements se sont répétés, comme un cycle, depuis 2019. C’est excitant car cela signifie que nous devons nous pousser a tenir le rythme avec les soulèvements populaires et la volonté des masses. Mais nous devons croitre et augmenter notre militance pour rester pertinent vis-à-vis de la rage des gens.

Je ne crois pas qu’il y aura de réformes, a moins qu’il y ait un violent renversement du pouvoir et des réformes promises. La classe gouvernante a formé une coalition élargie qui contient tous ses anciens opposants et leur donne une part du gâteau. Pour l’instant, nous sommes les seuls membres de réseau informel, décentralisé et anti autoritaire a réclamer la départ du président et du vice président. Donc, la refonte va encore prendre du temps et une révolution anarchiste est impossible en raison de la faiblesse organisationnelle et l’absence de syndicats progressistes capables de mener une grève générale.

Toutefois, il y a eu des avancées qui seraient parues inimaginables il y a quelques décennies : la revendication populaire de dissolution du parlement avec le hashtag #bubarkanDPR [“dissoudre le DPR”], l’implication de masses plus diverses de gens dans les manifestations (l’Indonésie est connue pour romancer l’avant-gardisme des étudiant de 1965 et 1998) et l’usage généralisé de la violence. Les anarchistes ont joué un rôle crucial dans tout cela. Cependant, je ne pense personnellement pas que le mouvement anarchiste va mener a une révolution anarchiste, même si l’opportunité existe. Mais cela pourrait exercer une immense influence libertaire à travers un front uni travaillant à l’intérieur des groupes établis. Par exemple, la proposition d’un confédéralisme démocratique révolutionnaire, qui est en fait alignée sur les propositions anarchistes classiques, pourrait être acceptée par le spectre entier de la gauche existante et des mouvements séparatistes de libération nationale dans certaines régions. C’est en tous cas de l’ordre du possible.

Les manifestations de 2020 contre la loi Omnibus étaient elles aussi importantes mais celles de cette année sont les plus violentes (de nombreuses et considérables parties de la société se radicalisent). Pour l’instant, le soulèvement n’a pas dépassé en intensité la chute du gouvernement militaire de Suharto en 1998. Cependant, je crois que cela pourrait arriver bientôt.

Malheureusement, j’ai prévenu que le moment venu, nous ne serons pas prêts pour la révolution, même si nous prendrons activement part aux affrontements de rue.

Des anarchistes bloquent des rues et brûlent des choses pendant les émeutes de nuit à Bandung City, west Java, en portant le drapeau anarchiste rouge et noir et celui du Jolly roger, de One pièce.


D’autres voix d’Indonésie

 En plus de l’interview de Bima, nous avons reçu le 2 septembre ce récit de Reza Rizkia à Jakarta :

La vague de manifestations qui a débuté le 25 août 2025 à travers l’Indonésie se poursuit, laissant derrière elle une traînée de tragédies et de troubles. Ce qui avait commencé comme une protestation contre la proposition d’une allocation mensuelle de 50 millions de roupies pour les membres du Parlement s’est transformé en un mouvement national avec des revendications plus larges : l’évaluation des actions du parlement, la réforme de la police et la fin de l’usage excessif de la force par les forces de sécurité. 

Le 28 août, les tensions se sont intensifiées après qu’un chauffeur de taxi-moto, Affan Kurniawan, a été percuté et tué par un véhicule tactique de la Brigade mobile (Brimob) à Bendungan Hilir, Jakarta. La vidéo de l’incident s’est rapidement répandue sur les réseaux sociaux, déclenchant des manifestations de solidarité de la part des étudiants et des communautés de chauffeurs en ligne. Cette tragédie a marqué un tournant, amplifiant l’ampleur des manifestations dans la capitale et dans tout le pays.

La violence s’est rapidement propagée à d’autres grandes villes. À Makassar, des manifestants ont incendié le bâtiment du parlement régional (DPRD), tuant trois membres du personnel piégés à l’intérieur. À Solo, un conducteur de pousse-pousse nommé Sumari a trouvé la mort lors d’affrontements, tandis qu’à Yogyakarta, l’étudiant Rheza Sendy Pratama a été tué lors d’une manifestation devant le siège de la police régionale. Une autre victime, Rusmadiansyah, un chauffeur en ligne, a été battu à mort par une foule après avoir été accusé d’être un agent des services de renseignement. Certains rapports font également état d’autres victimes, notamment un élève d’une école professionnelle à Pati. Au total, au moins sept à huit personnes ont perdu la vie dans les troubles qui ont secoué le pays jusqu’à la fin du mois d’août.

Le gouvernement a réagi en présentant ses condoléances. Le président Prabowo Subianto a ordonné l’ouverture d’une enquête, tandis que le chef de la police nationale et le chef de la police de Jakarta ont présenté des excuses publiques pour les victimes. Sept agents de la Brimob liés à la mort d’Affan Kurniawan ont été placés en détention et font l’objet de poursuites judiciaires. Cependant, la colère populaire ne semble pas s’apaiser.

Au 2 septembre, les manifestations se poursuivent dans plusieurs régions avec une intensité soutenue. Des milliers de manifestants ont été arrêtés au cours de la semaine dernière, avec un pic le 29 août où plus de 1 300 personnes ont été arrêtées en une seule journée. Dans le même temps, l’Alliance des journalistes indépendants (AJI) a signalé des cas de violence et d’ingérence à l’encontre de journalistes couvrant les manifestations.

Les manifestations de fin août constituent l’une des plus grandes vagues de protestations de ces dernières années en Indonésie. Avec le nombre croissant de morts, les arrestations massives et les dégâts matériels généralisés, la population attend désormais de voir si le gouvernement et le parlement répondront aux demandes des citoyens par de véritables réformes, ou s’ils prendront le risque d’aggraver encore la crise.

Le drapeau national rouge et blanc a été abaissé, remplacé par le drapeau anarchiste rouge et noir et le drapeau Jolly Roger de One Piece (aujourd’hui symbole populaire de la résistance en Indonésie). Le bâtiment incendié était la Chambre des représentants de la ville de Pekalongan, Central Java.


Lorsque le soulèvement a commencé à faire la une des journaux internationaux, des anarchistes anonymes ont rédigé plusieurs déclarations signées L’archipel du feu. Nous avons souhaité relayer leurs voix également.

25 août 2025

« Jakarta n’appartient plus aux élites corrompues. Des milliers de personnes venues des quatre coins du pays ont pris d’assaut la capitale. Il ne s’agit pas seulement d’une manifestation, mais d’une explosion collective de rage contre la hausse des taxes foncières, la corruption sans fin et les chiens de garde militaires et policiers de l’État.

De l’aube jusqu’à minuit, les rues se transforment en champ de bataille de la défiance. Les cris, les incendies et les pierres deviennent le langage de la fureur du peuple.

Ce n’est pas un spectacle de marionnettes orchestré par les élites ; c’est une colère brute, sauvage, sans chef et impossible à contrôler. »

29 août 2025

« Les jeunes en colère se soulèvent, poussés par la hausse des impôts et une armée répressive. Il n’y a pas d’organisation ; l’insurrection est menée par de jeunes anarchistes, nihilistes et incontrôlables. De nombreux jeunes anarchistes issus d’associations d’élèves du secondaire sont arrêtés. Les lycéens sont notre source d’énergie. Selon les rapports, environ 400 d’entre eux ont été arrêtés le 25 août. La plupart des actions sont coordonnées en direct sur les réseaux sociaux.

« Habituellement, un syndicat libéral ou un parti d’opposition contrôle le discours, mais pas cette fois-ci. Même les médias traditionnels reconnaissent que les réseaux sociaux sont la source de l’information. Les politiciens ne peuvent plus contrôler le discours. Depuis des décennies, les instances étudiantes exécutives sont généralement les instigatrices de ce type de manifestations, mais chaque année, ces intermédiaires sont mis dehors. Par les étudiants eux-mêmes. C’est pourquoi les ONG, les syndicats, les « anarchistes civils » et les associations étudiantes de gauche et de droite détestent la faction anti-organisationnelle.

 « Qu’ils aillent tous se faire foutre. Nous incitons les jeunes à agir par eux-mêmes.

Les individus ne sont plus effrayés par le devoir idéologique, les normes et toutes ces valeurs externes.

 Hier soir (28 août 2025), la police a assassiné quelqu’un. Des émeutes contre la hausse des impôts ont éclaté dans tout le pays. Dans plusieurs villes, les émeutes étaient spontanées et auto-organisées. L’image publique de la police continue de s’effriter, car la population soutient les émeutiers. Des cellules ont coordonné d’autres actions, et la plupart des prises de paroles nihilistes et insurrectionnelles dominent le discours. 

Des comptes anonymes sur les réseaux sociaux, suivis par des milliers d’abonnés, appellent à l’insurrection anti-politique. Chaque jour, ils lancent des appels et donnent des explications pertinentes.

Les négociateurs syndicaux ont annoncé qu’ils seraient dans la rue et qu’il n’y aurait « pas d’émeutes », mais les jeunes et les émeutiers se moquent immédiatement d’eux sur les réseaux sociaux. Nous laissons faire les jeunes. Nous ne pouvons que les encourager à être encore plus incontrôlables. La nuit, Internet est devenu ingérable. Alors que les « anarchistes civils » appellent à la création de conseils populaires, nous appelons à tout foutre en l’air. Nous fournissons uniquement une coordination en réseau et des informations techniques sur les actions de rue. Nous n’organisons jamais vraiment les gens. 

« Depuis le vendredi 29 août, les anarchistes contrôlent essentiellement le discours. Partout dans le pays, les gens répondent à l’appel à attaquer les commissariats et les policiers eux-mêmes. Les médias de masse ont perdu le contrôle de l’information et de l’actualité.

« Notre réseau continue d’appeler à la vengeance depuis le meurtre commis par la police hier soir, et la situation s’envenime. Les cellules sont dans la rue.

 « Vous pouvez voir le soulèvement sur diverses chaînes d’information, mais toutes les bonnes vidéos ne sont disponibles que sur les réseaux sociaux. »

-Archipel de feu

« Cela dépasse nos prévisions. Habituellement, lors d’une manifestation, les manifestants se contentent de jeter des pierres ou de brûler un pneu devant le bureau. Ils ne prennent jamais d’assaut le bâtiment et ne le brûlent jamais. »

Anarchistes anonymes en Indonésie

Graffiti anarchiste vu à Lamongan, en Indonésie, pendant les troubles actuels.


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Thanks to Lundimatin for the translation.

01.07.2025 à 22:27

Une autre guerre était possible

CrimethInc. Ex-Workers Collective
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En revisitant les luttes de ce début de siècle du point de vue de notre dystopie actuelle, nous pouvons bien mieux comprendre tout ce qui ce joue dans les combats d’aujourd’hui.
Texte intégral (4278 mots)

En revisitant les luttes de ce début de siècle du point de vue de notre dystopie actuelle, nous pouvons bien mieux comprendre tout ce qui ce joue dans les combats d’aujourd’hui.

Le texte qui suit apparaît en introduction du livre Another war was possible, publié par PM PRESS, qui retrace et documente les expériences de lutte d’un anarchiste luttant contre le capitalisme et l’État sur trois continents différents au cours du mouvement anti-globalisation. Vous pouvez en lire plus à ce sujet dans l’annexe.


C’était la fin du 20e siècle et le capitalisme avait triomphé.

« Le socialisme réel » s’était effondré. Des élections avaient lieu partout, amenant de nouveaux politiciens au pouvoir pour signer des accords commerciaux néolibéraux. Au lieu des dictatures, le libre marché règnait victorieusement.

Francis Fukuyama l’appelle « la fin de l’histoire », proclamant

« le point final de l’évolution idéologique humaine et l’universalisation de la démocratie libérale occidentale comme forme finale et absolue de gouvernement. »

Pour les politiciens, les éditorialistes et les patrons d’entreprise, c’était une période de jubilation.

Les ébullitions sociales des années 1960 avaient cessé. Aux États-Unis, la pensée politique radicale avait surtout subsisté dans les milieux de contre-culture—les mouvements écologistes, les librairies engagées, les scènes hip-hop et punk. L’Europe avait aussi la scène rave, le mouvement squat avec son réseau de centres sociaux et les vestiges des mouvements puissants du milieu du 20e siècle. Du côté opposé, il y avait des fascistes, mais eux aussi étaient largement confinés dans des milieux sous-culturels. En dehors de ces enclaves, la paix sociale prévalait, pendant que tout le monde se précipitait pour obtenir sa part du gâteau.

C’était un paradis malsain. Le capitalisme mondialisé faisait circuler la richesse plus rapidement et plus loin que jamais auparavant, mais dans le processus, il la concentrait entre de moins en moins de mains, appauvrissant lentement la grande majorité. Les anarchistes savaient que l’unanimité apparente autour du nouvel ordre mondial ne durerait pas éternellement. Finalement, il y aurait une autre série de conflits et l’histoire continuerait à avancer. La vraie question était comment les lignes seraient tracées.

Nous nous sommes rencontrés à des concerts de punk hardcore. Nous avons lu sur les Panthers, les Yippies, les Ranters, les Diggers, Up Against the Wall Motherfucker. Lorsque nous avons entendu dire que quelqu’un avait peint à la bombe « NE TRAVAILLEZ JAMAIS » sur le mur du boulevard de Port-Royal lors du soulèvement de mai 1968, nous l’avons pris au pied de la lettre, en nous lançant dans une vie de criminel.

Avec d’autres outils, certains ont adopté une approche différente. Nous avons quitté nos emplois ; ils ont syndiqué les lieux de travail. Nous avons squatté des bâtiments ; ils ont organisé les locataires. Nous avons rejeté l’organisation formelle ; ils ont créé des fédérations. Nous avons fait de l’auto-stop aux événements ; ils sont arrivés avec des camionnettes pleines d’équipement.

Finalement, nous avons commencé à nous rencontrer lors de conférences et de manifestations. Tout ceux qui se lèvent doivent se rassembler.

Un anarchiste navigue sur la police porté par ses camarades lors des manifestations contre l’investiture présidentielle du 20 janvier 2001.

Heureusement, les anarchistes n’étaient pas les seuls à avoir un compte à régler avec le pouvoir en place. Le premier jour de 1994, juste au moment où l’Accord de libre-échange nord-américain entrait en vigueur, l’Armée Zapatiste de Libération Nationale s’est soulevée contre le gouvernement mexicain au Chiapas, donnant un exemple puissant de lutte populaire contre le néolibéralisme. Inspirés par l’EZLN et d’autres mouvements anticoloniaux et anticapitalistes, des personnes du monde entier ont commencé à s’organiser en lançant des manifestations, des réseaux, des occupations, des journées mondiales d’action.

Pour la plupart des gens aux États-Unis, affronter le pouvoir semblait absurde, si ce n’est carrément inutile. Les éditorialistes de tout poil ont même refusé de dire le mot capitalisme à voix haute, le substituant à « anti-mondialisation » comme si nous faisions partie d’un mouvement engoncé dans des valeurs de repli sur nous-même. Les critiques les plus acerbes concernaient la « violence », c’est-à-dire savoir s’il était acceptable de répondre de manière proportionnée à la perpétuelle violence « légitime » de l’État. Mais le défi le plus difficile était de permettre aux gens d’imaginer que l’ordre mondial capitaliste n’était pas inévitable, qu’un autre monde était possible.

Néanmoins, pendant quelques années—disons, de 1999 à 2001 — le principal conflit qui se jouait sur la scène mondiale était entre le capitalisme néolibéral et les mouvements populaires qui s’y opposaient. Le 18 juin 1999, des milliers de personnes ont convergé vers Londres pour une journée d’action annoncée comme le carnaval contre le capitalisme. Une mobilisation au cours de laquelle certains activistes ont presque réussi à détruire la bourse de Londres. En novembre suivant, des manifestants ont réussi à bloquer et faire fermer le sommet de l’Organisation mondiale du commerce à Seattle. Au cours des deux années suivantes, presque tous les grands sommets commerciaux internationaux ont provoqué de violentes émeutes dans les rues.

« Est-ce qu’on devrait pas essayer de passer ? » Criai-je, mais on courrait déjà, c’était une décision prise en une fraction de seconde, on était déjà sur le pont au moment où elle a répondu « On passe ! —On est en train de le faire », on a sprinter de l’autre côté. Derrière nous, je pouvais entendre le POP, POP alors que les flics tiraient des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc ; autour de nous, je pouvais sentir l’impact des balles, le cliquetis lorsque les palets arrivaient au sol, le sifflement lorsque leur contenu nocif remplissait l’air ; devant, je ne voyais rien, le gaz cachait le ciel, il n’y avait que l’inconnu—et au-delà, si on avait la chance de l’atteindre, une ville à détruire, un monde à créer.

Les enjeux étaient plus élevés que ce qu’on pensait. Si toutes les personnes qui vivaient cette phase finale du capitalisme impitoyable ne comprenaient pas qu’il était la source de leurs malheurs, elles seraient alors perméables au nationalisme, au racisme, à la xénophobie et à la démagogie lorsqu’elles réaliseraient que le libre marché ne pourrait pas répondre à leurs problèmes. Cependant si on pouvait montrer que le capitalisme était la principale cause de leur misère, ils pourraient peut-être se joindre à nos efforts pour construire une nouvelle société. La fenêtre temporelle était extrêmement mince, mais il existait malgré tout un champ des possibles où on pouvait réussir.

C’était la guerre à laquelle l’auteur de ce livre a participé—une guerre menée pour prévenir toutes les guerres insensées qui ont suivi. Nous luttions pour un monde dans lequel tous les êtres humains pourraient se rencontrer en tant qu’égaux, dans lequel l’impératif de profit ou la menace du changement climatique ne primerait pas sur les besoins des êtres humains.

Nous sommes partis du campus à midi. Des centaines de personnes étaient là, prêtes, habillées—cagoules, casques, plastrons, tout l’attirail. Un groupe poussait une catapulte grandeur nature. Je marchais derrière un groupe qui tirait une marionnette géante représentant la Banque mondiale. Des masses cachées dans du papier maché ne cessaient de tomber sur l’asphalte.

Au cœur de la foule, j’ai reconnu l’équipe du mois de janvier de l’année précédente. Tu développes un instinct pour ces trucs, même quand tout le monde est masqué. Dans les conversations randoms de tous les jours et les forums en ligne, nous étions rivaux. Mais il est clair que dans une situation comme celle-ci, tu veux que tout le monde soit là.

À un moment donné, la police a lancé son canon à eau directement dans la foule. Une personne masquée a couru droit dessus et a fracassé la fenêtre avant qu’il ne puisse réellement tirer. Le conducteur a eu vite fait de reculer son camion.

Wow, c’est complétement fou, pensais-je.

Peut-être que si tout le monde avait pu voir ce qui se passait, plus de gens se seraient battus aussi dur que l’auteur de ce livre. Peu de gens comprenaient à quel point la situation était désastreuse.


Malheureusement, nous n’étions pas la seule force en présence pour déterminer comment les lignes de conflit seraient tracées au 21e siècle. Provoqués par des siècles de violence coloniale, les djihadistes salafistes ont attaqué le Pentagone et le World Trade Center le 11 septembre 2001. Les néoconservateurs de l’administration Bush ont saisi l’occasion d’envahir l’Afghanistan puis l’Irak, précipitant le soi-disant « choc des civilisations » sur lequel ils avaient tant fantasmé. Le nouveau siècle s’est ouvert avec une série de bains de sang.

Cette déclaration de guerre a servi à obscurcir la possibilité de toute autre guerre, tout autre enjeu pour lequel les gens pourraient se battre. Les autorités des États-Unis et leurs adversaires symétriques dans al-Qaïda visaient à affirmer leur rivalité comme le conflit central de l’histoire, en écartant les rebelles du Chiapas et les manifestants qui avaient fermé le sommet de l’OMC à Seattle.

Aux États-Unis, les partis socialistes autoritaires ont profité de la situation pour reprendre la main sur les anarchistes et les anti-autoritaires. De nombreux projets organisés de manière horizontal furent captés, notamment le mouvement anti-guerre à travers des groupes réformiste (Not in Our Name pour le Parti Communiste Révolutionnaire, en réponse au WWW, Workers World Party). Les fondements transformatifs du mouvement anticapitaliste aux portées révolutionnaires ont cédé la place à des manifestations de réaction s’adressant aux politiciens indifférents.

Le gouvernement américain adopta le Patriot Act. Le FBI intensifia les opérations ciblant les musulmans, mais aussi les écologistes et les militants pour la libération des animaux. Les politiciens élargirent et militarisèrent la police. Le 30 novembre 1999, la municipalité de Seattle n’avait déployé que 400 policiers pour défendre le sommet de l’Organisation mondiale du commerce ; en 2017, 28 000 agents des forces de l’ordre ont défendu l’investiture de Donald Trump.

À l’étranger, les pratiques impérialistes brutales des États-Unis en Irak et en Afghanistan ont coûté près d’un million de vies, poussant encore plus de personnes dans les rangs des djihadistes. La montée de l’État islamique en Irak et en Syrie une décennie plus tard a montré que les invasions n’avaient fait que renforcer les forces que les néoconservateurs prétendaient attaquer. En 2010, lorsqu’une vague de révolutions a commencé en Tunisie et s’est répandue dans tout le Moyen-Orient, elle s’est heurté à un mur en Syrie, en partie à cause de l’État islamique et de ses partisans. Nous ne saurons jamais ce que les soulèvements du soi-disant Printemps arabe et d’autres mouvements sociaux dans la région auraient pu accomplir sans le mal causé par la soi-disant « guerre au terrorisme ». Lorsque les talibans ont repris l’Afghanistan en 2021, cela n’a fait que souligner à quel point les invasions américaines avaient été inutiles et destructrices.

Bachar al-Assad a fait massacrer des centaines de milliers de personnes pour maintenir son emprise sur la Syrie, tout cela pour finalement perdre le pouvoir. Les États-Unis ont fait de même en Afghanistan. Ces tragédies inutiles et horribles ne sont qu’un aperçu de ce qui nous attend si nous continuons sur cette voie.

La violence et la pauvreté ayant résulté de toutes ces guerres, occupations et insurrections ont poussé des réfugiés vers l’Europe depuis l’Afrique et le Moyen-Orient par millions. Quelque chose de similaire se passait au sud de la frontière américaine, alors que les ravages causés par l’Accord de libre-échange nord-américain et la militarisation de la police et des paramilitaires plongeaient des régions entières dans le sang. Les fascistes des deux côtés de l’Atlantique ont profité du désespoir des réfugiés pour attiser le racisme et la peur.

Pendant ce temps, dans l’ancien bloc de l’Est, les profits capitalistes ont laissé beaucoup de gens dans une situation économique pire qu’avant la chute du mur de Berlin. Cela généra des vagues de nationalisme, permettant à des autocrates comme Vladimir Poutine et Viktor Orbán de consolider leur contrôle. À l’instar de leur modèle, des politiciens comme Donald Trump, Jair Bolsonaro et Giorgia Meloni sont arrivés au pouvoir dans les Amériques et en Europe occidentale. Ils ont canalisé la rage de la classe moyenne en voie d’érosion vers une politique ouvertement fasciste, encourageant leurs partisans à blâmer les réfugiés, les personnes queer et trans, les juifs et les « communistes » pour la manière dont le libre marché leur avait manqué.

Poussé par un industrialisme rampant, le changement climatique a frappé les côtes et incinéré les forêts. La pandémie de COVID-19—la propagation des théories du complot et de la désinformation — la concentration des richesses entre les mains de quelques milliardaires—le génocide à Gaza : tout cela vous sera familier à moins qu’il n’ait été éclipsé par encore pire au moment où vous lirez ceci. L’invasion russe de l’Ukraine ne sera pas la dernière des guerres à venir si nous continuons sur cette voie—guerres rendues possibles par la consolidation du pouvoir autocratique, inévitables par les crises économiques et écologiques. En examinant l’armement des frontières entre la Biélorussie et la Pologne et l’utilisation de prisonniers comme chair à canon en Ukraine, nous pouvons voir que—à moins que nous changions de cap — le prix de la vie humaine va être de moins en moins cher au 21e siècle.

Le 18 juin 2023, soit 24 ans exactement après le Carnaval contre le capitalisme à Londres, la Une du New York Times reconnaissait ce que nous disions depuis un quart de siècle : la mondialisation capitaliste crée des inégalités de richesse catastrophiques, détruisant la biosphère et générant des nationalismes d’extrême-droite. L’article reprend tous les points de discussion du manifestant anticapitaliste moyen de 1999, jusqu’aux critiques du Fonds monétaire international. Même les capitalistes eux-mêmes souhaitent aujourd’hui que nous ayons gagné.

Toutes ces tragédies n’avaient pas encore eu lieu lorsque les luttes décrites dans ce livre ont eu lieu. Qui sait—si nous avions été plus nombreux à lutter davantage, nous aurions peut-être évité certaines d’entre elles.

Mais nous ne pouvons pas blâmer l’auteur de ce livre. Il était toujours en première ligne.

Un Black Bloc se forme pour affronter la police lors des émeutes à Québec pour protester contre la proposition (finalement abandonée) de création de « zone de libre-échange des Amériques » en avril 2001.

Nous nous sommes rencontrés à une foire au livre quelques années après les événements décrits dans ces pages. Je le connaissais de regards dans les rues, mais nous n’avions jamais eu de réelle conversation.

De manière inattendue, nous nous sommes bien entendus immédiatement. Personnellement, ça m’était égal que nous soyons respectivement un aventurier démissionnaire et un plateformiste ennuyeux.

Il voulait savoir si nous allions sortir la suite d’un certain mémoire controversé publié sur un délinquant en cavale. « Politiquement, c’est de la merde », dit-il. « Mais en tant qu’histoire, c’est grave excitant. »

Je n’ai pas partagé sa haute opinion à ce sujet. Je pensais que l’humour compensait le manque de développement du personnage, mais en parlant en tant que criminel de carrière, le sujet était positivement banal. Nous l’avions imprimé comme une stratégie pour saper le matérialisme et la timidité des jeunes en galère, pas pour séduire les anarchistes chevronnés comme lui.

Il persista. « Allez, tu dois faire une suite ! »

Je lui dis qu’il devrait écrire ses propres mémoires, racontant ses aventures dans les rues. Ça vaudrait la peine d’être publié, dis-je.

Ça lui a seulement pris vingt ans.


L’histoire du monde est vaste. À l’échelle de toute l’humanité, chacun de nous n’est qu’un sur des milliards. Cependant c’est à nous de décider comment aborder notre rôle dans ce drame. Nous pouvons nous voir comme des spectateurs et accepter passivement notre destin—ou nous pouvons percevoir en chacun un protagoniste du monde en action et partir à la découverte du changement que l’on peut exercer sur le cours des événements.

L’auteur de ce livre a adopté cette dernière approche. En conséquence, il a participé à un nombre surprenant d’événements historiques du tournant du siècle. La litanie de ses aventures atteste de tout ce qu’une seule personne peut accomplir avec un peu de détermination, que ce soit en période de paix sociale ou de conflit ouvert. Heureusement, il a survécu et, avec un peu d’encouragement, a réussi à écrire une partie de ce qu’il a vécu.

Le résultat est le précieux document historique que vous tenez entre vos mains. Tous ceux qui vivent des combats de rue historiques sur trois continents n’ont pas la possibilité d’écrire un tel mémoire. Buenaventura Durruti ne l’a pas fait.

Comme les Mémoires d’un révolutionnaire de Pierre Kropotkin ou Vivre ma vie d’Emma Goldman, ce livre offre un recueil de première main d’une période charnière. Vous en apprendrait davantage sur la manière dont les choses se sont passé avec un texte comme celui-ci plutôt qu’à partir de n’importe quel résumé d’analyste extérieur.

Mais ce n’est pas seulement un document de référence historique. Aucune des luttes décrites dans ce livre n’a abouti à une conclusion. Toutes se poursuivent à une échelle beaucoup plus grande et avec des enjeux encore plus élevés : la lutte contre le fascisme, contre la violence des frontières, contre la subordination des écosystèmes et des communautés aux exigences du capitalisme, contre la violence de la police et de l’armée, contre le pouvoir autocratique.

Une autre guerre était possible—et elle l’est encore aujourd’hui. Si les conséquences de notre échec à abolir le capitalisme au tournant du siècle ont été deux décennies de boucherie, de crise économique, de catastrophe écologique et de réaction fasciste, pensez à ce qui s’ensuivra si nous échouons cette fois-ci à relever le défi. L’histoire n’avait pas à se dérouler comme en 2001—elle n’a pas besoin de continuer sur cette voie maintenant. Ce livre reste pertinent car il raconte une partie d’une histoire que vous devez terminer.

Il existe de nombreuses façons de participer à ces luttes. Combattre physiquement les fascistes et les policiers n’est qu’une tactique parmi d’autres, et ce n’est guère la plus importante. De l’auteur de ce livre, vous pouvez apprendre ce que certains de ceux qui sont venus avant vous ont essayé et ce que vous pourriez peut-être faire vous-même. Nous—les survivants du tour précédent — combattrons à vos côtés.

Si nous ne nous dépêchons pas, le capitalisme mettra un siècle ou plus à s’effondrer. Cela nous entraînera dans des guerres comme jamais auparavant. La catastrophe qui en résultera nous enterrera tous dans ses débris.

Luttons ensemble pour un avenir meilleur. Une autre guerre est possible.

« À travers des siècles d’obscurité, nous pouvons déjà voir d’ici—le soleil à l’horizon d’une aube nouvelle. »


À lire aussi


ANNEXE : Another War Is Possible

Au tournant du siècle, le mouvement contre le capitalisme mondialisé a explosé partout dans sur la planète avec des mobilisations de masse à Québec, Washington, Gênes et dans d’autres villes. Les anarchistes ont affronté des chefs d’État, des dirigeants de grandes enterprises et des policiers anti-émeute par milliers. Alors que les autorités cherchaient à plier tous les êtres vivants à l’impératif du profit, des personnes ont entrepris de démontrer qu’une façon de lutter pourrait ouvrir la voie à un avenir au-delà du capitalisme. Le vingt-et-unième siècle était à saisir. Et chaque fois, Tomas Rothaus était là, combattant en première ligne.

Dans Une autre guerre est possible, nous suivons Tomas de ses jours en tant que jeune militant jusqu’à son édition de la publication Barricada. Dans une prose vivante, il raconte les leçons qu’il a apprises des vétérans de la CNT espagnole—sa première expérience d’échange de coups avec la police dans les rues de Paris — les aventures qu’il a traversé pour se faufiler au-delà des frontières dans le but de participer à des grandes émeutes de l’époque. Avec Tomas, nous respirons des gaz lacrymogènes, nous abattons des clôtures, nous visitons des squats et champs de bataille de trois continents.

En chemin, Tomas montre que les tragédies du XXIe siècle n’étaient pas inévitables—qu’une autre guerre était possible. Son témoignage est la preuve qu’un autre monde reste possible aujourd’hui.


Thanks to La Grappe for the translation.

23.06.2025 à 08:59

« Femmes, Vie, Liberté » contre la guerre : Ni l’État génocidaire d’Israël, ni la dictature de la République islamique, vive les luttes populaires

CrimethInc. Ex-Workers Collective
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Ni l’État génocidaire d’Israël, ni la dictature de la République islamique, vive les luttes populaires.
Texte intégral (3970 mots)

Roja est un collectif féministe et internationaliste basé à Paris, composé de membres issu·es des géographies d’Iran, d’Afghanistan (communauté hazara) et du Kurdistan. Fondé en septembre 2022, suite au féminicide d’État de Jina (Mahsa) Amini par la République islamique, et au cœur du soulèvement national « Jin, Jiyan, Azadî / Femme, Vie, Liberté », il nous a transmis cette prise de parole et de position à la suite de la “guerre de 12 jours” opposant le régime israélien au régime iranien.


Roja

Roja est un collectif féministe et internationaliste indépendant basé à Paris, composé de membres issu·es des géographies d’Iran, d’Afghanistan (communauté hazara) et du Kurdistan. Le collectif Roja a été fondé en septembre 2022, suite au féminicide d’État de Jina (Mahsa) Amini par la République islamique, et au cœur du soulèvement national « Jin, Jiyan, Azadî / Femme, Vie, Liberté ». Tout en centrant son action sur les luttes politiques et sociales en Iran et au Moyen-Orient, Roja est également engagé dans les combats locaux et internationalistes en France, notamment dans les actions de solidarité avec la Palestine. (Le mot « Roja » signifie « rouge » en espagnol ; en kurde, « roj » signifie « lumière » ou « jour » ; et en mazandarani, « roja » désigne « l’étoile du matin ».)


« Femmes, Vie, Liberté » contre la guerre

Au lendemain de l’agression militaire israélienne de 12 jours contre l’Iran, menée avec le soutien armé des États-Unis, dont les principales victimes furent des civils – qu’ils soient iranien·ne·s ou israélien·ne·s – n’ayant pas choisi cette guerre, nous continuons à croire que la seule issue pour déjouer la logique meurtrière d’États dont la survie repose sur le maintien du spectre de la guerre, est de faire entendre, haut et fort, notre cri : entre deux régimes guerriers, patriarcaux et coloniaux, nous ne prenons pas partie. Ce refus n’est pas un repli ou une neutralité. Il constitue, au contraire, le point de départ de notre lutte. Une lutte qui chérit la vie et qui rejette la logique meurtrière des guerres.

La guerre asymétrique entre Israël et la République islamique – qui, rappelons-le, n’a ni commencé le 13 juin ni prend fin avec un message de Trump sur son réseau social – est avant tout une guerre contre les populations. C’est une attaque contre tout ce qui garantit la survie et la reproduction de la vie quotidienne sur ce territoire : infrastructures, réseaux et systèmes sur lesquels repose la vie des habitants. Elle vise directement ce que nous avons construit à travers le mouvement «  Zan, Zendegi, Azadi  » («  Femme, Vie, Liberté  ») et tout ce que ce slogan, incarne : un combat féministe, anti-impérialiste et égalitaire, né de la résistance populaire kurde qui a résonné à travers tout l’Iran.

«  Femme, vie, liberté contre la guerre  » n’est pas qu’un slogan, mais une ligne de démarcation claire avec des tendances dont les contradictions apparaissent aujourd’hui plus crûment que jamais  : d’un côté, les opportunistes qui ont soutenu les sanctions américaines et les ingérences occidentales depuis des années, banalisant le génocide à Gaza, tout comme les guerres impérialistes occidentales, ceux qui se sont réjoui de l’agression israélienne espérant qu’elle apporte enfin une «  libération  ».

De l’autre, les campistes qui assimilent toute opposition à l’Occident à une «  résistance  », ainsi que ceux qui, au nom de «  l’urgence  » ou du «  bien du peuple  » passent sous silence les crimes de la République islamique tant à l’intérieur du pays que dans la région, ainsi que son instrumentalisation du discours anti-impérialiste toutes comme son instrumentalisation de la cause palestinienne. Brouillant la frontière entre résistance populaire et pouvoir d’État, depuis 7 octobre, ils se sont rangés derrière tout ce qui s’oppose aux plans du fameux «  nouvel ordre au Moyen‑Orient  », négligeant les luttes des femmes et des personnes queers, des minorités et des démunis, comme si elles étaient secondaires.

Or, ces ennemis sont le miroir parfait l’un de l’autre dans leur barbarie. Israël conduit les enfants de Gazas à l’abattoir en brandissant le drapeau arc-en-ciel ; la République islamique d’Iran a non seulement massacré les manifestants en Iran mais a noyé aussi dans le sang la révolution populaire syrienne, sous le masque de l’anti-impérialisme. Le premier commet un génocide à l’encontre des Palestinien.nes ; l’autre soumet et opprime les peuples non perses à l’intérieur de ses frontières.

Netanyahu usurpe le slogan « Femme, vie, liberté » pour tenter de légitimer son expansionnisme militaire et colonial et le faire passer comme « intervention libératrice ». Khamenei mobilisait toutes ses forces pour étendre un « empire chiite » régional, au nom de la lutte contre Daech et de la « défense de la Palestine ».

Ces deux régimes capitalistes n’occupent certes pas la même position dans l’ordre mondial. Le rôle de la République islamique dans cette guerre ainsi que sa puissance militaro-logistique n’atteint certainement pas celui d’Israël, et le régime iranien ne bénéficie pas des soutiens impérialistes occidentaux. Cette asymétrie ne l’empêche pourtant pas d’infliger violences, injustices et souffrances, comme le fait le sionisme fasciste. Toute relativisation des crimes de la République islamique, ne peut être que fallacieuse. Outres les politiques oppressives à l’intérieur de ses frontières, elle s’est embourbée dans un projet nucléaire au coût exorbitant.

Nous n’avons pas à choisir entre un régime sioniste génocidaire et le régime islamiste oppressif. Nous traçons une troisième voie, celle dessinée par les multiples formes de luttes populaires du Moyen-Orient, par une solidarité et un internationalisme par en bas.

Pour construire un front solide contre le génocide israélien et arracher le discours anti-impérialiste des mains de la République islamique, il faut nous démarquer clairement de ces deux impasses et de réaffirmer le lien ndissoluble entre toutes les luttes populaires au Moyen-Orient et au-delà., en nous opposant à la fois au colonialisme impérialiste et à la colonisation interne d’État.

En solidarité avec les destins liés des peuples du Moyen-Orient — de Kaboul à Téhéran, du Kurdistan à la Palestine, d’Ahvaz à Tabriz, du Baloutchistan à la Syrie et au Liban —, nous nous adressons aux opprimé·es et aux démuni·es d’Iran et de la région, à la diaspora, ainsi qu’aux camarades à travers le monde, partagent nos idéaux et notre espoir.

13 juin : la danse macabre des bombardiers et des missiles

Le nettoyage ethnique et la volonté génocidaire de l’État criminel israélien ne datent ni d’hier, ni de cette année, ni même de ce siècle. Mais la faille géopolitique ouverte dans la région depuis le 7 octobre, ne laissant derrière elle que sang et ruines, engloutit désormais également la République islamique et les peuples d’Iran, à une vitesse vertigineuse et avec une intensité saisissante. L’horizon est si obscur qu’il nous bouleverse profondément, toutes et tous.

Durant ces douze jours sombres, l’armée israélienne a bombardé des milliers de sites à travers l’Iran y compris les zones résidentielles où habitent les généraux des Gardiens de la révolution. Si les frappes ont visé les installations nucléaires, les bases militaires, les centres gouvernementaux et la radiotélévision d’État, elles ont touché aussi les raffineries, les dépôts de pétrole et les infrastructures vitales, et tout ce qui garantit les moyens de subsistance de la population et la reproduction de la vie quotidienne sur ce territoire.

Contrairement à ce qu’affirment les propagandistes qui parlent de « liberté » livrée par les bombes, nous avons été témoins de massacres aveugles de civils, dont un grand nombre d’enfants. Selon l’ONG Hrana, 1054 personnes ont été tuées, des milliers blessés. Sans oublier les 28 Israélien·nes tué·es par les missiles iraniens, parmi lesquels quatre femmes d’une même famille.

Dans cette situation critique, la République islamique a non seulement abandonné une population terrifiée sans la moindre assistance — incapable de fournir les services les plus élémentaires, tels qu’une information publique claire et efficace, des abris d’urgence, ou des systèmes d’alerte — mais elle a également instauré une atmosphère ultra-sécuritaire : déploiement massif des forces anti-émeutes dans les rues, multiplication des checkpoints, et intensification de la répression.

La militarisation du pays en temps de guerre, qui témoigne de l’incapacité du régime à garantir une vie sécurisée, ne nous surprend pas. Mais les appels à « pendre chaque traître à chaque arbre » sont la conséquence logique d’un ordre fondé — à son niveau le plus profond — sur la répression, la peine de mort, les arrestations, et la militarisation de l’espace social à l’intérieur (en particulier dans les régions périphériques, comme Kurdistan et Baloutchistan), et sur l’expansionnisme militaire à l’extérieur.

Les conséquences désastreuses de cette guerre ne s’arrêtent pas avec le cessez-le-feu. La République islamique en profite pour se venger contre la société iranienne : elle a déjà lancé une véritable chasse aux « espions », et sa machine à exécuter s’est déjà remise en marche. Depuis le 12 juin, au moins six personnes, dont trois kurdes, ont été exécutées dans des procès expéditifs pour prétendu espionnage au profit du Mossad. D’autres prisonnier·es, notamment des militant·es kurdes, sont aujourd’hui menacé·es d’une exécution imminente. Dans la paranoïa généralisée du régime, toute voix dissidente peut désormais être accusée de « sionisme » ou d’être « agent de l’étranger ». À cette atmosphère de terreur s’ajoutent l’aggravation de la crise économique, la perte massive d’emplois et une inflation galopante.

Représentation coloniale et banalisation de la guerre

La « guerre contre le terrorisme » — ce projet impérialiste initié au tournant du XXIᵉ siècle dans le sang de l’Afghanistan et de l’Irak — a laissé un héritage sanglant aujourd’hui transmis à Israël : une attaque « préventive » pour contenir le danger supposé de l’arme nucléaire iranienne. Une fois encore, le même récit familier est ressassé par les grands médias monopolistiques : Israël ne frappe que des « cibles militaires », avec des « missiles de précision » et des « drones intelligents », dans le but d’apporter liberté et démocratie au peuple iranien.

Mais ce récit ne dit rien de Parnia Abbasi, poétesse de 24 ans tuée à Sattar Khan. Il ne mentionne pas Mohammad-Ali Amini, jeune pratiquant de taekwondo, ni Parsa Mansour, membre de l’équipe nationale iranienne de padel. Il ne laisse entendre aucune voix de Fatemeh Mirheyder, Niloufar Ghalehvand, Mehdi Pouladvand ou Najmeh Shams. Aucun·e d’entre eux·elles n’était une « cible militaire » ni une « menace nucléaire » — seulement des corps déchiquetés en silence par les missiles israéliens, ignorés par les médias internationaux. Voilà la pointe de l’iceberg de cette « liberté » qu’Israël, avec le blanc-seing de l’Occident, construit sur des ruines et des cadavres.

Les forces réactionnaires — dont le projet de « renversement » du régime ne vise qu’un changement cosmétique et autoritaire depuis le sommet, sans transformation démocratique réelle ni bouleversement des rapports sociaux — ont salué avec empressement leur éternel sauveur : Israël. Les monarchistes ont réduit les victimes des bombardements à de simples chiffres, déclarant, avec un cynisme brut et un langage comptable : « La République islamique exécute des milliers de personnes chaque année ; donc, le massacre de quelques dizaines ou centaines de personnes par Israël est le prix à payer pour se débarrasser de ce régime. » C’est cette même logique déshumanisante, quantitative et mathématique, que les États-Unis ont invoquée pour larguer la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki : si la guerre continue, il y aura plus de morts, donc mieux vaut tout raser.

Le massacre de civils lors des récentes attaques israéliennes, la sur-sécurisation extrême de l’espace public en Iran, et la destruction des infrastructures sociales ne sont ni des erreurs accidentelles, ni de simples « dommages collatéraux ». Ils font partie intégrante de la logique même de la guerre — surtout quand cette guerre est menée par un régime comme Israël. L’argument courant selon lequel les civils ou les infrastructures civiles seraient utilisés comme « boucliers humains » — utilisé naguère pour justifier la destruction de Gaza, et aujourd’hui pour les frappes contre la prison de Dizel-Abad ou l’hôpital Farabi à Kermanshah — n’est qu’un artifice destiné à brouiller la logique destructrice de la guerre et à inverser les rôles et les responsabilités.

Il n’existe pas de « bonne frappe » ni de « bombardement juste ». L’histoire sanglante de l’Irak, de l’Afghanistan et de la Libye — cette même Libye que Netanyahu cite explicitement comme modèle souhaité d’un accord avec le régime iranien — en est une preuve accablante.

« Le Nouvel Ordre du Moyen-Orient » : Pourquoi Israël a-t-il attaqué l’Iran ?

Les frappes israéliennes contre la République islamique constituent le dernier chapitre d’une transformation géopolitique et économique profonde du Moyen-Orient. L’ampleur sans précédent des attaques israéliennes indique qu’Israël cherche à provoquer un changement de régime total – voire un effondrement du régime. On ne peut pas réduire l’opération « Lion Levant » à une simple prolongation de l’hostilité de longue date entre les deux États. Cette opération marque un tournant dans la recomposition des forces régionales qui a débuté le 7 octobre avec un coup porté à ce qu’on appelle « l’Axe de la Résistance » et qui atteint désormais le cœur même des structures de pouvoir de Téhéran.

Pour Israël, Gaza n’est pas simplement un champ de bataille – c’est un projet de colonisation. L’assaut sur Gaza vise à exterminer ou expulser plus de deux millions de Palestiniens, pour transformer cette côte ensanglantée en une « Riviera moyen-orientale » telle que rêvée par Trump – plages de luxe, casinos, et zone de libre-échange pour les Blancs.

Étape par étape, Israël a repoussé le Hezbollah du sud du Liban, détruisant ses infrastructures, éliminant ses commandants et démantelant son appareil militaire. Le même processus est en cours avec les Gardiens de la Révolution (IRGC). En Syrie, un régime maintenu sous perfusion par la Russie, le Hezbollah et l’IRGC – au prix de 500 000 morts et de 12 millions de déplacés – s’est soudainement effondré face à des rebelles soutenus par la Turquie. Le corridor chiite Téhéran–Beyrouth, autrefois artère stratégique qui reliait l’Iran à la Méditerranée, est devenu son talon d’Achille – la piste par laquelle les avions de guerre le frappent aujourd’hui.

Dans le nouvel ordre imposé au Moyen-Orient, un bloc de puissance capitaliste israélo-américain redessine agressivement la région via des routes logistiques et économiques (le corridor Inde–Moyen-Orient–Europe), des processus de normalisation politico-économique (les Accords d’Abraham), et un militarisme expansionniste sous la forme du génocide et de l’annexion de Gaza.

Face à la désintégration de « l’Axe de la Résistance », la doctrine de longue date du Corps des Gardiens de la Révolution islamique – « ni guerre, ni paix » – s’est effondrée. Pendant des années, le régime a instrumentalisé des confrontations limitées et contrôlées pour éviter à la fois la guerre totale et une véritable paix. Aujourd’hui, il se retrouve exposé sur un champ de bataille où les règles ont irrévocablement changé.

Cet effondrement, aggravé par la perte totale de légitimité intérieure du régime – suite aux soulèvements massifs de décembre 2017, novembre 2019, et le mouvement « Femme, Vie, Liberté » – constitue un coup fatal. La République islamique ne peut plus gérer, différer ni externaliser ses crises. Elle ne possède plus de légitimité à l’intérieur, ni de levier stratégique dans la région. Elle n’est plus qu’un vestige calciné dans un ordre multipolaire militarisé en gestation.

Dans ce vortex de sang, les États-Unis – en compétition avec la Chine et naviguant face à la Russie – tentent de reconquérir une hégémonie fracturée. En témoigne son soutien à des forces les plus réactionnaires de l’opposition iranienne qui scandent aujourd’hui : MIGA (Make Iran Great Again). Netanyahu, quant à lui, s’accroche à la guerre sans fin comme à son dernier espoir de survie politique. Et au sein de l’appareil dirigeant de la République islamique, nombreux sont ceux qui cherchent désormais à devenir eux-mêmes les instruments du changement de régime. Pendant ce temps, le peuple reste otage – pris dans une guerre qui n’est pas la sienne, une guerre sans horizon de libération.

Non à une répétition de la Libye, non à une répétition de l’été 1988 : souvenons-nous de l’histoire !

Il est aujourd’hui aussi essentiel de rappeler le chemin qui mena de la guerre Iran-Irak — glorifiée par la propagande du régime comme une « bénédiction » — à l’été 1988, marqué par le massacre de milliers de prisonnier·ères politiques, dont de nombreux·ses militant·es de gauche ayant lutté contre le régime du Shah, que de se remémorer les dynamiques impérialistes qui ont conduit à la « libyanisation » de la Libye.

L’histoire des « interventions humanitaires » impérialistes en Irak et en Afghanistan, sous prétexte d’armes de destruction massive ou de « crimes contre l’humanité », doit être relue à la lumière de l’histoire parallèle qui, depuis avant 1979 jusqu’à aujourd’hui, a constamment privilégié la lutte contre l’impérialisme au détriment d’autres combats de libération.

Dans le même temps, les leçons du colonialisme de peuplement israélien — de la catastrophe de la Nakba en 1948 à la trahison de Nasser et du panarabisme envers la cause palestinienne en 1967 — doivent être invoquées depuis les terres du Turkménistan iranien et du Kurdistan.

Cela fait maintenant plus d’une décennie que la peur d’une « syrianisation » a été utilisée comme arme rhétorique pour délégitimer les luttes populaires autonomes. Les idéologues de « l’îlot de stabilité » et leurs complices intermittents ont appelé le peuple aux urnes, tandis qu’ils légitimaient la participation sanglante des forces de Qods à la « syrianisation » de la Syrie, en la présentant comme une stratégie de dissuasion destinée à éviter que l’Iran ne subisse le même sort.

Il y a environ 45 ans, au début de la guerre Iran-Irak, certains groupes dits « progressistes », en considérant ce conflit comme un événement « patriotique », sont tombés dans le piège du nationalisme iranien. Le résultat n’a été autre que le renforcement du pouvoir monopolistique des forces islamistes. Certains d’entre eux sont restés silencieux face à l’instrumentalisation de l’étiquette « anti-impérialiste » pour imposer le voile obligatoire aux femmes ou lancer des opérations militaires contre le Kurdistan ; d’autres, même s’ils ont élevé la voix, n’ont pas réussi à mobiliser l’opinion publique contre l’assimilation de l’ennemi intérieur à l’ennemi extérieur, ni à dénoncer la normalisation d’une hiérarchie de pouvoir centrée sur l’homme/persan/chiite.

Précisément à ce moment où « l’urgence de la situation » tend à faire croire que « maintenant » est un instant d’exception, détaché de toute histoire ou continuité, il n’y a rien de plus vital que de convoquer la mémoire plurielle et complexe de notre histoire. C’est uniquement à travers cette mémoire — et depuis le regard des peuples opprimés — que nous pouvons dire « non » simultanément à l’impérialisme, à la militarisation sécuritaire et à la rationalité campiste. Cette mémoire multiple, qui insiste à la fois sur les solidarités et les différences de Kaboul à Gaza, requiert une ouverture radicale qui n’a qu’un seul nom : l’internationalisme.

Nous ne comptons sur aucun État mais sur les peuples

Au moment où tant l’État israélien que la République islamique cherchent à imposer un récit triomphal de cette guerre, notre tâche est de déconstruire leurs discours glorifiant la résistance et les prétendus succès militaires. Notre terrain d’action ne réside ni dans l’alignement derrière des États ni dans l’illusion d’un salut venu d’en haut, mais dans le soin mutuel, l’entraide, et la construction de réseaux de soutien, de savoirs et de solidarité — des personnes âgées aux enfants, des exclu·es aux personnes en situation de handicap. C’est cette force de vie, de résistance et de création que nous avons vue se déployer avec éclat lors du soulèvement « Jin, Jiyan, Azadî », où la solidarité entre opprimé·es a incarné une force de vie et de création.

La résignation fataliste, la soumission à un feu qui semble tomber du ciel, ou la représentation d’un horizon apocalyptique où tout serait déjà fini, sont autant de formes de reproduction de la logique de mort. Au moment où, par les négociations (directes ou indirectes, explicite ou cachées), la République islamique essaie de reconsolider son pouvoir au prix de quelques concessions tout en resserrant l’étau sur la société iranienne, nous misons sur la puissance des peuples — de Téhéran à Gaza — qu’aucun État ne peut égaler ou anticiper. C’est là la voie d’une émancipation capable de renverser les discours guerriers dominants et de démentir tous les pronostics.

« Femme, Vie, Liberté ».
Berxwedan jiyan e
La résistance, c’est la vie ; Vivre, c’est résister
Liberté pour la Palestine.
Roja
Le 25 juin 2025

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