15.05.2025 à 10:00
En 2025, les Nations unies ont proclamé l'Année internationale des coopératives, reconnaissant leur rôle-clé dans le développement durable, la justice sociale et la résilience économique.
À travers cette initiative, l'ONU souhaite promouvoir une meilleure reconnaissance des coopératives à l'échelle mondiale, encourager les États à soutenir leur développement, et mettre en lumière les bonnes pratiques qui permettent à ces structures de répondre aux défis actuels : crise climatique, (…)
En 2025, les Nations unies ont proclamé l'Année internationale des coopératives, reconnaissant leur rôle-clé dans le développement durable, la justice sociale et la résilience économique.
À travers cette initiative, l'ONU souhaite promouvoir une meilleure reconnaissance des coopératives à l'échelle mondiale, encourager les États à soutenir leur développement, et mettre en lumière les bonnes pratiques qui permettent à ces structures de répondre aux défis actuels : crise climatique, précarisation du travail et inégalités économiques.
Une coopérative est une association autonome de personnes unies volontairement pour satisfaire leurs besoins économiques, sociaux et culturels communs par le biais d'une entreprise détenue collectivement et contrôlée démocratiquement. Les membres participent activement à la prise de décision, selon le principe « une personne, une voix », indépendamment de leur apport en capital. Cette gouvernance égalitaire distingue les coopératives des entreprises classiques, où le pouvoir est souvent proportionnel à l'investissement financier. Ce modèle favorise une gestion plus horizontale et une transparence accrue.
Il existe trois millions de coopératives dans le monde et elles peuvent être de toute tailles. La plus grande coopérative du monde, Mondragon Corporation, créée au Pays basque espagnol en 1956, compte 80.000 employés et génère un chiffre d'affaires de 11 milliards d'euros dans divers secteurs. On trouve des coopératives d'entreprises, dans les domaines de l'agriculture, de l'artisanat, du commerce, de l'industrie mais aussi dans les secteurs bancaires et d'assurances (mutuelles), ou dans celui des services médicaux (comme par exemple le réseau de santé Unimed, au Brésil). Enfin, on trouve des coopératives d'usagers, dans la grande distribution (à l'exemple de Coop Italia), dans le logement (copropriétés coopératives, coopératives HLM, habitat pour le troisième âge), et même dans le secteur des technologies open source et l'économie numérique de partage (cf. les coopératives 4.0).
Les coopératives réinvestissent généralement leurs excédents dans l'activité, les salaires, la formation ou des projets d'intérêt collectif (comme par exemple les coopératives de garde d'enfants ou de soins à domicile en Inde). Elles jouent un rôle essentiel dans le développement économique local, notamment en milieu rural ou dans des secteurs délaissés par les grands groupes. En créant des emplois durables et inclusifs, elles favorisent l'autonomie des territoires, comme en Palestine, dans la production d'huile d'olive. Au Japon, le système coopératif - l'un des plus développés du monde-, a contribué significativement à l'essor du pays après la Seconde Guerre mondiale.
Dans les pays en développement, les coopératives d'épargne et de crédit aident les petits entrepreneurs dans leurs activités, comme par exemple en République démocratique du Congo, en leur accordant des micro-crédits et un soutien administratif. Un rôle essentiel pour les sortir du travail informel, et ce, même en Europe. « La coopérative donne plus de force aux gens. Elle nous donne le sentiment que nous pouvons changer notre vie », témoignage un vendeur à la sauvette, à Madrid.
Car les coopératives permettent à des populations souvent marginalisées – femmes, jeunes, travailleurs précaires – de reprendre le pouvoir sur leur outil de travail, par exemple pour les travailleurs des plateformes en Amérique Latine. Ce modèle limite les inégalités, améliore les conditions de travail et encourage la solidarité intergénérationnelle et interculturelle.
Les coopératives ont démontré une résilience supérieure face aux crises économiques. Selon un article de The Conversation leur modèle centré sur les membres, et non sur le profit à court terme, leur permet de résister plus efficacement aux chocs financiers, voire également aux chocs climatiques, comme au Rojava. Elles privilégient la continuité de l'activité, la préservation des emplois et l'adaptation locale. Cette orientation vers le long terme et le bien commun les rend moins vulnérables aux logiques spéculatives et aux pressions des actionnaires.
Leur gouvernance participative encourage aussi l'innovation collective en période difficile. Ainsi, il arrive que des employés, parfois avec l'aide de syndicalistes, transforment eux-mêmes leur entreprise en coopérative, comme dans l'industrie textile en Tunisie, ou l'usine Fralib de production de thé, en France.
Les pratiques coopératives offrent des pistes concrètes pour réformer le secteur privé. Comme le souligne un autre article de The Conversation, les entreprises classiques gagneraient à s'inspirer de la gouvernance partagée, de la transparence financière et de l'ancrage territorial des coopératives. Dans un contexte où les consommateurs, les salariés et les investisseurs sont de plus en plus attentifs aux valeurs et à l'impact social des entreprises, les principes coopératifs peuvent renforcer la confiance, l'engagement des équipes et la fidélité des clients. Certaines grandes entreprises ont d'ailleurs déjà adopté des pratiques participatives ou solidaires issues de l'économie sociale.
Malgré leurs nombreux atouts, les coopératives doivent surmonter plusieurs obstacles : garantir la participation réelle de leurs membres dans un monde en mutation rapide, maintenir une gestion rigoureuse tout en respectant leurs valeurs, et accéder à des financements adaptés. Elles sont souvent confrontées à une méconnaissance de leur fonctionnement, voire à un manque de reconnaissance institutionnelle.
Pour renforcer leur impact, notamment pour la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) de l'ONU, il est essentiel de soutenir leur développement par la formation, des politiques publiques incitatives, et une meilleure visibilité dans l'espace économique. C'est l'un des objectifs de l'Année internationale des coopératives : favoriser leur montée en puissance dans les transitions à venir.
Pour aller plus loin :
- Visitez le site de l'Alliance Coopérative Internationale, pour découvrir l'histoire du mouvement coopératif et quelques chiffres mondiaux.
– Connaître la Recommandation 193 de l'Organisation internationale du Travail (OIT) qui recommande depuis 2002 la structuration coopérative du travail, afin notamment de garantir le « travail décent » et l' « émancipation des plus pauvres par la participation au progrès économique », en créant des emplois, et favoriser une protection et une assistance mutuelle.
13.05.2025 à 11:57
L'image d'une personne à vélo transportant un sac à dos isotherme, cubique et de couleur vive qui traverse la ville à toute vitesse est devenue familière dans le monde entier. Ces sacs à dos jaunes, rouges, orange ou bleus, affublés d'un logo facilement identifiable, ne sont que la partie émergée de l'iceberg du changement radical qui impacte de plus en plus de secteurs d'activité : de la livraison de repas aux services de soins ou de nettoyage. Dans tous ces pays, les plateformes numériques (…)
- Reportages photos / Pologne, Négociation collective, Travail décent, Santé et sécurité, Pauvreté, Travail, Économie numérique, Travail précaire, Syndicats, Charles KatsidonisL'image d'une personne à vélo transportant un sac à dos isotherme, cubique et de couleur vive qui traverse la ville à toute vitesse est devenue familière dans le monde entier. Ces sacs à dos jaunes, rouges, orange ou bleus, affublés d'un logo facilement identifiable, ne sont que la partie émergée de l'iceberg du changement radical qui impacte de plus en plus de secteurs d'activité : de la livraison de repas aux services de soins ou de nettoyage. Dans tous ces pays, les plateformes numériques sont de plus en plus présentes, affectent un nombre croissant de travailleurs et transforment profondément notre façon de travailler et d'interagir.
Ce modèle pose des défis importants en matière de droit du travail et la nouvelle directive européenne cherche à les relever. En Pologne, sa mise en œuvre suscite autant d'attentes que d'inquiétudes. Les États membres ont deux ans pour la transposer dans leur législation nationale, et l'approche choisie par le gouvernement polonais sera déterminante, compte tenu d'une particularité du pays ; que la directive n'aborde pas explicitement.
Les conditions de travail des livreurs sont à peu près analogues partout en Europe : instabilité, longues journées de travail et nécessité de cumuler plusieurs emplois pour s'assurer un revenu. La particularité de la Pologne réside toutefois principalement dans le fait que la grande majorité des livreurs travaillent dans le cadre d'un contrat de location signé avec un intermédiaire appelé « partner flotowy ».
« L'utilisation de contrats de location sert à minimiser la charge fiscale qui devrait être supportée par l'employeur, qu'il s'agisse de la plateforme ou d'un intermédiaire », explique Karol Muszyński, assistant-maître de conférences en sociologie du travail et en économie à l'université de Varsovie et partenaire du projet de recherche-action Fairwork, qui établit des classements des plateformes sur la base des conditions de travail, du contrat, de la rémunération, de la gestion du travail et de la représentation.
« De plus, le fait que les travailleurs signent ces contrats avec un intermédiaire les prive de toute protection. En cas de plainte, ils ne peuvent pas se tourner vers les plateformes, alors que ce sont elles qui décident des conditions de travail, des salaires et des heures de travail. La responsabilité, quelle qu'elle soit, reste donc très floue. »
Tomek [nom d'emprunt], livreur chez Glovo, vit à Poznań et combine cette activité avec son travail d'indépendant dans le secteur de l'audiovisuel. L'instabilité et le sentiment d'injustice dans son travail font partie de son quotidien. Récemment, l'application a taxé son profil de frauduleux, sans lui fournir la moindre explication.
« Une autre fois, on m'a donné un délai de 24 heures par e-mail pour transférer l'argent collecté en espèces aux clients. Cinq heures plus tard, mon compte était déjà bloqué. J'ai perdu une semaine pendant laquelle je comptais gagner l'argent pour payer mon loyer », explique-t-il. Dans les deux cas, le seul moyen de se plaindre était un agent conversationnel (« chatbot ») et l'intermédiaire avec lequel Tomek avait conclu un contrat n'a rien voulu savoir des mesures prises par la plateforme.
L'une des difficultés principales du travail sur les plateformes est le manque de transparence et la complexité des règles appliquées. De nombreux livreurs pour des entreprises telles qu'Uber ou Glovo doivent se renseigner par eux-mêmes (sur YouTube ou des forums) sur la façon dont leurs paiements sont calculés ou sur le fonctionnement de l'algorithme. En d'autres termes, ils sont confrontés à la difficulté de comprendre le système afin d'améliorer leurs performances et d'augmenter leurs gains.
« Sur Pyszne.pl [membre du réseau Just Eat], ces intermédiaires n'existent pas. Nous sommes recrutés par des agences de travail intérimaire, pour une période pouvant aller jusqu'à 18 mois. Ensuite, nous signons un contrat de service (“umowa zlecenie”, en polonais) avec la plateforme », explique Stanisław Kierwiak.
Le contrat de prestation de services, également appelé contrat de mandat, est à mi-chemin entre un contrat de travail et l'activité d'un travailleur indépendant : ceux qui le signent ne sont pas considérés comme des employés, mais ils ne sont pas non plus obligés de s'enregistrer en tant que travailleurs indépendants ou autoentrepreneurs. En Pologne, ces contrats sont apparus en 2007, lorsque la priorité a été donnée à la promotion de l'emploi avec une faible charge fiscale et une plus grande flexibilité. Ils sont considérés comme des contrats « pourris », car, bien qu'ils donnent l'illusion d'une relation de travail, ils peuvent être résiliés sans préavis ni justification. D'un point de vue formel, ils sont soumis à une faible retenue à la source qui devrait être répartie entre l'employeur et la personne recrutée, mais, dans la plupart des cas, les intermédiaires des plateformes transfèrent l'intégralité de la charge aux livreurs.
En Pologne, près d'un million de personnes travaillent dans le cadre de contrats de ce genre et pas seulement sur des plateformes. Ainsi, le débat européen sur la distinction entre employé et faux indépendant ne reflète pas entièrement la réalité polonaise.
Les plateformes soulignent que, pour les livreurs, ce sont les revenus rapides et la flexibilité qui comptent le plus. « Notre enquête interne révèle que 80 % des livreurs ne souhaitent pas passer à un contrat de salarié », explique Aleksander Rosa, porte-parole de Pyszne.pl. « Car cela diminuerait leurs revenus, ils bénéficieraient de moins de flexibilité et ne pourraient pas travailler pour plusieurs plateformes à la fois. Je pense que nous devrions leur garantir ces trois éléments. La directive devrait réglementer notre secteur, mais un trop grand durcissement aura l'effet inverse de celui escompté. »
Aucune donnée fiable ne permet de savoir combien gagnent réellement les livreurs. Toutefois, selon les représentants syndicaux et les travailleurs consultés, il n'est pas rare que le revenu moyen soit inférieur au salaire horaire brut minimum. Par ailleurs, la liberté est illusoire, car toutes les conditions sont imposées par les plateformes et, même quand une commande n'est pas rentable, le livreur n'a pas toujours la possibilité de la refuser. Quant à la flexibilité et à la possibilité de combiner le travail pour plusieurs plateformes, cela se traduit souvent par du stress et un épuisement.
« L'un des plus grands facteurs de stress pour une personne est l'incertitude », explique Dorota Merecz-Kot, médecin à l'Institut de psychologie de l'université de Łódź et collaboratrice d'une étude sur les risques pour la santé et la sécurité dans le travail sur les plateformes qui est sur le point de s'achever dans plusieurs pays européens. « Les algorithmes et les exclusions sans explication » face auxquels « vous ne pouvez pas faire appel ou présenter votre version des faits » créent un « sentiment de discrimination et d'injustice systémiques qui, sur le long terme, crée la certitude que vous n'êtes personne et que votre opinion n'a aucune importance. Avec le temps, on en vient même à se sentir incapable de se battre pour soi-même », ajoute-t-elle.
La protection du droit du travail dans ce secteur est très complexe. La majorité des livreurs travaillent seuls, ce qui rend difficile la création de liens entre eux, sans parler du nombre indéterminé de travailleurs migrants sans papiers qui sous-louent l'utilisation de comptes et qui, par crainte de perdre une source de revenus, préfèrent privilégier leur invisibilité. Selon Mme Merecz-Kot, ils ne se perçoivent pas non plus comme un groupe professionnel unifié, ce qui limite leur capacité à exprimer des revendications collectives ou à exercer une pression pour négocier des améliorations. Pourtant, des initiatives individuelles et collectives ont vu le jour.
Tomek a participé aux manifestations des livreurs de Glovo (à Poznań en 2023), qui ont conduit à la création de l'Inicjatywa Pracownicza Kurierów (Initiative des travailleurs des livreurs). Bien que l'initiative ne puisse pas agir officiellement comme un syndicat, en raison de l'absence de relation contractuelle avec la plateforme, elle a obtenu des améliorations, telles que des primes en cas de conditions météorologiques défavorables. Au travers d'un groupe Telegram, ils ont réalisé des enquêtes sur les conditions de travail auxquelles ont participé jusqu'à 300 livreurs. Armés de ces données, ils se sont présentés au ministère du Travail au cours de l'été.
« Nous leur avons présenté notre réalité et leur réaction a été l'étonnement ; en particulier concernant des questions telles que les contrats de location », explique Tomek. « Ce qui, moi, m'a encore plus étonné est le fait que l'application est active en Pologne depuis cinq ans et qu'ils ne savaient pas comment elle fonctionnait réellement. Ils nous ont dit qu'ils allaient se pencher sur le dossier. Nous attendons toujours. »
Les tarifs dynamiques de la plateforme ne prennent pas en compte des facteurs, tels que le trafic ou les temps d'attente, ce qui réduit leurs revenus. Leurs revenus hebdomadaires provenant d'Uber s'élèvent à environ 300-500 zlotys (de 70 à 116 euros ou 80 à 132 dollars US).
Dans le cas de Pyszne.pl, le syndicat est né d'une manière innovante. « Après plusieurs discussions au sein de la Confédération du travail des jeunes (Konfederacja Pracy Młodych), nous avons décidé d'organiser un “happening” », se souvient Stanisław Kierwiak. « Nous avons installé des tables, des chaises et des transats au siège et avons commencé à commander de la nourriture en ligne. À mesure que les livreurs arrivaient, nous leur proposions de la consommer eux-mêmes tout en discutant de leur situation. La réaction a été très positive et nous avons décidé de créer un syndicat. Contrairement à ce qui se passe sur d'autres plateformes, nous pouvons le faire parce qu'il n'y a pas d'intermédiaires sur Pyszne.pl et le fait de formaliser la lutte nous assure également une protection. »
L'expansion de la syndicalisation parmi les livreurs et les autres travailleurs des plateformes dépend également de la sensibilisation à l'importance de la lutte collective pour les droits du travail. Le modèle de travail développé en Pologne depuis son ouverture au libre marché ne facilite toutefois pas la tâche. Selon des experts tels que M. Muszyński, la négociation collective est rare et limitée à des secteurs tels que celui des mines. Ailleurs, ce sont les accords individuels qui prédominent, comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Dans ce contexte, la sensibilisation du public et des travailleurs eux-mêmes devient un élément clé pour faire avancer la défense de leurs droits.
Zentrale, un groupe de livreurs activistes issus de plusieurs villes de Pologne, investit son énergie à la fois dans la sensibilisation du public et dans le dialogue et le lobbying auprès des acteurs clés en vue d'éventuelles réformes.
« En Pologne, la question contractuelle passe au second plan », explique Wojtek Dereszewski, l'un des fondateurs de Zentrale. « Ce qui compte le plus pour les livreurs, c'est la rémunération. Il serait formidable que la Pologne améliore cet aspect, mais je suis très sceptique sur ce point, compte tenu de la situation politique actuelle et des tendances historiques dans la manière dont les droits du travail sont traités ici ».
« La plupart des personnes qui travaillent dans ce secteur sont jeunes », explique Mme Merecz-Kot. « Peut-être qu'à cette étape de leur vie, ils n'ont pas encore la mentalité tournée vers le long terme qui leur permettrait de se battre pour leurs droits. Mais c'est à cela que sert l'État : être conscient des effets sociaux à long terme de toute action ou inaction. Pas besoin de beaucoup d'imagination pour comprendre ce qui arrivera dans un avenir proche à des personnes surchargées, effectuant des travaux pénibles pendant de longues heures et souvent exposés aux intempéries. Il ne s'agit pas d'économiser pour générer du capital à l'avenir. La moindre économie dans le système lié à ce secteur nous coûtera cher par la suite. Elle engendrera des pertes tant au niveau individuel qu'au niveau global. Les plateformes se sont installées pour de bon. La question est désormais de savoir sous quelle forme et dans quelles conditions. »
09.05.2025 à 07:00
La sécurité est un drôle d'élixir. Plus vous en avez, moins il y en a pour les autres… c'est du moins ce que dit la sagesse populaire. L'expérience d'Erik Helgeson tend à démentir cette idée.
M. Helgeson, 42 ans, est vice-président du Syndicat des dockers suédois (Svenska hamnarbetarförbundet). Il est très attaché à la sécurité de ses membres, mais aussi à celle des civils de Gaza, dont certains ont été tués par des armes qui pourraient avoir transité par le port de Göteborg, où il a (…)
La sécurité est un drôle d'élixir. Plus vous en avez, moins il y en a pour les autres… c'est du moins ce que dit la sagesse populaire. L'expérience d'Erik Helgeson tend à démentir cette idée.
M. Helgeson, 42 ans, est vice-président du Syndicat des dockers suédois (Svenska hamnarbetarförbundet). Il est très attaché à la sécurité de ses membres, mais aussi à celle des civils de Gaza, dont certains ont été tués par des armes qui pourraient avoir transité par le port de Göteborg, où il a travaillé pendant 20 ans.
De fait, M. Helgeson y était tellement attaché qu'en février de cette année, il a pris la tête d'un blocus symbolique de 20 ports suédois de six jours contre des cargaisons militaires destinées à Israël. Son employeur, DFDS, a réagi en le licenciant, au motif qu'il avait enfreint la loi sur la protection de la sécurité de la Suède.
La loi, adoptée en 2018, vise à protéger les « activités critiques pour la sécurité contre l'espionnage, le sabotage [et] les infractions terroristes », mais, selon M. Helgeson, son utilisation contre des activistes syndicaux soulève la question de savoir la sécurité de qui l'entreprise, et la loi, protègent vraiment.
« Certains employeurs semblent considérer cette loi comme un outil permettant non seulement de protéger les ports et d'autres entreprises contre les infiltrations criminelles, mais aussi de leur donner carte blanche pour faire ce qu'ils veulent, à des personnes dont ils veulent se débarrasser pour d'autres raisons », déclare-t-il à Equal Times.
« Je crains que de nombreux employeurs s'intéressent à cette affaire — en voyant que les preuves contre moi sont si minces — et qu'ils élaborent leurs propres plans pour éliminer les dirigeants syndicaux ».
Le syndicat de M. Helgeson entretenait une tradition de solidarité internationale remontant à la guerre du Vietnam et au coup d'État au Chili de 1973, au cours duquel une génération d'activistes syndicaux a été assassinée.
En 2010, il a participé au chargement de la tragique flottille de la liberté qui avait tenté de briser le blocus israélien de la bande de Gaza. Des soldats israéliens sont montés à bord de la mission humanitaire et ont tué neuf des activistes qui s'y trouvaient. Selon les preuves présentées à la Cour internationale de justice, certaines victimes « ont reçu plusieurs balles au visage alors qu'elles essayaient de se couvrir la tête, ou par l'arrière, ou encore après s'être rendues et avoir supplié les forces de défense israéliennes de cesser de tirer sur les civils ».
Outré, M. Helgeson avait alors tenté de s'embarquer dans la flottille suivante, mais le navire de tête avait été saboté en Grèce. Finalement, il a pu visiter la bande de Gaza en novembre 2011.
« C'était pendant une période calme, mais ils ont bombardé le commissariat de police pendant que j'étais là », déclare-t-il. « On pouvait encore observer une certaine brutalité latente dans tous les aspects de la société. Les gens luttaient à leur manière — certains activistes syndicaux luttaient également avec les autorités du Hamas — mais le problème principal était le blocus naturellement, les niveaux de chômage record, l'isolement, la pauvreté flagrante dans les camps de réfugiés — et aussi les jeunes enfants qui buvaient de l'eau impropre à la consommation et souffraient de maladies. Cela m'a vraiment marqué ».
À l'époque, les dirigeants israéliens justifiaient le blocus de Gaza en invoquant la sécurité nationale. Mais le déni de toute sécurité courante aux Gazaouis a fini par provoquer une attaque qui a anéanti le sentiment de sécurité même d'Israël.
De retour en Suède, M. Helgeson s'était lancé dans l'activité syndicale du port, prenant la tête d'un conflit industriel avec Mærsk entre 2015 et 2017, qui a débouché sur une fermeture de six semaines, puis sur un litige national. « Nous avons répondu par la menace d'une grève illimitée et les employeurs ont fini par céder », se rappelle M. Helgeson. En fin de compte, le syndicat avait obtenu une convention collective de travail (CCT) nationale.
C'est, selon lui, la véritable raison pour laquelle DFDS voulait le dégager des docks et la raison pour laquelle l'entreprise n'a pas été en mesure de fournir au syndicat, aux journalistes ou aux autorités judiciaires des détails sur la manière dont la sécurité nationale avait été menacée par l'action des dockers.
Lorsque la question lui a été posée de savoir en quoi le syndicat avait menacé la sécurité, « la direction est restée très vague », indique M. Helgeson. « Leur argument consistait à dire : "Nous avons reçu tous ces appels de la part de nombreux acteurs" — ils laissaient entendre que l'armée les avait contactés —, mais ils ne voulaient fournir ni précisions, ni détails, ni éléments de preuve. Notre avis, à l'époque et aujourd'hui, est qu'il s'agissait d'un écran de fumée ».
Les allégations de l'employeur à l'encontre de M. Helgeson — à savoir qu'il serait responsable de l'examen des remorques et des conteneurs de fret par les dockers — sont contestées par ce dernier et le syndicat, au motif que les dockers n'avaient ni la capacité ni l'intention de le faire. Selon eux, l'action était essentiellement symbolique et visait à lancer le débat sur les agissements d'Israël dans la bande de Gaza.
La police et le Chancelier de justice de Suède ont rejeté la demande de l'entreprise d'enquêter sur le comportement de M. Helgeson, car aucun soupçon d'activité criminelle n'a été constaté. Mais cela n'a pas empêché les messages menaçants adressés à M. Helgeson, qui ont commencé à arriver après que DFDS a publié un communiqué de presse annonçant qu'il avait été licencié pour des raisons de sécurité nationale.
« Nous avons reçu des menaces — y compris une menace de mort — puis nous avons été harcelés par des personnes anonymes ayant apparemment des opinions d'extrême droite, principalement sur messagerie vocale », déclare M. Helgeson. « J'ai eu une peur bleue parce qu'il pouvait y avoir des "loups solitaires" dans ces groupes menant une croisade pour la sécurité nationale. J'étais vraiment effrayé à l'idée d'être cloué au pilori dans la presse et d'attirer les pires fous qui existent, ce qui constituerait une menace pour ma famille et mes enfants ».
Les menaces de mort à l'encontre des partisans de la paix se sont multipliées depuis le 7 octobre 2023 et la rapporteure spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, en a également été victime. Bien qu'elle ne connaisse pas les détails du cas de M. Helgeson, elle a déclaré à Equal Times que les manifestations de solidarité des travailleurs, telles que les récentes actions des dockers au Maroc, étaient plus que nécessaires.
« En temps de crise, lorsque des crimes contre l'humanité sont perpétrés, il est absolument nécessaire que les travailleurs se mettent en grève », déclare-t-elle. « Il s'agit là d'une obligation morale pour chacun d'entre nous. C'est aussi notre système qui est complice des agissements d'Israël.
« L'histoire nous jugera, nous et ceux qui restent silencieux aujourd'hui ; leur responsabilité est aussi engagée. Nous devons user de notre pouvoir et de notre capacité à provoquer le changement. Unis, nous sommes bien plus puissants que l'establishment lui-même ».
Elle ajoute que si elle avait été travailleuse des docks « contribuant au massacre d'enfants, de mères et de grands-parents à Gaza… ma santé mentale aurait été bien plus affectée qu'elle ne l'est aujourd'hui, en ma qualité de chroniqueuse d'un génocide ».
La masse d'informations sur la manière dont le fait de participer à l'oppression dégrade aussi bien la qualité de vie de l'oppresseur que celle de la victime est un aspect de la question de la sécurité qui n'est pas suffisamment traité.
En 1974, des travailleurs britanniques qui risquaient d'être licenciés dans une usine d'armement gérée par Lucas Aerospace l'ont tacitement reconnu en créant un syndicat officieux, « Combine », en vue d'élaborer des plans alternatifs pour une production socialement utile. Leur idée connaît actuellement une renaissance parmi les intellectuels publics du Royaume-Uni, tels que Grace Blakeley.
De manière plus générale, l'idée qu'il ne peut y avoir de sécurité à long terme pour une seule partie à un conflit a été renforcée lors d'une conférence organisée en avril par le Bureau international de la paix (BIP), la Confédération syndicale internationale (CSI) et le Centre international Olof Palme intitulée Conférence sur la sécurité commune 2025 : Redéfinir la sécurité pour le 21e siècle. Comme l'a déclaré Omar Faruk Osman, secrétaire général de la Fédération des syndicats somaliens (FESTU) lors de la conférence : « Aucun pays, aucune communauté, aucun individu ne peut être vraiment en sécurité si nous ne le sommes pas tous. »
« Lorsque les travailleurs sont affamés, sans emploi et exclus de la prise de décision, ils risquent d'être utilisés dans les conflits, » a-t-il ajouté. « Promouvoir le travail décent, c'est promouvoir la paix. »
Loin d'être un jeu à somme nulle, la sécurité, dans la vision du monde du BIP, doit être partagée par toutes les parties à un conflit. Faute de quoi, le déséquilibre fera tôt ou tard retomber les protagonistes dans le conflit, avec des conséquences destructrices pour tous.
« Nous ne recherchons pas seulement la paix par l'absence d'armes à feu, mais aussi par la présence de la justice », a déclaré M. Osman. « La “sécurité commune” constitue notre langage et reflète nos aspirations ».
En son absence, les mesures de sécurité unilatérales risquent toujours de se retourner contre leurs initiateurs, comme ne le montre que trop bien le cas de M. Helgeson. À l'heure où nous publions ces lignes, les dockers suédois se préparent pour une potentielle grève en raison d'un problème contractuel qui pourrait empêcher M. Helgeson de réintégrer son emploi.
La législation du travail suédoise, unique en son genre, n'autorise les travailleurs à faire grève que pour obtenir une convention collective de travail (CCT), qui permet ensuite de régler les conflits ultérieurs sans recourir à l'action syndicale. Mais la CCT nationale des dockers suédois a expiré à la fin du mois d'avril et l'action syndicale est désormais revenue à l'ordre du jour.
En vertu du droit du travail suédois, même si M. Helgeson gagne son procès pour licenciement abusif devant un tribunal du travail, son employeur peut « racheter » son contrat en lui versant une indemnité mensuelle pour chaque année travaillée, tout en maintenant son licenciement. Selon M. Helgeson, la somme en question représenterait « des cacahuètes » pour une multinationale comme DFDS.
Cependant, Martin Berg, président du Syndicat suédois des dockers, a déclaré à Equal Times que lors des discussions sur la prochaine convention collective de travail : « L'une de nos principales revendications sera une réglementation visant à protéger nos administrateurs syndicaux — s'ils obtiennent gain de cause devant le tribunal du travail — afin qu'ils ne puissent pas être soumis à des rachats à bas prix. Toute personne effectuant un travail pour le compte du syndicat devrait être protégée, de sorte que, si un employeur décide de vous racheter, il doive également payer au syndicat une lourde amende liée au chiffre d'affaires de l'entreprise au cours de l'année précédente. Si nous entamons un conflit social pour notre CCT, nous ferons grève pour l'obtenir et, en vertu de la législation suédoise, tous les syndicats sont autorisés à nous soutenir par des actions de sympathie. Nous demanderons également aux dockers d'autres pays de mener des actions de solidarité ».
Il se trouve que moins les dockers suédois bénéficient d'une sécurité, moins leurs employeurs en bénéficient également. Les patrons suédois qui pensaient que le licenciement de leurs activistes syndicaux consoliderait leurs prévisions de bénéfices risquent de connaître un réveil brutal.