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11.04.2025 à 07:00

Yanis Varoufakis : « Les syndicats ne doivent plus se contenter d'essayer d'obtenir des salaires équitables, parce qu'ils ne le seront jamais à l'ère du techno-féodalisme »

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Yanis Varoufakis est un économiste grec et le dirigeant de DiEM25, l'alliance politique paneuropéenne de gauche qu'il a cofondée en 2016 avec le philosophe croate Srećko Horvat dans le but de « démocratiser l'Europe ». M. Varoufakis s'est surtout fait connaître en tant que ministre des Finances de la Grèce pendant la crise de la zone euro de 2015. Il a écrit plusieurs livres à succès sur l'économie, dont le plus célèbre est Conversations entre adultes : dans les coulisses secrètes de (…)

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Texte intégral (3162 mots)

Yanis Varoufakis est un économiste grec et le dirigeant de DiEM25, l'alliance politique paneuropéenne de gauche qu'il a cofondée en 2016 avec le philosophe croate Srećko Horvat dans le but de « démocratiser l'Europe ». M. Varoufakis s'est surtout fait connaître en tant que ministre des Finances de la Grèce pendant la crise de la zone euro de 2015. Il a écrit plusieurs livres à succès sur l'économie, dont le plus célèbre est Conversations entre adultes : dans les coulisses secrètes de l'Europe (éd. Les liens qui libèrent, 2017), livre qui a été adapté au cinéma en 2019 par le cinéaste oscarisé Costa-Gavras.

Il s'entretient avec Equal Times sur son dernier ouvrage paru, Les nouveaux Serfs de l'économie (éd. Les liens qui libèrent, 2024), qui retrace le changement profond provoqué par les grandes entreprises technologiques et les mesures à prendre pour le contrer.

Votre livre soutient que nous vivons dans un nouveau système économique « techno-féodal ». Pourtant, son avènement n'a pas nécessité une révolution sociale, comme le capitalisme, ni un bouleversement agricole massif comme le féodalisme. Pourquoi pensez-vous qu'il s'agit d'un nouveau mode de production ?

Le techno-féodalisme repose sur une nouvelle forme de capital, une forme mutante qui est qualitativement et quantitativement différente de toutes les variétés connues jusqu'à présent. Jusqu'à il y a dix ans, toutes les formes de capital étaient produites ; avec une charrue, un marteau, une machine à vapeur ou un robot industriel. Mais au cours de la dernière décennie, nous avons vu apparaître une nouvelle forme de capital qui se tapit dans nos téléphones, nos tablettes et nos câbles de fibre optique, que j'appelle le « capital cloud ».

Amazon, Alibaba, Uber, Airbnb ne sont pas des marchés. Ils ne sont même pas des monopoles : ce sont des plateformes commerciales. L'algorithme — le capital cloud — qui les construit ne produit rien d'autre qu'un fief cloud où nous nous réunissons en tant que créateurs, consommateurs et utilisateurs. Nous travaillons tous sur ces plateformes, que ce soit en tant que chauffeurs de taxi ou producteurs de contenu, et le propriétaire de ce paysage numérique perçoit des rentes, comme c'était le cas dans le cadre du féodalisme. Aujourd'hui, il ne s'agit plus de rentes foncières, mais de rentes numériques. Je les appelle des « rentes cloud ».

Dans ce processus, les propriétaires du capital cloud peuvent modifier votre comportement… ou votre esprit. Ce moyen de modification du comportement crée un mode socio-économique de production, de distribution, de communication et d'échange totalement nouveau. Ce n'est pas du capitalisme, même si la base reste le capital. Le capitalisme repose sur deux piliers : les marchés et le profit. Le capital cloud remplace rapidement les marchés par des fiefs cloud et, par conséquent, il siphonne les profits capitalistes qui sont encore essentiels pour le système, sous la forme d'une rente cloud.

Le bon sens socialiste consistait à dire que le capitalisme creusait lui-même sa propre tombe, sous la forme de travailleurs qui réalisent des profits. Est-ce toujours le cas avec le techno-féodalisme ou aboutira-t-on à des robots qui fabriquent des robots pour fabriquer encore plus de robots ?

L'analyse marxiste est la meilleure façon de comprendre le techno-féodalisme. La valeur est toujours produite par des êtres humains ; pas par des robots, des algorithmes ou du capital cloud. Elle émane de l'activité humaine. Elle ne résulte pas de la construction de machines par des machines. Ce qui a changé, c'est qu'aujourd'hui beaucoup de capital est produit par une main-d'œuvre gratuite.

Avant, Henry Ford utilisait des machines pour soutenir la production de ses voitures. Il devait passer commande auprès d'un autre capitaliste qui employait une main-d'œuvre salariée qui produisait cet équipement. À présent, la grande majorité du capital cloud est produite par une main-d'œuvre gratuite que j'appelle les « techno-serfs ». Chaque fois que vous téléchargez une vidéo sur TikTok, vous augmentez son stock de capital. Évidemment, pour que le système soit en mesure de se perpétuer, il a toujours besoin de main-d'œuvre salariée, si bien que, si l'on supprime cette main-d'œuvre, le système tout entier s'effondre. Il existe des robots qui construisent des robots pour construire des robots, mais le système est encore plus instable et davantage sujet aux crises que le capitalisme lui-même, car son socle (la plus-value produite par le salariat) se réduit comme peau de chagrin.

Si une entreprise produit des vélos électriques, 40 % du prix que vous payez sur Amazon ira à Jeff Bezos [le fondateur et président exécutif d'Amazon], et non aux capitalistes qui l'ont produit, ce qui constitue une forme de rente cloud. Cet argent ne réintègre pas la production ou le secteur capitaliste traditionnel, de sorte que la demande globale, qui a toujours été rare sous le capitalisme, l'est encore plus aujourd'hui. Cela pousse les banques centrales à imprimer davantage de billets pour compenser la perte de pouvoir d'achat, ce qui accentue les pressions inflationnistes. Le techno-féodalisme est donc un système bien pire et plus sujet aux crises que le capitalisme.

Votre idée semble suggérer que même notre perception de la réalité est aujourd'hui dominée par une sorte de filtre algorithmique. Quel est son impact sur la conscience de classe ?

Son impact est énorme. Lorsque je dis que notre travail gratuit réapprovisionne et reproduit le capital cloud de Bezos, Google et Microsoft, on me répond : « Oui, mais vous adorez faire cela ». Nous le faisons volontairement. D'accord, mais cela ne change rien au fait qu'il s'agit d'un travail gratuit. Il y a aussi ce que mon ami [l'écrivain de science-fiction et activiste des droits numériques] Cory Doctorow appelle le processus de « merdification » (« enshittification », en anglais). Plus vous vous impliquez dans des plateformes où vous fournissez volontairement votre travail, plus vous aurez une expérience merdique, et plus vous serez en colère contre les autres utilisateurs, non pas contre le capitaliste du cloud qui en est propriétaire ; c'est donc un dissolvant de la conscience de classe.

Pensez-vous que le populisme autoritaire que nous connaissons depuis 2008 est, en partie, l'expression politique de ce nouveau mode de production ?

L'année 2008 a été le 1929 de notre génération. Rien à voir avec le capital cloud, car le capital cloud n'existait pas encore à l'époque. C'était le résultat de l'effondrement du système capitaliste financiarisé post-Breton Woods. Toutefois, la réponse à cet effondrement (c.-à-d. le renflouement des banques et le recours de la planche à billets à hauteur de 35.000 milliards de dollars US [31.740 milliards d'euros] pour le compte des banquiers) a contribué à accélérer l'accumulation du capital cloud, car ce sont les seuls investissements qui ont eu lieu entre 2009 et 2022. En effet, l'impression de monnaie issue de l'assouplissement quantitatif a coïncidé avec une austérité généralisée, de sorte que les entreprises capitalistes traditionnelles ont cessé d'investir. Elles ont pris l'argent des banques centrales et ont racheté leurs propres actions. Seuls les propriétaires de capital cloud ont investi dans des machines, ce qui a provoqué une hausse incroyable de la qualité et de la quantité de capital cloud, aboutissant à ChatGPT et à OpenAI.

Chaque fois qu'une telle accumulation massive de capital se produit, la société connaît une mutation parallèle. Elon Musk, par exemple, est arrivé tardivement dans la course au capital cloud. C'était un capitaliste traditionnel. Il fabriquait des voitures et des fusées. Il n'était pas un cloudaliste jusqu'à ce qu'il se rende compte que les plateformes de Tesla et de Starlink avaient absolument besoin d'une connexion au capital cloud et qu'il ne disposait d'aucune interface. Il a donc acheté Twitter [aujourd'hui appelé X] pour une bouchée de pain. Mon point de vue diverge de celui de tous les autres à ce propos, mais les 44 milliards de dollars US (39,55 milliards d'euros) [le montant payé par Musk pour acheter Twitter en 2022] ne sont pas grand-chose. Pour lui, ce sont des cacahuètes et il est en train de créer, sur la base de X, une application qui relie Starlink à toutes les voitures Tesla dans le monde. Il a même fusionné ses câbles avec les systèmes informatiques du gouvernement fédéral et son idéologie quasi fasciste, voire totalement fasciste, est intimement liée à tout cela.

Lorsque Peter Thiel [le milliardaire libertaire d'extrême droite et investisseur en capital-risque] a récemment déclaré que le capitalisme était incompatible avec la démocratie, en mon for intérieur, j'ai applaudi. Il avait tout à fait raison, mais il a fallu le capital cloud, Palantir Technologies, [l'entreprise de logiciels fondée par M. Thiel qui fournit principalement des données et un soutien à la surveillance pour les agences militaires, de sécurité et de renseignement] et X pour que ces gens disent « Vous savez quoi ? La démocratie (même une démocratie très timide) est une corvée et un frein à notre pouvoir, c'est pourquoi nous optons pour le fascisme. » Mais ils n'auraient pas pu le faire s'ils n'avaient pas un lien direct avec nos cerveaux, car, contrairement à Henry Ford et Thomas Edison, qui ont dû acheter des journaux pour trouver des moyens de nous influencer, si vous êtes propriétaire du capital cloud, en substance, vous possédez les chaînes mentales de milliards de personnes.

L'autre vision utopique, qui consiste à croire qu'un « communisme de luxe » entièrement automatisé pourrait nous libérer du travail, est-elle plus probable que le contrôle algorithmique de la population, ou même l'internement décidé par des algorithmes ?

En 2017, je concluais mon livre (Talking to My Daughter About the Economy) en disant que l'avenir de l'humanité se dirigeait soit vers le monde de Matrix, soit vers celui de Star Trek. La voie vers Star Trek est celle du « communisme libertaire de luxe » et la voie vers Matrix est celle du techno-féodalisme dans sa pire variante. Celle vers laquelle nous nous dirigerons dépendra de notre capacité à relancer la politique démocratique, ce qui n'est pas gagné d'avance.

Comment ramener le capital cloud à un niveau plus humain ? Quel type de réglementation pourrait être efficace ?

Je pense que la plus évidente est l'interopérabilité. Par exemple, je voulais quitter Twitter [X] parce que cette plateforme est devenue un véritable cloaque, mais j'ai 1,2 million d'abonnés. Je suis allé sur Bluesky et j'en avais 100 (à présent 30.000), donc je ne peux pas abandonner X. Mais imaginez si les régulateurs imposaient l'interopérabilité à X, et disaient : « Si vous souhaitez poursuivre vos activités, vous devez permettre aux abonnés de toute personne qui quitte X pour Bluesky de continuer à recevoir les messages Bluesky de ces derniers sur X ». C'est l'équivalent de la façon dont les entreprises de télécommunications ont été contraintes d'autoriser les gens à conserver leur numéro de téléphone lorsqu'ils partaient chez un concurrent.

Il est intéressant de noter qu'en Chine, l'interopérabilité a fait l'objet d'une loi l'année dernière pour les fournisseurs [de services numériques] ou les applications. Cela n'arrivera jamais en Occident, bien entendu, mais, si c'était le cas, cela constituerait une attaque majeure contre le pouvoir et les privilèges des cloudalistes.

La législation antitrust a été efficace, comme lorsque [l'ancien président états-unien] Teddy Roosevelt l'a utilisée pour démanteler Standard Oil [en 1911], un monopole à travers les États-Unis, en 50 sociétés différentes, une par État. Mais comment faire avec Google et YouTube ? On ne peut pas les démanteler, car cela n'a aucun sens. En fin de compte, la question est de savoir qui en est le propriétaire. Le seul moyen de mettre fin au techno-féodalisme de manière décisive est de passer du cadre capitaliste du droit des sociétés, « Vous pouvez posséder autant d'actions que vous avez de dollars ou d'euros », à un système où chaque travailleur reçoit une action de l'entreprise dans laquelle il travaille, et vous ne pouvez pas posséder une action de l'entreprise si vous n'y travaillez pas. Il est possible de légiférer sur les sociétés autogérées et détenues par les travailleurs en un seul coup. Si l'on ajoute à cela un jury de citoyens chargé de juger des performances sociales des entreprises, on peut encore avoir des marchés, mais sans capitalisme.

Pour y parvenir, que devraient faire les syndicats ? Les considérez-vous encore comme des acteurs clés dans ce nouveau monde ?

Absolument ! Mais ils ne doivent plus se contenter du projet visant à garantir des salaires équitables. Les salaires ne peuvent jamais être équitables, quel que soit leur niveau, dans un système techno-féodal, car il existe une grande inégalité de pouvoir entre les propriétaires du capital cloud et les travailleurs. On le constate aujourd'hui dans la Silicon Valley. Il y a également de nombreux travailleurs qui ne reçoivent pas un centime pour le travail gratuit qu'ils fournissent. Ce que j'aimerais voir, ce sont des syndicats radicalisés qui revendiquent « un travailleur, un membre, une action, un vote » plutôt que des salaires équitables.

Pensez-vous que la gauche politique soit naturellement adaptée à ce nouveau monde ? Jusqu'à présent, c'est l'extrême droite qui s'est imposée. Comment inverser la tendance du techno-féodalisme ?

Primo, en sensibilisant les gens au fait que le système actuel de création de valeur et de distribution de celle-ci nous mènera à coup sûr à une fin prématurée et à une diminution constante des perspectives pour le plus grand nombre, d'une manière bien pire que dans le cadre du capitalisme.

Secundo, en montrant clairement que les technologies peuvent être améliorées massivement si elles sont socialisées. Si votre municipalité disposait de sa propre application pour remplacer Airbnb ou Deliveroo, ainsi que d'une application pour les paiements bancaires, et si des emplois de qualité étaient créés au niveau municipal pour les programmeurs chargés de créer ces applications, les avantages seraient facilement accessibles.

Tertio, en soulignant comment la concentration bipolaire brute du capital cloud entre les mains de très peu de personnes, en particulier dans la Silicon Valley et sur la côte est de la Chine, donne lieu à une nouvelle guerre froide qui pourrait très facilement déboucher sur une guerre thermonucléaire. Cela explique pourquoi les États-Unis multiplient des attaques contre la Chine. Cela n'a rien à voir avec Taïwan. Taïwan et la politique d'une seule Chine ont toujours existé. Il ne s'agit pas non plus de la montée en puissance de l'armée chinoise. C'est absurde. C'est une remise en cause de l'hégémonie du dollar par la fusion des grandes entreprises technologiques chinoises avec la finance chinoise et la monnaie numérique de la Banque centrale de Chine. La paix mondiale est donc le troisième avantage.

Considérez-vous toujours que les actions hors des parlements sont essentielles à la réalisation de ce changement ?

Rien ne remplace la construction d'un mouvement en dehors des parlements. Mais les grèves et l'action climatique nécessitent un programme qui incitera les gens à agir au niveau local, les deux doivent donc être complémentaires. Parce que vous avez maintenant un précariat massif qui est de plus en plus difficile à organiser autour des syndicats traditionnels et vous avez toute cette main-d'œuvre gratuite fournie en particulier par les jeunes, sur TikTok et Instagram. Nous devons trouver des moyens de rassembler le prolétariat, les techno-serfs et le précariat. Concrètement, il ne suffit pas que les syndicats organisent une grève dans une usine. Il faut la combiner avec des boycotts des consommateurs et des campagnes militantes basées sur le cloud simultanément.

10.04.2025 à 11:18

Si le réarmement mondial paraît imparable, il est surtout contreproductif

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Au milieu de l'incertitude qui caractérise notre époque, une tendance semble se dégager très nettement : le réarmement militaire et la hausse des budgets de défense à l'échelle planétaire. Selon un rapport, publié le 10 mars dernier, par l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) :
▪ Les États-Unis sont le principal bénéficiaire du commerce des armes. De 35 % de toutes les opérations réalisées à l'échelle mondiale entre 2015 et 2019, ils sont passés à 43 % du (…)

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Texte intégral (1421 mots)

Au milieu de l'incertitude qui caractérise notre époque, une tendance semble se dégager très nettement : le réarmement militaire et la hausse des budgets de défense à l'échelle planétaire. Selon un rapport, publié le 10 mars dernier, par l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) :

▪ Les États-Unis sont le principal bénéficiaire du commerce des armes. De 35 % de toutes les opérations réalisées à l'échelle mondiale entre 2015 et 2019, ils sont passés à 43 % du total au cours de la période 2020-2024, et comptent 41 entreprises de défense parmi les 100 plus importantes au monde. Au cours de cette même période, les États-Unis ont vendu des armes à 107 pays, se positionnant comme le premier fournisseur de 22 des 40 principaux importateurs mondiaux, avec en tête l'Arabie saoudite, qui absorbe 12 % de leurs exportations totales.

▪ Parallèlement, et comme conséquence directe de l'invasion russe en Ukraine, les membres européens de l'OTAN (23 des 27 pays membres de l'Union européenne où sont implantés les sièges de 18 des 100 entreprises les plus importantes à l'échelle mondiale) ont augmenté leurs commandes de 105 % par rapport aux cinq années précédentes. Et alors qu'en 2015-2019, 42 % du matériel provenait des États-Unis, ce pourcentage est passé à 64 % au cours des cinq dernières années.

▪ Après les États-Unis, dont les ventes ont augmenté de 21 % entre 2020 et 2024, la France occupe désormais la deuxième place, dépassant la Russie, avec une progression de 11 % par rapport à 2015-2019, ce qui lui a permis de vendre du matériel dans 65 pays et de concentrer 9,6 % du commerce mondial. Viennent ensuite, dans l'ordre, la Russie (baisse de 64 %, 7,8 % du commerce mondial et seulement deux entreprises parmi les 100 plus importantes à l'échelle mondiale), la Chine (baisse de 5,2 % et 5,9 % du commerce mondial, avec neuf entreprises parmi le top 100 mondial), l'Allemagne (baisse de 2,6 % et 5,6 % du commerce mondial), l'Italie, qui passe de la dixième à la sixième place (hausse de 138 % et 4,8 % du commerce mondial), le Royaume-Uni (baisse de 1,4 % et 3,6 % du commerce mondial), Israël (baisse de 2 % et 3,1 % du commerce mondial), l'Espagne qui, bien qu'ayant reculé d'une place, a vu ses exportations augmenter de 29 % pour atteindre 3 % du commerce mondial, et enfin la Corée du Sud, avec une hausse de 4,9 % et 2,2 % du total mondial. D'autres pays comme la Turquie (onzième place, avec une croissance de 104 % et 1,7 % du commerce mondial), les Pays-Bas (malgré une baisse de 36 %, ils représentent déjà 1,2 % du total mondial) et la Pologne (hausse de 4.031 % et 1 % du total mondial) sont en nette progression.

▪ L'Ukraine, avec 8,8 % du total des commandes, est devenue le plus grand importateur mondial de matériel de défense. Quant aux fournisseurs de Kiev, la liste compte plus de 35 pays, avec en tête les États-Unis (45 %), l'Allemagne (12 %) et la Pologne (11 %). L'Inde arrive en deuxième position (bien que ses importations aient chuté de 9,3 % au cours des cinq dernières années, elle totalise 8,3 % des commandes mondiales de matériel de défense), suivie du Qatar (qui occupait la dixième place au cours des cinq années précédentes et dont les commandes ont augmenté de 127 % entre 2020 et 2024 pour atteindre 6,8 % des importations mondiales), de l'Arabie saoudite (avec une baisse de 41 % par rapport aux cinq années précédentes, alors qu'elle était le premier importateur mondial d'armes, et une part mondiale de 6,8 %) et le Pakistan (avec une hausse de 61 % et une part mondiale de 4,6 %).

Qu'y a-t-il derrière l'intensification de la dérive militariste ?

Une interprétation hâtive de ces chiffres pourrait conduire à la conclusion qu'une telle intensification des dérives militaristes serait attribuable exclusivement au pouvoir des industries de défense, en imaginant celles-ci capables à elles seules de convaincre les gouvernements et les acteurs politiques de tous bords que la voie des armes est la plus profitable quand il s'agit de défendre leurs intérêts. Sans nier, d'aucune manière, leur pouvoir considérable et leur quête constante du profit à tout prix, cela reviendrait à ignorer de nombreux autres facteurs qui permettent d'expliquer une dynamique tendant vers une intensification encore plus soutenue.

D'une part, la poussée impérialiste qui anime tant la Russie que la Chine et les États-Unis se fait chaque jour plus visible. Dans le cas de la Russie, comme on peut le déduire directement de son invasion de l'Ukraine, il s'agirait de récupérer coûte que coûte une zone d'influence propre, tant dans son voisinage européen qu'asiatique. Pendant ce temps, engagés dans un bras de fer pour la place de leader mondial, les deux autres ne font guère mystère de leurs visées sur Taïwan, le Panama et le Groenland, respectivement. Là où le modèle de comportement de ces trois puissances se rejoint, c'est dans la tendance qu'elles ont à considérer que la meilleure façon d'atteindre leurs fins est de se doter d'un arsenal militaire toujours plus puissant.

À moindre échelle, un net penchant militariste se fait également jour chez d'autres aspirants au leadership dans différentes régions du monde, lesquels cherchent à tirer parti de l'affaiblissement des États-Unis dans son rôle de gendarme mondial.

Cet affaiblissement conduit, en effet, certains pays à croire qu'une opportunité s'offre à eux de consolider ou d'atteindre une position de leadership, qu'ils considèrent comme leur destinée naturelle. Et, suivant un schéma comportemental profondément ancré dans l'histoire de l'humanité, ils choisissent de se réarmer pour mettre au pas leurs voisins. Aussi, pour en revenir à la concurrence entre les trois grandes puissances mentionnées plus haut, n'est-il guère surprenant que chacune d'entre elles choisisse de soutenir militairement les aspirants en question, dans le but de rallier de nouveaux partenaires à leur cause face à leurs rivaux.

Entre-temps, l'affaiblissement des instances internationales de prévention des conflits violents, avec une ONU sur le déclin, suscite également une inquiétude généralisée, dans la mesure où de nombreuses moyennes et petites puissances estiment que la détérioration de l'ordre international les laisse sans défense face aux violations potentielles de leur souveraineté nationale. Une inquiétude qui débouche, à son tour, sur une nouvelle course aux armements, à l'heure où de nombreux pays, craignant de se retrouver sans défense face à une attaque violente contre leurs intérêts vitaux, cherchent à renforcer leurs capacités de défense.

Emportés par cet élan, les pays membres de l'Union européenne se fourvoient en misant sur un plan de réarmement tel que celui présenté récemment par la présidente de la Commission européenne. Que les Vingt-Sept veuillent s'émanciper vis-à-vis des États-Unis et disposer de leurs propres moyens de défense de leurs intérêts se comprend. Cependant, la voie à suivre – pour ce qui est unanimement identifié comme un projet de paix, non impérialiste – ne peut être un retour au passé. Les moyens militaires doivent être considérés comme des instruments de dissuasion et de dernier recours. Par conséquent, la voie de l'armement – qui implique également de continuer à dépendre des États-Unis comme principal fournisseur à court et moyen terme – constitue une réponse inadéquate face aux défis auxquels nous nous trouvons aujourd'hui confrontés.

D'une part, les armes ne permettent pas de déjouer les nombreuses menaces qui pèsent sur notre sécurité, qu'il s'agisse de la crise climatique ou de la montée des mouvements antidémocratiques, pour ne citer que ces exemples. D'autre part, cela impliquerait une réforme préalable de la structure politique et des processus décisionnels de l'UE afin que, conformément à tout État de droit, ces armes soient soumises à un gouvernement civil. En tout état de cause, l'Union européenne ne semble pas être en mesure de pouvoir résister à la vague militariste dans laquelle nous nous trouvons désormais empêtrés.

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