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11.09.2025 à 17:21

« Toute licence en art ! » : Trotsky, l’art et la lutte

Alice DE CHARENTENAY
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Intro Polyglotte, fin connaisseur des lettres européennes, Trotsky serait peut-être devenu un grand romancier russe en exil si l’histoire n’était venue le tirer par la manche en 1917-1918 pour mener l’Armée rouge à la victoire contre les Blancs. En 1923, la révolution a triomphé, mais il s’agit pour le commissaire du peuple aux Affaires militaires […]
Texte intégral (6974 mots)

Intro

Polyglotte, fin connaisseur des lettres européennes, Trotsky serait peut-être devenu un grand romancier russe en exil si l’histoire n’était venue le tirer par la manche en 1917-1918 pour mener l’Armée rouge à la victoire contre les Blancs. En 1923, la révolution a triomphé, mais il s’agit pour le commissaire du peuple aux Affaires militaires et navales de lutter contre la bureaucratisation de l’État. Comble : en janvier 1924, Lénine meurt. Il faut manœuvrer vite et efficacement pour circonvenir Staline. Contre toute attente dans ce contexte tactique délicat, Trotsky revient à ses premières amours, littéraires, en donnant aux arts toute leur part dans la transformation en cours. Il publie coup sur coup Les Questions du mode de vie (1923) puis Littérature et révolution (1924), où il brille par la fine connaissance qu’il a des lettres et de leur politique1. Mais le révolutionnaire intello ne célèbre pas le goût des arts comme on vouerait un culte à un capital mort pour mieux faire le malin en société : la littérature se dessine dans ces textes comme une pratique sociale dépositaire d’une conscience politique, à même de forger l’esprit d’une classe, d’une époque, et de mettre en branle l’histoire.

Après son expulsion d’Union soviétique en 1929, le révolutionnaire continue à s’intéresser à l’actualité artistique et littéraire dans des critiques souvent acerbes. Ses flèches visent non seulement les textes, leur style, les valeurs qu’ils défendent, bref, l’esthétique, mais également, et là on tend l’oreille, les structures sociales et le rôle assigné à la littérature tels qu’ils se donnent à lire au sein des textes mêmes. La critique d’œuvres devient une manière de réfléchir aux conditions de possibilité d’une littérature émancipée et émancipatrice, aux circonstances qui produisent une littérature réactionnaire ou sans force. En cela, Trotsky aborde le problème en tacticien et parfois en sociologue de la littérature avant la lettre. Jusqu’à la fin de sa vie, ces questions imprègnent son combat : depuis sa dernière retraite mexicaine, il rédige à l’été 1938 avec André Breton un programme de réflexion et d’action, le manifeste « Pour un art révolutionnaire indépendant », plus connu chez nous car publié directement en français2. Breton et Trotsky, tous deux en rupture avec le PC, font de l’art un outil de lutte contre la montée des fascismes, particulièrement habiles à en mettre plein les mirettes des spectateurs.

André Breton avec Léon Trostky au Mexique en 1938 

Un pari tentant serait de relire ces textes pour y trouver une contribution aux problèmes politiques qui animent encore et toujours notre vie culturelle contemporaine : la culture, outil irremplaçable d’émancipation ou industrie aliénée et aliénante ? Et comment rémunérer les producteurices, en particulier les écrivainEs ? Encore faudrait-il se mettre d’accord sur leur utilité. Question corolaire : que peut la littérature ? Bref, il s’agit d’aborder le travail créatif comme une question politique voire syndicale de plein droit et de regarder ce que l’élaboration d’une utopie pour la République des lettres permet de penser. La littérature doit-elle devenir un service public ou un espace de spontanéité totale ?

Rémunération

Partons de là : combien ça gagne, d’écrire ? Problème vieux comme l’écriture, peu ou prou. Rutebeuf déplorait bien sa « pauvre rente // Et droit au cul quand bise vente ». Il y a eu ceux qui ont choisi, pour écrire, de se faire courtisans. Clément Marot y insiste, trois fois de suite : « il n’est que d’estre bien couché » (sur le livre de comptes d’une princesse). Mais ça ne va pas toujours sans heurts : au XVIe siècle, l’Arioste rouspète après la pingrerie de ses commanditaires, par exemple3. Plus tard, au XXe siècle, la cour a changé de forme mais les courtisans sont toujours là, et Francis Ponge se rêve même en thuriféraire de De Gaulle comme Malherbe avait été celui d’Henri IV pour ne plus avoir à gagner sa vie hors de la poésie4. Les surréalistes quant à eux ont caressé l’idée d’être rémunérés directement par l’URSS : autant choisir le Prince qu’on chante. Et puis, deuxième école, il y a eu ceux qui ont préféré le marché pour subsister : l’invention du droit d’auteur, Beaumarchais, Balzac et la création de la Société des gens de lettres. Dans ce modèle, l’écrivain n’est plus le fonctionnaire d’un puissant, mais une sorte d’auto-entrepreneur : pondant ses œuvres qu’il valorise ensuite à coups d’interviews voire, ô Graal, en devenant controversé, il se constitue une rente. Si Zola n’a ainsi jamais franchi les portes de l’Académie française, il a vendu L’Assommoir comme des petits pains (eh oui) et en est devenu millionnaire. Image s’il en fallait du suffrage populaire, de l’adhésion des masses, qui tombait à pic en contexte républicain. Cela dit, le succès populaire a toujours attiré le soupçon. D’où un troisième modèle : celui de l’écrivain sans-le-sou, maudit et fauché, pauvre Rutebeuf, voire désintéressé de la question vulgaire de l’argent, qu’il ne gagne que dans des activités moins nobles (l’enseignement par exemple). Mallarmé n’emploie pas le terme de « putaclik » au sujet de Zola, mais n’en pense pas moins quand il confie que « La boutique accroît l’hésitation à publier ». Plus récemment, Damasio refusait que ses œuvres lui rapportent du pez. Mécénat, marché, gratuité : ces modèles agitent les débats politiques entre auteurices et suscitent des propositions variées. Il faut citer la revendication actuelle, d’inspiration friotiste, de créer un statut pour les écrivains sur le modèle de l’intermittence du spectacle, qui leur permette de gagner leur vie sans être suspendus à la loi du marché5.

Émile Zola photographié par Nadar (1898)

Anarchie dans l’encrier

            Sur cette question, le manifeste « Pour un art révolutionnaire et indépendant » de 1938 rappelle d’emblée ce qu’en pensait le jeune Marx dans les années 1840 : « L’écrivain doit naturellement gagner de l’argent pour pouvoir vivre et écrire, mais il ne doit en aucun cas vivre et écrire pour gagner de l’argent… L’écrivain ne considère aucunement ses travaux comme un moyen. Ils sont des buts en soi. […] La première condition de la liberté de la presse consiste à ne pas être un métier6». Au passage, Trotsky et Breton étendent l’idée « aux diverses catégories de producteurs et de chercheurs7», assimilant auteurs de littérature et scientifiques – ce qui ne manquera pas d’intéresser plus d’un-e de nos lecteurices. Ils s’acheminent donc bien vers un statut dans lequel les auteurices seraient recruté-es et rémunéré-es pour écrire, sans que leurs revenus ne fluctuent en fonction de leurs ventes (contrairement au marché) ni que leur soient assignées telle ou telle tâche d’écriture (par différence avec le mécénat, y compris sous la forme appelée « subventions publiques »). « Si, pour le développement des forces productives matérielles, la révolution est tenue d’ériger un régime socialiste de plan centralisé, pour la création intellectuelle elle doit dès le début même établir et assurer un régime anarchiste de liberté individuelle. Aucune autorité, aucune contrainte, pas la moindre trace de com­mandement8! » L’anarchie, donc, doit régner en art, et non la commande. Mais doit-il s’agir plutôt d’une forme d’intermittence, détachée de l’État ? Ou plutôt d’un genre de CNRS des auteurices ? D’une révolution de l’URSSAFF Limousin ? Le texte ne tranche pas.

Recruter des plumes

Et à qui cette liberté d’écrire librement doit-elle être octroyée ? Qui pourrait prétendre à être pensionné pour publier ? Lénine fustigeait en 1905 dans Que faire ? la revendication de liberté de la presse comme une revendication bourgeoise, c’est-à-dire que les bourgeois tiennent pour universelle (on les connaît) : ils réclament cette liberté parce qu’eux ont accès aux moyens du discours, et cela prime pour eux les questions matérielles. Mais en novembre 1917, c’est-à-dire en pleine révolution russe, il en alla tout autrement : il réclamait au contraire la liberté de la presse, c’est-à-dire sa libération du capital, pour permettre aux personnes les plus diverses de publier. Pour cela, il demande à ce que soit octroyé au plus de journaux possible le même accès aux ressources en papier, en encre, etc.

Dans un contexte de moindre urgence matérielle, si les auteurices vivent dans un régime de pension socialisée pour écrire tout à loisir, débarrassé-es des exigences du marché et de l’État, il faut redonner un peu de corps à ce problème de la liberté de création. Kézaco ? D’où partir pour l’écrire, cette grande œuvre qui doit révéler la société à elle-même ? Dans Littérature et révolution, Trotsky souligne que l’individu doit se laisser entièrement pénétrer et transformer par l’histoire. Alors, ce qu’il aura à écrire témoignera du mouvement social vécu comme transformation intime. Le manifeste « Pour un art révolutionnaire indépendant » libelle la chose ainsi : « Le besoin d’émancipation de l’esprit n’a qu’à suivre son cours naturel pour être amené à se fondre et à se retremper dans cette nécessité primordiale : le besoin d’émancipation de l’homme. » Sublimer la révolte contre le monde relève moins de l’effort que du cours naturel. En écrivant, en sublimant, ceux qui écrivent se débarrassent sur un plan imaginaire de leurs entraves, défoulent leur désir, et suggèrent la possibilité de changer le monde. L’emprunt à la psychanalyse est clair.

Mais tout ce qui s’écrit n’est pas pour autant intéressant : tout le monde peut devenir écrivain mais tout ce qui se publie n’est pas bon. Lorsqu’un livre passe complètement à côté de l’histoire, c’est même ce que le révolutionnaire à barbiche appelle « du zéro ». Ce n’est pas forcément nuisible, d’ailleurs. Juste inutile. Trotsky persiffle ainsi contre Anna Akhmatova ou Marina Tsvetaeva par exemple, qui écrivent sur leurs petits soucis amoureux et sur Dieu comme si la Révolution n’était pas en cours. En 1933, à la publication du Voyage au bout de la nuit, il observe la force négative du roman de Céline, manifestement imprégné de la transformation historique qu’a été la Première guerre mondiale. Mais selon lui, Céline « ne vise pas le but, pour lui chimérique, de reconstruire la société. Il veut seulement arracher le prestige qui entoure tout ce qui l’effraie et le tourmente. » Sous couvert de critiquer les institutions, l’auteur du roman conserve en fait un furieux attachement à la République bourgeoise qui l’empêche de forger un espoir au-delà de la négativité et de la déprime.

Apprendre à écrire

Se laisser transformer par l’histoire, exprimer le renversement des limites qui contiennent le sujet sont le vrai métier de l’écrivain. Mais pour y parvenir, il lui faut se former, et d’abord dominer la technique. Ici, Trotsky rompt avec l’image romantique de l’auteur inspiré et solitaire pour piocher davantage dans les représentations associées aux savoir-faire artisanaux ; pour autant, il ne promeut pas le travailleur manuel comme nouveau modèle d’écrivain socialiste. « Le seul apprentissage de la technique littéraire est une étape indispensable, et qui exige du temps. La technique se remarque de la façon la plus accusée chez ceux qui ne la possèdent pas9 Il oppose d’ailleurs « ceux qui dominent le technique » et ceux qui sont « dominés par elle ». C’est pourquoi l’écriture ne peut demeurer un loisir : elle est un travail à plein temps. Elle exige non seulement d’acquérir un savoir-faire, mais aussi, à rebours d’autres métiers, de se détourner des automatismes que les générations antérieures ont calcifiés car ils engagent avec eux des idées éculées. « La création vivante ne peut aller de l’avant sans se détourner de la tradition officielle, des idées et sentiments canonisés, des images et tournures enduits de la laque de l’habitude. […] La lutte contre la simulation dans l’art se transforme toujours plus ou moins en lutte contre le mensonge des rapports sociaux10L’écriture aurait besoin d’une forme de révolution permanente pour éviter de s’encroûter dans la bureaucratie des stéréotypes, des modes toutes faites et des constructions routinières.

Remarquez qu’il n’en va pas de même du cinéma : appréhendé comme un outil de divertissement plus que comme un art à véritablement parler, il devrait selon Trotsky se développer pour concurrencer l’église et le bistrot « sans que l’on n’exige rien du spectateur, pas même la culture la plus élémentaire11» tant il est neuf. Jugement à reconsidérer sans doute cent ans plus tard, quand le cinéma, surtout le cinéma français, a conquis sa valeur artistique notamment grâce aux luttes des professionnels et des techniciens12.

Faut-il un art prolétarien ?

S’il faut se laisser transformer pour écrire, mais que tous ceux qui écrivent ne parviennent pas à entendre l’appel à l’émancipation qui vient aussi bien de l’histoire que de leur désir propre, se dessine une question corolaire : qui devrait légitimement se consacrer à écrire ? et, en particulier, à écrire à gauche ? À droite, il n’y a pas de problème : sont légitimes ceux que fabriquent les institutions les plus puissantes pour formuler l’idéologie de la propriété privée – et qui vocifèrent régulièrement à la censure. Mais, à gauche, reproche est souvent porté contre les écrivains d’origine bourgeoise de ne pas savoir écrire le point de vue du travail, de demeurer étrangers à leur objet. Qu’est-ce que Trotsky a à dire là-dessus ?

D’abord, qu’il ne suffit pas de venir d’une classe pour produire une œuvre qui la défende. « Il serait extrêmement léger de donner le nom de culture prolétarienne aux réalisations même les plus valables de représentants individuels de la classe ouvrière. » La culture n’est pas une réalisation individuelle, « d’après les passeports prolétariens de tels ou tels inventeurs ou poètes13. » C’est un organisme, un système cohérent et créé collectivement, toujours aux mains de la classe dirigeante d’une société. En période de domination bourgeoise, les artistes prolétarien-nes peuvent s’efforcer de s’approprier le code et de l’infléchir, comme on peut s’approprier un style vestimentaire jusqu’à ce qu’il devienne naturel. Mais cela relèvera d’un travail et d’une vigilance qu’il occupera tous les soins d’un-e auteurice de naturaliser. « Comme ce serait simple si un écrivain pouvait, simplement parce qu’il est un prolétaire fidèle à sa classe, s’installer au carrefour et déclarer : « je suis le style du prolétariat14» ! » Il faut donc se garder d’encenser a priori un-e auteurice pour son origine sociale : c’est l’encourager à enfiler le code culturel en vigueur comme un déguisement, sans fournir le travail nécessaire à le porter avec naturel, à l’habiter de l’intérieur : « des poèmes faibles, et plus encore ceux qui trahissent l’ignorance du poète, ne sont pas de la poésie prolétarienne, parce que, tout simplement, ils ne sont pas de la poésie15. » Mettre à l’honneur la culture « populaire », « modeste » ou « prololotte » ès qualité manque donc une étape du processus. Évidemment que les moqueries et les violences symboliques existent contre les pratiques culturelles des classes laborieuses et qu’elles sont dégueulasses. Pour autant, il ne serait pas efficace politiquement de les comprendre comme des discriminations ou de la prolophobie. Porter aux nues les consommations de masse en rayant d’un trait de plume tout ce qu’elles peuvent charrier d’aliénation ou de conservatisme ne va pas renverser la table magiquement. Et même : « Ce n’est pas du marxisme, mais du populisme réactionnaire, à peine teinté d’idéologie « prolétarienne ». » Il faut comprendre plus profondément le lien organique entre la classe dominante et la culture dominante pour y faire effraction voire la dynamiter, en lien avec un mouvement social plus vaste. Et c’est un métier.  

À ce titre, les propositions de Trotsky nous sortent du dialogue de sourds entre l’élitisme, qui voudrait que seuls les Parisiens des Beaux-Arts créent, contre le misérabilisme, tout est de l’art tant que les artistes sont victimes de discriminations. Encore plus surprenant d’ailleurs : Trotsky refuse d’appeler à forger une culture prolétarienne, même dans l’URSS naissante. Selon lui au contraire, le but est de parvenir à façonner la culture d’une société dans laquelle l’existence des classes serait matériellement impossible et logiquement inconcevable. Et cela implique non pas de rompre avec toute tradition, qui serait nécessairement bourgeoise on ne sait pas pourquoi, mais de connaître l’histoire littéraire, d’y trouver les signes parfois très anciens de la poussée de la liberté contre la répression. Ce sont les futuristes qui appellent à rompre radicalement avec le passé, parce qu’ils s’adressent d’abord et avant tout à la bourgeoisie : nihilisme de la bohème, un peu stérile.

Certes mais si la tradition littéraire appartient à la classe jusqu’alors dominante, celle des propriétaires, comment se former à pratiquer l’art d’une future société sans classe ? Comment sublimer en communiste quand on vit sous le capitalisme, entouré d’œuvres capitalistes ? Eh bien en s’en imprégnant pour en faire autre chose, pour le réinvestir dans une construction qui conçoit l’individu et la société autrement. Pour faire un bon roquefort, il faut bien du lait et du moisi.

Antifascisme et antistalinisme

L’originalité de l’approche de Trotsky parmi les approches militantes de l’art est de ne pas réduire la question du pouvoir des œuvres à celle de leur efficacité à court terme, de ne pas exiger des œuvres qu’elles contribuent au travail militant immédiat. Jamais il ne viendrait à l’idée de Trotsky de considérer que la contribution politique de Victor Hugo gît dans l’invention du slogan « police partout, justice nulle part », que relève Nathalie Quintane dans Contre la littérature politique. Au contraire, l’art vise bien au-delà de la manif. Il faut le penser dans un temps long, dans la durée de l’histoire et non dans une inquiétude tayloriste de rentabilité rapide.

Même Maïakovski, pourtant grand propagandiste de la révolution, n’emporte pas le suffrage de Trotsky quand il s’engage dans la poésie politique : son œuvre la meilleure demeure à ses yeux Le Nuage en pantalon, un poème d’amour de 1915, parce qu’elle est la plus aboutie, la plus vive, et témoigne le mieux de la lutte du sujet contre ce qui l’opprime ; dans ses œuvres politiques comme 150.000.000, il « a quitté son orbite individuelle pour tenter de se mouvoir sur l’orbite de la Révolution16», et il y perd ce qui l’anime en propre. C’est que la réussite artistique ne réside pas dans l’exposé d’une ligne politique juste. Et même, l’accomplissement artistique prime, en art, la justesse politique.

Cette conception originale, Trotsky la défend encore dans les années 1930. L’impératif de lutte antifasciste ne doit en aucun cas pousser dans les bras de la doctrine stalinienne du réalisme socialiste, qui subordonne l’art à l’illustration de la ligne au pouvoir17. L’horizon dans lequel Trotsky situe l’utilité de l’œuvre d’art est si éloigné qu’il admet même qu’une œuvre soit opposée à la révolution : la légende veut que, lorsque Breton écrivit dans le manifeste « toute licence en art, sauf contre la révolution prolétarienne », Trotsky aurait biffé la restriction « sauf contre la révolution prolétarienne » pour ne pas limiter la « licence » par des impératifs politiques. Si l’œuvre combat la révolution, il faudra certes s’opposer à elle, par d’autres œuvres ou des moyens politiques. Mais les textes de Trotsky témoignent d’une confiance entière dans une licence qui serait, véritablement, un défoulement contre toutes les limites rencontrées par le sujet.

La conquête du sujet

Le lien entre cette liberté totale octroyée à l’œuvre et un régime anarchiste de recrutement et de formation des artistes apparaît nettement : si, pour développer les forces productives, un État est tenu d’ériger un plan centralisé, pour la création intellectuelle, « aucune autorité, aucune contrainte, pas la moindre trace de com­mandement18! » Voilà qui renvoie dos à dos le Proletkult et Goebbels. Mais cette revendication d’anarchisme porte plus loin que ce sens contextuel : il faut, au-delà de ces exemples particulièrement saillants d’enrégimentement de la culture, refuser le plan et même l’utilité des artistes dans la formation politique du prolétariat, refuser la représentation fidèle, adéquate, de la réalité. Au contraire d’une vision collective, essentielle dans le socialisme depuis ses origines, Trotsky revendique la permanence de l’individu, du sujet, chèrement acquise par la bourgeoisie, et ce en tout premier lieu sur le terrain culturel. Le communisme, oui, mais hors de question de lâcher le sujet ! Ne serait-ce que parce que son émancipation par la sublimation est l’image même de la révolution. Le sujet, c’est l’échelle véritable à laquelle puisse s’écrire une lutte contre des chaînes imposées de l’extérieur. La révolution, c’est plus que de la politique : de la psychanalyse et de la métaphysique tout à la fois. Le lien avec le surréalisme, dont soit dit en passant le centenaire occulte largement la composante antifasciste, allait de soi.

            Cette affirmation du sujet n’a pourtant rien à voir avec l’individualisme libéral. Elle se définit plutôt comme un préalable à l’union. Si Trotsky et Breton ne sont pas parvenus à définir de ligne commune claire, leur manifeste de 1938 se clôt sur un appel à former des fédérations, des revues, des entreprises collectives où se réuniront des sensibilités singulières. La leur sera la Fédération Internationale de l’Art Révolutionnaire Indépendant (la FIARI), portée par la revue mensuelle Clé. L’expérience ne dura pas, la guerre y mettant un terme. Il n’empêche que la proposition, dans les rangs de ceux qui s’intéressent à la littérature et à la révolution, mériterait d’être ravivée tant l’envie de se diviser y brûle d’un feu hélas plus vif que celle de se fédérer.

Francis Bacon, L’assassinat de Trotsky (1986-87)

  1. Ces textes ont été plutôt occultés du fait d’une histoire éditoriale complexe : Littérature et révolution par exemple n’a pas été traduit en français avant 1964, c’est-à-dire après la chute du stalinisme, et a connu fort peu de rééditions depuis. L’histoire du texte et de son occultation est pointée par la préface de Maurice Nadeau à la première édition chez Julliard en 1964. Les positions de Trotsky étaient donc méconnues lorsque s’expriment, sur les problèmes similaires du rôle révolutionnaire de l’écrivain ou de sa subsistance, des théoriciens comme Sartre ou Goldmann. ↩
  2. Nota bene : le texte est signé André Breton et Diego Rivera, mais émane en réalité d’un dialogue Breton/Trotsky. ↩
  3. Voir la communication d’Adrien Fischer au colloque Historical Materialism Paris le 28 juin 2025, « La valeur comme nouvel évangile dans le Roland furieux de l’Arioste : un exemple de pensée bourgeoise critique dans la poésie du XVIe siècle ». ↩
  4. Francis Ponge, Pour un Malherbe, Gallimard, 1965. ↩
  5. Pour un récapitulatif moins grossier de ces débats, voir, pour la question de la rémunération de la poésie, l’exposé d’Antoine Poisson au SLAC du 7 février 2025, « “Entreprise Production de Poèmes” : les avant-gardes poétiques et l’argent », et, pour les débats contemporains, l’ouvrage de Justine Huppe, La Littérature embarquée, Amsterdam, 2023. ↩
  6. Débats sur la liberté de la presse. In Karl Marx, Œuvres III, NRF la Pléiade, Paris, 1982, p. 190-191. ↩
  7. André Breton et Diego Rivera, « Pour un art révolutionnaire indépendant », 1938. ↩
  8. Idem ↩
  9. Littérature et révolution, chapitre VI. ↩
  10. « Céline et Poincaré », 1933, critique republiée par Contretemps en 2022, à l’occasion de la publication du roman alors inédit de Céline, Guerre. ↩
  11. Les Questions du mode de vie, « La vodka, l’église et le cinématographe ». ↩
  12. Voir Samuel Zarka, Ces invisibles qui font le cinéma. Equipes, métiers, monde professionnel, PUF, 2025. ↩
  13. Littérature et révolution, chapitre VI. ↩
  14. Littérature et révolution, idem ↩
  15. idem ↩
  16. Littérature et révolution, chapitre 4. ↩
  17. Doctrine du réalisme socialiste adoptée en 1934 par le 1er congrès de l’Union des écrivains soviétiques : « Le réalisme socialiste, étant la méthode fondamentale de la littérature et de la critique littéraire soviétiques, exige de l’artiste une représentation véridique, historiquement concrète de la réalité dans son développement révolutionnaire. [Elle doit] se combiner à la tâche de la transformation et de l’éducation idéologiques des travailleurs dans l’esprit du socialisme. » ↩
  18. « Pour un art révolutionnaire indépendant » ↩

04.09.2025 à 19:22

Évanouis (Weapons) : l’horreur désarmée

Nicolas VIEILLESCAZES
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Tout en discontinuités, Évanouis s’apparente à un collage de courtes phrases unifiées par un sujet grammatical. Justine écoute. Justine parle. Justine achète de la vodka. Justine boit. Justine dort. Justine surveille. Justine rêve. Justine re-boit. Etc. Ce principe se décline à l’échelle des plans, entre lesquels l’écart est souligné par un abrupt renversement d’angle ou […]
Texte intégral (3208 mots)

Tout en discontinuités, Évanouis s’apparente à un collage de courtes phrases unifiées par un sujet grammatical. Justine écoute. Justine parle. Justine achète de la vodka. Justine boit. Justine dort. Justine surveille. Justine rêve. Justine re-boit. Etc. Ce principe se décline à l’échelle des plans, entre lesquels l’écart est souligné par un abrupt renversement d’angle ou par un contraste sonore, et dans la structure épisodique du film, où les séries d’actions sautent d’un sujet, ou d’un nom propre, à l’autre : après Justine, Archer, Paul, Marcus, James, Alex, la caméra collant au protagoniste de l’épisode pour fabriquer du point de vue. Dans la pure tradition de ce que Jean-Patrick Manchette appelait le style béhavioriste, les personnages se résument à ce qu’on les voit faire, petites machines répétitives dont l’addiction de James, sa vie entièrement vouée à la came, fonctionne comme une allégorie d’ensemble.

Josh Brolin, Austin Abrams, Alden Ehrenreich et Julia Garner dans Évanouis (Weapons) de Zach Cregger

Zach Cregger, donc, juxtapose. Si l’on voulait donner dans le lyrisme, on dirait : des solitudes. Un bref plan traduit la béance qui s’est creusée entre les parents de Matthew ; il faut que Justine soit bien désœuvrée pour rechercher la compagnie de Paul. Le film n’a toutefois rien de métaphysique. Il décrit d’abord des personnages abandonnés à l’inertie et pour lesquels il ne peut y avoir de rencontre qu’infructueuse ou malheureuse. La stéréotypie des lieux, réminiscence de John Carpenter, consonne avec ces existences sans désir ni qualité particulière – l’école, la station-service, la boutique de la station-service, le commissariat, le bar, sans oublier les indispensables pavillons plus ou moins cossus, qui contrastent avec le délabrement du centre-ville.

Inutile de préciser que l’Événement – la disparition de dix-sept enfants une nuit à 2 h 17 – n’a rien fait bouger. Le film part d’ailleurs de là : un événement incompréhensible s’est produit, rapidement enseveli sous l’ordinaire. Ici, il ne peut rien se passer, sauf si le hasard s’en mêle, et si, par exemple, Archer croise Justine à la station-service, quelques instants avant qu’elle ne se fasse agresser par un Marcus ensorcelé, programmé selon un autre schéma de répétition, comme le sera plus tard James, dans le célèbre rôle du sparadrap du capitaine Haddock. À travers ces existences isolées, subies ou agies, et plus encore quand entre en jeu le thème de l’envoûtement ou de l’action à distance, Cregger met en scène un monde d’où a disparu jusqu’au souvenir de la praxis.

Faire et défaire son genre

Pour un film dont on attend de l’horreur, il y a là quelque chose de déroutant. Avec sa structure épisodique, il inverse les rapports génériques habituels entre figure et fond, récit et atmosphère. D’ordinaire en effet, la peinture de la vie sociale a valeur de toile de fond, qui contraste ou s’harmonise avec l’intrigue proprement dite. Dans Les Dents de la mer (Jaws,1974), Steven Spielberg soulignait à la fois l’homologie et l’écart entre la crise produite par l’irruption du requin et le quotidien de la décomposition sociale, les querelles de clocher, la misère des petits intérêts privés ; La Nuit des morts-vivants (Night of the Living Dead, George Romero, 1968) utilisait l’épidémie de zombies pour faire apparaître une société fondée sur des rapports d’oppression, patriarcale et raciale en particulier. L’horreur ne se prive évidemment pas de prendre en charge un matériau social, mais, comme le polar, elle ne peut le faire qu’en douce, en le représentant sous une forme figurale ou latérale, opération ambiguë puisqu’elle atténue, voire réocculte, la violence de cela même qu’elle voudrait faire apparaître, tandis que l’attention des spectateurices, tout entière tendue vers les violences bien plus spectaculaires de l’intrigue principale, néglige ce type de détail. D’un autre côté, n’est-ce pas le seul moyen de rendre le contenu sociopolitique acceptable et consommable par un public post-idéologique ?

Dans Évanouis, c’est donc sur l’horreur que porte l’opération de latéralisation. Bien que Cregger préserve la gradation indispensable à ce cinéma – des coups frappés à la porte de Justine à la débauche finale de gore –, ainsi que ses passages obligés, à commencer par la satire institutionnelle (le directeur d’école avant tout soucieux d’éviter les ennuis, la course-poursuite à l’échelle d’un pâté de maisons, la bêtise du flic Paul, les statuettes et photos de cow-boys dans le bureau du chef de la police), il s’applique aussi à les mettre en sourdine, à les différer, ou plutôt à les réserver, interrompant par exemple une action en plein cours pour n’en déplier que plus tard les tenants et aboutissants, sous un angle différent, au terme de la trajectoire d’un autre personnage. Jouant beaucoup sur l’incertitude générique, il nous entraîne loin des territoires de l’horreur. Loin aussi de cette elevated horror qui depuis quinze ans laboure les sillons du traumatisme intime avec un sérieux de cadavre. D’emblée séduisent son ironie, ses fréquentes ruptures de ton et de cadre. Au cours d’une réunion publique, des parents accusent l’institutrice d’avoir enlevé leurs enfants. Nos attentes, alors, se précisent : on s’intéressera aux tourments de Justine, on compatira avec les parents, on suivra les développements de l’enquête, on baille déjà d’ennui. Il n’en sera rien. De même, le départ en masse des enfants a l’aspect d’une libération. Le seul épanchement sentimental du film – en rêve, Archer déclare son amour à son fils – est immédiatement neutralisé par un jump scare1, quand apparaît le visage peinturluré de Gladys, lui-même neutralisé par l’hilarant « What the fuck? » lâché par le personnage à son réveil.

Amy Madigan dans Évanouis (Weapons)

Autour de l’horreur

Cregger a-t-il voulu faire « plus que du cinéma d’horreur », comme la critique bourgeoise, qui n’y connaît rien, aime à le dire à chaque fois que sort un clinquant bibelot ? Certainement pas. C’est à l’évidence un honnête homme, qui connaît ses classiques et prend son genre au sérieux. Il fait sienne la logique de variation dans la répétition à laquelle obéit n’importe quelle production générique : il faut donner au public la même chose ; il faut lui donner autre chose. Malheureusement, à force de s’éloigner de l’horreur, le film ne retrouve plus son chemin. Et, si Cregger sait surprendre, s’il sait même produire des images stupéfiantes (le gigantesque fusil mitrailleur flottant au-dessus de la maison dans le cauchemar d’Archer, les enfants « faisant l’avion » au moment où iels quittent leur maison), il se révèle moins habile lorsqu’il s’agit d’inverser les polarités, de glacer le sang ou simplement de susciter le sentiment du danger. Deux moments de sadisme dont n’importe quel tâcheron aurait fait des morceaux de bravoure tombent à plat, à défaut d’avoir la durée et la densité adéquates, ou parce que leur auteur a du mal à se départir d’un sourire en coin. Dommage, car la seule scène d’horreur réussie mérite de figurer dans les annales du genre : le plan séquence filmé depuis l’habitacle de la voiture où Justine est endormie.

Pour l’essentiel, Cregger innove autour de l’horreur, pas dans le genre lui-même. Sa force est également sa faiblesse. En organisant son récit autour d’individus quasi autonomes, il perd de vue l’ensemble ; en mettant au premier plan les tout-puissants automatismes d’une vie quotidienne aussi dénuée de signification ou d’orientation que l’est apparemment la disparition des enfants, il escamote l’antagonisme qui devrait constituer son axe principal. L’horreur, en effet, ne se résume pas à des scènes terrifiantes ou violentes ; elle doit d’abord faire exister une dualité fondamentale qui reconfigure le monde autour d’un rapport ami-ennemi. Or, autant Évanouis voudrait rendre palpables la méfiance, la suspicion, la tension, la paranoïa, la fragmentation qui règnent à une échelle collective, autant il peine à leur donner une consistance dramatique, de sorte qu’au moment où son antagonisme central se forme narrativement, dans les deux derniers épisodes, il fait presque l’effet d’un ajout superfétatoire, plus encore parce que Cregger ne sait pas tirer parti du choc esthétique produit par la juxtaposition du réalisme et du conte. Too little too late.

Ma sorcière bien-aimée

Dans l’injustement méconnu Sous-sol de la peur (The People Under the Stairs, 1991), qui me semble être le principal modèle d’Évanouis, Wes Craven avait raconté, à la manière d’Hansel et Gretel – un couple d’ogres kidnappeur d’enfants –, une fable sur la gentrification, la spéculation immobilière et les oppressions de classe et de race qu’elles renforcent. Là où le film de Craven assumait un caractère direct, binaire, puéril et grand-guignolesque pour traiter d’un phénomène « plus compliqué que ça », celui de Cregger tente de masquer ses faiblesses et ses incohérences dans son humour efficace, la virtuosité de sa forme et les cailloux de sens qu’il sème au petit bonheur.

Comme s’il anticipait cette critique, le cinéaste déclarait dans un récent entretien au Monde : « Ne cherchez pas de message dans mon film : il n’y en a pas ! » Personne, cher camarade, ne réclame une thèse. Mais supposons que les productions génériques s’étalent sur un spectre. À un pôle, on aurait celles qui, considérant leur genre comme un jeu formel, mettent l’accent sur la surprise ou le divertissement (une éviscération sublime, un plot twist renversant) et relèvent de la pure autotélie ; à l’autre, celles que j’évoquais plus haut, qui cherchent à rejoindre notre monde en prenant le cadrage générique pour véhicule. Elles n’ont pas de message à transmettre, mais des contradictions sociales à aiguiser (l’horreur, à la différence du premier politicard venu, n’est pas « porteuse de solutions » – enfin si : tout détruire).

C’est ce que fait un autre film d’horreur sorti cet été, Substitution (Bring Her Back, Danny et Michael Philippou, 2025), qui prend à bras le corps la domination adulte, totalement possédé par la logique de son matériau. Cregger, lui, aspire à occuper toutes les positions du spectre, et au-delà (par où l’on revient à l’elevated horror). En définitive, il ricane, fait le beau et se félicite : le bienheureux homme ne pense rien de rien. Oh, bien sûr, les quelques signaux qui lui parviennent, très filtrés, du monde extérieur, il s’emploie à les intégrer tant bien que mal. Il signifie qu’il aurait pu traiter de l’exploitation des enfants (les « armes » évoquées dans le titre original, je suppose), de la même façon que, dans Barbare, il signifiait qu’il avait entendu parler de l’oppression des femmes en s’adonnant à ce nouveau sport à la mode, le virtue-signalling2. Néanmoins, parce que l’idéologie est ce qui nous agit à notre insu, on a beau chasser le sexisme par la porte, il reviendra par la fenêtre. C’est fatal. Il n’en va pas autrement dans Évanouis. Le fin mot de l’histoire, la cause qui unifie l’ensemble, sont si consternants que l’on comprend qu’il ait fallu les dissimuler le plus longtemps possible. En ce sens, Cregger se révèle bien plus attaché qu’il n’en a l’air à certaines habitudes du cinéma d’horreur. Audacieux jusqu’au bout, il ressuscite le psycho-biddy ou la hagsploitation3[3]pour offrir aux enfants du monde cette impérissable leçon : la vieille harpie, voilà l’ennemie !

Pour Prolonger

Voir notre émission consacrée au cinéma d’horreur, où Nicolas Vieillescazes était l’invité de Guillaume Orignac : La javel ou la crasse : voyage dans le cinéma d’horreur contemporain

  1. Procédé consistant à surprendre pour effrayer. ↩
  2. Attitude qui consiste à faire la leçon aux autres tout en faisant l’étalage de sa propre vertu. Elle se cultive dans certains secteurs de la gauche, quelques rédactions en ayant même fait un fonds de commerce. ↩
  3. Sous-genre mettant en scène une femme âgée dominatrice, abusive, voire démoniaque. ↩

31.08.2025 à 18:30

L’auteurisme est-il devenu un truc de décorateur d’intérieur ?

Murielle JOUDET
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A propos de Valeur sentimentale (Joachim Trier) Je suis à peu près certaine que ça doit être hyper bien décoré chez Joachim Trier. Les bons bouquets de fleurs délicatement fanés dans les bons vases, les bons meubles, un mélange de récup’ et de pièces design mêlant toutes les périodes. Les bons vinyles, la bonne vaisselle […]
Texte intégral (4560 mots)

A propos de Valeur sentimentale (Joachim Trier)

Je suis à peu près certaine que ça doit être hyper bien décoré chez Joachim Trier. Les bons bouquets de fleurs délicatement fanés dans les bons vases, les bons meubles, un mélange de récup’ et de pièces design mêlant toutes les périodes. Les bons vinyles, la bonne vaisselle dépareillée. Quand je tombe sur une brocante, ce sont les vestiges de ce monde-là que je recherche, que je pourrais emporter dans mon appartement simili-intello. Sauf que, dans les brocantes, je ne sais pas négocier les prix de cette camelote souvent hors de prix. Et puis, à quoi ça sert d’avoir la bonne tasse, le bon service à thé, si on n’a pas le bon appartement qui va avec ?

Je suis très sensible au bon goût bourgeois, qui est forcément devenu le mien, mais je ne suis pas sûre que ça passe au cinéma. Selency [brocante en ligne et parangon du bon goût vintage], c’est bien pour les canapés et les guéridons, un peu moins pour les films, me disais-je devant Valeur sentimentale, dernier film de Joachim Trier, cinéaste de l’aphasie post-bergmanienne traitée au Lexomil et des nausées sartriennes égarées au milieu du mobilier nordique. Un cinéaste, surtout, sans qualité ni talent particulier, ou d’un talent qu’on confond très souvent avec une manie qui intimide et édifie encore une frange du public. Elle consiste à reconduire indéfiniment, film après film, la conscience que ses personnages ont de la sophistication de leurs affects, de leur histoire, de leur passé et de leur mode de vie. Et, par contamination, cette conscience permet au public de se sentir sophistiqué.

Stellan Skarsgård et Renate Reinsve dans Valeur sentimental de Joachim Trier

Le raffinement de l’angoisse

Je sais que je dois faire attention à l’éternelle antienne sur le « cinéma bourgeois qui se regarde le nombril ». Le début de mon texte ressemble à ça, à un couplet souvent énoncé par des gens qui ne vont plus au cinéma, à qui manquent souvent la précision et la réactualisation de leurs préjugés. Ils s’attaquent souvent très mal à ce cinéma aux contours indéfinis, parce qu’ils savent qu’ils n’ont pas besoin d’être très rigoureux pour faire cette critique, que les gens adhèrent d’emblée, se contentant de rappeler des lieux communs mâtinés de fantasmes, et concluant en renvoyant tout le monde à une sorte de relativisme esthétique. Je garde un souvenir vivace de la lecture de Qu’est-ce qu’un bon film ? de Laurent Jullier1, qui fantasmait un milieu critique se pâmant devant des « courts-métrages coréens » pour ensuite faire des dîners en ville avec les réalisateurs qui avaient commis ces films. Sa conclusion disait en substance : Antonioni ou Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, c’est kif-kif dans le royaume enchanté du relativisme esthétique. Chacun ses goûts, mais surtout pas celui de la Critique.

Alors, qu’est-ce qu’on peut encore dire d’intéressant sur ce cinéma et qui ne relève pas de la démagogie aveuglée, imprécise ? Et qu’est-ce qu’on peut encore dire qui n’aurait pas déjà été dit ? On pourrait remonter à ce que Pasolini écrivait sur La Notte (1961) d’Antonioni, et s’arrêter là tellement tout s’y trouve : « Le public bourgeois moyen, et aussi nombre d’intellectuels, se reconnaissent plus dans La Notte que dans L’Ennui [de Moravia]. (…) Ils sentent que les personnages purement angoissés de La Notte reflètent mieux leur désir essentiel de ne pas affronter de problèmes rationnels, leur refus de toute forme de critique, et la profonde satisfaction qu’ils éprouvent à vivre dans un monde certes angoissé, mais que sauve à leurs yeux le caractère raffiné de leur angoisse. »

Qu’écrire après ça ? Puisque, plus de soixante ans après, un pan de l’auteurisme s’ébat encore dans le raffinement de ses angoisses – il faut préciser ici que le cinéma dit « engagé », rendant compte de « l’état du monde », ne procède en aucun cas de la tendance adverse, c’est l’avers et le revers d’une même tendance. Comme l’intérieur a besoin de l’extérieur pour exister.

Ce que j’ai pensé de Valeur sentimentale, je l’avais déjà pensé devant L’heure d’été (2008) d’Olivier Assayas. Film dont je ne me rappelle plus grand-chose, si ce n’est que l’épreuve ultime que devaient traverser les personnages consiste en la vente de la maison familiale qui réunissait toute une fratrie. Partage de l’héritage, réveil des vieux griefs enfouis, passé qui remonte. Voilà ce qui fait fiction, scénario, film. Et puis la maison, alpha et oméga de ce cinéma. Cette maison pleine de souvenirs, de rires, de larmes, d’objets – fardeau terminal. Objets, maisons et passés qu’on nous dépeint comme encombrants : alors qu’ils sont, en fait, le bien le plus précieux de ces gens-là, précisément ce qui va leur permettre de capitaliser artistiquement, d’envahir le champ culturel. Objets honnis-chéris. Plus de 20 ans après, Valeur sentimentale, faisant de la maison le personnage à part entière, doté de sentiments et qui s’offre l’honneur d’un long exposé, raconte sensiblement la même histoire: la fiction, c’est le temps que prend une maison pour se vider et se revendre.

L’auteurisme comme exploitation de la valeur sentimentale de ses modèles

On a le droit de parler des maisons qui se revendent, et la bourgeoisie au cinéma n’a jamais été un problème. Si c’était le cas, on perdrait des centaines de chefs-d’œuvre et autant de cinéastes importants. Le problème, c’est peut-être celui d’un certain cinéma contemporain, qui me fait toujours poser une question, qui revient tout le temps : pourquoi je suis en train de suivre ces personnages ? Pourquoi on estime qu’ils sont dignes d’être projetés sur un grand écran, pendant deux heures, et qu’on reste silencieux devant leur vie, leurs tourments ?

Cette question était revenue m’assaillir devant le dernier film d’Emmanuel Mouret, Trois amies (2024), cinéaste capable de très belles choses, absentes de ce film-ci. Je vais le dire très simplement, presque bêtement : je ne comprends plus pourquoi on fait des films sur des personnages qu’on ne prend même pas la peine de faire vivre, et de faire vivre profondément. Pourquoi on les balance comme ça, à peine esquissés, fades, médiocrement écrits et joués. Je ne comprends pas et c’en est presque violent, ce cinéma qui me dit : la version la plus pâle de ces gens-là est encore cinématographiquement, artistiquement intéressante. Dans Trois amies, Mouret filme des profs, joués par des stars. A priori ce n’est pas un problème, si le cinéaste prend la question de la vraisemblance et de l’incarnation à bras le corps en travaillant avec les acteurs, mais aussi avec le chef déco, le chef costumier. S’il se dit à un moment : Camille Cottin, star Nespresso, c’est peut-être pas follement crédible en prof mais on va y arriver. A voir le film, Mouret n’a jamais vu le problème.

Ensuite, il filme des profs qui vivent dans des grands appartements qu’a priori ils ne pourraient pas se payer – en fait, les appartements sont plus proches de ceux que pourraient avoir les acteurs, c’est peut-être ça l’idée. J’ai l’impression que le film avoue une chose : que tenter d’insérer une poignée de profs dans un environnement crédible, ce serait faire perdre à la fiction son principal attrait : celui de contempler la valse des sentiments tournoyer au milieu des mètres carrés. Je ne dis pas que Mouret doit s’obséder pour le prix exorbitant des loyers à Lyon. Je dis juste : il a un rapport complètement enfantin et puéril au réel qui ne m’intéresse pas et qui est indigne d’un artiste.

Agrégat clignotant de signes culturels

L’argument des grands appartements a toujours un fond démago s’il n’est pas précisé. Il faut aller plus loin, pour dire : je pensais que le travail d’un cinéaste consistait à conscientiser un maximum d’éléments de la réalité, à faire passer un maximum de ces éléments par le tamis d’une conscience, d’une vision, d’un style. Que tout l’impensé et l’informe du monde deviennent alors du pensé, du conscient, du commenté : les manières de vivre, de sentir et de se vêtir, de s’exprimer et de travailler. Mais le cinéma actuel a l’air condamné par une chose : son incapacité à penser les choses, les existences de leurs personnages au-delà de leur aura culturelle, de l’art de vivre qu’il promeut, de la signalétique qu’il réactive.

Cette déréalisation de la vie au cinéma provoque chez moi un sentiment tenace : le cinéma d’auteur est devenu un immense parc d’attractions qui ne fait que nous offrir la simulation d’une expérience de cinéma, un agrégat de références, de clignotements culturels qui renvoie à un “savoir-faire” qui a existé mais qui n’existe plus. En ce sens, le cinéma d’auteur n’est souvent que nostalgie provoquée par des contrefaçons, et reconnaissance à l’égard de ces contrefaçons, à qui nous disons : merci de nous rappeler le goût des grands maîtres, même si vos films sont des arômes chimiquement reproduits. Mouret n’a d’intérêt que par rapport à Woody Allen: il reconvoque et exploite sa “valeur sentimentale”. Pareil pour Trier par rapport à Bergman.

Depuis quand la mise en scène n’est plus une conscience de la vie et de ses coordonnées? La mise en scène n’est pas une somme d’effets sur le spectateur, c’est tout ce qui passe devant la caméra, c’est tout le monde embrassé, métabolisé, par un regard, et qui ne mépriserait aucun des éléments de cette réalité. Ce ne sera jamais le grand appartement le problème. Mais l’impensé du grand appartement qui nous dit, “je n’ai pas réfléchi à où mon personnage habitait”, c’est un décor par défaut, indiscutable, inamovible. Le papier peint sur fond duquel se dessinent et se dessineront toujours ces fictions d’auteur.

La science-fiction bourgeoise

Mais retour à Valeur sentimentale. J’avais envie de dire à Trier : ta comédienne névrosée (Reinate Reinsve), je la connais. Ton cinéaste sous-bergmanien vaguement odieux, je le connais. Je les ai vus ailleurs, en mieux. J’ai vu Mia Farrow chez Woody Allen, reine des zinzins, hystérique (c’est le mot), qui pleure pour un rien et qui ne sait pas pourquoi elle pleure, qui a l’air de porter les traumas d’une autre, de sa mère, de sa grand-mère, de l’histoire des femmes. Dans September (1987), dans Une autre femme (1988). J’ai vu Gena Rowlands qui n’arrivait pas à monter sur scène dans Opening Night (1977). J’ai vu les traumas intergénérationnels, le passé qui bloque, le cinéma qui répare, les films dans le film. Maison à vendre, maman morte, papa absent, art-thérapie-consolation. Héritage, poids du passé, patrimoine. J’ai vu tout ça, en mieux, et j’ai compris. Ça m’intéresse encore, un peu moins sans doute, mais en tout cas, pas à n’importe quel prix.

En 2025, il faut absolument faire autre chose avec tout cela, j’ignore quoi, mais surtout pas ce que fait Trier, c’est-à-dire filmer des gens qui sont là comme les arbres et les maisons, comme le papier peint.

Je me souviens de France (2021) de Bruno Dumont, de la manière dont le cinéaste saisissait la vie privée de l’héroïne incarnée par Léa Seydoux, journaliste sur une grande chaîne d’informations en continu : le mari-vampire (Benjamin Biolay), l’immense appartement filmé comme l’antre de Nosferatu, l’enfant éduqué du bout des doigts. Un monde glacé, zombifié d’avoir été tant filmé, d’avoir été là depuis si longtemps, mort intérieurement et ignorant de l’être. Dumont, impitoyable avec eux. C’était peut-être le début d’une réponse. À l’inverse, Trier ne montre jamais que ses personnages sont piégés, complaisants avec cette petite marmite de névroses sans âge. Il ne dit pas ce qui saute aux yeux : que ses personnages confondent leur passé avec de la profondeur, qu’ils le scrutent pour ne pas voir les gens insupportables qu’ils sont devenus. La fonction du film consiste alors à nous demander de renouveler une énième fois notre empathie pour des gens qui ne nous intéressent plus.

Il n’y a jamais de mauvais sujets, juste des mauvaises manières de faire. J’ai revu récemment Comment je me suis disputé (1996), prête à trouver ça pas loin de l’insupportable, mais le film est plus intelligent que tous les préjugés sociologiques qu’on emporte avec soi. La puissance des premiers films d’Arnaud Desplechin, celle de ceux de Woody Allen, quand il se fait le sociologue de l’élite intello new-yorkaise, c’est qu’ils semblent filmer quelque chose qu’ils n’épousent pas tout à fait mais qui les fascine : ils filment un Grand Autre, aussi désirable que parfaitement monstrueux. Leur charme procède des mêmes raisons pour lesquelles ces gens-là nous irritent. Alors je ne sais pas ce qu’est un personnage digne d’être suivi, mais il me semble qu’il doit y avoir un principe de base, celui du donnant-donnant. Ok pour suivre tes normaliens hystériques, mais à la condition qu’il y ait quelque chose qui les fasse passer dans la folie de la fiction. Je dirais même, dans la science-fiction.

Internationale tisanière

Joachim Trier ne se pose jamais la question de cette alchimie, de ce passage dans autre chose. Il se contente de la version délavée de ce monde-là. C’est-à-dire qu’il n’opère pas un travail de forme ou de caractérisation, quelque chose qui nous montrerait qu’il essaye de nous convaincre que ces gens-là méritent encore notre intérêt. Il nous dit : même la version fadasse de ces gens-là suffit à justifier un film. Prenons le cinéaste incarné par Stellan Skarsgård. Il ne tombe d’aucun côté : il n’est ni génial, ni tyrannique. Il se réduit à une signalétique : croyez-moi, ce vieux monsieur est un grand cinéaste, rappelez-vous des centaines de vieux messieurs intellos que vous avez vus dans des films. Pas besoin de vous faire un dessin, ni un film. Le personnage ne dit jamais rien d’intéressant sur son art, il a juste cette phrase, que j’ai notée en pleine séance : « Les artistes sont devenus tellement petits-bourgeois. On n’écrit pas Ulysse quand on gère le foot des mômes ou l’assurance de la bagnole ». C’était le début de quelque chose, finalement avorté, inexistant – la phrase passe comme un bon mot que personne ne relève. Si un ami me disait ça, on serait parti pour trois heures de débats et d’engueulades arrosés, qui seraient bien plus intéressants que n’importe quelle séquence de Valeur sentimentale – qui prétend parler d’art, mais qui ne parle que de fonction sociale et de maison à vendre.

On sent aussi que Trier, dans sa grande tempérance réconciliatrice, ne veut pas aller du côté de Metoo, ne veut pas filmer un artiste violent, tyrannique, venu du vieux monde, une sorte de Bergman complètement dictateur qui serait observé depuis le regard de ses filles. Trier ne veut pas y aller, ce serait trop de travail, un autre film, ça ne viendrait pas réconcilier les deux parties de son public :  celui qui se plaint des outrances de Metoo, et celui qui attend que la fiction parle de ces artistes abuseurs qui n’ont jamais fait leur examen de conscience. Le film se trouve pile au milieu de ces deux tendances, là où se trouve le fauteuil de Leïla Slimani – membre du jury du dernier festival de Cannes, où le film a eu le Grand Prix, sans grande surprise. Certes, Trier a le droit de ne pas être Bergman, tout le monde n’a pas envie de réaliser Sonate d’automne (1978), et puis on en a soupé de ce cinéma de la cruauté. Du coup, on se tape les interminables mièvreries de l’art qui console, qui répare. L’internationale tisanière.

Trier esquive d’ailleurs beaucoup de choses : il s’arrête pile au moment où il faut passer aux choses sérieuses, où il ne s’agit plus de glisser sur du papier glacé. J’en veux pour preuve son recours abusif de l’ellipse. Que raconte au public un vieux cinéaste qui revoit un de ses films après tant d’années ? Que raconte ce même cinéaste à une star hollywoodienne ? Ça ressemble à quoi, la drague professionnelle sur une plage, le soir, à Deauville ? Réponse de Trier : ellipse, ellipse, ellipse. Signalétique, chic à tous les étages. Champagne sur la plage au soleil levant. Robe de créateur. Le cavalier et son cheval qu’on arrête pour raccompagner l’actrice à son palace.

Stellan Skarsgård et Elle Fanning dans Valeur sentimental

Les objets, plus vivants que les vivants

Autre chose. Dans le film, le cinéaste prépare un film produit par Netflix. Qui peut d’ailleurs croire qu’un auteur norvégien de 70 ans, qui n’a pas fait de films depuis 15 ans, va signer avec une plateforme – je veux dire, que cette plateforme ait le désir de ce cinéaste ? Et qui peut croire que le tournage d’un film pour Netflix se passe comme un tournage d’un film de Bergman ? Là encore, l’imprécision absolue de Joachim Trier prouve que ce ne sont pas ces scènes, la matière même des situations, qui l’intéressent. L’essentiel se trouve ailleurs, dans le chic des situations. Pourquoi Trier ne détruit-il pas Netflix, qui est tout ce que son cinéma devrait détester ? Réponse évidente : parce qu’utiliser la marque Netflix dans un film vous empêche de critiquer Netflix. Du coup, je ne sais pas de quoi parle le film, parce que le film n’a pas de Grand Autre, d’Ennemi. Il n’a même pas de sujet, en dehors du grand mouvement de restauration morale de ces gens qui ne se regardent même plus, mais qu’il nous faut supporter.

Alors, qu’est-ce que Joachim Trier leur trouve ? Eh bien, leur goût. Vraiment un très très bon goût, à commencer par Trier, qui sait choisir ses actrices (très belles), ponctuer une scène de la bonne musique, passée au bon moment. Il ne commet jamais l’erreur de passer tout le titre en question, juste un petit bout. Le bon goût qui, le film en est la preuve, a remplacé la beauté, la sensibilité. La décoration intérieure qui a remplacé la mise en scène, et même les affects. La mère, ramenée à un beau vase. Le bric-à-brac du bon goût de la mère. Et Trier, jamais moraliste, est d’accord avec tout cela, coïncide absolument avec ce fétichisme des objets, cette joie d’être toujours du bon côté des apparences. Si les personnages sont, dans leur absence d’allant, leur médiocrité et leurs prévisibles chouineries, des photocopies de photocopies, les objets, eux, triomphent, scintillent, ordonnent la mise en scène et vendent un art de vivre à la Trier. Plus vivants que les vivants.

J’en veux pour preuve la fin: les tensions résolues, la maison est retapée de fond en comble pour en faire un de ces horribles intérieurs contemporains, tout de blanc et gris. Plus que n’importe quel autre personnage, c’est la maison qui, ainsi psychologisée, a accompli un grand mouvement de transformation intérieure et de table rase du passé. Et puis, ce titre, “Valeur sentimentale”, lettre volée qu’on n’avait pas su voir, et qui renvoie donc, non pas à la mère, mais bien à ses objets. C’est presque un aveu de la part du cinéaste : ces personnages sont tellement dépourvus de qualités qu’ils sont bien obligés de se tourner vers leurs biens, leurs objets et leurs album-photos – fossiles de leur splendeur passée.

  1. Voir l’émission qui lui a été consacrée sur Hors-Série : https://www.hors-serie.net/emissions/quest-ce-quun-bon-film/ ↩
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