11.10.2025 à 06:01
10.10.2025 à 16:04
Masculinisme. Entre manettes de jeux vidéo et serveurs Discord, dans l’intimité confinée de leurs chambres adolescentes, une génération de jeunes hommes bascule vers la barbarie d’un clic de souris. L’enquête de Damien Leloup et Soren Seelow pour Le Monde révèle les pratiques des communautés en ligne CVLT et 764. De la consommation d’images pédopornographiques aux sextorsions d’adolescentes contraintes à s’automutiler, jusqu’aux meurtres filmés et aux projets d’attentats : ces communautés Discord transforment méthodiquement leurs membres en bourreaux via un système d’initiation où chaque atrocité devient un rite de passage vers l’échelon supérieur.
Le bilan judiciaire de ces communautés dessine un inventaire macabre. Sextorsion sur webcam d’enfants et de très jeunes adolescentes, de 9 à 13 ans, contraintes de boire leur urine et de s’enfoncer des couteaux dans le vagin, sarifications forcées gravant « 764 » sur la chair d’adolescentes en pleurs, meurtre d’une retraitée égorgée en direct sur Discord par un Allemand de 17 ans, projets de distribution de bonbons empoisonnés devant des écoles juives : ces groupuscules transforment l’écran en théâtre d’opérations criminelles.
Deux dossiers d’instruction sont en cours en France. Théo, un jeune Normand d’une vingtaine d’années, encourt dix ans de prison pour détention de pédopornographie. Rohan R. comparaîtra quant à lui devant les assises de Paris en 2026 pour vingt crimes et délits passibles de la réclusion à perpétuité. Face à cette escalade, le FBI a requalifié ces « réseaux extrémistes violents et nihilistes » comme « menace terroriste intérieure », redoutant leur infiltration par des militants expérimentés qui pourraient transformer ces communautés en « arme clé en main ». Notre article.
Le recrutement obéit à une logique de groupe dont les ressorts rappellent ceux des sectes : l’intégration passe par une série d’épreuves de plus en plus extrêmes, de la consommation passive de contenus choquants à la commission d’actes violents sur autrui. Sur Discord et Telegram, les recruteurs repèrent d’abord des jeunes hommes en quête de repères, souvent marqués par des traumatismes familiaux ou scolaires, puis les font monter progressivement dans la hiérarchie de l’extrême.
Pour accéder au cercle interne de 764, il ne suffit plus de regarder des vidéos gore : il faut avoir ôté la vie — d’un animal ou d’un humain — ou contraint une victime à s’infliger des blessures. Théo, ce Normand de 21 ans a rejoint en filmant la mort de deux lapins pour prouver son engagement : il incarne cette mise en scène de la violence comme rite d’appartenance.
Ce procédé repose sur un effet d’entraînement : l’exposition répétée à l’horreur et la pression du groupe finissent par alimenter une soif de transgression, où chaque nouvel acte brutal devient la condition sine qua non de la reconnaissance. Le parallèle avec l’embrigadement des enfants soldats au Sud-Kivu, décrit par Denis Mukwege dans La force des femmes, éclaire ce processus : là aussi, les jeunes victimes sont contraintes à des rituels d’initiation — parfois le viol collectif d’un proche — pour les désensibiliser à la violence et créer chez eux une forme d’addiction à l’extrême brutalité.
En remplaçant la géographie des camps par celle des serveurs privés, les espaces numériques démultiplient cette mécanique et font s’immiscer la violence jusque dans l’espace domestique, où elle est déjà d’ailleurs parfois présente.
Cette délégation de la violence qui vise, par la médiation de l’écran, à faire des victimes leurs propres bourreaux rappelle le phénomène du Blue Whale Challenge. Apparu en Russie vers 2015, ce « jeu » consistait en 50 défis progressifs assignés par un « curateur » à des adolescents fragiles, culminant avec le suicide. Même ciblage d’adolescents vulnérables, même usage de la coercition psychologique, même progression vers des actes irréversibles : le Blue Whale Challenge a causé des dizaines de suicides à travers le monde avant d’être en partie démantelé.
Ces deux phénomènes, idéologiquement distincts mais d’effet et de mode opératoire similaires révèlent l’efficacité de la manipulation à distance. Internet, loin d’être un simple outil neutre, peut devenir un amplificateur de pathologies sociales. La géographie numérique permet aux prédateurs de ratisser large, d’identifier les profils les plus fragiles et de les isoler progressivement de leurs repères sociaux traditionnels.
Le rôle des plateformes numériques dans cette dynamique dépasse la simple question de la régulation des contenus. Internet devient un vecteur de retraumatisation pour des jeunes déjà confrontés à la violence dans leur quotidien. Des violences sexuelles dans la pornographie mainstream à la diffusion en temps réel des images du génocide en cours à Gaza, la surprésence de contenus « gore » très facilement accessibles créent un environnement de saturation traumatique.
L’algorithme des plateformes aggrave encore ce phénomène en créant des chambres d’écho qui renforcent les contenus violents ou extrêmes. Un adolescent cherchant des contenus transgressifs peut se retrouver aspiré dans une spirale de radicalisation où chaque étape normalise la suivante.
Cette exposition constante produit ce que les spécialistes appellent une « désensibilisation », une anesthésie émotionnelle qui facilite le passage à l’acte. Mukwege décrit un mécanisme similaire chez les anciens enfants soldats : l’exposition répétée à la violence extrême crée une forme d’addiction qui persiste bien après la fin du conflit.
Il faut aussi prendre en considération l’extrême exposition des enfants et des adolescents à toutes les formes de violence au sein de leurs propres foyers et à l’école, depuis un très jeune âge. Selon l’UNICEF, « toutes les 3 minutes, un enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle » en France. Et cette vulnérabilité subsiste durant tout le temps de la minorité. En effet, les mineurs représentent 58% des victimes de violence sexuelle selon le ministère de l’Intérieur.
Il faut encore ajouter à cela les chiffres des enfants violentés physiquement, émotionnellement, victime de harcèlement scolaire ou témoins de violence domestique. L’habituation à la violence ne se fait donc pas seulement par la consommation de contenus, mais aussi par une expérience personnelle, une intégration depuis l’enfance de ses mécanismes. Les deux auteurs cités dans l’article mentionnent en effet des faits de harcèlement et/ou de violence familiale à leur encontre.
L’article du Monde décrit des groupes à l’idéologie synchrétique, entre masculinisme, nihilisme et suprémacisme blanc. L’association entre pédopornographie et violence misogyne n’a rien d’accidentel : elle traduit une vision du monde où les corps « non masculins » – femmes et enfants – sont réduits à des objets appropriables par les dominants.
Pour aller plus loin : Attentat Incel déjoué : les violences sexistes et le déni médiatique
Les références idéologiques de ces groupes puisent massivement dans la sphère masculiniste sur internet. Nick Fuentes, figure tutélaire de cette mouvance, est cité par R. Williams, membre de 764 et condamnée en 2023 à 3 ans de prison pour son rôle dans l’assaut du Capitole. Après l’élection de Trump en novembre 2024, Fuentes a popularisé le slogan « Ton corps, mon choix », détournement cynique du « Notre corps, notre choix » féministe.
L’idéologie masculiniste s’épanouit ici dans la réalisation concrète de tous ses présupposés : la sexualisation des enfants, l’infantilisation des femmes et la légitimation d’une « culture du viol » présentée comme naturelle. Ce qui se joue au fond est l’obsession de la domination absolue sur autrui. Cela explique la volonté de laisser des marques sur la peau des victimes.
Une des pratiques de torture consiste par exemple à faire se masturber une victime avec un couteau ou un cactus. Une autre de faire graver sur la peau des victimes le nom du bourreau ou du groupe. Ces tortures expriment une volonté d’appropriation totale de l’autre, qui se joue aussi dans le fait de contraindre la victime à s’infliger sa propre torture.
Ce qui distingue CVLT et 764 des mouvements politiques classiques, c’est leur passage à ce que l’on pourrait appeler une « post-idéologie ». Comme l’analyse une source policière citée dans l’enquête, on assiste à « une désidéologisation progressive, un glissement de l’idéologie pure vers une forme de nihilisme et de promotion de l’ultraviolence pour elle-même ».
Cette évolution transparaît dans les références à l’Order of Nine Angles (O9A), mouvement sataniste et néonazi britannique né dans les années 1980. L’O9A prône la « transgression de tous les tabous » – meurtre, viols d’enfants, sacrifices humains – dans une logique « accélérationniste » visant à semer le chaos pour provoquer une guerre raciale.
Cette influence, même « parfois uniquement esthétique » selon les experts, révèle une fascination pour la violence pure, détachée de tout projet politique cohérent. La violence comme idéal esthétique est pourtant d’emblée porteuse d’un projet politique – celui de la destruction des groupes déjà relégués dans les sphères marginales.
Les victimes de CVLT et 764 sont en effet sélectionnées selon leur vulnérabilité. En effet, les bourreaux s’en prennent prioritairement à des jeunes filles mineures, souvent de moins de quinze ans. Ces adolescentes sont aussi explicitement ciblées pour leurs origines « juives, musulmanes, arabes, mexicaines et noires », exploitant ainsi les angles morts du système policier américain où les disparitions d’enfants issus de minorités raciales font l’objet de recherches moins intensives et de moins d’attention médiatique.
Cette sélection cynique s’appuie sur des données documentées : les enfants noirs sont quatre fois plus susceptibles d’être portés disparus que les enfants blancs, mais ne bénéficient que de 22% des appels publics à témoins contre 61% pour les enfants blancs, selon les statistiques britanniques qui reflètent une tendance occidentale plus large.
Les groupes exploitent avec lucidité les angles morts d’une société qui hiérarchise implicitement la valeur des vies humaines. Ils acquiescent d’ailleurs à cette hiérarchie, qui conforte leur puissance personnelle et légitime la torture exercée sur les victimes. En ciblant des adolescentes issues de minorités, souvent en situation de précarité psychologique ou sociale, ils maximisent leurs chances d’impunité.
Au-delà de l’horreur qu’ils suscitent légitimement, les groupes CVLT et 764 fonctionnent comme un révélateur de la fascisation de notre imaginaire collectif. Ils prospèrent sur les failles de nos sociétés : isolement et fragilisation psychologique des jeunes, backlash patriarcal post #Metoo, banalisation de la violence dans les représentations culturelles, défaillances du système de protection de l’enfance.
Ces communautés de l’ultraviolence qui inquiètent les renseignements intérieurs ne surgissent pas ex nihilo. Elles émergent de représentations largement partagées, leurs fantasmes de domination trouvant des échos dans des structures sociales inégalitaires et elles mêmes violentes.
Par LRB
10.10.2025 à 15:07
Ce mercredi 8 octobre, Marine Le Pen et Jordan Bardella ont bloqué la motion de destitution d’Emmanuel Macron déposée par la France insoumise et co-signée par 104 parlementaires. Ce sauvetage in extremis du chef de l’État intervient un an jour pour jour après un premier blocage du RN. Le parti d’extrême droite avait déjà bloqué une motion de destitution le 8 octobre 2024. S’en était suivi un cycle de bouées de sauvetage au cours duquel le RN avait refusé François Bayrou à huit reprises.
En octobre 2025, Marine Le Pen continue un double jeu hypocrite : prétendre que son parti ne fait pas dans les tambouilles alors qu’elles sont sa marque de fabrique. L’une des raisons principales : les magouilles de Le Pen au Parlement européen l’empêchent pour l’instant de se présenter à une élection présidentielle anticipée. L’Insoumission a recensé toutes les opérations de sauvetage d’Emmanuel Macron par Marine Le Pen et Jordan Bardella. Notre article.
Pour aller plus loin : Marine Le Pen bloque la motion de destitution d’Emmanuel Macron au bureau de l’Assemblée
Depuis sa constitution comme groupe politique à l’Assemblée nationale, le Rassemblement national marque son existence du sceau de la fidélité : de la fidélité à Emmanuel Macron. Ainsi depuis 2022, sous les XVIème et XVIIème législatures, c’est à pas moins de 25 reprises que Marine Le Pen a refusé de censurer les gouvernements Borne, Barnier et Bayrou. Une véritable lune de miel du duo Macron-Le Pen dont L’Insoumission recense ci-dessous les manifestations dans les multiples refus du RN de renverser des gouvernements macronistes.
Toutes ces informations sont notamment disponibles sur le site de l’Assemblée nationale en cliquant ici au sujet des motions de censure de la XVIème législature (juin 2022-juin 2024), et ici concernant les motions de censure de la XVIIème législature (juillet 2024 à aujourd’hui).
Au total, depuis sa constitution comme groupe à l’Assemblée nationale, c’est à pas moins de 25 reprises que Le Pen et Bardella ont sauvé des gouvernements macronistes. À cela s’ajoutent les deux motions de destitution d’Emmanuel Macron bloquées par le RN en l’espace d’à peine un an, et les multiples petites magouilles de palais pour se partager les postes à responsabilités de l’Assemblée.
Au-delà des proximités idéologiques des deux camps et de leur peur panique du programme de rupture porté par la France insoumise, c’est aussi par la soif du pouvoir qu’est mue le duo Macron-Le Pen. Celle, pour Emmanuel Macron, de pouvoir donner l’illusion qu’il gouverne encore. Celle, pour Marine Le Pen, de l’élection présidentielle de 2027 et de ne pas précipiter la démission de Macron car ses magouilles au Parlement européen l’empêcheraient pour l’instant de se présenter.
Alors que 73 % des Français réclament le départ immédiat d’Emmanuel Macron, dont plus de 90 % des électeurs RN, Marine Le Pen et ses parlementaires font encore le choix de sauver la Macronie en implosion. Une marque de fabrique du parti d’extrême droite.