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Tagrawla Ineqqiqi
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Tagrawla INEQQIQI


Notes pour mes prochains livres ou mes prochains spectacles, fiches de lecture, de visionnage de films ou de séries et quelques exutoires, coups de gueule et coups de hache.

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25.10.2023 à 11:09

La Salamandre – bienvenue à bord

Tagrawla Ineqqiqi

Si on m’avait dit « tu devrais lire des romans maritimes », j’aurais commencé par répondre « ah bon, ça existe ? » et j’aurais probablement ajouté « mwé bof, je sais pas, c’est pas mon truc la mer ». J’aurais donc dit deux bêtises de suite. Parce que oui, le roman maritime est un genre à part entière, et n’en déplaise […]
Texte intégral (727 mots)

Si on m’avait dit « tu devrais lire des romans maritimes », j’aurais commencé par répondre « ah bon, ça existe ? » et j’aurais probablement ajouté « mwé bof, je sais pas, c’est pas mon truc la mer ». J’aurais donc dit deux bêtises de suite. Parce que oui, le roman maritime est un genre à part entière, et n’en déplaise aux bourgeois de la culture, la littérature de genre n’est pas de la sous-littérature, d’ailleurs Hugo lui même s’y est essayé, ensuite, c’est tellement pas mon truc que je viens de m’enfiler trois romans maritimes de suite. Bon, je triche un peu, c’est surtout qu’on m’a mis dans les mains un recueil des œuvres maritimes d’Eugène Sue – environ un kilo et demi – l’importateur du genre en français, et que je n’arrive plus à m’arrêter.

L’avantage avec Eugène Sue, c’est qu’il a suffisamment été marin lui-même pour ne pas raconter n’importe quoi. Et ce qui rend encore plus intéressant ses écrits, c’est que sa détestation des puissants et des bourgeois alliée à son humour sarcastique rendent l’ensemble fascinant au-delà des seules questions maritimes.

La Salamandre est donc un roman maritime publié en 1832 dans lequel Eugène Sue va dresser un portrait aussi précis que vivant de la marine de guerre et en profiter pour se moquer allègrement de la Restauration et du retour des nobles inutiles qu’elle a engendré. La Salamandre est le nom de la frégate dont on va suivre l’équipage, tous durs et braves marins bretons, sauf un qu’on nommera donc Parisien. On va beaucoup parler de la hiérarchie et de la discipline absolument indispensables pour que tout le monde rentre vivant au port, des beuveries à terre – et quelle beuverie épique va-t-il nous décrire ! – de l’abnégation des officiers les plus compétents. Sauf que voilà : à la Restauration, les nobles qui avaient fui le pays reviennent en France, et certains seront promus essentiellement par népotisme et en dehors de toute considération pour leurs compétences – ou leur absence de compétence. C’est ainsi que la pauvre Salamandre va se retrouver affublée d’un marquis pour commandant, absolument incapable de tout. Le roman aurait d’ailleurs pu être sous-titré « le triomphe de la stupidité ».

Évidemment, je pourrais vous raconter l’histoire, mais comme j’essaie de vous convaincre de découvrir cette œuvre riche et palpitante, je n’en dirai rien de plus, si ce n’est qu’il ne faut pas se laisser décourager par les premières pages : si Sue est un excellent auteur, ses introductions ne sont pas à la hauteur de ses conclusions. Mais La Salamandre tient autant du pamphlet que du roman maritime et ses conclusions n’ont absolument rien de démodé, ce qui est triste pour nous mais permet au moins de rendre l’œuvre intemporelle. Elle contient absolument tout ce qu’on peut attendre d’un roman : du fond, de la forme, de l’humour, de la colère, de l’aventure, de la réflexion. C’est vraiment trépidant, on le dévore et on arrive au bout un peu essoufflé par tant d’aventures.

La Salamandre ferait vraiment un film incroyable, mais comme personne ne le fera, il ne reste qu’à le lire.

21.10.2023 à 11:03

Nostalgie

Tagrawla Ineqqiqi

Chose rare, j’ai été saisie hier d’une vague de nostalgie. Ça ne m’arrive pas souvent, ça n’est pas franchement dans ma nature, et il y a un je-ne-sais-quoi de « c’était mieux avant » que je n’aime pas dans la nostalgie. Mais ça m’arrive quand même parfois de regarder le passé, puis le présent, et de pousser […]
Texte intégral (792 mots)

Chose rare, j’ai été saisie hier d’une vague de nostalgie. Ça ne m’arrive pas souvent, ça n’est pas franchement dans ma nature, et il y a un je-ne-sais-quoi de « c’était mieux avant » que je n’aime pas dans la nostalgie. Mais ça m’arrive quand même parfois de regarder le passé, puis le présent, et de pousser un soupir.

En l’occurrence, la vague m’a ramenée, en musique, à la fin du siècle dernier. C’est qu’à cette époque, un phénomène musical a envahi toutes les oreilles de France : on entendait partout chanter dans d’autres langues, et en particulier en arabe, les sonorités d’autres cultures étaient partout, dans toutes les radios, sur toutes les chaînes de télévision. Rachid Taha cartonnait avec Ya Rayah. L’Orchestre National de Barbès faisait danser partout. 1,2,3 Soleil tenait du phénomène de société. Les chanteurs à la mode s’appelait Khaled, Faudel, Cheb Mami. Gnawa Diffusion donnait des concerts sous chapiteau aux pieds des tours de tout un tas de quartiers populaires. Les musiques tziganes étaient partout et empruntées par tout le monde. Un peu moins populaire mais quand même bien présent, il n’y avait rien d’exceptionnel à écouter Nusrat Fateh Ali Khan. Même au fond des PMU crasseux et enfumés, on pouvait entendre quelqu’un fredonner un air de raï à la mode.

J’ai ce souvenir d’une fête de quartier, car à l’époque l’espace public était vraiment public et on ne se gênait pas pour l’occuper pour tout un tas d’événements, lors de laquelle se tenait un concert de raï. C’était un quartier populaire, plein de gens de toutes origines et de jeunes blancs fauchés. On n’avait pas réussi à se faire prêter du matos d’éclairage, mais peu importe, on faisait sans. La nuit était tombée, mais la musique ne s’arrêtait pas. Soudain, au milieu des jeunes blancs, un groupe de chibanis avait paru et s’était mis à danser. Leurs petits fils avaient encerclé la foule et l’éclairaient des phares de leurs scooters. Instant magique de rencontre et d’espoir. Et puis cet autre souvenir, un peu plus loin : dans une usine désaffectée se tenait une fête tekno, mais il y avait deux scènes : une scène tekno hardcore, forcément, et une scène rap. Et deux jeunesses qui pouvaient sembler séparées se mélangeaient là, passant d’une scène à l’autre, découvrant l’univers musical de l’autre, brisaient des préjugés.

Ces instants étaient porteurs d’un grand espoir. Parce qu’enfin, toute une partie de la population jusque là invisibilisée était sous le feu des projecteurs et pas du tout de façon anecdotique. Le racisme existait toujours, mais on pouvait espérer que cette visibilité, cette banalisation de la langue arabe dans la radio, cette popularité de cultures jusqu’alors inconnues ou méprisées le feraient reculer. Et je crois bien qu’il reculait vraiment, au moins un peu.

Au-delà de la musique, les luttes pour les droits des sans-papiers avaient bien plus de visibilité. Et s’ils se faisaient expulser à coups de hache et de matraques, en pleine grève de la faim, ci d’une église et là d’une bourse du travail, au moins ça n’était pas dans l’indifférence. Leurs soutiens étaient divers et nombreux. On croisait alors souvent l’abbé Pierre ou Albert Jacquard, Ariane Mouchkine ou Emmanuelle Béart sur le terrain. Le soutien populaire était réel. Et parfois, des régularisations étaient obtenues en nombre. Alors l’espoir renaissait pour tous les autres.

La fin du siècle dernier n’était pas une époque particulièrement joyeuse, il n’y a rien à y fantasmer, des gens tels que Pasqua ou Chevènement sévissaient et ça n’avait rien de drôle, mais c’était une époque qui nous laissait un espoir de changement.

Et puis le 11 septembre, le Patriot Act, les bombardements en Irak, et fatalement, le vieux fasciste borgne au deuxième tour de la présidentielle. Et l’espoir était mort, le raï disparu, et je n’oserais plus écouter Nusrat Fateh Ali Khan trop fort, ses « Allah hoo » sont devenus dangereux pour celui qui les écoute dans un pays qui a décidé que tout ce pan là de la culture devait retourner dans l’ombre.

04.08.2023 à 14:11

Mastodon, les bourgeois et les bourgeoises, Ginette et un peu de lingerie.

Tagrawla Ineqqiqi

J’vous préviens, après des mois bridée à 500 caractères, je vais me rattraper d’un seul coup. Posons le contexte. J’ai une très longue expérience des réseaux sociaux, datant de bien avant l’arrivée d’Internet. Ado, je pratiquais la CB. Pour les jeunes : non, pas la Carte Bleue, la Citizen-Band. On causait entre inconnus et sous pseudos […]
Texte intégral (2441 mots)

J’vous préviens, après des mois bridée à 500 caractères, je vais me rattraper d’un seul coup.

Posons le contexte.

J’ai une très longue expérience des réseaux sociaux, datant de bien avant l’arrivée d’Internet. Ado, je pratiquais la CB. Pour les jeunes : non, pas la Carte Bleue, la Citizen-Band. On causait entre inconnus et sous pseudos via de petits postes radios. J’avais quatorze ans, et j’échangeais avec toute sorte de gens : des vieux routiers, des ouvriers, des profs et même à l’occasion avec des dames qui utilisaient cet outil pour donner à des messieurs des rendez-vous tarifés. Il était assez rare que je tombe sur des gens de mon âge, mais ça n’avait aucune importance. J’entretenais aussi des correspondances, en français et dans mon anglais balbutiant. Puis il y a eu l’ICQ, puis les tchats, puis les forums, puis l’arrivée des grands méchants réseaux.

Alors forcément, causer avec des gens dont je ne connais pas le visage, venus d’univers variés, de classes sociales différentes, avec des aspirations diverses, c’est ma normalité depuis bien longtemps, presque toujours, et ça me convient très bien. C’est enrichissant, parfois énervant, ça ouvre des perspectives de pensée au-delà de ce que peut offrir un réseau « en vrai », souvent moins riche, ne serait-ce que géographiquement.

Ces dernières années, les grands méchants réseaux que j’utilisais abondamment sont devenus des bidules éthiquement puants, j’ai donc cherché à les fuir. Après une tentative infructueuse d’entraîner des gens vers les réseaux low-tech que sont les forums puis le rachat du réseau à pensée restreinte par le maboule à grosses fusées, j’ai opté pour ce qui semblait le plus éthique : un réseau « libre », décentralisé, plein de promesses : Mastodon. Et pour la première fois de mon histoire des communications à distance, j’ai découvert un univers que je ne connaissais pas : celui des bourgeois et petits-bourgeois en cercle fermé. Et ma foi, outch, ça pique.

Les bourgeois ont leurs sujets-marottes, les plus observables à l’œil nu et aussi les plus emblématiques du problème étant le féminisme et l’usage du vélo. Si ça semble plutôt une bonne chose de prime abord, n’importe quel prolo de base ne met pas longtemps à comprendre que les bourgeois parlent, écrivent, rédigent, hurlent, mais en réalité, ils s’offrent surtout une bonne conscience à peu de frais en défendant leurs privilèges.

Prenons la question du féminisme – ouais, je suis d’humeur à me faire plein de nouveaux potes. Vous lirez, sur ce réseau bourgeois, de bien belles paroles engagées sur ces hommes qui nous font la guerre (sic), sur ces inégalités qui sont intolérables – et elles le sont – et sur ces luttes qu’il faut mener. Mais les bourgeois ne mènent jamais de lutte. Ils causent. Ils causent par exemple du droit à l’enfant, de la nécessité fondamentale et absolue de faciliter l’accès à la fabrication de mômes en laboratoire à grand renfort d’hormones qui finissent dans les rivières et de congélation d’ovules parce qu’on ne va pas sacrifier une belle carrière en se reproduisant trop tôt. Ils et surtout, en l’occurrence, elles, causent de leurs envies personnelles et appellent ça le féminisme.

Mais quand ces belles causeuses, après avoir obtenu leur enfant, reprennent leur belle carrière, ce sont les femmes des classes laborieuses qui auront la charge de ladite progéniture en échange d’un salaire misérable. Et ça, ça ne dérange pas du tout les bourgeoises. Le féminisme en Louboutin se contrefout profondément de la vie des femmes des classes laborieuses. Elles causent féminisme sans jamais voir le problème quand elles font récurer leurs chiottes et torcher leurs mômes par d’autres femmes. Elles ne voient pas le problème à étaler leur lingerie à un quart de smic fabriquée par des Tunisiennes exploitées, le drame de leurs pantalons jetables aux poches trop petites pour ranger leur téléphone à un mois de salaire fabriqués par des Indiennes presque réduites à l’esclavage. Elles ne voient pas le problème à s’étaler sur la tronche les cosmétiques largement fabriqués par des ouvrières mal payées et exposées à des produits toxiques. Et elles vous mépriseront si vous avez l’outrecuidance de pointer la vacuité de leurs paroles en comparaison de leurs actes, vous qui n’utilisez même pas l’écriture inclusive.

Les bourgeoises parlent, écrivent, rédigent, hurlent, mais en réalité, elles sont les idiotes utiles du patriarcat.

Ce constat n’est pas valable que pour les femmes, ni que pour le féminisme. Les « vélotaffeurs » valent aussi leur pesant de nombrilisme social. Certains méprisent l’ensemble des automobilistes avec leurs vélos qui valent au bas mot trois fois le prix de ma bagnole. Mais si vous regardez le métier de ces gens-là, vous ne trouverez personne qui bosse en trois huit à l’usine, debout toute la journée, effectuant des ports de charges lourdes ou des gestes répétitifs et transpirant à grosses gouttes. Après une journée assis au chaud, c’est facile, de rentrer en vélo. C’est visiblement plus compliqué de se rendre compte qu’on est un privilégié, et que le mode de vie des privilégiés n’a rien de transposable chez ceux qui suent.

Je pourrais encore m’étendre sur l’écologie vert pâle, mais je suis déjà assez énervée comme ça.

J’ai aussi fui les grands méchants réseaux agacée par la censure stupide qui s’y pratiquait de plus en plus. Un réseau se revendiquant libre et bienveillant ne pouvait qu’être mieux. Mouarf. Je le sais, pourtant, que la bienveillance est toujours la face visible de l’hypocrisie !

Dès que vous avez le malheur de sortir des règles non-écrites spécifiques à ce milieu bourgeois auquel vous n’appartenez pas, c’est le drame. Typiquement, vous êtes tenus d’indiquer un Content Warning sur tout ce qui pourrait heurter le petit cœur fragile de Marie-Choupette. Le problème, c’est que Marie-Choupette est particulièrement sensible. Si vous relatez la violence symbolique et réelle de la vie des femmes des classes laborieuses, violence dont elle fait parfois, souvent, partie des causes, voilà que non contente de ne pas l’avertir que vous allez lui mettre un coup de pied au cul, vous la privez en plus de son adoré statut de victime ! Ne mettez surtout pas Marie-Choupette devant la réalité du monde, ou, du haut de sa toute-puissante bienveillance, elle convoquera son réseau pour vous faire plier et cacher ces prolétaires qu’elle ne saurait voir.

Et puis, évidemment, le gros de la communauté végane s’est réunie là, très à l’aise dans cette bulle garantie sans prolo bouffeurs de barbecue ni agriculteurs.

Bref, je ne m’étais jamais autant autocensurée que chez les bourgeois et je jure, mais un peu tard qu’on ne m’y reprendra plus.

Il y a aussi bien sûr, comme partout, des gens formidables sur Mastodon (bisou aux gens qui m’ont laissé des messages sous les 500 caractères de résumé de ces deux pages, n’allez pas croire que ça ne m’a pas remuée). D’ailleurs, la plateforme n’est qu’un outil et l’outil n’est en rien le problème. En outre, c’est un outil d’autant plus facile à prendre en main qu’une flopée de gentils vieux barbus du libre vous fournissent vite des ressources pour le faire (merci). Le problème de Mastodon, c’est la quasi-absence de mixité sociale. Les bourgeois en ont fait ce qu’ils appellent leur safe space. C’est-à-dire un lieu qui tient à distance tout ce qui pourrait chatouiller un peu trop la bulle de confort qui leur tient lieu de convictions.

Détail révélateur : vous ne croiserez personne sur ce réseau qui manie à la truelle la langue française et son orthographe tordue. Privilège de classe : on maîtrise là les arcanes du participe passé et même du subjonctif imparfait si besoin. Dès lors, Ginette, pas vraiment climato-sceptique mais ignorante, se sachant ignorante et tentant, sans doute maladroitement, de se tirer vers le haut, Ginette s’inscrirait sur une telle plate-forme qu’elle n’aurait aucune chance de récolter autre chose que du mépris. La honte, elle ne sait même pas ce qu’est le patriarcat.

Et maintenant ? Que faire de ce constat ? Eh bien d’abord, plier bagage et fuir. Fuir loin de Marie-Choupette et d’Augustin-Fébrile. Mais je ne sais pas me passer des réseaux sociaux. Je n’en suis pas fière mais c’est comme ça. J’ai rebranché la CB, mais je suis la seule à l’avoir fait à portée d’ondes. Et puis surtout, si je me contrefous de l’existence de Marie-Choupette et d’Augustin-Fébrile, celle de Ginette me préoccupe. Je ne pourrai jamais convaincre un bourgeois de ne plus être un bourgeois. Par contre, avec de la patience et parce que je n’ignore pas ce qu’est sa vie, je peux peut-être convaincre Ginette que, non, voter à l’extrême-droite ne va pas améliorer sa vie. Je peux peut-être l’aider à prendre conscience que la bourgeoise chez qui elle fait le ménage ne vaut en rien mieux qu’elle. Si un réseau social ne sert qu’à s’enorgueillir et à se réconforter entre pairs, alors il ne sert à rien.

Et maintenant ? Je vais retourner sur un grand méchant réseau, y continuer mes revues de presse quotidienne, avec une autre identité. Tagrawla a vingt-cinq ans, je vais la laisser tranquille. Comme après chaque déménagement, il y a des gens dont je regretterai la compagnie, mais c’est la vie. Et je vais continuer d’espérer, contre toute rationalité, qu’un jour les outils libres et décentralisés seront réellement accessibles à tous.

19.07.2023 à 12:37

Sécheresse, pas vraiment une dystopie.

Tagrawla Ineqqiqi

Il y a sans doute quelque chose d’un peu masochiste à lire Sécheresse maintenant que le réchauffement climatique la provoque partout pour de vrai, mais il y a surtout quelque chose de fascinant au fait que J. G. Ballard se soit dit en 1964, à une époque où personne ne parlait du dit réchauffement et […]
Texte intégral (656 mots)

Il y a sans doute quelque chose d’un peu masochiste à lire Sécheresse maintenant que le réchauffement climatique la provoque partout pour de vrai, mais il y a surtout quelque chose de fascinant au fait que J. G. Ballard se soit dit en 1964, à une époque où personne ne parlait du dit réchauffement et où l’écologie balbutiait, qu’il allait écrire un livre post-apo sur le sujet.

Même si vous ne connaissez pas J. G. Ballard, en fait vous le connaissez un peu : c’est Christian Bale, ou du moins c’est le jeune garçon incarné par Christian Bale dans l’Empire du Soleil, film tiré de son autobiographie. Il a aussi écrit le roman dont Cronenberg a tiré Crash. Sécheresse est publié dans une collection « science-fiction », mais on ne sait pas trop pourquoi. Ou alors il faut aussi publier La Route de Mc Carthy dans le même genre de collection. Anticipation, à la limite, mais ça n’est pas la même chose.

Comme à l’époque de son écriture, donc, on ne parlait pas encore de réchauffement climatique, Ballard invente une autre cause à la sécheresse mondiale : une cause fictive dont on se dit « ah ben oui, ça aurait aussi pu être ça », parce que le monsieur était écologiquement lucide : il savait bien que nous ne pourrions pas jouer aux consommateurs indéfiniment sans conséquence sur l’environnement. Et ça n’est pourtant pas le cœur du roman. A l’inverse d’une grande part des œuvres post-apo, il n’explore pas non plus les mécanismes de la survie, et c’est sans doute ce qui en fait un roman singulier. C’est même tout l’inverse : c’est le renoncement qui est le moteur, ou de fait l’absence de moteur, de son personnage principal. Dès lors, ceux qui cherchent un héros surpuissant à qui il arrive tout un tas d’aventures dont il se sort toujours parce que c’est à ça qu’on a envie de s’identifier vont être déçus. Ballard est beaucoup plus réaliste quant à la psychologie humaine : son personnage principal se laisse porter par les événements qui le dépassent, spectateur impuissant d’un monde effondré.

L’écriture est sans fioriture mais sans simplisme : efficace. A dire vrai, c’est la première fois depuis bien longtemps qu’un roman est venu me hanter jusque dans mon sommeil, et un mauvais livre ne saurait pas faire ça. Dès lors, je ne sais pas si c’est une lecture adéquate pour les gens déjà éco-anxieux, mais ça serait quand même dommage de passer à côté d’un ouvrage prophétique et autrement plus profond que les autobiographies bourgeoises contemporaines qui occupent tout l’espace médiatique sans avoir grand-chose à apporter aux lecteurs : Ballard, au moins, a vraiment quelque chose à dire de l’humanité.

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