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24.11.2025 à 16:33

Que penser de la justice restaurative dans les cas de violences de genre ?

Delphine Griveaud, Chargée de recherche au Fonds national de la recherche scientifique belge (FNRS), Université catholique de Louvain (UCLouvain)

Emeline Fourment, maîtresse de conférences en science politique et études de genre, Université de Rouen Normandie

La justice restaurative, appliquée aux violences de genre, est-elle un risque pour les victimes ou un espace de reconstruction ? Enquête auprès de celles qui en ont fait l’expérience.
Texte intégral (2445 mots)
Le film _Je verrai toujours vos visages_ (2023), de Jeanne Herry, restitue avec acuité la pratique de la justice restaurative en France. Christophe Brachet/Chifoumi Prod/Trésor Films/StudioCanal/France 3 Cinéma

La justice restaurative consiste à accompagner des victimes et des auteurs d’infractions qui souhaitent dialoguer. Ce type de rencontre ne prétend pas remplacer la justice pénale, mais offrir une option supplémentaire à celles et ceux qui y aspirent. Que sait-on aujourd'hui de ces mesures, de leurs effets, de leurs limites et des expériences de celles qui les vivent ?


Le film Je verrai toujours vos visages (2023), de Jeanne Herry, a permis au grand public de découvrir l’existence des mesures de justice restaurative prévues par le système judiciaire français. Fidèle à la réalité, cette fiction montre notamment le processus par lequel une jeune femme en vient à rencontrer son frère, qui l’a plusieurs fois violée enfant. Elle souhaite convenir avec lui d’une séparation des espaces de la ville dans laquelle elle et lui vont devoir cohabiter alors qu’il vient de sortir de prison. Ce cas a suscité des réactions critiques, soulignant les débats houleux qui entourent la justice restaurative dans le cas de violences de genre.

Peut-on traiter à égalité, dans le processus d’une médiation, les propos et attentes d’une victime d’inceste et de celui qui l’a violée ? Cela revient-il à minimiser les faits ? Ne serait-il pas dangereux, au moins psychiquement, pour une victime de violence sexuelle de rencontrer son agresseur ? Y a-t-il là un trop fort risque d’instrumentalisation du processus de la part de l’auteur des faits ?

Ces questions agitent les discussions sur la justice restaurative en cas de violences de genre, mais à l’aune de nos recherches en sciences sociales auprès des premières personnes concernées, elles tendent à réduire la complexité de la pratique.

Justice restaurative : de quoi parle-t-on ?

Depuis 2014, l’article 10-1 du Code de procédure pénale indique qu’une mesure de justice restaurative peut être proposée

« à l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, [à] la victime et l’auteur d’une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus ».

Ces mesures sont mises en place si victimes et auteurs le souhaitent. Elles développent une approche différente de la justice pénale : il s’agit moins de punir l’auteur des faits que de créer un dialogue entre victimes et auteurs pour réparer les victimes et responsabiliser les auteurs.

Différentes pratiques restauratives coexistent en France aujourd’hui. Les plus répandues sont les médiations restauratives : des processus, longs, menés par des animateurs et animatrices formées à cet effet, qui offrent un cadre sécurisant à une victime ou un auteur de délit/crime pour revenir sur ce qu’il s’est passé, et se préparer à une rencontre avec l’autre (son auteur, sa victime) s’ils le souhaitent.

Ces mesures reposent sur la libre participation de celles et ceux qui le souhaitent, elles ne peuvent en aucun cas être imposées. Étant donné le peu de moyens alloués et le manque d’information des justiciables, elles sont peu nombreuses. En 2023, l’Institut français pour la justice restaurative, l’association prenant en charge la majorité des mesures de justice restaurative sur le territoire dénombrait 89 mesures terminées et 158 en cours, dont plus de 90 % de médiations restauratives. En agrégeant à cela les mesures restauratives de toutes les autres organisations, à l’activité quantitativement plus restreinte, on ne dépasse pas les 200 mesures terminées sur l’année 2023. Selon les estimations les plus récentes, les deux tiers de ces mesures concernent des violences de genre, cette proportion ayant progressivement augmenté depuis 2014.

La justice restaurative : un danger pour les victimes de violences de genre ?

Parce qu’elle s’appuie sur une approche relationnelle qui tend à (ré)instaurer une communication entre eux par un processus qui propose autant d’écoute et de considération à l’un qu’à l’autre, on peut considérer que la justice restaurative tend à symétriser les positions de victime et d’auteur.

Cette démarche égalitariste peut entrer en conflit avec la perspective des associations de lutte contre les violences sexuelles (et/ou conjugales, incestueuses, etc.) qui mettent l’accent sur le rapport de pouvoir existant entre auteur et victime et sur les risques que cette asymétrie engendre en cas de face-à-face. Elles craignent que cela réinstaure l’« emprise » de l’auteur sur la victime et accroisse le risque de « revictimiser » la victime.

Reposant sur une compréhension individuelle des violences, qui emprunte à des savoirs psychologiques très diffusés actuellement, une telle approche amène à considérer le pouvoir que prennent les auteurs sur les victimes en matière de violences de genre moins comme le produit d’un contexte social inégalitaire que comme une faculté individuelle des auteurs, qui leur permet de prendre l’ascendant psychique sur leur victime pour les déposséder de leur libre arbitre. Dans cette perspective, la source du pouvoir n’est pas un ensemble de mécanismes sociaux mais la personnalité de l’auteur lui-même.

Par ailleurs, certaines associations féministes voient dans les « médiations restauratives » une manière déguisée de contourner l’interdiction pour une autorité publique d’imposer une médiation dans les situations de violences dans le couple ; celle-ci a justement été posée pour couper court aux risques d’emprise des hommes violents sur leurs victimes par la Convention d’Istanbul sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes, ratifiée par la France en 2014.

Pourtant, la médiation restaurative n’est pas une médiation obligatoire telle qu’interdite dans la Convention, elle ne peut pas être imposée, elle n’est pas un acte de procédure pénale et n’a pas les mêmes objectifs que celle-ci. Mais ces distinctions semblent floues pour beaucoup, et les pouvoirs publics prennent donc de grandes précautions au sujet de la justice restaurative en cas de violence conjugale.

Ce sont alors d’autres types de pratiques restauratives qui sont privilégiées, des pratiques indirectes, qui accompagnent auteurs et victimes à des rencontres avec d’autres auteurs et victimes qui ont commis ou subi le même type de délit/crime, mais qui ne se connaissent pas au préalable. Ces dispositifs sont appelés « rencontres détenus-victimes ».

Les réticences sont moins grandes du côté des pouvoirs publics dans les cas de violences sexuelles extérieures au couple, mais elles ont pu émerger du côté des associations : en 2022, la Fédération des CIDFF (centres d’information sur les droits des femmes et des familles) s’est ainsi opposée à la justice restaurative au niveau national, tandis que le rapport de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Civiise) de 2023 la rejetait catégoriquement dans les cas de violences incestueuses.

Ce que les victimes de violences de genre font de la justice restaurative

Les débats sur la pertinence de la justice restaurative dans les cas de violences de genre sont souvent théoriques, et détachés de l’analyse de ce qu’il se passe réellement quand des mesures de justice restaurative sont mises en place. Surtout, ces débats sont menés au nom du bien-être et de la protection des victimes, sans connaissance réelle de la méthode de travail des associations spécialisées et sans qu’on entende les voix de celles qui ont bénéficié ou sont engagées dans une mesure de justice restaurative.

Entre 2022 et 2023, notre terrain d’enquête nous a amenées à rencontrer 14 d’entre elles : neuf victimes de violences sexuelles et cinq victimes de violences conjugales (dont les violences étaient à la fois psychologiques, physiques et sexuelles). Certaines se sont lancées dans la justice restaurative après une mauvaise expérience avec la justice pénale, au cours de laquelle elles ne s’étaient pas senties écoutées. D’autres sont dans des situations beaucoup plus rares en France, mais qui tendent à se développer : elles ont été prises en charge par des associations qui, contrairement à celles travaillant sous financement du ministère de la justice, acceptent d’accompagner des médiations restauratives hors de toute reconnaissance judiciaire. Elles n’ont donc jamais déposé plainte. Cinq ont fait l’expérience d’une rencontre entre détenus et victimes ; neuf d’une médiation restaurative. Ce nombre de victimes est trop peu élevé pour que nos observations puissent avoir un caractère représentatif, mais il nous donne un aperçu de ce que peut être la justice restaurative en cas de violences de genre.

Tout d’abord, les raisons qui ont amené ces personnes à s’engager dans la justice restaurative sont multiples : souvent, elles saisissent une main tendue et l’opportunité, rare, d’une écoute gratuite et inconditionnelle, elles espèrent que cela leur permettra d’aller mieux, mais elles peuvent aussi vouloir poser des questions à un ou à leur auteur ou espérer que la démarche pourra transformer l’auteur et ainsi protéger d’autres femmes ou enfants. Ensuite, elles s’approprient de manières disparates les dispositifs. À rebours de l’image de passivité prêtée aux victimes, l’une d’entre elles nous a raconté avoir parlé sans discontinuer pendant une heure lors de la rencontre avec son frère qui l’avait violée enfant. Elle lui a dit tout ce qu’elle n’avait jamais pu lui dire dans le cadre familial qui, contrairement au cadre créé par la justice restaurative, ne légitimait pas sa parole.

Enfin, toutes les personnes que nous avons rencontrées ont souligné l’importance d’avoir été reconnues et écoutées par les praticiennes de la justice restaurative, sans remise en cause de leur récit ni injonction à s’expliquer, se justifier.

Témoignages de praticiennes de la justice restaurative.

Cette considération est racontée comme étant en elle-même réparatrice, et ce, aussi parce qu’elle contraste avec le peu d’attention apportée aux victimes par leur entourage. Les personnes rencontrées qui sont, ou ont été, engagées dans une procédure judiciaire opposent par ailleurs une justice pénale froide, technique et pragmatique à une justice restaurative chaleureuse, empathique, et laissant place aux émotions.

En pratique donc, les victimes de violences de genre avec qui nous avons échangé ne se sentent pas vulnérabilisées par les mesures de justice restaurative. Au contraire, elles se disent renforcées par elles. Ces expériences sont produites, selon les cas, à la fois par la considération et la reconnaissance accompagnant l’entrée dans les mesures, par le travail émotionnel des praticiennes, par la resocialisation permise par la mesure (sortie de l’isolement que connaissent de nombreuses victimes à la suite des violences, formation d’amitiés avec d’autres victimes rencontrées pendant le parcours, et même avec des auteurs participant aux cercles de parole) et par la revalorisation de soi qu’elle permet bien souvent également.

Ces résultats indiquent sans doute l’importance du contexte que la justice restaurative produit pour la rencontre entre victime et auteur : considérant auteurs et victimes à parts égales, il peut donner de fait plus de pouvoir aux victimes qu’elles n’en avaient dans les relations violentes qui les liaient à leurs agresseurs, d’autant plus que ce cadre s’éloigne de la figure de passivité attribuée aux victimes pour ouvrir la possibilité d’une prise en main de leur histoire. En revanche, si le cadre créé par la justice restaurative établit une égalité entre auteur et victime au moment de leur rencontre, il ne change pas les inégalités sociales qui ont permis la violence. En cela, selon nous, la justice restaurative ne constitue pas tant un moyen de lutte contre les violences de genre que la rustine d’une société qui tolère, et favorise, ces violences.

The Conversation

Delphine Griveaud a reçu pour cette recherche des financements du Fonds national de la recherche scientifique belge (FNRS), de l'Institut Robert Badinter (CNRS - Ministère de la Justice), de la Direction et l'Ecole nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, et du Service d'aide aux victimes et à l'aide juridictionnelle.

Emeline Fourment a reçu pour cette recherche des financements de l'Institut Robert Badinter (CNRS - Ministère de la Justice) et du Centre Rouennais d'Etudes Juridiques (CUREJ).

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24.11.2025 à 16:33

« Le discours monotone du dictateur » ou comment Franco a construit un autoritarisme sans charisme

Susana Ridao Rodrigo, Profesora catedrática en el Área de Lengua Española (UAL), Universidad de Almería

Franco n’était pas un orateur charismatique, mais sa communication monotone, rigide et distante remplissait sa fonction : projeter l’autorité et légitimer un pouvoir autoritaire.
Texte intégral (1486 mots)

On associe volontiers les dictateurs aux discours tonitruants et exaltés d’un Hitler ou d’un Mussolini et à une mise en scène exubérante pensée pour galvaniser les foules. Franco, lui, a fait exactement l’inverse : les prises de parole de l’homme qui a verrouillé l’Espagne pendant près de quarante ans se distinguaient par une élocution froide et monotone et un style volontairement très austère.


Francisco Franco (1892-1975) a été le chef de l’État espagnol de la fin de la guerre civile (1936-1939) jusqu’à sa mort. Le régime franquiste a instauré une dictature autoritaire, qui a supprimé les libertés politiques et a établi un contrôle strict sur la société. Pendant près de quarante ans, son leadership a profondément marqué la vie politique, économique et culturelle de l’Espagne, dont l’empreinte durable a souvent fait et fait encore l’objet de controverses.

Mais d’un point de vue communicationnel, peut-on dire que Franco était un grand orateur ?

Cela dépend de la façon dont on définit « grand orateur ». Si l’on entend par éloquence la capacité à émouvoir, persuader ou mobiliser par la parole – comme savaient le faire Churchill ou de Gaulle –, Franco n’était pas un grand orateur. Cependant, si l’on analyse sa communication du point de vue de l’efficacité politique et symbolique, son style remplissait une fonction spécifique : il transmettait une impression d’autorité, de distance et de contrôle.

Son éloquence ne visait pas à séduire le public, mais à légitimer le pouvoir et à renforcer une image de stabilité hiérarchique. En ce sens, Franco a développé un type de communication que l’on pourrait qualifier de « discours de commandement », caractérisé par une faible expressivité et une rigidité formelle, mais qui cadrait avec la culture politique autoritaire du franquisme.

Sur le plan verbal, Franco s’appuyait sur un registre archaïque et protocolaire. Son lexique était limité, avec une abondance de formules rituelles (« tous espagnols », « glorieuse armée », « grâce à Dieu ») qui fonctionnaient davantage comme des marqueurs idéologiques que comme des éléments informatifs.

Du point de vue de l’analyse du discours, sa syntaxe tendait à une subordination excessive, ce qui générait des phrases longues, monotones et peu dynamiques. On observe également une préférence pour le mode passif et les constructions impersonnelles, qui diluent la responsabilité de l’émetteur : « il a été décidé », « il est jugé opportun », « il a été nécessaire ».

Ce choix verbal n’est pas neutre ; il constitue un mécanisme de dépersonnalisation du pouvoir, dans lequel la figure du leader est présentée comme l’incarnation de l’État, et non comme un individu qui prend des décisions. Ainsi, sur le plan verbal, Franco communique davantage en tant qu’institution qu’en tant que personne.

Communication paraverbale : voix, rythme et intonation

C’est un aspect caractéristique de sa communication. Franco avait une intonation monotone, avec peu de variations mélodiques. D’un point de vue prosodique, on pourrait dire que son discours présentait un schéma descendant constant : il commençait une phrase avec une certaine énergie et l’atténuait vers la fin, ce qui donnait une impression de lenteur et d’autorité immuable.

Le rythme était lent, presque liturgique, avec de nombreux silences. Cette lenteur n’était pas fortuite : dans le contexte politique de la dictature, elle contribuait à la ritualisation du discours. La parole du caudillo ne devait pas être spontanée, mais solennelle, presque sacrée.

Son timbre nasal et son articulation fermée rendaient difficile l’expressivité émotionnelle, mais renforçaient la distance. Ce manque de chaleur vocale servait la fonction propagandiste. Le leader n’était pas un orateur charismatique, mais une figure d’autorité, une voix qui émanait du pouvoir lui-même. En substance, sa voix construisait une « éthique du commandement » : rigide, froide et contrôlée.

Contrôle émotionnel

Sa communication non verbale était extrêmement contrôlée. Franco évitait les gestes amples, les déplacements ou les expressions faciales marquées. Il privilégiait une kinésique minimale, c’est-à-dire un langage corporel réduit au strict nécessaire.

Lorsqu’il s’exprimait en public, il adoptait une posture rigide, les bras collés au corps ou appuyés sur le pupitre, sans mouvements superflus. Ce contrôle corporel renforçait l’idée de discipline militaire et de maîtrise émotionnelle, deux valeurs essentielles dans sa représentation du leadership.

Son regard avait tendance à être fixe, sans chercher le contact visuel direct avec l’auditoire. Cela pourrait être interprété comme un manque de communication du point de vue actuel, mais dans le contexte d’un régime autoritaire, cela consistait à instaurer une distance symbolique : le leader ne s’abaissait pas au niveau de ses auditeurs. Même ses vêtements – l’uniforme, le béret ou l’insigne – faisaient partie de sa communication non verbale, car il s’agissait d’éléments qui transmettaient l’idée de la permanence, de la continuité et de la légitimité historique.

Charisme sobre d’après-guerre

Le charisme n’est pas un attribut absolu, mais une construction sociale. Franco ne jouait pas sur une forme de charisme émotionnel, comme Hitler ou Mussolini, mais il avait un charisme bureaucratique et paternaliste. Son pouvoir découlait de la redéfinition du silence et de l’austérité, car dans un pays dévasté par la guerre, son style sobre était interprété comme synonyme d’ordre et de prévisibilité. Son « anti-charisme » finit donc par être, d’une certaine manière, une forme de charisme adaptée au contexte espagnol de l’après-guerre.

Du point de vue de la théorie de la communication, quel impact ce style avait-il sur la réception du message ? Le discours de Franco s’inscrivait dans ce que l’on pourrait appeler un modèle unidirectionnel de communication politique. Il n’y avait pas de rétroaction : le récepteur ne pouvait ni répondre ni remettre en question. L’objectif n’était donc pas de persuader, mais d’imposer un sens.

En appliquant là théorie de la communication du linguiste Roman Jakobson, on constate que les discours solennels de Franco, la froideur de son ton, visaient à forcer l’obéissance de l’auditoire en empêchant toute forme d’esprit critique et en bloquant l’expression des émotions.

Anachronique devant la caméra

Au fil du temps, son art oratoire n’a évolué qu’en apparence. Dans les années 1950 et 1960, avec l’ouverture du régime, on perçoit une légère tentative de modernisation rhétorique, tout particulièrement dans les discours institutionnels diffusés à la télévision. Cependant, les changements étaient superficiels : Franco usait de la même prosodie monotone et du même langage rituel. En réalité, le média télévisuel accentuait sa rigidité. Face aux nouveaux dirigeants européens qui profitaient de la caméra pour s’humaniser, Franco apparaissait anachronique.

L’exemple de Franco démontre que l’efficacité communicative ne dépend pas toujours du charisme ou de l’éloquence, mais plutôt de la cohérence entre le style personnel et le contexte politique. Son art oratoire fonctionnait parce qu’il était en accord avec un système fermé, hiérarchique et ritualisé. Dans l’enseignement de la communication, son exemple sert à illustrer comment les niveaux verbal, paraverbal et non verbal construisent un même récit idéologique. Dans son cas, tous convergent vers un seul message : le pouvoir ne dialogue pas, il dicte.

Aujourd’hui, dans les démocraties médiatiques, ce modèle serait impensable ; néanmoins, son étude aide à comprendre comment le langage façonne les structures du pouvoir, et comment le silence, lorsqu’il est institutionnalisé, peut devenir une forme de communication politique efficace.

The Conversation

Susana Ridao Rodrigo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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24.11.2025 à 16:32

Minerais critiques : une instabilité qui fragilise les pays émergents et en développement

Paola D'Orazio, Associate Professor, IÉSEG School of Management

Avoir un territoire riche en minerais critiques n’est pas nécessairement un atout économique. Cela peut même mettre en danger la croissance.
Texte intégral (1744 mots)

La hausse de la demande en minerais critiques nécessaires pour mener à bien la transition énergétique n’est pas qu’une bonne nouvelle pour les pays producteurs. Elle les soumet à la volatilité des marchés. D’où l’exigence de mesurer leur exposition à ce risque nouveau.


Voitures électriques, panneaux solaires, éoliennes : la transition énergétique semble être une bonne nouvelle pour la planète. Pourtant, derrière ces technologies se cache une dépendance croissante à une poignée de minerais dits critiques : lithium, cobalt, nickel ou terres rares, entre autres. Ces ressources sont indispensables pour fabriquer des batteries, des moteurs électriques ou encore des turbines. Leur demande pourrait être multipliée par sept d’ici à 2040 selon l’Agence internationale de l’énergie (IEA).

Le changement climatique expose les pays émergents et en développement à deux grands types de risques. Les risques physiques proviennent des catastrophes naturelles – inondations, sécheresses, ouragans – qui détruisent les infrastructures perturbent l’agriculture et pèsent lourdement sur les finances publiques. Les risques de transition d’ordre économique apparaissent lorsque l’économie mondiale s’oriente vers un modèle bas carbone : nouvelles réglementations, innovations technologiques, marchés instables.

Les pays producteurs de minerais critiques se trouvent au premier plan de ces risques, car leur prospérité dépend de ressources de plus en plus demandées mais aux prix très volatiles. Or cette exposition est amplifiée par une autre réalité. La production mondiale de ces matériaux est concentrée dans un petit nombre de pays. La République démocratique du Congo fournit plus de 70 % du cobalt, la Chine domine les terres rares, le Brésil exporte graphite et nickel, tandis que le Pérou est un acteur majeur du cuivre. Cette concentration confère à ces pays un rôle stratégique, mais elle les rend aussi particulièrement vulnérables. Quand un budget national repose trop sur un seul minerai, la moindre variation de prix peut déstabiliser les finances publiques.


À lire aussi : Transition verte : peut-on vraiment comparer les dépendances aux métaux rares et au pétrole ?


Dangereux yo-yo

Les marchés des minerais critiques sont notoirement instables. Le cobalt, par exemple, a vu son prix doubler puis chuter de moitié en quelques années. Pour un État comme la République démocratique du Congo ou la Zambie, dont une grande partie des recettes publiques repose sur ce minerai, ces variations sont un casse-tête. Une année, elles financent écoles et hôpitaux ; l’année suivante, elles doivent couper dans leurs dépenses ou s’endetter davantage. L’Argentine, de son côté, dépend fortement du lithium, tandis que le Pérou repose sur le cuivre, pilier de ses finances publiques. En Indonésie ou au Brésil, le nickel suit les cycles de l’industrie mondiale.

Contrairement au problème classique de la rente pétrolière – et de ses implications fiscales – observées, par exemple, en Algérie ou au Nigéria, il ne s’agit pas ici d’un seul produit mais d’une mosaïque de minerais, chacun avec ses propres dynamiques de prix et de demande. En Afrique, la RDC dépend du cobalt, la Zambie du cuivre et du cobalt, le Mozambique et Madagascar du graphite ou des terres rares. En Amérique latine, l’Argentine mise sur le lithium, le Pérou sur le cuivre, tandis que le Mexique apparaît plus diversifié. En Asie, l’Indonésie est très exposée au nickel, quand le Kazakhstan ou les Philippines présentent des risques plus modérés. Cette diversité de situations rend la vulnérabilité plus diffuse et complique les réponses budgétaires.

Des économies vulnérables

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande pour des minerais comme le lithium, le cobalt et le nickel pourrait être fortement multipliée d’ici à 2040. L’avenir dépendra des choix politiques des différents pays en matière de transition climatique. Si ceux-ci poursuivent les politiques actuelles, la croissance de la demande sera progressive, mais les États exportateurs resteront dépendants de leurs recettes minières. Dans un scénario plus ambitieux, où le monde viserait la neutralité carbone, la demande grimperait beaucoup plus vite, ce qui gonflerait les recettes fiscales, mais accentuerait aussi les risques liés à la volatilité des prix.

Or, si plusieurs travaux – par exemple, ceux de l’Agence internationale de l’énergie sur la sécurité d’approvisionnement en minerais critiques, de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les chaînes de valeur et les restrictions à l’exportation, ou encore du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale sur la vulnérabilité budgétaire des pays riches en ressources – évaluent déjà les risques d’approvisionnement ou les enjeux géopolitiques liés à ces matières premières, il existe encore peu d’outils pour mesurer concrètement ce que cette volatilité implique pour les finances publiques des pays producteurs, alors qu’un tel indice est essentiel pour éclairer les décisions budgétaires et de gestion des risques.

Pour analyser ces dynamiques et mieux mesurer cette exposition, un indice de risque fiscal (Fiscal Revenue Risk Index) a été développé dans une étude récente que j’ai menée. Il prend en compte la dépendance des recettes publiques aux minerais, la volatilité historique des prix et l’évolution de la demande. Les résultats révèlent des contrastes marqués : le Mozambique, le Gabon et la République démocratique du Congo présentent des scores de risque élevés. L’Argentine, grande productrice de lithium, voit son risque croître fortement entre 2030 et 2040, tandis que le Mexique et les Philippines, grâce à des économies plus diversifiées, apparaissent plus stables.

Un impact réel pour les populations

La question n’est pas abstraite. Les recettes fiscales financent les services publics. Si elles s’effondrent à cause d’une chute du prix du cobalt ou du cuivre, les gouvernements risquent de réduire les dépenses sociales, de repousser des investissements en santé ou en éducation, ou encore d’augmenter brutalement les impôts. Autrement dit, la volatilité des minerais peut se traduire directement dans la vie quotidienne des populations.

Trois pistes ressortent des travaux récents sur la vulnérabilité fiscale liée aux minerais critiques :

  • Diversifier les économies : réduire la dépendance aux recettes minières en développant d’autres secteurs comme l’agriculture, l’industrie manufacturière ou les services.

  • Mettre en place des fonds de stabilisation : épargner une partie des revenus tirés des minerais lors des périodes de prix élevés pour amortir les chocs en cas de chute brutale. L’exemple des fonds souverains, comme celui de la Norvège alimenté par le pétrole, illustre ce mécanisme.

  • Renforcer la coopération internationale : les pays consommateurs et producteurs ont intérêt à mieux coordonner leurs politiques. L’Union européenne (UE), avec son Critical Raw Materials Act, cherche à sécuriser ses approvisionnements, mais elle pourrait aussi contribuer à aider les pays producteurs à gérer la volatilité et à investir dans un développement durable.


À lire aussi : Comment échapper à la malédiction de la rente fossile ?


Une promesse à double tranchant

L’Europe importe presque tous ses minerais critiques. Sa sécurité énergétique et industrielle dépend donc de la stabilité de pays comme la RDC, l’Argentine ou le Mozambique. Une crise budgétaire locale pourrait suffire à perturber la production mondiale de batteries et à ralentir la transition énergétique.

Minerais critiques : une instabilité qui fragilise les pays émergents et en développement

La transition verte est indispensable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais elle crée aussi de nouvelles fragilités dans les économies du sud. Pour qu’elle réussisse, il ne suffit pas d’innover technologiquement : il faut aussi garantir que les pays producteurs en tirent des bénéfices durables, sans tomber dans le piège de la dépendance et de la volatilité.

En somme, l’énergie verte n’est pas seulement une affaire d’ingénierie. C’est aussi une question de fiscalité, de solidarité et de gouvernance mondiale.

The Conversation

Paola D'Orazio ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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