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22.11.2025 à 08:18

Syndicats : la longue marche des femmes pour se faire entendre

Fanny Gallot, Historienne, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Longtemps dominés par les hommes, les syndicats français ont tardé à intégrer les luttes féministes, explique l’historienne Fanny Gallot dans un chapitre de l’ouvrage collectif « Théories féministes », paru au Seuil.
Texte intégral (2460 mots)

Si deux femmes sont aujourd’hui à la tête de deux des principaux syndicats français, les organisations syndicales ont mis du temps à intégrer les questions féministes. Dans le chapitre « En finir avec un syndicalisme d’hommes » de l’ouvrage collectif « Théories féministes » (Seuil, septembre 2025), l’historienne Fanny Gallot raconte leur difficile mue féministe au sein d’un mouvement ouvrier au départ méfiant envers le travail des femmes.


Si les revendications féministes ont longtemps été perçues par les organisations syndicales comme divisant la classe ouvrière et représentant des intérêts considérés comme bourgeois, elles ont néanmoins servi d’aiguillon, jouant un rôle fondamental dans la prise en compte des droits sociaux et professionnels des femmes. Pour mieux saisir les défis théoriques et militants actuels dans l’articulation entre revendications féministes et orientations syndicales, il importe de revenir sur l’histoire de l’articulation entre ces mouvements.

Pour la période d’avant 1914, l’historienne Marie-Hélène Zylberberg-Hocquard rappelle la méfiance du mouvement ouvrier envers le travail des femmes, perçu comme une menace pour les salaires masculins et l’organisation traditionnelle du travail. « Ménagère ou courtisane », écrivait Pierre-Joseph Proudhon au milieu du XIXe siècle à propos du rôle des femmes dans la société : leur travail professionnel était loin d’être alors une évidence. Au tournant du XXe siècle, ces orientations expliquent leur faible syndicalisation et les tensions entre objectifs féministes et syndicaux, tandis que les femmes ne peuvent se syndiquer sans l’autorisation de leur mari jusqu’en 1920.

Résistance syndicale à l’intégration des femmes

En 1901, l’affaire Berger-Levrault, analysée par l’historien François Chaignaud, est emblématique des tensions entre féminisme et syndicalisme : la direction de l’imprimerie Berger-Levrault (à Nancy, ndlr) fait appel à des ouvrières pour remplacer des grévistes masculins, ce qui provoque un conflit avec le Syndicat des femmes typographes. En 1913, une typographe voit ainsi son adhésion syndicale refusée sous prétexte qu’elle est mariée à un syndiqué (le fond du problème, c’est qu’elle est elle-même typographe et que la Fédération du Livre voyait d’un mauvais œil le travail des femmes, ndlr) : c’est l’affaire Couriau, qui illustre bien la résistance syndicale à l’intégration des femmes et montre comment le travail féminin est perçu comme dévalorisant les conditions salariales globales, limitant la reconnaissance des femmes comme partenaires légitimes dans la lutte sociale.

Les organisations syndicales relèguent ainsi les revendications portant sur l’égalité salariale au second plan, au profit de la lutte des classes considérée comme prioritaire, et ce d’autant plus que le travail des femmes, moins bien rémunéré, tendrait à « tirer les salaires vers le bas ».

Seule photographie connue de Lucie Baud, non datée.

Les femmes sont alors perçues comme des travailleuses temporaires apportant un salaire d’appoint au ménage : c’est le salaire de l’homme gagne-pain qui est censé nourrir l’ensemble de la famille.

Des initiatives pionnières, à l’image de celles de Lucie Baud, syndicaliste et ouvrière en soierie, révèlent néanmoins l’implication des femmes dans les grèves et leur appropriation de l’outil syndical pour lutter contre des conditions de travail inhumaines.

De leur côté, les institutrices s’organisent en amicales puis en syndicats et groupes d’études. […] Les femmes vont ensuite participer massivement aux grèves de mai-juin 1936 dans tous les secteurs et sur l’ensemble du territoire.


À lire aussi : Comprendre le mythe du Front populaire


Tandis que Martha Desrumaux coordonne les grèves du textile dans le Nord, les femmes des grands magasins – où elles composent 80 % de la main-d’œuvre – entrent dans la mobilisation et occupent leurs lieux de travail bien qu’elles n’y soient pas toujours bien accueillies par les hommes, y compris syndicalistes.

Cependant, la plupart du temps, elles ne prennent pas la tête des mobilisations. Malgré leur participation active aux grèves et la montée en puissance de la revendication « à travail égal, salaire égal » depuis les années 1920, l’écart de salaires entre les femmes et les hommes est maintenu, le patronat autant que les syndicats tenant à cette différenciation. Si la revendication est formellement portée par les structures syndicales sous la pression des militantes, elle n’est pas prioritaire et n’est pas reprise par les hommes qui, seuls, participent aux négociations.

La difficile mue féministe des syndicats

Après la Seconde Guerre mondiale, la création de commissions féminines au sein des syndicats, notamment à la CGT, marque un tournant. Ces structures, destinées à intervenir spécifiquement auprès des salariées, restent cependant limitées dans leur portée. Ce n’est qu’à partir des années 1960 que des avancées significatives émergent, bien que l’idée de complémentarité naturalisée des sexes continue de prédominer au sein des syndicats.

Cependant, durant les « années Beauvoir » que l’historienne Sylvie Chaperon a étudiées, l’action des militantes conduit à poser plus largement la question de la syndicalisation des femmes.

Ainsi que l’ont montré les travaux de la sociologue Margaret Maruani, les années 1970 constituent une décennie de rupture marquée par l’émergence de mouvements féministes autonomes et l’intensification des luttes ouvrières. Ces deux dynamiques, bien que distinctes, ont souvent convergé dans leurs revendications. Les luttes pour la légalisation de la contraception et de l’avortement, portées par des collectifs comme le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC), exercent une pression importante sur les organisations syndicales, les obligeant à prendre position sur ces enjeux, tandis que les premières théorisations du travail domestique sont discutées.

Face à ces revendications, la CGT et la CFDT adoptent des stratégies distinctes. La CGT crée des secteurs féminins, tandis que la CFDT intègre ces questions de manière transversale. Ces approches reflètent des compréhensions différentes du féminisme, mais également des enjeux internes concernant la répartition des tâches et les rapports de pouvoir au sein des syndicats.

Ainsi, en 1970, la CGT récuse nationalement une conception « féministe de l’égalité », qu’elle considère comme étroite et, en 1973, elle précise cette analyse : « La conception “féministe” selon laquelle la société aurait été construite “par les hommes et pour les hommes” est erronée. » […]

Le mouvement féministe prend de l’importance et la CGT ne peut pas y rester imperméable, d’autant qu’une nouvelle génération de femmes syndicalistes se forge dans la foulée du mouvement de mai-juin 1968. Ces changements provoquent des conflits importants. Ainsi, à l’Union départementale du Rhône, les tensions, voire les heurts, entre le collectif féminin de la CGT et la direction syndicale sont fréquents, soulignant l’incapacité des organisations à concilier pleinement luttes pour les droits des femmes et stratégies syndicales.

Normes viriles de militantisme

C’est dans ce contexte tendu qu’intervient le suicide d’une militante de la CGT, Georgette Vacher. Intensément impliquée dans la construction du collectif féminin, elle déplore les « bâtons dans les roues » permanents et l’opprobre dont elle a fait les frais en interne. La veille du 29e congrès de l’UD du Rhône, tenu du 21 au 23 octobre 1981, Georgette Vacher met fin à ses jours après avoir préalablement laissé des cassettes audio dans lesquelles elle raconte son histoire et explique son geste en mettant en accusation les dirigeants départementaux de la CGT. […]

Au début des années 1980, ces débats sont également portés par des militantes de la CFDT qui aspirent à en finir « avec un syndicalisme d’hommes » :

« La situation vécue par les travailleuses n’est pas celle vécue par les hommes, et il n’est pas suffisant que l’Organisation – c’est-à-dire les hommes qui en sont les responsables – soit à l’écoute, encore faut-il que l’Organisation soit capable à tous les moments de la vie syndicale de traduire les situations vécues par l’ensemble de la classe ouvrière. Comment cela pourrait-il se réaliser si nous ne réussissons pas une politique de présence active des travailleuses dans tous les lieux d’analyse, d’élaboration et de décision ? […] La prédominance du monde des hommes, leur mode de fonctionnement, leur forme de militantisme, leur disponibilité plus grande introduisent, au plus bas niveau de notre structure, un filtre, un système de sélection dont pâtit l’ensemble des autres niveaux de la structure. » (Extrait du rapport mixité au Conseil national (CN) du 21 mai 1981, Archives CFDT, fonds Marcel-Gonin, cité par Fanny Gallot dans « Mobilisées, une histoire féministe des contestations populaires », Seuil, 2024, p.159.)

Y compris localement et dans le cadre de grèves de femmes des classes populaires, des tensions apparaissent entre les normes de militantisme viril et les stratégies mises en œuvre par les femmes pour se faire entendre, comme le montre la sociologue Ève Meuret-Campfort.

De nouveaux défis

Après les années 1980, qualifiées de « décennie silencieuse » par l’économiste Rachel Silvera du point de vue de l’appréhension syndicale des enjeux féministes, les mobilisations sociales de novembre-décembre 1995 marquent un renouveau, tandis que les féminismes se redéploient après la puissante manifestation féministe du 25 novembre 1995.

À la CGT, par exemple, le collectif Femmes mixité est relancé en 1993 et revendique la parité des structures de la confédération, laquelle est actée par le congrès confédéral en 1999. Dans le même temps, la syndicaliste Maryse Dumas, alors élue au bureau confédéral de la CGT, souligne qu’il s’agit de « dépasser la notion de “spécificité” », car, précise-t-elle, « parler de spécificité pour les femmes signifie bien que le centre, le global, le majoritaire est masculin ». Elle ajoute, « notre syndicalisme est féministe parce qu’il agit pour l’émancipation et la liberté des femmes ». Dans cette dynamique, la FSU, la CGT et Solidaires coorganisent les intersyndicales femmes, à partir de 1997.

Cependant, malgré des avancées, de nombreux défis restent à relever. La sous-représentation des femmes dans les postes à responsabilité demeure un problème majeur, comme le montre la sociologue Cécile Guillaume à propos de Solidaires, tandis que les comportements sexistes et de pratiques excluantes persistent, ce qui freine l’ascension des militantes dans les structures syndicales. Des normes de genre implicites valorisant les hommes persistent et conduisent au maintien d’une division sexuée du travail syndical.

Un autre enjeu contemporain se rapporte à la prise en compte des oppressions croisées, ce qui nécessite une refonte des stratégies syndicales pour mieux répondre aux besoins des travailleuses, notamment racisées ou occupant des emplois précaires, comme le montre la sociologue Sophie Béroud. Parmi les enjeux à repenser, on trouve également le « hors-travail », selon le terme de Saphia Doumenc, qui se concentre sur les mobilisations et l’implication syndicale des femmes de chambre à Lyon et à Marseille. Tandis que se déploie la perspective de la grève féministe dans de nombreux pays, l’enjeu du travail reproductif, qu’il soit rémunéré ou non, invite les organisations syndicales à repenser leur intervention dans une approche désandrocentrée du travail et de la contestation.

The Conversation

Fanny Gallot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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22.11.2025 à 08:16

L’alcool, un facteur de risque majeur dans les violences sexuelles entre étudiants ?

Laurent Bègue-Shankland, Professeur de psychologie sociale, membre honoraire de l’Institut universitaire de France (IUF), directeur de la MSH Alpes (CNRS/UGA), Université Grenoble Alpes (UGA)

Philippe Arvers, Médecin addictologue et tabacologue, Université Grenoble Alpes (UGA)

L’alcool pourrait jouer un rôle majeur dans les violences sexuelles entre étudiants, en augmentant le risque de passage à l’acte chez les auteurs et la vulnérabilité des victimes.
Texte intégral (1939 mots)

Dans l’enseignement supérieur, la consommation d’alcool entre étudiants pourrait jouer un rôle majeur dans la survenue de violences sexuelles. C’est ce que suggère une enquête française menée en 2024 sur plus de 65 000 étudiants. Des recherches doivent être conduites pour mettre au jour les mécanismes à l’œuvre et accompagner les actions de prévention.


Les violences sexuelles touchent aujourd’hui des millions de femmes et d’hommes à travers le monde et leurs conséquences sur la santé physique et psychologique des victimes ne sont plus à démontrer.

3919, le numéro national d’écoute de Violences Femmes Info

  • Anonyme et gratuit, ce numéro est destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnels concernés.
  • Il est accessible depuis un poste fixe et un mobile en France hexagonale et dans les DROM.

Des violences sexuelles dans les universités et les grandes écoles

Dans le sillage de #MeToo, aujourd’hui, ces violences sont dénoncées aussi dans l’enseignement supérieur, notamment entre étudiants.

En France, universités et grandes écoles ont pris conscience de l’importance de ces violences, par exemple avec le mouvement #sciencesporcs (qui met en cause des étudiants mais également des professeurs, ndlr). En plus de leurs conséquences sur la santé mentale des victimes, les violences sexuelles entre étudiants augmentent les risques de désinvestissement du cursus et d’abandon des études.

Dans l’enseignement supérieur comme ailleurs, il existe de nombreuses actions susceptibles de lutter contre ces violences. Au-delà de prises de conscience nécessaires, les campagnes de sensibilisation ne permettent pas toujours de constater des effets. Identifier les facteurs de risques fréquemment présents dans les situations de violence est une piste prometteuse.

Les numéros d’urgence à contacter si vous êtes victime de violences sexistes et sexuelles

  • Le 15 : le numéro des urgences médicales (SAMU).
  • Le 17 : le numéro de la police et de la gendarmerie.
  • Le 18 : le numéro des pompiers.
  • Le 114 : en remplacement du 15, du 17 et du 18 pour les personnes sourdes, malentendantes, aphasiques, dysphasiques.

L’alcool, souvent impliqué dans des situations de violences sexuelles

Pour des raisons qui relèvent de ses propriétés psychopharmacologiques mais aussi du fait de ses significations culturelles, l’alcool fait partie des facteurs de risques de violences et sa place dans des crimes incluant des violences sexuelles a fait l’objet de nombreuses études.

Une enquête irlandaise auprès de 6 000 étudiantes et étudiants indiquait, par exemple, que deux tiers des victimes pensaient que l’agresseur avait bu de l’alcool ou consommé des drogues juste avant les faits. Selon une synthèse de 34 études, l’alcool augmente de manière causale les risques de violences sexuelles indépendamment du profil des consommateurs.

Enfin, dans une enquête plus récente menée en France auprès de 66 767 étudiants dans l’enseignement supérieur, l’auteur était alcoolisé dans 62 % des tentatives d’agression sexuelle et 56 % des agressions sexuelles effectives, selon les estimations des victimes. C’était le cas dans 42 % des tentatives de viol et 43 % des viols. Si l’on prend en compte, pour chaque situation de violence sexuelle, la prise d’alcool cumulée des auteurs et des victimes, l’alcool était présent dans près de la moitié à deux tiers des violences sexuelles.

Vulnérabilité accrue de la victime alcoolisée

L’alcool consommé par une victime potentielle pourrait fonctionner comme un véritable signal de sélection pour les auteurs. Une observation systématique menée dans des bars, pubs et clubs en Amérique du Nord suggérait qu’indépendamment de la consommation des individus qui l’approchaient, plus une femme avait consommé d’alcool, plus les consommateurs masculins se montraient envahissants et sexuellement agressifs par leurs gestes, leurs commentaires, leur refus de la laisser seule ou leur tendance à l’attraper ou à la toucher de manière inappropriée.

Quelques recherches se sont concentrées sur les situations rencontrées par de jeunes femmes lors de leur entrée à l’université. L’alcool pourrait altérer les capacités de jugement et d’autodéfense des victimes. Ces dernières connaîtraient davantage de comportements à risque et subiraient notamment plus d’expériences sexuelles perçues comme négatives quand elles boivent davantage. Et à partir d’un certain seuil d’alcoolisation, le risque semble s’intensifier.

Dans l’enquête française de 2024, les victimes se souvenaient avoir consommé de l’alcool dans 47,5 % des cas de tentative d’agression sexuelle, 44 % des agressions sexuelles, 35 % des cas de viol et 37 % des viols. De plus, les victimes de viol (ou de tentatives de viol) indiquaient dans presque 40 % des cas avoir consommé cinq verres d’alcool ou davantage.

L’analyse du lien entre les habitudes de consommation et la victimation a confirmé l’importance de l’usage chronique d’alcool. Notamment chez les femmes, plus les consommations habituelles étaient élevées, plus les risque de victimation sexuelle augmentait. Par exemple, 15 % de celles qui se situaient dans le premier tiers de la distribution du score du questionnaire AUDIT (soit les femmes ayant les consommations les plus faibles) avaient été victimes de violences sexuelles, contre 26 % de celles qui se situaient dans le tiers intermédiaire et 35 % de celles qui étaient dans le tiers supérieur.

Le questionnaire AUDIT, pour faire le point sur sa consommation d’alcool

  • Le questionnaire AUDIT (« Alcohol Use Disorders Identification Test » ou « Test pour faire l’inventaire des troubles liés à l’usage d’alcool») est un test simple en dix questions. Il a été développé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour déterminer si une personne présente un risque d’addiction à l’alcool.


À lire aussi : Alcool : et vous, buvez-vous trop ?


Ces chiffres soulignent aussi le fait que les femmes peuvent être victimes de violences sexuelles, même si elles consomment peu ou pas d’alcool. L’alcool interviendrait comme un facteur qui élève la probabilité de victimation à plusieurs niveaux : la reconnaissance de composantes de risque dans une situation donnée, leur interprétation et la réponse à apporter dans cette situation.

Selon une étude datant de 1999, l’alcool diminuerait notamment la capacité des victimes à réagir en cas d’agression, à se défendre ou à quitter les lieux. Un témoignage suggère qu’après les faits, une victime peut considérer que l’alcool a perturbé son jugement et accru sa vulnérabilité.

Une victime témoignait ainsi :

« Si je n’avais pas bu, je n’aurais jamais quitté le bar avec lui. J’ai essayé d’arrêter, mais j’étais tellement ivre et confuse. »

Quelle consommation d’alcool sur les campus ?

Des travaux de recherche montrent que la consommation d’alcool des étudiants sur un campus universitaire est listée, avec d’autres critères, comme un facteur pouvant favoriser les violences sexuelles. Une étude de 2004 menée sur 119 campus états-uniens indiquait que, par rapport à un campus où la consommation était plus faible, les personnes se trouvant sur des campus où les consommations massives étaient plus importantes avaient un risque de victimation sexuelle supérieur.

Enfin, dans de nombreux cas, l’auteur et la victime d’une agression sexuelle se trouvent dans un lieu fréquenté par d’autres personnes. Ces témoins peuvent exercer une action potentiellement protectrice. Cependant, les témoins qui ont consommé de l’alcool interviennent moins fréquemment dans une situation à risque impliquant des personnes, connues ou non.

En conclusion, il apparaît que l’alcool constitue un facteur majeur de risque de victimation sexuelle dans l’enseignement supérieur. Bien que de nombreux autres facteurs importants soient en jeu, l’alcool est une composante sur laquelle il est plus facile d’intervenir à court terme que les croyances culturelles ou les caractéristiques individuelles des auteurs.

Pour cette raison, les institutions qui accueillent des étudiants ne peuvent négliger les mesures de prévention efficientes, dont certaines sont actuellement en cours d’implémentation dans le contexte universitaire français, sous l’impulsion de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca).


Faire un signalement en ligne

En cliquant sur le lien de la plateforme gouvernementale « Arrêtons les violences », il est possible de signaler en ligne des violences sexuelles et sexistes et de trouver une association pour se faire accompagner.

The Conversation

Philippe Arvers est administrateur de : la Société francophone de tabacologie, la Fédération française d’addictologie, l’Institut Rhône-Alpes-Auvergne de tabacologie, Promotion Santé Auvergne-Rhône-Alpes, la Mutualité Française de l’Isère (MFI-SSAM)

Laurent Bègue-Shankland ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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21.11.2025 à 19:30

Uniforme à l’école : enquête au cœur de l’expérimentation

Julien Garric, maître de conférences en sociologie de l'éducation, Aix-Marseille Université (AMU)

Christine Mussard, Professeure des universités en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)

Une centaine d’établissements scolaires expérimentent le port d’une tenue obligatoire pour tous les élèves. Qu’en pensent les principaux concernés ? Et les enseignants ?
Texte intégral (1836 mots)

Depuis la rentrée 2024, et jusqu’en 2026, une centaine d’établissements scolaires expérimentent, du primaire au lycée, le port d’une tenue identique obligatoire pour tous les élèves. Comment cette mesure est-elle perçue et vécue au quotidien ? Premiers retours de terrain.


C’est une véritable révolution vestimentaire qui s’invite à l’école. Depuis la rentrée de septembre 2024, une centaine d’établissements – écoles, collèges et lycées – expérimentent le port d’une tenue commune obligatoire pour tous les élèves. Derrière cette initiative portée par le ministère de l’éducation nationale s’affiche l’ambition de renforcer le sentiment d’appartenance, d’atténuer les inégalités sociales, d’améliorer le climat scolaire et de lutter contre le prosélytisme.

L’expérience devait être accompagnée d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) et suivie par un comité d’experts, en lien avec la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) et les services statistiques du ministère (DEPP).

Au terme de deux années, si les résultats sont jugés concluants, le ministère envisage la généralisation du port de l’uniforme dans l’ensemble des écoles et établissements du pays.

Une rupture dans l’histoire de l’école française

Imposer le port d’une tenue réglementée marque une véritable rupture dans l’histoire de l’école française. En effet, malgré l’imaginaire collectif nostalgique d’une école d’antan, ordonnée et protégée des turbulences du monde, la France n’a jamais connu de politique imposant l’uniforme. Seuls quelques rares établissements privés catholiques ont inscrit cette pratique à leurs règlements intérieurs.

Dans le public, les élèves ont pu porter des blouses pour des raisons pratiques, mais sans recherche d’uniformité, et cet usage a peu à peu disparu dans les années 1970.

L’idée d’un uniforme scolaire émerge véritablement au début des années 2000, dans un contexte politique et éducatif centré sur la thématique de la restauration de l’autorité, et nourri par les polémiques à propos des tenues jugées provocantes de certaines adolescentes, ou encore du port du voile. Mais, jusqu’en 2022, le débat reste cantonné au terrain médiatique, sans traduction institutionnelle concrète.

Reportage en 2003 dans un collège où existe une réglementation sur les vêtements (INA Styles).

C’est dans un contexte de crise, à la fois scolaire et institutionnelle, que Gabriel Attal, alors ministre de l’éducation nationale, va lancer cette expérimentation en 2024. Une décision qui rompt avec la tradition scolaire française, mais dont la légitimité scientifique reste contestée.

La littérature existante – principalement anglo-saxonne et asiatique – ne démontre pas d’effet positif clair de l’uniforme sur les résultats académiques. Certaines études pointent même un impact négatif sur la santé physique et psychologique des élèves appartenant à des minorités de genre, ethniques ou religieuses, sans bénéfice notable sur le climat scolaire ou le sentiment d’appartenance.

Éclairer le vécu des élèves et du personnel éducatif

Pour dépasser les logiques propres au politique et les polémiques médiatiques, pour comprendre ce qui se joue réellement dans les établissements et pour contribuer au débat sur des bases plus solides, nous sommes allés sur le terrain, dans trois établissements pionniers de l’académie d’Aix-Marseille : deux collèges et un lycée. Nous avons rencontré les chefs d’établissements, les conseillers principaux d’éducation, assisté aux rentrées scolaires et diffusé des questionnaires auprès des élèves et des parents afin de recueillir leur perception.

Certes, cette recherche ne permettra pas de mesurer l’efficacité du dispositif en termes de résultats scolaires, de climat ou de lutte contre le harcèlement, mais elle apporte un éclairage précieux sur la manière dont cette expérimentation a été vécue au quotidien par les personnels, les élèves et leurs familles au terme d’une première année.

« Uniforme à l’école : problème de financement mais expérimentation toujours en cours en Paca » (France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur, avril 2025).

La personnalité des chefs d’établissement a joué un rôle déterminant dans le choix des établissements pilotes. Les deux principaux et le proviseur accueillant le dispositif sont des hommes qui affirment une forte adhésion aux valeurs républicaines. Pour lancer ce projet, susceptible de susciter des polémiques, les responsables des collectivités territoriales ont en effet préféré se tourner vers des établissements où l’opposition était plus faible, ou moins visible.

En revanche, les établissements présentent des profils très différents : le lycée accueille une population très favorisée, avec des parents « fiers de leur terroir », tandis que les deux collèges scolarisent des publics plus diversifiés, l’un en zone rurale et l’autre en périphérie urbaine. Pour ces personnels de direction, l’expérimentation n’est pas seulement une expérience pédagogique : elle représente aussi un moyen de valoriser leurs établissements et de renforcer leur compétitivité dans le marché scolaire local, notamment face aux établissements privés catholiques.

Certains collèges initialement pressentis ont par ailleurs renoncé à participer à l’expérimentation, face à la mobilisation du personnel, des familles ou des élèves.

Adultes et adolescents, des perceptions clivées

À l’appui des nombreuses réponses collectées (1 200 élèves, 1 100 parents), les parents d’élèves se montrent largement favorables à l’expérimentation, dans un étiage de 75 % à 85 % d’avis positifs selon les établissements, et ce, quel que soit leur profil social.

Ce positionnement reflète avant tout l’adhésion aux valeurs portées par le dispositif. En effet, s’ils estiment que le port d’une tenue unique contribue à restaurer l’autorité de l’école ou à défendre la laïcité, les parents considèrent que les effets concrets restent finalement limités, voire inexistants. Ils s’accordent sur le peu d’effet sur le harcèlement, les résultats scolaires ou la qualité des relations entre élèves. En revanche, l’expérimentation semble renforcer, à leurs yeux, l’image positive des établissements de leurs enfants.

La perception du climat scolaire par les élèves est en revanche plus contrastée. Si celle des collégiens reste proche des moyennes nationales, celle des lycéens apparaît nettement plus négative. Ce sentiment est fortement lié à l’obligation de porter l’uniforme et au contrôle strict de la tenue, perçus comme autoritaristes. En d’autres termes, l’obligation d’une tenue unique participe dans ce lycée à la dégradation de la qualité du climat scolaire.

De manière générale, les élèves interrogés, quel que soit leur âge, rejettent massivement l’initiative : ils ont vécu à 70 % l’annonce de l’expérimentation comme « horrible » et souhaitent majoritairement qu’elle soit abandonnée pour pouvoir à nouveau s’habiller comme ils le souhaitent. Pour eux, le dispositif n’a aucun impact sur les résultats scolaires, n’efface pas les différences sociales – encore visibles à travers les chaussures, les sacs ou autres accessoires – et n’améliore pas le sentiment d’appartenance.

Concernant le harcèlement, la majorité rejette l’idée que le port d’un uniforme puisse réduire le phénomène, et cette affirmation est encore plus marquée chez les élèves se disant victimes de harcèlement, qui considèrent que leur situation n’a pas du tout été améliorée. Le sentiment négatif est identique, quels que soient le milieu social ou l’expérience scolaire passée dans l’enseignement privé.

Dans le cadre de cette étude, les élèves critiquent également l’inadéquation des tenues avec leur vie quotidienne et les conditions climatiques : pas assez chaudes pour l’hiver et trop pour l’été.

Enfin, et surtout, ils conçoivent cette nouvelle règle comme une atteinte inacceptable à leur liberté d’expression. Ce ressentiment est particulièrement fort chez les lycéens, qui estiment que leur scolarité est gâchée par cette impossibilité d’affirmer leur individualité à travers le vêtement.

Au-delà de leurs critiques, ce qui ressort du discours des élèves, c’est le sentiment de ne pas avoir été consultés : l’expérimentation a été décidée sans eux et se déroule sans que leurs préoccupations soient prises en compte. Le contraste est frappant avec le discours des responsables, qui présentent un plébiscite de l’ensemble de la communauté scolaire. À titre d’exemple, des chefs d’établissement affirment que les élèves portent volontairement leur uniforme à l’extérieur de l’école comme marque de fierté et de sentiment d’appartenance, alors que 90 % des élèves déclarent exactement le contraire.

Quelle sera donc la suite donnée à cette expérimentation ? Outre le rejet massif par les élèves, l’adhésion des familles est à relativiser si l’on considère que l’expérimentation, intégralement financée par l’État et les collectivités locales ne leur coûte rien. La généralisation du port d’une tenue unique pose d’importantes questions de financement, plus encore dans un contexte budgétaire sous tension. La conduite de cette expérimentation interroge plus globalement la fabrique de politiques publiques d’éducation, pensées dans des situations de crise ou perçues comme telles.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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