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17.11.2025 à 11:40

Le contrôle en cours de redéfinition à l’ère du travail à distance. Mais cela va-t-il dans le bon sens ?

Caroline Diard, Professeur associé - Département Droit des Affaires et Ressources Humaines, TBS Education

Suzy Canivenc, Chercheure associée à la Chaire Futurs de l'Industrie et du Travail, Mines Paris - PSL

Que se passe-t-il, en termes de contrôle du travail, quand les salariés ne sont plus sous le regard de leur manager ? Bienvenue dans le management à l’ère du télétravail.
Texte intégral (2352 mots)

Le télétravail en éloignant les salariés de leur manager a-t-il augmenté ou réduit le contrôle des tâches et du temps de travail ? De nouvelles formes et pratiques de management sont-elles apparues ? Dans quelle mesure sont-elles cohérentes avec les nouvelles façons de travailler à l’ère numérique ?


Alors que le contrôle du temps de travail et le droit à la déconnexion sont des obligations de l’employeur pour protéger la santé des salariés, l’étude 2025 de l’Observatoire du télétravail (Ugict-CGT) révèle que le Code du travail n’est pas respecté concernant ces deux dimensions.

En effet, malgré les bouleversements induits par le développement du travail à distance, les pratiques de contrôle restent assez limitées et s’orientent principalement vers la surveillance des temps de connexion, non pas dans l’objectif de les réguler comme le voudrait la loi, mais au contraire comme une attestation que le travail est effectué.

Cette pratique ne présage pas de l’implication et de la performance des télétravailleurs, mais révèle en revanche un manque de considération pour les conditions dans lesquelles le travail est exercé alors que l’employeur en est juridiquement responsable.

Du lien de subordination

Le contrôle fait partie inhérente du travail salarié et de la relation d’emploi formalisée par le lien contractuel employeur/employé, qui induit légalement un lien de subordination

Le contrat de travail est une

« convention par laquelle une personne s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre personne (physique ou morale), sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération ».

Le lien de subordination est donc consubstantiel à tout contrat de travail (quel qu’en soit le type) et renvoie au

« lien par lequel l’employeur exerce son pouvoir de direction sur l’employé : pouvoir de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner la mauvaise exécution des ordres ».

Le contrôle du travail concerne ainsi de manière très large l’exécution des tâches confiées par l’employeur.


À lire aussi : Le télétravail est-il devenu le bouc émissaire des entreprises en difficulté ?


Des modalités de contrôle peu novatrices

Avec le développement du télétravail et l’éclatement des unités de lieu, de temps et d’action, on aurait pu s’attendre à une évolution des modalités avec laquelle s’exerce ce lien de subordination et l’activité de contrôle qui lui est inhérente : la surveillance visuelle par les comportements n’est en effet plus possible lorsque les missions confiées sont réalisées à distance. L’enquête menée par l’Observatoire du télétravail de l’Ugict-CGT auprès de 5 336 télétravailleurs ne montre cependant pas de transformations profondes. Elle atteste en revanche de pratiques qui ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Si de plus en plus de salariés se sentent surveillés en télétravail, ils restent une minorité. En outre, la perception du contrôle est relativement faible. C’est seulement le cas de 17 % des répondants, contre 8 % lors de la précédente enquête menée en 2023.

A contrario, tout comme dans l’enquête précédente (2023), une forte majorité de salariés (79 %) ne savent pas s’ils sont contrôlés et n’ont pas été informés des dispositifs utilisés. Ces chiffres suggèrent que ce contrôle pourrait s’exercer à leur insu ou au travers de pratiques informelles déviantes.

Par ailleurs, lorsqu’ils sont identifiés, les dispositifs de contrôle ne sont guère novateurs et s’appuient encore largement sur le traditionnel reporting a posteriori plutôt que sur de nouvelles modalités technologiques en temps réel (IA, frappes de clavier, mouvements de souris, caméras). Le contrôle s’exerce ainsi avant tout sur les résultats de l’activité (plutôt que sur l’activité en train de se faire), en phase avec un management par objectifs qui sied mieux au travail à distance que le micromanagement, mais qui est loin d’être nouveau puisqu’il a été théorisé dans les années 1950 par Peter Drucker.

Transposition du réel au virtuel

Les modalités de contrôle consistent souvent en une transposition simple dans le monde virtuel les pratiques qui avaient déjà cours sur site : système de badge numérique (22,6 %) et feuille de temps (12,67 %).

Les verbatim recueillis lors de l’enquête révèlent en outre que, pour les télétravailleurs interrogés, ce contrôle consiste avant tout à s’assurer qu’ils sont bien connectés : « Le logiciel utilise le contrôle des connexions et leur durée », « Contrôle connexion permanent », « Heure de connexion/déconnexion sur Teams », « Suspicion de surveillance par le statut en veille de Teams ».

Ces témoignages traduisent une forme de glissement, d’un contrôle de l’activité à un contrôle de la disponibilité. Autrement dit, le contrôle ne renvoie plus à une mesure de la performance, mais à une preuve de présence – qui n’assure pas pour autant que le travail demandé est effectivement réalisé. Il s’agit donc davantage de regarder « le nombre d’heures de connexion du salarié que la qualité des contributions ou des échanges »

Impératif de présence

Cet impératif de présence peut par ailleurs s’étendre au-delà du temps de travail avec des sollicitations hors horaires (avant 9 heures ou après 19 heures). Si ces pratiques restent minoritaires, elles concernent tout de même un peu plus d’un salarié sur cinq régulièrement, et seul un tiers des répondants disent ne jamais y être confrontés.

Cette situation présente ainsi le risque de voir se développer « des journées de travail à rallonge » qui ne respectent pas les temps de repos légaux. Notons cependant que pour les répondants, ces sollicitations hors horaires ne sont pas directement liées au télétravail : plus de neuf personnes sur dix déclarent que ces situations ne sont pas plus fréquentes lorsqu’elles sont en télétravail que lorsqu’elles sont sur site.

Ce phénomène serait ainsi davantage lié à la « joignabilité » permanente permise par les outils numériques et à leur usage non régulé, quel que soit le lieu où s’exerce l’activité professionnelle.

Des pratiques en décalage avec le Code du travail

Il en ressort ainsi une vision assez pauvre du contrôle, qui pose par ailleurs problème au regard de nombreux articles du Code du travail qui ne sont pas respectés :

  • Articles L3131-1 à L3131-3 : l’employeur doit contrôler le volume horaire, l’amplitude, les maxima et les temps de repos.

  • Article L4121-1 : l’employeur a l’obligation de protéger la santé et la sécurité des travailleurs.

  • Article L1121-1 : les restrictions des libertés individuelles ne sont possibles que si elles sont justifiées et proportionnées.

  • Article L1222-4 : aucune donnée personnelle ne peut être collectée sans information préalable du salarié.

  • Article L2242-17 : droit à la déconnexion qui impose la mise en place de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale

Ainsi, le contrôle du travail n’implique pas seulement un droit de surveiller et de sanctionner de la part de l’employeur, il inclut également un devoir de protection des salariés.

Le télétravail lève ainsi le voile sur l’ambivalence du contrôle, tel qu’il est inscrit dans le Code du travail et tel qu’il est mis en œuvre par les entreprises. Comme le résume bien un télétravailleur interrogé dans le cadre des entretiens qualitatifs menés en complément de l’enquête :

« On a un outil qui permet non pas de contrôler qu’on travaille trop, mais de contrôler qu’on est bien connecté. »

Contrôler, c’est veiller… ou presque

À cet égard, il peut être utile de rappeler l’étymologie du terme « contrôle&nbsp. En vieux français, le terme « contrerole » est le « rôle opposé », le « registre tenu en double », permettant de vérifier l’exactitude et de réguler. Il est proche du terme « surveiller », qui est un dérivé de « veiller ». Ces origines étymologiques acquièrent une nouvelle portée à l’heure du télétravail en questionnant l’objet et l’objectif du contrôle : s’agit-il de contrôler uniquement le travail pour sanctionner sa mauvaise exécution ? N’est-il pas aussi question de contrôler les conditions dans lesquelles il est réalisé dans l’objectif de veiller au respect des droits des travailleurs ?

La question du contrôle s’inscrit pleinement dans les problématiques du travail hybride, à la fois en télétravail mais également sur site.

En effet, alors que le débat sur le « retour au bureau » agite les organisations, avec des annonces très médiatisées de certaines grandes entreprises, on peut questionner là aussi la notion du contrôle.

Du côté des employeurs, l’argumentaire principalement utilisé pour justifier le retour au bureau est celui du délitement des liens sociaux et ses conséquences potentielles sur l’intelligence collective sous toutes ses formes. Du côté des salariés et de leurs représentants subsiste une légitime suspicion quant à l’association entre présence sur site et contrôle.

Fnege 2025.

Insaisissable objet du contrôle

Il y a donc une tension dans les organisations. Mais on manque de précision sur ce qu’on souhaite contrôler. Deux ensembles de questions demeurent. D’une part, celles relatives à la surveillance. Est-on encore dans l’idée que la présence physique prouve le travail effectué ? Contrôle-t-on la quantité de travail ? Sa qualité ? La volonté d’une présence physique a-t-elle pour objectif de surveiller en temps réel le salarié à sa tâche, possiblement en l’absence de confiance ? D’autre part, celles relatives à l’accompagnement et au soutien. Le management est-il meilleur en co-présence ? Le soutien social est-il meilleur sur site ? La circulation de l’information trouve-t-elle de plus efficaces canaux ?

À l’évidence, le débat sur le retour au bureau est clivant, mais il pourrait l’être moins si l’on questionnait la valeur ajoutée réelle pour le salarié, pour son travail, pour sa satisfaction et donc pour sa performance, de se rendre sur site plutôt que de rester chez lui. La question n’est donc pas de savoir s’il faut contrôler, mais comment le faire !

Le lien de subordination demeure consubstantiel au contrat de travail – il fonde le pouvoir de direction, d’organisation et de sanction de l’employeur. Mais ce pouvoir doit s’exercer dans les bornes que fixe le droit : celles du respect, de la proportionnalité et de la santé au travail.

Ceci questionne une nouvelle éthique du management : veiller et protéger plutôt que surveiller ; réguler et animer plutôt que traquer. S’il est de sa responsabilité de garantir que ses équipes atteignent les performances attendues, le manager doit également le faire en s’assurant de la qualité et de la légalité des conditions dans lesquelles ces performances sont réalisées.


Cet article a été co-écrit avec Nicolas Cochard, directeur de la recherche du groupe Kardham, enseignant en qualité de vie au travail (QVT) en master RH à l’Université Paris Nanterre.

The Conversation

Suzy Canivenc est membre de l'OICN (Observatoire de l''Infobésité et de la Collaboration Numérique) et Directrice scientifique de Mailoop

Caroline Diard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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17.11.2025 à 11:32

Pourquoi les réunions de travail nuisent au bien-être

Willem Standaert, Associate Professor, Université de Liège

Face à la folie des réunions, la solution ne serait-elle pas, non de les supprimer, mais de mieux les concevoir ?
Texte intégral (1149 mots)
Toute réunion doit commencer par une question simple : pourquoi nous réunissons-nous ? Dotshock/Shutterstock

Trop nombreuses, trop longues et inefficaces, les réunions de travail, loin d’être de simples outils de coordination, peuvent devenir de véritables moteurs de mal-être. Comment y remédier ? Analyse par la science… des réunions.


Quiconque travaille dans une organisation le sait : les réunions s’enchaînent à un rythme effréné. En moyenne, les managers y passent vingt-trois heures par semaine. Une grande partie de ces échanges est jugée de faible valeur, voire totalement contre-productive. Le paradoxe de cette frénésie est que de mauvaises réunions en génèrent encore davantage… pour tenter de réparer les précédentes.

Pendant longtemps, les réunions n’ont pas été étudiées comme un objet de recherche en soi ; elles servaient de contexte à l’analyse, mais rarement d’unité centrale. Un manuel publié en 2015 a posé les bases de ce champ émergent, la « science des réunions ». Le véritable problème ne tient pas tant au nombre de réunions qu’à leur conception, au manque de clarté de leurs objectifs, et aux inégalités qu’elles renforcent souvent inconsciemment.

Se réunir nourrit le bien-être, ou lui nuit

Notre série d’études menées pendant et après la pandémie de Covid-19 souligne que les réunions peuvent à la fois nourrir le bien-être des participants et lui nuire. Trop de réunions peuvent conduire au burn-out et à l’envie de quitter son organisation ; mais elles peuvent aussi renforcer l’engagement des employés.

Le recours massif au télétravail et aux réunions virtuelles, accéléré par la pandémie, a introduit de nouvelles sources de fatigue : surcharge cognitive, hyperconnexion, effacement des frontières entre vie professionnelle et personnelle. Ces réunions en ligne favorisent aussi des interactions sociales continues et permettent de mieux percevoir la place de chacun dans l’organisation.

Les femmes parlent moins en visioconférence

Ces nouveaux formats de réunion ne sont pas vécus par tous de la même manière.

Un constat frappant concerne le temps de parole. Dans notre enquête menée auprès de centaines d’employés, les résultats sont clairs. Les femmes rapportent avoir plus de difficultés à s’exprimer en réunion virtuelle qu’en présentiel. Les causes sont multiples : interruptions plus fréquentes, invisibilité sur les écrans partagés, difficulté à décoder les signaux non verbaux, ou encore la double charge mentale lorsque les réunions se tiennent à domicile.

Autrement dit, les réunions en ligne – censées démocratiser l’accès – peuvent, si l’on n’y prend pas garde, renforcer les inégalités de genre.

Une réunion doit se concevoir, pas se subir

Face à cette folie des réunions, la solution n’est pas de les supprimer, mais de mieux les concevoir. Tout commence par une question simple, souvent oubliée : pourquoi nous réunissons-nous ?

Selon notre série d’études couvrant plusieurs milliers de réunions, il existe quatre grands objectifs :

  • partager de l’information,
  • prendre des décisions,
  • exprimer des émotions ou des opinions,
  • et construire des relations de travail.

Chacun de ces objectifs exige des conditions spécifiques, comme voir les visages, entendre les intonations, observer les réactions, partager un écran, etc. Aucun format (audio, visioconférence, hybride ou présentiel) n’est universellement le meilleur. Le mode choisi doit dépendre de l’objectif principal, et non d’une habitude ou d’une commodité technologique.

Plus encore, la recherche identifie des leviers simples mais puissants pour améliorer l’expérience collective :

  • partager à l’avance un ordre du jour clair et les documents nécessaires pour préparer les participants ;

  • varier les modes de prise de parole grâce à des outils de « main levée », des chats anonymes, ou des tours systématiques ;

  • jouer un vrai rôle de modération. Les responsables de réunion doivent équilibrer les interventions, encourager la participation et éviter les dynamiques d’exclusion.

Miroir de la culture organisationnelle

Les réunions ne sont jamais neutres. Elles reflètent – souvent inconsciemment – la culture, les rapports de pouvoir et les priorités implicites d’une organisation. Les données sont claires, les pistes d’amélioration existent. Reste aux entreprises et à leurs dirigeants à reconnaître le pouvoir transformateur des réunions.

Une organisation où seules les voix les plus fortes se font entendre en réunion est rarement inclusive en dehors. À l’inverse, des réunions bien menées peuvent devenir des espaces de respect et d’innovation collective.

L’objectif n’est pas d’avoir moins de réunions, mais de meilleures réunions. Des réunions qui respectent le temps et l’énergie de chacun. Des réunions qui donnent une voix à tous. Des réunions qui créent du lien.


Article écrit avec le Dr Arnaud Stiepen, expert en communication et vulgarisation scientifiques.

The Conversation

Willem Standaert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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17.11.2025 à 11:32

Sommes-nous entrepreneurs par nature ou par culture ? Étude sur notre cerveau

Frédéric Ooms, Chargé de cours, Université de Liège

Grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), qui permet de visualiser l’activité cérébrale, une étude récente explore le fonctionnement du cerveau d’entrepreneurs.
Texte intégral (1469 mots)
Si le cerveau est capable de renforcer certains réseaux neuronaux grâce à l’entraînement, comme on muscle son corps par le sport, alors l’expérience entrepreneuriale répétée pourrait elle-même être un facteur de développement de ces connexions particulières. BillionPhotos/Shutterstock

L’entrepreneuriat façonne-t-il le cerveau ? Certaines personnes naissent-elles avec des caractéristiques cérébrales qui les prédisposent à entreprendre ? Pour tenter de répondre à ces questions, une étude récente explore le fonctionnement du cerveau d’entrepreneurs grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, une technique qui permet de visualiser l’activité cérébrale.


Si l’on reconnaît l’importance des processus cognitifs chez les entrepreneurs
– comment pensent-ils et agissent-il face à l’incertitude ? –, on s’est peu intéressé à l’étude de leur cerveau lorsqu’ils prennent leurs décisions.

Pourquoi certains individus semblent exceller dans la création d’entreprises et naviguent habilement à travers l’incertitude, tandis que d’autres peinent à s’adapter ?

Pour tenter de faire la lumière sur la réponse à cette question, nous avons mené des travaux faisant converger neurosciences et recherche en entrepreneuriat. Nous avons en effet exploré l’activité cérébrale chez des entrepreneurs grâce à une technique d’imagerie médicale, l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf).

Fruit d’une collaboration entre le centre de recherche interdisciplinaire en sciences biomédicales GIGA Consciousness Research Unit de l’Université de Liège (Belgique) et le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Liège, notre étude ouvre de nouvelles perspectives sur la manière dont les entrepreneurs abordent la prise de décision, gèrent l’incertitude et exploitent de nouvelles opportunités.

Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf)

L’IRMf permet de visualiser l’activité cérébrale en mesurant les variations du flux sanguin dans le cerveau. Cette méthode repose sur un principe simple : lorsqu’une région du cerveau est activée, elle consomme plus d’oxygène, ce qui entraîne une augmentation du flux sanguin vers cette zone. Ce surplus d’oxygène modifie légèrement les propriétés magnétiques du sang. C’est cette différence que l’IRMf mesure pour créer des cartes d’activité cérébrale en temps réel, offrant ainsi une vue détaillée de la fonction cérébrale.

Plus précisément, notre étude s’est concentrée sur 23 entrepreneurs habituels
– c’est-à-dire ceux qui ont lancé plusieurs entreprises, en les comparant à 17 managers travaillant dans de grandes organisations.

L’analyse de connectivité en état de repos basée sur une région cérébrale d’intérêt (seed-based resting state fMRI) a révélé que ces entrepreneurs expérimentés présentent une connectivité neuronale accrue entre certaines régions de l’hémisphère droit du cerveau : l’insula et le cortex préfrontal. Ces zones jouent un rôle dans la flexibilité cognitive et la prise de décisions exploratoires, c’est-à-dire la capacité à ajuster sa stratégie et à penser autrement face à des situations nouvelles ou incertaines.

Mieux gérer l’incertitude

Ce réseau cérébral plus connecté pourrait contribuer à expliquer pourquoi ces entrepreneurs semblent mieux armés pour gérer l’incertitude et faire preuve de flexibilité cognitive, des capacités souvent associées à l’identification d’opportunités entrepreneuriales.

Que ce soit de manière séquentielle – les serial entrepreneurs, qui créent une entreprise après l’autre – ou de façon concurrente – les portfolio entrepreneurs qui gèrent plusieurs entreprises en même temps –, ces profils paraissent exceller dans l’art de s’adapter rapidement. Une compétence précieuse dans le monde des start-ups, où les repères sont rarement stables.

Une autre étude, portant sur le même groupe d’entrepreneurs et de managers met en lumière un autre phénomène intrigant : ces entrepreneurs habituels présentent un volume de matière grise plus important dans l’insula gauche. Bien que l’étude n’ait pas directement mesuré la pensée divergente, d’autres travaux ont montré que l’augmentation du volume de matière grise dans l’insula gauche est associée à cette capacité – c’est-à-dire la faculté de générer de nombreuses idées différentes pour résoudre un même problème.

Ce qui suggère que les différences observées chez ces entrepreneurs pourraient refléter une plus grande propension à la pensée divergente.

Une question essentielle reste ouverte : l’entrepreneuriat façonne-t-il le cerveau… ou bien certaines personnes naissent-elles avec ces caractéristiques cérébrales qui les prédisposent à entreprendre ?

Autrement dit, sommes-nous entrepreneurs par nature ou par culture ?

Nature ou culture ?

Cette interrogation est aujourd’hui au cœur des nouveaux projets de recherche menés par l’équipe d’HEC Liège et du Centre de recherche du cyclotron (CRC) de l’Université de Liège. Cette orientation de recherche s’appuie sur le concept de « plasticité cérébrale », c’est-à-dire la capacité du cerveau à se modifier sous l’effet des expériences et des apprentissages.

Si le cerveau est capable de renforcer certains réseaux neuronaux grâce à l’entraînement, comme on muscle son corps par le sport, alors l’expérience entrepreneuriale répétée pourrait elle-même être un facteur de développement de ces connexions particulières. À l’inverse, si ces différences cérébrales sont présentes dès le départ, cela poserait la question de traits cognitifs ou neurobiologiques favorisant l’esprit d’entreprise.

Pour répondre à ces questions, de nouveaux travaux sont en cours au sein du laboratoire et du GIGA-CRC, avec notamment des études longitudinales visant à suivre l’évolution des cerveaux d’entrepreneurs au fil de leur parcours, mais aussi des comparaisons avec de jeunes porteurs de projets ou des aspirants entrepreneurs.

L’enjeu est de mieux comprendre si, et comment, l’expérience de l’entrepreneuriat peut façonner notre cerveau. Cette nouvelle phase de la recherche est en cours et entre dans une phase clé : le recrutement des participants pour une étude en imagerie par résonance magnétique (IRM). Nous recherchons des volontaires, entrepreneurs ou non, prêts à contribuer à cette exploration scientifique inédite sur les effets de la pratique entrepreneuriale sur le cerveau.

Former les futurs entrepreneurs

L’intégration des neurosciences dans l’étude de l’entrepreneuriat offre une perspective novatrice sur les facteurs qui pourraient contribuer à l’esprit entrepreneurial. En comprenant si – et comment – l’expérience entrepreneuriale influence la structure et la fonction cérébrales, il deviendrait possible de concevoir des approches de formation spécifiques pour favoriser l’esprit d’entreprendre. On pourrait, par exemple, imaginer de mettre au point des exercices pratiques et des approches d’apprentissage immersif afin de développer chez les étudiants les compétences observées chez des entrepreneurs habituels.


Cet article a été rédigé avec l’aide du Dr Arnaud Stiepen, expert en communication et vulgarisation scientifiques.

The Conversation

Frédéric Ooms a été financé par une subvention ARC (Actions de Recherche Concertée) de la Fédération Wallonie‑Bruxelles.

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