20.08.2025 à 10:00
20 août 1899 : manifestation anarchiste contre l'antisémitisme
Le dimanche 20 août 1899, à Paris, une manifestation libertaire en faveur de Dreyfus tourne à l'affrontement avec les antisémites et la police.
Texte intégral (5455 mots)

Le dimanche 20 août 1899, à Paris, une manifestation libertaire en faveur de Dreyfus tourne à l'affrontement avec les antisémites et la police.
1899 : pic de tension de l'affaire Dreyfus

Jeu de l'oie représentant l'affaire Dreyfus
Rappel des épisodes précédents de l'affaire
L'accusation de trahison portée en 1894 contre le capitaine Alfred Dreyfus, d'origine alsacienne et de confession juive, a déchiré la société française au moins jusqu'en 1906 et l'arrêt de la Cour de cassation qui l'innocente et le réhabilite.
L'affaire ne rencontrait qu'un écho limité jusqu'en 1898 où Émile Zola publie son célèbre plaidoyer dreyfusard J'accuse ! Des émeutes antisémites éclatent dans plus de vingt villes françaises. L'affaire Dreyfus atteint ainsi son paroxysme en 1899, les tensions croissent, et les deux camps semblent prêts à en découdre.
Le 23 février, Paul Déroulède, chef de la « Ligue des patriotes », antidreyfusard, tente un coup d'État. Pierre Waldeck-Rousseau, alors président du Conseil, engage des poursuites contre les dirigeants des ligues nationalistes, accusés de complot contre la sûreté de l'État. Le 12 août 1899, les autorités font ainsi arrêter Paul Déroulède, les dirigeants de la « Ligue des patriotes », ainsi que les chefs des « Jeunesses royalistes », mais, refusant d'obtempérer au mandat d'amener lancé contre lui, Jules Guérin, parvient à se retrancher au siège du « Grand Occident de France » (nommé ainsi par obsession d'un « complot judéo-maçonnique »).
L'appel à manifester dans « Le Journal du Peuple »

« Le Journal du Peuple », quotidien anarchiste d'informations de quatre pages [1] publié par Sébastien Faure [2], multiplie alors les articles dreyfusards.
Le 20 août 1899, le journal convie ainsi tous les libertaires à se rassembler sur la place du Château-d'Eau (actuellement place de la République) « en faveur de la vérité, du bien-être et de l'émancipation sociale ». Il s'agit en l'occurrence de défendre la vérité dans le cadre de l'affaire Dreyfus, et de s'en prendre directement aux antisémites et en particulier aux partisans de Jules Guérin qui est retranché avec 12 hommes dans un immeuble proche de la place, au 51 rue de Chabrol à Paris (connu par dérision sous le nom de « Fort Chabrol »). Cet immeuble est le siège du « Grand Occident de France » (scission de la « Ligue Antisémite Française » d'Edouard Drumont [3]) et de « L'Antijuif » (hebdomadaire antidreyfusard qui a pu vendre jusqu'à 120 000 exemplaires par semaine) que Jules Guérin dirige. Le 20 août risque donc d'être un grand affrontement entre dreyfusards et antidreyfusards.
Affrontements et pillage de l'église Saint-Joseph
Le préfet Lépine, mobilisant de nombreuses forces de police, tente alors de bloquer la manifestation dreyfusarde, sans toutefois pouvoir empêcher tous les affrontements.
Les manifestants dreyfusards cherchent à remonter le boulevard Magenta vers la rue de Chabrol, mais sont refoulés vers Goncourt, où ils cherchent alors une autre cible. Cet épisode est relativement peu documenté. On en trouve une version directe chez Joseph Reinach :
Le dimanche 20 août, cinquième jour du siège [de fort Chabrol], les libertaires convoquèrent leurs amis à manifester place de la République « en faveur de la Vérité ».
Il y eut là deux troupes en face, les anarchistes et les antisémites, se menaçant, poussant des cris également ignobles : « A bas la calotte ! » et « Mort aux juifs ! ».
La police les empêcha tout juste d'en venir aux mains, arrêta Sébastien Faure et plusieurs de ses compagnons, mais arriva trop tard à l'église Saint-Joseph, envahie par une bande de jeunes malandrins qui brisèrent les autels et les vitraux, fracturèrent les troncs, entassèrent les bancs et les chaises au milieu de la nef, et en firent un feu. [4]
Si les anarchistes dreyfusards finissent par s'en prendre à cet édifice catholique, ce n'est certainement pas un hasard : en effet, si l'Eglise ne se positionne pas directement, ou très peu, sa presse (notamment le quotidien « La Croix » [5] et l'hebdomadaire « Le Pèlerin ») prennent très nettement position de manière antisémite, contre Dreyfus.
Ce discours ne peut être dissocié de l'interprétation catholique traditionnelle du nouveau testament selon une ligne clairement antisémite (le catéchisme officiel enseigne alors que les juifs sont les assassins de Jésus). Or, l'influence du catholicisme sur les mentalités est encore très forte : c'est la première religion reconnue par l'État [6], et dans tous les tribunaux, hôpitaux ou écoles de France, on trouve au mur un crucifix.
Ainsi l'église est envahie et saccagée : la lutte anarchiste contre l'antisémitisme n'est aucunement un compromis avec les forces religieuses, il s'agit bien d'une lutte contre la xénophobie à la manière de la critique libertaire de l'islamophobie actuellement.
De fait, les combats font rage lors du pillage de l'église Saint-Joseph. Au cours de la journée, 137 policiers sont blessés, dont un commissaire, gravement atteint après avoir tenté de saisir un drapeau rouge. Les affrontements se poursuivent jusque dans la soirée. On déplore également de nombreuses arrestations, près de 200, dont celle de Sébastien Faure.

Brève histoire de l'antisémitisme français du XIXe à nos jours

Les conséquences de l'affaire Dreyfus
L'affaire Dreyfus divise profondément la société française.
Elle est un symbole à la fois de l'iniquité au nom de la raison d'État, et des tendances antisémites qui traversent tout le corps social. L'honneur de l'armée et de la "patrie" prime sur l'injustice commise contre un petit capitaine juif. De la raison d'État au racisme d'État, il n'y a qu'un pas.
Préexistant à l'affaire Dreyfus, l'antisémitisme s'était déjà exprimé lors des affaires du boulangisme et du canal de Panama. Mais l'affaire Dreyfus répand la haine raciale dans toutes les couches de la société, mouvement qui débute certes avec le succès de La France juive d'Édouard Drumont en 1886, mais qui est ensuite énormément amplifié par les divers épisodes judiciaires et les campagnes de presse pendant près de quinze ans. Lié au nationalisme et au racialisme, l'antisémitisme devient alors un des thèmes majeurs de l'extrême-droite.
L'antisémitisme de droite est un antisémitisme d'origine religieuse très ancienne (thème du peuple déicide développé dans les publications catholiques, et particulièrement La Croix), activé par un nationalisme français revanchard à la suite de la guerre franco-prussienne de 1870-71. À cet antijudaïsme traditionnel se juxtapose un antisémitisme moderne, lié aux thèses racialistes affirmant la supériorité de la « race blanche », qui serait fondée par la science (anthropométrie, craniométrie, etc.). Les thèmes du « Juif errant » et du « cosmopolite sans racine » s'y mêlent aussi.
S'il concerne majoritairement la droite et l'extrême-droite, l'antisémitisme n'épargne pas entièrement la gauche (par exemple Blanqui, Jaurès, Proudhon...). En retour, les manifestations d'antisémitisme lors de l'affaire Dreyfus ont également un impact international sur le mouvement sioniste au travers d'un de ses pères fondateurs : Théodore Herzl [7].
Regain d'antisémitisme lors de la crise des années 1930
L'antisémitisme, un temps apaisé par l'Union sacrée lors de la première guerre mondiale, ressurgit lors des années 1930, stimulé par la crise économique, le chômage, l'afflux des Juifs allemands fuyant le nazisme et l'accession au pouvoir du Front populaire, dirigé par Léon Blum.
Il devient une valeur étendard de l'extrême-droite, portée par de nombreuses publications antisémites [8].
En 1937, Céline publie Bagatelles pour un massacre, tandis que Georges Montandon, un ethnologue tenant des thèses racialistes, signe en 1939, dans "La Contre-Révolution", un article intitulé « La Solution ethno-raciale du problème juif ». L'admiration envers Hitler n'est pas cependant pas unanime dans les rangs de l'extrême-droite antisémite, la germanophobie et le nationalisme induisant, chez certains, le rejet du nazisme.
En pratique, les antisémites considéraient non seulement qu'il était désormais devenu indispensable de fermer les frontières mais ils pensaient également qu'il fallait refouler les Juifs. Ils prônaient des mesures légales et un statut juridique. Ils voulaient dissocier une nationalité juive de la nationalité française. Il y a une grande hostilité envers les mariages mixtes, mais aucune mesure légale ne fut jamais prise. Des groupes de théoriciens antisémites demandaient aussi la confiscation des biens des juifs. Enfin, certains antisémites voulaient interdire le travail aux juifs, ou limiter les activités exercées par les juifs dans la presse, la banque, l'industrie du commerce, les professions libérales, la culture et le spectacle. Avant Pétain, quelques lois furent promulguées en réponse à des manifestations venant notamment du milieu de la médecine ou des avocats [9].
L'antisémitisme d'État
L'État français dirigé par Philippe Pétain va hisser l'antisémitisme au rang d'idéologie officielle avec les lois sur le statut des Juifs, la création du Commissariat général aux questions juives, les arrestations et l'internement des juifs dans les camps (de concentration, d'internement ou de transit, selon le vocabulaire de l'époque), la saisie des biens juifs et "l'aryanisation", la déportation vers l'Allemagne.
Le gouvernement de Vichy va mener une politique de restriction des droits des juifs dès son installation, sans que les Allemands n'aient exprimé la moindre demande. Dès juillet 1940, le ministre de la justice Alibert, crée une commission de révision des naturalisations, qui retire la nationalité à 15 000 personnes dont 6 000 juifs. [10]
En octobre 1940, le conseil des ministres promulguera le premier statut des Juifs : les citoyens juifs français sont exclus de la fonction publique, de l'armée, de l'enseignement, de la presse, de la radio et du cinéma. Le deuxième statut des juifs, de juin 1941, allonge la liste des professions d'où sont exclus les Juifs et établit un numerus clausus limitant la proportion de Juifs à 3 % dans l'Université et 2 % dans les professions libérales. Enfin, en juillet 1941, les Juifs doivent céder leurs droits sur les entreprises à des "Aryens". Un Commissariat général aux questions juives, créé en mars 1941, sous la direction de Xavier Vallat, veille à l'application de la législation antijuive.
À partir du 4 octobre 1940, les préfets peuvent interner les étrangers "de race juive" dans des camps spéciaux ou les assigner à résidence. En février 1941, 40 000 Juifs étrangers croupissent ainsi dans une série de camps : Les Milles, Gurs, Rivesaltes… À partir de 1942, la collaboration entre les polices allemandes et françaises est renforcée par ce qu'on appelle les accords Bousquet-Oberg, du nom du chef de la police française et du représentant en France de la police allemande : les Allemands peuvent ainsi compter sur la police française pour rafler les juifs étrangers. La déportation des juifs prend une grande ampleur à partir de la Rafle du Vel' d'hiv, les 16 et 17 juillet 1942. Entre le printemps 1942 et la Libération de 1944, 76 000 Juifs seront déportés vers les camps d'extermination. Si le régime de Vichy est le sommet du racisme d'État, sa chute n'en marque pas la fin, faute de remise en question réelle et profonde des pratiques policières et administratives.

Conclusion : anarchistes contre l'antisémitisme aujourd'hui
Au sortir de la guerre, le problème de l'antisémitisme est refoulé plutôt que réellement résolu, surgissant ça et là à travers des actes et déclarations fracassantes [11] qui font figure de lapsus ou d'actes manqués.
De fait, l'antisémitisme n'a jamais disparu en France, en particulier dans les milieux d'extrême-droite. Il semble aujourd'hui se recomposer, appelant à nouveau une ferme réaction des libertaires [12] .
L'expression « nouvel antisémitisme » (qui renvoie à la récupération de l'antisionisme et des luttes palestiniennes par les antisémites) ne peut toutefois être reprise telle quelle, en raison de son utilisation par des courants réactionnaires, sionistes ou islamophobes. De fait, il n'y pas grand sens à opposer ou hiérarchiser islamophobie et antisémitisme : les catégories et pratiques racistes doivent être combattues ensemble. Le problème pour les libertaires concerne plutôt l'attitude à adopter face à un racisme qui se restructure en visant des minorités religieuses.
Il n'est pas facile de rester ferme dans les principes (la critique des religions) et en même temps suffisamment souple dans la pratique. L'enjeu est d'être clair sur des objectifs concrets, et d'analyser les situations politiques en termes de rapports de force locaux.
Dans un pays où l'islam ou le judaïsme est la religion d'État, il peut y avoir un sens anti-autoritaire à les combattre. En France, attaquer des minorités religieuses déjà victimes de racisme conduit à renforcer des ennemis qui sont indéniablement aujourd'hui plus puissants et plus dangereux.
Dans un contexte actuel où les hommes d'État jouent aux apprentis sorciers en soufflant sur les braises des tendances antisémites et islamophobes de la société française, ce détour par l'histoire de l'affaire Dreyfus et des événements du dimanche 20 août 1899 peut nous aider à affronter cette question toujours vive : comment parvenir à ne pas crier avec les loups contre les minorités religieuses, sans faire de compromis avec une quelconque vision théologique du monde ?
[1] La dernière page du « Journal du Peuple », consacré au mouvement ouvrier et au luttes sociales est réalisée par Fernand Pelloutier, militant syndicaliste révolutionnaire et fondateur de la Fédération des Bourses du Travail
[2] Anarchiste, il fait partie des prévenus lors du Procès des trente. En 1895, il fonde avec Louise Michel : « Le Libertaire ». Il crée en 1899, « Le Journal du Peuple » qui est un symbole du développement de médias spécifiques destinés à être la caisse de résonnance des luttes, et en l'occurrence, à permettre la coordination d'un camp dreyfusiste jusqu'alors relativement dispersé. Il est également connu pour avoir fondé plus tard, en 1904, près de Rambouillet, une école libertaire : « La Ruche ».
[3] Le créateur de la Ligue nationale antisémitique de France, Édouard Drumont (1844-1917) est un journaliste, écrivain, polémiste et homme politique français, fondateur du journal « La Libre Parole », antidreyfusard et nationaliste. Il est notamment l'auteur du pamphlet antisémite La France juive, succès de librairie du XIXe siècle, réédité en 2012 par Alain Soral : de fait cet ouvrage est l'une des premières offensives confusionnistes qui s'efforcent de récupérer l'anticapitalisme dans des termes repris à la rhétorique chrétienne contre les juifs usuriers, ainsi qu'aux théories racistes modernes.
[4] Voir Joseph Reinach, Histoire de l'affaire Dreyfus, Paris, Robert-Laffont, 2006 (première parution en 1908)
[5] Ce titre phare de la presse religieuse, qui tire encore aujourd'hui à près de 100.000 exemplaires, n'hésite pas, dans un éditorial du 30 août 1890, à se revendiquer comme « le journal catholique le plus anti-juif de France ».
[6] Reconnaissance officielle dans le cadre du Concordat mise en place par Napoléon et Talleyrand avec le pape Pie VII, qui perdure encore aujourd'hui en Alsace.
[7] Le journaliste austro-hongrois Théodore Herzl ressort profondément marqué de l'affaire Dreyfus dont il suit les débuts comme correspondant de la Neue freie Presse de Vienne. Il assiste à la dégradation d'Alfred Dreyfus en 1895. Devant la vague d'antisémitisme qui l'accompagne, Herzl considère que « si la France — bastion de l'émancipation, du progrès et du socialisme universaliste — [peut] se laisser emporter dans un maelström d'antisémitisme et laisser la foule parisienne scander « À mort les Juifs ! », où ces derniers peuvent-ils encore être en sécurité — si ce n'est dans leur propre pays ? L'assimilation ne résoudra pas le problème parce que le monde des gentils ne le permettra pas, comme l'affaire Dreyfus l'a si clairement démontré ». Le choc est d'autant plus fort qu'ayant vécu toute sa jeunesse en Autriche, pays antisémite, Herzl a choisi d'aller vivre en France pour l'image humaniste dont elle se prévaut à l'abri des excès extrémistes. Il organise dès 1897, le 1er congrès sioniste à Bâle et est considéré comme l'« inventeur du sionisme en tant que véritable mouvement politique ».
[8] « La Revue internationale des sociétés secrètes », dirigée d'abord par Mgr Jouin puis par le chanoine Schaefer, dirigeant de la "Ligue Franc-Catholique", passe de 200 abonnés en 1912 à 2000 en 1932. Le journaliste catholique Léon de Poncins, adepte des théories du complot et collaborateur de nombreux journaux (dont "Le Figaro", dirigé par François Coty, ou "L'Ami du Peuple", sous-titré « Hebdomadaire d'action racique (sic) contre les forces occultes ») y participe, ainsi que l'occultiste Pierre Virion, qui fonde après-guerre une association avec le général Weygand, Ministre de la Défense nationale de Vichy avant de faire appliquer les lois racistes en Afrique du Nord. "Le Grand Occident", animé par les antidreyfusards Lucien Pemjean, Jean Drault et Albert Monniot, tire à 6 000 exemplaires en 1934. "Le Réveil du peuple", organe du "Front Franc" de Jean Boissel, auxquels collaborent Jean Drault et Urbain Gohier, diffuse 3 000 exemplaires en 1939. Disparue en 1924, "La Libre Parole" est à nouveau publiée en 1928-1929, sans réussir à décoller, puis en 1930 par Henry Coston (alias Georges Virebeau), qui la dirige jusqu'à la guerre. Beaucoup d'antisémites célèbres écriront dans ses colonnes, dont Jacques Ploncard, Jean Drault, Henry-Robert Petit, Albert Monniot, Mathieu Degeilh, Louis Tournayre ou Jacques Ditte. Le mensuel éponyme diffuse à 2000 abonnées. D'autres revues sont plus éphémères, telles que "La France Réelle", proche de l'"Action Française" ; « L'Insurgé », pro-fasciste ; ou "L'Ordre National", proche de "La Cagoule", un groupe terroriste anticommuniste et antisémite (financé par le fondateur de L'Oréal, Eugène Schueller).
Au-delà des journaux, cette extrême-droite est organisée en partis et en ligues antiparlementaires. À partir de 1930 celles-ci se multiplient, notamment lors des Cartels de gauche. Fondée pendant l'affaire Dreyfus, l'"Action française" déclare rassembler en 1934 60 000 adhérents. Lors de la victoire du Front populaire, l'extrême droite se livre à un « véritable déferlement de haine » : Maurras dénonce un « cabinet juif », et l'Action française voit dans le "Front populaire" l'œuvre du complot juif.
La "Solidarité Française" est une ligue fasciste dirigée par le commandant Renaud, elle est fondée en 1933, la même année que le "Francisme" dirigé par Marcel Bucard. Ces deux ligues regroupaient chacune 10 000 personnes. Le "Francisme" est devenu antisémite à partir de 1936. Le "Parti populaire français", fondé en 1936, est dirigé par Jacques Doriot. Ce parti compte à son apogée 100 000 adhérents. Certains partis qui n'étaient pas antisémites à l'origine le devinrent dans les années 1930. Ainsi, les "Comités de défense paysanne" d'Henri Dorgères penchèrent vers le fascisme puis l'antisémitisme dès le début des années 1930. Ce parti comptait 150 000 à 200 000 adhérents. D'autres ligues agissaient, elles étaient plus petites mais surtout beaucoup plus violentes. Notamment la "Ligue Franc-Catholique", formée en 1927 et dirigée par le chanoine Schaeffer.
[9] Loi Armbruster du 21 avril 1933, limitant la médecine aux personnes diplômées de nationalité française ; loi concernant les avocats de juillet 1934, limitant la profession à ceux résidant sur le territoire depuis plus de dix ans.
[10] En outre, l'abrogation du décret Crémieux privera 100 000 Juifs d'Algérie de la citoyenneté française.
[11] Ainsi la déclarations négationnistes d'un Jean-Marie Le Pen (selon laquelle les chambres à gaz seraient « un point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale ») ou d'un Robert Faurisson (un temps soutenu par l'ultragauche bordiguiste, et, au nom d'une conception libérale de la liberté d'expression, par la star libertaire américaine Noam Chomsky).
[12] Voir par exemple le texte du groupe Regard Noir ou celui rédigé par la CGA.
Sources utilisées et compléments :
- en ligne : Ephéméride Anarchiste, Wikipédia, le site L'affaire Dreyfus.
- livres : Pierre Birnbaum, L'Affaire Dreyfus, la République en péril, Paris, Gallimard, collection « Découvertes », 1994 (en particulier pp. 66-67 : Fort Chabrol) ; Pierre Birnbaum (ouvrage collectif), La France de l'affaire Dreyfus, Paris, Gallimard, 1994 ; Vivien Bouley, Les anarchistes contre la République (1880-1914), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008 (en particulier pp. 327-353 sur les tensions internes au mouvement lors de l'affaire), Jean-Denis Bredin, L'Affaire, Paris, Fayard, 1993 (première parution en 1981) ; Éric Cahm, L'Affaire Dreyfus, Paris, Le Livre de poche, collection « références », 1994 ; Francis Démier, La France du XIXe siècle, Paris, Seuil, collection « Points Histoire », 2000 ; Vincent Duclert, L'Affaire Dreyfus, Paris, La Découverte, 2006 (première parution en 1994) ; Pierre Miquel, L'Affaire Dreyfus, Paris, PUF, collection « Que sais-je ? », 2003 (première parution en 1961) ; Joseph Reinach, Histoire de l'affaire Dreyfus, Paris, Robert Laffont, 2006 (première parution en 1908).
20.08.2025 à 10:00
1 jour = 1 brochure + 1 podcast [épisode 5 : la violence]
Parce qu'en télétravail ou pas le confinement ça nous laisse du temps pour faire pleins de choses qu'on a jamais le temps de faire, on pourrait se recommander quelques lectures et quelques émissions à écouter bloqués à la maison...
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Parce qu'en télétravail ou pas le confinement ça nous laisse du temps pour faire pleins de choses qu'on a jamais le temps de faire, on pourrait se recommander quelques lectures et quelques émissions à écouter bloqués à la maison...
La question de la violence dans les manifestations est un sujet qui revient à chaque mouvement. Alors pour cette édition de 1 jour = 1 brochure + 1 podcast, je vous propose d'une part le livre de Peter Gelderloos, Comment la non-violence protège l'État :

D'autre part, le récent podcast de Mayday intitulé Le goût de l'émeute, revient sur le mouvement des gilets jaunes, et traite en partie de la question de la violence, ou du moins de la casse en manifestation :
N'hésitez pas à proposer vos podcasts et brochures !
Retrouvez les émissions de Mayday sur https://audioblog.arteradio.com/blog/98875/mayday
19.08.2025 à 11:00
Contre l'extension des quartiers d'isolement, un retour radiophonique sur les luttes contre l'isolement carcéral / un documentaire de Minuit Décousu
Contre le silence médiatique et politique sur l'extension de l'isolement en détention avec l'ouverture des deux taules de sécurité maximale pour « narcos » à Vendin-le-Vieil et Condé sur Sarthe, on vous propose de (ré)écouter « À l'isolement », un documentaire réalisé par l'émission Minuit Décousu il y a quelques années qui revient sur les luttes contre les quartiers d'isolement (QHS, QI, mitard) des années 1970 à 1990.
Texte intégral (777 mots)

Contre le silence médiatique et politique sur l'extension de l'isolement en détention avec l'ouverture des deux taules de sécurité maximale pour « narcos » à Vendin-le-Vieil et Condé sur Sarthe, on vous propose de (ré)écouter « À l'isolement », un documentaire réalisé par l'émission Minuit Décousu il y a quelques années qui revient sur les luttes contre les quartiers d'isolement (QHS, QI, mitard) des années 1970 à 1990.
L'ouverture en grande pompe des deux taules de sécurité maximale pour "narcotrafiquants" par le gouvernement à Vendin-le-Vieil et Condé sur Sarthe a fait les choux gras de la presse quotidienne régionale sans émouvoir pour autant la gauche de gouvernement. Derrière ce silence glaçant on trouve les tweets de Darmanin qui se gargarisait vendredi 8 août de l'arrivée des derniers prisonniers à Vendin qui seront soumis au régime de l'isolement total, inspiré du régime dit du "41-bis" italien.Tout ressemble finalement à un spectacle punitif jusqu'au transfert des déténus, effectués dans des condtions hallucinantes :
« Le transfert était interminable. On a tourné dans plusieurs prisons d'Ile-de-France avant de s'arrêter à Beauvais. J'étais menotté aux mains et aux pieds, dans un car cellulaire. On était deux ou trois détenus par véhicule. Le convoi ? Une cinquantaine de véhicules : motos, blindés, 4x4, le RAID, le GIGN, les ERIS... Tout était là. Comme pour un défilé. » (source : l'OIP)
Contre ce déchaînement de violence pénale et l'extension continue de l'isolement carcéral et de la torture blanche, on vous propose de réécouter le documentaire A l'isolement, que nous avions réalisé en 2023 avec la chance d'avoir au micro Mohamed Hocine, qui a participé à monter une plateforme de lutte des prisonniers à Bois d'Arcy avec entre autres Charlie Bauer, et Nadia Ménenger, qui causait à l'époque dans l'émission anticarcérale "Parloir Libre" sur Fréquence Montmartre et qui avait participé à la mise en place du Comité pour l'abolition de l'isolement carcéral (CAIC). Iels nous parlaient de la mise en place de l'isolement et des QHS en détention à partir des années 1970, leur soit-disant suppression par la gauche socialiste et la création en remplacement des quartiers d'isolement (QI) puis de la généralisation de l'utilisation du mitard dans la gestion interne de la population carcérale. Iels racontent également comment se sont créés des liens et des solidarités fortes entre l'intérieur et l'extérieur pour lutter contre cet isolement.
Le documentaire s'écoute par ici ainsi que sur toutes les plateformes de podcast, bonne écoute !

Minuit Décousu, c'est en pause estivale jusque fin août, mais on revient derrière les micros de Radio Canut début septembre pour une 7e saison !
Minuit Décousu, le 23h-00h de création sonore/documentaire sur Radio Canut tous les mardis soirs et en rediff' sur Cause Commune à Paris/IDF 📻
En podcast ici ou sur toutes les autres applications de podcast :
https://audioblog.arteradio.com/blog/139527/minuit-decousu
18.08.2025 à 11:00
Récit d'un squat occupé pendant 1 mois dans le 18e à Paris
Le récit du squat d'un immeuble destiné à devenir des logements sociaux pour keufs dans le 18e arrondissement, une histoire avec plein de rebondissements et des vigiles qui nous séquestrent. À lire absolument !
Texte intégral (1562 mots)

Le récit du squat d'un immeuble destiné à devenir des logements sociaux pour keufs dans le 18e arrondissement, une histoire avec plein de rebondissements et des vigiles qui nous séquestrent. À lire absolument !
À partir du vendredi 28 février 2025, un immeuble d'appartements est occupé dans le 18e arrondissement de Paris. L'immeuble appartient au ministère de l'intérieur et est géré par le bailleur social HENEO. Les appartements (18 studios) hébergeaient des keufs avant qu'ils ne soient vidés il y a plusieurs années, en vue d'y faire des travaux pour réhausser l'immeuble de deux étages, et héberger encore plus de policier.es
Après une semaine tranquille, le 5 mars, le proprio a découvert l'occupation, et a fait venir un huissier pour qu'il constate dans la journée.
Mardi 11 mars, 8 policier.es (dont 6 bacqueux) sont venu.es pour « visiter les parties communes et faire un recensement des habitant.es ». Comme le bât appartient au ministère de l'interieur, ça leur plaît pas trop qu'il y ait des gens « chez elleux ». Les personnes présentes sur place ont refusé d'ouvrir la porte d'entrée, les policier.es ont alors appelé des employés de SITEX (entreprise qui fournit du mobilier antisquat) pour qu'ils forcent la porte antisquat, ce qu'ils sont parvenus à faire. (En fait, avec un pied de biche et un tournevis, ils ont soulevé les caches en métal qui ajustent la porte au-dessus et ils ont passé leurs mains derrière. Du coup ils avaient accès à la tige filetée qui tient le support de la porte. Et ils ont littéralement retiré l'intégralité de la porte. Et tout ça en 10 min.)
De peur de se faire embarquer, les personnes qui étaient à l'intérieur ont fui juste avant l'entrée des keufs. À l'intérieur, ne trouvant personne, les flics sont partis, laissant sur place les 2 employés de SITEX qui ont étés rejoints par un représentant d'HENEO (toujours le même). Ils se sont empressés de changer les serrures des portes des étages sans penser à refermer la porte d'entrée (dont ils venaient d'installer la nouvelle serrure) qu'ils ont laissée ouverte sur la rue.
À ce moment-là, quelques habitant.es sont re-rentré.es furtivement par les portes laissées ouvertes et, sans que les employés et le représentant du propriétaire toujours sur place réagissent, ont réussi à s'enfermer au 2e étage (pour monter dans les étages, il faut emprunter un escalier extérieur qui dessert chaque paliers protégés chacun par une porte antisquat, c'est donc possible de privatiser un étage).
Les employés de SITEX sont furieux, ils auraient pas dû laisser la porte ouverte et ils veulent finir leur taf (c'est-à-dire changer la serrure de la porte du 2e étage). Les ré-occupant.es refusent de leur ouvrir, ils essaient de forcer la porte sans y parvenir. Après des cris, des menaces, du soutien des voisin.es, (l'escalier extérieur donne sur le jardin d'une énorme résidence avec beaucoup de vis-à-vis), les flics sont rappelés par le propriétaire dépassé par la situation. La même équipe de police est repassée et a pris les noms à l'oral par la fenêtre de deux personnes qui étaient à l'intérieur. Ensuite ils ont attendu l'arrivée de vigiles qui ont été postés à l'intérieur du bâtiment, avec ordre de ne laisser rentrer personne. Les occupant.es sont empêché.es de rentrer et sortir librement alors qu'iels habitent sur place. Iels sont donc contraint.es de se faire ravitailler par les fenêtres à l'aide d'une corde par des ami.es. Le lendemain, des techniciens viennent installer un nouveau sytème d'alarme dans le bat.
Le 13 mars, l'huissier repasse pour indiquer qu'il a démarré une procédure d'expulsion devant le juge des contentieux et de la protection, en référé d'heure à heure (procédure accélérée). La procédure accélérée a été justifiée par l'imminence du début des travaux et le « danger pour les habitant.es et le bâtiment ».
Le lendemain, le 14 mars, la préfecture de police prend un arrêté de 38-DALO 7 jours (un arrêté d'expulsion qui peut être pris lorsque le lieu occupé est un bâtiment à usage d'habitation). Les habitant.es font un recours contre cet arrêté au tribunal administratif.
Pour plus d'infos sur le 38 DALO :
Mais revenons pour l'instant au juge des contentieux et de la protection : l'audience s'est tenue le 20 mars. Un report est accordé au 24 avril. Le juge a estimé que la séquestration était très grave et a indiqué informer le procureur pour qu'une enquête ait lieu.
Dès le lendemain, les vigiles reçoivent un changement de consignes, autorisant les habitant.es à circuler librement au sein du bâtiment et en-dehors. Dans les faits, la porte d'entrée reste ouverte tout le temps, les vigiles sont au 3e étage, dehors ou dans leurs voitures.
Plus tard, les habitant.es ont ré-occupé le 1er étage. Les vigiles (ne vigilant pas beaucoup) passent 2 fois sur le palier avant de s'en rendre compte. Ils préviennent leur responsable qui prévient les keufs. Une patrouille passe et dit : « déso on peut rien faire ».
Le 31 mars, l'audience pour le recours au tribunal administratif contre l'arrêté 38-DALO a lieu. Le délibéré est rendu le 3 avril, la juge a rejeté le recours car, à ses yeux, les occupant.es n'auraient pas assez justifié leur situation précaire (la juge a soulevé qu'iels n'avaient pas de refus d'hébergement du SIAO du 115), ce qui ne permet pas de justifier de l'urgence de leur situation.

Dès le lendemain, en début d'après-midi, l'architecte, des policier.es et un serrurier se pointent devant le bat. Après s'ensuit un looooong moment où le serrurier essaye d'ouvrir la porte anti-squat avec 15 flics dans les escaliers qui l'observent et les occupant.es à la fenêtre. Pas très malin, le serrurier essaye même d'ouvrir la porte (antisquat) à la radio... Il finit par meuler et percer la porte.
Et là, au bout de 20min de meulage de porte, le vigile sort du 3e étage avec la tête de quelqu'un qui sort de sa sieste. Il s'attendait pas à voir le serrurier et les 15 flics dans les escaliers du bâtiment qu'il est censé vigiler.
Du coup les flics rentrent dans les apparts. Ils prennent que le nom à l'oral d'une des personnes parce que la commissaire dit qu'elle a déjà pris les autres noms la dernière fois.
En conclusion : 1 mois et quelques d'occupation, 3 semaines de gardiennage par des vigiles dont 1 semaine de séquestration, 2 procédures d'expulsion différentes, un bât de perdu... d'accord, mais 0 arrestation, un tas de motiv et beaucoup d'aventures marrantes à raconter.
Squat partout, surtout dans les logements des keufs.
Nique Kasbarian, nique Hénéo, nique les huissiers et les proprios !
17.08.2025 à 17:08
17 août 1963 : Delgado et Granado, anarchistes contre Franco
Le 17 août 1963, à Madrid, exécution au garrot vil de deux activistes des Jeunesses Libertaires (F.I.J.L), Joaquín Delgado Martinez et Francisco Granado Gata. Cette date anniversaire est aussi l'occasion de revenir sur l'action anarchiste contre Franco, en particulier depuis l'exil.
Texte intégral (3313 mots)

Le 17 août 1963, à Madrid, exécution au garrot vil de deux activistes des Jeunesses Libertaires (F.I.J.L), Joaquín Delgado Martinez et Francisco Granado Gata. Cette date anniversaire est aussi l'occasion de revenir sur l'action anarchiste contre Franco, en particulier depuis l'exil.

Contexte : le mouvement anarchiste espagnol dans les années 1960
Tout se passe trop souvent comme si l'histoire du mouvement anarchiste espagnol se limitait à 1936, sans se préoccuper non seulement de ce qui le prépare, mais aussi de ce qui le suit, après la défaite militaire. Comme l'écrivent Alberola et Gransac, dans Anarchistes contre Franco :
La fin de la guerre d'Espagne, le 31 mars 1939, n'eut d'autre signification que la fin des hostilités et l'occupation totale du territoire espagnol par les forces séditieuses sous le commandement du général Franco. Pour les antifascistes espagnols, pour ceux qui purent s'exiler comme pour ceux qui restèrent à la merci des représailles, la fin de la guerre fut le commencement d'un long calvaire. Ce fut sans aucun doute le mouvement anarchiste et tout ce qui lui était proche qui paya le plus lourd tribut. [1]
Les organisations libertaires, par nécessité, se reconstruisent dans l'exil, en particulier à Paris mais aussi dans le Sud-Ouest de la France où les réfugiés sont nombreux.
Réunification et Défense Intérieure

En 1963, le Mouvement libertaire espagnol (MLE) - qui regroupe la CNT, la FAI et la FIJL - cherche à apaiser les rancoeurs et luttes fratricides entre un secteur dit « politique » ou activiste, partisan d'une collaboration avec les secteurs antifranquistes, et la tendance dite « apolitique », ou attentiste, qui souhaite retourner aux sources de la tradition anarcho-syndicaliste. C'est à cette CNT péniblement réunifiée qu'il revient de créer la section DI ("Defensa Interior"), en vue de « galvaniser les enthousiasmes libertaires » et de secouer la torpeur qui, peu à peu, a saisi les milieux de l'exil : elle en confie l'animation à un groupe de militants chevronnés, dont les « historiques » Cipriano Mera et Juan García Oliver, auxquels se joint justement Octavio Alberola, en tant que représentant des Jeunesses libertaires et plus généralement de la position combattive. Car il ne s'agit pas seulement pour les militants libertaires de mener des actions symboliques : malgré les précautions extrêmes dont s'entoure le Generalísimo et les échecs successifs des tentatives précédentes, ils sont résolus à frapper au plus haut, à la tête même de l'État.
Le rôle de Granado

À l'instigation de Defensa Interior, un nouveau projet est mis sur pied pour l'année 1963. Le lieu choisi pour l'attentat contre Franco se situe en un point du trajet que le Caudillo emprunte pour se rendre de sa résidence de El Pardo au Palacio de Oriente. Le commando responsable de l'action doit trouver sur place les explosifs qu'un autre militant, venu du sud de la France, a introduits peu avant. Comme il ne peut rester plus longtemps à Madrid, il faut que quelqu'un d'autre vienne les récupérer et les garder en attendant l'arrivée du commando chargé de l'attentat. Cette autre personne, ce sera Francisco Granado. Installé depuis peu à Alès, il présente l'avantage d'être un émigré économique, d'avoir des papiers en règle et de ne pas être connu de la police. Il l'est d'autant moins que son entrée en « politique » est toute récente : c'est une fois arrivé en France, en 1960, qu'il a pris conscience de la situation réelle de son pays et qu'il a décidé de s'engager dans la résistance armée au franquisme. Sans formation idéologique, son besoin d'action le porte vers les libertaires présents dans la région. L'un d'entre eux, Vicente Martí, transmet son nom à Defensa Interior, qui décide d'accepter la « candidature » du jeune ouvrier. Le 14 mai 1963, Francisco Granado part en Espagne remplir sa première mission. Il ne sait pas qu'elle sera la dernière de sa vie.
Le rôle de Delgado

Ouvrier ébéniste, fraiseur, puis dessinateur de générique pour des émissions de télévision, Joaquín Delgado, quant à lui, avait commencé à militer à Grenoble (Isère) où son père cénétiste était parti se réfugier. Il devient secrétaire des Jeunesses Libertaires et s'engage toujours plus avant dans l'activisme antifranquiste. En 1963, il accourt en Espagne pour contacter Ariño et Granado et les inciter à rentrer en France au plus vite, d'autant que le DI a mis au point un autre plan d'action pour les premiers jours d'août. Mais alors que Delgado et Granado ne peuvent quitter Madrid aussi vite qu'ils le souhaiteraient, les deux militants chargés des attentats contre des institutions du régime, Sergio Hernández et Antonio Martín - qui ignorent la présence à Madrid de leurs deux compagnons - décident, pour leur part, d'avancer la date des actions.
Attentats de Madrid

Madrid, 29 juillet 1963 : à 5 heures de l'après-midi, une bombe explose dans les locaux de la DGS (Dirección General de Seguridad), le siège des services répressifs du régime, causant une vingtaine de blessés parmi les personnes présentes à la section des passeports. Quelques heures plus tard, une autre bombe explose, cette fois-ci au siège du syndicat « vertical » franquiste. Alors que le régime établi sur des dizaines de milliers de morts se flatte d'en avoir fini avec ses opposants et qu'il s'apprête à lancer la campagne des « vingt-cinq années de paix », ceux-ci viennent de frapper, coup sur coup, et au cœur même de la Bête. Les soupçons s'orientent aussitôt vers le mouvement anarchiste, qui tente de réactiver l'opposition armée au régime malgré la dure répression dont il a été victime, et en dépit du découragement qui, au fil des ans, a gagné nombre de ses militants. Les choses ne traînent pas : deux jours après les faits, la presse annonce l'arrestation des auteurs présumés des attentats, Francisco Granado et Joaquín Delgado, liés tous deux au mouvement libertaire espagnol.
Le fait que « l'explosif laissé dans les locaux de la Direction générale de sécurité, qui devait sauter dans la nuit à une heure où le public avait évacué les locaux » explosa prématurément, causant une vingtaine de blessés légers, fut utilisé par la presse franquiste pour lancer une furieuse campagne d'insultes contre l'activisme antifranquiste en général, et contres les auteurs de cet attentat en particulier. Mais bien qu'ils aient été soumis à d'incessants interrogatoires et à d'atroces tortures, Joaquin Delgado et Francisco Granado ne reconnurent jamais avoir participé aux attentats qu'on leur imputait. [2]
Procès et exécution

Le régime, qui est encore sous le coup de la campagne menée à l'étranger contre le procès et l'exécution, en avril de la même année, du communiste Julián Grimau, va conduire l'affaire au pas de charge, en coupant l'herbe sous le pied de tous ceux qui seraient tentés de lancer une campagne du même genre. Qu'importe donc le communiqué du CIL (Conseil ibérique de libération) certifiant que les deux hommes sont étrangers aux faits qui leur sont reprochés, et qu'importe l'incapacité des autorités à prouver leur responsabilité dans les attentats du 29 juillet [3]. Après une enquête menée tambour battant et un procès sumarísimo instruit par le Conseil de guerre, ils sont condamnés à la peine capitale le 13 août. Le 17 août (veille du congrès fondateur de la FIJL [4]) , après que le très-catholique Caudillo eut refusé - une fois de plus - la grâce qu'on lui demandait, Granado et Delgado sont livrés aux bourreaux et exécutés par le procédé du garrot vil.
Des coupables tout désignés

Si on ne sait toujours pas comment la police fut amenée si vite sur la piste des deux hommes, on sait, en revanche, pourquoi ils furent exécutés. Que la police ait cru ou qu'elle ait feint de croire qu'elle tenait les responsables des deux attentats, cela n'a, tout compte fait, guère d'importance. L'essentiel, pour le régime, était qu'on pût exhiber le plus tôt possible des coupables plausibles : Delgado et Granado répondaient on ne peut mieux à cette exigence, d'autant que le second ne chercha pas à cacher le but de sa présence en Espagne. Enfin, il suffit de se reporter à l'acte d'accusation lu par le procureur Enrique Amado pour réaliser que le procès intenté à Delgado et Granado fut aussi l'occasion de régler ses comptes à l'anarchisme militant, depuis son apparition à la fin du XIXe siècle jusqu'à la guerre civile, en passant par la Semaine tragique de Barcelone (1909) ou l'assassinat du cardinal Soldevila (1923). Le sort de Delgado et Granado rappelle ainsi celui des deux anarchistes italiens, Sacco et Vanzetti, également innocents des faits pour lesquels ils furent exécutés.

Cet ouvrage paru récemment aux éditions Albache relate l'histoire de l'action anarchiste contre Franco après la guerre.
[1] A. Gransac, O. Alberola, Anarchistes contre Franco (Action révolutionnaire internationale 1961-1975), Editions Albache, Paris, 2014, p.15. Cet ouvrage paru au printemps 2014 est une mine d'informations sur l'action anarchiste contre Franco.
[2] A. Gransac, O. Alberola, Anarchistes contre Franco(Action révolutionnaire internationale 1961-1975), Editions Albache, Paris, 2014, p.76.
[3] Le journaliste Carlos Fonseca démonte le terrible engrenage qui mena deux innocents à la mort, frappés par un pouvoir qui, malgré les apparences, n'avait guère changé depuis 1939, dans Garrote vil para dos inocentes. Les éditions de la CNT ont publié en 2003 une version française, à l'occasion du quarantième anniversaire de l'exécution des deux militants libertaires : Carlos Fonseca, Le Garrot pour deux innocents. L'affaire Delgado-Granado, Éditions CNT-RP, Paris, 2003.
[4] Du 18 au 22 août 1932, à Madrid, se tient le Congrès constitutif de la « Fédération Ibérique des Jeunesses Libertaires » (FIJL) en présence principalement de délégués de Grenade, Valence, Madrid et Barcelone. Après avoir rédigé La Déclaration de principes qui figurera sur le carnet des adhérents et établi les bases qui détermineront les activités de l'organisation, c'est le groupe des jeunes madrilènes qui composent les premiers Comités péninsulaires. Mais les jeunes Catalans, se méfiant du système d'organisation péninsulaire qu'ils voyaient comme une structure centralisée à Madrid, étaient favorables à des groupes et fédérations plus réduits ayant leur propre autonomie, sans organe central. Ils ont de fait longtemps refusé la dénomination de FIJL pour celle plus conforme à leurs souhaits de Jeunesses Libertaires « JJLL ». Le journal « Ruta » sera l'organe officiel des Jeunesses Libertaires de Catalogne. La FIJL se propagea rapidement dans le pays et devint après la CNT et la FAI, la troisième branche du mouvement libertaire espagnol. Elle jouera un rôle important durant la révolution espagnole (1936-1938) et ensuite pendant l'exil, luttant contre les tendances réformistes qui se faisaient jour au sein de la CNT. Elle commettra pendant l'exil, jusqu'au début des années soixante-dix, de nombreuses actions contre la dictature franquiste. Sous la pression des autorités fascistes espagnoles, elle sera officiellement interdite en France le 14 novembre 1963. Nombreux sont ses militants ou sympathisants, qu'ils soient espagnols, français, ou encore anglais (comme Stuart Christie), qui ont été emprisonnés en Espagne ou en France durant les année soixante.
Sources utilisées ou reprises, et compléments disponibles en ligne : site d'Alternative Libertaire, Ephéméride anarchiste, Wikipédia.
16.08.2025 à 13:12
16 août 1907 : naissance de « Mimosa », militante anarchiste et antifasciste
Le 16 août 1907, naissance de Georgette Kokoczinski, dite « Mimosa » à Paris. Militante anarchiste française, volontaire antifasciste sur le front d'Aragon dans le Groupe International de la Colonne Durruti qui combat devant Saragosse.
Texte intégral (785 mots)

Le 16 août 1907, naissance de Georgette Kokoczinski, dite « Mimosa » à Paris. Militante anarchiste française, volontaire antifasciste sur le front d'Aragon dans le Groupe International de la Colonne Durruti qui combat devant Saragosse.
Le bonheur ! Vous ne savez pas comme je l'ai cherché, je m'en souviens à peine moi-même ; dans les livres graves, dans les lits douteux, dans la simplicité des choses...
(Journal de son engagement en Espagne, retrouvé après sa mort et recopié par Fortin, aujourd'hui conservé à l'IISG d'Amsterdam).

Née Brivadis (du nom de sa mère, Léontine Brivadis ) puis devenue Ango (après la reconnaissance par son père, Robert Ango) à 16 ans, elle quitte le domicile familial et est accueillie dans le foyer d'André Colomer et sa compagne Magdalena qui lui fait découvrir les idées libertaires. À partir de 1925, elle vit en union libre avec le compagnon Fernand Fortin, et milite au groupe « Education Sociale » que celui-ci avait créé à Loches en Touraine où elle commence à intervenir dans les meetings. De retour à Paris en 1928, elle intègre un groupe théâtral où, sous le nom de scène de « Mimosa », elle se produit lors de rencontres ou de fêtes libertaires. Elle collabore également à la « Revue Anarchiste » (créée par Fortin), qu'elle vend après ses récitals. Poursuivant parallèlement des études, elle obtient un diplôme d'infirmière. Le 7 novembre 1931, elle se marie à Colombe (Seine) avec le journaliste socialiste Miecsejslaw Kokoczynski (1910-2003).

Après l'éclatement de la révolution espagnole en juillet 1936, elle part à la mi-septembre en Espagne, et s'engage dans le Groupe International de la Colonne Durruti qui combat devant Saragosse. La participation massive des femmes à la révolution, aux épisodes insurrectionnels comme aux opérations militaires, est un des aspects les plus forts de la révolution espagnole. Toutefois la reconnaissance du droit des femmes à combattre n'est pas simple, et fait l'objet de pressions et de luttes [1]. En outre, les hommes jouent du fait qu'ils ont plus souvent reçu une instruction militaire pour se réserver ce domaine. Mimosa emploie alors ses connaissances médicales à l'infirmerie aux côtés d'autres militantes comme Augusta Marx et Madeleine Gierth (de nationalité allemande). C'est là, à Perdiguera (Aragon), qu'elles trouveront toutes trois la mort, le 16 octobre 1936, massacrées par les franquistes lors d'une contre-offensive.
[1] Le droit de porter les armes pour les femmes sera par exemple contesté lors de la phase de contre-révolution stalinienne, revenant sur les conquêtes des Mujeres Libres.
Source utilisée : Ephéméride Anarchiste
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