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26.06.2025 à 17:13

Les enfants auteurs de violences sexuelles, angle mort des politiques publiques

Sarah Boucault

Dans la grande famille des agresseurs sexuels, les enfants sont nombreux. En 2024, ils représentaient un quart des auteurs de viols, selon la direction de la protection judiciaire de la […]
Texte intégral (1080 mots)

Dans la grande famille des agresseurs sexuels, les enfants sont nombreux. En 2024, ils représentaient un quart des auteurs de viols, selon la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, et un tiers des auteurs d’agressions sexuelles.

Ces violences massives sont pourtant un angle mort des réflexions des professionnel·les de la santé, de la justice et de l’éducation comme des politiques publiques. « On parle beaucoup des mineurs victimes, à juste titre, mais les mineurs auteurs, ça reste tabou car on a du mal à imaginer que l’enfant puisse commettre des violences sexuelles », analyse Anne-Hélène Moncany, psychiatre, présidente de la Fédération française des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (FFCRIAVS) et une des organisatrices de l’audition publique des 19 et 20 juin. « En 2018, dans un contexte post-#MeToo, une audition publique consacrée aux auteurs d’agressions sexuelles avait permis de mettre les recommandations à jour, rappelle-t-elle. Nous nous étions fait la remarque que la question des mineurs, importante quantitativement et spécifique, nécessitait un événement dédié. »

Comme l’a mentionné Thierry Ziliotto, chef du bureau des études statistiques à la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse durant les auditions, le pourcentage d’enfants mis en cause pour infraction sexuelle a augmenté de 77 % entre 2017 et 2024. Un chiffre à mettre en lien avec la hausse globale de la judiciarisation des affaires depuis #MeToo. Les mis en cause sont à une écrasante majorité des garçons (93 %), issus de tous les milieux sociaux ; ils ont souvent moins de 14 ans et sont donc plus jeunes que les auteurs d’autres infractions. Un tiers sont eux-mêmes victimes de violences sexuelles.

Lire aussi : « Inceste commis par des mineurs, le grand déni »

Des violences liées aux normes de genre

Quarante et un·e expert·es, principalement des psychologues et des psychiatres, ont défilé au pupitre durant ces deux journées, mis en commun leurs connaissances et répondu aux questions d’un public d’acteur·ices du secteur socio-éducatif, de la justice, de la santé, de l’éducation, du milieu associatif et de quelques journalistes. S’il faut saluer cette initiative sans précédent, on peut regretter que l’approche de ces violences soit d’abord individualisante : « Dans les années 1980, l’auteur de violences sexuelles était soit un monstre, soit un malade mental. Nous avons à cette époque, et cela se ressent lors de ces auditions, énormément psychologisé les violences sexuelles alors qu’il s’agit d’une question politique », reconnaît Anne-Hélène Moncany.

Or ces violences sont directement liées aux normes sociales de genre. « Certains garçons pensent qu’ils ont un droit acquis à la sexualité, et pendant l’adolescence, il y a une pression sociale pour la performer », abonde ainsi Mathilde Coulanges, psychologue au Criavs de Toulouse. Des biais que l’on retrouve également chez les professionnel·les (éducateur.ices, animateur.ices…) qui accompagnent les enfants auteurs, comme le souligne Delphine Rahib, chercheuse en santé publique : au même titre que l’ensemble de la population « un professionnel sur cinq a été victime de violences sexuelles. On ne peut pas amener quelqu’un plus loin que là où on est soi-même, il ne faut pas l’oublier dans la réflexion. »

Autre sujet délaissé lors de ces deux journées d’auditions : la question de l’inceste commis par des enfants, qui n’a été abordée que dans peu d’interventions. Or, comme nous l’avons déjà documenté, la famille est le lieu privilégié de l’apprentissage et de la reproduction des rapports de domination. Selon le ministère de la Justice, 14 % des agressions sexuelles commises par des enfants relèvent de l’inceste, mais cette proportion est probablement sous-évaluée pour deux raisons : la définition légale de l’inceste n’inclut ni les cousin·es, ni les enfants qui, sans être du même sang, jouent dans la famille un rôle de frère ou de sœur. Par ailleurs, ces violences font rarement l’objet de plaintes devant la justice. « Mon hypothèse, avance Anne-Hélène Moncany, est que l’inceste commis par les mineurs est un impensé au sein de l’impensé, que ce soit dans la population générale aussi bien que chez les professionnel·les. »


« Nous avons, par le passé, beaucoup psychologisé les violences sexuelles alors qu’il s’agit d’une question politique »

Anne-Hélène Moncany, psychiatre

L’importance de l’éducation sexuelle

Malgré tout, les intervenant·es présent·es au ministère de la Santé ont tenté de dessiner des pistes de solution : davantage d’informations sur les violences sexuelles commises par les enfants dans le carnet de santé, à destination des parents. Des cours d’éducation sexuelle pour eux comme pour leurs enfants. À ce titre, l’importance du programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Évars), qui devrait être mis en place à la rentrée 2025 dans tous les établissements scolaires publics, a été soulignée. « Prévenir les violences sexuelles demande d’agir sur les représentations […] avec des récits, des discours, des productions culturelles qui insistent sur les réalités sociales des violences sexuelles », a conclu l’anthropologue Corentin Legras sous un tonnerre d’applaudissements.

Un rapport tiré de ces auditions sera remis au gouvernement en septembre 2025. « Nous aimerions qu’il soit porté au niveau interministériel avec des préconisations pour la Santé, la Justice, l’Intérieur, l’Éducation nationale, détaille Anne-Hélène Moncany. Un comité de suivi sera mis en place, afin qu’il ne reste pas au fond d’un tiroir. »

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19.06.2025 à 17:40

🌈 En juin, La Déferlante est fière !

La Déferlante

Des homosexuel·les condamné·es à des peines de prison ou interdit·es de se marier, des personnes trans exclues de l’armée, des compétitions sportives ou dans l’impossibilité d’utiliser les toilettes de leur […]
Texte intégral (2860 mots)

Des homosexuel·les condamné·es à des peines de prison ou interdit·es de se marier, des personnes trans exclues de l’armée, des compétitions sportives ou dans l’impossibilité

d’utiliser les toilettes de leur choix dans les lieux publics, des manifestations pour les droits des personnes LGBTQIA+ réprimées : partout dans le monde, les droits des personnes queers ont encore nettement reculé ces derniers mois. Juin, Mois des fiertés, est pour La Déferlante l’occasion d’afficher son indéfectible soutien à celles, ceux et celleux dont les existences sont méprisées et les corps violentés.
Dans cette newsletter, c’est toute notre équipe ainsi que notre comité éditorial qui partagent leurs recommandations et coups de cœur : des romans, des essais, des expositions qui documentent les vécus LGBTQIA+ et concourent, on l’espère, à modifier les représentations dominantes.

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Romans

Entre ici et avant il y a la mer

Premier roman, roman d’apprentissage, l’ouvrage de Nelly Slim est l’histoire d’une reconstruction. La narratrice va et vient entre les souvenirs de son enfance dans un milieu bourgeois occidentalisé à Tunis et la vie d’immigrée qu’elle mène maintenant à Paris, sa ville d’adoption. Des souvenirs troubles surnagent – une agression sexuelle, une fascination amoureuse pour son amie Zeinab – et se mêlent au vécu douloureux de l’exil et du racisme : « Je suis du Sud faible et navrant et je ne peux me hisser à la hauteur de la France qu’en apprenant à consommer comme eux, à rire comme eux, à parler comme eux, à user du mépris poli et du sourire crasse. » Peu à peu, suivant l’exemple des mammifères des fonds marins dont les fantômes peuplent son récit, la narratrice se reconstruit, et trouve des repères qui prennent les traits d’une femme dont elle est désormais amoureuse.

🌊→ Nelly Slim, Entre ici et avant il y a la mer, éd. Hystériques et associées, 2025. 15 euros.

Insolations

Une jeune femme raconte son enfance dans des lettres à sa thérapeute. Elle y convoque l’Algérie, son père, les femmes de sa famille, la violence qui traverse leurs relations, et questionne la complexité de cet attachement teinté de violences. Premier roman de la poétesse Meryem Alqamar, Insolations est un livre âpre et percutant, écrit dans une langue lumineuse. Déjà publié aux éditions du Commun en 2022, il vient de ressortir en format poche aux éditions Cambourakis.

☀ → Meryem Alqamar, Insolations, Cambourakis, 2025. 10 euros.

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Fantasy

Le Trône des héritières

Dans un monde sans héritiers masculins, la paix passe par le mariage de la princesse. Le roi organise donc un tournoi, mais, cette fois, les prétendantes sont toutes des femmes. Solène Kate signe une fantasy saphique, poétique et romantique qui renverse les codes et questionne les normes de genre à travers une aventure aussi palpitante qu’engagée.

♞ → Solène Kate, Le Trône des héritières, Books on demand, 2023. 20 euros.

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Essais

Une brève histoire de la transmisogynie

Déjà connue pour son travail sur les enfants trans, l’historienne canadienne Jules Gill-Peterson s’intéresse cette fois à l’histoire de la transmisogynie, dans le contexte particulier des empires coloniaux. Du continent américain aux Philippines, en passant par l’Europe et l’Inde, elle démontre que la transmisogynie constitue une forme de violence spécifique dirigée contre des catégories de population qui ne se définissent d’ailleurs pas forcément comme trans, au sens occidental et moderne du terme. Elle développe le concept de « transféminisation » pour décrire les processus politiques par lesquels certaines formes de féminités, souvent racialisées, sont les cibles des droites et des extrême droites. Préfacé par Mihena Alsharif, autrice et anthropologue, cet ouvrage apparaît comme un des livres majeurs de l’année 2025 sur les transidentités.

🏳️‍⚧️ → Jules Gill-Peterson, Une brève histoire de la transmysoginie. Pour une lecture anti-impérialistes de la transféminité, trad. Mihena Alsharif (et préface) et Nesma Merhoum, Shed publishing, 2025. 19 euros.

Pourquoi les lesbiennes sont invisibles ?

Où sont les représentations lesbiennes dans la société ? Dans ce court essai à la première personne, la photographe Marie Docher (également autrice d’Et l’amour aussi, La Déferlante Éditions, 2023) propose une réflexion sur l’invisibilisation des lesbiennes dans le domaine de l’art et de la photographie. En s’appuyant sur l’exemple de plusieurs artistes (la peintre Rosa Bonheur, la photographe Berenice Abbott ou encore la danseuse Loïe Fuller), elle explique comment des relations lesbiennes ont été ni plus ni moins effacées de notre matrimoine. Le livre s’interroge également sur le lesbian gaze dans l’art et offre à ses lecteur·ices un texte inédit de la photographe états-unienne Joan E. Biren, pour qui « la création d’images […] est un moyen pour les lesbiennes de se donner du pouvoir ». Amen.

📷Marie Docher, Pourquoi les lesbiennes sont invisibles, Seuil, coll. « Libelle », 2025. 4,90 euros.

Un désir démesuré d’amitié

Certains conseils doivent être pris au sérieux. « Tu dis qu’il n’y a pas de mots pour décrire ce temps […]. Mais souviens-toi. Fais un effort pour te souvenir. Ou à défaut invente », écrit Monique Wittig dans Les Guérillères. De cette exhortation, Hélène Giannecchini a fait une méthode, une éthique.

L’histoire des personnes queers est emplie de silences, leurs vies sont oblitérées. OK. Mais la fiction, l’imagination et un talent indéniable à faire vivre les archives peuvent réparer certains oublis. C’est tout le projet d’Un désir démesuré d’amitié : sauver de l’ombre des vies intimes minoritaires pour les inscrire dans un grand récit collectif et émancipateur. De photos d’inconnu·es aux clichés de la photographe états-unienne Donna Gottschalk, en passant par le témoignage bouleversant d’un malade du sida (Jean Dumargue), Hélène Giannecchini dresse un monument à la mémoire d’existences cachées dans les plis de l’histoire. Un monument qui célèbre, ce faisant, la puissance politique de l’amitié et des liens indestructibles de la famille qu’on s’est choisie.

💖 → Hélène Giannecchini, Un désir démesuré d’amitié, Seuil, 2024. 21 euros.

Gouines

« Nous sommes gouines, parce que nous voulons le respect, nous voulons l’égalité des droits, mais sans avoir à nous fondre dans le moule hétéropatriarcal. » Se réappropriant ce qui est, au départ, une insulte lesbophobe, les autrices de cet ouvrage collectif – Marie Kirschen, Maëlle Le Corre, Amandine Agić, Meryem Alqamar, No Anger, Marcia Burnier, Noémie Grunenwald, Erika Nomeni – proposent de penser les identités lesbiennes contemporaines et disent en creux la complexité des vécus.

👭 → Marie Kirschen et Maëlle Le Corre (dir.), Gouines, Points, 2024. 9,90 euros.

Pédés

« On ne naît pas pédé, on le devient. » Comment faire pour comprendre qui on est quand les autres vous ont déjà assigné à une identité sans votre accord ? Comment se réapproprier une insulte avant même d’avoir compris sa propre sexualité ? Cet ouvrage collectif dans lequel on retrouve – entre autres – le journaliste et essayiste Adrien Naselli, le militant LGBTQIA+ Ruben Tayupo ou le photographe Nanténé Traoré, offre une pluralité de récits et de réflexions sur les identités gays.

👨🏽‍🤝‍👨🏾 → Florent Manelli (dir.), Pédés, Points, 2023. 9,90 euros.

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Exposition

De l’amour

Avec l’exposition intitulée All about love – un clin d’œil à l’ouvrage de bell hooks publié en 2001 – l’artiste états-unienne Mickalene Thomas propose d’explorer la question de l’amour. Parmi les œuvres présentées : des tableaux monumentaux, composés de couleurs éclatantes, qui mêlent photographie, collage, peinture et incrustations de strass. L’artiste revisite également avec un regard féministe, noir et queer, les classiques de la peinture occidentale : le male gaze et le regard occidental qui les traversent sont ici partout subvertis. Le célèbre Déjeuner sur l’herbe devient Déjeuner sur l’herbe : trois femmes noires. Dans ces œuvres, les personnages ne sont pas des objets de désir, mais des êtres vivants et désirants. Une œuvre queer profondément politique et émancipatrice.

🖌All about love, Mickalene Thomas, jusqu’au 9 novembre 2025 aux Abattoirs, Musée – Frac Occitanie à Toulouse.

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Un glossaire pour tout comprendre

Alors que l’actualité montre à quel point la guerre culturelle qui fait rage est aussi une bataille sémantique, il nous a paru important que La Déferlante propose à ses lecteur·ices des définitions de concepts clés pour appréhender l’époque dans une perspective féministe intersectionnelle. Queer, panique morale, théorie du genre : toutes les définitions sont en accès libre sur notre site internet, qui sera alimenté au fil des numéros pour faciliter la compréhension des concepts mobilisés dans chaque dossier.

🔏 → Retrouvez toutes nos définitions en libre accès

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On y sera

💥 Cinéclub féministe

Dim 29 juin 2025, 18h
Majestic Bastille, Paris

Tonnerre, le ciné-club d’Elvire Duvelle-Charles, dont La Déferlante est partenaire, propose une projection en avant-première du film d’Alice Douard, Des preuves d’amour, dans le cadre de la dixième édition du Festival du film de fesses. La projection sera suivie d’une rencontre avec la réalisatrice.

🎟 → Informations pratiques et réservations

☔ Festival des pluies de juillet

Sam 19 et dim 20 juillet 2025
Le Tanu, Manche (50)

La Déferlante tiendra un stand lors du Festival des pluies de juillet. Vous y retrouverez nos revues, nos livres et nos goodies. Le dimanche 20 juillet, à 14h45, Anne-Laure Pineau, journaliste et membre du comité éditorial de La Déferlante, discutera avec le politiste Éric Neveu dans le cadre d’une rencontre intitulée : Informer est un sport de combat.

👉🏼 → Informations pratiques et billetterie

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12.06.2025 à 15:42

Droits des personnes trans : le Royaume-Uni dans la confusion

Élie Hervé

Depuis plusieurs semaines, Charlotte Rose Siddle, 55 ans, peine à sortir de chez elle : « J’ai une voix grave, et je crains que cela ne trahisse que je suis une femme trans. […]
Texte intégral (957 mots)

Depuis plusieurs semaines, Charlotte Rose Siddle, 55 ans, peine à sortir de chez elle : « J’ai une voix grave, et je crains que cela ne trahisse que je suis une femme trans. J’ai peur en permanence d’être attaquée : c’est épuisant. » En avril dernier, la Cour suprême britannique (équivalent de la Cour de cassation en France) rendait un avis de 87 pages donnant raison aux collectifs antitrans.

Ces derniers cherchaient à restreindre la définition légale d’une femme, afin que les femmes trans ne soient plus concernées par les termes de l’Equality Act, une loi antidiscrimination datant de 2010. La décision de la Cour suprême parle de sexe « biologique », de « femme biologique », et non plus de genre. Elle pourrait avoir comme effet d’exclure les femmes trans de certains lieux non mixtes, comme les toilettes publiques, les vestiaires sportifs ou les prisons.

Les collectifs antitrans – parmi lesquels For Women Scotland, connu pour bénéficier du soutien médiatique et financier de J. K. Rowling, l’autrice de la saga Harry Potter – ont immédiatement crié victoire. Pourtant, si cette décision fait craindre une multiplication des agressions transphobes, elle n’a pas force de loi, et son application reste à la discrétion du législateur.

Permis de discriminer

Selon Jules Buet, membre du groupe régional LGBTQIA+ de Unite the Union, le plus important syndicat britannique, le risque d’agression est d’autant plus important qu’il existe dans l’opinion un préjugé transphobe voulant qu’on peut facilement savoir qu’une personne est trans. « C’est assez peu probable que la police vienne vérifier les parties génitales des personnes trans, explique-t-il. Mais il est tout à fait possible qu’un policier se serve de cette décision pour agresser sexuellement une femme cisgenre. Il lui suffira de dire qu’elle est trans pour que la palpation soit faite par un homme et non par sa collègue femme. »

En outre, cette décision ne s’applique que dans certains lieux publics et dans certaines organisations, et ne remet pas en cause les droits administratifs déjà acquis par les personnes trans. « Par exemple, si je me marie, je serai considérée comme femme aux yeux de la loi, mais je devrais peut-être utiliser les toilettes pour hommes », explique jane fae [elle tient à ce qu’on écrive son nom sans majuscule], directrice de l’organisation Trans Actuel UK, qui lutte contre la transphobie et la désinformation. La militante s’inquiète surtout du bruit médiatique entretenu par les collectifs antitrans : « Cette décision n’interdit rien, elle se contente d’exclure. Mais beaucoup de personnes s’autorisent à nous discriminer parce qu’elles pensent qu’elles ont désormais le droit d’intervenir pour interdire certains lieux aux femmes trans. Et ça, c’est très grave. »

« On peut encore agir »

L’interdiction d’accès à certains lieux ne pourrait en effet être justifiée que sur la base de stéréotypes de genre, un « délit de faciès » selon la militante transféministe Jes Jester, pour qui « cette décision […] crée un précédent ». Car, dans la confusion provoquée par la décision de la Cour suprême et sa médiatisation, certaines structures (entreprises, hôpitaux…) pourraient aménager leur règlement intérieur, avec le risque d’exclure davantage les personnes trans. Mais Jes Jester tempère : « Malgré les efforts des associations transphobes, tout cela n’est pas encore inscrit dans la loi : on peut donc encore agir. »


« Beaucoup de personnes s’autorisent maintenant à intervenir pour interdire aux femmes trans l’accès à certains lieux. »

jane fae, directrice de l’association Trans Actuel UK

Depuis plusieurs semaines, les associations trans du Royaume-Uni connaissent un élan de solidarité sans précédent. Le 19 avril, plusieurs milliers de personnes se réunissaient dans les rues de Londres pour défendre les droits des personnes trans. En réponse à l’implication de J. K. Rowling dans les campagnes transphobes, des citoyen·nes se sont également mis·es à boycotter le merchandising Harry Potter. « Beaucoup de personnes qui, en temps normal, ne nous auraient jamais apporté leur soutien sont venues nous proposer de l’aide, rapporte Jes Jester. Maintenant qu’on a l’attention du grand public, on va s’en saisir pour sensibiliser. »

L’affaire résonne désormais au-delà des frontières du Royaume-Uni, passé récemment de la 16e à la 22e place des pays les plus favorables aux personnes LGBTQIA+ en Europe, selon le classement de l’ONG Inga-Europe. De son côté, l’ancienne juge Victoria McCloud, première magistrate trans du pays, a engagé une action devant la Cour européenne des droits de l’homme pour invalider la décision de la Cour suprême britannique.

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05.06.2025 à 17:22

On aime, on partage : les recos de la semaine de La Déferlante

La Déferlante

🗞️Revue de presse Le FBI contre les enfants trans Très investi ces trois dernières années dans la protection des cliniques accueillant des personnes en transition de genre, le FBI appelle […]
Texte intégral (1488 mots)

🗞
Revue de presse

Le FBI contre les enfants trans

Très investi ces trois dernières années dans la protection des cliniques accueillant des personnes en transition de genre, le FBI appelle désormais les États-unien·nes à dénoncer les médecins pratiquant des actes chirurgicaux de réassignation de genre sur des enfants. Ces opérations, peu fréquentes en réalité, sont stigmatisées par l’administration Trump qui tente de les faire passer pour des mutilations.

👮 → Lire l’article (en anglais) sur le site The Dissident

Kafkaïen

Dossiers impossibles à remplir sans aide extérieure, délais de réponse interminables, non-reconnaissance de handicaps pourtant avérés : les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), créées en 2005 pour regrouper et simplifier les démarches des usager·es, sont devenues le cauchemar des personnes handicapées et de leurs familles.

👩🏽‍🦽‍➡️ → Lire l’enquête sur le site de Mediapart

Les petites mains d’Airbnb

L’essor des locations Airbnb met sous pression les employées de ménage qui y travaillent. Prestations minutées, manque de matériel, transport de charges lourdes, menace de commentaires négatifs : ces femmes, souvent âgées et/ou issues de l’immigration récente, travaillent parfois jusqu’à 60 heures par semaine pour un tarif horaire inférieur au smic.

🧹→ Lire l’article sur le site du Monde

50 ans de luttes

Cette semaine, une plaque commémorative a été apposée devant l’église Saint-Nizier à Lyon, en souvenir de son occupation par des travailleuses du sexe qui, en 1975, protestaient contre la répression policière. Premier mouvement d’ampleur des prostituées en France, cette lutte marque le début de leur mobilisation politique.

✊🏼 → Lire l’article sur Libération

📺
On regarde

Partir ailleurs

Avez-vous déjà entendu parler de shifting, de rêve lucide ou de rêverie compulsive ? Dans un documentaire tout en poésie, la réalisatrice Jeanne Mayer suit Charlotte, qui s’immerge dans l’univers de Harry Potter grâce à l’auto-hypnose ; Elona, qui s’adonne à des rêveries compulsives quasi addictives, ou encore Raphaëlle, qui s’évade grâce au rêve lucide. Interviews de psychiatres à l’appui, le film montre comment ces pratiques spectaculaires, popularisées en partie grâce à TikTok, peuvent, lorsque les injonctions sociales ou patriarcales pèsent trop fortement sur les épaules de ces adolescentes, devenir libératrices.

La rêverie peut aussi se muer en projet collectif, comme le montre la séquence de l’atelier avec l’écrivaine et plasticienne Sabrina Calvo, qui propose aux trois protagonistes de mettre en commun leurs échappées mentales.

👁Dreams. Shifting, rêve lucide, rêverie compulsive de Jeanne Mayer, 53 minutes, Talweg Production. Disponible sur france.tv jusqu’au 20 novembre 2025.

✊🏼
On soutient

Protéger la santé sexuelle

Fermetures d’antennes départementales, baisse des subventions, retraits d’agréments… le Planning familial vit actuellement une situation particulièrement difficile qui menace la pérennité de son action en faveur de la santé sexuelle des personnes sur l’ensemble du territoire. Une campagne numérique est en préparation pour le 16 juin, mais on peut d’ores et déjà signer une tribune de soutien qui paraîtra dans la presse.

🖊 → Je signe la tribune de soutien au Planning familial

📍
On y sera

Festival Mediapart

Sam 7 Juin 2025
Point Fort d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis)

De 11h à 19h, La Déferlante tiendra un stand dans le cadre du Festival Mediapart. Vous y retrouverez nos revues, nos livres, nos goodies et pourrez rencontrer notre équipe. Le festival propose des tables rondes, un concert, un quiz de Miskin Télé, le tout en présence d’autres médias indépendants. L’évènement est complet mais une liste d’attente est ouverte.

🔍 → Informations sur ce lien

🗣 Rencontre à Poitiers

Sam 19 Juin 2025
Librairie La Belle Aventure, Poitiers

Emmanuelle Josse, corédactrice en chef de La Déferlante, donne rendez-vous aux lectrices à 18h pour parler du dernier numéro de la revue dont le dossier s’intitule : « Pour une éducation qui libère ».

📖 → Informations à venir par ici

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28.05.2025 à 17:56

Pourquoi le procès Le Scouarnec a‑t-il si peu intéressé les médias ?

Coline Clavaud-Mégevand

« Nous voulions que la presse s’approprie notre vécu, on a le sentiment qu’il a été effacé. » Gabriel Trouvé, membre du collectif de victimes de Joël Le Scouarnec, est amer quant […]
Texte intégral (1181 mots)

« Nous voulions que la presse s’approprie notre vécu, on a le sentiment qu’il a été effacé. » Gabriel Trouvé, membre du collectif de victimes de Joël Le Scouarnec,

est amer quant à la médiatisation du procès qui s’est tenu du 24 février au 28 mai 2025 devant la cour criminelle du Morbihan. « Les quinze premiers jours, la salle d’audience était remplie de journalistes, note-t-il, et on a observé un regain d’intérêt sur la fin. Mais entre les deux, on a eu l’impression que la presse étrangère s’intéressait plus à l’affaire que la presse française. »

Comme le procès des viols de Mazan, qui s’est tenu à l’automne 2024 à Avignon, celui de Joël Le Scouarnec ne peut être évoqué sans égrener des chiffres effrayants : 299 victimes identifiées – la plupart mineures –, un accusé poursuivi pour les 111 viols et 188 agressions sexuelles commises sur une période de vingt-cinq ans, des faits intégralement consignés dans des « carnets noirs » versés au dossier d’instruction… Pourtant, dans les médias comme sur les réseaux sociaux, la couverture des audiences n’a pas été proportionnelle aux enjeux. Le site Arrêt sur images rappelle ainsi que la salle de presse du palais de justice de Vannes, aménagée en prévision d’un afflux de journalistes, a été fermée au bout de quelques jours. Dans le même temps, les chaînes d’information en continu ont peu, voire pas couvert le procès : « un silence assourdissant », selon les mots des victimes cités par le magazine Elle.

Logique d’incarnation

Juliette Campion, journaliste pour Franceinfo.fr, a couvert les deux procès et avance une explication : « Les faits de Mazan étaient beaucoup plus ramassés [dans le temps et sur le territoire], spectaculaires et faciles à suivre pour le public. » Par ailleurs, « il n’y avait qu’une seule victime face à 51 accusés très identifiés », tandis que devant la cour criminelle de Vannes se présentaient « un homme terne, qui parle peu » et de très nombreuses victimes et avocat·es. Résultat : dans un monde médiatique qui « a besoin de personnaliser », les victimes de Joël Le Scouarnec « sont restées une foule », regrette Hugo Lemonier, journaliste indépendant qui a suivi l’affaire pour Mediapart. « Pourtant, l’immense majorité d’entre elles avaient fait le choix d’audiences publiques, souligne-t-il, et certain·es étaient prêt·es à parler à la presse. Mais pas toujours dans l’immédiat, et pas pour tout raconter. Il aurait fallu accepter ces conditions. »

Giuseppina Sapio, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris 8 s’intéresse à la « médiagénie » des procès pour violences sexuelles. « Les victimes de Le Scouarnec, analyse-t-elle, étaient des enfants, dont la parole est remise en cause dans notre société. Ils et elles sont de surcroît devenu·es adultes, ce qui empêche les médias de puiser dans le registre empathique habituel. » À l’inverse, selon elle, « la forte médiatisation de Mazan était d’abord due à la figure de Gisèle Pelicot, qui se présente avec les conditions de la respectabilité – une femme blanche, de classe supérieure, qui incarne aussi une forme de “féminisme à la française” ». La chercheuse rappelle également que les violences exercées par les médecins sont peu souvent traitées par les médias, plus familiers de celles qui s’exercent dans la sphère domestique.

Un procès « trop grand ? »

Juliette Campion tient malgré tout à rendre hommage au travail de la presse locale et au fait que de nombreuses rédactions nationales se sont régulièrement déplacées. « Il ne faut pas non plus oublier nos conditions de travail, indique-t-elle. Ce genre de procès est très lourd à suivre, et, à Franceinfo.fr, nous ne sommes que trois journalistes et une alternante à suivre la justice, donc notre mobilisation est déjà très importante sur cette affaire. » Hugo Lemonier salue également le « choix très fort » de Mediapart de l’avoir embauché en tant qu’indépendant pour suivre la quasi-totalité de ce procès-fleuve. « Mais en réalité, on devrait être six ou sept par rédaction pour bien faire le travail. Ce procès est peut-être trop grand pour les médias tels qu’ils sont organisés aujourd’hui. »


« La forte médiatisation de Mazan était d’abord due à la figure de Gisèle Pelicot : une femme blanche, de classe supérieure »

Giuseppina Sapio, professeure à Paris 8

L’absence de réactions des institutions, notamment médicales, et de la classe politique n’a pas non plus joué en faveur de la médiatisation du procès. « Nous sommes contre la concurrence victimaire, insiste Gabriel Trouvé du collectif de victimes de Joël Le Scouarnec, mais on constate que l’affaire Bétharram a focalisé l’attention. C’est regrettable que l’information soit produite en silo, sans analyse systémique ni liens entre les affaires, alors qu’on parle ici des mêmes choses : les violences patriarcales, la pédocriminalité. »

Juliette Campion estime qu’il est important de sortir de la logique « des comptes rendus d’audience qui s’empilent » pour « écrire sur les autres enjeux : l’omerta, l’inceste, les failles de l’institution médicale… » Un travail de fond qui n’est pas fait non plus par les responsables politiques, selon Hugo Lemonier : « L’affaire est publique depuis 2019. Quand le procès s’ouvre six ans plus tard, on n’a pas eu une commission d’enquête parlementaire, pas un rapport du ministère de la Santé… Les institutions attendent que les victimes renoncent à l’anonymat et aillent au combat pour réagir, et les médias reproduisent cette logique. C’est donc sur les seules épaules des victimes qu’on fait reposer le changement social. »

💡Pour aller plus loin :

Hugo Lemonier, Piégés. Dans le « journal intime » du Dr Le Scouarnec, Nouveau Monde Éditions, 2025.

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22.05.2025 à 13:04

🚸Une éducation qui libère

La Déferlante

🗞️Revue de presse Improvisation Dans un « parti pris », la journaliste spécialiste des questions d’éducation Mathilde Mathieu partage sa stupeur à l’écoute de l’audition de François Bayrou à l’Assemblée nationale dans […]
Texte intégral (2913 mots)

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Revue de presse

Improvisation

Dans un « parti pris », la journaliste spécialiste des questions d’éducation Mathilde Mathieu partage sa stupeur à l’écoute de l’audition de François Bayrou à l’Assemblée nationale dans l’affaire Bétharram, le 14 mai dernier. Le Premier ministre continue à défendre les vertus éducatives de la gifle et ne propose aucun plan concret pour lutter contre les violences du #MeToo scolaire, lancé par d’anciens élèves d’institutions catholiques d’excellence.

👀 → à lire sur le site de Mediapart

Le piège de l’apprentissage

À la faveur des exonérations gouvernementales, le nombre d’apprenti·es est passé d’environ 300 000 à près d’un million depuis le début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Mais, alors que l’État vient de décider la baisse de leur rémunération et que les accidents du travail les concernant se multiplient, l’apprentissage apparaît de plus en plus nettement comme un cadeau fait aux entreprises, sur le dos des jeunes des classes populaires.

👷🏼‍♀️ → Lire l’article sur le site du magazine Frustration

EPS et luttes de pouvoir

Agrégé d’éducation physique et sportive (EPS) et docteur en sciences de l’éducation, Raffi Nakas décrit comment l’enseignement du sport à l’école agit comme un révélateur des hiérarchies de classe et de genre. Mais permet également une nouvelle répartition du pouvoir à la faveur d’élèves en difficulté dans d’autres matières.

🏀 → Lire sur le site de The Conversation

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On regarde

Redresser les filles perdues

Lorsqu’elles étaient enfants ou adolescentes, entre les années 1930 et 1960, Édith, Michèle, Éveline et Marie-Christine ont été enfermées dans des maisons de correction pour jeunes filles, tenues par la congrégation de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur. Dans le documentaire Mauvaises Filles, elles témoignent du traitement qu’elles y ont subi, notamment des violences sexistes et sexuelles. Financés par l’État français, ces établissements catholiques accueillaient au moins jusqu’aux années 1970, des jeunes filles que la société considérait comme « perdues » : filles-mères, victimes de viols ou délinquantes. En mars 2025, la présidente de l’association des victimes du Bon Pasteur déclarait à Libération voir dans l’affaire Bétharram une « chance à saisir » pour relancer une plainte collective.

📺 → Émérance Dubas, Mauvaises filles, Les Films de l’œil sauvage, 71 minutes, 2022. Disponible en VOD.

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On lit

Les « nouveaux pères » n’existent pas

Guillaume Daudin et Stéphane Jourdain, tous deux pères et journalistes, cherchent à comprendre l’effarant décalage entre l’image des prétendus « nouveaux pères », qui circule partout dans les médias, au cinéma comme dans la littérature, et la réalité statistique : selon l’enquête Insee (2010) sur laquelle s’appuient les deux auteurs, les femmes assurent encore 71 % des tâches ménagères et 65 % des tâches parentales. Pour expliquer ce décalage, ils vont à la rencontre de militantes, de chercheuses, d’hommes politiques, et interrogent leurs propres pères et leurs compagnes. Leur investigation s’achève en Suède, un pays érigé en modèle du partage des tâches où – spoiler – les inégalités persistent aussi.

💭 → Guillaume Daudin et Stéphane Jourdain (texte), Antoine Grimée (dessin), L’Arnaque des nouveaux pères, Glénat, 2024. 20,50 euros.

Les enfants d’abord

Militante écologiste dès les années 1970, membre du Mouvement de libération des femmes (MLF), Christiane Rochefort a très tôt, dans ses livres, dénoncé l’inceste et pris le parti des enfants. Dans cet essai aux allures de pamphlet, elle s’insurge de l’éducation que la société capitaliste donne aux plus jeunes, qui vise à en faire des êtres dociles et productifs. Une fois « adultés », ils reproduiront ces mécaniques d’oppression dont ils ont été victimes. Le plus ébouriffant dans cet ouvrage, c’est qu’il semble avoir été écrit hier, tant il résonne avec les débats de 2025 autour de la domination adulte. Une preuve supplémentaire que les luttes, aussi nouvelles qu’elles paraissent, s’inscrivent toujours dans une généalogie.

👶🏻 → Christiane Rochefort, Les Enfants d’abord, Grasset, 1976. 15,90 euros.

Pédagogie antiraciste

En 2017 et en 2018, l’ancien ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a déposé deux plaintes contre le syndicat SUD éducation 93 : la première pour diffamation pour l’emploi de l’expression de « racisme d’État », la seconde pour discrimination à la suite de l’organisation d’un atelier réservé aux personnes racisées. « Pourquoi l’emploi de certains termes est-il si tabou qu’il nécessite […] une forme de répression jamais vue auparavant dans l’institution scolaire ? » s’interrogent les militant·es du syndicat dans ce manuel collectif publié en 2023. Elles et ils y partagent les outils proposés lors de ces stages de pédagogie antiraciste pour comprendre les racines du racisme à l’école, en parler avec les élèves et intégrer l’antiracisme aux méthodes d’apprentissage.

✊🏾→ SUD Éducation 93 (collectif), Entrer en pédagogie antiraciste. D’une lutte syndicale à des pratiques émancipatrices, Shed Publishing, 2023. 25 euros.

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On écoute

Deux écoles

Ancienne professeure de français devenue documentariste radio, Delphine Saltel est l’autrice de plusieurs séries et podcasts sur l’éducation. Le tout dernier, produit par Arte Radio, s’intéresse aux mécaniques de ségrégation sociale à l’œuvre dans les parcours scolaires et aux effets à long terme de la désertion de l’enseignement public par les classes culturellement et économiquement privilégiées. Prenant pour fil rouge un entretien passionnant avec le sociologue Marco Oberti, elle démontre de manière extrêmement convaincante que le choix de l’école privée, s’il est une promesse d’ascension sociale (rarement tenue) pour les familles des classes populaires, est, pour la bourgeoisie, une manière de maintenir sa domination sociale.

🎧 → « Reste dans ta classe », de Delphine Saltel, 53 minutes, 2024, à écouter sur Arte Radio.

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Un glossaire pour tout comprendre

Alors que l’actualité montre à quel point la guerre culturelle qui fait rage est aussi une bataille sémantique, il nous a paru important que La Déferlante propose à ses lecteur·ices des définitions de concepts clés pour appréhender l’époque dans une perspective féministe intersectionnelle. Évars, infantisme, panique morale : toutes les définitions sont en accès libre sur notre site internet, qui sera alimenté au fil des numéros pour faciliter la compréhension des concepts mobilisés dans chaque dossier.

🔏 → Retrouvez notre glossaire

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On soutient

Monument aux mortes

On ignore encore aujourd’hui combien de femmes, en France, sont décédées des suites d’un avortement avant sa dépénalisation en 1975. Un collectif d’artistes, d’universitaires et de militantes féministes demande que leur soit érigé, à elles aussi, un monument aux mortes.

🗽 → Je signe la pétition

En lieu sûr

L’association féministe Safe Place qui lutte depuis sept ans contre toutes les formes de domination, rencontre actuellement des difficultés financières. Pour sauver puis pérenniser son activité, elle lance une campagne : objectif 1 000 nouvelles adhésions.

☝🏼 → Je soutiens Safe Place

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On y sera

🎤 Littérature live

Sam 24 Mai — Dim 25 Mai 2025
Villa Gillet, Lyon (4e arrondissement)

Dans le cadre du festival Littérature Live, Emmanuelle Josse, corédactrice en chef de La Déferlante, modérera une rencontre entre les autrices Irene Solà et Louise Chennevière le samedi à 15h. Le dimanche à 17h30, elle animera une conversation entre la poétesse Rim Battal et la violoncelliste Lola Malique.

ℹ → Plus d’informations sur le programme

🎉 Festival Mediapart

Sam 7 Juin 2025, 19h
Le Point Fort d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis)

La Déferlante tiendra un stand dans le cadre de la nouvelle édition du Festival Mediapart. Vous y retrouverez nos revues, nos livres, nos goodies et pourrez échanger avec notre équipe. Le festival, gratuit mais sur réservation, propose par ailleurs des tables rondes, un concert et un quiz de Miskin Télé.

👉🏼 → Informations pratiques

⛪ La Déferlante à Poitiers

Jeu 19 juin 2025, à 18h
Librairie La bonne Aventure, Poitiers

Emmanuelle Josse, cofondatrice et corédactrice en chef de notre média, rencontrera les lectrices autour du numéro 18 « Pour une éducation qui libère ».

📕 → Informations à suivre sur le site de la librairie

☂ Les pluies de juillet

Sam 19 — Dim 20 juillet 2025
Festival Les Pluies de juillet, Le Tanu, (Manche)

Nous serons présentes tout un week-end dans ce festival normand qui promeut l’écologie, les féminismes et les luttes sociales. Anne-Laure Pineau, journaliste et membre du comité éditorial de La Déferlante, participera à une table ronde sur le rôle de la désinformation dans la montée des populismes. Sur notre stand, vous retrouverez nos revues, nos livres et nos goodies, et vous pourrez rencontrer le reste de l’équipe

🎟 → Informations et billetterie sur le site du festival

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15.05.2025 à 16:50

La Hongrie se prépare à une Pride historique

Annabelle Georgen

À la tête du gouvernement hongrois depuis 2010, le populiste Viktor Orban dispose d’une majorité au Parlement grâce aux alliances des députés de sa majorité avec l’extrême droite. Au prétexte […]
Texte intégral (1029 mots)

À la tête du gouvernement hongrois depuis 2010, le populiste Viktor Orban dispose d’une majorité au Parlement grâce aux alliances des députés de sa majorité avec l’extrême droite.

Au prétexte de défendre les valeurs traditionalistes chrétiennes et de « protéger les enfants », il mène depuis plusieurs années une offensive contre les droits des minorités, en particulier contre ceux de la communauté LGBTQIA+ : interdiction du mariage civil des couples de même sexe (2012), fin de la reconnaissance des transitions de genre (2020), tentatives multiples de censure des médias et des enseignant·es abordant les questions d’orientation sexuelle et de genre. Mardi 13 mai, un député du Fidesz, le parti de Viktor Orban, a déposé un projet de loi visant à interdire aux organisations hongroises d’avoir recours à des financements étrangers. Ce texte menace directement l’existence de bon nombre d’associations LGBTQIA+ hongroises.

C’est pour témoigner de ces attaques que Dorottya Rédai était présente à Rome, du 23 au 26 avril dernier, dans le cadre de la quatrième Conférence de l’Euro central asian lesbian*community, un événement annuel organisé par des activistes lesbiennes.

Comment l’annonce de l’interdiction de la Marche des fiertés de Budapest a‑t-elle été reçue par la communauté LGBTQIA+ hongroise ?

Ce n’est pas la première fois qu’Orban s’en prend à nous : nous sommes attaqué·es en permanence. Mais cette interdiction pure et simple, même les organisateur·ices ne s’y attendaient pas. Notre communauté est sous le choc.

La Budapest Pride est une grande manifestation en faveur des droits humains. Elle est devenue un événement très important en Hongrie au cours des dix dernières années. L’an dernier, nous étions 35 000 participant·es.

Cette décision inquiète aussi plus généralement les Hongrois·es opposé·es à Orban, qui ont peur de voir disparaître leurs droits fondamentaux – notamment le droit de manifester. Et cette inquiétude est légitime puisque Orban marche dans les pas de Poutine. Si nous ne l’arrêtons pas, la Hongrie pourrait devenir comme la Russie [un État autoritaire qui persécute les femmes et les minorités sexuelles et de genre].

Quelles sont les conséquences de la politique du gouvernement d’extrême droite hongrois dans la vie quotidienne des personnes LGBTQIA+  ?

Selon les statistiques de la Háttér Society, la plus grande organisation LGBTQIA+ de Hongrie, le nombre d’agressions physiques n’a pas augmenté, mais les agressions verbales ont gagné en violence. Elles reflètent le langage grossier que s’autorise aujourd’hui la classe politique du pays pour parler des homosexuel·les, des personnes trans et des personnes queers.

L’association Labrisz [son nom fait référence à une hache antique devenue un symbole lesbien], que je dirige, veut rester un espace ouvert et sûr pour les lesbiennes en Hongrie. Nous continuons à faire ce que nous avons toujours fait, comme si la situation était normale : nous mettons sur pied des événements communautaires et des festivals qui, à chaque attaque du gouvernement, attirent toujours plus de monde. Nous collectons et conservons des archives lesbiennes, produisons des films, publions des livres et coopérons avec d’autres organisations.


« Avec l’annulation de la Pride, les Hongrois·es ont peur de voir leurs droits fondamentaux disparaître. »


En 2020, vous avez justement édité un livre jeunesse, traduit en onze langues : Brune-Feuille. Le prince se marie et autres contes inclusifs (trad. J. Dufeuilly, C.A. Holdban, C. Philippe, Talents Hauts, 2022). Pouvez-vous revenir sur cet épisode ?

Au moment de sa publication, une femme politique d’extrême droite, qui ne l’avait pas lu, a organisé une performance médiatique d’une grande violence, lors de laquelle elle a passé le livre à la déchiqueteuse, arguant qu’il ne faisait pas partie de la culture hongroise.

Pourtant, il s’agit simplement d’un ouvrage qui représente des personnages queers ou appartenant à d’autres minorités [des personnes racisées ou issues des classes populaires] que le gouvernement invisibilise ou attaque. C’était très choquant, mais cela nous a fait beaucoup de publicité. On en a vendu 35 000 exemplaires, et le livre est même devenu un best-seller en Hongrie sur le marché des livres pour enfants !

Le 28 juin prochain, les associations LGBTQIA+ hongroises maintiennent l’appel à manifester. Comment allez-vous vous organiser ?

Toutes nos organisations sont d’accord : nous ne reculerons pas. On va essayer d’être aussi nombreux·ses que possible parce que plus la foule sera grande, plus il sera difficile pour la police de traquer les manifestant·es. La loi autorise désormais la police à utiliser un système de reconnaissance faciale pour identifier les manifestant·es, cela peut donc dissuader les gens de descendre dans la rue. Celles et ceux qui braveront l’interdiction s’exposeront à une amende pouvant aller jusqu’à 500 euros, soit plus de la moitié du salaire mensuel moyen. En prévision, des cagnottes ont déjà été lancées par des activistes.

La solidarité s’exprime aussi en dehors de la communauté. Des citoyen·nes hétérosexuel·les manifestent chaque semaine pour soutenir la Marche des fiertés : c’est du jamais vu ! Des personnes qui n’étaient jamais allées à la Pride veulent maintenant y participer. J’ai rencontré ces derniers jours à la conférence EL*C des activistes lesbiennes membres du Parlement européen qui m’ont assurée de leur présence. En fin de compte, une résistance se met en place et cette Pride pourrait bien être la plus grande qu’on n’ait jamais eue !

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07.05.2025 à 17:23

Amélie Bonnin : « De plus en plus de réalisatrices incarnent des modèles »

Nora Bouazzouni

Un premier long métrage qui fait l’ouverture à Cannes : c’est inédit dans l’histoire du festival. Comment as-tu pris la nouvelle ? C’était déjà complètement inattendu d’être sélectionnée, mais là, ça prend […]
Texte intégral (1483 mots)

Un premier long métrage qui fait l’ouverture à Cannes : c’est inédit dans l’histoire du festival. Comment as-tu pris la nouvelle ?

C’était déjà complètement inattendu d’être sélectionnée, mais là, ça prend une autre dimension ! C’est l’occasion de rappeler que c’est un premier film, réalisé en toute humilité, avec ses défauts potentiels. Et je trouve ça « frais » d’ouvrir ainsi un festival qui voit souvent revenir les mêmes grosses pointures. J’y vois un message positif sur le côté vivant d’un cinéma qui se renouvelle.

Ce film est une adaptation de ton court métrage, mais les rôles de Bastien Bouillon et Juliette Armanet sont inversés : cette fois, le personnage principal est une femme. Pourquoi ?

Ce qui est flippant, c’est qu’au moment d’écrire le rôle principal du court métrage, mon coscénariste Dimitri Lucas et moi avons spontanément écrit un rôle d’homme, par habitude. Et quand on m’a demandé pourquoi, ça m’a sciée, car je n’avais pas intellectualisé ce choix, alors même qu’en tant que femme je suis concernée et sensibilisée à ces enjeux de genre ! Donc je me suis dit que si j’avais un jour la chance d’en faire un long métrage, j’inverserais les rôles.

C’est aussi un choix qui a été guidé par d’autres femmes. J’ai un souvenir très marquant du discours de Julia Ducournau lorsqu’elle a reçu la Palme d’or à Cannes, en 2021, pour Titane. À ce moment-là, elle est seulement la deuxième femme à remporter ce prix [Justine Triet l’a depuis obtenue pour Anatomie d’une chute en 2023], mais de plus en plus de réalisatrices, des femmes dont on sait citer le nom, commencent à avoir du succès en France et à incarner des modèles. En référence à son héroïne mutante, elle remercie le jury d’avoir « laiss[é] entrer les monstres » dans le cinéma, c’est-à-dire les gens considérés comme hors normes. Donc c’est plus large que la seule représentation des femmes. Son discours a ouvert quelque chose en moi, je l’ai ressenti physiquement : j’ai réalisé qu’il y avait encore tellement de verrous et qu’elle était en train d’en faire sauter plusieurs.

Ton court métrage comme ton long interrogent le désir (ou le non-désir) d’enfant, la grossesse. Pourquoi ces sujets particulièrement ?

J’ai beau avoir déjà deux enfants, la question de la parentalité me travaille toujours. Et j’estime qu’on ne peut pas raconter l’histoire d’une femme de 40 ans aujourd’hui sans évoquer la maternité, parce que c’est une question qui nous est posée par la société – posée dès qu’on fait couple, posée dès qu’on atteint 40 ans… Pour autant, quand je me suis mise à l’écriture, je ne savais pas très bien ce que j’allais raconter de mon héroïne. Est-ce qu’elle a des enfants ou pas ? Est-ce qu’elle en veut ? Si oui, est-ce qu’elle va en faire ? La seule trajectoire qui me soit apparue comme possible, c’est que, peu importe la réponse, il fallait montrer une femme qui sait ce qu’elle veut et pour qui la difficulté, c’est en réalité de se faire entendre.

Il me semble qu’un des enjeux centraux du combat féministe, ce n’est pas qu’on soit indécises, c’est plutôt qu’il faut nous laisser parler, nous écouter et accueillir notre parole avec bienveillance. Tout cela suppose qu’on ait soi-même réussi à faire taire les petites voix intérieures qui viennent de notre éducation, de la société… Il faut en finir avec cette idée que le désir d’enfant est la norme et qu’on a toutes envie d’en avoir. Cela dit, je ne m’attendais pas à ce que cet aspect du scénario soulève autant d’interrogations au moment de trouver des financements et des partenaires…

C’est-à-dire ?

C’est-à-dire qu’il n’y a pas de problème à poser la question, mais que certaines réponses sont plus acceptables que d’autres ! On nous a aussi dit qu’on ne comprenait pas le choix de Cécile, le personnage joué par Juliette Armanet, qu’il fallait davantage le justifier…


« J’avais très peur de mettre en scène le contraire de ce que je pense. »


Tu travailles depuis bientôt cinq ans comme directrice artistique de La Déferlante, est-ce que cela a influencé ton travail de cinéaste ?

Cet engagement auprès de La Déferlante est fondamental, dans ma vie comme dans mon travail et a nourri l’écriture de mes films. Mais j’avais aussi très peur de mettre en scène le contraire de ce que je pense… Parce que c’est tellement compliqué d’exprimer les choses de la bonne façon et, au cinéma, on s’expose à voir ses choix interprétés de mille manières. Mes relations de travail respectueuses avec les fondatrices de La Déferlante ont aussi inspiré ma façon de constituer et de gérer une équipe, de parler aux gens sur le tournage…

Il y a des articles ou des interviews qui t’ont particulièrement marquée ?

Au moment de l’écriture du film, je me suis replongée dans le numéro « Réinventer la famille » – avec qui, comment, pourquoi… Ça m’a beaucoup nourrie. La Déferlante est une revue qui pose des questions, qui ouvre la discussion, mais qui ne prétend pas apporter de réponses définitives. Et c’était important pour moi de garder ça en tête en écrivant le film, pour me décomplexer sur la manière dont le public pourrait juger les décisions des personnages.

Tu as parlé de la « fraîcheur » que le choix d’un premier film pouvait apporter en ouverture de Cannes. C’est aussi très « frais » de voir mises en valeur des références musicales issues de la culture populaire des années 1990–2000 : Femme Like U (K. Maro), Tu m’oublieras (Larusso), Pour que tu m’aimes encore (Céline Dion)… Pourquoi ce choix ?

La culture dite « populaire » est souvent absente du cinéma français ou mise en comparaison avec des références plus « intellectuelles » qui auraient plus de valeur. Mais cette culture, quand on n’a pas grandi dans un milieu bourgeois, c’est notre langage. Ce sont les chansons grâce auxquelles on partage des souvenirs communs, qu’on écoute aux anniversaires, pendant les trajets en voiture, en vacances ou pour digérer des peines… Faire entrer tout ça dans un objet de cinéma, je trouve ça assez émouvant. J’ai aussi voulu que l’héroïne du film soit une ancienne candidate de « Top Chef ». Ça rappelle, si besoin, que la culture populaire est ultra légitime, utile et qu’il ne faut pas la laisser sur le côté.

En France, les films musicaux attirent un public plutôt féminin, mais sont quasi tous réalisés par des hommes : Alain Resnais, Jacques Demy, Christophe Honoré, François Ozon, Leos Carax, Jacques Audiard…

C’est vrai ? Je n’en avais pas du tout conscience ! J’imagine que plein de femmes ont envie d’en faire, mais peut-être que pour elles, c’est déjà tellement balèze de se faire une place dans le cinéma qu’elles évitent de proposer des films qui pourraient ne pas être pris au sérieux ou les enfermer dans une case. Heureusement que je n’y ai pas pensé avant d’écrire ce film, parce que, si ça se trouve, je ne l’aurais jamais fait !

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06.05.2025 à 13:35

Newsletter : L’éducation, cet horizon libérateur

Lucie Geffroy

C’est une lutte dans laquelle les penseuses féministes se sont engagées très tôt, à l’image de l’écrivaine Mary Wollstonecraft (1759–1797). L’équation se formule ainsi : en enseignant aux filles davantage […]
Texte intégral (801 mots)

C’est une lutte dans laquelle les penseuses féministes se sont engagées très tôt, à l’image de l’écrivaine Mary Wollstonecraft (1759–1797).

L’équation se formule ainsi : en enseignant aux filles davantage que des savoir-faire domestiques, on leur donne les moyens d’être des citoyennes libres et éclairées, à l’égal des garçons. En parallèle, en éduquant les garçons à des notions telles que le consentement, le non-usage de la force, on se donne les moyens d’une société débarrassée des violences.

Évidemment, c’est un peu plus compliqué que cela. Avant d’offrir un horizon libérateur, la relation éducative est surtout chargée de tensions : dans ce face-à-face, l’adulte et l’enfant, la ou le pédagogue et son élève, l’institution qui éduque et le groupe qui doit être éduqué ne sont pas dans un rapport d’égalité. La domination des adultes sur les enfants est un rapport de pouvoir qu’il convient de mettre en lumière : les féministes s’y attellent en donnant notamment écho au concept d’infantisme. La banalité des violences éducatives dans les établissements scolaires catholiques, mise au jour ces derniers mois, est une illustration exacerbée de ce rapport de pouvoir. Au pensionnat de Notre-Dame-de-Bétharram, depuis six décennies, le personnel encadrant violentait les élèves, avec le soutien tacite de nombreux parents. Alors qu’il était ministre de l’Éducation nationale, François Bayrou a été informé des sévices perpétrés dans l’établissement, et a longtemps cherché à en minimiser la portée. Ces révélations ont très peu fragilisé l’actuel chef du gouvernement. Penser l’éducation comme une forme plus ou moins sophistiquée de dressage ne met pas en péril une carrière politique. Au contraire.

À l’heure actuelle, cette vision autoritaire, voire autoritariste, a le vent en poupe. En France, le chef de l’État défend le retour du port de l’uniforme dans les établissements scolaires, ou décide d’investir massivement dans la mise en place du service national universel pour les jeunes, un dispositif qui tient du séjour soft en camp militaire. Ces choix politiques et leur traduction budgétaire poussent à s’interroger, quand on sait que la souffrance des personnels des écoles – en grande majorité des femmes – ne cesse de s’accroître du fait de l’insuffisance de moyens et du manque de reconnaissance.

Aux États-Unis, les attaques contre l’enseignement public se multiplient : le 20 mars dernier, le président, Donald Trump, a signé un décret visant à démanteler progressivement le ministère de l’Éducation – une loi devra toutefois être adoptée au Sénat. Rien de plus efficace, pour asseoir la violence et la domination, que de désamorcer toute pensée critique en fabriquant de l’ignorance. Ce constat n’est pas valable seulement pour les savoirs dits fondamentaux : il concerne aussi l’éducation à la sexualité, sans cesse prise pour cible par les représentant·es des forces réactionnaires.


« Rien de plus efficace, pour asseoir la violence que de fabriquer de l’ignorance. »


À partir de la rentrée prochaine, un nouveau programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Évars) sera enseigné aux élèves de la maternelle au lycée : il est censé rendre effectives les trois séances annuelles prévues par la loi de 2001. Il devrait amener les élèves à mieux identifier les violences sexuelles et les discriminations dont elles et ils peuvent être l’objet. L’ambition d’une telle démarche rend d’autant plus condamnable l’absence du mot transphobie dans le programme final, à l’heure où les attaques contre les personnes trans sont devenues l’un des marqueurs des partis de droite et d’extrême droite.

Plus de deux siècles après la disparition de Mary Wollstonecraft, la lutte continue : l’éducation est un enjeu éminemment politique, au cœur des guerres culturelles. Pour en faire l’horizon libérateur espéré, elle doit être l’affaire de toutes celles et ceux qui souhaitent, comme le disait la militante féministe, permettre « à l’individu d’acquérir les habitudes vertueuses qui assureront son indépendance ».

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05.05.2025 à 15:50

États-Unis : pour la désobéissance sur les campus

Chrystel Oloukoi

En mars 2025, la police de l’immigration états-unienne (U.S. Immigration and Customs Enforcement, ICE) kidnappait Mahmoud Khalil, jeune diplômé palestinien de l’université Columbia à New York. Détenteur d’une carte de […]
Texte intégral (1288 mots)

En mars 2025, la police de l’immigration états-unienne (U.S. Immigration and Customs Enforcement, ICE) kidnappait Mahmoud Khalil, jeune diplômé palestinien de l’université Columbia à New York. Détenteur d’une carte de résident permanent, il a néanmoins été incarcéré illégalement dans un centre de détention en Louisiane, à plus de 2 000 kilomètres de son lieu de vie : un acte clair de représailles contre son soutien à la Palestine.

Le même mois, Ranjani Srinivasan, étudiante à Columbia également et activiste indienne, a vu son visa révoqué et, à la suite de menaces de la police de l’immigration, a dû s’enfuir au Canada. Rasha Alawieh, professeure à l’université Brown (Rhode Island), de nationalité libanaise, a été déportée le 14 mars 2025 à Paris. Voilà, depuis la prise de fonction de Donald Trump, le 20 janvier 2025, quel est le quotidien des militant·es antiracistes qui dénoncent sur les campus états-uniens la politique génocidaire israélienne.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : les États-Unis de Trump, où l’ICE conduit des raids sur les campus, où les financements de la recherche sont menacés, où les manifestant·es étudiant·es sont menacé·es de déportation ou de poursuites pour terrorisme… tout cela est dans la droite ligne des États-Unis démocrates de Joe Biden avant janvier 2025.

Après le mouvement Black Lives Matter de 2020, les mobilisations de soutien à la Palestine sont le mouvement social majeur de ces dernières années aux États-Unis. Elles concernent particulièrement les campus, qui n’ont pas été l’objet de mouvements de cette ampleur depuis 1968 avec la lutte contre la guerre du Vietnam. C’est un mouvement universitaire mondial, qui se déploie aussi en Europe, au Bangladesh, au Brésil, au Canada, en Égypte, en Inde, au Japon, au Liban ou en Afrique du Sud. Aux États-Unis, ces mouvements étudiants rendent visible le consensus maccarthyste tacite qui a placé sous une chape de plomb toute critique de l’État d’Israël et silencié des générations de chercheur·euses palestinien·nes depuis des décennies.

Au printemps 2024, sous l’administration démocrate de Joe Biden, les universités états-uniennes ont réprimé systématiquement les mobilisations étudiantes et rendu possible l’arrestation de plus de 3 000 manifestant·es – étudiant·es et professeur·es – sur plus de 60 campus. Un mouvement sans précédent de renoncement aux valeurs universitaires de défense de la liberté d’expression et de manifester, qui poursuit un glissement dangereux, dans la lignée de la répression du mouvement Black Lives Matter et de la mobilisation contre la construction du centre de formation policier d’Atlanta, Cop City1. Les militant·es sont menacé·es d’expulsion, et pour certain·es effectivement expulsé·es avant d’avoir pu obtenir leur diplôme. Les universités et l’État fédéral, qu’il soit républicain ou démocrate, s’unissent pour instrumentaliser la définition de l’antisémitisme et poursuivre les manifestant·es en justice pour « terrorisme domestique ».

Les universités se prêtent au jeu de l’obéissance anticipée

Dans le même temps, ces universités ouvrent grand la porte au fascisme pour faire taire toute contestation du génocide en Palestine. Pendant plusieurs mois, entre la fin de 2022 et le printemps 2023, sur le campus de Harvard, où j’étais étudiant·e, mais aussi à Yale (Connecticut), des camions financés par une organisation d’extrême droite affichaient sur écran géant des photos d’élèves manifestant·es en soutien aux Palestinien·nes avec leurs informations personnelles, sous le titre « Les leaders de l’antisémitisme », en toute impunité.

La destruction des universités par les coupes budgétaires, les atteintes à la liberté d’expression et à la liberté de manifester sont un projet qui réunit démocrates et républicains. Ce qui change avec Trump n’est pas tant la nature de l’assaut, mais son intensité. Et, sans surprise, les démocrates qui lui ont pavé la route n’y opposent aucune résistance particulière. Bien plus grave, les universités à travers le pays se prêtent au jeu de l’obéissance anticipée (anticipatory compliance) en supprimant les programmes d’aide à la diversité ciblés par l’extrême droite, avant même d’y être obligées par le gouvernement fédéral. Le 31 janvier 2025, par exemple, Harvard a licencié l’équipe chargée d’identifier les descendant·es de personnes esclavagisées dans le cadre du programme sur la mémoire de l’esclavage, fondé en 2021. Cette équipe avait déjà, des mois auparavant, dénoncé les obstacles et les pressions exercées par l’administration. Comme d’autres structures pour la diversité, elle est dissoute aisément2.

Aussi terrible que puisse être la situation présente, le désespoir, ou le renoncement, n’est pas une option. De mon expérience militante en France comme aux États-Unis et au Nigeria, en faveur des sans-papiers (collectif La Chapelle en lutte), des personnes noires et des mouvements féministes (Mwasi, École noire) et contre la police et pour l’abolitionnisme pénal (Harvard Prison Divestment Campaign, EndSARS), je retiens une leçon importante : faire bouger les lignes, gagner des victoires significatives repose moins sur l’unité ou l’homogénéité idéologique que sur une lucidité sans faille sur la nature de l’ennemi combattu : le fascisme.

La résistance ne peut pas être libérale, légale, polie, disciplinée ou non violente. Au contraire, face à un ennemi acharné, violemment misogyne, raciste, homophobe, eugéniste, validiste, organisé de manière militaire, nos combats doivent être d’autant plus stratégiques, multiples, intraçables, souterrains, organisés, saboteurs, incivils, violents – si et quand il le faut –, hors la loi puisque la loi elle-même est l’instrument de régimes fascistes. Comme l’affirme Assata Shakur, militante noire américaine échappée de prison et réfugiée politique à Cuba depuis 1984, « personne n’a jamais obtenu sa liberté en faisant appel au sens moral de l’oppresseur ».


  1. « Cop City » est un projet de construction d’une immense caserne de police sur l’emplacement de la forêt de Weelaunee près d’Atlanta. ↩
  2. Peu de temps après la rédaction de cette chronique, le 14 avril 2025, l’université Harvard a refusé de céder à diverses demandes de l’administration Trump, jugeant notamment qu’elles allaient à l’encontre de la Constitution. Cela lui vaut le gel de 2 milliards de subventions fédérales. ↩
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