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11.12.2025 à 17:49

Association Marthe et Marie : « Quand ils ont su qu’on enquêtait, certains documents ont disparu »

Rozenn Le Carboulec

Dans un contexte de manque d’hébergements d’urgence, La Maison de Marthe et Marie propose une solution séduisante : des « colocations solidaires », qui rassemblent sous le même toit des jeunes femmes volontaires […]
Texte intégral (1869 mots)

Dans un contexte de manque d’hébergements d’urgence, La Maison de Marthe et Marie propose une solution séduisante : des « colocations solidaires », qui rassemblent sous le même toit des jeunes femmes volontaires et des femmes enceintes ou de jeunes mères en situation de vulnérabilité.

Créée en 2010, l’association est implantée dans dix villes en France – dont Paris, Nantes, Lyon, Marseille et Rouen – et se présente comme apolitique et aconfessionnelle. Dans notre enquête, réalisée avec le concours du Fonds pour une presse libre, les deux journalistes indépendantes Sarah Bosquet et Rozenn Le Carboulec (lire aussi l’encadré à la fin de l’entretien) révèlent que l’association est financée par La Nuit du bien commun, fonds de dotation à visée caritative cofondée par le milliardaire d’extrême droite Pierre-Édouard Stérin. Mais aussi qu’elle est soutenue par toute une galaxie de fondations et d’associations catholiques réactionnaires ouvertement anti-IVG et qu’elle bénéficie de financements publics, de la région Île-de-France et de la mairie de Paris, entre autres. D’après nos informations, la municipalité parisienne l’a subventionnée à hauteur de 700 000 euros pour la réhabilitation d’un monastère, rue de Vaugirard, dans le 6e arrondissement de Paris. À la suite de nos révélations, la mairie de Paris pourrait suspendre sa dotation.

Lire aussi : La Maison de Marthe et Marie, en croisade contre l’avortement

Le milliardaire catholique ultraréactionnaire Pierre-Édouard Stérin finance une myriade d’associations sur tout le territoire français. À quelle hauteur a‑t-il financé La Maison de Marthe et Marie ?

Notre enquête montre que l’association a été lauréate à sept reprises de la soirée de levée de fonds organisée par Obole, société organisatrice de La Nuit du bien commun. Quand le journal L’Humanité a publié son article sur le projet Périclès, La Nuit du bien commun a supprimé les rediffusions des soirées caritatives qu’elle organise. Il n’est plus possible d’avoir tout l’historique des montants versés au cours de ces soirées. Nous avons tout de même trouvé que La Maison de Marthe et Marie avait touché, depuis 2019, au moins 413 000 euros par ce moyen. C’est forcément beaucoup plus. En 2024, elle a par ailleurs reçu 110 700 euros du Parvis solidaire, une autre soirée caritative coorganisée par Obole – une société en partie financée par Stérin.

La Maison de Marthe et Marie se présente comme une association apolitique et aconfessionnelle, mais votre enquête montre les liens de l’association avec la sphère catholique traditionnelle…

En étudiant les documents administratifs de l’association, nous avons trouvé que parmi les membres de son conseil d’administration figurent ou figuraient des personnalités qui ont des liens étroits avec des organisations dites « pro-vie » et anti-LGBTQIA+. C’est le cas, par exemple, de Matthieu et Guillemette de Penfentenyo, qui ont partagé sur leurs réseaux sociaux des posts de La Manif pour tous, du groupuscule masculiniste des Hommen et des publications contre la prétendue « théorie du genre ». Autre exemple : Jeanne Bertin-Hugault, présidente de La Maison de Marthe et Marie de 2016 à 2018. Elle est responsable depuis 2023 de SOS Bébé, une ligne d’écoute anti-IVG, financée par Alliance Vita, organisation créée en 1993 par Christine Boutin.  


« Dans le conseil d’administration figurent des personnalités proches des organisations “pro-vie”. »


Comment se manifeste le prosélytisme catholique de l’association au sein de ses structures ?

La plupart des collocations de Marthe et Marie ont noué des partenariats avec les diocèses locaux, comme à Rouen, où la colocation se trouve dans un ancien presbytère. Dans les villes où elle est implantée, l’association demande aux femmes volontaires de célébrer l’office des laudes tous les matins et a des liens avec les autorités ecclésiastiques locales. Nous avons, par exemple, découvert que le cardinal Philippe Barbarin – publiquement opposé à l’avortement et au mariage pour tous·tes – est déjà venu bénir des bébés dans la colocation lyonnaise. Dans de précédentes interviews, l’actuelle présidente de l’association a par ailleurs reconnu « une véritable dimension d’évangélisation » auprès des femmes accueillies, certaines ayant choisi après coup de demander le baptême pour leur enfant.

Votre enquête révèle que, en plus de fonds privés issus de la sphère catholique et d’extrême droite, La Maison de Marthe et Marie bénéficie de financements publics, de la part notamment de la mairie de Paris…

En épluchant les délibérations du conseil de Paris, ville où l’association est installée depuis 2014, nous nous sommes rendu compte qu’un bailleur, 3F Résidences, avait reçu énormément d’argent de la Ville pour un projet de rénovation d’un monastère, rue de Vaugirard, à Paris. À terme, ce monastère doit accueillir trois associations qui cogéreraient le lieu : La Maison de Marthe et Marie, l’Association pour l’amitié, qui organise des « colocations solidaires » entre ex-SDF et volontaires, et l’Association Simon de Cyrène, qui propose des colocations pour des personnes handicapées. Toutes les trois sont soutenues par l’écosystème Stérin. Par ailleurs, la région Île-de-France a versé 200 000 euros de subvention pour chacune de ces associations. La mairie de Paris, quant à elle, a versé 4,6 millions d’euros pour ce monastère, dont 700 000 euros fléchés pour La Maison de Marthe et Marie. Ce sont des sommes colossales. C’est surprenant, étant donné la nature de ces associations et quand on sait que le lieu appartient au diocèse de Paris. Une fois que les baux arriveront à leur terme, les lieux reviendront en propre au diocèse.

Vous avez publié plusieurs enquêtes sur cette association, en quoi votre travail pourrait faire reculer la mairie de Paris concernant ces subventions ?

À la suite de nos alertes et de nos interviews de membres du conseil de Paris et de la région Île-de-France, des élu·es du groupe écologiste ont déposé un vœu, vendredi 5 décembre, auprès du conseil de Paris, relatif au financement de La Maison de Marthe et Marie : elles et ils demandent d’empêcher l’installation de l’association comme gestionnaire. Dans ce vœu, les élu·es citent nos articles parus dans Libération, le journal numérique d’investigation Le Poulpe et La Déferlante. Trois adjoint·es à la mairie de Paris ont aussi adressé un courrier au préfet de la région Île-de-France, pour demander si La Maison de Marthe et Marie, dont les liens étroits avec des mouvements anti-avortement entrent, selon ces élu·es, « en contradiction totale avec les valeurs de la Ville de Paris et de notre République », faisait bien partie des associations appelées à gérer le monastère de la rue de Vaugirard. Si c’était avéré, la mairie de Paris s’est engagée à reconsidérer sa subvention destinée à l’association.

Comment avez-vous enquêté ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Tout au long de notre enquête, qui a duré six mois, le plus dur a été d’accéder aux informations en elles-mêmes, que l’association garde pour certaines secrètes, comme les adresses des colocations. Nous n’avons pas, par exemple, pu visiter celle de Rouen. Après la publication de notre article sur l’antenne normande de l’association dans Le Poulpe, nos interlocuteur·ices étaient très méfiant·es à notre égard et ont refusé nos demandes d’interviews. Il n’a pas été facile non plus d’accéder à la parole des femmes accueillies par l’association. Nous avons quand même réussi à obtenir des témoignages de bénéficiaires. Nous avons également trouvé des infos en sources ouvertes. Dans une interview publiée en 2012 sur le site Liberté et politique, qui a ensuite été supprimée au cours de notre enquête, l’actuelle responsable de l’antenne bordelaise de l’association affirme clairement ses positions anti-IVG. À partir du moment où La Maison de Marthe et Marie a su que nous enquêtions, certains documents jusque-là accessibles en ligne ont disparu. Cela pose question quant à la transparence de cette association, et à son affichage prétendument aconfessionnel et apolitique.

Lire aussi : La Maison de Marthe et Marie, en croisade contre l’avortement

Quand un collectif de journalistes mène l’enquête

Hors cadre est un collectif de journalistes indépendant·es qui travaillent avec de nombreux médias. En 2025, le collectif a répondu à l’appel à projets du Fonds pour une presse libre intitulé « Extrême droite : enquêter, révéler, démonter ». Pendant plusieurs mois, une dizaine de journalistes ont enquêté sur plusieurs sujets et publié des articles dans divers médias partenaires de l’opération, dont Basta!, Le Poulpe et La Déferlante. Dans ce cadre, nous avons publié dans notre numéro de novembre dernier une enquête signée Rozenn Le Carboulec et Pauline Ferrari sur les associations catholiques intégristes soutenues par des fonds privés qui interviennent dans les établissements publics et privés pour délivrer leur vision rétrograde de l’éducation à la sexualité. Le collectif Hors cadre a également publié une carte des associations financées par l’écosystème du milliardaire d’extrême droite Pierre-Édouard Stérin, réalisée en collaboration avec WeDoData.

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11.12.2025 à 17:34

La Maison de Marthe et Marie, en croisade contre l’avortement

Sarah Bosquet

Une trentaine de personnes tout sourire, dont trois jeunes femmes, bébé au bras, posent devant une magnifique échoppe rénovée. Le 26 septembre 2025, la Maison de Marthe et Marie inaugure sa […]
Texte intégral (4390 mots)

Une trentaine de personnes tout sourire, dont trois jeunes femmes, bébé au bras, posent devant une magnifique échoppe rénovée. Le 26 septembre 2025, la Maison de Marthe et Marie inaugure sa onzième « colocation solidaire », un logement de 270 mètres carrés, dans la commune du Bouscat (Gironde), au nord de Bordeaux, gérée par le maire Patrick Bobet (Les Républicains, LR). Sur les réseaux sociaux, l’association, qui propose des hébergements à des mères et des femmes enceintes « vulnérables », affiche sa proximité avec la municipalité. À la découpe du ruban ce jour-là, Maël Fetouh, adjoint à la cohésion sociale. C’est «la première acquisition» foncière de l’association, achetée à la Société de Saint-Vincent-de-Paul, une organisation de bienfaisance catholique. La Maison de Marthe et Marie est déjà active à Paris, Courbevoie et Garches, Lille, Rouen, Lyon, Marseille, Nantes et Strasbourg. Alors que les grandes villes pâtissent du manque d’hébergements d’urgence, elle réussit à faire valoir un projet « innovant » dans le domaine – sans mentionner ses autres objectifs, dont celui de lutter contre l’avortement.

Un accueil sélectif

« Depuis notre création, 225 mamans ont été accompagnées dans nos colocations », se réjouit sur son site internet l’association, qui affiche les prénoms des « 225 bébés des Maisons de Marthe et Marie ». Le principe du projet, lancé en 2010 : rassembler dans de mêmes logements des jeunes femmes volontaires (étudiantes ou actives) souhaitant vivre « une aventure humaine extraordinaire» avec des femmes enceintes ou de jeunes mères, « de la naissance jusqu’au 1 an de l’enfant », pour « reconstruire [leur] avenir» grâce aux professionnelles de l’association. Le tout en échange d’un « loyer modéré» – 320 euros, par exemple, dans la colocation de Rouen. Une condition qui exclut de fait les femmes en situation de grande précarité. 

Car si, officiellement, l’association accueille toute « femme enceinte en difficulté », et ce « sans distinction, notamment de nationalité, de langue, de religion, d’âge, de ressources ou de situation sociale », d’autres restrictions existent.

« Moi, j’étais dans une situation d’urgence, car je devais quitter ma résidence étudiante, mais si je n’avais pas eu de titre de séjour en règle, la Maison de Marthe et Marie ne m’aurait pas acceptée », témoigne Nadia*, qui a intégré la colocation lyonnaise en 2023, alors qu’elle venait d’arriver en France pour ses études.

Interrogée par La Déferlante, la directrice de l’association, Amélie Merle, reconnaît que ni les femmes étrangères sans titre de séjour ni celles vivant avec des «troubles psychiatriques» ou des «addictions» ne peuvent être accueillies dans les maisons. « On n’a pas de veilleurs de nuit, de surveillance 24 h/24. Donc une maman qui serait dépendante, toxicomane, serait clairement en danger chez nous, et son enfant aussi. Comme une maman qui aurait des fragilités psychiatriques [sic] importantes», explique-t-elle. Alors que le réseau entend s’inscrire dans la lutte contre la pauvreté des familles monoparentales, « à 82 % tenues par des mamans solos », précise-t-elle, ces critères limitent de fait le nombre de bénéficiaires.

Capture d’écran du compte instagram lamaisondemartheetmarie.

Pour se faire connaître de leur public cible, les représentantes de l’association se rapprochent des associations de terrain et des professionnel⸱les du champ médico-social. À Rouen, elles ont sollicité des salariées du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) et du Planning familial, des infirmières et des médecins des centres de Protection maternelle infantile (PMI), des assistantes sociales ou encore des associations spécialisées dans l’hébergement d’urgence. L’objectif avancé par l’association ? Tisser des « partenariats », d’après sa directrice, pour bénéficier d’appuis qualifiés en cas de besoin, les volontaires en colocation avec les jeunes mères n’étant pas spécifiquement formées. « Maintenant que je travaille dans la protection de l’enfance, je me rends compte que certaines choses n’allaient pas et qu’on aurait dû les faire remonter, comme des situations de négligence vis-à-vis des enfants, parfois livrés à eux-mêmes », concède Olivia*, ancienne volontaire.

Ces propositions de partenariats servent aussi, pour l’association La Maison de Marthe et Marie, à ce que les professionnel·les en question leur adressent des femmes. Une fiche de poste pour un recrutement de responsable d’antenne à Lyon, datée de 2014, mentionne, dans les missions à assurer, le développement d’un « réseau de prescripteurs de femmes enceintes (associations, PMI, maternité, AS [assistante sociale]) ». Sauf que, lors des discussions, les représentantes de l’association ne mentionnent ni leur socle idéologique ni l’écosystème réactionnaire dans lequel celle-ci évolue.

La genèse d’un projet anti-IVG

Derrière une vitrine « laïque et apolitique », comme le déclarent les statuts de l’association, se cache une organisation à laquelle on peut reprocher ses positions anti-avortement. Ainsi, dès 2017, les élu·es de gauche du conseil régional d’Île-de-France s’appuient sur un article de l’hebdomadaire catholique conservateur Famille chrétienne de 2015, référençant La Maison de Marthe et Marie comme l’une des « associations pro-vie » « qui disent non à l’IVG [interruption volontaire de grossesse] » en accompagnant « les femmes enceintes en situation de détresse à mener à terme une grossesse imprévue ». En 2022, un autre article, publié cette fois sur le site d’information proche du Vatican Aleteia, répertorie la structure parmi d’autres associations qui viennent en aide aux mères « à qui la société présente l’avortement comme la seule issue possible ». La Maison de Marthe et Marie, qui ne nous a pas répondu à ce sujet, est également référencée parmi les « mouvements pro-vie » par le Réseau Vie, association implantée dans le département du Rhône, qui « promeut et défend la vie de la conception à la mort naturelle, en étant fidèle à l’enseignement de l’Église catholique »

À l’origine du projet : Aline DardElle n’a pas répondu à nos sollicitations., sage-femme lyonnaise « touchée par la détresse et l’isolement de certaines femmes enceintes et émerveillée par leur courage et leur volonté de donner naissance à leur enfant malgré les difficultés », explique le site de l’association. Catholique, elle choisit le nom de l’association en référence aux personnages bibliques de Marthe et Marie, qui « accueillent Jésus ». Au tout début, une équipe se fédère autour de l’association Tom Pouce 78, cofondée par le généticien Jérôme Lejeune, connu internationalement pour son action au service des trisomiques, mais aussi pour ses positions défavorables à toute intervention sur le vivant. La Fondation Jérôme Lejeune, qui lui a survécu, se positionne contre l’euthanasie et organise chaque année la Marche pour la vie, qui rassemble à Paris les opposant·es à l’interruption volontaire de grossesse.

La Maison de Marthe et Marie est aussi soutenue par l’association Lazare – des colocations entre sans-abri et jeunes actifs, ou encore l’association catholique Magnificat-Accueillir la vie, qui accompagne des femmes enceintes. Peu à peu, d’autres partenariats se nouent avec des associations catholiques, financées par la galaxie du milliardaire d’extrême droite Pierre-Édouard Stérin (lire l’encadré ci-dessous), comme à Nantes en 2018 avec Marraine & Vous, qui accueille aussi des mères isolées, et les Associations familiales catholiques du 44 (AFC). Ces dernières, ouvertement anti-IVG, apportent de « multiples » soutiens aux colocations de Marthe et Marie, comme nous confirme Benoît Hautier, le responsable de la communication de l’organisation :« Chaque AFC est invitée à quêter pour des associations qui viennent en aide aux familles en difficulté, dont l’association Marthe et Marie, qui fait un travail admirable. » Une quête dont bénéficie aussi le site IVG.net, dans le viseur du gouvernement en 2016 pour délit d’entrave à l’IVG.    

Soirée et pot de départ organisé·es entre les colocataires de la Maison Lazare et de la Maison Marthe et Marie à Nantes,
Crédit : Thomas LOUAPRE / Divergence

En 2011 ouvre une première colocation de Marthe et Marie à Lyon, en partenariat avec l’association Lazare et le diocèse, avec qui persistent des liens étroits. Les femmes accueillies sont ainsi invitées aux laudes célébrées tous les matins avec le cardinal Philippe BarbarinL’ancien archevêque de Lyon a démissionné en 2020. Poursuivi pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineur·es, il a été condamné en première instance, puis relaxé en appel et par la Cour de cassation. – publiquement opposé à l’avortement et au mariage pour tous·tes –, lequel vient directement bénir des bébés dans la maison, comme indique le rapport 2017 « Église en périphérie », lancé par les évêques de France.

Pleinement impliqué dans le projet, le mari de la fondatrice, Aline Dard, François-Xavier Dard, prend en charge les ressources humaines en 2014. Il est alors consultant au cabinet Ecclésia RH, qui assure œuvrer au « rayonnement des institutions chrétiennes » et grâce auquel sont aujourd’hui recrutées les responsables d’antenne de la Maison de Marthe et Marie. « Aujourd’hui, Aline est maman de six enfants. Elle est, avec François-Xavier, membre d’honneur de notre association », précisait en 2021 la newsletter célébrant les 10 ans de la Maison de Marthe et Marie. En 2023, François-Xavier Dard participait à une formation pour la très conservatrice congrégation des Frères de Saint-Jean, une communauté religieuse secouée la même année par un scandale de violences sexuelles. Toujours en 2023, le couple Dard figurait parmi les « intervenants prestigieux » des rencontres des AFC à Lisieux. 

Un tour d’horizon des personnes passées par le conseil d’administration (CA) de l’association montre également l’orientation catholique conservatrice et anti-avortement du projet : nombre de membres entretiennent des liens étroits avec des organisations dites « pro-vie » et anti-LGBTQIA+. On trouve ainsi, depuis 2018, Matthieu et Guillemette de Penfentenyo, qui partagent sur leurs réseaux sociaux des posts (supprimés au cours de notre enquête) de La Manif pour tousRenommée en 2023 Le Syndicat de la famille, La Manif pour tous est un collectif né en 2012 en opposition au projet de loi pour l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe, adopté en 2013., du groupuscule masculiniste des Hommen contre le « mariage gay », des publications contre la prétendue « théorie du genre » à l’école, ou encore de l’organisation anti-IVG Alliance VitaCette association catholique se positionnant contre le mariage homosexuel et l’IVG a été créée par Christine Boutin en 1993 sous le nom Alliance pour les droits de la vie, puis renommée Alliance Vita en 2011.. Une structure dont est membre depuis plus de dix ans Jeanne Bertin-Hugault, présidente de Marthe et Marie de 2016 à 2018, et responsable depuis 2023 de SOS Bébé. Cette ligne d’écoute anti-IVG, financée par Alliance Vita, fut visée, en 2016, pour délit d’entrave à l’IVG. Violaine Roger, également ancienne membre du conseil d’administration de Marthe et Marie, est assistante sociale à l’Institut Jérôme Lejeune.

Derrière l’étiquette apolitique de l’association se cachent ainsi des profils très engagés dans la sphère catholique. C’est également le cas de la psychologue Anne-Laure Parmentier-Penchenat, à qui est confiée en 2014 la supervision de la colocation parisienne, désormais responsable de l’antenne de Bordeaux-Le Bouscat. En 2012, cette psychologue, qui n’a pas répondu à nos demandes d’interview, était la plus jeune des candidates de l’Oise membre du Parti chrétien-démocrate de Christine Boutin, à se présenter aux législatives. Dans les priorités de son programme, présenté en 2012 dans une interview (supprimée au cours de notre enquête) sur le site Liberté et politique, figure : « Protéger la famille durable en définissant le mariage dans la Constitution comme l’union d’un homme et d’une femme. » Elle s’y disait également « fermement opposée au mariage homosexuel », désireuse d’« aider les femmes enceintes en difficulté par la création de maisons maternelles dans chaque département » pour « prévenir l’avortement »

L’« engagement spirituel » des volontaires

Dans la colocation du Bouscat, en Gironde, comme dans l’ensemble des Maisons, les volontaires prient quotidiennement « pour les femmes accueillies et pour la vie ». « On m’a demandé un engagement spirituel, l’association étant clairement catholique », confirme Mathilde*, qui a récemment été volontaire dans une colocation d’Île-de-France. 

Une « spiritualité » qui se répercute sur les femmes accueillies, reconnaissait en 2016 Stéphanie Saboly, alors directrice de l’association, puis présidente depuis 2022, dans une interview à Aleteia : « Nous ne l’avions pas prévu au départ, mais il existe une véritable dimension d’évangélisation. Certaines mamans, d’abord intriguées, ont choisi de demander le baptême pour leur enfant. » En 2015, Famille chrétienne décrivait ainsi des temps de prière communs entre femmes accueillies et volontaires, qui ont toutes voulu « défendre concrètement la vie ».

Recrutées essentiellement dans des réseaux catholiques, les volontaires ont des profils plutôt homogènes. Ancienne scout, Olivia, qui a fait partie de la colocation parisienne, a entendu parler de l’association « par le bouche-à-oreille dans le milieu catho ». Quant à Mathilde, « catholique très engagée dans [son] église », qui a connu l’association par le cabinet Ecclésia RH, elle remarque que « beaucoup de volontaires étaient anti-avortement ». « C’était un sujet peu abordé entre nous, car il pouvait y avoir des désaccords », poursuit-elle.

Un lobbying « pro-vie » financé par des fonds privés

Le projet anti-IVG de l’association se lit aussi dans ses soutiens financiers. Parmi les partenaires historiques de la Maison de Marthe et Marie, outre la Fondation Lejeune et Alliance Vita, on trouve aussi le fonds de dotation Stella Domini, qui, selon une enquête diffusée sur ArteAude Favre et Sylvain Louvet, Citizen facts. Avortement : la croisade en ligne des anti-IVG, Arte, 2021, disponible en ligne., finance des organisations anti-IVG comme IVG.net. Prônant « un mécénat de conviction », ce fonds est partenaire de la Nuit du bien commun, soirée caritative cofondée par le milliardaire d’extrême droite Pierre-Édouard Stérin. La Maison de Marthe et Marie en a été lauréate pas moins de sept fois : à Paris en 2019, 2020 et 2024, où elle a récolté respectivement 116 400, 90 125 et 100 000 euros ; en 2022 à Rouen (25 270 euros), en 2023 à Marseille (81 400 euros), en 2024 à Bordeaux et en 2025 à Lyon. En 2024, elle a par ailleurs reçu 110 700 euros, pour l’ouverture d’une maison d’accueil dans les Hauts-de-Seine, de la part du Parvis solidaire – autre soirée caritative co-organisée par Obole, l’entreprise derrière La Nuit du bien commun, et la Fondation Sainte-Geneviève, qui émane, elle, du diocèse de Nanterre. 

Lire aussi : Carte des associations financées par la galaxie Pierre-Édouard Stérin

Un projet d’habitat à Paris, incluant une colocation de la Maison de Marthe et Marie, a également perçu 250 000 euros de la Fondation Notre-Dame. L’association est en outre soutenue par une myriade d’autres structures de philanthropie privées, comme la Fondation Saint-Irénée (qui la finance chaque année, à raison de 30 000 euros en 2025) ; la Fondation S612 de Lifento, placée sous l’égide de la Fondation de France ; AXA Atout Cœur, qui affirme avoir fait en 2025 un don de 1 500 euros et réalisé des « actions solidaires » avec l’association, « dont des visites de musée avec ses bénéficiaires » ; la Fondation Monoprix, qui dit avoir apporté son soutien en 2020 et 2023 mais dont« le partenariat est clos » ; la Fondation RATP (qui n’a pas répondu à nos sollicitations) ; ou encore le Fonds L’Oréal pour les femmes, partenaire de la Maison de Marthe et Marie entre 2020 et 2023, qui a décidé d’arrêter leur financement parce « le positionnement politique anti-IVG de cette association n’était pas en adéquation avec les valeurs du fonds et allait à l’encontre de ses missions », nous a‑t-on répondu. 

Capture d’écran du compte instagram lamaisondemartheetmarie

De nombreux soutiens institutionnels

En plus de cette manne de fonds privés, l’association a réussi à obtenir le soutien de plusieurs collectivités territoriales. Parmi elles : la région Île-de-France, qui lui a versé plus de 141 000 euros entre 2017 et 2023. Sa présidente, Valérie Pécresse (LR), a même assisté en 2018 à l’inauguration de la colocation parisienne. La région Pays de la Loire a aussi généreusement mis la main à la poche, en votant l’octroi de 10 000 euros chaque année, de 2019 à 2023 – soit deux fois plus que la subvention octroyée au CIDFF en 2019.

Du côté des départements – au titre de leur compétence en matière d’action sociale et de promotion des solidarités –, nous avons repéré les financements du Nord (6 500 euros entre 2018 et 2021) et de Loire-Atlantique (8 000 euros entre 2020 et 2023). La Caisse d’allocations familiales (CAF) de Loire-Atlantique confirme par ailleurs avoir soutenu l’association à raison de 10 000 euros par an pendant trois ans pour ses « actions de soutien à la parentalité et de prévention des violences intrafamiliales ».  

Contactées, les dix villes où sont installées des colocations nous ont toutes assuré ne pas financer l’association. La mairie de Nantes signale une demande de subvention reçue en 2021, à laquelle elle n’a pas donné suite.

Un des soutiens les plus surprenants, et sans commune mesure, est celui de la ville de Paris, dont les services nous avaient pourtant assuré, en mars 2025, qu’ils n’avaient « pas connaissance » de l’association, alors qu’une colocation y a ouvert dans le 11e arrondissement en septembre 2014. Surtout, la ville d’Anne Hidalgo a accordé deux subventions importantes pour une nouvelle colocation. En 2023, un projet de délibération signée par la maire de Paris atteste d’une aide de 301 159 euros en 2018, puis d’un montant complémentaire de 400 000 euros en 2023. Soit plus de 700 000 euros au total. Une somme colossale, qui doit permettre la rénovation d’un ancien monastère, situé dans le 6e arrondissement. Un projet que La Maison de Marthe et Marie cogérerait avec la très catholique Association pour l’Amitié (à l’initiative de « colocations solidaires » entre ex-SDF et volontaires) et l’association Simon de Cyrène, qui propose des colocations à des personnes handicapées – toutes deux sont financées par la galaxie de Pierre-Édouard Stérin. Interrogée par La Déferlante, la mairie de Paris explique que« la subvention […] n’est pas accordée à l’association mais au bailleur social 3F, qui réalise le centre d’hébergement » et soutient : « S’il devait être avéré que cette association appartient aux réseaux de l’extrême droite traditionaliste et anti-IVG, la Ville s’engage à reprendre attache avec le bailleur et le propriétaire du foncier pour reconsidérer le choix du futur gestionnaire. » En 2025, un premier acompte de 46 000 euros a été versé au bailleur.

Pour ces rénovations, La Maison de Marthe et Marie aurait également reçu 277 134 euros de l’État et a perçu 200 000 euros de la région, « versés directement à 3F Résidences », précisent les services de Valérie Pécresse. Derrière ce projet d’ampleur, qui devrait voir le jour en 2027 : le diocèse de Paris, dont l’archevêque, Laurent Ulrich, bénissait en personne la première pierre du chantier, le 22 septembre 2025. Selon le compte-rendu d’une réunion d’information sur le projet, qui s’est tenue en novembre 2024, les Sœurs de la Visitation ont fait apport de leur monastère en 2012, afin que celui-ci poursuive « sa vocation de lieu évangélique ». Loin de l’affichage prétendument « aconfessionnel » de La Maison de Marthe et Marie, qui fait désormais l’objet de plusieurs alertes suite à nos questions. Lors du prochain Conseil de Paris, qui aura lieu à partir du 16 décembre, plusieurs élu·es du groupe Les Écologistes, parmi lesquels Chloé Sagaspe, Jérôme Gleizes et Fatoumata Koné, déposeront un vœu relatif au financement de La Maison de Marthe et Marie, demandant d’étudier « tous les moyens d’action pour empêcher l’installation de ce gestionnaire actuellement retenu sur le site du 110–110 bis, rue de Vaugirard ». Le 1er décembre, Patrick Bloche, Jacques Baudrier et Léa Filoche, adjoint·es à la mairie de Paris, ont en outre adressé un courrier au préfet de la région Île-de-France, annonçant « interpeller le bailleur 3F Résidences pour savoir si l’association La Maison de Marthe et Marie est bien confirmée comme gestionnaire d’un des centres d’hébergement ». Avant d’alerter : « Si tel est le cas, nous demanderons expressément au diocèse et au bailleur de revoir leur position, faute de quoi la Ville de Paris reconsidérera son financement de l’opération. »

Capture d’écran du site https://www.martheetmarie.fr/ à propos du site Vaugirard à Paris

*Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes.

Au cœur du plan Périclès

En juillet 2024, le quotidien L’Humanité révèle un document, rédigé en automne 2023 par l’équipe du milliardaire ultraconservateur Pierre-Édouard Stérin, qui a fait fortune avec les coffrets cadeaux Smartbox. Le texte fixe les points d’étapes du plan Périclès (pour Patriotes, enracinés, résistants, identitaires, chrétiens, libéraux, européens, souverainistes), qui prévoit le déploiement d’« environ 150 millions d’euros sur les dix prochaines années via le financement ou la création de projets ». L’objectif : favoriser, grâce à l’injection de fonds dans divers médias et structures associatives, la diffusion d’une idéologie réactionnaire visant à contrer « les maux principaux [du] pays – socialisme, wokisme, islamisme, immigration ». Et créer ainsi les conditions d’une victoire électorale du Rassemblement national aux municipales de 2026, et d’une alliance entre la droite et l’extrême droite à la présidentielle de 2027. 

Cette enquête a été réalisée avec le concours du Fonds pour une presse libre dans le cadre de l’appel à projets : « Extrême droite : enquêter, révéler, démonter ».

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04.12.2025 à 17:54

💝Oh oh oh

La Déferlante

💡Des livres pour les adultes… 🎁 Deux bandes dessinées, de la part de Lucie Geffroy Lucie est corédactrice en chef de La Déferlante et veille sur les sorties de bandes […]
Texte intégral (2333 mots)

💡
Des livres pour les adultes…

🎁 Deux bandes dessinées, de la part de Lucie Geffroy

Lucie est corédactrice en chef de La Déferlante et veille sur les sorties de bandes dessinées.

Vieille

Dans la rue, personne ne la voit, elle est vieille, elle est moche et a des poils sur le nez. Avec Vieille, l’autrice de bande dessinée Delphine Panique dresse le portrait d’une vieille dame revêche à souhait qui trimballe son caddie et ses sarcasmes dans la ville. Alternant réflexions (pas si) absurdes sur la mort et tendres digressions sur sa vie de femme, elle renvoie chacun·e à sa propre finitude et interroge la place des femmes âgées dans notre société. Un pur bijou de sensibilité et de poésie.

👵🏼 Delphine Panique, Vieille, Misma, 2025, 19 euros

Une obsession

Il faut parfois accepter de se perdre pour mieux se trouver. C’est dans le décor d’une Venise fantasmée que Nine Antico propose une enquête minutieuse sur son obsession pour les garçons, sa quête de l’orgasme et les affres de son désir. En racontant avec une rare honnêteté plusieurs moments clefs de sa vie sexuelle, comme autant de flashs surgis du passé, elle décortique la zone grise du consentement. Au fil des pages, c’est aussi une formidable ode au dessin comme outil d’émancipation qui s’écrit. Un puissant voyage intérieur.

🍑 Nine Antico, Une obsession, Dargaud, 2025, 29,95 euros

🎁 Un récit anthropologique, de la part d’Amélie Bonnin

En plus d’être une talentueuse réalisatrice, Amélie est notre directrice artistique.

Le livre que j’offre tout le temps s’intitule Croire aux fauves, de Nastassja Martin. Il m’a saisie de manière absolue et puissante, alors même que je ne savais pas du tout où je mettais les pieds. C’est l’histoire (vraie) d’une anthropologue qui tombe nez à nez avec un ours, quelque part dans les montagnes du

Kamtchatka, en Russie. C’est la rencontre entre une femme et un animal, la découverte d’un territoire et des croyances qui l’habitent… C’est profond inattendu, extraordinaire et inoubliable. Un voyage.

🌨 → Nastassja Martin, Croire aux fauves, Gallimard, 2024, 7,99 euros

🎁 Un roman, de la part d’Alice Béja

Alice est maîtresse de conférence à Sciences Po Lille, spécialiste des États-Unis, et membre de notre comité éditorial.

Elba est née dans un asile psychiatrique pour femmes à Naples. De là, elle observe et côtoie celles que l’on considère comme des folles, qui bien souvent y sont enfermées pour avoir refusé d’être des mères et des épouses. Décrivant la répression, la mise à l’écart des femmes, puis le mouvement de fermeture des asiles, elle interroge la frontière toujours floue entre « folie » et « normalité » ainsi que les normes sociales qui la définissent.

❤️‍🔥 → Viola Ardone, Les Merveilles, trad. Laura Brignon, Albin Michel, 2024, 22,90 euros

🎁 Un essai poétique, de la part de Sarah Benichou

Sarah est journaliste indépendante et membre de notre comité éditorial.

Dans ce récit mi-autobiographique, mi-politique, l’autrice retrace la façon dont le colonialisme français et le sionisme ont méthodiquement détruit les mondes « juifs musulmans » au point qu’on en nie, aujourd’hui, l’existence. Ciselé comme un bijou, ce texte fait résonner les mots et les images, l’intime et le politique, les archives et les souvenirs, la prose et la poésie, offrant une respiration salvatrice au milieu du confusionnisme contemporain qui oppose « Juifs » et « Arabes » pour accompagner la destruction de la Palestine. Un livre court, exigeant et accessible, qui fait du bien au cœur des enfants des diasporas maghrébines en France, et ouvre l’esprit des autres.

💍 → Ariella Aïsha Azoulay, La Résistance des bijoux. Contre les géographies coloniales, trad. Jean-Baptiste Naudy, Rot-Bo-Krik, 2023, 15 euros

🎁 Une méthode créative, de la part de Marion Pillas

amie chère.

Artiste queer franco-libanaise, Nathalie Sejean s’intéresse depuis plusieurs années aux mécanismes créatifs et à l’impact des œuvres sur nos représentations du monde. Dans La Méthode carnet d’idées, elle nous explique, exemples à l’appui, comment, avec un crayon et un carnet, nous pouvons « gouverner le monde, sans utiliser l’intelligence artificielle ». Car plus nous serons nombreux·ses à collecter nos idées et nos curiosités, « plus nous développerons notre capacité individuelle et collective à […] construire une société qui nous enchante et dans laquelle nos singularités sont encouragées à être exprimées ».

🐜 → Nathalie Sejean, La Méthode carnet d’idées, La Fourmi, 2025, 20 euros

🎁 Un guide pour les parents, de la part d’Emmanuelle Josse

Corédactrice en chef de La Déferlante, Emmanuelle est aussi éditrice à La Déferlante Éditions.

Dernier paru de notre maison d’édition, Grandir sans tabou donne tous les outils aux parents pour entamer avec leurs enfants un dialogue serein sur les relations affectives, la sexualité, le corps et le consentement. Illustré de cas pratiques et ponctué de témoignages d’expertes et d’experts, il est, selon nous – et en toute objectivité ! –, le cadeau parfait à offrir à toutes celles et tous ceux qui sont en contact avec des enfants. La preuve, même Quoi de mum, la newsletter des parents féministes le recommande chaudement (scrollez, c’est tout en bas !).

🐤 → Claire Marcadé Hinge et Marianne Marty-Stéphan, Grandir sans tabou. Comment parler de sexualité avec les enfants, La Déferlante Éditions, 2025, 17,50 euros

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… et pour les enfants

🎁 Un roman pour ados, de la part de Malwenn Cailliau

Malwenn est assistante d’édition à La Déferlante.

Mireille, Astrid et Hakima, trois copines soudées mais pas très populaires au collège, se lancent dans un voyage à vélo sur les routes de France, avec pour destination, Paris et la garden-party de l’Élysée. Véritable ode à l’amitié, Les Petites Reines s’adresse aussi bien aux ados qu’aux adultes qui veulent rire tout en parlant de sujets sérieux. L’autrice, Clémentine Beauvais, aborde sans concessions les questions de misogynie, de grossophobie, de racisme ou de handicap.

🚲 → Clémentine Beauvais, Les Petites Reines, Sarbacane, 2015, 15,50 euros

🎁 Un roman illustré, de la part de Sophie Hofnung

Sophie est correctrice, éditrice et traductrice. Elle nous recommande un roman jeunesse sur lequel elle a adoré travailler.

Dans la tribu, seuls les garçons ont le droit de faire le Voyage et de devenir chasseurs. Pourtant, Trog est de loin la plus habile à l’arc, la plus rapide pour allumer un feu ou identifier les animaux dangereux. Bien décidée à bousculer les traditions, elle se lance dans une série d’aventures et de découvertes palpitantes. Elle fait preuve d’un courage et d’une ingéniosité dont bien peu imaginaient une fille capable…

👑 → Puño et Marta Altés (illus.), Le Voyage de Trog, trad. Sophie Hofnung, Talents Hauts, 2023, 13,50 euros

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On y sera

🍷 Salon Mi-livre mi-raisin, Paris

Sam 6 et dim 7 décembre 2025
La Bellevilloise, Paris 20e

La Déferlante sera présente tout le week-end à la sixième édition de ce salon où se rencontrent éditeur·ices et vigneron·nes indépendant·es. Vous retrouverez sur notre stand l’ensemble de nos revues, livres et goodies.

🎟Infos et billetterie

💦 Littérature érotique

Mar 9 décembre 2025, à 19 heures
Maison de la poésie, Paris 3e

Dans le cadre de (OUiiii), un cycle de rencontres autour de la littérature féministe et érotique, Élodie Font échangera avec sa consœur Axelle Jah Njiké. Des extraits de son livre À nos désirs, paru chez La Déferlante Éditions en 2024, seront lus par la comédienne Marie-Sonha Condé.

👉🏼 → Plus d’informations

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28.11.2025 à 17:30

Lutte contre la grossophobie : est-ce une loi qu’il nous faut ?

Lucie Inland

Le 11 octobre 2025, Sara, 9 ans, se suicidait chez elle, à Sarreguemines (Moselle). Dans la presse, sa mère et des camarades de classe racontent l’acharnement de certains enfants : « T’es grosse, […]
Texte intégral (1120 mots)

Le 11 octobre 2025, Sara, 9 ans, se suicidait chez elle, à Sarreguemines (Moselle). Dans la presse, sa mère et des camarades de classe racontent l’acharnement de certains enfants : « T’es grosse, t’es moche, t’es conne. » En 2017 Christopher Fallais, 16 ans, mettait lui aussi fin à ses jours chez lui à Janzé, près de Rennes. Depuis quatre ans, dans le collège privé où il était scolarisé, « on le traitait de gros, de gras, de pédé parce qu’il faisait du cheval », raconte sa mère. Au même âge, et pour les mêmes raisons, Jonathan Destin s’est immolé par le feu près de Lille, en 2011. Devenu, avec sa mère, un fervent militant contre le harcèlement scolaire, il meurt onze ans plus tard des suites de ses brûlures.

L’Éducation nationale recense, chaque année, environ 700 000 cas de harcèlement, dont un grand nombre ont pour cause la grossophobie. « Près de 25 % des jeunes en surpoids déclarent avoir subi des discriminations, un chiffre qui grimpe à 40 % chez ceux en situation d’obésité », révèle une étude publiée en 2020 par la Ligue contre l’obésité. Dès l’école primaire, un grand nombre d’enfants voient le fait d’être gros·se comme une tare : « C’est quelque chose que l’on retrouve dans les dessins animés. Les gros sont souvent à la traîne ou bêtes », rappelait Aline Thomas, cofondatrice de La Grosse Asso, association de lutte contre la grossophobie, dans un article de 20 Minutes.

« Des problèmes d’interprétation »

Pourtant, à ce jour, le terme « grossophobie » n’apparaît nulle part dans la loi française. L’article 225–1 du Code pénal se contente d’une formule vague : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur sexe, de leur origine, de leur apparence physique ou de leur âge. » Pour Daria Marx, militante et autrice de Dix questions sur la grossophobie (Libertalia, 2024), l’énoncé est « trop large pour permettre de circonscrire clairement la grossophobie ». Chloé Heyriès, avocate spécialisée sur les questions de discrimination, confirme : « Le Défenseur des droits dit depuis […] 2019 qu’il faudrait une incrimination spécifique pour mieux protéger les victimes. »

C’est ce que réclame également le député Romain Daubié (groupe Les Démocrates) dans une proposition de loi déposée devant l’Assemblée nationale le 30 septembre 2025, estimant que « cette invisibilisation contribue à la banalisation d’une violence quotidienne ». L’élu de l’Ain s’inspire d’une pétition lancée quelques jours plus tôt par l’influenceuse Harmony Albertini, qui propose de formuler ainsi la définition de la grossophobie : « Tout propos, comportement, traitement défavorable ou incitation portant atteinte à la dignité, à la santé, à la liberté ou à la considération d’une personne en raison de son poids, de sa corpulence ou de son apparence physique liée à la taille de son corps, incluant les préjugés sur sa santé, son hygiène de vie, ses capacités ou sa valeur. »


« Il est fréquent de voir stigmatiser “le gros de service” au motif que “c’est pour son bien” »


Biais grossophobes

Aussi louable soit l’intention, de nombreuses personnes grosses et militantes anti-grossophobie s’interrogent sur l’utilité même d’une loi pour lutter contre ces violences. « Les moyens alloués devraient porter sur l’éducation des acteur·ices de la chaîne pénale », analyse la juriste Sabrina Erin Gin, qui rappelle que sur le front des discriminations, l’existence d’un texte peut dissuader de prendre d’autres mesures : « L’adoption d’une loi coûte très peu cher et donne l’impression d’un travail accompli. » De même que la culture du viol biaise le regard de la société sur les auteur·ices et les victimes de violences sexuelles jusque dans les tribunaux, l’omniprésence, dans les esprits, des biais grossophobes empêche de prendre conscience de la gravité de ses conséquences sur les personnes qui la subissent.

Dans Gros n’est pas un gros mot (Flammarion, collection « Librio », 2018), les deux cofondatrices de l’association Gras Politique, Daria Marx et Eva Perez-Bello s’interrogent : alors qu’il est encore fréquent de voir des parents ou du personnel scolaire stigmatiser « le gros de service » au motif que « c’est pour son bien », comment ces personnes peuvent-elles seulement identifier un comportement grossophobe et analyser ses conséquences ? « Quand tu es gros·se tu es censé·e maigrir, donc la société ne va pas s’adapter à toi », décrypte Loulie Houmed, fondatrice du collectif Gros Amours. Au contraire, l’OMS comme les associations de personnes concernées rappellent que, dès le plus jeune âge, les enfants gros·ses ont tendance à être exclu·es des sociabilités et voient souvent leur assiette et leur activité physique étroitement surveillées.

La proposition de loi déposée fin septembre n’a pas encore été mise à l’ordre du jour de l’Assemblée. Mais face à ces violences qui passent encore fréquemment sous les radars et devant l’urgence d’aider des enfants en grave détresse, comme Sara, Christopher ou Jonathan, les associations et collectifs de personnes concernées n’attendent plus que la loi change. En 2022, Gras Politique a conçu une brochure de sensibilisation à la grossophobie à destination des enseignant·es. GRASbuge s’adresse, pour sa part, à toutes les personnes en contact avec des enfants par le biais d’un livret pour déconstruire les préjugés. Les deux documents sont téléchargeables librement sur leurs sites.

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25.11.2025 à 21:50

Carte des associations financées par la galaxie Pierre-Édouard Stérin

Collectif Hors Cadre

En juillet 2024, le quotidien L’Humanité révèle un document, rédigé en automne 2023 par l’équipe du milliardaire ultra-conservateur Pierre-Edouard Stérin, qui a fait fortune avec les coffrets cadeaux Smartbox. Le […]
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En juillet 2024, le quotidien L’Humanité révèle un document, rédigé en automne 2023 par l’équipe du milliardaire ultra-conservateur Pierre-Edouard Stérin, qui a fait fortune avec les coffrets cadeaux Smartbox. Le texte fixe les points d’étapes du « plan Périclès » (l’acronyme de Patriotes / Enracinés / Résistants / Identitaires / Chrétiens / Libéraux / Européens / Souverainistes ), qui prévoit le déploiement d’« environ 150 millions d’euros sur les dix prochaines années via le financement ou la création de projets ». L’objectif : favoriser, grâce à l’injection de fonds dans divers médias et structures associatives, la diffusion d’une idéologie réactionnaire visant à contrer  « les maux principaux [du] pays – socialisme, wokisme, islamisme, immigration ». Et créer  ainsi les conditions d’une victoire électorale du Rassemblement national aux municipales de 2026, et d’une alliance entre la droite et l’extrême droite aux présidentielles de 2027.

Avant même la révélation du projet Périclès, des journalistes indépendant·es du collectif Hors Cadre se sont intéressé·es aux associations qu’il soutient notamment à travers les Nuits du bien commun, ces soirées de charité destinées à lever des fonds pour des associations. Comment le milliardaire développe-t-il son influence en finançant des associations qui interviennent dans les champs de l’éducation, la culture ou de l’aide aux personnes défavorisées ? Élu·es locaux ou représentant·es de l’État sont-ils au courant du projet idéologique qu’elles colportent ? Ce vaste travail d’investigation sur l’empire « philanthropique » de Pierre-Édouard Stérin vise à répondre à ces questions.


Cette carte interactive, coordonnée par Martin Delacoux et Clément Vogt du collectif Hors Cadre, en partenariat avec WeDoData, présente l’ensemble des associations qui ont fait l’objet d’une enquête journalistique. La carte indique le lieu où se situent leurs sièges et antennes, les fonds privés récoltés, en particulier grâce à la « galaxie » de Pierre-Édouard Stérin, ainsi que les fonds publics perçus. Chaque entrée renvoie vers les enquêtes correspondantes, qui apparaîtront au fur et à mesure de leur publication.

À l’heure où de très nombreuses associations craignent pour leur avenir du fait d’une baisse drastique de leurs financements publics, cette cartographie vise aussi à informer citoyen·nes et élu·es pour identifier le projet idéologique porté plus ou moins clairement par les associations présentées, et l’origine de leurs fonds.

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20.11.2025 à 12:17

Journée du souvenir trans : des ressources pour comprendre

La Déferlante

🏳️‍⚧️à la une Aujourd’hui 20 novembre, on célèbre la journée du souvenir trans, autrement appelée TDoR (pour Transgender Day of Rememberance en anglais). L’occasion pour La Déferlante de rassembler et […]
Texte intégral (2900 mots)

🏳️‍⚧️
à la une

Aujourd’hui 20 novembre, on célèbre la journée du souvenir trans, autrement appelée TDoR (pour Transgender Day of Rememberance en anglais). L’occasion pour La Déferlante de rassembler et de partager des ressources pour comprendre les ressorts de la transphobie et ses conséquences concrètes sur la vie des personnes concernées.
Comme le rappelle le journaliste Élie Hervé, auteur d’un des essais que nous recensons ici, les appels vers deles numéros d’urgence à destination des jeunes trans ont explosé de + 700 % aux États-Unis depuis la réélection de Donald Trump. En France, les actes transphobes ont augmenté de 27 % en 2023, et 63 % des adultes trans ont pensé mettre fin à leurs jours ou ont fait une tentative de suicide avant leur transition médicale. Il est donc plus que jamais nécessaire, comme nous le faisons dans notre revue et notre newsletter depuis bientôt cinq ans, de continuer à documenter ces violences.

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Dans La Déferlante

Leadeuse malgré elle

Colombienne, trans, arrivée en France au début des années 2000, Giovanna Rincon, directrice d’Acceptess‑T, raconte son engagement pour les droits des personnes trans, qui, au sein de son association, sont souvent des travailleuses du sexe séropositives.

✊🏾 → À retrouver dans les archives de la newsletter

« Tu vas pas muter »

Dans une série de photographies publiées dans le numéro 19 de La Déferlante (septembre 2025), le photographe Nanténé Traoré s’intéresse au rituel des injections hormonales dans la communauté trans.

📷 → Voir le portfolio dans le numéro 19, septembre 2025.

Résistance outre-Manche

Depuis plus d’une décennie, la transphobie s’intensifie au Royaume-Uni, dans les médias et sous l’impulsion des mouvements féministes antitrans. Dans un reportage publié en mai 2023, Valeria Costa-Kostritsky montre comment les militant·es trans et leurs allié·es organisent la résistance.

💂🏽 → À lire dans le numéro 10 de La Déferlante, mai 2023.

L’alliance des haines

Dans cette enquête, les journalistes Perrine Bontemps et Victor Mottin expliquent comment, depuis plusieurs années, les sphères transphobes s’inspirent ouvertement des théories conspirationnistes.

👀 → À lire dans le numéro 13, mars 2024.

📖
On lit

Une enquête

Dans cet ouvrage nourri de plusieurs années de terrain, le journaliste Élie Hervé décortique les mécanismes de la transphobie ordinaire, en particulier ses ressorts médiatiques. Mais l’originalité de cette enquête, c’est qu’elle laisse une large place à la parole des personnes concernées, mettant ainsi en regard les comportements transphobes et leurs conséquences concrètes sur les vécus trans. On comprend ainsi à quel point la panique morale autour des transidentités encourage les agressions dans l’espace public, mais également les discriminations en matière d’embauche, de logement et de soin. En fin de compte, « chaque année, ce sont plus de trois cents personnes trans qui sont assassinées dans le monde […]. À cela s’ajoutent des dizaines de suicides par an ».

🖋 → Élie Hervé, Transphobia, éditions Solar, 2025. 19,90 euros.

Un essai

Dans ce livre paru à l’automne 2024, Maud Royer, présidente de l’association Toutes des femmes et membre du comité éditorial de La Déferlante, analyse les ressorts de l’offensive transphobe en cours depuis le début des années 2020. Si, en France, les argumentaires antitrans ont moins qu’ailleurs infiltré les milieux féministes, ils ont en revanche largement infusé dans le grand public et dans la classe politique, portés par une curieuse alliance entre intellectuel·les classés à gauche et personnalités d’extrême droite. Dans son essai limpide et parfaitement documenté, Maud Royer propose également des pistes d’action : en premier lieu la lutte pour le droit à l’autodétermination de genre, déjà en vigueur dans d’autres pays européens.

📕 → Maud Royer, Le Lobby transphobe, éditions Textuel, 2024. 17,90 euros.

Un récit

En 2020, Tal Madesta entame une transition de genre. En prenant ce chemin qui implique de redéfinir entièrement son rapport à soi, aux autres, au monde social, il va faire l’expérience désolante de la violence transphobe et du deuil. Mais il va aussi découvrir la joie d’aimer autrement et d’expérimenter avec intensité sa propre liberté. Avec cet ouvrage, Tal Madesta poursuit le récit sensible d’une révolution intime et politique, dans le fil des chroniques qu’il avait écrites dans les quatre numéros de La Déferlante de l’année 2022.

🌊 → Tal Madesta, La Fin des monstres, La Déferlante Éditions, 2023. 15 euros.

📺
On regarde

Orlando

« Ma biographie existe, et c’est cette putain de Virginia Woolf qui l’a écrite en 1928… » Ainsi commence ce documentaire expérimental réalisé par Paul B. Preciado. En réponse au roman publié presque un siècle plus tôt par l’autrice d’Une chambre à soi, le philosophe compose un film dans lequel le personnage de femme trans d’Orlando est tour à tour incarné par une vingtaine de personnes trans, non binaires et intersexes. Un choix de réalisation radical qui vient révéler la polyphonie des identités et des vécus trans.

👑Orlando de Paul B. Preciado, coproduit par Arte et les Films du poisson. 99 minutes, disponible sur arte.tv jusqu’au 7 avril 2026.

En Argentine

Durant plusieurs mois, en 2019, alors que la campagne présidentielle bat son plein et que les féministes argentines manifestent pour la légalisation de l’avortement, la réalisatrice Isabelle Solas s’immerge dans la communauté des femmes trans de Buenos Aires. Elle y croise deux travailleuses sociales, qui de maisons communautaires en réunions militantes, conseillent, accompagnent et encouragent leurs sœurs – parmi lesquelles de nombreuses travailleuses du sexe très précaires – à faire entendre leur voix dans l’espace public, malgré la transphobie ambiante et l’hostilité d’une partie des militantes féministes. L’une d’entre elles, Violeta, s’est lancée dans une thèse en anthropologie. À une amie venue assister à sa soutenance, elle assène ce qui pourrait être la devise de ce groupe de femmes : « Il nous faut nous émanciper, pour qu’ils arrêtent de parler à notre place. »

⚔Nos corps sont vos champs de bataille, documentaire d’Isabelle Solas, Dublin films, 2021. 100 minutes. Disponible en VOD.

✊🏼
Médias

Un nouveau venu

Média queer et indépendant né du bouillonnement politique des années 2024 et 2025, Problematik veut s’inspirer des marges pour penser des alternatives à la montée des fascismes. Leur site d’information proposera des interviews, des reportages, des portraits, des tribunes.

💰Je soutiens Problematik

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Un glossaire pour tout comprendre

Alors que l’actualité montre à quel point la guerre culturelle qui fait rage est aussi une bataille sémantique, il nous a paru important que La Déferlante propose à ses lecteur·ices des définitions de concepts clés pour appréhender l’époque dans une perspective féministe intersectionnelle. Queer, panique morale, fake news : toutes les définitions sont en accès libre sur notre site internet, qui est alimenté au fil des numéros pour faciliter la compréhension des concepts mobilisés dans chaque dossier.

🔏Retrouvez toutes nos définitions en libre accès

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On y sera

🎉 Soirée de lancement

Jeu 27 novembre 2025, à 18h
Maison des Métallos, Paris 11e

Dans le cadre du lancement du numéro 20 de La Déferlante « Soigner dans un monde qui va mal », une table ronde réunira la psychiatre Loriane Bellahssen, la psychologue Salima Boutebal et la militante féministe Valérie Rey-Robert pour parler de santé mentale. La discussion sera suivie d’un concert de Louisadonna.

🎟Infos et billetterie

🐤 Grandir sans tabou

Ven 28 novembre 2025, à 19h30
Librairie À la marge, Montreuil (Seine-saint-Denis)

Claire Marcadé Hinge et Marianne Marty-Stéphan, les deux autrices de Grandir sans tabou, notre guide pour parler de sexualité avec les plus jeunes, échangeront avec Mai-Lan Chapiron, autrice engagée pour la protection des enfants.

👉🏼 → Plus d’informations

Dim 30 novembre 2025, 19h30
Librairie Divergences, Quimperlé (Finistère)

Claire Marcadé Hinge et Marianne Marty-Stéphan reviendront sur l’écriture de leur livre et répondront aux questions des lectrices bretonnes.

💁🏼 → Pour en savoir plus

📽 Au cinéma

Mar 2 décembre 2025, à 19h45
Le Kino Ciné, Villeneuve d’Ascq

Marion Pillas, corédactrice en chef de La Déferlante, échangera avec Nora Philippe, la réalisatrice, et Cécile Duflot, présidente d’Oxfam France, en marge de la projection en avant-première du documentaire Girls for Tomorrow, en salle le 10 décembre.

🎫 → Infos et billetterie

🍷 Des revues, des livres et du vin

Sam 6 et Dim 7 décembre 2025
La Bellevilloise, Paris 20e

Lire notre revue ou nos livres en sirotant un verre de vin de producteur·ices indépendant·es ? Ce sera possible durant tout un week-end au festival Mi-livre Mi-Raisin qui, pour sa 6e édition parisienne, réunit à nouveau éditeur·ices et viticulteur·ices. Vous y retrouverez un stand avec toutes nos publications et nos goodies.

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13.11.2025 à 16:45

Financements libyens  : une affaire d’hommes puissants

Coline Clavaud-Mégevand

Le 19 septembre 1989, une bombe explose dans un avion, le DC-10 de la compagnie UTA, entre Brazzaville (capitale de la République du Congo) et Paris, et tue les 170 passager·es et membres de l’équipage à son bord.

Dix ans plus tard, six agents des services secrets libyens, dont Abdallah Senoussi, beau-frère du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, ont été reconnus coupables de cet attentat et condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité par la justice française, sans toutefois être extradés vers Paris.

En 2005, Claude Guéant, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, et Brice Hortefeux, ministre délégué aux Collectivités territoriales, rencontrent Abdallah Senoussi à Tripoli et auraient entamé avec lui des négociations en vue du financement, par la dictature libyenne, de la future campagne de Nicolas Sarkozy pour l’élection présidentielle française en 2007. En contrepartie, les deux lieutenants du futur candidat se seraient engagés à ce que la condamnation d’Abdallah Senoussi soit révisée. Ce « pacte corruptif » est au cœur des trois mois de procès (du 6 janvier au 10 avril 2025) qui ont débouché, le 25 septembre 2025, sur la condamnation de l’ancien président français à cinq ans de prison ferme pour association de malfaiteurs ( le procès en appel est prévu pour mars 2026). Le tribunal a également reconnu le préjudice moral infligé aux parties civiles. 

Comment êtes-vous devenue partie civile au procès de l’affaire du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy ?

Mon père, Jean-Pierre Klein, est mort, un peu avant mes 5 ans, dans ce que j’ai longtemps cru être un accident d’avion, mais qui était en réalité un attentat. En 1999, j’étais trop jeune pour assister au procès d’Abdallah Senoussi. Mais j’ai rejoint le collectif de familles de victimes monté par ma tante, Danièle Klein, et par Yohanna Brette, dont la mère, Martine Brette, était hôtesse de l’air sur le vol. C’est en janvier 2025, lors des débats qui visaient à déterminer si Nicolas Sarkozy avait bénéficié de fonds libyens pour sa campagne présidentielle et s’il existait un pacte de corruption avec le régime de Kadhafi, que j’ai pris conscience de la violence à laquelle on avait été exposé·es en tant que proches des victimes. Violence de l’intention de mort derrière l’attentat, mais aussi violence du pacte noué par Nicolas Sarkozy et ses proches collaborateurs.

Vous faites une lecture genrée du procès. Pourquoi ?

Dans ce procès, les prévenus, leurs avocats, la grande majorité des témoins sont des hommes… Même les voix les plus présentes dans les médias sont masculines. C’est quand le procès a débuté, le 6 janvier 2025, en voyant les prévenus en vrai [l’ex-président Nicolas Sarkozy et onze autres prévenus, dont les anciens ministres Brice Hortefeux et Claude Guéant], que je me suis rendu compte qu’ils étaient tous des hommes âgés, bourgeois, vivant dans les quartiers chics de l’Ouest parisien. Ils m’ont renvoyé une impression très forte d’entre-soi.

J’ai été frappée par leur manière de s’adresser au tribunal, leur aplomb, c’était très impressionnant. Jusqu’au 23 janvier [jour de la déposition des familles des victimes pendant le procès], nous n’avons entendu quasiment aucune voix féminine. Puis nous avons été neuf femmes à raconter notre histoire à la barre. Dans une tribune publiée en octobre dans Libération, ma tante et Yohanna Brette nous appellent « les filles du DC-10 ».

Notre avocate, Laure Heinich [également avocate de certaines victimes de Patrick Poivre d’Arvor], a joué un rôle dans cette prise de conscience des dynamiques de genre. Lors de sa plaidoirie, elle a parlé des proches de victimes au féminin, même s’il y a des hommes dans notre groupe. Ce choix m’a permis de mettre des mots sur ce qui était jusque-là une impression diffuse. Laure Heinich a aussi parlé de nous en tant que femmes dignes et qui ne cherchaient pas la vengeance, ainsi qu’en tant que citoyennes. Auparavant, j’avais pu me dire : « Cette affaire me dépasse », et d’un coup, grâce à ses mots d’avocate, je me suis sentie légitime. Ce procès est devenu pour moi celui d’un monde d’hommes qui se croyaient intouchables et de femmes qui ont décidé de se dresser face à eux.

« Pendant les audiences, une violence masculine sûre d’elle s’exprimait. »

Qu’avez-vous ressenti en vous adressant à la cour devant laquelle s’est tenu ce procès historique, ce fameux 23 janvier ?

La déposition que j’ai faite ce jour-là, je l’ai écrite dans ma tête les nuits qui ont précédé. Je ne dormais pas, et j’imaginais ces hommes autour d’une table, organisant l’attentat, puis d’autres hommes, dix-huit ans plus tard, négocier l’immunité du terroriste Abdallah Senoussi, en échange de versements d’argent. Quand, le lendemain, j’ai pris la parole à la barre, j’ai eu le trac, une peur presque physique, je tremblais. J’avais l’impression d’occuper une place qui n’était pas la mienne. Mais eux, alors même qu’ils étaient assis sur le banc des prévenus, ils n’avaient pas l’air mal à l’aise ! C’est en voyant ça que j’ai eu le courage de ne plus m’effacer. À 40 ans, j’ai senti que je devenais adulte.

Ce procès a donc été l’occasion d’une prise de conscience intime ?

Oui, autant que politique. Longtemps, j’ai cru que j’avais été épargnée par la violence masculine. Mais à force d’écouter ces hommes parler, j’ai revu mon enfance. Mon père, qui est mort dans un attentat. Puis mon beau-père, qui criait beaucoup, qui jetait des objets contre les murs quand il était en colère. C’est dans ce contexte que j’ai grandi. Pendant les audiences, j’ai compris que c’était la même mécanique qui s’exprimait par la voix des prévenus : une violence masculine sûre d’elle. On ne parlait pas seulement de corruption, mais de domination. Pourtant, la première fois que j’ai entendu Sarkozy à la barre lors de son premier interrogatoire le 13 janvier, j’ai presque eu pitié de lui. Il évoquait sa mère, son rêve d’enfant de devenir président… Il se racontait comme une victime, en inversant les rôles. Et puis j’ai remarqué qu’il esquivait, il tempêtait, il martelait ses éléments de langage, dans un discours parfaitement maîtrisé. J’entendais la rhétorique d’un homme puissant, qui n’a pas à se justifier. Pour autant, l’annonce du verdict n’a pas été un moment joyeux. Nous, les filles du DC-10, n’avons jamais cherché à « gagner » contre Sarkozy, Hortefeux ou Guéant, seulement à faire reconnaître la gravité des faits.

Que représente pour vous le groupe des « filles du DC-10 » ?

Sans elles, je n’aurais pas tenu lors du procès. On s’écrivait beaucoup sur notre groupe WhatsApp et on continue à le faire. Le 25 septembre, après le verdict, j’étais vidée. Ma tante m’a dit : « C’est normal. On en a plein la tête, mais on va souffler et on va repartir toutes ensemble » [le procès en appel est prévu pour mars 2026]. J’essaye de reprendre des forces, mais, ces temps-ci, ce n’est pas simple. Ce lundi [10 novembre], les parties civiles s’attendaient à ce que la demande de remise en liberté de Nicolas Sarkozy soit acceptée. On comprend et on respecte cette décision. On salue l’interdiction qui lui est faite d’entrer en contact avec Gérald Darmanin ou tout membre du cabinet du garde des Sceaux [personnes pouvant bénéficier d’informations sur la procédure]. Ce que je crains, c’est le traitement médiatique et notamment la victimisation de Sarkozy. Ça a commencé dès l’annonce de sa libération, avec Bruno Retailleau, qui a salué sur le réseau X son « courage », ou Bernard-Henri Lévy, qui a déclaré que son incarcération était « inutile » et « dégueulasse »… C’est ça qui est violent, traumatisant même. Heureusement, il y a ce point de vigilance vis-à-vis du garde des Sceaux dans l’ordonnance de libération, qui me fait dire que la justice prend en compte tous les faits et qu’elle ne lâche pas le dossier. Alors on va y retourner pour le procès en appel et on reconstituera cette petite bulle de sororité qui nous protège.

Texte intégral (1757 mots)

Le 19 septembre 1989, une bombe explose dans un avion, le DC-10 de la compagnie UTA, entre Brazzaville (capitale de la République du Congo) et Paris, et tue les 170 passager·es et membres de l’équipage à son bord.

Dix ans plus tard, six agents des services secrets libyens, dont Abdallah Senoussi, beau-frère du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, ont été reconnus coupables de cet attentat et condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité par la justice française, sans toutefois être extradés vers Paris.

En 2005, Claude Guéant, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, et Brice Hortefeux, ministre délégué aux Collectivités territoriales, rencontrent Abdallah Senoussi à Tripoli et auraient entamé avec lui des négociations en vue du financement, par la dictature libyenne, de la future campagne de Nicolas Sarkozy pour l’élection présidentielle française en 2007. En contrepartie, les deux lieutenants du futur candidat se seraient engagés à ce que la condamnation d’Abdallah Senoussi soit révisée. Ce « pacte corruptif » est au cœur des trois mois de procès (du 6 janvier au 10 avril 2025) qui ont débouché, le 25 septembre 2025, sur la condamnation de l’ancien président français à cinq ans de prison ferme pour association de malfaiteurs ( le procès en appel est prévu pour mars 2026). Le tribunal a également reconnu le préjudice moral infligé aux parties civiles. 

Comment êtes-vous devenue partie civile au procès de l’affaire du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy ?

Mon père, Jean-Pierre Klein, est mort, un peu avant mes 5 ans, dans ce que j’ai longtemps cru être un accident d’avion, mais qui était en réalité un attentat. En 1999, j’étais trop jeune pour assister au procès d’Abdallah Senoussi. Mais j’ai rejoint le collectif de familles de victimes monté par ma tante, Danièle Klein, et par Yohanna Brette, dont la mère, Martine Brette, était hôtesse de l’air sur le vol. C’est en janvier 2025, lors des débats qui visaient à déterminer si Nicolas Sarkozy avait bénéficié de fonds libyens pour sa campagne présidentielle et s’il existait un pacte de corruption avec le régime de Kadhafi, que j’ai pris conscience de la violence à laquelle on avait été exposé·es en tant que proches des victimes. Violence de l’intention de mort derrière l’attentat, mais aussi violence du pacte noué par Nicolas Sarkozy et ses proches collaborateurs.

Vous faites une lecture genrée du procès. Pourquoi ?

Dans ce procès, les prévenus, leurs avocats, la grande majorité des témoins sont des hommes… Même les voix les plus présentes dans les médias sont masculines. C’est quand le procès a débuté, le 6 janvier 2025, en voyant les prévenus en vrai [l’ex-président Nicolas Sarkozy et onze autres prévenus, dont les anciens ministres Brice Hortefeux et Claude Guéant], que je me suis rendu compte qu’ils étaient tous des hommes âgés, bourgeois, vivant dans les quartiers chics de l’Ouest parisien. Ils m’ont renvoyé une impression très forte d’entre-soi.

J’ai été frappée par leur manière de s’adresser au tribunal, leur aplomb, c’était très impressionnant. Jusqu’au 23 janvier [jour de la déposition des familles des victimes pendant le procès], nous n’avons entendu quasiment aucune voix féminine. Puis nous avons été neuf femmes à raconter notre histoire à la barre. Dans une tribune publiée en octobre dans Libération, ma tante et Yohanna Brette nous appellent « les filles du DC-10 ».

Notre avocate, Laure Heinich [également avocate de certaines victimes de Patrick Poivre d’Arvor], a joué un rôle dans cette prise de conscience des dynamiques de genre. Lors de sa plaidoirie, elle a parlé des proches de victimes au féminin, même s’il y a des hommes dans notre groupe. Ce choix m’a permis de mettre des mots sur ce qui était jusque-là une impression diffuse. Laure Heinich a aussi parlé de nous en tant que femmes dignes et qui ne cherchaient pas la vengeance, ainsi qu’en tant que citoyennes. Auparavant, j’avais pu me dire : « Cette affaire me dépasse », et d’un coup, grâce à ses mots d’avocate, je me suis sentie légitime. Ce procès est devenu pour moi celui d’un monde d’hommes qui se croyaient intouchables et de femmes qui ont décidé de se dresser face à eux.


« Pendant les audiences, une violence masculine sûre d’elle s’exprimait. »


Qu’avez-vous ressenti en vous adressant à la cour devant laquelle s’est tenu ce procès historique, ce fameux 23 janvier ?

La déposition que j’ai faite ce jour-là, je l’ai écrite dans ma tête les nuits qui ont précédé. Je ne dormais pas, et j’imaginais ces hommes autour d’une table, organisant l’attentat, puis d’autres hommes, dix-huit ans plus tard, négocier l’immunité du terroriste Abdallah Senoussi, en échange de versements d’argent. Quand, le lendemain, j’ai pris la parole à la barre, j’ai eu le trac, une peur presque physique, je tremblais. J’avais l’impression d’occuper une place qui n’était pas la mienne. Mais eux, alors même qu’ils étaient assis sur le banc des prévenus, ils n’avaient pas l’air mal à l’aise ! C’est en voyant ça que j’ai eu le courage de ne plus m’effacer. À 40 ans, j’ai senti que je devenais adulte.

Ce procès a donc été l’occasion d’une prise de conscience intime ?

Oui, autant que politique. Longtemps, j’ai cru que j’avais été épargnée par la violence masculine. Mais à force d’écouter ces hommes parler, j’ai revu mon enfance. Mon père, qui est mort dans un attentat. Puis mon beau-père, qui criait beaucoup, qui jetait des objets contre les murs quand il était en colère. C’est dans ce contexte que j’ai grandi. Pendant les audiences, j’ai compris que c’était la même mécanique qui s’exprimait par la voix des prévenus : une violence masculine sûre d’elle. On ne parlait pas seulement de corruption, mais de domination. Pourtant, la première fois que j’ai entendu Sarkozy à la barre lors de son premier interrogatoire le 13 janvier, j’ai presque eu pitié de lui. Il évoquait sa mère, son rêve d’enfant de devenir président… Il se racontait comme une victime, en inversant les rôles. Et puis j’ai remarqué qu’il esquivait, il tempêtait, il martelait ses éléments de langage, dans un discours parfaitement maîtrisé. J’entendais la rhétorique d’un homme puissant, qui n’a pas à se justifier. Pour autant, l’annonce du verdict n’a pas été un moment joyeux. Nous, les filles du DC-10, n’avons jamais cherché à « gagner » contre Sarkozy, Hortefeux ou Guéant, seulement à faire reconnaître la gravité des faits.

Que représente pour vous le groupe des « filles du DC-10 » ?

Sans elles, je n’aurais pas tenu lors du procès. On s’écrivait beaucoup sur notre groupe WhatsApp et on continue à le faire. Le 25 septembre, après le verdict, j’étais vidée. Ma tante m’a dit : « C’est normal. On en a plein la tête, mais on va souffler et on va repartir toutes ensemble » [le procès en appel est prévu pour mars 2026]. J’essaye de reprendre des forces, mais, ces temps-ci, ce n’est pas simple. Ce lundi [10 novembre], les parties civiles s’attendaient à ce que la demande de remise en liberté de Nicolas Sarkozy soit acceptée. On comprend et on respecte cette décision. On salue l’interdiction qui lui est faite d’entrer en contact avec Gérald Darmanin ou tout membre du cabinet du garde des Sceaux [personnes pouvant bénéficier d’informations sur la procédure]. Ce que je crains, c’est le traitement médiatique et notamment la victimisation de Sarkozy. Ça a commencé dès l’annonce de sa libération, avec Bruno Retailleau, qui a salué sur le réseau X son « courage », ou Bernard-Henri Lévy, qui a déclaré que son incarcération était « inutile » et « dégueulasse »… C’est ça qui est violent, traumatisant même. Heureusement, il y a ce point de vigilance vis-à-vis du garde des Sceaux dans l’ordonnance de libération, qui me fait dire que la justice prend en compte tous les faits et qu’elle ne lâche pas le dossier. Alors on va y retourner pour le procès en appel et on reconstituera cette petite bulle de sororité qui nous protège.

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07.11.2025 à 10:08

Maternité des Lilas : retour sur une fermeture annoncée

Elsa Sabado

En cette soirée d’Halloween, les « sorcières », comme aiment à se faire appeler les soignantes de la maternité des Lilas, près de Paris, n’avaient pas le cœur à la fête. Après […]
Texte intégral (1338 mots)

En cette soirée d’Halloween, les « sorcières », comme aiment à se faire appeler les soignantes de la maternité des Lilas, près de Paris, n’avaient pas le cœur à la fête.

Après avoir laissé sortir, au milieu d’une haie d’honneur, leur dernière patiente, elles ont vu les portes de l’établissement se fermer définitivement derrière elles. Comme annoncé en juillet 2025, l’agence régionale de santé (ARS) Île-de-France ne financera plus cette maternité. Elle invoque trois raisons : une prise en charge insuffisamment sécurisée pour les patientes (qui a valu à la maternité le retrait de sa certification en janvier 2025 par la Haute Autorité de santé), une fréquentation en chute libre (1 200 naissances en 2020 contre 700 en 2024) et la menace d’une cessation de paiements. Trois difficultés dont l’ARS est pourtant en partie responsable.

Inaugurée en 1964, la maternité des Lilas pratiquait des avortements avant même leur dépénalisation et n’a jamais cessé d’offrir aux personnes enceintes le choix d’un accouchement pas ou peu médicalisé, laissant toute sa place au conjoint·e. Bien plus tard, à partir de 2019, elle a également été pionnière en France dans le suivi des grossesses d’hommes trans. Ce projet d’accompagnement, au plus près des besoins individuels, requiert des équipes étoffées, spécifiquement formées et donc des moyens financiers que la Sécurité sociale ne prend pas en charge. L’établissement ayant fait le choix de ne pas répercuter les coûts sur les usager·es, c’est l’État qui, jusqu’ici, absorbait son déficit. « C’est vraiment parce qu’elle portait un projet politique à part entière et grâce aux mobilisations [des salariées, des féministes et des syndicats] qu’elle a tenu jusqu’à aujourd’hui, analyse la sociologue Elsa Boulet. Depuis le milieu des années 1990, les plans de périnatalité incitent à concentrer les accouchements dans des structures disposant de davantage de matériel technique et de personnel – notamment des médecins anesthésistes – disponible en permanence. » (Lire notre encadré en bas de page.)

Une promesse trahie

Dans les années 2000, comme d’autres maternités, celle des Lilas est sommée de s’adapter pour assurer sa pérennité. En 2008, un projet de reconstruction et d’agrandissement visant à la rendre rentable, est adopté par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot : le terrain est choisi et les plans validés. Mais, coup de théâtre : en 2011, Claude Évin, alors président de l’ARS, prenant pour prétexte un conflit en cours entre un anesthésiste et des sages-femmes de l’établissement, suspend brusquement le projet. Malgré une mobilisation des salarié·es et des usager·es, soutenue par de nombreuses personnalités du monde du spectacle (Catherine Ringer, Arthur H, Karin Viard), le projet de reconstruction est définitivement enterré en 2013, en dépit de la promesse de soutien faite par le candidat François Hollande pendant la campagne présidentielle.


« On a laissé pourrir le fruit afin qu’il tombe tout seul »

Marie-Laure Brival, ancienne directrice de la maternité des Lilas

La notoriété de la maternité des Lilas dissuade toutefois les autorités de santé de la fermer. Durant treize ans, l’agence régionale de santé continue d’éponger son déficit, estimé entre 3 et 5 millions d’euros selon les années. « On a laissé pourrir le fruit afin qu’il tombe tout seul », analyse son ancienne directrice, Marie-Laure Brival.

Gestion chaotique

Mais le déclin est amorcé. Plusieurs projets de fusion avec d’autres établissements hospitaliers sont imaginés, sans aboutir. Les soignantes craignent une dégradation de leurs conditions de travail avec, pour corollaire, une dénaturation de leur métier. En 2017, alors qu’un projet d’adossement à une clinique voisine est finalement sur le point de se concrétiser, l’homme d’affaires Louis Fabiano arrive à la tête de l’association gestionnaire. Le projet a déjà englouti 1 million d’euros sur le budget de la maternité, mais le nouveau président n’honore pas les rendez-vous proposés par l’ARS et laisse le plan s’enliser. Il est, en revanche, nettement plus diligent à servir ses propres intérêts. En 2022, il touche une commission de 160 000 euros sur la vente des murs de la maternité à de nouveaux propriétaires. La même année, le syndicat Sud dépose une plainte contre X pour prise illégale d’intérêt et abus de confiance.

La gouvernance chaotique de la maternité laisse, par ailleurs, s’instaurer un climat de violences au sein de l’équipe de salarié·es. En 2020, un dernier mouvement social unit les soignantes contre un médecin, devenu tout-puissant au sein de l’établissement, accusé de harcèlement moral et d’agressions sexuelles. Vingt-trois salariées portent plainte devant le Conseil de l’ordre des médecins, et sept au pénal, mais l’homme est relaxé par deux fois. Informée de ces problèmes, l’ARS Île-de-France regarde ailleurs, arguant qu’il s’agit d’un établissement privé.

Après quinze ans d’agonie liée à l’abandon des pouvoirs publics mais aussi au désengagement des réseaux féministes et syndicaux, la fermeture de la maternité des Lilas est à la fois une délivrance et un déchirement pour ses soignantes et ses usager·es. Les 80 salarié·es vont être licencié·es et les patient·es seront réparti·es au sein des hôpitaux des environs, à Montreuil (Seine-Saint-Denis) ou à Paris, où la prise en charge des accouchements est davantage médicalisée.

Au-delà de la disparition d’un accueil depuis toujours axé sur le droit des personnes à disposer de leur corps, la fermeture de la maternité des Lilas marque une défaite symbolique pour le féminisme, à l’heure où l’extrême droite, aux portes de l’exécutif, entend priver les femmes et les personnes trans de leurs droits à l’avortement et à une parentalité choisie.

La disparition des petites maternités

Quarante pour cent des maternités françaises ont fermé depuis l’an 2000. Il s’agit principalement d’établissements de niveau 1, qui n’étaient pas équipés de plateaux techniques pour prendre en charge les usager·es en cas de complications. Au nom de leur sécurité, les autorités de santé ont donc encouragé le regroupement des sages-femmes et des médecins dans des unités médicalisées, considérées comme les seules rentables depuis l’instauration de la tarification à l’acte en 2012. La fuite des soignant·es et des parturient·es vers ces maternités réputées plus sûres a fini de vider les petits établissements, entraînant la fermeture de tous ceux passant sous la barre des 300 naissances par an, seuil fatidique en dessous duquel les agences de santé ne garantissent plus la sécurité des accouchements. En mai 2025, en réponse à la hausse jugée « alarmante » de la mortalité infantile, en partie dûe à l’éloignement géographique croissant des structures de soins, l’Assemblée nationale votait un moratoire de trois ans sur la fermeture des petites maternités. Le texte, qui fait débat chez les expert·es en santé publique comme chez les élu·es, attend d’être validé par le Sénat.

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30.10.2025 à 15:37

🎃 Monstres et sorcières, allié·es féministes

La Déferlante

En plus des personnages de sorcières qui peuplent depuis quelques années les imaginaires féministes, les monstres et les vampires hantent désormais essais et fictions, comme autant de manières de questionner […]
Texte intégral (2766 mots)

En plus des personnages de sorcières qui peuplent depuis quelques années les imaginaires féministes, les monstres et les vampires hantent désormais essais et fictions, comme autant de manières de questionner les normes de genre et de révéler des chemins d’émancipation.

« Tout dans l’horreur reflète les problématiques de la marginalité, du regard qu’on porte sur l’autre », écrit ainsi l’autrice Taous Merakchi au sujet de son dernier essai, Monstrueuse (éd. la ville brûle, 2025).

📺
On regarde

Häxan

Häxan. La sorcellerie à travers les âges est un documentaire muet réalisé en 1922. Il est depuis peu visible sur les plateformes de VOD. Détonnant par sa forme comme par son propos, il raconte comment, à toutes les époques, les hommes ont utilisé la torture pour soumettre les femmes. Entremêlant méticuleusement archives et saynètes de fiction, utilisant des effets spéciaux encore confidentiels à l’époque, son réalisateur, le Danois Benjamin Christensen, reconstitue d’abord toute la violence des chasses aux sorcières du Moyen Âge. Puis, dans un audacieux glissement vers un propos qu’on est bien obligées de qualifier de « féministe », il laisse la parole à des femmes de son époque internées en hôpital psychiatrique. Elles dénoncent les traitements qui leur sont infligés, et mettent en lumière la permanence de la violence patriarcale.

🧹Häxan. La sorcellerie à travers les âges, de Benjamin Christensen, 87 minutes. Disponible sur les plateformes de VOD.

Sinners

Dans les États-Unis des années 1930 et de la prohibition, Elijah et Elias, deux frères jumeaux, reviennent s’installer dans leur ville natale du Mississippi. Ils décident d’ouvrir un club de blues réservé à la communauté noire, dans un État où la ségrégation raciale fait loi. Mais, le soir de l’ouverture, l’arrivée de trois musicien·nes – blanc·hes – perturbe les festivités, et la soirée prend une tournure surnaturelle. Véritable hommage à la culture noire des États-Unis – sa musique, ses rituels vaudous – le film explore, à travers la métaphore du vampire, les dynamiques d’oppressions qui traversent la société à l’époque. Rythmé par une bande originale empruntant au blues et au rap, Sinners prend rapidement les allures d’une comédie musicale. C’est, selon nous, un des films les plus étonnants de l’année 2025 !

🧛🏾‍♀️Sinners, de Ryan Coogler, 137 minutes. Disponible sur les plateformes de VOD.

📖
On lit

Monstrueuse

Passionnée de films d’horreur depuis l’enfance, l’autrice et podcasteuse Taous Merakchi convie ses lecteur·ices à un voyage peuplé des monstres et des loups-garous qui ont fait son éducation. Enfant solitaire puis adolescente en marge, elle a puisé dans les films de genre les matériaux pour se construire en tant qu’adulte, mère et femme dans une société misogyne : « J’ai toujours rêvé d’inverser les rôles et de devenir la menace, la silhouette inquiétante dans la ruelle sombre, le monstre du placard. Mon rêve absolu est de faire peur aux hommes, de les déranger, de les dégoûter », écrit-elle dans ce qui sonne comme un plaidoyer pour le cinéma d’épouvante.

👹 → Taous Merakchi, Monstrueuse, éd. la ville brûle, 2025.

Ancolie

Ancolie est une sorcière de 27 ans qui trompe une existence terriblement ennuyeuse en picolant dès le petit déjeuner et en couchant avec son ex toxique. Pour éviter l’excommunication du Haut Conseil des sorcières, elle se lance dans un défi « un peu hippie-neuneu » : fabriquer un sortilège d’empathie pour enrayer la montée du fascisme, la fracture sociale, les superprofits et la pollution des nappes phréatiques.

Après La vie est une corvée (Exemplaire, 2023), Ernestine (Même Pas Mal, 2024) et Peur de mourir mais flemme de vivre (Exemplaire, 2025), Salomé Lahoche ressuscite son double maléfique sous les traits d’un personnage de fiction qui nous embarque dans un univers trash et baroque, au pouvoir hautement hilarant.

🍷 → Salomé Lahoche, Ancolie, Glénat, 2025.

Le Temps des sorcières

En 1893, alors que le combat pour le droit de vote des femmes aux États-Unis fait rage, trois sœurs – Bella, Agnès et Genièvre – racontent leur lutte quotidienne contre la misogynie et la précarité sociale, dans la ville de New Salem (Massachusetts). Quelques siècles auparavant, les sorcières ont été bannies de la région, mais, à l’instar des trois narratrices, les femmes de New Salem résistent en se reconnectant aux savoirs oubliés. Mi-politique, mi-fantastique, ce roman décortique les grands enjeux sociaux, raciaux et de genre qui secouent les États-Unis à la fin du XIXe siècle. Il est aussi un magnifique hommage à la lutte politique et à la solidarité entre femmes.

🧙🏼‍♀️ → Alix E. Harrow, Le Temps des sorcières, traduit par Thibaud Eliroff, Hachette, 2022.

💻
On s’abonne

Demoiselles d’horreur

Pourquoi, au cinéma, les femmes incarnent-elles des fantômes, et les hommes des serial killers ? Pourquoi le body horror est-il féministe ? Ou encore, comment le cinéma d’horreur traite-t-il les personnages queers ? Sur sa chaîne YouTube, la journaliste Judith Beauvallet interroge les représentations véhiculées par le cinéma fantastique, un sous-genre très investi par les réalisatrices et les femmes critiques.

💡
Un glossaire pour tout comprendre

Alors que l’actualité montre à quel point la guerre culturelle qui fait rage est aussi une bataille sémantique, il nous a paru important que La Déferlante propose à ses lecteur·ices des définitions de concepts clés pour appréhender l’époque dans une perspective féministe intersectionnelle. Toutes sont en accès libre sur notre site internet, qui sera alimenté au fil des numéros pour faciliter la compréhension des concepts mobilisés dans chaque dossier.

🔏 → Retrouvez toutes nos définitions en libre accès

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On y sera

🐤 Grandir sans tabou à Rennes

Ven 7 novembre 2025, à 18 heures
Librairie La Nuit des temps, Rennes

Claire Marcadé Hinge et Marianne Marty-Stéphan, autrices de Grandir sans tabou, rencontreront les lecteur·ices rennais·es. La discussion sera animée par Lucie Louapre, de l’association Parents et féministes, et sera suivie d’une séance de dédicaces.

👉🏼 → Informations pratiques par ici.

🐣 Grandir sans tabou à Rennes

Ven 14 novembre 2025, à 18 h 30
Librairie Les Bien aimé·es, Nantes

Les deux autrices de Grandir sans tabou répondront aux questions des lecteur·ices nantais·es et animeront un atelier destiné aux enfants, en partenariat avec l’association DisQUtons.

👉🏼 → Informations pratiques par ici.

💥 Une expo, un débat

Mer 19 novembre 2025, à 19 heures
Galerie Kadist, Paris 18e

Christelle Murhula, journaliste indépendante et membre du comité éditorial de La Déferlante, animera un échange entre la styliste Jeanne Friot et l’autrice Kiyémis, en marge d’une exposition sur les féminismes non occidentaux. Entrée gratuite sans réservation (attention, le nombre de places est limité !).

💁🏽Informations ici

🌟 Festival Les Créatives

Jeu 20 novembre 2025, à 12 h 30
Festival Les Créatives, Genève

Marie Barbier, corédactrice en chef de La Déferlante, participera à une table ronde intitulée « Investiguer et médiatiser les violences sexistes et sexuelles » aux côtés de sa consœur de Mediapart Marine Turchi et de la comédienne Anna Mouglalis.

👉🏼 → Informations et billetterie

🩺 Soirée de lancement du numéro « Soigner »

Jeu 27 novembre 2025 à 19 heures
Maison des Métallos, Paris 11e

À l’occasion du lancement du numéro 20 de La Déferlante, « Soigner dans un monde qui va mal », une table ronde rassemblera l’autrice féministe Valérie Rey-Robert, la psychiatre Loriane Bellahssen et la psychologue Salima Boutebal. La discussion sera suivie d’un concert de Louisadonna. Comme à chaque édition, des associations seront présentes et un stand proposera les revues, livres et goodies de La Déferlante.

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29.10.2025 à 15:18

L’assassinat des sœurs Mirabal : à l’origine de la Journée contre les violences faites aux femmes

Laurène Daycard

En France, la date du 25 novembre revêt, depuis plusieurs décennies, une signification particulière pour le mouvement social. En 1995 déjà, 140 organisations – dont beaucoup d’associations féministes, mais aussi la CGT et […]
Texte intégral (4154 mots)

En France, la date du 25 novembre revêt, depuis plusieurs décennies, une signification particulière pour le mouvement social. En 1995 déjà, 140 organisations – dont beaucoup d’associations féministes, mais aussi la CGT et le Parti communiste – mobilisées pour défendre les droits reproductifs, menacés par le retour de la droite au gouvernement, faisaient défiler 40 000 personnes dans les rues de Paris.

En 2018, c’est au tour de Nous toutes de rassembler 30 000 manifestant·es dans la capitale, 100 000 l’année suivante. Un an après l’explosion médiatique de #MeToo, le collectif « est né autour de cette idée de créer une mobilisation de masse, dans la rue, sur les violences », explique Maëlle Noir, une membre du comité national. Mais elle admet : « L’origine [du 25 novembre] reste méconnue, y compris dans nos cercles militants. » En 2024, lors de la rédaction de l’appel à manifester de Nous toutes, il a été question d’évoquer l’assassinat de ces trois militantes contre la dictature dominicaine, le 25 novembre 1960, mais l’idée n’a pas été retenue, même si plusieurs posts Instagram et documents du collectif l’ont abordé à plusieurs reprises.

C’est en 1999 que le 25 novembre a été choisi par les Nations unies comme « Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes ». Mais dans la résolution 54/134, indiquant que « la violence est l’un des principaux mécanismes sociaux par lesquels les femmes sont maintenues en situation d’infériorité par rapport aux hommes », aucune mention n’est faite de l’assassinat de Patria, Minerva et María Teresa Mirabal. Alors même qu’en Amérique latine, notamment caribéenne, le jour de la mort des trois sœurs est célébré depuis deux décennies déjà, en mémoire des victimes de violences et de féminicide.

Photo d'une manifestation en commémoration de l’assassinat des sœurs Mirabal, le 25 novembre 2014 en République Dominicaine.
Marche de commémoration de l’assassinat des sœurs Mirabal, le 25 novembre 2014 à Saint-Domingue, en République dominicaine, lors de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Crédit : ERIKA SANTELICES / AFP

À Paris, la seule référence aux sœurs Mirabal se trouve dans un recoin de la place de la République-Dominicaine, dans le XVIIe arrondissement, où l’ambassade a fait apposer en 2021 une plaque de marbre à la mémoire des trois victimes de féminicide. « Mes sœurs ont fait partie de cette jeunesse qui s’est sacrifiée pour que le peuple dominicain puisse se libérer de la dictature », affirme dans ses mémoires Dedé MirabalBélgica Adela Mirabal (dite Dedé), Vivas en su jardín, Aguilar 2012 (non traduit). Le titre « Vivantes en leur jardin », fait référence au parc qui entoure la maison familiale de Salcedo, aujourd’hui transformée en musée., deuxième fille d’une sororie de quatre dont elle est l’unique survivante, et qui, comme telle a élevé ses nièces et neveux orphelin·es.

Les sœurs Mirabal ont été tuées alors qu’elles se rendaient en voiture à la prison de Puerto Plata où leurs époux étaient incarcérés pour atteinte à la sécurité de l’État. Une embuscade commanditée par Rafael Trujillo, dictateur sanguinaire arrivé au pouvoir en 1930, après avoir reçu une formation des Marines pendant l’occu­pation du pays par les États-Unis (1916–1924).

Patria, Minerva et María Teresa Mirabal, âgées respectivement de 36, 34 et 25 ans, savaient le risque qu’elles couraient en prenant la route ce jour-là, dans un pays où les opposant·es étaient souvent victimes de mystérieux accidents de voiture. Les deux plus jeunes avaient elles-mêmes été détenues quelques mois auparavant, sous le même chef d’accusation que leurs maris, et vivaient depuis assignées à résidence. La Jeep, conduite par leur chauffeur Rufino de la Cruz, est mitraillée sur le trajet retour par des agents de la police secrète du Servicio de inteligencia militar (SIM). Les passagères et le chauffeur sont battu·es à mort avant d’être précipité·es dans leur Jeep au fond d’un ravin pour maquiller le crime en accident.

La presse dominicaine, sous la coupe du régime, reprend cette version. Mais le peuple n’est pas dupe. Loin d’étouffer la contestation, l’assassinat de ces résistantes suscite une grande vague d’indignation et de colère entraînant la chute du dictateur. Trujillo, alors également dans la ligne de mire de Washington, est à son tour victime d’une embuscade mortelle six mois plus tard, le 30 mai 1961. Il faut cependant attendre la fin des années 1970 pour que la République dominicaine s’engage dans une transition vers un régime démocratique.

« Vivantes en leur jardin »

Entre 1930 et 1961, dans un pays qui comptait alors 3 millions d’habitant·es, Trujillo et son bras armé, le SIM, auraient provoqué jusqu’à 50 000 exécutions, incluant le massacre raciste de milliers de Haïtien·nes noir·es travaillant dans les plantations dominicaines. Le despote, autoproclamé « bienfaiteur de la patrie », avait érigé un véritable culte autour de sa personne, tout en accaparant une grande partie des richesses du pays. « Ce furent des années de terreur et de carnage, de trahisons, de délation et de destructions, mais ce fut aussi l’époque où l’héroïsme des gens s’est manifesté avec le plus de force », écrit encore Dedé Mirabal.

Les Mirabal sont une famille d’opposant·es politiques de haut vol, emmenée notamment par Minerva. En janvier 1959, inspirée par la chute du dictateur cubain Fulgencio Batista, elle a créé le principal réseau de résistance de gauche dominicain. C’est le point de départ du Mouvement du 14 juin – référence à la date d’une tentative avortée de débarquement révolutionnaire en juin 1959, depuis Cuba –, dont Manuel Aurelio Tavárez, l’époux de Minerva, devient président. Leur programme ? Éradiquer la tyrannie, élire une assemblée constituante, organiser des élections libres tous les quatre ans, engager une réforme agraire. Et en attendant… réunir des armes pour faire tomber le dictateur.

Durant sa clandestinité, Minerva Mirabal se fait appeler Mariposa, « papillon » en espagnol. Un clin d’œil à ceux qui volaient un peu partout dans le jardin de la maison familiale à Salcedo, dans le nord du pays, et un symbole de transformation qui devient le surnom des trois sœurs, Las Mariposas. Ce surnom renvoie aussi à la métaphore de l’effet papillon, théorisé dans les années 1970 par le météorologue étasunien Edward Lorenz, selon lequel le battement d’ailes d’un papillon au Brésil pourrait théoriquement provoquer une tornade au Texas.


« La violence est l’un des principaux mécanismes sociaux par lesquels les femmes sont maintenues en situation d’infériorité par rapport aux hommes. »

Résolution 54/134 des Nations unies, 1999

L’assassinat de trois femmes en République dominicaine peut-il pousser des centaines de milliers de femmes à travers le monde à défiler dans les rues pour dénoncer les violences de genre ? La réponse est oui. Car ce n’est pas uniquement en raison de leur engagement politique que les sœurs Mirabal ont été assassinées, mais aussi parce qu’elles étaient des femmes vivant sous un régime dictatorial d’impunité sexuelle.

L’histoire telle qu’elle est racontée par Dedé Mirabal en témoigne : le dictateur Trujillo avait, un jour de 1949, invité la famille Mirabal à une fête, avec l’intention de mettre Minerva dans son lit. Impossible de refuser l’invitation, au risque de subir des représailles. Les Mirabal viennent en nombre autour de la jeune femme dans l’espoir de servir de rempart. « Nous étions également inquiets qu’elle puisse boire dans un verre » contenant « une sorte de drogue qui faisait tomber les femmes dans [l]es bras [de Trujillo] », écrit encore Dedé. Minerva, âgée de 22 ans, est contrainte d’échanger quelques pas de danse avec le tyran.

Maintes fois répétée, l’histoire de cette rencontre se raconte désormais à la manière d’une légende nationale. Dans l’une des versions, la plus populaire, Minerva aurait giflé le dictateur. Mais, d’après Dedé, elle lui a surtout tenu tête, en lui disant qu’elle s’opposait à sa politique.

À la suite de cette soirée, Trujillo fait arrêter et emprisonner le père Mirabal, qui décédera en 1952, affaibli par sa détention. Minerva est aussi interpellée à plusieurs reprises, interrogée sur ses liens avec les dirigeants socialistes et communistes, puis assignée à résidence jusqu’à ce qu’elle puisse enfin s’inscrire à la faculté de droit, sans savoir qu’elle ne pourra jamais prêter serment.

« Une construction collective »

Pour la philosophe et sociologue française Jules Falquet, dont le travail contribue depuis plusieurs décennies à faire connaître les luttes et les penseuses d’Amérique latine, « en dehors de ce continent, les mouvements féministes n’ont pas assez fait le rapprochement entre la date du 25 novembre et l’histoire des sœurs Mirabal, encore moins avec le travail des féministes dominicaines qui ont proposé cette date ». Un constat que partage la militante dominicaine pour les droits des femmes, Sergia Galván Ortega : « Il y a une méconnaissance de notre rôle dans la commémoration de ce jour. Mais nous, les Dominicaines, n’avons pas non plus voulu nous approprier cet événement, car il s’agit d’une construction collective du mouvement féministe latino-américain. »

Des affiches de différent·es révolutionnaires martyr·es dominicain·es sont plantées dans un jardin.
Près de Salcedo en République dominicaine, la Casa Museo Hermanas Mirabal rend hommage aux révolutionnaires martyr·es dominicain·es dans le jardin de l’ancienne maison des sœurs Mirabal transformée en musée.
Crédit : PETER HOHENHAUS OF DARK-TOURISM.COM

C’est en effet lors de la première Rencontre féministe de l’Amérique latine et des Caraïbes, organisée en juillet 1981 à Bogotá (Colombie) que la date du 25 novembre a été une première fois choisie pour alerter sur les violences faites aux femmes. Près de 200 militantes venues du Mexique, de Porto Rico, d’Équateur, du Vénézuéla et de six autres pays du continent se sont réunies durant quatre jours. Quelques autres font le voyage depuis l’Europe, le Canada et les États-Unis. « Nous étions heureuses de nous rencontrer. On a discuté de la santé des femmes, de sexualité, de mortalité maternelle, d’avortement, et de très nombreux thèmes », se remémore Sergia Galván Ortega. Enseignante et activiste, elle fait alors partie de la délégation dominicaine. Composée d’une vingtaine de femmes, emmenée par la sociologue Magaly Pineda – figure incontournable du féminisme dominicain, décédée en 2016 –, elle est la délégation la plus fournie juste après la délégation colombienne. Cela a probablement pesé dans la balance quand, le dernier jour, il fut question de fixer « une journée d’actions contre la violence pour interpeller les autorités sur le sort réservé aux femmes », reconnaît-elle.

Les dates de naissance ou de mort de Flora TristanFemme de lettres franco-péruvienne, Flora Tristan (1803–1844) a subi des violences conjugales qui ont failli lui coûter la vie. Féministe et socialiste, elle a, parmi d’autres droits, milité pour celui des femmes à divorcer. sont proposées, mais c’est finalement le jour de l’assassinat des sœurs Mirabal, le 25 novembre donc, qui remporte l’adhésion. « Nous avons rappelé que leur assassinat symbolisait la violence politique, institutionnelle et sexuelle », se souvient Sergia Galván Ortega. Politique, car le meurtre a été orchestré par le dictateur. Institutionnelle, parce que Minerva Mirabal, qui était l’une des premières femmes à mener des études de droit dans son pays, avait été interdite d’exercer. Sexuelle, enfin, parce que Trujillo avait systématisé les violences sexuelles contre les femmes en kidnappant celles « qui lui plaisaient, après les avoir repérées dans des fêtes ».

Quand elles racontent cette histoire, à Bogotá en 1981, les Dominicaines font l’unanimité. À partir de là, des marches sont organisées dans plusieurs pays à cette date. À Saint-Domingue, le premier défilé a lieu le 25 novembre 1982 sur le parvis de l’université autonome et, là encore, c’est un choix symbolique. « Nous étions plusieurs centaines, de tous les secteurs, des travailleuses, des paysannes, des jeunes de classe moyenne. On a chanté des poèmes pour les sœurs Mirabal », se rappelle Sergia Galván Ortega, qui explique que l’anniversaire de la mort des sœurs Mirabal fédère aujourd’hui chaque année jusqu’à 8 000 manifestantes en République dominicaine. « Cette mobilisation a conduit à l’adoption de lois, notamment celle de 1997, la première à punir les violences intrafamiliales », précise encore l’enseignante.

Mais la mobilisation ne faiblit pas car il reste du chemin à parcourir. L’avortement reste un crime, y compris en cas de viol, ce qui fait de la République dominicaine l’un des pays les plus restrictifs en matière de droits reproductifs. Par ailleurs, selon l’ONG Human Rights Watch, les violences perpétrées à l’encontre des personnes LGBTQIA+ ne sont pas légalement reconnues comme des discriminations.

Le féminicide : une « non-idée politique »

Jules Falquet se souvient du « choc » qu’elle éprouve en atterrissant en 1989 au Mexique quand elle découvre qu’il existe, dans certains pays d’Amérique latine, des défilés féministes le 25 novembre : « C’était tellement impressionnant de voir des milliers de femmes dans les rues contre les violences, alors que ça n’existait pas en Europe. » La chercheuse effectue sur place des recherches pour son mémoire de master sur la scolarisation des femmes autochtones au Chiapas. Elle traduit notamment certains textes de l’anthropologue afro-dominicaine lesbienne Ochy Curiel qui propose une approche décoloniale du féminisme. « C’est important de souligner l’agentivité des femmes latinas en général, et dominicaines en particulier, car leur apport, pourtant conséquent, est souvent négligé », insiste-t-elle.

Dans Pax neoliberalia. Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence (éditions iXe, 2016), Jules Falquet étudie aussi le concept de féminicide. Largement répandu dans la sphère hispanophone, il se diffuse en France à partir des années 2010, à la faveur de la campagne de Jean-Michel Bouvier pour que le meurtre de sa fille Cassandre et de son amie Houria Moumni, survenu à Salta (Argentine) en 2011, soit reconnu comme spécifiquement lié à leur genreLes deux touristes françaises ont été violées et tuées le 15 juillet 2011 alors qu’elles randonnaient dans le nord de l’Argentine. Un seul des trois suspects a été reconnu coupable de viol et de meurtre ; il a été condamné à trente ans en juin 2014.. En 2014, l’association Osez le féminisme demande la reconnaissance officielle de ces « meurtres misogynes », avant que le mot entre dans le Petit Robert en 2015.

L’une des particularités du triple assassinat des sœurs Mirabal, c’est qu’il s’agit d’un féminicide, perpétré à une époque où ce concept n’avait pas encore été formulé. Il est alors au stade d’une « non-idée politique », au sens où l’entend la docteure en sciences politiques Margot Giacinti dans son livre Le Commun des mortelles. Faire face au féminicide (Divergences, 2025) : « Une idée qui, quoique présente dans les théorisations (des) subalternes depuis le XIXe siècle, ne sera conceptualisée sous le terme féminicide et ne fera événement qu’à l’approche du XXIe siècle. »

Le mot « féminicide » est utilisé une première fois en public, en mars 1976 à Bruxelles, à l’occasion du Tribunal international des crimes contre les femmes, un forum féministe important de cette décennie (lire notre article dans La Déferlante n° 12). Diana Russell, l’une des organisatrices venues des États-Unis, l’utilise pour qualifier les meurtres conjugaux dans un discours précurseur, dont il ne reste aucune trace dans les archives. La vraie théorisation de ce terme date de 1992, quand paraît l’ouvrage collectif Femicide: The Politics of Woman Killing (Twayne Publishers, non traduit en français), codirigé par Diana Russell et la criminologue britannique Jill Radford.

Sa définition dépasse le cadre conjugal pour recouvrir tous les pans de la vie d’une femme. Dans un chapitre intitulé « Le terrorisme sexiste contre les femmes » rédigé avec Jane Caputi, le mot est défini en ces termes : « Le féminicide se situe à l’extrême d’un continuum de terreur antiféminine incluant une grande variété de violences sexuelles et physiques, telles que le viol, la torture, l’esclavage sexuel […] l’hétérosexualité forcée, la stérilisation forcée, la maternité forcée (en criminalisant la contraception et l’avortement), la psychochirurgie, la sous-nutrition des femmes dans certaines cultures… » 

La diffusion d’un concept

L’ouvrage de Diana Russell et Jill Radford, pierre angulaire de la lutte contre les féminicides, va voyager en Amérique latine où des chercheuses s’en emparent pour inspirer des enquêtes de terrain. Celle de Ciudad Juárez, à la frontière nord du Mexique, est probablement la plus connue, car la découverte de fosses communes dans les années 1990 et le phénomène massif des disparitions forcées de femmes ont été médiatisés par la presse internationale.

Des chercheuses, elles-mêmes médiatiques, ont aussi travaillé sur ce terrain, dont l’Argentino-Brésilienne Rita Laura Segato (lire son portrait dans le numéro 14 de La Déferlante). Dans les articles de référence, le travail de Montserrat Sagot et Ana Carcedo au Costa Rica est aussi souvent mentionnéLire à ce sujet la thèse de Mariana Rojas Mora : « “Vivas en la memoria” : tensions pour la reconnaissance et luttes pour la justice autour des fémicides au Costa Rica », université Paris Cité, 2022.. On sait moins, en revanche, que les Dominicaines ont été parmi les pionnières de la recherche sur le féminicide, avec par exemple, le travail d’enquête de Susi Pola sur les féminicides perpétrés de 2000 à 2006 en République dominicaine.


« Honorons la mémoire de celles qui, comme Patria, Minerva et María Teresa, dans leurs heures les plus difficiles, ont été des colonnes de marbre qui ont résisté. »

Minou Tavárez Mirabal, fille de Minerva Mirabal

En France, les universitaires ne s’emparent véritablement du concept qu’à partir de 2016, grâce notamment à la petite-fille d’une des trois Mariposas, Camila Minerva Rodríguez Tavárez, venue étudier dans les années 2010 à Sciences Po Paris, sur le campus de Poitiers spécialisé dans le monde latino-américain. C’est elle qui fait découvrir les détails de l’histoire de ses aïeules à ses professeur·es. Sa mère, Minou Tavárez Mirabal, est invitée à participer à un colloque en 2016. Fille de Minerva et Manolo, elle est devenue femme politique en République dominicaine et préside le conseil de direction du Fonds au profit des victimes de la Cour pénale internationale. « On connaissait l’histoire de l’assassinat des sœurs Mirabal, qui rentrait pour nous dans un cadre de violences politiques. Rencontrer sa fille nous a fait prendre conscience que c’était aussi une violence de genre », estime l’historien Frédéric Chauvaud. Sa collègue Lydie Bodiou, coorganisatrice du colloque, relève : « C’est la première fois qu’on s’emparait de ce terme et de ce concept pour en faire un objet de recherches scientifiques. »

Ce colloque a donné naissance à l’ouvrage On tue une femme. Le féminicide. Histoire et actualités (Hermann, 2019), auquel a également contribué Jules Falquet, qui sert de relais à la diffusion académique du concept de féminicide en France. Minou Tavárez Mirabal en signe l’épilogue : « Minerva Mirabal et ses sœurs ne reposent pas en paix. […] Parce que, aujourd’hui encore, les défis et les préoccupations politiques et sociales qu’elles ressentaient pour la démocratie, pour la justice, pour les droits de l’homme et ceux des femmes restent des défis pour notre société. »

Deux pancartes en hommage aux sœurs Mirabal et à la militante kurde Nagihan Akarsel lors d'une manifestation.
Le 25 novembre 2022 à Marseille, des manifestantes féministes brandissent des pancartes en hommage aux soeurs Mirabal et à la militante kurde Nagihan Akarsel.
Crédit : PHOTO12 / ALAMY / SOPA IMAGES, SOPA IMAGES LIMITED

Le 25 novembre 2024, vingt-cinq ans après que l’ONU a décrété que cette date aurait une portée internationale, Minou Tavárez Mirabal a été invitée à la tribune des Nations unies à New York pour parler du rôle politique de sa mère et de ses tantes en République dominicaine. « Honorons la mémoire de celles qui, comme Patria, Minerva et María Teresa, dans leurs heures les plus difficiles, ont été des colonnes de marbre qui ont résisté », dit-elle encore. Pour leur fille et nièce, cet héritage est un défi – conserver l’espoir, briser la peur dans ces temps obscurs – autant qu’un horizon utopique : il s’agit de se projeter « vers cet avenir meilleur que l’humanité mérite ».

Sergia Galván Ortega, qui a travaillé pour le ministère dominicain des droits des femmes, retient l’essentiel : « Je me sens fière d’avoir fait partie de cette histoire, qui prouve ce dont le mouvement féministe est capable. »

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