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30.04.2025 à 18:30

Osaka 2025 : l’avenir, c’est du passé

hschlegel

Osaka 2025 : l’avenir, c’est du passé hschlegel mer 30/04/2025 - 18:30

« Il y a quelques jours, j’ai visité l’Exposition universelle d’Osaka. La capitale du Kansai avait déjà accueilli cette manifestation il y a un demi-siècle, et je me suis imaginé dans la peau d’un voyageur temporel glissant d’Osaka 1970 à Osaka 2025 : quelles différences entre les deux versions du futur ? Je vous résume : 2025 c’est comme 1970, mais en vieux.

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Selon la Convention de 1928 qui les réglemente, la raison d’être d’une Exposition universelle est de proposer “l’inventaire des moyens dont dispose l’homme pour satisfaire les besoins d’une civilisation”. Ce genre d’expos est bien d’autres choses aussi – parc d’attractions, office de tourisme, vitrine architecturale, etc. –, mais ladite raison est au cœur du projet né au temps des grandes utopies industrielles du XIXe siècle. Elle suppose d’offrir aux visiteurs un promontoire d’où ils pourront jeter un coup d’œil dans un futur piloté par de nouvelles machines et inventions. Et c’était l’ambition de l’Exposition universelle d’Osaka en 1970, sorte de couronnement du “miracle économique” qui a fait du vaincu de la Seconde Guerre mondiale la deuxième puissance industrielle parmi les démocraties occidentales. Mais le succès n’est pas seulement économique. Les ados des années 1970 s’en souviennent : la modernité, à l’époque, est largement portée par Sony, Panasonic, Nikon, Fuji et tous les barons de l’image et du son dont les bannières publicitaires flottent sur les grandes cités du monde occidental. Sans oublier les promesses fantasmatiques de la robotique, dont le Japon est alors le champion incontestable. “Le Japon est devenu le laboratoire d’une nouvelle culture”, écrit Noboru Kawazoe, l’un des penseurs en amont de l’expo d’Osaka ’70. Et il a raison. 64 millions de visiteurs (un record !) vont à l’époque se presser dans un décor architectural futuriste à souhait, où ils peuvent croiser des robots géants inspirés par le maître du manga Osamu Tezuka ou s’imaginer se prélassant dans une baignoire futuriste, sorte de suppositoire géant mi-plexiglas, mi-plastique, fonctionnant aux ultrasons. Dans le pavillon américain comme dans son homologue soviétique, les files s’allongent pour observer les roches rapportées de la Lune avec Apollo 11 ou admirer les Soyouz siglés “CCCP”. Mais le vrai marqueur du futur n’est pas tant l’espace que l’image : les visiteurs peuvent voir un film au format Imax, tester les premiers téléphones portables ou des “vidéophones”… Les nombreux reportages d’alors en témoignent, le futur vu d’Osaka ’70 est plutôt optimiste. On y enterre même solennellement une capsule temporelle, à ouvrir en 6970.

Qu’est-ce qui a changé en 55 ans ? Comme disait l’autre, il y a du bon et du neuf, mais le bon n’est pas neuf et le neuf n’est pas bon : j’ai retrouvé une nouvelle baignoire du futur, à peine améliorée (l’inventeur de la précédente a repris du service pour l’occasion). Moyennant une patience que je n’ai pas eue, j’aurais pu faire la queue quelques heures pour passer une “porte du futur” me permettant de rencontrer via une IA celui que je serai dans 25 ans (entre film catastrophe et film d’horreur). Découvrir des sneakers éternelles, à savoir des baskets faites d’un matériau qui “se régénère comme des cellules”, ou un “cœur” fabriqué à partir de cellules souches pluripotentes induites. Mais au fond, ce qui m’a frappé le plus dans cette exposition, c’est le vide abyssal de toute pensée du futur. À l’image de ce pavillon français qui célèbre les malles Vuitton et les (au demeurant très belles) robes Dior. Sans compter – ce devait être l’une des attractions phares de l’expo – une voiture volante misérablement tombée en panne avant son essai. La voiture volante imaginée par Robida à la fin du XIXe siècle comme symbole de l’impossibilité de notre temps d’imaginer un futur qui ne soit pas usagé ? Vivement le retour des utopies. »

avril 2025

30.04.2025 à 17:00

Qui a peur de la psychiatrie ?

hschlegel

Qui a peur de la psychiatrie ? hschlegel mer 30/04/2025 - 17:00

Les récents assassinats d’une lycéenne et d’un jeune musulman font l’objet de moult récupérations politiques. Un sujet demeure cependant absent du débat public : le manque cruel de psychiatres. Un refoulement de la folie qui puise ses sources dans notre tradition philosophique. L’analyse de Valentin Husson.

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Un lycéen, adorateur d’Hitler, a poignardé de cinquante coups de couteau une camarade ; un autre a assassiné de manière ignominieuse un fidèle musulman qui faisait la prière. Les responsables politiques s’écharpent sur les motifs de ces actes : on invoque tantôt l’islamophobie, tantôt le masculinisme ou encore l’écologie radicale… Dans ce brouhaha de récupérations politiciennes, peu de personnes parlent du manque cruel de psychiatres. Ces individus, peut-être psychotiques, auraient pu ou dû être pris en charge par des services spécialisés. Les personnes atteintes de troubles psychiques, hélas, n’intéressent personne. C’est pourtant un enjeu crucial pour notre société. Qui donc a peur de la psychiatrie ? Et pourquoi un tel refoulement de celle-ci ? 

Pas de “folisophie”

Les philosophes, il faut bien le dire, ont largement participé à ce déni. Pour quelle raison ? C’est que la philosophie s’est définie comme une maîtrise de soi. La philosophie est un exercice spirituel qui, par l’usage la raison, a pour but de nous rendre tempérants et sages. L’amour de la sagesse est la recherche de cette modération. Cette mesure constitue même la plus haute moralité de l’être humain, ainsi que le dit Aristote dans son Éthique à Nicomaque.

“La vertu morale est le juste milieu entre deux vices, l’un par excès, l’autre par défaut ; elle vise le milieu relativement à nous, tel que le déterminerait la droite raison, celle de l’homme prudent”

Aristote, op. cit.

Ainsi, seule la rationalité est estimable, et seule celle-ci est prise en compte par la philosophie. Le contraire de la sagesse est la folie. Quand Descartes, dans les Méditations métaphysiques (1641), doute de sa propre rationalité, il évoque la folie. Celle-ci balayerait le « je pense » et la certitude d’exister, en plongeant le sujet dans le vertige de ce qui abolit toute conscience et tout discernement du vrai et du faux. À chaque fois, la philosophie rejette le fou comme la part d’ombre de la raison, comme ce qui viendrait la menacer, comme ce qui inquiéterait son discours et ses fondations. C’est la philosophie elle-même qui se sauve dans ce geste d’exclusion en se protégeant de ce qui la défierait dans son raisonnement. Le philosophe n’est pas fou. La folie ne peut donc pas être philosophique. Il n’y a pas – pour reprendre un mot de Lacan – de « folisophie » (Séminaire XXIII, « Le Sinthome »).

“Si Foucault a fait entrer la folie comme objet digne d’intérêt pour la philosophie, il a dans un même geste a balayé la possibilité de la prendre en charge”

 

Ce geste d’exclusion aux marges de son discours, Foucault l’a repéré le premier dans son Histoire de la folie à l’âge classique. Le fou était, au Moyen Âge et à la Renaissance, accepté dans les frontières de la société ; il avait une fonction sociale, notamment celle d’être le fou du roi – seul habilité à dire la vérité au souverain –, on l’intégrait à un discours rationnel (avec le fameux Éloge de la folie d’Érasme), mais au tournant du XVIIe siècle, il fut mis au ban. On l’enferma dans un hôpital avec tous ceux qui étaient jugés déviants – pauvres, mendiants et prostituées. Au XIXe siècle, la psychiatrie prit le relais en médicalisant la folie et en l’enfermant dans une norme, opposant la normalité de la raison à la pathologie de la démence qu’il faudrait soigner. S’il faut reconnaître à Foucault d’avoir fait entrer la folie comme objet digne d’intérêt pour la philosophie, il faut aussi reconnaître que, dans un même geste, il a balayé la possibilité de la prendre en charge, en voyant simplement dans la psychiatrie un pouvoir médical sur les âmes qui serait constitutif d’une société de contrôle basée sur le biopouvoir.

“Ce n’est dès lors plus la folie que la philosophie exclut, mais la médecine et la psychiatrie”

 

Ce n’est dès lors plus la folie que la philosophie exclut, mais la médecine et la psychiatrie. Au motif que par leur normativité et leur scientisme, elles réduiraient l’individu à une donnée mesurable, à un objet qui ne serait plus sujet, et qui verrait par là sa liberté être niée en même temps que sa responsabilité morale. Le déterminisme (biologique ou non) n’a pas bonne presse chez les philosophes…

Rejet de la psychanalyse

La philosophie qui, pourtant, s’était définie avec Socrate comme la médecine de l’âme, se renie alors au XXe siècle, et elle exclut ce qui pourrait soigner la chose même qu’elle redoutait comme sa négativité. Du reste, ce n’est pas uniquement la psychiatrie qui est balayée d’un revers de main ; c’est aussi la psychanalyse. Celle-ci aura déclenché, dès son commencement, une résistance inouïe des philosophes. Karl Popper reproche à la psychanalyse de ne pas être une science ; Sartre critique sa dimension mécaniste qui évacue la liberté humaine et la responsabilité que l’homme a à l’égard de celle-ci (la mauvaise foi, c’est l’inconscient !) ; Foucault l’envisage comme une continuité de la normativité psychiatrique ; Deleuze comme un appareil répressif bourgeois qui empêche les flux révolutionnaires en réduisant tout au théâtre familial papa-maman-moi. Tous ces penseurs, donc, ont résisté à la psychanalyse, au sens même que l’on donne à la résistance dans une cure analytique : à savoir ce qui fait obstacle à tout accès à sa vérité psychique et inconsciente, et à toute possibilité de soigner ses symptômes, lesquels nuisent à la réalisation de son désir. La philosophie a été, et reste encore, une gigantesque entreprise de recouvrement des découvertes psychiatriques et psychanalytiques.

“La philosophie a été, et reste encore, une gigantesque entreprise de recouvrement des découvertes psychiatriques et psychanalytiques”

 

Cet ensevelissement est aujourd’hui plus que préoccupant. Car ce n’est pas exclusivement notre vieille philosophie, qui a tant fait pour nous, qui s’aveugle à ce propos, mais la société tout entière. Chacun sait qu’il y a comme une honte à parler de ses problèmes psychologiques. Qui avoue facilement qu’il est angoissé ? Qui ose parler librement de sa dépression ? Le burn-out est un voile de pudeur qui aujourd’hui délie les langues : « Non, ce n’est pas un épisode dépressif, c’est un épuisement professionnel. » Autre version pour dire : « Rassurez-vous, je suis un salarié discipliné, et si je suis malade, c’est que j’ai trop travaillé, c’est que j’ai été le bon élève du système capitaliste, dont je suis le serviteur volontaire. » Et comme par magie, la dépression devient socialement acceptable ! « Ah, ce n’est pas un trouble psychique, c’est une fatigue de besogneux ! » C’est que dans un monde où notre pensée a été largement déterminée par le contrôle et la maîtrise de soi – celle nommément du sage –, toute perte de contrôle ou de maîtrise équivaut à un naufrage dans la folie ou à un manque de courage. « Allez, ressaisis-toi, un peu de nerfs, ne te laisse pas aller ». Quand on veut, on peut.

Développement personnel contre thérapie

Le développement personnel est le nom de cette culpabilisation des individus. Il ne fait qu’accompagner le dispositif époqual de la haine de soi, en produisant des injonctions intenables – et par conséquent culpabilisantes – de performance, de confiance en soi, de volontarisme, de contrôle de soi, de santé psychique et physique. Or notre corps est déterminé comme la pierre, chez Spinoza, dans son mouvement ; et la volonté, si elle ignore les causes inconscientes qui nous agitent, ne peut rien. Le développement personnel est ce discours illusoire qui nous culpabilise de ne pas réussir à éviter la chute des corps. C’est malgré nous que nous tombons en dépression, ou que nous angoissons. Le schizophrène, le paranoïaque ou le bipolaire n’y peuvent rien de leur pathologie. Mais ce caractère involontaire, au moins pour le névrosé ou le bipolaire, ne peut être une justification pour se défausser de son existence. La psychiatrie, dans sa dimension médicale, est là pour encadrer ces sujets et les accompagner, si nécessaire, par un protocole médicamenteux qui pourrait stabiliser leurs symptômes. Et la thérapie analytique vise à responsabiliser le sujet — contrairement à ce que suppose Sartre — en l’empêchant de se réfugier derrière son symptôme pour excuser ce qu’il n’est pas, ou ce qu’il n’arrive pas à devenir.

“La politique est le lieu privilégié du délire”

 

Pas plus que la pathologie est une excuse, elle ne peut expliquer tout entièrement les gestes criminels. Ce lycéen ne tue pas parce qu’il souffre d’une maladie mentale (à supposer que ce soit le cas), il tue parce que sa psychologie se mêle à un contexte politique. Est-ce ce que Lacan voulait dire, lorsqu’il formulait : « L’inconscient, c’est la politique » (Séminaire XIV, « La logique du fantasme ») ? Le lycéen qui délire sur Hitler comme le meurtrier qui délire sur l’islam sont les symptômes d’une politique polarisée par les extrêmes. C’est un cercle vicieux : ces individus fragiles, laissés sans prise en charge par une démission du politique, sont ensuite instrumentalisés pour accentuer les fractures partisanes – ce qui aggrave encore l’instabilité de ceux qui sont déjà fragilisés. La politique est le lieu privilégié du délire. Et lorsque les politiques eux-mêmes délirent, certains individus investissent leurs discours jusqu’à commettre l’irréparable. Il ne faudrait pas faire peser sur les seules et uniques épaules des malades des actes auxquels la société participe. Ce serait la double peine : déjà abandonnés par les autorités, ils seraient accusés de la panique ambiante et de l’extrémisation du monde.

Quand la paranoïa est au pouvoir, il ne faut pas s’étonner que des paranoïaques passent à l’acte. L’absence de soin et le déni politique arment parfois les psychotiques. Il n’y a pas de délirants politiques sans politiques délirants. Le refoulement a assez duré. La santé psychique des individus devrait être l’une des priorités de notre monde contemporain, mais pour cela, il nous faut sortir du déni et mettre en place une politique de la santé incluant la psychiatrie et la psychanalyse.

avril 2025

30.04.2025 à 15:40

Choses vues pendant la grande panne électrique en Espagne

hschlegel

Choses vues pendant la grande panne électrique en Espagne hschlegel mer 30/04/2025 - 15:40

Que devient le monde lorsque la fée électricité nous lâche ? Notre journaliste Alexandre Lacroix raconte son expérience de la grande panne à Séville, en Espagne, et puise dans sa lecture de Heidegger pour en tirer quelques leçons philosophiques.

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Je fais partie de ceux qui ont vécu de l’intérieur la panne d’électricité géante qui a frappé l’Espagne et le Portugal.

Ce lundi 28 avril 2025, j’étais à Séville. La panne est survenue dans la matinée, moment où je me promenais au hasard des rues dans le centre historique. Ce qui est révélateur de notre dépendance à la technologie, c’est que je me suis aperçu que quelque chose clochait non parce que j’ai remarqué une anomalie dans le monde réel, mais parce que je n’arrivais plus à faire fonctionner Google Maps, pour retrouver mon chemin vers la Fabrique de tabac où j’avais rendez-vous avec des amis. J’ai redémarré mon téléphone, ouvert et fermé l’application plusieurs fois, avant de comprendre que je n’avais plus de connexion Internet. J’ai voulu appeler mes amis pour les prévenir de mon retard, mais ne pouvais pas me servir du téléphone non plus, il n’y avait pas de réseau. C’est alors que les signes de la rupture de courant ont commencé à devenir patents. Je me suis mis à entendre de multiples sirènes de pompiers et de police. Comme les feux rouges de cette ville de près de 700 000 habitants se sont brusquement éteints, les collisions se sont multipliées, il y avait des accidents à tous les coins de rue. De gigantesques embouteillages ont commencé à se former aux carrefours. Les magasins étant éteints, l’une des premières pensées qui m’est venue est que, si la panne se prolongeait, on allait vers un monstrueux gaspillage alimentaire : l’ensemble du contenu des congélateurs, les viandes et les poissons, les glaces, les victuailles accumulées dans cette ville hyper-touristique allaient vite se trouver incomestibles…

Récalcitrance de l’util

Alors, j’ai repensé aux passages pompeux et artificiels de Martin Heidegger dans Être et Temps (1927), sur la « déshérence de l’util ». Dans notre civilisation technique et capitaliste, nous serions, d’après le philosophe allemand, perpétuellement préoccupés par nos activités de production et de consommation. Mais quand l’util – ou l’outil – vient à faire défaut, à dérailler, nous tenons l’occasion de quitter le mode de la préoccupation superficielle et de revenir à l’essentiel, nous sommes enfin disponibles pour une grande rencontre avec l’Être. Dans ma fiche de lecture d’étudiant, j’avais résumé ces passages ainsi : « 1) Quand l’outil est endommagé, il surprend (mode de la surprenance) ; 2) il arrive aussi qu’il n’y ait pas moyen de mettre la main sur l’util (importunance) ; 3) il arrive que quelque chose se mette en travers de la route (récalcitrance). » Surprenance, importunance et récalcitrance seraient des expériences libératrices pour l’humain de l’ère industrielle, selon Heidegger. Fichu idéalisme allemand ! Franchement, ce que je n’ai pas tardé à comprendre, c’est qu’une masse énorme d’emmerdements n’allait pas tarder à s’accumuler.

“Selon Heidegger, quand l’‘util’ – ou l’outil – vient à dérailler, nous tenons l’occasion de revenir à l’essentiel”

 

Il n’était plus possible de payer par carte bleue, et bien sûr, j’ai perdu l’habitude de garder du liquide sur moi. J’avais seulement 26 euros pour manger et rejoindre l’aéroport. Celui-ci est situé à 11 kilomètres du centre-ville. Les bus ne passaient plus, parce qu’ils étaient bloqués dans certains nœuds d’embouteillage. Les taxis ne voulaient pas non plus charger des clients, parce que, sans Maps ni Waze, ils ne connaissaient plus les itinéraires, ils ne savaient plus faire leur métier. Aussi, ils restaient à l’ombre sous des arbres, à papoter entre eux. J’ai finalement réussi à payer un taxi par carte bleue (par miracle, son terminal d’encaissement sur batterie a fonctionné !) et j’ai gagné l’aéroport, juste à temps pour monter dans l’avion. Au bout de deux heures d’attente dans la cabine, l’appareil restant immobile sur le tarmac, on nous a cependant fait descendre. Il n’y aurait plus de vols pour la journée. L’aéroport, au milieu de la panne géante, était un lieu résolument anti-heideggérien : c’était un îlot électrifié, car pour des raisons de sécurité militaire, les aéroports ont leurs propres générateurs et une belle marge d’autonomie. À peine sorti de l’avion, j’ai erré dans le duty free pour trouver un petit coin avec assez de Wi-Fi, et j’ai réservé un avion low cost pour le lendemain, 6h35, aussitôt, sans attendre aucune information de la compagnie qui venait d’annuler le premier vol. Bien m’en a pris ! Une heure plus tard, il n’y avait plus aucune place dans les avions pour Paris avant le mercredi ou le jeudi, et les gens ont commencé à réserver pour n’importe quelle destination vers le royaume enchanté de la fée électricité, Nantes, Lyon, Marseille, Bruxelles… Le téléphone et Internet ne fonctionnant pas en dehors de l’aéroport, j’ai dû me rendre à l’évidence : il était impossible de réserver le moindre hôtel. Les premiers étaient situés à plus de deux heures à pied, cela n’avait de toute façon aucun sens. J’ai donc pris la décision de dormir par terre. Là, j’ai mesuré l’avantage du métier d’écriture. Finalement, cet inénarrable Martin n’avait peut-être pas faux sur toute la ligne : des circonstances inattendues venaient de m’offrir un sacré paquet d’heures de travail sur mon livre en cours. J’ai acheté quatre ou cinq mini-bouteilles de vin au snack pour échauffer un peu mon inspiration, et me suis plongé dans mon manuscrit. Vers 1h30 du matin, je me suis allongé pour dormir. À 4h30, j’ai été réveillé par un sourd vrombissement d’une ampleur phénoménale. Attaque surprise d’un essaim de sauterelles ? J’ai ouvert les yeux, pour constater qu’il y avait des milliers de personnes dans le hall de l’aéroport de Séville : les guichets d’enregistrement venaient d’ouvrir, tous les vols étaient pleins. Impossible de prolonger cette courte nuit ! J’ai passé les contrôles et me suis replongé dans mon fichier Word.

Le calme avant l’effondrement ?

Ce que je retire de cette expérience, c’est que je n’ai constaté à aucun moment la moindre agressivité, ni le moindre énervement. Les gens sont restés extrêmement calmes. À mon sens, ce n’est pas tant que la nature humaine est coopérative, mais que les Européens sont habitués à un prodigieux confort assuré par l’État-providence. Personne n’a sérieusement douté, pendant ces heures de disruption, que la puissance publique tutélaire veillant sur nous allait rapidement permettre le retour à la normale. Il a bien dû venir à l’idée de quelques-uns que Poutine venait d’attaquer l’ancien pays de Franco (mais pourquoi ? ses amis du Parti populaire y ont le vent en poupe), mais évidemment cela n’a aucun sens, c’est un raisonnement complotiste. Les gens n’ont pas pensé que c’était le début d’une guerre, encore moins de l’effondrement de la civilisation industrielle prédit par les collapsologues. Non, tout le monde a traversé cela comme une parenthèse. Mais c’est là qu’on peut s’interroger : dans le siècle qui vient, connaîtrons-nous en Europe de l’Ouest des disruptions qui ne seront pas de simples parenthèses ? 

avril 2025

30.04.2025 à 08:00

Travailler sur soi ou sur ses relations : comment les classiques de la philosophie nous aident à réparer nos erreurs

nfoiry

Travailler sur soi ou sur ses relations : comment les classiques de la philosophie nous aident à réparer nos erreurs nfoiry mer 30/04/2025 - 08:00

C’est précisément parce qu’une étape nous a échappé dans l’erreur que nous sommes tentés de la réparer. Comment s’y prendre ? Sur ce point, les recommandations des philosophes divergent, et on peut les répartir en deux grandes écoles : mener un travail sur soi ou réformer nos relations avec les autres. Tour d'horizon, de Montaigne à John Stuart Mill, dans le grand dossier de notre tout nouveau numéro.

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