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12.11.2025 à 14:47

Nicolas Sarkozy interdit de contact avec Gérald Darmanin : l’indépendance de la justice renforcée ?

Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre

Nicolas Sarkozy, mis en liberté sous contrôle judiciaire, ne peut entrer en contact avec les personnes liées à l’enquête ni avec le ministre de la justice Gérald Darmanin, qui lui avait rendu visite en prison.
Texte intégral (2057 mots)

Nicolas Sarkozy a été mis en liberté sous contrôle judiciaire, lundi 10 novembre, par la Cour d’appel de Paris. Il n’a plus le droit de quitter le territoire, et ne doit pas entrer en contact avec les personnes liées à l’enquête ni avec le ministre de la justice Gérald Darmanin. Cette interdiction est liée à la visite que lui a rendu le ministre en prison, interprétée comme une pression exercée sur les magistrats. Le contrôle judiciaire de l’ancien président de la République va donc dans le sens d’une réaffirmation du principe d’indépendance des magistrats vis-à-vis du pouvoir exécutif. Au-delà de l’affaire Sarkozy, quelles sont les capacités d’influence du pouvoir exécutif sur la justice ?


Le 10 novembre 2025, la Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande de mise en liberté de Nicolas Sarkozy. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, cette décision n’est nullement le résultat des pressions diverses qui pèsent sur l’institution judiciaire depuis le prononcé de la condamnation de l’ancien chef de l’État. D’une part, la Cour d’appel a estimé que les conditions de la détention provisoire n’étaient pas réunies, aucun élément objectif ne laissant craindre que l’ancien chef de l’État soit tenté de prendre la fuite avant le jugement définitif de son affaire. D’autre part, et surtout, la Cour a assorti la mise en liberté d’un contrôle judiciaire strict, interdisant en particulier à M. Sarkozy tout contact avec le garde des sceaux Gérald Darmanin et avec son cabinet, considérant que de tels liens lui permettraient d’influer sur le cours de la procédure.

Ce faisant, la juridiction vient non seulement réaffirmer l’indépendance du pouvoir judiciaire, mais aussi apporter une réponse à la polémique soulevée par la visite du garde des sceaux, agissant à titre officiel, à l’ancien locataire de l’Élysée incarcéré, le 27 octobre. Cette démarche avait en effet suscité de nombreuses critiques au sein du monde judiciaire, à l’image des propos du procureur général de la Cour de cassation dénonçant un risque « d’obstacle à la sérénité et d’atteinte à l’indépendance des magistrats » ou, plus encore, de la plainte pour prise illégale d’intérêt déposée à l’encontre du ministre par un collectif d’avocats.

Le ministre de la justice peut-il rendre visite à un détenu ?

Au-delà de la polémique médiatique, c’est d’abord l’état de la relation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire – sensément séparés et indépendants – que cette visite interroge. Certes, les textes actuels permettent bien au ministre, au moins indirectement, d’y procéder. Le Code pénitentiaire reconnaît en effet à certains services de l’administration pénitentiaire le droit de procéder à des visites de contrôle du bon fonctionnement des établissements carcéraux. Dans la mesure où le ministre de la justice est à la tête de cette administration, rien ne lui interdit donc, en théorie, de procéder lui-même à de telles visites. Par ailleurs, toute personne détenue « peut demander à être entendue par les magistrats et fonctionnaires chargés de l’inspection ou de la visite de l’établissement, hors la présence de tout membre du personnel de l’établissement pénitentiaire ». Ainsi, le cadre juridique aujourd’hui applicable au contrôle des prisons n’interdit pas au garde des sceaux de visiter lui-même un établissement et de s’entretenir, à cette occasion, avec les personnes incarcérées.

Mais c’est justement un tel cadre qui, du point de vue de la séparation des pouvoirs, mérite d’être questionné. Faut-il le rappeler, c’est toujours en vertu d’une décision de l’autorité judiciaire qu’un individu peut être mis en prison, qu’il s’agisse d’un mandat de dépôt prononcé avant l’audience ou de la mise à exécution d’un jugement de condamnation définitif. C’est également l’autorité judiciaire, en la personne du juge d’application des peines, qui est seule compétente pour décider des mesures d’aménagement des peines d’emprisonnement (réduction de peines, semi-liberté, libération conditionnelle…). Et si la direction de l’administration pénitentiaire peut prendre seule certaines décisions (placement à l’isolement, changement d’établissement…), c’est sous le contrôle du juge administratif, non du ministre.

C’est pourquoi la visite dans un établissement carcéral du garde des sceaux, lequel – à la différence des fonctionnaires placés sous son autorité – est membre du pouvoir exécutif, est toujours porteuse d’un risque d’immixtion ou de pression, au moins indirecte, sur le pouvoir judiciaire. Tel est notamment le cas quand cette visite a pour seul objet d’accorder, sinon un soutien, du moins une attention particulière à un détenu parmi d’autres, quand les juges ont pour mission de traiter chacun d’entre eux sur un strict pied d’égalité.

À cet égard, il est intéressant de relever que les autres autorités habilitées – aux côtés des magistrats – à se rendre en prison ont, quant à elles, pour seule attribution de veiller au respect des droits fondamentaux de l’ensemble des personnes emprisonnées, à l’image du défenseur des droits et du contrôleur général des lieux de privation de liberté ou, encore, du comité de prévention de la torture du conseil de l’Europe.

Les leviers du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire

La polémique suscitée par la visite faite à l’ancien chef de l’État a ainsi le mérite de mettre en lumière à quel point le pouvoir exécutif dispose, encore aujourd’hui, de nombreux leviers pour intervenir plus ou moins directement dans le champ d’intervention du pouvoir judiciaire. Ainsi, ce qui est vrai pour l’exécution des peines l’est, plus encore, pour l’exercice de la police judiciaire, c’est-à-dire l’ensemble des actes ayant pour objet la constatation et l’élucidation des infractions pénales. Alors que l’ensemble des agents et officiers de police judiciaire sont en principe placés sous l’autorité exclusive du procureur de la République ou – lorsqu’il est saisi – du juge d’instruction, ils demeurent en pratique sous l’autorité du ministre de l’intérieur, seul compétent pour décider de leur avancement, de leurs mutations et, plus largement, de leurs conditions générales de travail. C’est en particulier le ministère qui décide, seul, de l’affectation des agents à tel ou tel service d’enquête, du nombre d’enquêteurs affectés à tel service et des moyens matériels qui leur sont alloués. En d’autres termes, les magistrats chargés des procédures pénales n’ont aucune prise sur les conditions concrètes dans lesquelles leurs instructions peuvent – ou non – être exécutées par les services de police.

Mais le pouvoir exécutif dispose d’autres leviers lui permettant d’exercer encore plus directement son influence sur le cours de la justice. Les magistrats du parquet sont ainsi placés sous la stricte subordination hiérarchique du garde des sceaux, seul compétent pour décider de leur affectation, de leur avancement, et des éventuelles sanctions disciplinaires prises à leur encontre.

Une situation de dépendance institutionnelle qui explique que, depuis plus de quinze ans, la Cour européenne des droits de l’homme considère que les procureurs français ne peuvent être regardés comme une autorité judiciaire au sens du droit européen. Si les magistrats du siège bénéficient quant à eux de réelles garanties d’indépendance, ils ne sont pas à l’abri de toute pression. Certes, ils sont inamovibles et le Conseil supérieur de la magistrature a le dernier mot sur les décisions disciplinaires et les mutations les concernant. Toutefois, si les juges ne peuvent être mutés contre leur gré, c’est le ministère qui reste compétent pour faire droit à leurs demandes de mutation, le Conseil n’intervenant que pour valider (ou non) les propositions faites par les services administratifs – à l’exception des présidents de tribunal et des magistrats à la Cour de cassation, qui sont directement nommés par le Conseil supérieur de la magistrature.

Des juridictions dépendantes du ministère pour leur budget

Par ailleurs, alors que le conseil d’État négocie et administre en toute indépendance le budget qui lui est confié pour la gestion des juridictions de l’ordre administratif, les juridictions judiciaires ne bénéficient quant à elles d’aucune autonomie budgétaire. Là encore, c’est le ministère de la justice qui, seul, négocie le budget alloué aux juridictions et prend les principales décisions quant à son utilisation, notamment en matière d’affectation des magistrats et des greffiers à telle ou telle juridiction et en matière immobilière. Le pouvoir exécutif dispose ainsi d’une influence considérable sur l’activité concrète des tribunaux et, en particulier, sur leur capacité à s’acquitter de leurs missions dans de bonnes conditions.

Au final, c’est peu dire qu’il existe de significatives marges de progression si l’on veut soustraire pleinement le pouvoir judiciaire à l’influence du pouvoir exécutif. Une émancipation qui, faut-il le rappeler, n’aurait pas pour fonction d’octroyer des privilèges aux magistrats, mais tendrait uniquement à assurer à tout justiciable – et, plus largement, à tout citoyen – la garantie d’une justice véritablement indépendante, à même d’assurer à chaque personne le plein respect de ses droits, quelle que soit sa situation sociale.

The Conversation

Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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12.11.2025 à 14:41

Paris grapples with the remembrance of terrorist attacks, from 1974 to November 13, 2015

Sarah Gensburger, Directrice de recherche au CNRS, Centre de Sociologie des Organisations Sciences Po Paris, Sciences Po

Of the nearly 150 attacks that have taken place in Paris since 1974, only a few have left a mark on its ‘urban memory’. Why do so many attacks remain absent from the public sphere?
Texte intégral (2611 mots)

Since 1974, almost 150 terrorist attacks have either taken place in or departed from Paris. The sinister list includes the attacks against the synagogue on Copernic Street (1980), the Jo Goldenberg restaurant on Rosiers Street in the Marais district (1982), the Tati shop in Rennes Street (1986), as well as two bomb explosions on the RER B commuter train at Saint-Michel (1995) and Port-Royal (1996) stations. However, only a few attacks continue to be recollected in urban memory. Why have so many fallen into oblivion?

On November 13, 10 years after the terrorist attacks in Paris and its northern suburb of Saint-Denis, the French capital’s mayor will open a garden in tribute to the victims, located on Saint-Gervais Square at the back of city hall. Well-tended and original, the new memorial site comes after the plaques that were placed in front of the targeted locations of the attacks in November 2016. Some of the names of the victims have already been honoured in other spaces. This is the case, for example, of Lola Saline and Ariane Theiller, who used to work in the publishing industry and whose names adorn a plaque in the interior hall of the National Book Centre in the 7th arrondissement.

The attacks of November 13 have profoundly transformed the Parisian public space. While commemorative plaques are now more numerous and almost systematic, they also shed light on the memory lapses surrounding most of the terrorist attacks that have taken place in the capital since 1974.

Collective memory and oblivion

In Paris, there are now more than 15 plaques commemorating the various attacks that have taken place in the city and paying tribute to their victims. Spread across seven arrondissements, they commemorate the attacks of October 3, 1980 against the synagogue on rue Copernic (16th arrondissement); August 9, 1982 against the kosher restaurant Jo Goldenberg on rue des Rosiers (4th arrondissement); September 17, 1986 against the Tati store on rue de Rennes (6th arrondissement); and the two explosions that targeted the RER B commuter train on July 25, 1995 at Saint-Michel station (5th arrondissement) and December 3, 1996 at Port-Royal station (5th arrondissement).

The rest of these plaques refer to attacks in January, 2015 (11th and 12th arrondissements), and, above all, November 2015 (10th and 11th arrondissements), with the exception of those commemorating the attack that killed Xavier Jugelé on April 20, 2017 on the Champs-Élysées (8th arrondissement), and the attack that killed Ronan Gosnet on May 12, 2018 on rue Marsollier (2nd arrondissement).

Commemorative plaques for the November 13, 2015 attacks. Fourni par l'auteur

While demonstrating a desire for commemoration, these examples of urban memory also highlight the real memory gap surrounding most of the terrorist attacks that have occurred in Paris in the contemporary period.

How the 1974 attack on the Drugstore Publicis paved the way for modern-day terrorism

The French state has designated 1974 as the starting point of contemporary terrorism. Indeed, this year has been retained as the start of the period that the permanent exhibition of the future Terrorism Memorial Museum aims to cover. And the “victims of terrorism”, who stand apart in France through their right to be awarded a special medal, are those affected by attacks that have occurred since 1974. This choice refers to the attack on the Drugstore Publicis Saint-Germain-des-Prés, which took place in Paris (on the Boulevard Saint-Germain, 6th arrondissement) on September 15 of that year. This chronological milestone is, of course, open to debate, as is any temporal division. However, it is taken here as a given.

Since 1974, historian Jenny Raflik-Grenouilleau has recorded nearly 150 attacks in Paris or originating in Paris in her preliminary research for the Terrorism Memorial Museum. Of this total, 130 attacks resulted in at least one injury and just over 80 resulted in the death of at least one victim. Depending on where one chooses to draw the line between what is worthy of commemoration – from deaths to property damage alone – there are more than 80 attacks and up to nearly 150 in Paris that could potentially have given rise to a permanent memorial in the public space.

The 17 existing plaques therefore concern only a very small minority of the terrorist acts that have taken place in the city. In this respect, the situation in Paris mirrors that described by Kenneth Foote in his pioneering study: plaques are both sources of memory and producers of oblivion. For example, the attack on the Drugstore Publicis Saint-Germain-des-Prés in 1974 left two people dead and thirty-four wounded. Although it is considered the starting point of the contemporary wave of terrorism, there is no plaque to remind passers-by, whether they are Parisians or tourists, many of whom pass through this busy crossroads in the Saint-Germain-des-Prés neighbourhood every day.

Selective narratives and invisible perpetrators

What do the few plaques in Paris that commemorate attacks there have in common?

Firstly, it appears that it is the deadliest attacks that are commemorated, foremost among which, of course, are those of November 13, 2015. All attacks that have claimed at least four lives are commemorated in public spaces. There is only one exception: the bomb attack by a revolutionary brigade in June 1976, which targeted a temporary employment agency to denounce job insecurity. The building’s concierge and her daughter, as well as two residents, were killed.

Only two attacks that resulted in a single death are commemorated: these are the most recent ones, which occurred in 2017 and 2018, and whose victims were named above.

Furthermore, the existing plaques only refer to attacks carried out by Islamist organisations (Armed Islamic Group, al-Qaida, Daesh, etc.) on the one hand, or attacks claimed in the name of defending the Palestinian cause on the other. In this respect, the existing plaques primarily reflect the infinitely more criminal nature of the attacks carried out by these groups, as well as their majority presence. Nevertheless, they consequently only show two sides of terrorism.

Diverse forms of terrorism, but a partial memory

And yet, there has been no shortage of variety since 1974. For example, memory of extreme left-wing terrorism and, to a lesser extent, of extreme right-wing terrorism is nowhere to be found in the public space – notwithstanding their importance in the 1970s and 1980s and the many injuries and deaths left in their wake.

Take, for example, the 1983 attack carried out by far-right group Action Directe at the restaurant Le Grand Véfour, which left Françoise Rudetzki seriously injured as she was having dinner. The event inspired Rudetzski to found SOS Attentats, an organisation that enabled public authorities to compensate terrorism victims. However, even today, there is not a word about the attack on the walls of the building in question in the 1st arrondissement.

The memory gap is all the more puzzling given that the justifications put forward for these invisible attacks have not disappeared. Between July 5 and 21, 1986, Action Directe carried out three successive bomb attacks. The attack on July 9 targeted the police anti-gang squad, killing one officer and injuring 22 others. In their claim, the perpetrators mentioned that they had sought to “avenge” Loïc Lefèvre, a young man killed by a member of the security forces in Paris four days earlier. In October 1988, this time it was Catholic fundamentalists who attacked the Saint-Michel cinema, which was screening Martin Scorsese’s film The Last Temptation of Christ, which they considered blasphemous. The attack injured 14 people. These two examples show how some of the attacks that have remained invisible in the public sphere nonetheless resonate with themes that are still very much present in contemporary public debate, from “police violence” to “freedom of expression”.

Finally, no plaque mentions the motivations of the perpetrators of the attack. Whether they were installed in 1989 or 2018, Paris’s plaques either pay tribute to “the victims of terrorism” or commemorate an “act of terrorism”, without further detail. Although, here too, there is an exception to this rule, which in turn allows us to reflect implicitly through a borderline case. The plaques commemorating the 1982 attack on the kosher restaurant Jo Goldenberg and the 2015 attack on the Hyper Casher supermarket on avenue de la Porte de Vincennes are the only ones to add an adjective, in this case “antisemitic”, to the mention of the attack, while the plaque hung on rue Copernic, which was targeted by a bomb in 1980, refers to “the heinous attack perpetrated against this synagogue”, thus specifying the reason for the attack. To date, only antisemitic attacks are named as such.

Commemorative plaque for the attack on the Jo Goldenberg restaurant on rue des Rosiers. Fourni par l'auteur

Memorial practices in Parisian public spaces

Only a tiny fraction of the terrorist acts committed in Paris since 1974 are now marked for passers-by’s attention, producing, thereby, memory as well as oblivion. The question of how these reminders of the past are used in Parisian public spaces remains open.

While the issue is not specific to the commemoration of terrorist attacks, it is particularly acute in the case of plaques referring to them, since they refer to an event – “terrorism” – which, unlike a war marked by a beginning and an end, is an ongoing process that is difficult to consider as having ended. In 1996, when the public transport company, the RATP, was asked by the families of the victims of the RER B attack to have their names included on a plaque, it initially expressed its hesitations. It said it feared dangerous crowds on the narrow metro platform. These fears proved unfounded. Very few passengers actually look up to see the plaque.

In this respect, the new November 13, 2015 memorial garden creates a form of commemoration that leaves open the possibility of new ways of remembering, combining the uses of an urban park with participation in the preservation of memory.


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12.11.2025 à 12:22

Mort à 97 ans, James Watson incarna à la fois le meilleur et le pire de la science

Andor J. Kiss, Director of the Center for Bioinformatics and Functional Genomics, Miami University

James Dewey Watson est surtout connu pour sa découverte de la structure de l’ADN, récompensée par le prix Nobel. La controverse autour cette attribution met en lumière les difficultés inhérentes à la collaboration scientifique.
Texte intégral (2091 mots)

James Dewey Watson est mort à l’âge de 97 ans, a annoncé le 7 novembre 2025 le Cold Spring Harbor Laborator. Co-découvreur de la structure de l’ADN et prix Nobel en 1962, a marqué à jamais la biologie moderne. Mais son héritage scientifique est indissociable des controverses qui ont entouré sa carrière et sa personnalité.


James Dewey Watson était un biologiste moléculaire américain, surtout connu pour avoir remporté conjointement le prix Nobel de physiologie ou de médecine en 1962 grâce à la découverte de la structure de l’ADN et de son rôle dans le transfert d’informations au sein des organismes vivants. L’importance de cette découverte ne saurait être exagérée. Elle a permis de comprendre le fonctionnement des gènes et donné naissance aux domaines de la biologie moléculaire et de la phylogénétique évolutive. Elle a inspiré et influencé ma carrière de scientifique ainsi que mes activités de directeur d’un centre de recherche en bioinformatique et en génomique fonctionnelle.

Personnalité provocatrice et controversée, il transforma la manière de transmettre la science. Il reste le premier lauréat du prix Nobel à offrir au grand public un aperçu étonnamment personnel et brut du monde impitoyable et compétitif de la recherche scientifique. James D. Watson est décédé le 6 novembre 2025 à l’âge de 97 ans.

La quête du gène selon Watson

Watson entra à l’université de Chicago à l’âge de 15 ans, avec l’intention initiale de devenir ornithologue. Après avoir lu le recueil de conférences publiques d’Erwin Schrödinger sur la chimie et la physique du fonctionnement cellulaire, intitulé What is Life ?, il se passionna pour la question de la composition des gènes – le plus grand mystère de la biologie à l’époque.

Les chromosomes, un mélange de protéines et d’ADN, étaient déjà identifiés comme les molécules de l’hérédité. Mais la plupart des scientifiques pensaient alors que les protéines, composées de vingt éléments constitutifs différents, étaient les meilleures candidates, contrairement à l’ADN qui n’en possédait que quatre. Lorsque l’expérience d’Avery-MacLeod-McCarty, en 1944, démontra que l’ADN était bien la molécule porteuse de l’hérédité, l’attention se concentra immédiatement sur la compréhension de cette substance.

Watson obtint son doctorat en zoologie à l’université de l’Indiana en 1950, puis passa une année à Copenhague pour y étudier les virus. En 1951, il rencontra le biophysicien Maurice Wilkins lors d’une conférence. Au cours de l’exposé de Wilkins sur la structure moléculaire de l’ADN, Watson découvrit les premières cristallographie par rayons X de l’ADN. Cette révélation le poussa à rejoindre Wilkins au laboratoire Cavendish de l’université de Cambridge pour tenter d’en percer le secret de la structure. C’est là que Watson fit la connaissance du physicien devenu biologiste Francis Crick, avec qui il noua immédiatement une profonde affinité scientifique.

Peu après, Watson et Crick publièrent leurs travaux fondateurs sur la structure de l’ADN dans la revue Nature en 1953. Deux autres articles parurent dans le même numéro, l’un coécrit par Wilkins, l’autre par la chimiste et cristallographe aux rayons X Rosalind Franklin.

C’est Franklin qui réalisa les cristallographies par rayons X de l’ADN contenant les données cruciales pour résoudre la structure de la molécule. Son travail, combiné à celui des chercheurs du laboratoire Cavendish, conduisit à l’attribution du prix Nobel de physiologie ou de médecine de 1962 à Watson, Crick et Wilkins.

Le prix et la controverse

Bien qu’ils aient eu connaissance des précieuses images de diffraction des rayons X de Franklin, diffusées dans un rapport interne du laboratoire Cavendish, ni Watson ni Crick ne mentionnèrent ses contributions dans leur célèbre article publié en 1953 dans Nature. En 1968, Watson publia un livre relatant les événements entourant la découverte de la structure de l’ADN tels qu’il les avait vécus, dans lequel il minimise le rôle de Franklin et la désigne avec des termes sexistes. Dans l’épilogue, il reconnaît finalement ses contributions, mais sans lui accorder le plein mérite de sa participation à la découverte.


À lire aussi : Rosalind Franklin : la scientifique derrière la découverte de la structure de l’ADN, bien trop longtemps invisibilisée


Certains historiens ont soutenu que l’une des raisons invoquées pour ne pas reconnaître officiellement le rôle de Franklin tenait au fait que son travail n’avait pas encore été publié et qu’il était considéré comme une « connaissance partagée » au sein du laboratoire Cavendish, où les chercheurs travaillant sur la structure de l’ADN échangeaient couramment leurs données. Cependant, l’appropriation des résultats de Franklin et leur intégration dans une publication officielle sans autorisation ni mention de son nom sont aujourd’hui largement reconnues comme un exemple emblématique de comportement déplorable, tant du point de vue de l’éthique scientifique que dans la manière dont les femmes étaient traitées par leurs collègues masculins dans les milieux professionnels.

Au cours des décennies qui ont suivi l’attribution du prix Nobel à Watson, Crick et Wilkins, certains ont érigé Rosalind Franklin en icône féministe. On ignore si elle aurait approuvé cette image, car il est difficile de savoir ce qu’elle aurait ressenti face à sa mise à l’écart du Nobel et face au portrait peu flatteur que Watson lui consacra dans son récit des événements. Ce qui est désormais incontestable, c’est que sa contribution fut décisive et essentielle, et qu’elle est aujourd’hui largement reconnue comme une collaboratrice à part entière dans la découverte de la structure de l’ADN.

Une prise de conscience collective

Comment les attitudes et les comportements envers les jeunes collègues et les collaborateurs ont-ils évolué depuis ce prix Nobel controversé ? Dans de nombreux cas, les universités, les institutions de recherche, les organismes financeurs et les revues à comité de lecture ont mis en place des politiques formelles visant à identifier et reconnaître de manière transparente le travail et les contributions de tous les chercheurs impliqués dans un projet. Bien que ces politiques ne fonctionnent pas toujours parfaitement, le milieu scientifique a évolué pour fonctionner de manière plus inclusive. Cette transformation s’explique sans doute par la prise de conscience qu’un individu seul ne peut que rarement s’attaquer à des problèmes scientifiques complexes et les résoudre. Et lorsqu’un conflit survient, il existe désormais davantage de mécanismes officiels permettant de chercher réparation ou médiation.

Des cadres de résolution des différends existent dans les directives de publication des revues scientifiques, ainsi que dans celles des associations professionnelles et des institutions. Il existe également une revue intitulée Accountability in Research, « consacrée à l’examen et à l’analyse critique des pratiques et des systèmes visant à promouvoir l’intégrité dans la conduite de la recherche ». Les recommandations destinées aux chercheurs, aux institutions et aux organismes de financement sur la manière de structurer l’attribution des auteurs et la responsabilité scientifique constituent un progrès significatif en matière d’équité, de procédures éthiques et de normes de recherche.

J’ai moi-même connu des expériences à la fois positives et négatives au cours de ma carrière : j’ai parfois été inclus comme coauteur dès mes années de licence, mais aussi écarté de projets de financement ou retiré d’une publication à mon insu, alors que mes contributions étaient conservées. Il est important de noter que la plupart de ces expériences négatives se sont produites au début de ma carrière, sans doute parce que certains collaborateurs plus âgés pensaient pouvoir agir ainsi en toute impunité.

Il est également probable que ces expériences négatives se produisent moins souvent aujourd’hui, car je formule désormais clairement mes attentes en matière de co-signature dès le début d’une collaboration. Je suis mieux préparé et j’ai désormais la possibilité de refuser certaines collaborations.

Je soupçonne que cette évolution reflète ce que d’autres ont vécu, et qu’elle est très probablement amplifiée pour les personnes issues de groupes sous-représentés dans les sciences. Malheureusement, les comportements inappropriés, y compris le harcèlement sexuel, persistent encore dans ce milieu. La communauté scientifique a encore beaucoup de chemin à parcourir – tout comme la société dans son ensemble.

Après avoir co-découvert la structure de l’ADN, James Watson poursuivit ses recherches sur les virus à l’université Harvard et prit la direction du Cold Spring Harbor Laboratory, qu’il contribua à revitaliser et à développer considérablement, tant sur le plan de ses infrastructures que de son personnel et de sa réputation internationale. Lorsque le Projet génome humain était encore à ses débuts, Watson s’imposa comme un choix évident pour en assurer la direction et en accélérer le développement, avant de se retirer après un long conflit portant sur la possibilité de breveter le génome humain et les gènes eux-mêmes – Watson s’y opposait fermement.

En dépit du bien immense qu’il a accompli au cours de sa vie, l’héritage de Watson est entaché par sa longue série de propos publics racistes et sexistes, ainsi que par ses dénigrements répétés, tant personnels que professionnels, à l’encontre de Rosalind Franklin. Il est également regrettable que lui et Crick aient choisi de ne pas reconnaître pleinement tous ceux qui ont contribué à leur grande découverte aux moments décisifs.

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