29.06.2025 à 09:54
Paul Hadji-Lazaro, Docteur en économie écologique, Agence Française de Développement (AFD)
Andrew Skowno, Lead of the National Biodiversity Assessment program at the South African National Biodiversity Institute (SANBI), University of Cape Town
Antoine Godin, Économiste-modélisateur, Agence Française de Développement (AFD)
Julien Calas, Chargé de recherche biodiversité, Agence Française de Développement (AFD)
Selon le Forum économique mondial, plus de la moitié du PIB mondial repose, directement ou indirectement, sur des services rendus par la nature. Une nouvelle étude tâche de proposer des outils pour évaluer la dépendance à la biodiversité des différents secteurs de l'économie et des régions en prenant comme exemple l'Afrique du Sud
« Protéger la nature, c’est bien pour les amoureux des oiseaux et des fleurs, mais l’économie a d’autres priorités… ». Qui n’a jamais entendu une idée reçue de ce type ? Dans les débats publics, la défense de la biodiversité passe souvent pour le dada d’écologistes passionnés, éloignés des préoccupations « sérieuses » de la croissance économique ou de la finance. Cette vision est non seulement fausse, mais dangereuse car la santé des écosystèmes est le socle de notre prospérité économique, financière et sociale, partout sur la planète.
Forêts, sols, océans, insectes… fournissent une multitude de services écosystémiques – c’est-à-dire les bénéfices gratuits que nous rend la nature – indispensables à nos activités. Ces services vont de la pollinisation des cultures par les abeilles, à la purification de l’eau par les zones humides, en passant par la fertilité des sols, la régulation du climat ou la protection des côtes contre les tempêtes. Autrement dit, la nature est comme un fournisseur caché d'eau, d'air pur, de sols fertiles et de matières premières dans les chaînes d’approvisionnement de l’économie. Et aucune entreprise humaine ne saurait s’y substituer totalement.
Cette dépendance économique à la biodiversité n’a rien d’anecdotique. Selon le Forum économique mondial, plus de la moitié du PIB mondial repose, directement ou indirectement, sur des services rendus par la nature. L’agriculture et l’agroalimentaire bien sûr, mais aussi la pêche, la sylviculture, le tourisme, la construction, et même des industries comme l’automobile ou l’électronique, qui dépendent de ressources minières et d’eau pour leur production, toutes ont besoin d’un écosystème fonctionnel. Un rapport de la Banque de France évoque ainsi un possible « Silent Spring » financier, en référence au printemps silencieux provoqué par le DDT qui anéantissait les oiseaux décrit par la biologiste américaine Rachel Carson dans les années 1960. En décimant les espèces et les services écologiques, on fait peser un risque de choc majeur sur nos systèmes financiers quipourrait entraîner une réaction en chaîne sur l’ensemble de l’économie, en affectant l’emploi, le commerce, les prix, les recettes fiscales de l’État – exactement comme une crise économique classique, sauf que son déclencheur serait écologique.
À lire aussi : Comment évaluer l’impact du recul de la biodiversité sur le système financier français
Pour mieux comprendre, imaginons une réaction en domino : la disparition massive des pollinisateurs fait chuter les rendements agricoles ; moins de récoltes, c’est une pénurie de certaines denrées et une envolée des prix alimentaires ; les industries agroalimentaires tournent au ralenti, entraînant licenciements et baisse des revenus et du pouvoir d’achat des agriculteurs comme des ouvriers ; le pays doit importer à prix fort pour nourrir la population tandis que les rentrées fiscales diminuent… Le point de départ de ce scénario noir ? Quelques espèces d’insectes qu’on avait sous-estimées, et qui assuraient discrètement la pollinisation de nos cultures. La nouveauté c'est que ce principe de l’effet papillon – où l’altération d’un écosystème local finit par affecter l’ensemble de l’économie – est rendu explicite par de récents articles scientifiques.
Pour saisir concrètement l’ampleur du risque, penchons-nous sur un exemple parlant : celui de l’Afrique du Sud. Ce pays dispose d’une économie diversifiée (mines, agriculture, industrie) et d’écosystèmes riches mais sous pression. Pour une étudepubliée récemment, nous avons appliqué un nouvel outil de traçabilité des risques liés à la nature, afin de cartographier les secteurs économiques, les régions géographiques et les variables financières les plus vulnérables aux risques environnementaux.
Nos analyses révèlent que 80 % des exportations nettes de l’Afrique du Sud proviennent de secteurs fortement dépendants de l’approvisionnement en eau. Autrement dit, la quasi-totalité des biens que le pays vend au reste du monde – des métaux aux produits agricoles – nécessitent de l’eau à un moment ou un autre de leur production. Or l’eau ne tombe pas du ciel en quantité infinie : il faut des rivières alimentées par des pluies régulières, des sols qui retiennent cette eau, des forêts qui régulent son cycle… bref, un écosystème en bonne santé. Le hic, c’est que cette ressource vitale est déjà menacée. Un produit exporté sur quatre est issue d'une activité très dépendante de l’eau localisée dans une municipalité confrontée à un stress hydrique sérieux (sécheresse, pénurie d’eau potable, etc.). En 2018, la ville du Cap et ses près de 4 millions d'habitants frôlait la coupure d'eau générale. C’est ce genre de choc qui pourrait frapper durablement l’économie sud-africaine si rien n’est fait pour préserver la capacité des écosystèmes à réguler l’approvisionnement en eau.
Et ce n’est pas tout. Notre étude met aussi en lumière l’importance des risques indirects. En Afrique du Sud, près d’un quart des salaires du pays dépendent directement de secteurs exposés à la dégradation des écosystèmes (par exemple l’industrie manufacturière ou le secteur immobilier qui consomment beaucoup d’eau). En tenant compte des liens en amont et en aval (les fournisseurs, les clients, les sous-traitants), ce sont plus de la moitié des rémunérations qui deviennent menacées.
Autre mesure édifiante : certains secteurs économiques créent eux-mêmes les conditions de leur fragilité future. Prenons le secteur minier, pilier des exportations sud-africaines. Il exerce une pression énorme sur les écosystèmes (pollution des sols et des eaux, destruction de la végétation, etc.). Or, nous montrons que la moitié des exportations minières sont issues de municipalités où se trouvent un certain nombre des écosystèmes les plus menacés du pays en raison justement des pressions exercées par l’activité minière elle-même.
Ce paradoxe – l’industrie sciant la branche écologique sur laquelle elle est assise – illustre un risque de transition. Si le gouvernement décide de protéger une zone naturelle critique en y limitant les extractions, les mines situées là devront réduire la voilure ou investir massivement pour atténuer leurs impacts, avec un coût financier immédiat. Autre cas possible, si des acheteurs ou des pays importateurs décident de réduire leurs achats de produits miniers parce qu’ils contribuent à la destruction de la biodiversité, les mines exerçant le plus de pression sur les écosystèmes critiques devront aussi s’adapter à grand coût. Dans les deux cas, l’anticipation est clé : identifier ces points sensibles permet d’agir avant la crise, plutôt que de la subir.
Face à ces constats, la bonne nouvelle est qu’on dispose de nouvelles méthodes pour éclairer les décisions publiques et privées. En Afrique du Sud, nous avons expérimenté une approche innovante de traçabilité des risques liés à la nature. L’idée est de relier les données écologiques aux données économiques pour voir précisément quels acteurs dépendent de quels aspects de la nature dans quelle partie d’un pays donné.
Concrètement, cette méthode permet de simuler des chocs et d’en suivre les répercussions. Par exemple, que se passerait-il si tel service écosystémique venait à disparaître dans telle région ? On peut estimer la perte de production locale, puis voir comment cette perte se transmet le long des chaînes de valeur jusqu’à impacter le PIB national, l’emploi, les revenus fiscaux, les exportations ou les prix. L’outil intègre aussi l’autre versant du problème : le risque de transition, c’est-à-dire les conséquences économiques des actions envisagées pour éviter la dégradation écologique.
La méthode ne vise pas à identifier des secteurs économiques à « fermer » à cause de leurs pressions sur la nature ou une dépendance à des services écosystémiques dégradés. Elle vise plutôt à aider les décideurs politiques et les acteurs économiques à prioriser leurs actions (d’investissement ou de restriction) tout en tenant compte de l’importance socio-économique des secteurs sources de pressions ou dépendants de services écosystémiques dégradés.
En Afrique du Sud par exemple, l’institut national de la biodiversité et des chercheurs locaux ont utilisé les résultats montrant la forte dépendance de certains secteurs économiques à l’approvisionnement en eau pour animer des séminaires de mise en débat des résultats et rédiger des notes de recommandation de politiques publiques.
Loin d’opposer Nord et Sud, écologie et économie, la question de la biodiversité est désormais une opportunité pour chacun de contribuer à un enjeu transversal planétaire. Aucune économie n’est à l’abri. Un effondrement des pollinisateurs expose aussi bien les vergers de Californie que les champs de café en Éthiopie. La surpêche appauvrira aussi bien les communautés côtières d’Asie du Sud-Est que les consommateurs de poisson en Europe.
Biodiversité en berne signifie instabilité économique pour tous, du nord au sud. Malgré les tensions financières entre pays riches et pays en développement sur la répartition de l’effort, profitons du succès du nouveau round de négociations internationales de la convention biodiversité qui s’est tenu à Rome du 25 au 27 février dernier pour agir. A cette occasion, les membres de la convention biodiversité ont trouvé un accord sur une nouvelle stratégie de « mobilisation des ressources », visant à allouer 200 milliards de dollars par an à la conservation de la biodiversité « toutes sources confondues » d'ici à 2030. Désormais, le défi pour ces pays va être de se mettre d'accord sur les priorités d’allocation des fonds et d’évaluer comment la mise en œuvre de la convention est compatible avec leur propre endettement.
La méthode d’analyse des risques liés à la nature dans les décisions économiques et financières peut aider les décideurs à faire ces choix de manière éclairée. Elle peut aider à « réorienter les flux financiers » en faveur de la nature comme demandé par le nouveau cadre international de la biodiversité (Accord Kunming-Montréal adopté fin 2022). Elle peut aussi aider les entreprises à mesurer et divulguer leur dépendance aux écosystèmes comme recommandé par le groupe de travail privé de la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD). C’est le moment d’agir. Chaque gouvernement, chaque banque, chaque grande entreprise devrait dès maintenant se doter d’outils et de données pour évaluer son exposition aux risques écologiques et agir en conséquence grâce aux dernières avancées scientifiques.
Antoine Godin est membre de l'unité de recherche ACT de l'université Sorbonne Paris-Nord
Andrew Skowno, Julien Calas et Paul Hadji-Lazaro ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
29.06.2025 à 09:54
Anne Choquet, Enseignante chercheure en droit, laboratoire Amure (UBO, Ifremer, CNRS), Ifremer
Florian Aumond, Maître de conférences en droit public, Université de Poitiers
« Rien sur nous sans nous », tel est l’adage du Groenland, reprenant ainsi le slogan historique des groupes sociaux et nationaux marginalisés. À l’heure des velléités états-uniennes, de nouvelles coopérations avec la France émergent, notamment scientifiques.
La visite très médiatisée d’Emmanuel Macron au Groenland, une première pour un président français, marque une nouvelle dynamique de la politique étrangère dans l’Arctique. Elle met en lumière la solidarité transpartisane des acteurs politiques en France à l’égard du Danemark et du Groenland. Le pays signifie Terre des Kalaallit – en groenlandais Kalaallit Nunaat – du nom des Inuit, le plus grand groupe ethnique de l’île. La « terre verte » a gagné en visibilité stratégique et écologique en affrontant de nouveau les aspirations impériales de Donald Trump.
Organisée à l’invitation du premier ministre du Groenland, Jens-Frederik Nielsen, et de la Première ministre danoise, Mette Frederiksen, cette visite dépasse largement le simple statut d’escale protocolaire avant le Sommet du G7 au Canada. Elle s’inscrit dans une séquence entamée en mai 2025 avec le passage à Paris de la ministre groenlandaise des affaires étrangères et de la recherche. Quelques semaines plus tard, en marge de la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan, le président français s’entretient à Monaco avec le premier ministre du Groenland.
Cette multiplication de rencontres signale un tournant : le Groenland n’est plus perçu comme une simple périphérie du royaume du Danemark, mais comme un partenaire politique, économique et scientifique en devenir. Avec quelles formes de coopération ?
En octobre 2015, François Hollande se rend au pied du glacier islandais Solheimajökull. Ce déplacement, survenu peu avant la COP21 à Paris, vise à alerter sur les effets des changements climatiques et à souligner l’intérêt d’un traité international sur la question – ce qui sera consacré avec l’adoption de l’accord de Paris. Dix ans plus tard, l’Arctique reste un espace d’alerte écologique mondial. Sa calotte glaciaire a perdu 4,7 millions de milliards de litres d’eau depuis 2002.
Lors de la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan à Nice (Unoc), le 9 juin dernier, le président Macron affirme son soutien au Groenland : « Les abysses ne sont pas à vendre, pas plus que le Groenland n’est à prendre ».
Dans le contexte des tensions géopolitiques arctiques, le rapprochement franco-groenlandais brise l’imaginaire d’une France exclusivement tournée vers le Sud, l’Atlantique ou les espaces indopacifiques. On peut y voir l’émergence d’un axe arctique, certes encore peu exploré malgré quelques prémices sur le plan militaire, notamment avec des exercices réguliers de l’Otan. Quelques jours avant la visite présidentielle, deux bâtiments de la Marine nationale naviguent le long des côtes groenlandaises, en route vers le Grand Nord, afin de se familiariser avec les opérations dans la région. Plus largement, la France détient le statut d’État observateur au sein du Conseil de l’Arctique depuis 2000. Elle formalise son intérêt stratégique pour cette zone en 2016, avec la publication d’une première feuille de route pour l’Arctique.
Cette approche s’inscrit dans le cadre plus large d’une volonté européenne de renforcer sa présence dans une région longtemps dominée par les puissances traditionnelles locales :
les États côtiers de l’Arctique (A5) : Canada, Danemark, États-Unis, Fédération de Russie et Norvège ;
les huit États membres du Conseil de l’Arctique (A8) : Canada, Danemark, États-Unis, Fédération de Russie, Norvège, Finlande, Islande et Suède.
Fin 2021, l’Union européenne lance le programme Global Gateway, pour mobiliser des investissements et financer des infrastructures. Conforme à cette initiative, l’Union européenne et le Groenland, territoire d’outre-mer non lié par l’acquis communautaire signent en 2023 un partenariat stratégique relatif aux chaînes de valeur durables des matières premières.
La montée en exergue de la « Terre verte » sur la scène internationale se traduit par le déploiement progressif de sa diplomatie extérieure, malgré son statut d’entité territoriale non souveraine. Le territoire dispose de représentations officielles à Bruxelles (la première à l’étranger, ouverte en 1992), à Washington D.C. (ouverte en 2014), à Reykjavik (ouverte en 2017) et à Pékin (ouverte en 2021). De leur côté, les États-Unis ouvrent un consulat à Nuuk en 2020, sous la première présidence Trump. L’Union européenne y inaugure un bureau en mars 2024, rattaché à la Commission européenne, dans le cadre de sa stratégie arctique.
À lire aussi : Quel serait le prix du Groenland s’il était à vendre ?
L’annonce faite par le président Macron lors de sa visite à Nuuk de l’ouverture prochaine d’un consulat général français au Groenland confirme cette tendance.
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Le Groenland est un territoire autonome du Royaume du Danemark. Depuis la loi sur l’autonomie élargie du Groenland entrée en vigueur le 21 juin 2009, il dispose de compétences accrues, notamment dans la gestion de ses ressources naturelles.
Sa position géostratégique au cœur de l’Arctique et ses richesses en minerais en font un territoire d’intérêt croissant pour plusieurs puissances extérieures comme les États-Unis, la Chine et l’Union européenne.
Parmi les ressources d’intérêts, « on y trouverait un nombre considérable de minéraux (rares). Certains sont considérés comme stratégiques, dont le lithium, le zirconium, le tungstène, l’étain, l’antimoine, le cuivre sédimentaire, le zinc, le plomb (à partir duquel on produit du germanium et du gallium), le titane et le graphite, entre autres ». Le Groenland bénéficie notamment de contextes géologiques variés favorables à la présence de gisements de [terres rares] attractifs pour les compagnies d’exploration.
La France cherche à tisser des liens économiques durables avec le Groenland. En 2022, la stratégie polaire française à l’horizon 2030 mentionne le Groenland. Elle invite à un réengagement de la science française au Groenland, ce qui signe une évolution importante de la recherche, notamment en sciences humaines et sociales. En 2016, dans la « Feuille de route nationale sur l’Arctique », le Groenland apparaît au travers de ses ressources potentielles, et non au niveau de la dimension bilatérale scientifique.
La stratégie polaire de la France à horizon 2030 propose plusieurs pistes « comme l’installation d’un bureau logistique, l’implantation dans une station déjà opérée par des universités, la création d’une infrastructure en lien avec les autorités et municipalités groenlandaises ». La recherche française s’y est affirmée, notamment grâce au soutien déterminant de l’Institut polaire français Paul-Émile-Victor (Ipev).
L’Université Ilisimatusarfik, la seule université groenlandaise, située à Nuuk, a déjà des partenariats avec des universités et grandes écoles françaises, notamment grâce au réseau européen Erasmus + auquel est éligible le Groenland. Elle entretient des relations privilégiées avec des universités françaises par le biais du réseau d’universités, d’instituts de recherche et d’autres organisations que constitue l’Université de l’Arctique (Uarctic). Sont membres uniquement trois universités françaises : Aix Marseille Université, Université de Bretagne Occidentale et Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.
Du côté groenlandais, une invitation à un renforcement de la coopération bilatérale avec la France s’observe dans la stratégie pour l’Arctique. La France est expressément citée à côté de l’Allemagne, de la Belgique, des Pays-Bas, du Luxembourg, de l’Espagne, de l’Italie, de la Pologne et de la République tchèque.
Ce croisement stratégique invite au développement de partenariats bilatéraux nouveaux et structurants.
Si le Groenland accepte une coopération internationale, ce n’est pas à n’importe quel prix. Le Kalaallit Nunaat cherche à être plus qu’une plateforme extractiviste, et à ne pas être vu uniquement comme un réservoir de ressources à exploiter. La vision stratégique nationale actuellement promue invite à une approche plus diversifiée qui mêlerait les différentes industries au sein desquelles le Groenland souhaite investir. Toute évolution devra nécessairement compter sur la volonté de la population groenlandaise, composée en très grande majorité d’Inuits. Comme l’affiche avec force le territoire notamment dans sa stratégie pour l’Arctique » : « Rien sur nous sans nous ».
Cet article a été co-rédigé avec Arthur Amelot, consultant expert auprès de la Commission européenne.
Anne Choquet est membre du Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques (CNFRAA).
Florian Aumond est membre du Comité national français des recherches arctiques et antarctiques.
29.06.2025 à 08:30
Nicolas Bancel, Professeur ordinaire à l’université de Lausanne (Unil), chercheur au Centre d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation (Unil), co-directeur du Groupe de recherche Achac., Université de Lausanne
Pascal Blanchard, Historien, chercheur-associé au Centre d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation, co-directeur du Groupe de recherche Achac, Université de Lausanne
Trois pays majeurs du « pré-carré » français en Afrique subsaharienne ont connu des coups d’État militaires adossés à discours de rupture et de rejet de la France : le Mali (2021), le Burkina Faso (2022) et le Niger (2023). C’est la fin des relations néocoloniales franco-africaines conçues au moment des indépendances des années 1960 et maintenues, voire renforcées, pendant les années 1980 et 1990, particulièrement par François Mitterrand. Comment comprendre les choix de l’ancien président de la République, malgré un programme de gauche favorable au renouveau démocratique et à l’émancipation des pays africains ?
À l’occasion de la publication de l’ouvrage François Mitterrand, le dernier empereur. De la colonisation à la françafrique (aux éditions Philippe Rey, 2025), la gestion des liens et des relations entre l’Afrique et la France par l’ancien président de la République interroge : et si les deux mandats de François Mitterrand avaient été une occasion manquée de rompre avec ce que l’on nomme aujourd’hui la Françafrique ? Ne peut-on pas, en outre, imaginer cette gestion « de gauche » de la relation avec le continent comme une continuité de ce que furent les « égarements » d’une partie de la gauche française aux heures les plus sombres des guerres de décolonisations ?
La situation actuelle appelle en effet une analyse de longue durée. Rappelons les faits récents : depuis 2020, trois pays majeurs du « pré-carré » français en Afrique subsaharienne ont connu des coups d’État : le Mali en 2021, le Burkina Faso en 2022), puis le Niger en 2023. L’histoire politique et sociale de ces coups d’État est complexe et bien différente d’une nation à l’autre, mais un fait doit retenir notre attention. Le plus significatif quant aux relations franco-africaines, c’est que ces coups d’État se sont adossés à un discours clair de rupture et de rejet de la France, considérée comme une puissance néocoloniale empêchant une « véritable » indépendance, au-delà des indépendances « formelles » de 1960.
Que ce discours puisse être relativisé – la France a perdu beaucoup de ses instruments et de son pouvoir d’influence depuis les indépendances – n’infirme pas le fait que celui-ci semble avoir eu une résonance certaine dans les populations de ces pays, en particulier la jeunesse, comme en témoigne les manifestations d’hostilité envers l’ancienne puissance tutélaire (même si l’évaluation de la prégnance de ce discours est difficile, en raison notamment de l’absence de moyen de mesure de l’opinion).
La récente décision du Sénégal, allié historique et l’un des plus « fidèles » à la France – avec la Côte d’Ivoire et le Gabon –, de demander le retrait des troupes françaises ajoute un signe clair. Nous sommes dans une conjoncture historique caractérisée, qui marque la fin des relations franco-africaines telles qu’elles avaient été conçues dès 1960 : un mélange de liens directs entre les chefs d’État français et les chefs d’État africains – marque du « domaine réservé » du président de la République s’autonomisant de tout contrôle parlementaire et, plus largement, démocratique –, d’interventions militaires au prétexte de protéger les ressortissants français afin de protéger les États « amis », d’affairisme trouble animé par des réseaux eux-mêmes opaques et, enfin, d’instrument d’influence tel que le contrôle de la monnaie (le franc CFA étant sous contrôle du Trésor français), des bases militaires garantes des positions géostratégiques de l’Hexagone ou encore les centres culturels, chargés de diffuser l’excellence de la culture française. Le tout institutionnalisé à travers des accords bilatéraux de coopération).
Or, au cours des deux mandats de François Mitterrand, l’Afrique subsaharienne francophone avait connu d’importantes poussées démocratiques dynamisées par l’appétence de la société civile, comme ce fut le cas entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, notamment au Mali, au Burkina Faso ou au Niger. François Mitterrand parvient au pouvoir en 1981 (il y restera jusqu’en 1995) comme patron de la gauche et porteur d’un programme commun qui consacre plusieurs de ses propositions aux relations de la France avec le « tiers-monde », comprenant une normalisation des rapports avec les anciennes colonies d’Afrique.
Le programme commun de la gauche est typique du courant tiers-mondiste des années 1970, souhaitant rompre avec le nécolonialisme, qui a déterminé des « aires d’influence » occidentales structurant, en articulation avec la guerre froide, les relations internationales. François Mitterrand a pourtant un lourd passé colonial : il a été ministre de la France d’outre-mer en 1950 et surtout ministre de l’intérieur et enfin ministre de la justice durant la guerre d’Algérie, au cours de laquelle il a adopté des positions ultrarépressives. Des marqueurs traumatiques au sein de la gauche française et qui sont restés invisibles et inaudibles depuis soixante-dix ans. Jamais il n’a été anticolonialiste, au contraire, toute son action politique durant la IVe République a visé à conserver l’empire. Or, pour devenir le personnage central de la gauche, ce passé est inassumable. François Mitterrand va donc réécrire sa biographie au cours des années 1960 et 1970 à travers ses ouvrages, pour se présenter comme un contempteur de la colonisation, qui aurait même anticipé les indépendances. Pure fiction, mais le récit prend et le légitime comme leader de la gauche.
En 1981, dans cette dynamique, il nomme Jean-Pierre Cot au ministère de la coopération et celui-ci croit naïvement que sa feuille de route est d’appliquer les changements inscrits dans le programme commun, avec, pour horizon, la suppression du ministère de la coopération et la réintégration de l’Afrique dans les prérogatives du ministère des affaires étrangères. Car, si formellement ces prérogatives existent puisque la direction des affaires africaines et malgaches (DAM) du ministère des affaires étrangères gouverne normalement la diplomatie, le domaine réservé présidentiel concernant l’Afrique s’incarne dans une « cellule africaine » dont les membres sont nommés par le fait du prince ; ce dont témoignera, d’ailleurs, avec éclat, la nomination de Jean-Christophe Mitterrand, le propre fils de François Mitterrand, au sein de cette cellule. Dans ce tableau, Jean-Pierre Cot dérange : en tenant ouvertement un discours de recentrage des dépenses du ministère et en refusant l’octroi de subsides pour des dépenses somptuaires de potentats locaux, tout en encourageant la démocratisation des régimes africains, il indispose plusieurs de ceux-ci, qui en font état à François Mitterrand.
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En 1982, François Mitterrand est à la croisée des chemins : doit-il poursuivre l’expérience de rupture initiée par Jean-Pierre Cot ou revenir aux pratiques bien implantées de la Françafrique ? Il choisit alors la seconde option. Bien évidemment, les contraintes de la realpolitik expliquent en partie ce revirement : en répondant aux sollicitations de quelques dignitaires africains, le président français maintient en place la Françafrique et donc, dans son esprit, l’influence géopolitique de la France). Car pour François Mitterrand, farouche défenseur de l’empire durant la période coloniale, l’influence française dans les anciennes colonies répond en définitive à une forme de continuité. Certes, la France a perdu la possession de ces territoires, mais, finalement, elle peut continuer à exercer son influence sur ceux-ci, influence qui est pour François Mitterrand, comme l’était l’empire au temps des colonies, la condition de la puissance de l’Hexagone. Ce faisant, il affermit les relations quasi incestueuses entre les chefs d’États africains et le président de la République française, relations émancipées de tout contrôle démocratique comme nous l’avons vu, en France comme en Afrique. Et François Mitterrand ne se contente pas de reprendre de lourd héritage du « pré-carré », il le renforce.
Entre 1981 et 1995, la France procédera à pas moins d’une trentaine d’interventions militaires en Afrique et, surtout, François Mitterrand n’encouragera jamais concrètement les poussées démocratiques, malgré les ambiguïtés de son discours de La Baule, en 1990, laissant entendre une « prime à la démocratisation », qui ne sera jamais mise en œuvre. De plus, les scandales autour de la cellule africaine se multiplieront, mettant directement en cause son fils Jean-Christophe et, à travers lui, la figure de François Mitterrand et l’image de la France dans les pays africains.
Une occasion historique de renouveler les relations franco-africaines a donc été perdue sous les deux mandats de François Mitterrand. Ses successeurs suivirent les pas du « sphinx », fossilisant le système de la Françafrique. Seul Emmanuel Macron osa poser crûment la question du maintien de ce système, mais le « en même temps » macroniste – entre initiatives mémorielles visant la mise au jour des responsabilités historiques de la France durant le génocide des Tutsis, dans la guerre du Cameroun ou dans les massacres de Madagascar (1947) avec un rapport à venir, et un soutien effectif à des régimes corrompus – a rendu cette politique illisible.
Le résultat de ce blocage, permanent après 1982, sont sous nos yeux : une stigmatisation de la France comme puissance néocoloniale, le revirement anti-français de plusieurs pays de l’ancien « pré-carré » et son remplacement par d’autres acteurs mondiaux, à l’image de la Chine ou de la Russie.
François Mitterrand avait pourtant un programme, une majorité politique et un soutien global de l’opinion. Les fantômes de la colonisation ont eu raison d’une rupture qui aurait probablement changé l’histoire. C’est bien son parcours durant la période coloniale qui explique sa politique, celle d’un homme qui avait grandi avec l’empire, qui l’avait promu et défendu jusqu’aux ultimes moments de sa chute… et avait regardé celui-ci s’effondrer avec regret.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
29.06.2025 à 08:30
Jodie L. Rummer, Professor of Marine Biology, James Cook University
Joel Gayford, PhD Candidate, Department of Marine Biology, James Cook University
Vous avez peut-être déjà vu cette scène dans votre documentaire animalier préféré. Le prédateur surgit brutalement de sa cachette, gueule grande ouverte, et sa proie… se fige soudain. Elle semble morte. Cette réponse de figement – appelée « immobilité tonique » – peut sauver la vie de certains animaux. Les opossums sont célèbres pour leur capacité à « faire le mort » afin d’échapper aux prédateurs. Il en va de même pour les lapins, les lézards, les serpents et même certains insectes.
Mais que se passe-t-il quand un requin agit ainsi ?
Dans notre dernière étude, nous avons exploré ce comportement étrange chez les requins, les raies et leurs proches parents. Chez ce groupe, l’immobilité tonique est déclenchée lorsque l’animal est retourné sur le dos : il cesse de bouger, ses muscles se relâchent et il entre dans un état proche de la transe. Certains scientifiques utilisent même cette réaction pour manipuler certains requins en toute sécurité.
Mais pourquoi cela se produit-il ? Et ce comportement aide-t-il réellement ces prédateurs marins à survivre ?
Bien que ce phénomène soit largement documenté dans le règne animal, les causes de l’immobilité tonique restent obscures – surtout dans l’océan. On considère généralement qu’il s’agit d’un mécanisme de défense contre les prédateurs. Mais aucune preuve ne vient appuyer cette hypothèse chez les requins, et d’autres théories existent.
Nous avons testé 13 espèces de requins, de raies et une chimère – un parent du requin souvent appelé « requin fantôme » – pour voir si elles entraient en immobilité tonique lorsqu’on les retournait délicatement sous l’eau.
Sept espèces se sont figées. Nous avons ensuite analysé ces résultats à l’aide d’outils d’analyse évolutive pour retracer ce comportement sur plusieurs centaines de millions d’années d’histoire des requins.
Alors, pourquoi certains requins se figent-ils ?
Trois grandes hypothèses sont avancées pour expliquer l’immobilité tonique chez les requins :
Une stratégie anti-prédateur – « faire le mort » pour éviter d’être mangé.
Un rôle reproductif – certains mâles retournent les femelles lors de l’accouplement, donc l’immobilité pourrait réduire leur résistance.
Une réponse à une surcharge sensorielle – une sorte d’arrêt réflexe en cas de stimulation extrême.
Mais nos résultats ne confirment aucune de ces explications.
Il n’existe pas de preuve solide que les requins tirent un avantage du figement en cas d’attaque. En réalité, des prédateurs modernes, comme les orques, exploitent cette réaction en retournant les requins pour les immobiliser, avant d’arracher le foie riche en nutriments – une stratégie mortelle.
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L’hypothèse reproductive est aussi peu convaincante. L’immobilité tonique ne varie pas selon le sexe, et rester immobile pourrait même rendre les femelles plus vulnérables à des accouplements forcés ou nocifs.
Quant à la théorie de la surcharge sensorielle, elle reste non testée et non vérifiée. Nous proposons donc une explication plus simple : l’immobilité tonique chez les requins est probablement une relique de l’évolution.
Notre analyse suggère que l’immobilité tonique est un trait « plésiomorphe » – c’est-à-dire ancestral –, qui était probablement présent chez les requins, les raies et les chimères anciens. Mais au fil de l’évolution, de nombreuses espèces ont perdu ce comportement.
En fait, nous avons découvert que cette capacité avait été perdue au moins cinq fois indépendamment dans différents groupes. Ce qui soulève une question : pourquoi ?
Dans certains environnements, ce comportement pourrait être une très mauvaise idée. Les petits requins de récif et les raies vivant sur le fond marin se faufilent souvent dans des crevasses étroites des récifs coralliens complexes pour se nourrir ou se reposer. Se figer dans un tel contexte pourrait les coincer – ou pire. Perdre ce comportement aurait donc pu être un avantage dans ces lignées.
Que faut-il en conclure ?
Plutôt qu’une tactique de survie ingénieuse, l’immobilité tonique pourrait n’être qu’un « bagage évolutif » – un comportement qui a jadis servi, mais qui persiste aujourd’hui chez certaines espèces simplement parce qu’il ne cause pas assez de tort pour être éliminé par la sélection naturelle.
Un bon rappel que tous les traits observés dans la nature ne sont pas adaptatifs. Certains ne sont que les bizarreries de l’histoire évolutive.
Notre travail remet en question des idées reçues sur le comportement des requins, et éclaire les histoires évolutives cachées qui se déroulent encore dans les profondeurs de l’océan. La prochaine fois que vous entendrez parler d’un requin qui « fait le mort », souvenez-vous : ce n’est peut-être qu’un réflexe musculaire hérité d’un temps très ancien.
Jodie L. Rummer reçoit des financements de l’Australian Research Council. Elle est affiliée à l’Australian Coral Reef Society, dont elle est la présidente.
Joel Gayford reçoit des financements du Northcote Trust.
27.06.2025 à 11:14
Jacques Rupnik, Directeur de recherche émérite, Centre de recherches internationales (CERI), Sciences Po
Nawrocki’s narrow victory (50.89%) over Trzaskowski, the mayor of Warsaw and candidate of the government coalition, illustrates and reinforces the political polarisation of Poland and the rise of the populist “Trumpist” right in Central and Eastern Europe. Since the start of the war in Ukraine, there has been much speculation about whether Europe’s geopolitical centre of gravity is shifting eastwards. The Polish election seems to confirm that the political centre of gravity is shifting to the right.
We are witnessing a relative erosion of the duopoly of the two major parties, Civic Platform (PO) and Law and Justice (PiS), whose leaders – the current Prime Minister, Donald Tusk, and Jarosław Kaczyński respectively – have dominated the political landscape for over twenty years.
Kaczyński’s skill lay in propelling a candidate with no responsibilities in his party, who was little known to the general public a few months ago, and, above all, who is from a different generation, to the presidency (a position held since 2015 by a PiS man, Andrzej Duda). Nawrocki, a historian by training and director of the Polish Institute of National Remembrance, has helped shape PiS’s memory policy. He won the second round, despite his troubled past as a hooligan, by appealing to voters on the right.
In the first round, he won 29.5% of the vote, compared to Trzaskowski’s 31.36%, but the two far-right candidates, Sławomir Mentzen (an ultra-nationalist and economic libertarian) and Grzegorz Braun (a monarchist, avowed reactionary, and anti-Semite), won a total of 21% of the vote. They attracted a young electorate (60% of 18–29-year-olds), who overwhelmingly transferred their votes to Nawrocki in the second round.
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Despite a high turnout of 71% and favourable votes from the Polish diaspora (63%), Trzaskowski was unable to secure enough votes from the first-round candidates linked to the governing coalition, including those on the left (who won 10% between them) and the centre-right (Szymon Hołownia’s Third Way movement, which won 5% in the first round).
There are two Polands facing each other: the big cities, where incomes and levels of education are higher, and the more rural small towns, which are more conservative on social issues and more closely linked to the Catholic Church. The themes of nationhood – Nawrocki’s campaign slogan was “Poland first, Poles first” – family, and traditional values continue to resonate strongly with an electorate that has been loyal to PiS for more than twenty years. The electoral map, which shows a clear north-west/south-east divide, is similar to those of previous presidential elections and even echoes the partition of Poland at the end of the eighteenth century. The PiS vote is strongest in the part of the country that was under Russian rule until 1918. A more traditional Catholicism in these less developed regions, coupled with a strong sense of national identity, partly explains these historical factors.
The economic explanation for the vote is unconvincing. Over the past 25 years, Poland has undergone tremendous transformation, driven by steady economic growth. GDP per capita has risen from 25% to 80% of the EU average, although this growth has been unevenly distributed. Nevertheless, a relatively generous welfare state has been preserved.
Clearly, however, this growth, driven by investment from Western Europe (primarily Germany) and European structural funds (3% of GDP), does not provide a sufficient electoral base for a liberal, centrist, pro-European government.
It is precisely the government’s performance that may hold the key to Trzaskowski’s failure. Having come to power at the end of 2023 with a reformist agenda, Donald Tusk’s government has only been able to implement part of its programme, and it is difficult to be the candidate of an unpopular government. Conversely, the governing coalition has been weakened by the failure of its candidate.
The main reason for the stalling of reforms is the presidential deadlock. Although the president has limited powers, he countersigns laws and overriding his veto requires a three fifth majority in parliament, which the governing coalition lacks.
The president also plays a role in foreign policy by representing the country, and above all by appointing judges, particularly to the Supreme Court. This has hindered the judicial reforms expected after eight years of PiS rule. It is mainly in this area that Duda has obstructed progress. The election of Nawrocki, who is known for his combative nature, suggests that the period of cohabitation will be turbulent.
Donald Tusk is now more popular in Europe than in Poland; in this respect, we can speak of a “Gorbachev syndrome”. In Central Europe, the Visegrad Group (comprising Hungary, Poland, the Czech Republic, and Slovakia) is deeply divided by the war in Ukraine, but it could find common ground around a populist sovereignty led by Hungary’s Viktor Orbán. Orbán was the first to congratulate Nawrocki on his victory, followed by his Slovak neighbour Robert Fico. The Czech Republic could also see a leader from this movement come to power if Andrej Babiš wins the parliamentary elections this autumn. Nawrocki would fit right into this picture.
Since Donald Tusk returned to power, particularly during Poland’s EU presidency, which ends on 30 June, the focus has been on Poland’s “return” to the heart of the European process. Against the backdrop of the war in Ukraine and Poland’s pivotal role in coordinating a European response, the Weimar Group (comprising Paris, Berlin, and Warsaw) has emerged as a key player. Three converging factors have made this possible: the French president’s firm stance toward Russia; the new German chancellor, Friedrich Merz, breaking a few taboos on defence and budgetary discipline; and Donald Tusk, the former president of the European Council, regaining a place at the heart of the EU that his predecessors had abandoned. A framework for a strategic Europe was taking shape.
However, President Nawrocki, and the PiS more generally, are taking a different approach to the EU: they are positioning themselves as Eurosceptic opponents defending sovereignty. They are playing on anti-German sentiment by demanding reparations 80 years after the end of the Second World War and asserting Poland’s sovereignty in the face of a “Germany-dominated Europe”. The Weimar Triangle, recently strengthened by the bilateral treaty between France and Poland signed on 9 May 2025, could be weakened on the Polish–German flank.
As a historian and former director of the Second World War Museum in Gdansk and the Institute of National Remembrance, Nawrocki is well placed to exploit this historical resentment. He has formulated a nationalist memory policy centred on a discourse of victimhood, portraying Poland as perpetually under attack from its historic enemies, Russia and Germany.
While there is a broad consensus in Poland regarding the Russian threat, opinions differ regarding the government’s desire to separate the traumas of the past, particularly those of the last war, from the challenges of European integration today.
Memory issues also play a prominent role in relations with Ukraine. There is total consensus on the need to provide military support to Ukraine, under attack: this is obvious in Poland, given its history and geography – defending Ukraine is inseparable from Polish security. However, both Nawrocki and Trzaskowski have touched upon the idea that Ukraine should apologise for the crimes committed by Ukrainian nationalists during the last war, starting with the massacre of more than 100,000 Poles in Volyn (Volhynia), north-western Ukraine) by Stepan Bandera’s troops.
Alongside memory policy, Nawrocki and the PiS are calling for the abolition of the 800 zloty (190 euros) monthly allowance paid to Ukrainian refugees. Poland had more than one million Ukrainian workers prior to the war, and more than two million additional workers have arrived since it started, although around one million have since relocated to other countries, primarily Germany and the Czech Republic.
Prior to the second round of the presidential election, Nawrocki readily signed the eight demands of the far-right candidate Sławomir Mentzen, which included ruling out Ukraine’s future NATO membership. Playing on anti-Ukrainian (and anti-German) sentiment, alongside Euroscepticism and sovereignty, is one of the essential elements of the new president’s nationalist discourse.
Certain themes of the Polish election converge with a trend present throughout Central and Eastern Europe. We saw this at work in the Romanian presidential election, where the unsuccessful far-right nationalist candidate, George Simion, came to Warsaw to support Nawrocki, just as the winner, the pro-European centrist Nicușor Dan, lent his support to Trzaskowski. Nawrocki’s success reinforces an emerging “Trumpist” movement in Eastern Europe, with Viktor Orbán in Budapest seeing himself as its self-proclaimed leader. A year ago, Orbán coined the slogan “Over there (in the United States), it’s MAGA; here, it will be MEGA: Make Europe Great Again”. The “Patriots for Europe” group, launched by Orbán last year, is intended to unify this movement within the European Parliament.
American conservative networks, through the Conservative Political Action Conference (CPAC), a gathering of international hard-right figures, and the Trump administration are directly involved in this process. Shortly before the presidential election, Nawrocki travelled to Washington to arrange a photo opportunity with Trump in the Oval Office.
Most notably, two days before the election, Kristi Noem, the US Secretary of Homeland Security, was dispatched on a mission to Poland. Speaking at the CPAC conference in Rzeszów, she explicitly linked a vote for Nawrocki to US security guarantees for Poland:
“If you (elect) a leader that will work with President Donald J. Trump, the Polish people will have a strong ally that will ensure that you will be able to fight off enemies that do not share your values. […] You will have strong borders and protect your communities and keep them safe, and ensure that your citizens are respected every single day. […] You will continue to have a U.S. presence here, a military presence. And you will have equipment that is American-made, that is high quality.”
“Fort Trump”, that is how the outgoing President Andrzej Duda named the US military base financed by Poland after a bilateral agreement was signed with Donald Trump during his first term in office, in 2018. Similarly, the US House Committee on Foreign Affairs sent a letter to the President of the European Commission accusing her of applying “double standards”, pointing out that EU funds had been blocked when the PiS was in power, and claiming that European money had been used to influence the outcome of the Polish presidential election in favour of Trzaskowski. The letter was posted online on the State Department website. Prioritising the transatlantic link at the expense of strengthening Europe was one of the issues at stake in the Warsaw presidential election.
CPAC is playing a significant role in building a Trumpist national-populist network based on rejecting the “liberal hegemony” established in the post-1989 era, regaining sovereignty from the EU, and defending conservative values against a “decadent” Europe. Beyond the Polish presidential election, the goal seems clear: to divide Europeans and weaken them at a time when the transatlantic relationship is being redefined.
Jacques Rupnik ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
26.06.2025 à 17:33
Andrew Corbett, Senior Lecturer in Defence Studies, King's College London
Le sommet de l’OTAN qui vient de se tenir à La Haye a mis en lumière la profondeur des divergences entre les États-Unis et leurs alliés européens. Le secrétaire général Mark Rutte tente de préserver l’unité d’une Alliance bousculée par le recentrage stratégique de Washington sur la Chine et par la compréhension dont Donald Trump fait preuve à l’égard de la Russie mais le communiqué final peine à dissimuler le degré de désaccord entre la plupart des membres de l’organisation et l’équipe en place à la Maison Blanche.
Mark Rutte avait une mission peu enviable cette semaine à La Haye. Le secrétaire général de l’OTAN devait concilier les visions divergentes des États-Unis et de l’Europe quant aux menaces sécuritaires du moment. À première vue, il a atteint son objectif, après voir employé la plus grande flagornerie à l’égard de Donald Trump afin d’obtenir de sa part des engagements cruciaux pour l’Alliance.
Mais ce sommet et les semaines qui l’ont précédé ont mis en évidence une réalité qu’il devient de plus en plus impossible à dissimuler : les États-Unis et l’Europe ne se perçoivent plus comme unis face à un ennemi commun. Créée en 1949 pour faire front à la menace soviétique, l’OTAN a été définie pendant toute la guerre froide par cet affrontement. Après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, Moscou est redevenue l’adversaire principal. Mais ces dernières années, Washington se concentre bien plus sur une Chine de plus en plus belliqueuse.
Des signes symboliques reflètent ce basculement. Chaque déclaration finale de sommet de l’OTAN depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine lancée par la Russie en 2022 affirmait l’attachement à « la légalité internationale, aux buts et principes de la Charte des Nations unies » et à « l’ordre international fondé sur des règles ».
Ce langage a disparu dans la déclaration publiée à La Haye le 25 juin. Contrairement aux précédentes, elle ne compte que cinq paragraphes, brefs et focalisés exclusivement sur les capacités militaires de l’Alliance et les investissements nécessaires pour les entretenir. On n’y retrouve aucune mention du droit international ni de l’ordre mondial.
Ce texte semble être le fruit d’un sommet volontairement raccourci pour minimiser le risque d’un esclandre de Donald Trump. Mais il illustre aussi le fossé grandissant entre la trajectoire stratégique américaine et les priorités sécuritaires du Canada et des membres européens de l’Alliance.
La brièveté de cette déclaration et la restriction de son contenu à un spectre aussi étroit laissent penser que des désaccords profonds ont persisté jusqu’au bout.
Depuis le début de l’invasion totale de l’Ukraine par la Russie en février 2022, les alliés de l’OTAN faisaient bloc derrière Kiev. Ce consensus semble aujourd’hui s’effriter.
Depuis janvier, l’administration Trump n’a autorisé aucune nouvelle aide militaire à l’Ukraine et a considérablement réduit son soutien matériel ainsi que ses critiques à l’encontre de Moscou. Trump a exprimé son souhait de clore rapidement le conflit, en acceptant de facto l’agression russe. Sa proposition envisage de reconnaître l’annexion de la Crimée par la Russie ainsi que son contrôle de certaines régions occupées (Lougansk, parties de Zaporijia, Donetsk et Kherson). L’Ukraine, dans ce scénario, renoncerait à intégrer l’Otan, mais pourrait recevoir des garanties de sécurité et rejoindre l’UE.
À l’inverse, les Européens ont redoublé d’efforts pour financer et armer la défense ukrainienne, tout en renforçant les sanctions contre Moscou.
Autre signal de cette divergence croissante : le secrétaire à la Défense américain, Pete Hegseth, a décidé de se retirer du groupe de contact pour la défense de l’Ukraine, une coalition internationale informelle coordonnant l’aide militaire à Kiev.
Voilà longtemps que Trump martèle que les membres de l’Otan doivent respecter leur engagement pris en 2014 de consacrer 2 % de leur PIB à la défense – un effort dont Rutte a reconnu qu’il était nécessaire. En 2018, Trump avait même réclamé que ce seuil soit porté à 4 ou 5 %, une demande alors jugée irréaliste. Mais désormais, signe d’une inquiétude croissante face à la Russie et aux hésitations américaines, les membres de l’Alliance – à l’exception de l’Espagne – sont convenus de porter leurs dépenses à 5 % du PIB dans les dix prochaines années.
L’article 3 du traité fondateur impose aux États membres de maintenir et de développer leurs capacités de défense. Or, depuis 2022, il est apparu que nombre d’entre eux ne sont pas préparés à une guerre de haute intensité. Le sentiment que la menace russe est désormais directe et concrète s’est renforcé, notamment chez les États baltes, mais aussi en Allemagne, au Royaume-Uni et en France. Ces pays ont reconnu la nécessité d’augmenter leurs budgets militaires et de renforcer leur état de préparation.
Les États-Unis, de plus en plus focalisés sur la Chine, vont redéployer une plus grande partie de leur flotte dans le Pacifique, y affecter leurs nouveaux équipements les plus performants, intensifier leurs opérations de présence, leurs exercices conjoints, leur entraînement et leur coopération avec les marines alliées dans le Pacifique occidental. Ce repositionnement suppose de réduire l’engagement américain en Europe – et donc, pour les Européens, de compenser cette absence pour assurer la dissuasion face à la Russie.
Le pilier central de l’Alliance reste l’article 5, souvent résumé par la formule « Une attaque contre l’un est une attaque contre tous ». Or, en route vers La Haye, Trump semblait hésitant sur la position américaine vis-à-vis de cet engagement. Interrogé sur ce point lors du sommet, il a simplement répondu : « Je le soutiens. C’est bien pour cela que je suis ici. Sinon, je ne serais pas venu. »
Lord Ismay, premier secrétaire général de l’Otan, aurait un jour résumé ainsi le rôle de l’Alliance : « maintenir les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur et les Allemands sous contrôle ». L’Allemagne est désormais au cœur de l’Alliance, les Américains sont là – mais l’attention de Washington est ailleurs. Et Rutte aura fort à faire pour maintenir Trump mobilisé sur la défense de l’Europe, s’il veut continuer à contenir la Russie.
Andrew Corbett ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.