28.04.2025 à 16:58
Sylvain Bellefontaine, Économiste senior, spécialiste des pays émergents et en développement et analyste risque pays, en charge de l'économie internationale, de la Chine, de la Turquie, du Mexique et du Nigeria, Agence Française de Développement (AFD)
La guerre économique est en cours. Mais Donald Trump pourra-t-il persévérer dans la voie de la confrontation avec Pékin, étant donné les risques de déstabilisation économique et financière, une dépendance mutuelle a priori plus difficilement substituable pour les États-Unis et la détermination sans faille affichée par les autorités chinoises ?
Alors que le capitalisme mondialisé du gagnant-gagnant a laissé place à l’idée d’un « capitalisme de la finitude », du fait de la prise de conscience générale du caractère limité des ressources planétaires, la guerre commerciale, technologique et monétaire s’intensifie entre les États-Unis et la Chine. Et à ce stade, les dirigeants chinois apparaissent plus résolus à réagir que lors du premier mandat de Donald Trump.
Objectivement, les États-Unis ne sont pas en position de force sur tous les plans, ce qui pourrait les conduire à privilégier un « super deal » avec Pékin (cf. tableau infra). Néanmoins, dans un scénario d’escalade extrême des tensions sino-américaines, le risque est celui d’une déstabilisation majeure de l’ordre économique mondial, voire d’un basculement sur le terrain géopolitique et militaire.
La relation économique sino-états-unienne résume les grands déséquilibres macroéconomiques mondiaux, dans un jeu comptable à somme nulle, illustré par les positions extérieures nettes des deux pays. Ces déséquilibres peuvent perdurer ou se réguler graduellement par des ajustements coopératifs ou des évolutions non concertées mais convergentes des modèles économiques et de société. Aucune de ces options n’apparaît envisageable, à très court terme, compte tenu de l’escalade dans le rapport de force entre les États-Unis et la Chine.
Le projet de l’administration Trump est un miroir aux alouettes. D’une part, il prône une relocalisation des investissements et une réindustrialisation (qui prendraient au mieux des années) pour soutenir l’emploi et l’autonomie stratégique du pays, à travers une dépréciation du dollar « concertée avec les partenaires ». D’autre part, il cherche à maintenir l’hégémonie du dollar comme devise de réserve internationale, tout en préservant le modèle consumériste.
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Ce double objectif antinomique sur le dollar remet au goût du jour le dilemme de Triffin, matérialisé lors de la suspension de la convertibilité du dollar en or en 1971, en vertu duquel le dollar devait satisfaire deux objectifs inconciliables : la stabilité en tant qu’étalon de mesure pour les monnaies et les marchandises, et l’abondance en tant que moyen de règlement international et instrument de réserve.
Avec la menace de retrait des garanties de sécurité états-uniennes, les tarifs douaniers sont brandis comme une arme coercitive et de négociation envers le reste du monde vassalisé. À double emploi, ils sont aussi envisagés comme un moyen, au mieux très partiel, de substituer les taxes à l’importation aux impôts domestiques, rappelant les États-Unis du tournant du XXe siècle.
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Quant à la Chine, elle se présente avec ses certitudes sur sa puissance industrielle et exportatrice, déployant une stratégie fondée sur le triptyque représailles-adaptation-diversification. Mais des doutes existent quant à sa capacité à rééquilibrer son modèle de croissance vers la consommation, dans un contexte de sur-épargne accentuée par la morosité ambiante post-pandémie.
La crise immobilière, la déflation, l’endettement élevé (entreprises et collectivités locales), le ralentissement structurel de la croissance économique et le déclin démographique font poindre le spectre d’une « japonisation précoce ». Les similitudes avec la trajectoire du Japon pourraient même être renforcées par un éventuel nouvel accord sur les parités des devises comme celui du Plaza en 1985.
Les deux puissances systémiques mondiales s’affranchissent, chacune à sa manière, des justes règles de la concurrence et du commerce international. Les États-Unis jouissent (encore) du privilège exorbitant du dollar et de son pendant, à savoir l’extraterritorialité du droit américain. La Chine assure ses parts de marché mondiales (14 % au global et 22 % sur les biens manufacturés) en subventionnant ses secteurs stratégiques et en pratiquant une forme de dumping qui lui permet d’exporter ses surcapacités, aidée par le Renminbi, une devise chinoise jugée sous-évaluée par les autorités américaines, contrairement aux analyses du FMI.
Depuis quatre décennies, la relation sino-américaine est passée de la coopération à la « coopétition », pour glisser à partir de 2018 et dangereusement en 2025 vers la confrontation, à mesure que la Chine basculait du statut d’atelier manufacturier de biens à faible valeur ajoutée à concurrent direct sur les biens et services innovants, technologiques, verts et à haute valeur ajoutée.
Au cœur de la « première révolution industrielle » chinoise des années 1980-2000, l’attractivité pour les investisseurs étrangers, notamment à travers le déploiement de zones économiques spéciales (zones franches) et les transferts de technologies, a laissé place à une économie quasi schumpetérienne de l’innovation. Cette « seconde révolution industrielle » a été renforcée par des objectifs de « sinisation » des chaînes de valeur, d’indépendance technologique ainsi que d’autosuffisance et de sécurisation énergétique et alimentaire.
Traditionnel market maker sur le marché mondial des matières premières, des hydrocarbures aux produits agricoles, la Chine a très tôt pris conscience de l’importance des métaux critiques et stratégiques (dès les années 1980 pour les terres rares), domaine dans lequel elle dispose d’une position dominante, surtout en tant que transformateur avec une maîtrise complète de la chaîne de valeur.
En 2020, les produits manufacturés chinois généraient plus d’un tiers de la valeur ajoutée dans le commerce mondial de biens manufacturés. En 2022, 56 % des robots industriels installés dans le monde l’ont été en Chine et 45 % des brevets mondiaux ont été déposés par la Chine entre 2019 et 2023. Même si les États-Unis maintiennent leur leadership dans le domaine des start-ups, la Chine recense 340 licornes (start-ups privées valorisées à plus d’un milliard de dollars US), dont plus d’un quart sont impliquées dans le secteur de l’intelligence artificielle (dont DeepSeek) et des semi-conducteurs.
En avril 2025, le niveau prohibitif atteint par les droits de douane bilatéraux et les autres mesures non tarifaires annihile les échanges commerciaux sino-américains. Toutefois, les exemptions accordées par l’administration Trump sur certains produits, dont les ordinateurs et smartphones, illustrent la dépendance des États-Unis envers la Chine.
En 2024, malgré la perte de parts de marché aux États-Unis depuis le premier mandat de Donald Trump (14 % vs. 22 % en 2018), le marché états-unien absorbait (encore) 14,6 % des exportations chinoises, hors exportations « indirectes » transitant désormais par des pays tiers tels que le Vietnam. L’excédent commercial de la Chine envers les États-Unis ressortait à 279 milliards de dollars US en 2023, soit 26 % de son excédent global, alors que le déficit bilatéral des États-Unis était de 340 milliards de dollars US, soit 30 % de leur déficit global.
Loin d’être anecdotique, les terres rares extraites aux États-Unis sont raffinées en Chine et les IDE américains sur le sol chinois représentent des capacités de production installées importantes dans la filière des véhicules et batteries électriques.
Depuis la crise financière de 2008, consciente de son exposition excessive aux bons du Trésor américain, la Chine en a réduit sa détention de 1 300 milliards de dollars US en 2011 à 761 milliards de dollars US en janvier 2025. Ce montant encore significatif en termes absolus ne représente que 2 % de la dette publique des États-Unis, détenue à 22 % seulement par des non-résidents.
Si la stabilité du marché obligataire américain dépend plus largement des investisseurs résidents, le projet évoqué de contraindre le reste du monde à continuer de financer les déficits publics du pays à des conditions favorables (échange de dette contre des obligations à très long terme) ou d’imposer une taxe sur les détenteurs étrangers de bons du Trésor pourrait générer un risque majeur de déstabilisation financière mondiale en démonétisant l’actif sans risque de référence.
L’opinion publique américaine, les lobbies économiques, les marchés financiers, les GAFAM, les dissensions au sein de l’administration, ou encore les élus républicains en quête de réélection sont des forces de rappel qui pourraient imposer à Donald Trump une désescalade voire un « super deal » avec Xi Jinping. A contrario, l’entêtement dans des droits de douane punitifs pourrait générer une crise économique et financière mondiale profonde et une dislocation de l’ordre international.
Dans ce bras de fer entre Washington et Pékin, le temps joue donc pour le second. Le régime chinois est déterminé à faire de la Chine la première puissance économique mondiale d’ici à 2049, pour le centenaire de la République populaire. Il a montré sa capacité à se projeter sur le temps long et à instiller une dose d’adaptabilité du modèle d’« économie sociale de marché » suffisante à sa perpétuation, et il ne doit pas rendre compte de son action dans les urnes.
Dans sa relation au monde, la Chine poursuit sa stratégie séculaire de réserve de façade et propose le récit d’un pays ouvert, libre-échangiste, à la recherche de la concorde mondiale, se positionnant pour un ordre multipolaire et en contre-puissance des États-Unis. Dans le cadre de sa stratégie de soft power incarnée par le club des BRICS+ et la Belt & Road Initiative, la Chine a diversifié ses actifs financiers internationaux et investi tous azimuts en Asie, en Amérique latine et en Afrique.
Parallèlement à l’aversion croissante des investisseurs internationaux vis-à-vis du marché chinois dans une stratégie de derisking-decoupling, les firmes chinoises pourraient continuer de s’extravertir en investissant à l’étranger dans une stratégie de nearshoring et de contournement des barrières protectionnistes, notamment dans l’accès au marché européen.
Le désengagement des États-Unis du cadre multilatéral pourrait être une opportunité pour la Chine de renforcer son influence dans les instances internationales, en se présentant comme le principal défenseur des pays en développement, du libre-échange et de l’aide internationale, dans une forme d’inversion des valeurs.
Malgré tout, la position ambiguë de la Chine sur la guerre en Ukraine, ses accointances avec la Russie, la Corée du Nord et l’Iran, ses visées ostensibles sur Taïwan et son expansionnisme territorial en mer de Chine demeurent des sources d’inquiétude. La Chine, qui n’a plus été impliquée dans un conflit armé depuis la guerre sino-vietnamienne de 1979, a augmenté ses dépenses militaires au cours des dernières années, pour les porter à 245 milliards de dollars US officiellement en 2024 – mais peut-être de l’ordre de 450 milliards de dollars US en réalité, soit encore moitié moins, exprimé en dollars, que le budget de la défense des États-Unis.
Voici un tableau volontairement binaire des scénarios géoéconomiques possibles, qui n’exclut pas d’autres hypothèses comme un scénario intermédiaire de « guerre commerciale universelle larvée » impliquant l’UE, voire d’autres puissances régionales.
Sylvain Bellefontaine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
28.04.2025 à 16:54
Deransart Colin, Enseignant-chercheur en neurosciences, Grenoble Institut des Neurosciences (GIN), Université Grenoble Alpes (UGA)
Bertrand Favier, Dr Vétérinaire, Maitre de conférences à l'UFR de Chimie Biologie, Université Grenoble Alpes (UGA)
Boulet sabrina, Professeur des Universités- Neurosciences, Université Grenoble Alpes (UGA)
Véronique Coizet, CR Inserm en Neurosciences, Université Grenoble Alpes (UGA)
L’expérimentation animale fait débat. La recherche scientifique est-elle prête à se passer des animaux ? Les alternatives sont-elles suffisantes ? La discussion mérite en tout cas d’être menée de la manière la plus objective possible.
La maladie de Parkinson touche plus de 270 000 personnes en France. Lorsque le diagnostic est posé, la destruction des neurones producteurs de dopamine est trop avancée pour envisager des traitements curatifs. Pour obtenir des marqueurs précoces de la maladie, et permettre des traitements préventifs, l’équipe des chercheurs du Professeur Boulet du Grenoble Institut des Neurosciences a développé une recherche métabolomique par Résonance Magnétique Nucléaire.
A l’image de l’analyse des gaz d’échappement d’une voiture lors d’un contrôle technique dont la recherche des produits de combustion permet de déceler d’éventuelles anomalies de fonctionnement du moteur, la métabolomique par Résonance Magnétique Nucléaire permet l’identification de toutes les substances organiques de petites tailles (comme certains acides aminés) ou de leurs produits de dégradation issus des cascades des évènements moléculaires se produisant dans les cellules. L’identification de ces substances ou métabolites au sein d’un échantillon biologique, comme le sang ou d’autres tissus, permet donc de déceler d’éventuels marqueurs de la maladie (biomarqueurs). Cette approche se situe en aval de l’étude des gènes (génomique), de l’ensemble des ARN messagers (transcriptomique) et de l’ensemble des protéines (protéomique). Cette approche novatrice permet donc d’appréhender l’ensemble des facteurs (génétiques, environnementaux, nutritionnels…) dont la résultante est susceptible de conduire à une maladie.
Les chercheurs ont croisé les métabolites issus de trois modèles animaux complémentaires de la maladie de Parkinson et ont soumis aux mêmes analyses des échantillons de sang issus de patients nouvellement diagnostiqués mais non encore traités (patients de novo).
En 1959 les biologistes William Russel et Rex Burch ont proposé des recommandations éthiques en expérimentation animale connues sous le terme de « règle des 3 R » qui font encore aujourd’hui consensus à l’égard du traitement éthique des animaux de laboratoire. Ces recommandations visent à remplacer quand cela est possible l’utilisation d’animaux par des modèles alternatifs, réduire le nombre d’animaux requis et raffiner les expérimentations en minimisant les contraintes imposées aux animaux (douleur, souffrance, angoisse…).
Il semble contraire au critère de réduction de faire appel à une multiplicité de modèles animaux différents pour une même étude. Dans cette étude, utiliser trois modèles a permis de recouper entre elles les données, et d’en augmenter la portée « translationnelle » des résultats, c’est-à-dire ce qui permet de les transposer à l’humain. En effet, chaque modèle présentait des caractéristiques complémentaires de la maladie de Parkinson, chacun imitant différentes phases de la maladie, depuis la phase où seuls des déficits de motivation sont présents, jusqu’à celle avec des symptômes moteurs. De plus, les chercheurs ont développé une échelle de cotation de la progression de la maladie calquée sur ce qui existe en clinique humaine, évaluant les performances motivationnelles, motrices et l’étendue des lésions neurologiques. Cela a amélioré l’aspect translationnel de ces études et a participé aussi au raffinement des expérimentations.
Le premier modèle porte sur des rats traités par une neurotoxine ciblant les neurones dopaminergiques. Il est ainsi possible de constituer des lots d’animaux mimant de façon stable et sans évolution temporelle, un stade précis de la maladie ; ceci est une simplification de la maladie humaine où chaque patient est un cas particulier évolutif. En complément, les chercheurs ont sélectionné un second modèle reflétant la nature progressive de la pathologie dont le marqueur est lié à la production d’une protéine délétère. Bien que ce modèle permette chez un même animal de suivre la progression de la pathologie, il n’englobe pas tous les symptômes neuropsychiatriques caractéristiques du stade précoce de la maladie (tel que l’apathie).
Enfin, le troisième modèle, induit par injection d’une neurotoxine à des macaques, reproduit l’évolution des phases cliniques de la maladie et présente une plus grande homologie avec l’humain. L’homologie d’un modèle se réfère à sa capacité à mimer les mécanismes physiologiques sous-jacents à l’origine de la pathologie étudiée chez l’humain : on parle donc d’identité de causalité et de mécanismes mis en jeu.
Chez ces animaux, les dérégulations métaboliques ont amené à identifier six métabolites, potentiellement liés au processus neurodégénératif, dont les niveaux combinés constituent un biomarqueur métabolique composite. Ce biomarqueur permet de discriminer les animaux imitant la maladie de Parkinson des témoins, et ce, dès la phase précoce. Ce résultat n’aurait pas été atteint si une seule situation, un seul modèle animal, avait été étudié.
Les résultats obtenus chez les animaux ont ensuite été comparés avec les résultats de patients de novo (diagnostiqués mais non encore traités) provenant de deux banques différentes. Les mêmes six métabolites constituant le biomarqueur identifié chez les animaux ont permis de distinguer les patients de novo des patients sains avec un niveau élevé de sensibilité et de spécificité.
Les chercheurs ont également montré que la dérégulation de 3 des 6 métabolites composant le biomarqueur peut être partiellement corrigée par un médicament mimant les effets de la dopamine. Ce traitement permet de corriger le déficit de motivation des animaux à la phase précoce. Cette amélioration partielle a également été observée dans un sous-ensemble des patients de l’étude. Cela renforce l’intérêt du biomarqueur identifié et suggère que ce marqueur permettrait de surveiller l’évolution des traitements d’une manière moins contraignante que les méthodes d’imagerie médicale actuelles.
Outre les perspectives diagnostiques de cette étude, ces travaux ont également permis d’identifier un mécanisme de régulation du métabolisme cellulaire sur lequel on pourrait agir pour contrer les effets de la maladie, offrant ainsi des perspectives thérapeutiques. Ceci illustre notamment à quel point recherche fondamentale et recherche appliquée sont fortement indissociables l’une de l’autre. Nous venons de le voir au travers de cet exemple, mais de nombreuses recherches montrent l’intérêt de l’expérimentation animale, comme dans le cas des travaux de Pasteur sur la rage, les travaux grenoblois sur les approches par stimulations électriques intracérébrales profondes qui ont permis de révolutionner la prise en charge de nombreux patients parkinsoniens à travers le monde, ou encore, plus proche de nous, les travaux sur les ARN messagers ayant permis la mise au point de vaccins contre la Covid-19 et ont valu à leurs auteurs le prix Nobel de Médecine 2023.
Au-delà de ces avancées scientifiques, les détracteurs de l’expérimentation animale mettent en avant la faible transposabilité des résultats obtenus chez l’animal à l’homme, un de leurs argument étant que « 90 % des traitements testés avec succès sur les animaux se révèlent inefficaces ou dangereux pour les êtres humains ». Ceci leur permet notamment de justifier le recours à l’utilisation de modèles alternatifs à l’animal, tels que des modèles in vitro ou in silico.
Cette citation nous semble cependant partielle et partiale. Il n’a pas été démontré que la transposabilité des tests in vitro et/ou in silico soit meilleure en l’état actuel des techniques.
En réalité, ces tests sont les premiers cribles de l’ensemble des tests précliniques et la contribution des animaux est essentielle puisqu’en fin de phase pré-clinique, ils permettent d’exclure 40 % de candidats médicaments, notamment sur la base de risques potentiels chez l’humain.
Par ailleurs, les auteurs dutexte cité après avoir souligné cette faible transposabilité, proposent plutôt de mettre l’accent sur la robustesse des approches expérimentales, en assurant une recherche rigoureuse tant sur les animaux que chez les humains. Ils suggèrent ainsi « d’harmoniser la conception des protocoles expérimentaux menés chez l’humain (étude clinique) avec celle des études précliniques réalisées chez l’animal dont l’utilisation demeure indispensable, balayant la vision manichéenne qui voudrait que s’opposent une communauté pro-expérimentation animale et une autre, pro-méthodes alternatives. »
Le fait d’attribuer des capacités cognitives à l’autre – humain comme animal – nous confère un socle commun de droits moraux et apporte du sens à nos actions. Le domaine de l’expérimentation animale n’échappe pas à cette règle.
Il a été avancé que les chercheurs utilisant des animaux à des fins scientifiques auraient une moindre empathie vis-à-vis de la souffrance animale que le reste de la population.
Cette observation nous parait occulter un point important. De même qu’un chirurgien ne s’évanouit pas à la vue du sang au moment crucial de son intervention, en tant que chercheurs travaillant sur des modèles animaux, nous réfléchissons aux conséquences de nos actes. Leur aspect émotionnel est maîtrisé, mais non oblitéré : le chercheur n’a aucun intérêt à négliger la souffrance animale. Une expérience sur un modèle animal perd de sa puissance de déduction si certains animaux sont en panique, d’autres en stress, ou en prostration. Bien au contraire, la qualité de la science dans ce domaine va de pair avec le bien-être des animaux. La démarche de raffinement citée plus haut vise également à limiter les symptômes au strict minimum pour l’étude de la maladie, et elle est indissociable d’une empathie raisonnée avec les animaux utilisés.
Il est nécessaire également de rappeler que la qualité de nos avancées médicales comme de nos services de soins assume que le nombre moyen d’animaux que chaque Français « utilisera » au cours de sa vie entière est de 2,6 animaux. Ce nombre est à mettre lui-même en rapport avec les 1298 animaux, en moyenne, que pour toute sa vie un(e) Français(e) utilisera pour se nourrir. L’utilisation d’animaux en recherche expérimentale telle qu’elle est pratiquée de nos jours dans un cadre raisonné et contrôlé, et dans le respect du bien-être animal, reste, selon nous, une nécessité pour l’évolution de nos connaissances, même si son bannissement « à terme » tel qu’inscrit dans le marbre de la loi européenne doit nous inciter à en limiter le nombre et à développer des alternatives.
Enfin, en ce qui concerne le respect effectif des lois relatives à l’utilisation d’animaux en recherche, dont l’obligation d’appliquer les 3R, les inspecteurs vétérinaires départementaux ont à leur disposition des sanctions dissuasives qui peuvent être lourdes en cas de maltraitance.
En tant que chercheurs, nous savons que la recherche en expérimentation animale est sujette à des controverses : nos détracteurs adhèrent aux idées développées par les mouvements opposés à l’expérimentation animale en partie parce qu’il n’y a pas de manifestation de ceux qui sont en faveur de cette pratique. C’est précisément pour cela qu’il nous incombe de rendre compte à nos concitoyens de ce que nous faisons dans nos laboratoires.
Colin Deransart a reçu des financements de la Ligue Française Contre les Epilepsies, des Laboratoires GlaxoSmithKline, de la Fondation Electricité de France, de l'ANR et d'un Programme Hospitalier de Recherche Clinique.
Bertrand Favier est membre de l'AFSTAL. Sa recherche actuelle est financée par l'ANR et la Société Française de Rhumatologie en plus de son employeur.
Boulet sabrina a reçu des financements de l'ANR, la Fondation de France, la fondation pour la Rechercher sur le Cerveau, la fondation France Parkinson.
Véronique Coizet a reçu des financements de l'ANR, la fondation France Parkinson, la Fondation de France. Elle est présidente du comité d'éthique de l'Institut des Neurosciences de Grenoble et membre du comité Santé et bien-être des animaux.
28.04.2025 à 13:10
Fiona Ottaviani, Associate professor en économie - Grenoble Ecole de Management, F-38000 Grenoble, France - coordinatrice recherche Chaire Unesco pour une culture de paix économique - co-titulaire Chaire Territoires en Transition, Grenoble École de Management (GEM)
Eléonore Lavoine, Doctorante en gestion - Evaluation de l'utilité sociale territoriale, Grenoble École de Management (GEM)
Fanny Argoud, Doctorante en sciences de gestion, Aix-Marseille Université (AMU)
Hélène L'Huillier, Chercheuse et évaluatrice indépendante, partenaire du Campus de la Transition, ESSEC
Lola Mercier Valero, Assistante de recherche, Grenoble École de Management (GEM)
Thibault Daudigeos, Professeur Associé au département Homme, Organisations et Société, Grenoble École de Management (GEM)
Pour sortir de l’approche coûts-bénéfices, place aux co-bénéfices. Ils désignent les multiples effets positifs générés par une même action, qu’ils soient sociaux, économiques ou environnementaux. Concrètement, comment mettre en œuvre cette approche et à quoi sert-elle ?
Il vous arrive sans doute d’aller chercher votre pain en vélo ou à pied plutôt qu’en voiture, en vous disant que c’est bon pour la planète, mais aussi pour la santé et le porte-monnaie. Saviez-vous que ce type d’effets positifs multiples liés à une même action porte un nom : les co-bénéfices ?
Face à l’approche des coûts-bénéfices, qui a irrigué le raisonnement économique au cours des dernières décennies, se développe cette approche. Elle offre une grille de lecture plus adaptée pour comprendre l’interdépendance des crises actuelles et les façons d’y répondre. Penser les co-bénéfices amène à concilier les multiples dimensions d'un projet… souvent considérées inconciliables.
Par exemple, dans le rapport de l’Agence de la transition écologique (Ademe) « Indicateurs de bien vivre et co-bénéfices de la sobriété », nous montrons que la sobriété et les actions associées ne sont ni perçues positivement ni mises en œuvre par l’ensemble des acteurs des territoires, alors qu’elles sont également un levier du bien vivre.
Alors, qu’apporte cette approche par rapport à une réflexion économique traditionnelle fondée sur les coûts-bénéfices ? Concrètement, comment la mettre en œuvre ?
L’économiste Éloi Laurent situe l’apparition de la définition des co-bénéfices à la Commission santé et changement climatique sous l’égide de la revue médicale The Lancet, il y a une quinzaine d’années. Ils sont abordés comme des « avantages collatéraux liés à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, tels que l’amélioration de la qualité de l’air, l’innovation technologique ou la création d’emplois ».
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Chaque lundi, des informations utiles pour votre carrière et tout ce qui concerne la vie de l’entreprise (stratégie, RH marketing, finance…).
Actuellement, la notion de co-bénéfices est de plus en plus utilisée par les institutions internationales. Le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec), la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), la Banque mondiale, ou encore, à l’échelle nationale, la Commission de l’économie du développement durable (CEDD) ou l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), s’en sont ainsi emparés ces dernières années.
Le rapport Nexus, ou « Affronter ensemble cinq crises mondiales interconnectées en matière de biodiversité, d’eau, d’alimentation, de santé et de changement climatique », a été récemment publié par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Il mobilise la notion de co-bénéfices pour mettre en lumière l’interconnexion des enjeux et des crises, mais également les réponses pouvant répondant durablement à ces crises.
Soixante-dix réponses générant des co-bénéfices sur plusieurs des cinq éléments du « Nexus » – la biodiversité, l’eau, l’alimentation, la santé et le changement climatique – sont proposées dans le deuxième volet du rapport intitulé « Transformative Change ».
À titre d’exemple, une des réponses combine la restauration des écosystèmes riches en carbone tels que les forêts, les sols, les mangroves et la gestion de la biodiversité pour réduire le risque de propagation des maladies des animaux aux humains.
Face aux crises environnementales et sociales actuelles, il est urgent de repenser et de réinventer nos modèles d’organisation socioéconomique. La tendance est de penser les réponses face à ces crises en silo, alors qu’elles sont intrinsèquement liées. Les acteurs économiques visent le zéro carbone (ou zéro émission nette), sans interroger l’incidence des choix faits sur les autres volets environnementaux ou sociaux. Comme le montre le rapport croisé du GIEC et de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), les interrelations entre changement climatique et biodiversité sont nombreuses.
Les valeurs créées sont souvent réduites à différents indicateurs financiers et monétaires avec une approche par les coûts et bénéfices. On pourrait décider de remplacer un véhicule thermique par un véhicule électrique si les économies réalisées en termes de consommation énergétique, mais aussi de réduction d’émissions de CO2, sont supérieures à l’investissement consenti. Malgré son utilité pour la décision, cette approche oblitère les relations entre les différents enjeux environnementaux, économiques et sociaux.
L’approche coûts-bénéfices renvoie à l’idée que les différentes formes de capital pourraient se compenser. Elle oblige fréquemment un chiffrage monétaire d’éléments n’ayant pas de prix de marché. Cette approche amène à considérer qu’une vie humaine n’aurait pas la même valeur selon l’endroit où l’on naît…
S’en détacher pour les co-bénéfices permet de mieux répondre aux interdépendances des enjeux et d’identifier les leviers de changement systémique. L'idée : prendre en compte les conséquences sur la pollution, l’épuisement des ressources ou le bien-être de la population.
Faire du vélo se traduit par des co-bénéfices sur la santé mentale et physique et l’émission de CO2. Cette approche est indispensable pour penser les enjeux de transition : les transitions sont interdépendantes, il faut les penser comme un tout. Une politique climatique efficace ne peut se limiter à la réduction des émissions de CO2, sans considérer son impact sur les emplois locaux, les conditions de vie de la population ou les inégalités socio-spatiales.
Dans les organisations, penser les co-bénéfices permet de répondre aux impératifs sociaux et environnementaux, d’optimiser l’utilisation des ressources financières, personnelles et ressources naturelles et de maximiser les effets positifs d’une seule action sur diverses dimensions. Il y a, selon l’économiste chilien Manfred Max-Neef, un gain d’efficience.
À titre d’illustration, le partage des infrastructures des entreprises ou collectivités peut être positif tant du point de vue de l’artificialisation des sols, de l’optimisation de l’usage de l’énergie, que du point de vue du lien social.
Cette approche plus systémique constitue une fenêtre d’opportunité pour les entreprises afin de sortir d’une logique de conformité et d’un raisonnement en silo promus par la Directive européenne relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD). Pour les collectivités, sur fond de pénurie budgétaire, le ciblage d’actions couplant des bénéfices socioéconomiques et environnementaux s’avère de plus en plus essentiel. L’intégration de co-bénéfices dans les méthodes de pilotage et d’évaluation d’impact des organisations est une voie prometteuse pour répondre aux exigences d’une transition plus juste et soutenable.
La prochaine fois que vous irez chercher du pain en vélo, songez combien il serait loisible d’étendre à d’autres champs de tels co-bénéfices !
Le rapport sur les cobénéfices de la sobriété et les indicateurs de bien vivre a été commandité par l'ADEME et écrit par la chaire Territoires en transition et le campus de la transition.
Le rapport sur les cobénéfices de la sobriété et les indicateurs de bien vivre a été commandité par l'ADEME et écrit par la chaire Territoires en transition et le Campus de la transition.
Eléonore Lavoine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
28.04.2025 à 12:59
Christel Tessier Dargent, Maître de Conférences, Université Jean Monnet, Saint-Etienne, IAE Saint-Etienne
Ils ont entre 10 et 18 ans, vivent en France et se sont lancés très jeunes dans l’entrepreneuriat… Phénomène de mode ou vague de fond ? Quels sont les risques et les opportunités pour ces adolescents-entrepreneurs ?
Mineurs, ils développent leur business « sous les radars ». L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ne donne pas de chiffres sur les moins de 18 ans qui dirigent une entreprise, même s’ils sont la coqueluche des médias.
Ils choisissent, par exemple, de s’émanciper à 16 ans, pour devenir micro-entrepreneurs, un statut aux obligations réduites, adapté à une petite activité sans risque, mais à forte valeur ajoutée. Alternative : sans être émancipés, enregistrer une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) ou société par actions simplifiée unipersonnelle (Sasu, avec l’autorisation de leurs parents, formes plus classiques d’entreprise permettant un développement rapide et la gestion d’actifs plus importants.
Les plus jeunes gèrent leurs affaires dans une zone grise, recourant à des proches, souvent leurs parents comme prête-noms, ou opérant temporairement en économie informelle. Ce qui semble encore un épiphénomène en France représente une tendance plus marquée dans les pays anglo-saxons.
Au Royaume-Uni, le nombre d’adolescents-entrepreneurs, âgés de 16 à 19 ans, a été multiplié par huit entre 2009 et 2020 : 6 800 entreprises ont été enregistrées, avec une augmentation de 20 % pendant la pandémie de Covid. Aux États-Unis, on estime à deux millions le nombre d’entrepreneurs adolescents (même si, là encore, les statistiques manquent de rigueur), avec d’éclatantes success stories.
À l’autre extrême du spectre, l’entrepreneuriat dit de nécessité représente pour les personnes vulnérables, dont certains adolescents dans des contextes socio-économiques difficiles, un moyen de survie face à la pauvreté.
Pour les pouvoirs publics, l’entrepreneuriat apparaît ainsi comme un outil permettant de réduire le chômage des jeunes, mais aussi d’offrir aux nouvelles générations les moyens de relever les défis du monde contemporain. En France, où souffle depuis le début du XXIe siècle un esprit entrepreneurial inédit, de nombreux dispositifs encouragent l’entrepreneuriat des étudiants. Le programme Pépite, lancé en 2014, a pour vocation de sensibiliser à la culture entrepreneuriale sur les campus français et d’accompagner les étudiants-entrepreneurs dans leurs projets.
Certains chercheurs mentionnent l’intérêt de dispositifs d’éducation entrepreneuriale dès le primaire et le secondaire. La France est actuellement classée parmi les pays les moins en pointe sur le sujet, à l’instar de l’Allemagne et du Japon.
Les premiers de la classe : la Finlande, les Pays-Bas, la Norvège, le Qatar et les Émirats arabes unis caracolent en tête
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Une recherche réalisée auprès d’une trentaine d’entrepreneurs ayant développé leurs entreprises avant leur majorité nous éclaire sur l’intérêt, mais aussi sur les limites de ces initiatives. Elle a été présentée dans le cadre de la conférence RENT 2025.
Les vingt-cinq informants de cette étude, dont seulement deux jeunes femmes, habitent aux quatre coins de la France. Ils ont entre 13 et 17 ans. Ils ont lancé leurs projets dans le numérique, mais aussi dans la mode, l’ameublement ou l’artisanat.
Nous parlons bien d’adolescents entrepreneurs. Il ne s’agit pas de vente de limonade sur le trottoir ou de bijoux en pâte Fimo à des copines de classe, mais bien de produits innovants, de recrutements de personnel et de revenus à cinq chiffres… Une aventure pour laquelle il a fallu convaincre des parents, souvent inquiets et qui encouragent la poursuite d’études en parallèle.
Des parents disposant parfois d’un capital financier et social propice à soutenir les ambitions de leur progéniture, mais rarement entrepreneurs eux-mêmes.
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Dans ce contexte, il faut souligner le rôle prépondérant de la digitalisation comme facilitateur externe pour ces digital natives. Les « enfants du numérique » s’emparent aisément de ces technologies qui leur offrent de nouvelles façons de faire, de nouvelles opportunités d’affaires et des modèles commerciaux innovants.
Un jeune entrepreneur résume :
« J’ai trouvé l’idée [un site comparateur de prix] sur Internet, je me suis formé sur YouTube, et j’ai lancé mon entreprise sur un ordi dans ma chambre. »
Comme l’évoque un autre informant :
« Avec le numérique, ce qui compte, ce n’est pas l’âge, mais l’expérience. »
Souvent autodidactes, ils se détournent de l’éducation traditionnelle, jugée peu pertinente et partiellement obsolète. Ils lui préfèrent une formation ciblée via des sites dénichés sur le web : codage, IA, marketing digital, rédaction de statuts juridiques, etc. Les plateformes leur permettent de recruter aisément des free-lancers à travers le monde.
Les investissements initiaux prennent souvent la forme de financements participatifs. Le travail à distance leur permet de masquer leur jeune âge et de construire une légitimité sur la seule base de l’expertise développée.
Leur maîtrise des réseaux sociaux permet un personal branding efficace et la création d’un solide écosystème entrepreneurial virtuel. Ce monde numérique se prolonge dans le monde réel, où se crée une solidarité entre pairs qui pallie l’absence de structures institutionnelles.
Les risques et problématiques, évoqués de façon très transparente par ces entrepreneurs-adolescents sont importants. L’un explique :
« Pour ne pas bosser gratuitement, je récupérais des enveloppes de cash dans le métro. »
Un autre complète :
« Il m’a fallu trois mois pour obtenir un statut, personne ne [me] connaissait. »
L’absence de légitimité et la discrimination liée à la perception négative du jeune âge sont répandues, notamment auprès des clients et investisseurs.
L’inexistence de structures d’accompagnement est un frein pour conseiller le jeune dans le développement de son projet, ainsi que la méconnaissance des dispositifs existants par les administrations. Un informant confirme :
« Impossible de se former sur la fiscalité, la comptabilité. Aucune structure n’est prévue pour nous, aucun conseil. »
Surtout, ils rencontrent des difficultés à maintenir une bonne santé physique et mentale face au stress et à la lourde charge de travail. L’un d’eux l’explique :
« Je bossais cent heures par semaine, enfermé dans ma chambre. J’ai dû arrêter le lycée. Je n’avais même plus le temps de faire du sport. »
Cette pression est accentuée pour beaucoup par la nécessité de poursuivre une scolarité classique en parallèle de l’activité entrepreneuriale, contrairement aux artistes ou sportifs de haut niveau par exemple. Le sport étude, un modèle pour ces entrepreneurs-adolescents ?
« Les journaux racontent n’importe quoi, les influenceurs, ça n’est pas de l’entrepreneuriat, c’est de l’argent facile. »
Presque tous les jeunes entrepreneurs interrogés sont devenus des serial entrepreneurs. Ils perçoivent que cette période de la vie est propice à la création d’entreprise, compte tenu de leur peu de charges financières ou de responsabilités annexes, alors qu’ils débordent d’énergie, d’idées, d’insouciance et d’ambition.
Ces entrepreneurs-adolescents poursuivent avec détermination leur trajectoire entrepreneuriale. Les points positifs dans cette aventure adolescente sont légion. Ils apprécient l’autonomie financière acquise très tôt, la possibilité de passer à l’action, de s’adonner à leur passion ou de répondre à un besoin qu’ils ont souvent eux-mêmes éprouvé.
Deux caractéristiques frappantes : la confiance en soi et le fort sentiment d’auto-efficacité développés par ces adolescents. Contrairement à leurs aînés, ils ont un rapport décomplexé à l’échec, même s’ils ont une gestion « de bons pères de famille ». L’un d’eux confirme :
« La réussite, c’est d’abord beaucoup d’échecs ; ça accélère le processus d’apprentissage. »
Peu d’entre eux, cependant, expriment une sensibilité environnementale, alors que cette tendance se développe ensuite.
Enfin, il est marquant de constater que les jeunes femmes sont très sous-représentées dans l’échantillon français : phénomène culturel, discrimination additionnelle, barrière du digital ? Ces deux questions mériteraient d’être approfondies.
Christel Tessier Dargent a reçu des financements de Université Jean Monnet.