12.08.2025 à 17:09
Primrose Freestone, Senior Lecturer in Clinical Microbiology, University of Leicester
Peut-on tomber malade à cause de la climatisation ? Dans des conditions de fonctionnement normales, non. Mais si un système de climatisation est mal entretenu ou défectueux, les conséquences sur la santé peuvent être graves.
La climatisation peut être une véritable bénédiction lors des chaudes journées d’été. Elle maintient une température agréable et contrôle l’humidité, rendant les environnements intérieurs supportables même lors des vagues de chaleur.
Or certaines personnes évitent d’utiliser la climatisation, quelle que soit la température extérieure, de peur qu’elle ne les rende malades. On pourrait trouver cela exagéré, mais en tant que microbiologiste, je peux affirmer que cette crainte n’est pas totalement infondée.
En effet, si un système de climatisation fonctionne mal ou n’est pas correctement entretenu, il peut être contaminé par des microbes infectieux. Votre climatiseur peut alors devenir une source potentielle de nombreuses infections transmissibles par l’air, allant du simple rhume à la pneumonie.
Le « syndrome des bâtiments malsains » est le nom générique donné aux symptômes qui peuvent apparaître après un séjour prolongé dans des environnements climatisés. Ces symptômes peuvent inclure des maux de tête, des vertiges, une congestion ou un écoulement nasal, une toux persistante ou une respiration sifflante, des démangeaisons et des éruptions cutanées, des troubles de concentration et de la fatigue.
Ce syndrome touche généralement les personnes qui travaillent dans des bureaux, des espaces confinés, mais il peut survenir chez toute personne passant de longues périodes dans des bâtiments climatisés, tels que les hôpitaux ou autres bâtiments publics. Les symptômes du syndrome des bâtiments malsains ont tendance à s’aggraver avec le temps passé dans un bâtiment donné, et s’atténuent après le départ.
Une étude indienne réalisée en 2023 a comparé 200 adultes en bonne santé travaillant au moins six à huit heures par jour dans un bureau climatisé à 200 adultes en bonne santé ne travaillant pas dans un environnement climatisé. Le groupe exposé à la climatisation a présenté davantage de symptômes associés au syndrome du bâtiment malsain au cours de la période d’étude de deux ans, en particulier une prévalence plus élevée d’allergies. Il est important de noter que les tests cliniques ont montré que les personnes exposées à la climatisation avaient une fonction pulmonaire plus faible et étaient plus souvent en arrêt maladie que celles qui n’y étaient pas exposées.
D’autres études ont confirmé que les employés de bureau travaillant dans des locaux climatisés présentaient une prévalence plus élevée du syndrome du bâtiment malsain que ceux qui ne travaillaient pas dans un environnement climatisé.
On soupçonne que l’une des causes du syndrome des bâtiments malsains est le mauvais fonctionnement des climatiseurs. Lorsqu’un climatiseur ne fonctionne pas correctement, il peut libérer dans l’air des allergènes, des produits chimiques et des micro-organismes en suspension qui auraient normalement dus été piégés par des filtres.
Les climatiseurs défectueux peuvent également libérer des vapeurs chimiques provenant des produits de nettoyage ou des réfrigérants dans l’air du bâtiment. Les produits chimiques tels que le benzène, le formaldéhyde et le toluène sont toxiques et peuvent irriter le système respiratoire.
Les systèmes de climatisation mal entretenus peuvent également abriter des bactéries pathogènes susceptibles de provoquer des infections graves.
La Legionella pneumophila est la bactérie responsable de la « maladie du légionnaire », une infection pulmonaire. La contamination se fait par voie respiratoire, par inhalation d’eau contaminée diffusée en aérosol. Elle se développe généralement dans les environnements riches en eau, tels que les jacuzzis ou les systèmes de climatisation.
La légionellose se contracte le plus souvent dans des lieux collectifs tels que les hôtels, les hôpitaux ou les bureaux, où la bactérie a contaminé l’eau. Les symptômes de la maladie du légionnaire sont similaires à ceux de la pneumonie : toux, essoufflement, gêne thoracique, fièvre et symptômes grippaux généraux. Les symptômes apparaissent généralement entre deux et quatorze jours après la contamination par les légionelles.
Les infections à Legionella peuvent être mortelles et nécessitent souvent une hospitalisation. La guérison peut prendre plusieurs semaines.
L’accumulation de poussière et d’humidité à l’intérieur des systèmes de climatisation peut également créer des conditions propices à la prolifération d’autres microbes infectieux.
Par exemple, des recherches sur les systèmes de climatisation des hôpitaux ont montré que des champignons tels que les espèces Aspergillus, Penicillium, Cladosporium et Rhizopus s’accumulent fréquemment dans les zones riches en eau des systèmes de ventilation hospitaliers.
Ces infections fongiques peuvent être graves chez les patients vulnérables, tels que ceux qui sont immunodéprimés, qui ont subi une greffe d’organe ou qui sont sous dialyse, ainsi que chez les bébés prématurés. L’Aspergillus par exemple, provoque des pneumonies, des abcès pulmonaires, cérébraux, hépatiques, spléniques et rénaux, et peut également infecter les brûlures et les plaies.
Les symptômes des infections fongiques sont principalement respiratoires et comprennent une respiration sifflante ou une toux persistante, de la fièvre, un essoufflement, de la fatigue et une perte de poids inexpliquée.
Les infections virales peuvent également être contractées par la climatisation. Une étude de cas a révélé que des enfants d’une classe de maternelle chinoise avaient été infectés par le norovirus provenant de leur système de climatisation. Cela a provoqué une gastro-entérite chez 20 élèves.
Alors que le norovirus se transmet généralement par contact étroit avec une personne infectée ou après avoir touché une surface contaminée, dans ce cas précis, il a été confirmé que, de manière inhabituelle, le virus s’était propagé dans l’air, à partir du système de climatisation des toilettes de la classe. Plusieurs autres cas de ce type ont été signalés.
Cependant, les climatiseurs peuvent également contribuer à empêcher la propagation des virus en suspension dans l’air. Des recherches montrent que les climatiseurs régulièrement entretenus et désinfectés peuvent réduire les niveaux de circulation des virus courants, y compris le Covid-19.
Le risque d’infection lié à la climatisation vient aussi du fait que celle-ci fait baisser le taux d’humidité de l’air. L’air intérieur est plus sec que l’air extérieur.
Passer de longues périodes dans des environnements à faible humidité peut assécher les muqueuses de votre nez et de votre gorge. Cela peut nuire à leur capacité à empêcher les bactéries et les champignons de pénétrer dans votre corps et vous rendre plus vulnérable au développement d’une infection des tissus profonds des sinus.
Les climatiseurs sont conçus pour filtrer les contaminants atmosphériques, les spores fongiques, les bactéries et les virus pour les empêcher de pénétrer dans l’air que nous respirons à l’intérieur. Mais ce bouclier protecteur peut être compromis si le filtre du système est vieux ou sale, ou si le système n’est pas nettoyé. Ainsi, il est essentiel d’assurer un bon entretien de la climatisation pour prévenir les infections liées à la climatisation.
Primrose Freestone ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
12.08.2025 à 17:09
Andrew Latham, Professor of Political Science, Macalester College
Aujourd’hui, dans le monde, aucune puissance ne semble en position hégémonique. Mais que signifie exactement ce concept d’hégémonie, au fondement des théories des relations internationales ? Est-il toujours valide ? Peut-on se passer d’une puissance dominante pour structurer les relations internationales ?
L’ère de l’hégémonie américaine est terminée – du moins si l’on en croit les titres de presse partout dans le monde, de Téhéran à Washington. Mais qu’est-ce que cela signifie exactement ?
Le concept d’hégémonie est un fondement théorique des relations internationales depuis les débuts de la discipline. Au-delà d’une simple mesure de la puissance d’un État donné, il désigne sa capacité non seulement à imposer ses décisions à d’autres, mais aussi à façonner les règles, les normes et les institutions qui régissent l’ordre international.
Ce mélange subtil entre coercition et consentement des autres acteurs internationaux distingue l’hégémonie de la domination pure : il rend également le maintien de ce type de position particulièrement complexe dans un monde où les rapports entre puissances sont de plus en plus contestés.
Le terme « hégémonie » vient du grec hegemon, qui signifie guide ou chef. Il désignait à l’origine la prédominance d’une cité-État sur les autres.
Dans la Grèce antique, Athènes illustre bien cette notion, notamment à travers son rôle de leader dans la Ligue de Délos, une alliance de cités-États. Sa puissance militaire, notamment sa suprématie sur les mers, s’y mêlait à une influence politique affirmée, permettant à Athènes d’orienter les décisions de ses alliés.
Cette domination reposait certes sur la force, mais aussi sur le consentement : les membres de la Ligue tiraient en effet parti de la sécurité collective et des liens économiques renforcés sous l’égide d’Athènes.
La définition moderne du concept d’hégémonie émerge au XIXe siècle pour décrire le rôle de la Grande-Bretagne dans l’ordre mondial.
Cette hégémonie reposait sur une puissance navale inégalée et la domination économique acquise lors de la révolution industrielle.
Ce n’était cependant pas uniquement sa force matérielle qui faisait de la Grande-Bretagne une puissance hégémonique. Les réseaux commerciaux bâtis et les normes de libre-échange dont elle faisait la promotion ont structuré un système largement accepté par les autres États européens – souvent parce qu’eux aussi en retiraient stabilité et prospérité.
Cette période démontre que l’hégémonie va bien au-delà de la contrainte : elle suppose la capacité d’un État dominant à façonner un ordre international aligné sur ses propres intérêts, tout en rendant ces intérêts acceptables pour les autres.
Au début du XXe siècle, le penseur marxiste italien Antonio Gramsci a étendu le concept d’hégémonie au-delà des relations internationales, en l’appliquant à la lutte des classes. Sa thèse était que l’hégémonie dans l’espace social repose non seulement sur le pouvoir coercitif de la classe dominante, mais aussi sur sa capacité à obtenir le consentement des autres classes en façonnant les normes culturelles, idéologiques et institutionnelles.
Transposée à l’échelle internationale, cette théorie postulerait qu’un État hégémonique maintient sa suprématie en créant un système perçu comme légitime et bénéfique, et non seulement par la force économique ou militaire.
Au XXe siècle, les États-Unis s’imposent comme l’incarnation de l’hégémon moderne, surtout après la Seconde Guerre mondiale. Leur hégémonie se caractérise par une puissance matérielle – force militaire sans égal, suprématie économique et avance technologique – mais aussi par leur capacité à bâtir un ordre international libéral conforme à leurs intérêts.
Le plan Marshall, qui a permis la reconstruction économique de l’Europe, illustre ce double levier de coercition et de consentement : les États-Unis fournissaient aux pays d’Europe de l’Ouest ressources et garanties de sécurité, mais imposaient leurs conditions, consolidant ainsi leur puissance dans le système qu’ils contribuaient à structurer.
À la même période, l’Union soviétique s’est posée en puissance hégémonique alternative, proposant des équivalents au plan Marshall aux pays d’Europe de l’Est à travers le plan Molotov, ainsi qu’un ordre international concurrent au sein du monde socialiste.
Les défenseurs du concept d’hégémonie en relations internationales estiment qu’une puissance dominante est nécessaire pour fournir des biens publics globaux, bénéficiant à tous : sécurité, stabilité économique, application des règles. Dès lors, le déclin d’un hégémon serait synonyme d’instabilité.
Les critiques, quant à eux, soulignent que les systèmes hégémoniques sont au service des intérêts propres de la puissance dominante, et masquent la coercition sous un vernis de consentement. L’exemple de l’ordre international dominé par les États-Unis est souvent donné : celui-ci a certes promu le libre-échange économique et la démocratie, mais aussi les priorités stratégiques américaines – parfois au détriment des pays les plus faibles.
Quoi qu’il en soit, maintenir une hégémonie à long terme est une gageure. Trop de coercition érode la légitimité de l’hégémon ; trop d’appels au consentement sans pouvoir réel empêchent de faire respecter les règles de l’ordre international et de protéger les intérêts fondamentaux du pays dominant.
Dans un monde désormais multipolaire, le concept d’hégémonie se heurte ainsi à de nouveaux défis. L’ascension de la Chine, mais aussi de puissances régionales comme la Turquie, l’Indonésie ou l’Arabie saoudite, vient perturber la domination unipolaire des États-Unis.
Ces candidats à l’hégémonie régionale disposent de leurs propres leviers d’influence, mêlant incitations économiques et pressions stratégiques. Dans le cas de la Chine, les investissements dans les infrastructures et le commerce mondial à travers l’initiative des Nouvelles routes de la soie s’accompagnent de démonstrations de force militaire en mer de Chine méridionale, destinées à impressionner ses rivaux régionaux.
Alors que l’ordre mondial se fragmente progressivement, l’avenir de la position d’hégémon reste incertain. Aucune puissance ne semble aujourd’hui en mesure de dominer l’ensemble du système international. Pourtant, la nécessité d’un leadership dans ce domaine demeure cruciale : nombre d’observateurs estiment que des enjeux, comme le changement climatique, la régulation technologique ou les pandémies exigent une coordination que seule une hégémonie mondiale – ou bien une gouvernance collective – pourrait garantir.
La question reste ouverte : l’hégémonie va-t-elle évoluer vers un modèle de leadership partagé, ou céder la place à un système mondial plus anarchique ? La réponse pourrait bien déterminer l’avenir des relations internationales au XXIe siècle.
Andrew Latham ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.