02.05.2025 à 09:54
Jordy Bony, Docteur et Instructeur en droit à l'EM Lyon, EM Lyon Business School
Damien Charabidze, Docteur en Biologie, Chercheur, Expert judiciaire, Université de Lille
C’est un nouveau type d’obsèques qui intéresse de plus en plus. En France, la « terramation » se heurte pour l’instant à des défis légaux et techniques qui ne semblent pas forcément insurmontables, mais auxquels il faudra répondre.
Pourra-t-on bientôt choisir d’être transformé en compost après notre mort ? Alors que la pratique du compostage funéraire, appelée terramation, se répand aux États-Unis et qu’elle est actuellement expérimentée en Allemagne, l’idée est à l’étude en France. Pour le moment, notre cadre juridique restreint les modes de sépulture aux deux seules pratiques citées dans la loi : l’inhumation et la crémation.
Mais cette apparente exclusivité cache en réalité une grande diversité de procédés et laisse ouverte la possibilité d’une évolution des pratiques funéraires.
La terramation, fusion de terra et transformatio qui renvoient respectivement aux idées de « surface au sol » et de « métamorphose », est un mode de sépulture inspiré du cycle de la nature.
La terramation repose sur l’emploi de copeaux de bois afin de créer des conditions propices à l’activité des bactéries dites aérobies, c’est-à-dire utilisant l’oxygène. Elle diffère ainsi de l’enterrement classique, qui place le corps dans des conditions anaérobies en le recouvrant de terre où en le plaçant dans un caveau hermétique. Faute d’oxygène, la décomposition est alors très lente et nécessite plusieurs années, et même parfois plusieurs décennies. La putréfaction génère également des résidus néfastes pour l’environnement.
La terramation propose au contraire un temps de dégradation du corps réduit (moins d’un an) et une nouvelle vision de la mort. Ce procédé produit en effet un humus sain qui peut alimenter la croissance des plantes. Il est dès lors possible de transformer les cimetières en espaces de mémoire végétalisés, riches et vivants. La mort (re)devient une étape du cycle du vivant.
Comme pour l’enterrement, qui regroupe un ensemble de pratiques (enterrement en pleine terre, mise en caveau ou encore enfeu hors-sol), le terme terramation recouvre en réalité différents procédés de compostage employés pour la réduction des corps. La terramation peut prendre place en surface, en sous-sol ou même dans des caissons hors-sol.
Cette dernière version, baptisée Natural Organic Reduction, permet de contrôler intégralement le processus de biodégradation. Son principal avantage est d’offrir un procédé fiable, hygiénique et réalisable en un temps réduit : un mois suffit à la biodégradation complète d’un corps. Cette Natural Organic Reduction est déjà légale aux États-Unis et est actuellement proposée à titre expérimental en Allemagne.
En France, les études d’opinions démontrent un plébiscite en faveur de solutions funéraires plus écologiques, de 20 % à plus de 45 % des sondés, et une bonne acceptation socioculturelle de la terramation. Mais l’approche « hors-sol » états-unienne semble susciter peu d’enthousiasme.
Il existe cependant d’autres approches de terramation, plus naturelles. C’est le cas de l’humusation, un processus réalisé en extérieur et au contact du sol, sous une butte de broyat végétal. Bien qu’historiquement pionnier, ce procédé développé en Belgique n’a pas encore obtenu de reconnaissance légale et peine à démontrer sa faisabilité.
La lenteur de la dégradation des corps et le risque de pollution des sols en nitrate et amoniaque avaient notamment été mis en avant par les autorités de Bruxelles pour justifier leur refus de légaliser l’humusation.
Une autre version est également à l’étude : la terramation en sous-sol, sorte d’hybride entre l’enterrement traditionnel et le compostage en surface. Pour y parvenir, plusieurs contraintes techniques sont à considérer, dont la compatibilité avec les soins ante mortem, la robustesse aux diverses situations climatiques ou encore l’usage obligatoire du cercueil pour tout type d’obsèques. Cependant, depuis 2019, le matériau bois n’est plus le seul autorisé par les normes relatives aux cercueils : le développement de cercueil en matériaux rapidement biodégradables, plus compatibles avec la terramation, serait donc possible.
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Dans ce contexte, un projet de recherche participatif sur la terramation, associant les universités de Lille et de Bordeaux et l’association Humo Sapiens, a débuté en 2024. Le développement d’un prototype fonctionnel est également annoncé pour 2026. Il permettra de tester la méthode, de la documenter scientifiquement et de mesurer son impact sanitaire et environnemental. Ces éléments devraient accroître la visibilité et la crédibilité de la terramation et faciliter le portage du sujet dans la sphère politique, avec pour objectif une révision favorable de la réglementation funéraire.
Le cadre légal français ne reconnaît pas encore la terramation qui ne peut donc pas actuellement être pratiquée. Se pose, cependant, la question de savoir si la terramation doit être envisagée comme une forme d’inhumation ou comme une nouvelle pratique à part entière. Par ailleurs, comme le souligne une récente étude, notre système juridique semble en capacité d’accueillir la terramation, moyennant des changements mineurs.
En effet, une telle évolution rappelle, dans une moindre mesure, ce que fut la légalisation de la crémation, difficilement acceptée en France à cause du fait religieux. Elle est advenue dans le cadre de la loi du 15 novembre 1887 relative à la liberté des funérailles, loi complétée par le décret du 27 avril 1889. Il suffirait de mettre à jour ce décret pour pouvoir reconnaître légalement la terramation, parce que la loi de 1887 ne dit rien à propos de l’inhumation ou de la crémation. Elle offre uniquement la possibilité de choisir parmi les possibilités prévues dans le décret de 1889. Autrement dit, elle laisse une porte ouverte consistant à actualiser ce décret pour proposer une troisième voie funéraire aux citoyens.
Les autres obstacles à la légalisation de la terramation concernent les problématiques de transport des corps et, plus généralement, celles des lieux, des enjeux sanitaires et du respect dû aux corps morts. Par exemple, certains soins de conservation des corps impliquant l’usage de conservateurs toxiques pour l’environnement semblent peu compatibles avec la terramation. Tous les thanatopracteurs ne sont cependant pas d’accord à ce sujet.
Cette liste, non exhaustive, donne un premier aperçu des enjeux liés à la reconnaissance et au développement d’une nouvelle pratique funéraire. Les recherches scientifiques et les réflexions en cours devraient permettre d’apporter les éléments nécessaires quant à la faisabilité technique du procédé, à son impact sanitaire et environnemental ou encore à sa dimension rituelle et spirituelle.
Le développement de la terramation semble donc être un changement conceptuel au moins autant que technique ou juridique.
Si la technique fonctionne (ce qui reste encore à démontrer dans le cas des procédés au sol ou en sous-sol) et que le cadre légal peut être adapté sans trop de difficulté, reste la décision politique.
Le gouvernement français a déjà été interrogé plusieurs fois dans le cadre de projets de loi ou de questions directes demandant l’autorisation à titre expérimental de la terramation. Le sujet semble donc être considéré avec sérieux par l’ensemble de l’échiquier politique et ne suscite pas de franche opposition. L’argument de la dignité du corps, soulevé dans certaines réponses du gouvernement, traduit surtout l’embarras à apporter une réponse à cette demande. Le funéraire reste un domaine peu connu, sans réelle envergure politique et donc difficile à porter pour des élus. Une proposition de loi a néanmoins été déposé, début 2023, et la création d’un groupe de travail ministériel sur la question avait été annoncée par le gouvernement. Mais suite aux divers remous de la vie politique française, il est malheureusement difficile de dire si ces initiatives sont encore d’actualité.
Citoyens, associations, chercheurs et professionnels continuent de se mobiliser.
En décembre 2024, la métropole de Grenoble a organisé une journée des transitions funéraires consacrée à la terramation. La présence de nombreux élus, de gestionnaires de cimetière ou encore de représentants des entreprises du secteur funéraire confirme le signe d’une dynamique en cours.
L’idée de la terramation s’impose également progressivement dans l’opinion publique, comme en atteste la récente parution d’articles et de points de vue favorables dans divers médias de large audience : le Monde, les Échos, la Gazette des communes, le Point, etc. De curiosité de Toussaint, la terramation fait donc son chemin vers sa reconnaissance en tant que nouvelle voie funéraire.
Jordy Bony a reçu des financements de L'Agence Nationale de la Recherche (ANR) dans le cadre du projet de recherche Sciences Avec et Pour la Société / Recherche-Action / Ambitions Innovantes F-COMPOST. Ce projet comporte une collaboration scientifique avec l'association Humo Sapiens, mentionnée dans cet article et qui milite pour la reconnaissance légale de la terramation.
Damien Charabidzé a reçu des financements de L'Agence Nationale de la Recherche (ANR) dans le cadre du projet de recherche Sciences Avec et Pour la Société / Recherche-Action / Ambitions Innovantes F-COMPOST. Ce projet comporte une collaboration scientifique avec l'association Humo Sapiens, mentionnée dans cet article et qui milite pour la reconnaissance légale de la terramation.
30.04.2025 à 17:35
Valérie Depadt, Maître de conférences en droit, Université Sorbonne Paris Nord
Laurent Chambaud, Médecin de santé publique, École des hautes études en santé publique (EHESP)
Malgré leur efficacité, les vaccins continuent à alimenter la défiance d’une partie des populations, pour diverses raisons. Sensibilisation des publics, lutte contre les fake news, obligation vaccinale… comment assurer le succès des campagnes de vaccination ?
En cinquante ans, les programmes de vaccination auraient sauvé 154 millions d’enfants de moins de 5 ans dans le monde, selon une étude publiée en 2024 dans la prestigieuse revue The Lancet. Sur cette période, les vaccins administrés auraient fait décliner la mortalité infantile de 40 %.
Pourtant, en France comme dans d’autres pays, le scepticisme vis-à-vis de la vaccination est toujours présent dans une partie de la population. Il entraîne une difficulté à maintenir une couverture vaccinale haute pour certains pathogènes, entraînant la diffusion de cas sporadiques ou de foyers épidémiques. La recrudescence récente de cas de rougeole témoigne de cette situation.
Cette méfiance se retrouve également à chaque diffusion de nouveaux vaccins, comme lors de la pandémie de Covid-19. La campagne de vaccination contre le papillomavirus pâtit également de cette situation : en décembre 2023, le taux de vaccination en France n’était que de 44,7 % pour le schéma complet chez les jeunes filles de 16 ans, et de 15,8 % chez les garçons. Pour mémoire, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande un taux de couverture vaccinale entre 80 et 90 %… Preuve de l’efficacité d’une couverture vaccinale élevée : en Suède, le sous-type HPV-18 du papillomavirus serait proche de l'éradication chez les jeunes femmes faisant partie des classes d'âges qui ont été très largement vaccinées, tandis que le sous-type HPV-16 a également très fortement diminué.
Pourquoi la vaccination, qui représente pourtant un puissant outil de prévention, fait-elle l’objet de si fortes réticences ? Et comment améliorer l’adhésion des populations ?
En 1885, un siècle après les essais d’immunisation du médecin anglais Edward Jenner, Louis Pasteur fabriquait le premier vaccin post-exposition contre la rage. Depuis, de nombreux vaccins ont été mis au point pour lutter contre des maladies transmissibles qui entraînaient un lourd fardeau de décès, de maladies et de séquelles.
Pourtant, aujourd’hui encore, la vaccination rencontre une certaine défiance dans de nombreux pays, dont la France. Si l’édition 2023 du baromètre de Santé publique France indique que l’adhésion à la vaccination s’est stabilisée à un niveau élevé dans l’Hexagone (84 % des personnes interrogées en France hexagonale déclarant être favorables à la vaccination en général), elle révèle aussi que l’adhésion vaccinale reste moins élevée chez les personnes disposant des diplômes ou des revenus les plus faibles. Elle a en outre tendance à diminuer chez les personnes âgées.
Les travaux de recherche ont montré que de nombreux facteurs influent sur la décision vaccinale : opinions et expériences personnelles ou des proches – notamment concernant la santé et la prévention –, connaissances et compréhension des données scientifiques, crainte des effets indésirables, oubli (dans les pays industrialisés) de ce qu’étaient les grandes épidémies, convictions religieuses, etc.
La vaccination consiste à intervenir sur un individu sain, dont on ignore les risques de contamination. Elle peut de ce fait être perçue comme une forme d’intrusion, ce qui, si les raisons de son intérêt ne sont pas expliquées, peut être mal vécu et entraîner un rejet. La légitimité d’une telle intervention est donc importante à expliquer, notamment si le péril de la maladie s’estompe ou n’est pas évident. D’autant que, comme tout produit de santé, le vaccin peut entraîner des effets secondaires.
La notion de rapport bénéfice-risque devient également bien plus sensible dans le cadre de la vaccination, car le vaccin est administré à des personnes bien portantes (quand bien même le risque de maladie est patent sur un territoire). La situation actuelle concernant le vaccin contre le chikungunya à La Réunion illustre bien l’importance d’évaluer en continu cette balance entre risques et bénéfices, en mettant en place des mesures de pharmacovigilance strictes et en diffusant les informations de façon transparente.
La question de la lisibilité des vaccinations se pose également. En effet, un nombre important d’entre eux vise des populations spécifiques (les nouveau-nés, les adolescents, les personnes âgées ou fragiles, les femmes enceintes, les voyageurs, certaines activités professionnelles), ce qui complique la compréhension de la population. En 2024, la Haute Autorité de santé publiait d’ailleurs une position intitulée : « Simplifions les vaccinations ! ».
Enfin, les technologies et la composition des vaccins sont variées : vaccin vivant atténué, inactivé, conservant tout ou partie de l’agent infectieux, utilisant des acides nucléiques (comme les vaccins à ARN messager) ou, plus récemment encore, à vecteur viral… La coexistence de ces modes d’action, peu évidents à comprendre sans une solide culture scientifique, rend complexe l’explication du fonctionnement des vaccins.
En outre, tous les vaccins n’ont pas la même efficacité, notamment pour ce qui concerne leur capacité à empêcher la transmission de la maladie par ce que l’on appelle l’« immunité collective ».
À ces facteurs s’en ajoute un autre, d’ordre économique : la rentabilité du secteur des vaccins, dont bénéficient les laboratoires producteurs, ajoute probablement à la méfiance ambiante. Le marché du vaccin est en effet florissant. Aux yeux d’une partie du public, l’intérêt lucratif que trouveraient ces entreprises dans la production de vaccins entrerait en conflit avec l’efficacité des produits dont elles « font l’article ».
La publicité par les entreprises pharmaceutiques, bien qu’autorisée, est strictement réglementée. Les campagnes publicitaires non institutionnelles auprès du public pour des vaccins ne sont autorisées qu’à titre dérogatoire. En outre, les produits concernés doivent figurer sur la liste de vaccins établie pour des motifs de santé publique par arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis de la Haute Autorité de santé. De tels messages ne sont autorisés qu’à la condition que leur contenu soit conforme à l’avis de la Haute Autorité de santé et soit assorti, de façon clairement identifiée, des mentions minimales obligatoires déterminées par cette instance.
Cette question des profits est d’autant plus problématique qu’elle est souvent relayée et dévoyée par les réseaux sociaux conspirationnistes, accusant les laboratoires pharmaceutiques – les Big Pharma – d’instrumentaliser les pouvoirs publics pour asseoir leur domination et s’enrichir encore. Une accusation qui a redoublé d’intensité lors de la pandémie de Covid-19.
Il est d’autant plus important de lutter contre ces fake news sur les réseaux sociaux qu’il a été démontré lors de la pandémie de Covid que l’exposition à de telles informations augmente l’hésitation vaccinale et réduit l’intention de se faire vacciner.
Dans un tel contexte, comment s’assurer que les vaccins efficaces puissent être le plus largement possible diffusés ? En France, il a été considéré que la réponse à cette question passe par l’obligation vaccinale.
Depuis 1902, la France a opté pour la vaccination obligatoire, dans les premiers temps pour diffuser le vaccin anti-variolique. Le législateur a depuis étendu plusieurs fois cette obligation, tout en continuant à se demander s’il faut poursuivre cette extension, comme l’illustrent les déclarations récentes de Yannick Neuder, le ministre de la santé, à propos d’une éventuelle obligation vaccinale contre la grippe pour les soignants.
Aujourd’hui, les dispositions obligatoires visent essentiellement les enfants (l’article L. 3111-2 du Code de la santé publique, issu de la loi du 30 décembre 2017, impose ainsi, sauf contre-indication médicale, 11 vaccinations pour l’admission, dans toute école, des enfants nés à partir du 1er janvier 2018), ainsi que les professionnels de santé au sens large, travaillant dans les secteur médicaux et médico-sociaux.
Comme tout acte médical, du point de vue du droit l’injection d’un vaccin constitue une atteinte au corps humain. C’est pourquoi l’obligation vaccinale ne va pas de soi en France : elle peut apparaître contredire la liberté de chacune et de chacun de consentir ou non à tout acte, aussi peu invasif soit-il, portant atteinte à l’intégrité physique (article 16-3 du Code civil).
Dans le même sens, l’intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée, au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Sur ces bases, la Ligue nationale pour la liberté des vaccinations avait saisi le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation du décret n°2018-42 du 25 janvier 2018 portant de 3 à 11 le nombre des vaccinations obligatoires.
Le Conseil d’État a rejeté le recours, estimant que la restriction apportée au droit au respect de la vie privée par l’obligation vaccinale des enfants était justifiée par l’objectif poursuivi
« d’amélioration de la couverture vaccinale pour, en particulier, atteindre le seuil nécessaire à une immunité de groupe au bénéfice de l’ensemble de la population et proportionnée à ce but ».
La sanction pénale spécifique de l’ancien article L.3116-4 du Code de la santé publique, qui a un temps existé pour les parents qui refuseraient les vaccinations obligatoires pour leur enfant, a été supprimée le 30 décembre 2017. Toutefois, le manquement à cette obligation pourrait être sanctionné au regard d’un texte plus général du Code pénal, aux termes duquel :
« Le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »
Afin de protéger à la fois ces professionnels et les populations vulnérables contre des risques sanitaires particuliers, la loi du 23 février 2017 a créé une obligation vaccinale pour l’entrée dans les études de santé ou de certains autres métiers à risque, principalement pour des vaccins ciblant des pathologies spécifiques comme l’hépatite B, la poliomyélite, le tétanos et la diphtérie.
Lors de la récente pandémie, la loi du 5 août 2021 avait également imposé la vaccination contre le Covid-19 aux professionnels des secteurs médicaux, sociaux et médico-sociaux, assorti de sanctions sévères en cas de non respect. Cette obligation a été levée en 2023, après avis de la Haute Autorité de santé, le Comité consultatif national d’éthique ayant en parallèle émis un avis sur l’obligation vaccinale des soignants.
Au titre de l’article 13 de la loi du 5 août 2021, les professionnels de santé qui exercent en violation d’une obligation vaccinale encourent des peines d’amende, voire d’emprisonnement en cas de récidive.
L’établissement et l’usage d’un faux certificat de statut vaccinal ou d’un faux certificat médical de contre-indication à la vaccination contre le Covid-19 sont punis conformément au chapitre Ier du Titre IV du livre IV du Code pénal. L’article 441-1 du Code pénal prévoit quant à lui une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende pour le faux et l’usage de faux.
Étendre la portée du regard sur l’obligation vaccinale à l’international est également instructif. Bien que l’OMS élabore des recommandations concernant la pertinence des vaccinations, chaque pays dispose de son propre calendrier vaccinal. La diversité des stratégies concernant l’obligation est remarquable. Ainsi, en 2023, 13 pays de l’Union européenne avaient choisi de ne rendre aucun vaccin obligatoire.
En Grande-Bretagne, premier pays à avoir rendu obligatoire le vaccin anti-variolique en 1853, les vaccins sont aujourd’hui uniquement « recommandés ». La Belgique et l’Allemagne n’ont qu’une seule vaccination obligatoire (contre la poliomyélite pour la Belgique et la rougeole pour l’Allemagne). À l’inverse, l’Italie dispose de 10 vaccins obligatoires et la Lettonie, 15.
Il faut souligner que la performance de ces pays concernant la couverture vaccinale des populations cibles n’est pas forcément reliée à la notion d’obligation. Ainsi, en 2022, le taux de couverture contre la rougeole était de 90,4 % en France, mais de 94,5 % en Norvège, où le vaccin est seulement recommandé, et de 85.1 % en Italie où il est obligatoire depuis 2017. En Grande-Bretagne, en 2022-2023, environ 85 % des enfants avaient reçu deux doses de vaccin contre la rougeole avant leur cinquième anniversaire, le niveau le plus bas depuis 2010-2011. En 2024, la recrudescence de la maladie avait forcé le gouvernement à lancer en urgence une vaste campagne de sensibilisation.
Selon l’OMS, les pays visant l’élimination de la rougeole, virus très contagieux, doivent viser un taux de couverture vaccinale de 95 %.
Restaurer et maintenir la confiance envers cet outil majeur de prévention qu’est le vaccin passe par l’explication des raisons pour lesquelles il est important d’atteindre la meilleure couverture vaccinale possible, trop souvent mal comprise.
Il semble indispensable de mettre en place une véritable stratégie de promotion de la vaccination. Une telle démarche passe par une sensibilisation et par une formation scientifique et éthique des professionnels de santé, rouages essentiels de l’information au public.
La lutte contre les fausses informations passant par les réseaux sociaux est également nécessaire. Cependant, elle va de pair avec la garantie d’une indépendance totale de la communication vis-à-vis des laboratoires producteurs de vaccins, au sujet desquels l’autorisation de publicité demande à être fortement limitée, car il s’agit d’un domaine public pour lequel l’information doit rester maîtrisée par les pouvoirs publics sans aucune interférence.
La vaccination est une question de santé publique. C’est pourquoi, les instances de démocratie en santé (conférences de santé, sociétés savantes, représentants des usagers…) doivent jouer un rôle majeur, et se saisir de ces sujets pour mieux les expliquer, au plus près des préoccupations des populations.
Ce n’est que dans le cadre d’une telle stratégie que les pouvoirs publics seront en mesure d’évaluer l’intérêt et l’utilité de rendre un vaccin obligatoire, notamment en situation d’urgence sanitaire.
Laurent Chambaud est membre de Place Publique.
Valérie Depadt ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
30.04.2025 à 17:34
David Bourgarit, Chercheur en archéometallurgie, Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF)
Brice Vincent, Maître de conférences en archéologie khmère, École française d'Extrême-Orient (EFEO)
L’esthétique raffinée des bronzes de l’ancien royaume d’Angkor a tout pour fasciner. Mais quels secrets techniques ont permis d’arriver à ces chefs-d’œuvre de l’art khmer ? Alors que vient d’être publiée une véritable encyclopédie consacrée aux techniques de fabrication des bronzes anciens, et que le musée Guimet (Paris) s’apprête à inaugurer l’exposition « Bronzes royaux d’Angkor, un art du divin », une équipe de chercheurs impliqués dans chacun de ces projets dévoile des découvertes récentes qui ouvrent un nouveau chapitre dans la compréhension de la métallurgie du cuivre au temps d’Angkor.
Une statue en bronze – ou plus généralement en alliage à base de cuivre – est souvent un objet techniquement complexe, fruit d’une succession de nombreuses séquences : fabrication d’un ou plusieurs modèles, conversion du modèle en métal, assemblages, finitions et décors. De ce fait, une statue en bronze est potentiellement dépositaire d’une grande accumulation de savoir-faire, dont la nature et la quantité varient allégrement au gré des sociétés humaines, voire au sein d’un même atelier.
Caractériser les techniques de fabrication d’une statue en bronze et les matériaux dont elle est constituée et, par là, les savoir-faire, est dès lors susceptible d’offrir un éclairage riche d’informations sur le groupe humain dont elle est issue. Informations dont une large communauté est potentiellement friande : archéologues, anthropologues, historiens, aussi bien que chargés de collections muséales voire de justice.
Revers de la médaille, parmi les nombreuses séquences de fabrication qui se succèdent avant de parvenir à l’objet final, seule l’ultime étape ou les toutes dernières se livrent à l’œil de l’examinateur : tout le travail de l’artisan est précisément, le plus souvent, de gommer les traces de fabrication, pour offrir un produit poli fini. À quoi il convient d’ajouter les altérations du temps. Étudier les techniques de fabrication d’un bronze revient ainsi à relever une coupe stratigraphique au sein de couches archéologiques qui, pour la plupart, ont disparu.
La complexité de cet objet d’étude, son cloisonnement académique fréquent (les statuaires antique et médiévale, statuaire d’Asie, etc.) et la variété des profils des chercheurs impliqués – métallurgistes, restaurateurs, archéologues, historiens, artisans, artistes – ont fatalement, et heureusement, généré des approches méthodologiques très variées.
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Tenter d’inventorier et de thésauriser sur cette diversité et, soyons honnêtes, d’y mettre un peu d’ordre, telle est la tâche que s’est assignée pendant près de dix ans un groupe d’une cinquantaine de spécialistes de la statuaire en bronze, d’horizons et de cultures très différents, répondant au doux nom de CAST :ING(Copper Alloy Sculpture Techniques and history : an International iNterdisciplinary Group – Sculpture des alliages de cuivre : un groupe international interdisciplinaire).
Le résultat est un guide de bonnes pratiques récemment publié en ligne, qui s’adresse, sinon au grand public, du moins à des amateurs non nécessairement spécialistes.
On y apprend quelles sont les différentes techniques de fabrication que la recherche a pu mettre en évidence, sous des angles rarement abordés, comme les durées relatives des différentes étapes. On y apprend à détecter, à caractériser et à interpréter les éventuels stigmates techniques présents sur ou dans une statue en bronze, avec de fréquentes mises en garde sur les biais possibles. De nombreux conseils pratiques sont prodigués pour permettre d’évaluer le temps et les moyens analytiques à mettre en œuvre pour aborder tel ou tel aspect.
Enfin, un vocabulaire technique anglais, français, allemand, italien et chinois permet de se repérer dans la jungle des termes spécialisés, dûment référencés par des sources bibliographiques modernes et historiques.
Plus qu’un simple manuel technique, ce travail collectif invite à repenser l’étude de la statuaire en bronze. Celle-ci gagne beaucoup à dépasser la seule autopsie méthodique d’un corps sans vie, pour s’intéresser à toute la chaîne opératoire ayant présidé à sa fabrication et à l’environnement culturel, économique et politique dans lequel cette chaîne s’inscrit.
Malheureusement, une telle approche, dite « technologique », nécessite un ensemble de conditions qu’il est souvent difficile de réunir. Il n’est pas rare en effet que la statue souffre d’une contextualisation trop indigente pour permettre une attribution chronologique et géographique satisfaisante. Mais surtout, l’effort de recherche que cette approche dépasse largement les capacités des équipes habituellement en charge de ce genre d’étude, tant en termes de compétences que de moyens disponibles.
À cet égard, le programme de recherche LANGAU fait figure de perle rare. Mis en place par l’École française d’Extrême-Orient (Efeo) à partir de 2016 et s’appuyant sur de nombreux partenaires, dont le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), il vise à caractériser la métallurgie du cuivre dans le royaume khmer angkorien (IXe-XVe siècles), depuis la mine jusqu’à l’objet fini. Et de remonter à rebours toute la chaîne opératoire, témoins archéologiques et épigraphiques à l’appui.
On croyait tout connaître des productions en cuivre et alliages angkoriennes, statuaire et objets rituels issus de la fonderie, systématiquement coulés en bronze, alliage de cuivre et d’étain. Or, voici que de nouvelles typologies et/ou formulation d’alliages font leur apparition. Ainsi de tout un arsenal de vaisselle et de décors architecturaux ouvragés en cuivre non allié martelé, tel que révélé par le travail de doctorat en cours de Meas Sreyneath à l’Université Paris Nanterre. Ou encore tous ces parements de cuivres et bronzes monumentaux, possiblement dorés, qui décoraient l’intérieur de certains temples.
Une image nouvelle des échelles de production se construit petit à petit, plaçant le cuivre et ses alliages au sein d’une véritable production de masse. Il aura ainsi fallu plus de quatre tonnes de cuivre pour décorer les seuls murs intérieurs de la – somme toute, petite – tour sanctuaire centrale du temple de Ta Prohm (fin XIIe-début XIIIe siècles), à Angkor, nous dit Sébastien Clouet, jeune docteur en archéologie de Sorbonne Université très impliqué dans le programme LANGAU.
Et quoi d’autre qu’un système centralisé et très hiérarchisé, sous la férule du roi d’un immense royaume couvrant une grande partie de l’Asie du Sud-Est continentale, pour organiser un tel flot de métal ? C’est ce que les textes et l’épigraphie révèlent peu à peu. C’est aussi ce que l’archéologie a récemment mis en évidence avec cet atelier de fonderie installé directement contre un des murs du palais royal à Angkor, au XIe siècle, et que les études pluridisciplinaires (archéologie, archéométallurgie, géologie, pollution des sols, etc.) s’emploient aujourd’hui à caractériser : un atelier de fabrication donc, une étape de plus dans la chaîne opératoire.
Restait la question des matières premières, dans un paysage cambodgien jusqu’alors exempt de ressources en cuivre. Il fallait monter jusqu’en Thaïlande ou dans le centre du Laos pour s’approvisionner, sans véritable garantie ni historique ni archéologique pour la période angkorienne.
À partir de 2021, des recherches sur des archives coloniales souvent inédites, des prospections et des fouilles archéologiques ainsi que des caractérisations géologiques et archéométallurgiques ont permis de mettre au jour un formidable complexe minier et métallurgique de plus de 500 km2, à moins de 200 km de la capitale angkorienne. Calculs thermodynamiques à l’appui, les premières estimations de production de la seule zone étudiée évoquent d’emblée 15 000 tonnes de cuivre, d’après Sébastien Clouet.
Une telle success story ne pouvait pas laisser indifférent le monde des musées. Du 30 avril au 8 septembre 2025, le Musée national des arts asiatiques Guimet accueille l’exposition « Bronzes royaux d’Angkor, un art du divin ». Aux côtés de plus de deux cents statues, objets et décors architecturaux en bronze exposés, dont le monumental Vishnu couché du Mebon occidental, du mobilier archéologique, des documents d’archives et des bornes audiovisuelles tentent de conter un peu de cette histoire humaine et technique, depuis la protohistoire jusqu’à nos jours.
Cet article est publié dans le cadre de la série « Regards croisés : culture, recherche et société », publiée avec le soutien de la Délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle du ministère de la culture.
Brice Vincent a reçu des financements du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, via la Commission consultative des fouilles archéologiques à l'étranger.
David Bourgarit ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
30.04.2025 à 17:33
Sandrine Mathy, Directrice de Recherche CNRS - économiste de l'environnement - Laboratoire GAEL, Université Grenoble Alpes (UGA)
Carole Treibich, Enseignant chercheur en économie à l'Université Grenoble Alpes
Hélène Bouscasse, Chercheuse INRAE, spécialisée en économie spatiale et des transport, Inrae
Les zones à faibles émissions (ZFE) cristallisent la controverse en France, alors que leur suspension est discutée à l’Assemblée nationale. Souvent présentées comme un outil permettant de verdir le parc automobile, potentiellement aux dépens des populations défavorisées résidant en périphérie, elles sont avant tout un levier permettant le développement des mobilités durables. Une étude récente menée dans l’agglomération grenobloise montre que la frange de la population impactée sans alternative est très faible et qu’elle pourrait bénéficier de mesures d’accompagnement ciblées.
Plusieurs centaines de zones à faibles émissions (ZFE) existent en Europe. Leurs bénéfices sanitaires sont avérés, avec notamment une réduction des maladies cardiovasculaires liées à la pollution atmosphérique. Pourtant, en France, alors que la pollution aux particules fines de diamètre inférieur à 2,5µm (PM2,5) et celle due aux oxydes d’azote (NOx) causent, pour la première, près de 40 000 et, pour la deuxième, 7 000 morts prématurées par an, le Parlement envisage de revenir sur les ZFE.
Les classes sociales les plus défavorisées sont celles qui auraient le plus à gagner de la lutte contre la pollution. En effet, elles sont les plus exposées à de forts niveaux de pollution de l’air.
Pourtant, les ZFE sont souvent considérées comme socialement injustes pour ces populations. Elles sont perçues comme un outil destiné à verdir le parc automobile en favorisant l’acquisition de véhicules récents, jugés plus propres. Comme les véhicules plus récents sont plus coûteux, les ménages aux revenus modestes, qui possèdent plus de voitures anciennes, se trouvent davantage pénalisés a priori.
Nos recherches invitent à dépasser cette vision. Les zones à faibles émissions constituent avant tout un levier permettant de développer les mobilités durables, tout en répondant aux améliorant les enjeux sanitaires liés à la qualité de l’air. Cela en fait un pilier pour la transformation de nos mobilités urbaines, et invite à repenser notre dépendance à la voiture individuelle, source de multiples nuisances.
Outre la pollution de l’air et ses effets sanitaires, l’usage massif de la voiture individuelle génère du bruit, contribue à la sédentarité (facteur d’obésité) et accapare l’espace public. Il en résultat un cercle vicieux bien connu : plus on lui réserve d’espace, plus les alternatives deviennent limitées et plus les habitants en sont dépendants.
La vision des ZFE consistant en un dispositif de verdissement du parc automobile domine les débats qui passent ainsi à côté de l’essentiel.
Les ZFE peuvent être bien plus que cela, car il existe d’autres manières de s’adapter aux restrictions imposées par une ZFE que l’achat d’un véhicule conforme : changer son mode de transport (prendre les transports en commun, le vélo, marcher), adapter ses horaires de déplacement, voire modifier certaines destinations, sont autant de solutions souvent réalistes.
L’étude que nous avons menée sur l’agglomération grenobloise a quantifié les capacités d’adaptation des ménages à cette ZFE. Pour cela, nous nous sommes plongées dans l’enquête « Ménages mobilité grande région grenobloise » (EMC2) qui répertorie les déplacements (origine et destination de chacun des déplacements, modes de transport, motif de déplacement et équipements) d’un échantillon représentatif de la population du territoire.
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Nous avons comparé, pour chaque mode de transport, les caractéristiques (distance, mais pas seulement) des déplacements et notamment des boucles de déplacement (ensemble des déplacements réalisés entre un départ du domicile et un retour au domicile). Nous avons considéré que les déplacements et chaînes de déplacements effectués en voiture qui avaient les mêmes caractéristiques que celles d’autres déplacement effectués avec d’autres modes étaient reportables vers ces modes.
Nous avons également examiné les motifs de déplacement (déplacements domicile-travail, courses, loisirs, rendez-vous médicaux…). L’enjeu étant d’évaluer si certaines destinations, au sein du périmètre de la ZFE, étaient substituables à d’autres en dehors de la ZFE.
Premier résultat : seuls 8 % des ménages de l’agglomération sont impactés par la ZFE, c’est-à-dire ayant une voiture avec une étiquette CritAir non conforme et des déplacements dans le périmètre de la ZFE.
Pour ces ménages impactés, deux solutions peuvent être envisagées. D’abord le report modal pour 57 % d’entre eux, avec un potentiel extrêmement élevé du vélo conventionnel ou électrique, puis le changement de destination pour 13 % des ménages. Au-delà de l’amélioration de la qualité de l’air que ce report modal génèrerait, l’impact sanitaire lié à l’activité physique (marche, vélo ou même marche liée aux transports en commun) est considérable. Au niveau de l’agglomération grenobloise, nous montrons qu’au moins 300 décès prématurés par an pourraient être évités. Surtout, l’essentiel de ce gain ne vient pas tant de la baisse de la pollution que de l’augmentation de l’activité physique au quotidien.
Au final, seuls 30 % des 8 % de ménages impactés sur la totalité de l’agglomération (soit environ 2 % des habitants) n’ont pas d’autre solution que l’achat d’une voiture pouvant rouler dans la ZFE. En considérant le niveau de revenu de ces ménages, ils ne sont que 0,4 % de l’agglomération (soit environ de 300 à 1 500 personnes sur 826 000 habitants) à se retrouver dans l’impasse de la dépendance à un vieux véhicule sans moyen financier d’en changer.
Ce constat est à la fois inquiétant et rassurant. Inquiétant, car ces personnes ne pourront rester sans aide. Et rassurant, car le nombre de ménages concerné est finalement faible, et il est possible de mettre en place des aides financières ciblées pour ces ménages sans remettre en cause l’ensemble de la politique ZFE.
Ces proportions sont certes spécifiques à la situation grenobloise, mais elles montrent que l’adaptation des villes est possible, surtout si celles-ci sont bien accompagnées.
Un argument souvent avancé pour justifier de l’abandon des ZFE est leur manque d’acceptabilité dans la population.
Contrairement à l’image véhiculée d’une fronde généralisée, nos travaux basés sur un échantillon représentatif de la population dans la métropole grenobloise montrent que seule 1 personne sur 4 y est opposée. Comprendre : les trois quarts de la population sont soit favorables, soit neutres et plus d’un tiers se dit même « très favorable » à cette mesure.
Cet état de l’opinion révèle un paradoxe : une majorité est prête à accepter des restrictions de circulation, pourvu qu’elles soient efficaces et équitables, tandis qu’une minorité cristallise l’attention médiatique.
Nous avons alors cherché à identifier et à mieux comprendre les tenants et aboutissants de l’acceptabilité des ZFE. Or, résultat surprenant tout autant qu’instructif, il ressort de l’analyse que ce n’est pas tant le fait d’être impacté ou non par la ZFE qui détermine en premier lieu son niveau d’acceptabilité, mais avant tout les perceptions individuelles sur l’impact de la ZFE sur l’environnement, sur la santé publique, sur la mobilité et sur la justice sociale.
Certaines mesures d’accompagnement peuvent toutefois améliorer ce niveau d’acceptabilité :
ces mesures peuvent favoriser le report modal vers les transports en commun (développement de nouvelles lignes, parking relais…), éventuellement en jouant sur leur accessibilité financière (ticket unique, tarifs plus bas) ;
elles peuvent aussi inciter au report modal vers le vélo (développement de nouvelles infrastructures dédiées).
Il peut s’agir d’aides financières pour s’acheter une voiture conforme à la ZFE,
ou de l’introduction de dérogations pour certaines catégories d’automobilistes,
enfin, la création d’un service offrant des conseils personnalisés en fonction des situations peut aider à mettre en œuvre les solutions de report modal.
Notre travail révèle une très forte hétérogénéité de la perception de l’utilité de ces mesures, à la fois au sein des partisans à la ZFE et au sein de ses opposants.
Tout d’abord au sein des opposants, un profil se distingue. Il s’agit de personnes que l’on pourrait considérer comme réfractaires idéologiques, opposées par principe à toute forme de restriction de l’automobile, qui considèrent qu’aucune mesure d’accompagnement n’est utile. Quoi que l’on fasse, ces personnes resteront opposées aux ZFE.
Par contre, on retrouve chez les opposants un autre profil de personnes qui considèrent que certaines mesures d’accompagnement sont utiles : parking relais combinés à des transports collectifs renforcés, aides pour changer de véhicule ou de mode de transport, dérogation pour les commerces de centre-ville, par exemple. Ces personnes seraient susceptibles de mieux accepter la ZFE si ces mesures étaient mises en œuvre. Il s’agit donc d’une cible à privilégier pour les décideurs publics.
Parmi les partisans aussi, on distingue plusieurs profils. D’un côté, les personnes convaincues à la fois par l’utilité de la ZFE et les mesures d’accompagnement proposées pour en limiter les impacts en termes de justice sociale et pour favoriser le report modal.
Enfin, certaines personnes favorables à la ZFE pourraient ne plus la soutenir si trop de dérogations vers les automobilistes venaient amputer l’ambition environnementale et sanitaire de la ZFE.
Si l’on souhaite pérenniser et généraliser les ZFE en France, les stratégies d’accompagnement devront donc être savamment dosées.
La priorité principale est d’expliquer et d’informer. Il est essentiel de montrer concrètement l’impact de la pollution sur la santé (mortalité, maladies chroniques) et comment les ZFE, dans le cadre d’un ensemble de mesures, peuvent améliorer la vie quotidienne de tous.
Le deuxième pilier doit être l’équité. Pour que la ZFE soit comprise comme juste, il faut accompagner les ménages modestes qui pourraient souffrir des restrictions de circulation. Cela passe bien sûr par des aides financières ciblées, mais aussi par le développement d’alternatives fiables : transports publics fréquents et abordables, pistes cyclables et trottoirs sécurisés, covoiturage organisé, autopartage, ainsi qu’une certaine flexibilité. Des dérogations permettant à chacun de se rendre dans la ZFE, par exemple, une fois par semaine, comme à Montpellier, ou pour les petits rouleurs, comme à Grenoble, faciliteront l’acceptabilité du dispositif tout en n’impactant son efficacité environnementale que de façon marginale.
Après l’abandon du plan vélo, des primes à l’achat du vélo électrique et le rabotage du budget consacré au leasing social des voitures électriques, que resterait-il des politiques de mobilité durable si les ZFE venaient à disparaître ?
Face à l’urgence sanitaire et climatique, les ZFE doivent constituer la pierre angulaire d’un vaste programme visant à repenser notre mobilité pour nous guérir de la dépendance à la voiture individuelle. Nos recherches montrent justement que des alternatives existent, et que celles-ci pourraient permettre de concilier objectifs environnementaux, sanitaires et sociaux, sans pénaliser les ménages les plus vulnérables.
Sandrine Mathy a reçu des financements de l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (ADEME) et de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR).
Carole Treibich et Hélène Bouscasse ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
30.04.2025 à 17:29
Gwenaëlle Questel, Enseignant-chercheur en droit privé, membre du LAB-LEX, Université Bretagne Sud (UBS)
Depuis le 24 février, le chirurgien Joël Le Scouarnec est jugé pour 299 viols et agressions sexuelles, essentiellement commises sur des mineures, entre 1989 et 2014. Condamné à une peine de prison avec sursis en 2005 pour possession d’images pédocriminelles, ce dernier est recruté par plusieurs hôpitaux et continue d’exercer malgré des alertes de collègues. En effet, comme ceux qui interviennent en milieu scolaire, les professionnels de santé ont une obligation de signalement à la justice en cas de violences sur des mineurs. Pourquoi n’est-ce pas toujours le cas dans la pratique ? Comment améliorer les dispositifs existants ?
Médecin et criminel pédophile, Joël Le Scouarnec a bien été dénoncé par certains collègues auprès d’établissements hospitaliers et du conseil de l’Ordre, mais ces alertes sont, pour la plupart, restées sans suite. Si certains établissements ont mis fin au contrat de travail du chirurgien d’autres, rencontrant des difficultés de recrutement, l’ont malgré tout embauché, arguant qu’aucune interdiction d’exercer n’avait été prononcée à son encontre et qu’aucune sanction disciplinaire n’avait été prise par le conseil de l’Ordre. Le chirurgien a continué d’exercer et de sévir auprès d’enfants pendant des années.
Lors du procès, un ancien collègue de Joël Le Scouarnec a rappelé que malgré les alertes lancées à l’hôpital de Quimperlé, aucune communication officielle n’a été faite par l’établissement et il a reconnu, à titre personnel n’avoir jamais alerté les autres intervenants du bloc : « je pensais qu’ils avaient été informés, et je ne pouvais pas non plus l’afficher dans tout le service ».
Face à une telle situation, on s’interroge : quelles sont les obligations légales des professionnels intervenant auprès d’enfants dans le signalement des violences ?
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Alors que 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, le professionnel de santé a une place importante puisqu’il a une obligation de signalement auprès des autorités judiciaires ou administratives lorsqu’il a connaissance de violences, y compris sexuelles, commises sur des mineurs. Cette règle, envisagée dans le code pénal, article 226-14 est également rappelée dans les différents codes de déontologie des professions médicales : médecin,article R4127-44 alinéa 2 Code de la santé publique, infirmier, sage-femme.
Ce devoir de signalement qui est donc à la fois d’origine légale et déontologique implique alors une possible levée du secret professionnel pour informer les autorités compétentes en cas de violences faites à l’égard des enfants. La loi précise alors l’auteur d’un tel signalement puisque celui-ci ne peut pas faire l’objet de poursuites pénales, civiles ou encore disciplinaires pour avoir révélé des informations à caractère secret.
Pour autant, l’énoncé des textes en la matière conduit à une incertitude quant à l’étendue de cette obligation de signalement. En effet, il est précisé que le professionnel doit alerter les autorités compétentes de violences faites aux enfants « sauf circonstances particulières » qu’il « apprécie en conscience ».
Ces références à l’appréciation concrète et circonstanciée peuvent amener le professionnel de santé, lorsqu’il y est confronté, à distinguer deux types de situations. Lorsque ce dernier a la certitude que des violences sont exercées à l’égard d’un enfant, il informe les autorités judiciaires ou administratives. Néanmoins, en cas de simples suspicions de violences, il semble y avoir un delta qui fait douter du caractère impératif du devoir qui lui incombe.
En ce qui concerne les enseignants et les professionnels en milieu scolaire, une obligation plus large est posée puisque tout fonctionnaire ou agent public qui acquiert connaissance d’un délit ou d’un crime, quel qu’il soit, doit en aviser sans délai le Procureur de la République article 40 Code de procédure pénale, alinéa 2 et L 121-11 Code général de la Fonction publique.
Cette obligation a été spécialement rappelée en cas de violences sur mineurs, dans le cadre de la loi du 14 avril 2016 relative à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs.
En pratique, lorsqu’ils suspectent des violences, les professionnels intervenant auprès d’enfants font le plus souvent des signalements indirects auprès des services départementaux et de la Cellule de recueil des informations préoccupantes (Crip) qui est une cellule départementale qui centralise et facilite le repérage des enfants victimes de violences.
Cette cellule, qui peut être alertée par toute personne, notamment via le relais assuré par le numéro « 119, Allô enfance en danger », se charge de faire une évaluation pluridisciplinaire de la situation qui aboutit, dans un délai de trois mois au plus, à une décision d’orientation déterminant les éventuelles suites à donner aux signalements effectués.
Les pratiques observées en milieux hospitalier et scolaire montrent qu’il y a souvent une concertation en interne au sujet des violences suspectées avant que la structure concernée n’alerte la CRIP.
Le rôle prépondérant des enseignants et des professionnels de santé dans la détection des violences faites aux enfants est indéniable puisqu’ils sont respectivement à l’origine de 23 % et de 15 % des informations préoccupantes transmises à la Crip.
Les dispositifs existants restent cependant perfectibles. Concernant les professionnels de santé, ils sont certes protégés d’un engagement de leur responsabilité du point de vue du secret professionnel mais ils peuvent être sanctionnés disciplinairement pour violation d’autres obligations déontologiques en cas de signalement.
Cette absence d’immunité totale a été récemment confirmée par le Conseil d’État lors d’une décision du 15 octobre 2024 qui a validé la sanction disciplinaire d’un médecin qui avait établi un certificat médical mentionnant des « violences intrafamiliales extrêmes » qu’il n’avait pas personnellement observées manquant ainsi à son obligation déontologique de non-immixtion dans les affaires de famille et dans la vie privée des patients comme nous le rappelle l’article R 4127-51 CSP.
Conscient du frein que cette crainte de la sanction disciplinaire peut constituer aux signalements, le plan gouvernemental 2023-2027 consacré à la lutte contre les violences faites aux enfants préconise une modification des codes de déontologie pour « clarifier l’obligation du professionnel de santé quand il constate des violences ».
En outre, l’absence de formation continue obligatoire relative aux violences faites aux enfants pour les professionnels intervenant auprès d’enfants est également à regretter. En effet, des formations sont proposées mais demeurent souvent ponctuelles en raison du manque de moyens et restent avant tout à la discrétion de chaque structure. Là encore, le plan gouvernemental a pour ambition de revaloriser la formation des professionnels.
Parmi les mesures proposées, le plan envisage la formation de vingt référents par ministère concerné chargés de sensibiliser et de former les professionnels intervenant auprès d’enfants au repérage et signalements des situations de violences faites aux enfants. La réforme de la formation des enseignants amorcée il y a quelques jours dans le décret du 17 avril signé par la ministre de l’éducation nationale, Élisabeth Borne, et le premier ministre, François Bayrou, promet également un renforcement de la formation sur ces questions.
Reste à savoir si les moyens humains, matériels et financiers déployés seront à la hauteur de ces ambitions. Au-delà des seuls enseignants, la mise en œuvre d’une formation continue approfondie obligatoire pour l’ensemble des professionnels intervenant auprès d’enfants pourrait constituer une avancée importante dans la lutte contre ces violences.
Gwenaëlle Questel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
30.04.2025 à 17:28
Allane Madanamoothoo, Associate Professor of Law, EDC Paris Business School
Carlo Acutis va bientôt devenir le premier saint catholique issu de la génération des millenials. Comment comprendre l’engouement que suscite la figure de ce jeune geek qui évangélisait sa génération sur Internet ? Et qu’est-ce que « devenir saint » signifie exactement du point de vue de la doctrine catholique ?
Carlo Acutis, un jeune Italien né le 3 mai 1991 à Londres et décédé d’une leucémie foudroyante à l’âge de 15 ans, devait être canonisé à Rome le 27 avril dernier. La cérémonie a été reportée à un peu plus tard à cause du décès du pape François.
Surnommé « le saint patron du Web », « le cyber-apôtre » ou encore « l’influenceur de Dieu », il deviendra le premier saint catholique ayant vécu au XXIe siècle à l’exception du pape Jean Paul II, mort en 2005 et canonisé en 2014.
Mais comment devient-on un saint ? Combien y a-t-il de saints ? Qui sont-ils et sont-ils tous populaires ? Que signifie devenir saint à l’heure d’Internet ou du numérique ? Enfin, Carlo Acutis est-il un modèle pour les jeunes ?
Une personne est reconnue officiellement comme « sainte » au terme d’une procédure juridique rigoureuse appelée « procès de canonisation ». La décision de canonisation relève de l’autorité du pape, qui l’inscrit officiellement sur le Canon des saints – communément appelé « Catalogue des saints » – et permet qu’un culte universel lui soit rendu une fois la canonisation officialisée.
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Toutefois, l’apanage du souverain pontife dans la décision de canonisation n’a pas toujours existé. Pendant des siècles les personnes étaient désignées « saintes » par la vox populi. Leur sainteté était ensuite confirmée par l’évêque local. La première canonisation effectuée par un pape remonte au Xe siècle avec celle de l’évêque Ulrich d’Augsbourg, par Jean XV, le 4 juillet 993. Depuis le XIIIe siècle, la décision de canonisation est réservée au pape, avec la mise en place d’un vrai procès en canonisation.
Ce procès de canonisation – qui a connu différentes réformes au fil des siècles – se déroule en plusieurs étapes :
L’ouverture de la Cause de canonisation du futur saint – une personne ayant une solide renommée de sainteté – débute en principe au bout de cinq ans au niveau du diocèse où a vécu le futur saint, après l’accord d’une autorité ecclésiastique compétente. Une enquête diocésaine est alors menée afin d’évaluer la réputation de sainteté de ce futur saint. Témoignages et preuves documentaires sont recueillis. À cette étape, le futur saint est appelé « serviteur de Dieu ». Après la clôture de l’enquête diocésaine, le dossier est transmis au Dicastère des causes des saints – anciennement, « Congrégation pour les causes des saints » –, à Rome.
Une fois le dossier parvenu au Dicastère, celui-ci examine le dossier de la Cause déjà instruite sur le fond et la forme. Puis il émet un jugement sur le fond de la Cause avant de la transmettre au pape. Si le pape reconnaît les vertus héroïques –- la foi, l’espérance, la charité, la force d’âme, la prudence, la tempérance et la justice – du « serviteur de Dieu », il signe le « décret d’héroïcité des vertus » et le déclare « vénérable ».
Après la reconnaissance d’un premier miracle – dont le caractère inexplicable est reconnu et validé par des experts médicaux – à l’intercession du « vénérable », ce dernier est déclaré « bienheureux » par le pape. Pour rappel, un chrétien martyrisé (tué en haine de la foi) peut être déclaré « bienheureux » sans l’exigence d’un miracle.
L’attribution d’un second miracle à l’intercession du bienheureux ouvre la voie à la reconnaissance de sa sainteté après l’approbation du décret de sa canonisation par le pape. Celui-ci le proclame officiellement « saint » par un acte de canonisation qui a lieu au cours d’une cérémonie.
Notons que, sur les trois conditions requises pour être déclaré « saint » – l’héroïcité des vertus, l’ouverture de la Cause après cinq ans et l’accomplissement d’au moins deux miracles –, les deux dernières peuvent être exceptionnellement assouplies. En effet, l’ouverture de la Cause a été lancée avant la durée des cinq ans pour le pape Jean Paul II et Mère Teresa. L’exigence d’un premier miracle comme préliminaire à la canonisation n’a pas non plus été indispensable dans le cadre de la canonisation du pape Jean XXIII.
Par ailleurs, il faut rappeler qu’il existe une autre forme de canonisation dite « équipollente » (« par équivalence ») - bien qu’elle soit rare. Moins formelle, elle ne nécessite pas de « procès » préalable. La procédure s’appuie sur la renommée des grâces obtenues par l’intercession de la personne. Celle-ci est déclarée « sainte » seulement sur un décret du pape et sans cérémonie particulière.
Enfin, il est important de préciser que la canonisation n’a pas pour objectif de « faire » d’une personne un saint mais de « reconnaître » sa sainteté.
En 2000 ans, l’Église compte près de 10 000 saints dont : des papes ((Jean Paul II, Jean XXIII, 2014)) ; des religieux et des religieuses (Antoine de Padoue (1232), Rita de Cascia (1900), Thérèse de Lisieux (1925), Maximilien Kolbe (1982), Padre Pio (2002), Mère Teresa (2016), Charles de Foucauld (2022)) ; des rois (Louis IX, 1297) ; des couples (Zélie et Louis Martin, 2015) ; des enfants (Jacinthe et François, 2000).
Durant son pontificat, le pape François aura canonisé 929 personnes (dont les 800 martyrs italiens d’Otrante canonisés en une seule fois en 2013).
François d’Assise figure parmi les saints les plus populaires du monde entier. Né à Assise, en Italie, vers 1181, dans une riche famille de drapiers, il abandonne son ambition d’être adoubé chevalier à la suite d’un songe. Peu à peu, il change de vie. Il commence par aider les plus démunis, puis soigne les lépreux. Il ne comprend le sens réel de sa vocation qu’en 1208. En 1210, il fonde l’ordre des Frères mineurs, communément appelé ordre des Franciscains. François est également connu comme étant le premier saint à avoir reçu les stigmates de la crucifixion du Christ. Il est aussi considéré comme le précurseur du dialogue islamo-chrétien. Décédé en 1226, il est canonisé deux ans après sa mort par Grégoire IX. En 1979, Jean Paul II le proclame saint patron de l’écologie. Le pape François – de son vrai nom Jorge Mario Bergolio – avait d’ailleurs choisi « François » comme nom symbolique en référence à François d’Assise, connu comme le saint des pauvres.
Moins connue est la sainte Joséphine Bakhita. Née vers 1869 au Darfour (Soudan), elle est capturée durant son enfance en 1877. Vendue en tant qu’esclave à plusieurs reprises, elle finit par être achetée par le consul d’Italie qui l’emmènera avec lui à son retour au pays, en 1885, à sa demande. Elle y deviendra domestique dans une famille amie du consul. À la suite d’une action en justice intentée à son encontre par sa « maîtresse » à Venise – cette dernière prétendait détenir un droit de propriété sur sa personne –, Bakhita est officiellement affranchie grâce à une décision du 29 novembre 1889 rendue en sa faveur dans laquelle le Procureur du roi déclara :
« N’oubliez pas, Madame, que nous sommes ici en Italie où, Dieu merci, l’esclavage n’existe pas, seule la jeune fille peut décider de son sort avec une liberté absolue. »
Libre, elle embrasse la vie religieuse chez les Sœurs canossiennes à Venise. Décédée en 1947, elle est béatifiée en 1992 puis canonisée en 2000 par le pape Jean Paul II, devenant la première sainte soudanaise. En France, un livre poignant, Bakhita, de Véronique Olmi, a permis de mieux la connaître.
Sans doute plus connu que Joséphine Bakhita mais pas encore aussi populaire que François d’Assise, Carlo Acutis est né dans une famille catholique non pratiquante. Selon sa mère, son fils était engagé dans de nombreuses activités caritatives en faveur des plus démunis et était habité par une foi précoce et profonde.
Passionné d’Internet, il met, à l’adolescence, ses connaissances d’informaticien au service de l’évangélisation à travers la création d’expositions numériques sur les miracles eucharistiques – la réelle présence du Christ dans l’eucharistie selon les croyants – et les apparitions de la Vierge Marie. D’où les surnoms de « saint patron du Web », « cyber-apôtre » ou encore « influenceur de Dieu » qui lui ont été attribués.
En 2020, Carlo est déclaré bienheureux à la suite de la reconnaissance d’un premier miracle par son intercession : la guérison d’un enfant atteint d’une déformation du pancréas. En 2024, un deuxième miracle lui ayant été attribué ouvre la voie à sa canonisation. Une jeune femme grièvement blessée et dont le pronostic vital est engagé guérit rapidement après que sa mère est allée se recueillir auprès de la tombe de Carlo en Assise. Il deviendra le premier saint millénial (génération Y) après sa canonisation par le successeur du pape François.
L’évangélisation conduite par Carlo Acutis à travers ses expositions virtuelles, traduites dans plus d’une vingtaine de langues et accessible partout dans le monde, l’a rendu célèbre. En 2019, le pape François a fait son éloge dans son exhortation apostolique Christus Vivit, l’érigeant en modèle pour la jeunesse. Son histoire est également relayée sur différents réseaux sociaux (Facebook, Tiktok, Instagram, etc.) et est racontée dans des livres pour enfants et jeunes adultes. Sa popularité s’est accrue depuis l’ouverture de son procès en canonisation. Dans ce cadre, son corps, préalablement transféré à Assise, lieu de pèlerinage pour les fidèles du monde entier, a été exhumé et exposé à la vénération des fidèles, vêtu d’un jean, d’un sweat de sport et de baskets, « uniforme » habituel des adolescents.
En faisant l’éloge de Carlo, le pape François a sans doute aussi voulu promouvoir une nouvelle figure de sainteté et dépoussiérer l’image des saints traditionnels de l’Église et ayant vécu à d’autres époques. Avec sa canonisation, la sainteté ne relève plus du passé mais du présent. En ayant eu une adresse mail, un portable ou encore un ordinateur, Carlo apparaît ainsi comme un (futur) modèle de saint moderne et accessible à la génération connectée.
Pour Clément Barré, prêtre du diocèse de Bordeaux, il ne faut néanmoins pas s’arrêter à sa modernité car cela risque de masquer l’essentiel : « son témoignage eucharistique radical qui transcende les catégories d’âge ». Par ailleurs, il souligne également qu’il est important de ne pas le cantonner au rôle de « Saint des jeunes », puisqu’un adulte ou un senior peut aussi être interpellé par le style d’évangélisation de Carlo…
Allane Madanamoothoo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.