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10.12.2025 à 16:12

Pour promouvoir la parité dans les cursus d’ingénieurs, la piste d’un concours spécifique

Diana Griffoulieres, Responsable d'ingénierie pédagogique numérique, EPF

Emmanuel Duflos, Professeur des universités et directeur de l'EPF École d'ingénieur-e-s, EPF

Liliane Dorveaux, PhD Mathématiques Appliquées,Chargée de Projet, EPF

En repensant les voies d’accès aux écoles d’ingénieurs, peut-on encourager davantage de filles à candidater ? Une expérience menée par l’EPF École d’ingénieurs.
Texte intégral (2071 mots)

Les concours d’accès aux écoles d’ingénieurs sont-ils pensés pour encourager la parité ? Une école tente depuis la rentrée 2025 de repenser ses voies de recrutement pour obtenir davantage de filles dans ses effectifs. Un dispositif trop récent pour en tirer des conclusions définitives mais qui apporte déjà des enseignements intéressants.


La sous-représentation des femmes en ingénierie s’explique en partie par des biais implicites de genre présents dans les processus de sélection académiques et professionnels dont la part de femmes plafonne juste en dessous du tiers des effectifs en cycle ingénieur où le taux reste autour de 29,6 %. Dans un contexte compétitif, les candidates tendent à être désavantagées, non pas en raison de compétences moindres, mais en raison de dynamiques compétitives et de stéréotypes de genre, influençant à la baisse leurs résultats.

L’un des phénomènes en jeu est le « risque du stéréotype » : la peur de confirmer un stéréotype négatif peut affecter les performances cognitives, notamment la mémoire de travail, réduisant ainsi les résultats des femmes lors d’épreuves exigeantes, même si elles réussissent mieux en dehors de ce contexte. Les différences de performances observées entre hommes et femmes dans les environnements compétitifs ne sont pas liées à des différences biologiques, mais à des attentes genrées et à des stéréotypes.

De nombreuses références bibliographiques décrivent comment les structures patriarcales favorisent les parcours masculins en valorisant les normes de compétition, notamment l’affirmation de soi et l’assurance, traits socialement encouragés chez les hommes mais souvent perçus comme inappropriés chez les femmes. Schmader, en 2022, a précisé l’impact des biais culturels et l’influence de l’environnement dans la limitation du choix des jeunes femmes pour les carrières scientifiques et techniques, malgré leur intérêt potentiel.

Dans une vision d’impact sociétal, l’EPF École d’ingénieurs (ex-École polytechnique féminine), l’une des premières grandes écoles en France à avoir formé des femmes au métier d’ingénieure, a créé le dispositif « ParityLab », un concept pensé pour attirer via des actions à court et moyen termes davantage de jeunes femmes vers les écoles d’ingénieurs.

Cette initiative s’appuie notamment sur les résultats de la grande enquête nationale « Stéréotypes et inégalités de genre dans les filières scientifiques », menée par l’association Elles bougent, en 2024, auprès de 6 125 femmes. Elle met en lumière les freins rencontrés par les filles dans les parcours scientifiques et techniques : 82 % déclarent avoir été confrontées à des stéréotypes de genre, et plus de la moitié disent souffrir du syndrome de l’imposteur – un obstacle à leur progression dans des environnements compétitifs. L’enquête Genderscan confirme ces constats, en se focalisant sur les étudiantes.

Une voie d’accès alternative

Le dispositif ParityLab a été conçu en réponse à ces enquêtes et aux biais de genre dans l’accessibilité des filles aux filières scientifiques et techniques, afin de minimiser ces biais et de valoriser leurs compétences tout au long de leur formation. Il se compose de deux parties : un concours d’accès alternatif via Parcoursup, réservé exclusivement aux femmes (validé par la direction des affaires juridiques de l’enseignement supérieur) et un parcours de formation spécifique d’insertion professionnelle consacré aux femmes, qui est proposé depuis cette rentrée aux candidates retenues.

Un panel diversifié de 40 jurés a été constitué pour assurer le processus de sélection. Parmi eux, 26 provenaient du monde de l’entreprise et 14 du corps enseignant et des collaborateurs de l’école. Pour sensibiliser tous les membres du jury sur l’importance de faire une évaluation plus inclusive, un atelier de sensibilisation aux stéréotypes de genre leur a été dispensé.

Afin de faire une évaluation plus enrichie et équilibrée des candidates, les jurés ont travaillé en binôme pendant les sessions de sélection reposant sur une étude de dossier scolaire, une mise en situation collective et un échange individuel. Le binôme était constitué d’un représentant de l’industrie et d’un représentant de l’école afin d’enrichir l’analyse des candidatures par leurs regards croisés multidimensionnels et réduire les biais.

L’épreuve collective a permis via une problématique liée à l’ingénierie fondée sur des documents, d’évaluer la créativité, le leadership ou la capacité d’exécution sans toutefois aborder les connaissances disciplinaires. L’entretien individuel, quant à lui, repose sur un échange librement choisi par la candidate (engagement associatif, sport, intérêt sur un sujet scientifique ou non), visant à révéler sa personnalité et ses aptitudes à communiquer.

Premier bilan du concours

Afin d’évaluer le dispositif mis en place, une enquête a été conçue pour collecter les retours des membres du jury et des candidates sélectionnées à travers deux questionnaires différents. De plus, un retour d’expérience a été demandé à certains membres du jury afin de collecter des données qualitatives sur leur expérience.

Les réponses des candidates ont été recueillies par un questionnaire rempli par 23 candidates sélectionnées sur 35 possibles (65,7 %). Il était composé de 14 questions fermées, utilisant une échelle de Likert à cinq niveaux, et neuf questions ouvertes. Il avait pour objectif de comprendre les motivations des candidates à passer le concours, d’identifier les obstacles ou les découragements qui ont pu freiner leur intérêt pour les sciences et les actions qui pourront encourager davantage de jeunes filles à s’orienter vers les filières scientifiques et technologiques.

L’analyse des réponses montre que 56 % des répondantes doutaient de leurs capacités et 22 % se déclaraient neutres sur ce point. La peur d’être isolée dans la classe est moins marquée, seules 30 % des candidates se sentant concernées. Les réponses sur les préjugés sexistes sont mitigées, 30 % des candidates ont déclaré avoir entendu des commentaires décourageants, 26 % se sont déclarées neutres et 43 % ont affirmé ne pas avoir été confrontées à ce type de remarques.

Quand il leur a ensuite été demandé d’imaginer ce qui pouvait encourager d’autres filles à s’orienter vers les filières scientifiques, les répondantes placent en tête de leurs réponses l’existence de modèles féminins inspirants, une meilleure promotion des métiers liés à l’ingénierie et la déconstruction des stéréotypes de genre dès l’enfance.

Une dynamique encourageante

Le concours a permis de renforcer significativement la présence des femmes dans la formation scientifique généraliste de l’EPF École d’ingénieurs en 2025. Sur les 50 places ouvertes cette année, 35 ont été pourvues, avec un taux de sélection de 32 % parmi les 108 candidates. Une critique fréquente à l’égard de ce type de dispositif est la peur d’une réduction des places pour les hommes, relevant d’une vision « à somme nulle ». Ici, les places créées pour cette nouvelle voie s’ajoutent à l’existant et aucun quota n’est prélevé sur les admissions classiques.

Ces chiffres s’inscrivent dans une dynamique positive et encourageante. Une progression remarquable des néo-bachelières recrutées de + 11,5 % de jeunes femmes en première année du cycle ingénieur.

Il est à noter que la voie d’accès classique affiche elle aussi des résultats en progrès en matière de parité avec une augmentation du nombre de jeunes femmes de + 5 %, probablement en lien avec différentes stratégies internes et externes de lutte contre les biais de genre.

Les étudiantes du ParityLab suivent le même programme académique que les autres élèves de la formation généraliste de première année. En revanche, elles bénéficient (en plus) de modules ciblés sur les questions de stéréotypes et soft skills. Cette première cohorte devient un terrain d’étude pertinent pour mieux comprendre les freins à l’orientation vers ces filières encore majoritairement masculines.

Obtenir un échantillon plus large

La mise en place du concours a été l’objet d’une réflexion approfondie sur la mise en œuvre d’un processus de sélection équitable. Des actions de sensibilisation destinées aux membres des jurys, afin de réduire les biais liés aux stéréotypes de genre et d’évaluer les compétences transversales sans mettre en avant les compétences disciplinaires des candidates, ont été mises en place. Les retours sur l’atelier collectif ont été perçus positivement par les jurys et par les candidates. Cependant des pistes d’améliorations (logistique, gestion de temps) sont envisagées pour la prochaine session.

ParityLab constitue un dispositif qui pourra être transférable à d’autres écoles d’ingénieurs qui souhaitent renforcer la représentation des femmes dans leurs programmes. Les recherches futures pourraient aborder les mêmes problématiques avec un échantillon plus large pour confirmer les résultats obtenus dans cette étude, et mesurer son impact sociétal.

The Conversation

Diana Griffoulières es docteure en Sciences de l’éducation et elearning. Elle mène des travaux de recherche appliquée en éducation et est responsable de l’ingénierie pédagogique numérique à l'EPF Ecole d'Ingénieurs. Diana Griffoulières ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article.

Emmanuel Duflos est membre de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs. Il en est le Président actuel. La CDEFI est une conférence inscrite dans le code de l'éducation qui a vocation à représenter les écoles d'ingénieurs auprès de l'Etat. La CDEFI est engagée depuis de nombreuses années dans des actions dont l'objectif est de promouvoir les formations d'ingénieurs auprès des femmes. Emmanuel Duflos est aussi le directeur général de la Fondation EPF, reconnue d'utilité publique (FRUP), qui a pour mission de concourir à la formation des femmes en sciences et technologies. La Fondation EPF porte l'école d'ingénieurs EPF dont il est également le directeur général. La Fondation EPF et l'EPF sont à l'origine de l'expérimentation à l'origine de cet publication. En tant que FRUP, la Fondation EPF partage son savoir et son savoir-faire sur le projet ParityLab qui concoure à sa mission.

Liliane Dorveaux est co-fondatrice et Vice Présidente de WOMENVAI , ONG ayant le statut ECOSOC à l'ONU. Liliane DORVEAUX ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article.

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