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19.05.2024 à 19:07

À Haïti, nommer aussi les violences obstétrico-gynécologiques en milieu hospitalier

Lukinson Jean, Docteur en Sciences sociales, LADIREP, Université d'État d'Haiti, GresCo, Université de Limoges

Un contexte de chaos sévit à Haïti. Il rend les femmes encore plus vulnérables aux violences, parmi lesquelles les violences obstétricales et gynécologiques restent trop souvent passées sous silence.
Texte intégral (1688 mots)

Haïti connaît une vague de violences sans précédent marquées par une escalade des attaques du fait de gangs qui souhaitaient renverser le premier ministre, Ariel Henry. Ce dernier a démissionné le 11 mars 2024. Il aura fallu attendre le 25 avril pour que le conseil présidentiel de transition soit officiellement investi pour le remplacer. Edgar Leblanc Fils a été désigné à sa tête.

Ce contexte de confusion et de chaos ne doit pas faire oublier toutes les formes de violence actuelles que subissent les femmes haïtiennes. Il en est une qui est souvent passée sous silence, voire méconnue, à savoir les violences obstétricales.


À lire aussi : Haïti s’est enfoncé dans la crise. Voici quatre solutions pour l’aider à s’en sortir – et cela prendra du temps


Des violences obstétricales invisibilisées

Celles-ci sont souvent invisibilisées au profit d’autres formes de violences contre les femmes, à tel point que la notion n’est guère utilisée dans le milieu médical et féministe, au profit de celles, plus générales, de maltraitances ou de violences basées sur le genre.

Cette invisibilisation est d’autant plus exacerbée que les violences obstétricales sont susceptibles de revêtir des formes variées. Des travaux menés dans d’autres contextes, par exemple à Dakar au Sénégal, indiquent que ces violences obstétricales posent, en tout cas pour certaines d’entre elles, « un véritable problème de reconnaissance par les victimes ». Ne sachant pas comment qualifier leur expérience, celles-ci préféreraient ne pas s’en plaindre ou tout simplement ne pas en parler, ce d’autant qu’elles n’ont pas toujours conscience du bénéfice qu’elles pourraient en tirer sur le court terme.

Un continuum avec les autres violences subies par les femmes

C’est dans cette perspective qu’ont été créées en Haïti les structures de soins obstétricaux et néonataux d’urgence de base (SONUB) en vue de donner aux usagères l’accès à des soins respectueux au sein des institutions et de leur permettre de bénéficier d’une prise en charge, entre autres, des cas de violences basées sur le genre.

De nombreux témoignages de victimes ainsi que des rapports officiels ont attiré l’attention sur l’ensemble des attitudes et comportements, « combinés ou séparés » (entre autres, mauvais accueils, injures, tapes et propos humiliants) qui forment la trame des violences obstétricales.

Recourir à la notion de violence obstétrico-gynécologique, plutôt qu’à celle de maltraitance ou encore à celle de violence de genre comporte des enjeux intellectuels et sociopolitiques de taille.

D’abord, cela permet, comme l’ont déjà rappelé de nombreux auteurs et de nombreuses autrices, d’inscrire ces violences dans le continuum des violences systémiques dont les femmes sont victimes au quotidien.

Ensuite, cette démarche a, en même temps, le mérite d’attirer l’attention sur la spécificité de cette forme de violence et sur la nécessité de lutter contre celle-ci dans un pays où la violence est endémique et protéiforme.

Enfin, il s’agit de dépasser l’usage de la notion en tant que simple « catégorie de pratique » dont la finalité serait, du point de vue des détracteurs, la délation et la remise en question des prestations de santé, mais de nous concentrer sur sa dimension analytique en vue de mieux appréhender le système de soins ainsi que le rapport au corps féminin dans le domaine de l’obstétrique-gynécologie.

Un tel concept permet d’apprécier à sa juste valeur le « vécu subjectif » des femmes face à une pratique médicale souvent présentée comme « un fait objectif incontestable » et au-dessus de la critique profane.

Mais des violences obstétrico-gynécologiques non solubles dans les autres

Par ailleurs, l’objectif est de donner à voir les violences obstétrico-gynécologiques comme relevant d’un genre spécifique et qui, bien que variant selon la position des femmes (ou des couples) dans la structure sociale, ne sont pas pour autant solubles dans la spirale des violences qui frappe la société haïtienne.

Une telle démarche n’est possible qu’à condition de prendre en compte la culture médicale locale ainsi que le contexte socio-économique et culturel dans lequel s’inscrivent ces propos, attitudes et comportements à l’égard des femmes.

Sous ce rapport, l’analyse est susceptible de mettre au jour et de mieux comprendre les violences obstétricales spontanées (hors urgence liée à l’accouchement), lesquelles ne sont pas toujours reconnues en tant que telles. Et quand elles le sont, elles sont souvent décrites comme imputables soit aux contraintes organisationnelles, soit aux contraintes inhérentes aux conditions d’exercice de la profession.

C’est pourquoi il importe de dépasser la logique manichéenne consistant à opposer la parole et le vécu subjectifs des femmes et la réalité médicale « objective » et de considérer que cette forme spécifique de violence est l’effet combiné autant d’habitus professionnel (entendu comme dispositions acquises tant au cours de la formation que dans l’exercice de la profession), que d’autres facteurs tels que les institutions, les normes et les valeurs ainsi que les systèmes de représentations en vigueur chez les experts obstétricaux, notamment chez le groupe professionnel des obstétriciens-gynécologues.

C’est à cette seule condition que les violences obstétricales ne seront pas traitées comme des violences subsidiaires et donc solubles dans les violences faites aux femmes en général.

Une spécialité médicale insuffisamment encadrée

Parmi toutes les violences faites aux femmes haïtiennes, les violences obstétricales font figure d’exception, d’autant qu’il n’existe à ce jour aucune loi à ce sujet, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays.

À cette absence de loi vient s’ajouter le problème de l’inexistence d’un ordre des médecins, à tel point que la spécialité obstétrique-gynécologie (familièrement appelée « ObGyn ») comme la plupart des autres spécialités médicales d’ailleurs, s’exerce dans un cadre le plus souvent informel et ne constitue pas, à ce titre, un marché du travail fermé stricto sensu.

On peut faire l’hypothèse que l’absence de loi sur les violences obstétrico-gynécologiques autant que l’inexistence d’un ordre des médecins ne font qu’accroître le caractère informel de la profession d’obstétricien-gynécologue.

Cela produit, ipso facto, des situations marquées par la discordance normative, en l’occurrence « des points de vue fondés sur des conceptions différentes » de la légitimité de certains faits et gestes. Ici, ils sont adaptés aux actes pratiqués en médecine gynécologique et obstétricale.

Les pratiques d’accouchements traditionnels également en question

Mais la question est plus vaste encore car les violences obstétricales sont loin d’être le fait des seuls professionnels de la médecine officielle.

À rebours de certaines analyses sous-tendues par une vision teintée de populisme idéologique,on peut supposer que les pratiques d’accouchements traditionnels, aussi répandues soient-elles surtout en milieu rural, n’en génèrent pas moins, elles aussi, leurs lots de maltraitances et de violences.


Cet article est co-écrit avec Mislor DEXAI (PhD., laboratoire LAngages DIscours REPrésentations – LADIREP – de l’Université d’État d’Haïti) et Marc-Félix CIVIL (MD-PhD., laboratoire LADIREP de l’Université d’État d’Haïti)

The Conversation

La recherche de Lukinson Jean a été financée par le Laboratoire Langages, Discours et Représentations (LADIREP) ainsi que la Fondation Connaissances et Liberté (FOKAL).

19.05.2024 à 19:07

Le Brésil, un nouveau modèle pour les banques publiques de développement ?

Jean-Baptiste Jacouton, Chargé de recherche, Agence française de développement (AFD)

La réforme de la finance internationale invite à repenser l’action des banques de développement en articulation avec l’ensemble des politiques publiques, ainsi que l’enseigne l’expérience brésilienne.
Texte intégral (1692 mots)
Le siège de la « Banco Nacional de Desenvolvimento Econômico e Social » à Rio de Janeiro Doll91939 / Wikimedia Commons, CC BY-SA

La séquence internationale actuelle met le Brésil à l’honneur. En 2024, le pays préside le G20 et il accueillera la COP 30 sur le climat en 2025. En parallèle, l’élargissement des BRICS, un club d’économies émergentes dont fait partie le Brésil, intervient à un moment stratégique dans les discussions sur la gouvernance mondiale.

La réforme de l’architecture financière internationale figure parmi les priorités que le pays s’est fixées pendant sa présidence du G20. Son président, Lula, semble vouloir attirer l’attention sur la capacité des banques publiques de développement à intégrer les effets du changement climatique dans leurs financements, à lutter contre les inégalités et à répondre aux crises de toutes natures.

Grâce au travail de nombreux universitaires brésiliens, plus de 70 articles de recherche analysent le rôle des banques publiques de développement à travers l’expérience du Brésil. Ces travaux illustrent comment des institutions financières publiques, comme la Caisse des dépôts et consignations en France, peuvent accomplir leur mandat de développement tout en assurant la stabilité macro-financière des économies qu’elles servent.

Après les États-Unis et l’Inde, le Brésil est le 3e pays au monde au nombre de banques publiques de développement, notamment en raison de sa structure fédérale. Le pays dispose d’un réseau de 21 banques publiques locales et d’une banque publique nationale : la « Banco Nacional de Desenvolvimento Econômico e Social » (BNDES, Banque nationale pour le développement économique et social). Celle-ci publie le détail de ses opérations, ventilées selon la nature des bénéficiaires et de leur localisation. Elle contribue ainsi à faire avancer notre compréhension des banques publiques de développement.

Les activités de la BNDES et la place qu’elle occupera dans l’économie brésilienne au cours des prochaines années seront vraisemblablement déterminantes pour la crédibilité de l’ensemble des 533 banques publiques de développement réunies dans la coalition Finance en Commun (FiCS). À cet égard, l’évènement conjoint G20/FiCS qui se tient à Rio de Janeiro les 20 et 21 mai 2024 a pour objectif de repenser la place de ces institutions dans le système financier international, afin de renforcer leurs actions en faveur des objectifs de développement durable (ODD) et de la lutte contre le changement climatique.

Une nouvelle phase de développement

La BNDES est une des plus grandes banques publiques de développement au monde. Elle totalise environ 130 milliards de dollars d’actifs en 2022, soit l’équivalent de 7 % du produit intérieur brut brésilien. La banque finance des projets de long terme dans l’ensemble des secteurs de l’économie, tels que l’agriculture, les infrastructures, les services, et sert une pluralité d’acteurs économiques, allant des microentreprises aux entreprises multinationales. Afin de remplir son mandat, les opérations de la BNDES se déclinent principalement sous forme de prêts (67 %) et via d’autres instruments telles que la prise de participations au capital des entreprises, les garanties, et le crédit-export. Cette diversité d’activités, de clients et d’instruments, est représentative de l’action des banques nationales de développement.

L’histoire de la BNDES est intimement liée au contexte socio-économique du Brésil. La banque fut créée en 1952 dans un contexte d’intervention délibérée du gouvernement brésilien dans l’économie afin de servir ses objectifs de développement social et économique. Au regard des difficultés du pays au début des années 1980 (faible taux de croissance, inflation, accroissement de la dette publique), la politique économique brésilienne a pris un tournant néo-libéral, poussant la BNDES à accompagner la privatisation des entreprises publiques. Au début des années 2000, la première élection du président Lula (Parti des Travailleurs) a marqué une nouvelle phase de développement pour la banque : entre 2003 et 2016, ses actifs ont été multipliés par 6.

Divers travaux insistent sur le rôle contra-cyclique qu’a joué la BNDES durant cette période. Face à la crise financière globale de 2008, elle est devenue l’une des banques publiques de développement les plus interventionnistes au monde.

Durant les 3 années qui ont suivi, son volume d’engagements a augmenté de plus de 25 % par an. Cette dynamique s’est poursuivie de façon continue pendant une dizaine d’années, si bien que son activité de prêts équivalait à presque 12 % du PIB brésilien en 2015.

Ce volume était tel qu’il aurait incité la banque centrale du Brésil à augmenter ses taux d’intérêt afin de maîtriser l’inflation qu’il nourrissait. La BNDES a alors entamé un ralentissement de son activité depuis 2016, interrompu durant la crise du Covid-19 durant laquelle la banque a, une nouvelle fois, pleinement joué son rôle contra-cyclique.

Des engagements pour une finance solidaire et durable

Traditionnellement, les banques publiques de développement ont vocation à stimuler et soutenir les secteurs de l’économie généralement exclus des systèmes financiers. Dans de nombreuses économies émergentes et en développement, les petites et moyennes entreprises ont un accès limité aux sources de financement formelles pour investir et développer leurs activités.

De nombreux articles se sont intéressés à la valeur ajoutée de la BNDES dans ce secteur. Il ressort que les entreprises financées par la banque brésilienne ont tendance à investir plus que les autres. Entre 2002 et 2016, la BNDES aurait ainsi significativement contribué à la formation brute de capital fixe au Brésil. Plusieurs auteurs nuancent néanmoins cette contribution positive en indiquant que la BNDES a également financé des entreprises performantes qui auraient pu se financer directement auprès de banques commerciales privées. Ce mécanisme est connu sous le nom d’« effet d’éviction ».

Au cours des dernières années, la BNDES a vu son mandat évoluer pour intégrer de façon significative les enjeux environnementaux et le financement des biens publics mondiaux. En 2019, la banque a adopté une nouvelle politique de responsabilité sociale et environnementale qui intègre pleinement les enjeux extrafinanciers dans sa stratégie et ses opérations. La même année elle s’est faite accréditer par le Fonds Vert pour le Climat pour son engagement « à encourager les projets qui contribuent à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à atténuer les effets du changement climatique ».

La BNDES fut ainsi la première banque brésilienne à émettre, en 2017, une obligation verte sur les marchés internationaux à hauteur d’un milliard de dollars. Dans les faits, les engagements en matière de finance verte de la BNDES ont augmenté de 37 % entre 2018 et 2022. Si la littérature s’accorde sur le rôle moteur que joue la banque pour financer la transition énergétique du Brésil, il existe néanmoins peu d’études concernant ses impacts en matière de déforestation.

En définitive, l’expérience de la BNDES invite à repenser l’action des banques de développement en articulation avec l’ensemble des politiques publiques. Par définition, ces institutions constituent un instrument quasi fiscal de politique publique. Pour bien comprendre leur potentiel de développement dans l’économie, il s’agit donc de penser leurs activités en adéquation avec l’ensemble des politiques budgétaires, monétaires et industrielles. De façon générale, les travaux de recherche sur les banques publiques de développement devraient davantage tenir compte des interactions qu’elles entretiennent avec l’ensemble des acteurs économiques publics et privés.

The Conversation

Jean-Baptiste Jacouton ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

19.05.2024 à 14:38

Tentative d’assassinat de Robert Fico : quelles conséquences pour la Slovaquie ?

Jan Rovny, Professor of Political Science, Centre d’études européennes et de politique, Sciences Po

Depuis son retour au pouvoir en octobre, Robert Fico avait entamé ce que ses adversaires qualifient de tournant illibéral. Qu’il reprenne son poste ou non, ce tournant va sans doute se confirmer.
Texte intégral (2097 mots)

Mercredi 15 mai, dans la petite ville slovaque de Handlova, Robert Fico, 59 ans, redevenu premier ministre le 25 octobre dernier après avoir déjà exercé cette fonction – la plus importante dans son pays – pendant dix ans au total entre 2006 et 2018, a été victime d’une tentative d’assassinat. Touché par cinq balles à bout portant, il a été rapidement évacué vers son hôpital. Son état, un temps jugé critique, est désormais qualifié de « grave ». Le suspect, un homme de 71 ans aux motivations floues, a été arrêté.

Fico est un dirigeant qui détonne au sein de l’UE. Élu sur une ligne populiste, notamment marquée par un discours résolument hostile aux migrants et aux minorités sexuelles, connu pour sa proximité avec Moscou sur le dossier ukrainien, souvent présenté comme un tenant de l’illibéralisme à l’instar du premier ministre de la Hongrie voisine, Viktor Orban, dont il est proche, il est un personnage extrêmement clivant sur la scène politique de la Slovaquie, ce pays d’Europe centrale de quelque 5,5 millions d’habitants actuellement plongé, comme les 26 autres États membres de l’UE, en pleine campagne électorale dans la perspective des européennes du 9 juin prochain.

The Conversation France a demandé à Jan Rovny, professeur de science politique au Centre d’études européennes et de politique comparée à Sciences Po, de revenir sur la trajectoire et l’idéologie de Robert Fico, et d’évaluer les conséquences que pourrait avoir cet événement sans précédent en Slovaquie, et rarissime à l’échelle de l’Europe, où les deux derniers chefs de gouvernement à avoir été assassinés dans l’exercice de leurs fonctions sont le Serbe Zoran Djindjic en 2003 et le Suédois Olof Palme en 1986.

Comment qualifieriez-vous Robert Fico, sur le plan politique ? Son parcours et ses prises de position sont-ils ceux d’une personnalité inclassable, ou bien s’inscrivent-ils dans des mouvances politiques clairement définies ?

Tout d’abord, il me semble important de commencer par rappeler que toute forme de violence, et en particulier la violence politique, est un phénomène odieux. Ce qui s’est passé ce 15 mai, c’est d’abord une tentative de meurtre visant un être humain, et ensuite seulement une attaque contre une personnalité politique – une personnalité politique qui a remporté des élections équitables et compétitives, et qui a légitimement accédé aux fonctions qui sont les siennes. Cet acte est une atteinte à la vie humaine et, au-delà, du fait du poste de la personne visée, une atteinte à la démocratie libérale, et mérite donc une condamnation absolument univoque.

Robert Fico est un personnage incontournable de la politique slovaque depuis un quart de siècle. Initialement issu du parti social-démocrate modéré SDL (Parti de la gauche démocratique), qui était un parti post-communiste réformé, Fico a fondé en 1999 son propre parti, SMER (Direction), initialement inspiré par la politique dite de la troisième voie du Labour britannique de Tony Blair et opposé au gouvernement de droite en place à l’époque en Slovaquie.

Au début des années 2000, Fico parvient à dominer l’aile gauche de la politique slovaque en attirant dans l’orbite du SMER d’autres forces de gauche. Il est généralement soutenu par des électeurs socialement défavorisés, qui ont été les perdants de la transition économique de la Slovaquie vers une économie capitaliste – une transition dans l’ensemble plutôt réussie.

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Fico attire de plus en plus ces électeurs en insérant dans son discours un mélange de protectionnisme économique, de connotations nationalistes et de rhétorique hostile aux minorités. En 2006, il forme un gouvernement de coalition avec des forces nationalistes et de droite radicale, et continue à glisser vers un illibéralisme politique de plus en plus explicite.

Fico et ses gouvernements – il sera premier ministre de 2006 à 2010 puis de 2012 à 2018, avant de récupérer ce poste en 2023 – sont accusés d’approfondir les pratiques de corruption et de construire ce que certains analystes qualifient d’« État mafieux », associant les élites politiques du régime à des oligarques impliqués dans des pratiques commerciales douteuses.

Fico est contraint de démissionner à la suite de l’assassinat, en 2018, d’un journaliste politique, Ján Kuciak, qui enquêtait sur les liens de la SMER avec le crime organisé. Son retour au pouvoir à l’issue des élections législatives de 2023 est précédé par des apparitions publiques remarquées dans le contexte des protestations contre les mesures sanitaires prises par le gouvernement pendant la pandémie de Covid, et par sa vive opposition à l’envoi de nouvelles armes à l’Ukraine.

Après sa réélection en 2023, Fico et son gouvernement, qui comporte des ministres d’extrême droite, se sont lancés dans une rapide « dé-démocratisation » à la Viktor Orban, en abolissant le bureau spécial du procureur pour les affaires de corruption et de crime organisé, et en cherchant à fermer la chaîne de télévision publique slovaque. Le camp politique de Fico a obtenu la victoire de son ancien collaborateur, Peter Pellegrini, lors de la toute récente élection présidentielle (23 mars/6 avril), ce qui a renforcé l’emprise de Fico sur le pouvoir.

En bref, Fico ne verrait probablement rien à redire si on le qualifiait de « Viktor Orban de la Slovaquie ».

En Slovaquie, quelles sont les réactions à la tentative d’assassinat dont il a été la cible ?

La quasi-totalité des adversaires de Fico, à commencer par la présidente sortante Zuzana Caputova, qui est son adversaire de longue date, ainsi que de nombreux médias, ont fermement condamné la tentative d’assassinat et lancé un appel à l’unité politique et sociale, mettant en garde contre les effets néfastes de la violence politique et de son instrumentalisation opportuniste.

D’autre part, un certain nombre de membres du gouvernement ont réagi en critiquant l’opposition libérale et les médias traditionnels, allant jusqu’à affirmer que ceux-ci avaient le sang de Fico sur les mains en raison de leurs critiques à l’égard du premier ministre. Les mesures que le camp gouvernemental pourrait prendre dans les prochains jours et les prochaines semaines en matière de contrôle des médias, notamment, devront être scrutées de près.

Une chose semble sûre : un tel acte de violence politique, sans précédent dans la jeune histoire de la Slovaquie indépendante, n’est certainement pas de nature à favoriser une évolution harmonieuse vers une démocratie libérale apaisée. Le gouvernement avait déjà clairement indiqué que certains de ses objectifs étaient tout à fait illibéraux ; le contexte actuel va encore accroître sa détermination à agir dans ce sens.

S’achemine-t-on vers une prise de contrôle des médias slovaques par le pouvoir ?

Depuis que Fico est revenu aux affaires à l’automne 2023, le pays s’est précipité sur la voie d’un illibéralisme à la Orban. Fondamentalement, la tentative d’assassinat n’a pas changé la donne, si ce n’est qu’un tel épisode peut donner au gouvernement les coudées franches pour l’utiliser comme prétexte à de nouvelles restrictions de la liberté des médias et de l’indépendance de la justice.

Peut-on déjà prévoir l’impact de cet événement sur le résultat des élections européennes en Slovaquie ?

Nous ne disposons pas encore de sondages effectués après la tentative d’assassinat pour nous faire une idée plus précise de la façon dont cela a – ou non – incité les citoyens slovaques à modifier leurs intentions de vote. On peut s’attendre à ce que l’attentat contre le premier ministre génère un certain nombre de votes de sympathie et augmente ainsi les chances électorales de son parti, le SMER, qui, en avril, devançait l’opposition libérale d’un point de pourcentage dans les sondages. Simultanément, l’opposition libérale a déclaré – par respect – qu’elle suspendrait toutes ses manifestations politiques.

Dans quelle mesure la violence politique est-elle répandue dans les pays anciennement communistes ayant adhéré à l’UE en 2004 et 2007 ?

En Europe centrale, la violence politique est plutôt limitée. La Slovaquie a connu un assassinat qui a eu un grand retentissement et qui était clairement motivé par des considérations politiques, celui de Ján Kuciak en 2018 – un épisode qui, je l’ai évoqué, a contraint Fico à démissionner. En dehors de cela, la violence politique est rare à un niveau aussi élevé. Si l’on compare avec l’Europe occidentale et que l’on considère les assassinats politiques de personnalités telles que Pim Fortuyn aux Pays-Bas, Anna Lindh en Suède et Jo Cox ou David Amess au Royaume-Uni, il semble que les assassinats à motivation politique soient plus fréquents à l’ouest.

Quels sont les scénarios probables si Fico se remet de ses blessures ? Et s’il ne parvient pas à reprendre ses activités politiques ?

Si Robert Fico se rétablit et reprend son poste de premier ministre, il est difficile d’imaginer que sa rencontre rapprochée avec la mort lui apportera une forme d’épiphanie. Je m’attends à ce qu’il poursuive ses politiques illibérales – avec probablement encore moins de scrupules qu’auparavant. S’il succombe à ses blessures ou en tout cas ne parvient pas à retrouver l’intégralité de ses moyens et se retire de la vie politique, il sera probablement remplacé par l’un de ses proches collaborateurs – peut-être Robert Kalinak, ancien ministre de l’Intérieur et actuel ministre de la Défense. Je m’attends à ce que Fico lui-même et son parti utilisent l’assassinat à des fins politiques. Quoi qu’il arrive, la démocratie libérale en Slovaquie semble suspendue à un fil de plus en plus précaire.

The Conversation

Jan Rovny a reçu des financements de Horizon Europe.

17.05.2024 à 12:39

Quels droits pour les promeneurs, entre droit d’accès à la nature et propriété privée ?

BASSET Mégane, Avocat au Barreau de Grenoble - Chargée de travaux dirigés, Université Grenoble Alpes (UGA)

L'accès aux espaces naturels privés est désormais puni d'une amende de 135 euros. De quoi remettre en cause notre relation à l'environnement lorsqu'on sait qu'en France 75% des forêts sont privées.
Texte intégral (2762 mots)
Pancarte indiquant une propriété privée forestière dans les Bouches-du-Rhône The Conversation, CC BY

Se promener dans la nature, cela peut-être, selon le point de vue que l’on adopte, un droit, un loisir, un sport, un bienfait pour la santé, mais aussi, depuis une récente loi passée en février 2023, une infraction pénale. Car une grande majorité des forêts françaises ne sont pas publiques, et que l’accès aux espaces naturels et aux forêts privés est désormais sanctionné par une amende de 135 euros. Comment en est-on arrivé là et quel avenir se dessine pour l’accès à la nature ?

Depuis la loi du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, le simple fait de pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d’autrui dans le cas où le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement, peut effectivement être sanctionné par une contravention de 4ème classe (amende forfaitaire de 135 euros). Certains propriétaires du massif de la Chartreuse en Isère, dans les Alpes maritimes ou encore un groupement forestier dans les Vosges, ont décidé d’utiliser cet outil afin d’empêcher tout accès à leurs propriétés. En riposte, de nombreuses personnes et des associations se sont alors mobilisées afin de défendre un droit d’accès à la nature.

Alors que 75 % des forêts françaises sont privées et appartiennent à plus 3,3 millions de citoyens, avec jusqu’à 90 % de forêts privées dans l’Ouest de la France qui bat tous les records dans les régions Pays de la Loire, Nouvelle-Aquitaine et Bretagne, cette loi redessine le rapport que peuvent entretenir les citoyens avec leur environnement.

Jusqu’alors, se trouver dans un espace naturel privé pour n’importe quel usager (promeneur, randonneur, alpinistes, pratiquant de trail…) n’était pas sanctionnable en soi, le droit civil proposant des mécanismes permettant de réparer les éventuels dommages ou le droit pénal permettant de sanctionner les violations de domicile ou les dégradations. Seule exception : les pratiquants de VTT pouvaient eux déjà, être verbalisés pour la pratique du free-ride en forêt (articles R. 163-6 du code forestier et R. 362-2 du code de l’environnement).

Pourquoi en est-on venu à faire changer cela ?

Le souhait d’une conciliation entre protection de l’environnement et protection de la propriété privée

À l’origine, la loi du 2 février 2023 est le résultat d’un compromis entre d’une part, une nécessité de rendre les clôtures qui se multiplient dans les paysages français, moins dommageables pour la biodiversité, et de l’autre, en contrepartie, une volonté de rassurer les propriétaires.

Le premier objectif de cette loi a donc été de répondre à l’explosion récente de la pratique de l’engrillagement visant à clôturer des terrains privés avec des conséquences directes sur l’environnement et la biodiversité : impact sur les corridors écologiques, morcellement des habitats naturels…

Un grillage apposé autour d’une forêt privée
Lutter contre l’engrillagement de la nature : un des objectifs de la loi du 2 février 2023. The Conversation, CC BY

Cette loi est ainsi venue modifier certaines dispositions du code de l’environnement afin d’y inscrire les nouvelles caractéristiques des clôtures : posées à 30 centimètres au-dessus de la surface du sol, hauteur limitée à 1m20, non vulnérantes pour la faune, réalisées en matériaux naturels définis par le SRADDET (Schéma régional d’aménagement de développement durable et d’égalité des territoires).

Le code de l’environnement précise désormais que les clôtures existantes (sauf certaines exceptions comme les élevages équins ou les exploitations agricoles par exemple) implantées dans les zones naturelles ou forestières délimitées par les règlements des plans locaux d’urbanisme, ou à défaut d’un tel règlement, dans les espaces naturels, doivent être mises en conformité avant le 1er janvier 2027 en ne portant pas atteinte à l’état sanitaire, aux équilibres écologiques et aux activités agricoles ou forestières du territoire.


À lire aussi : L’animisme juridique : quand un fleuve ou la nature toute entière livre procès


La pénalisation de l’accès à la nature comme contrepartie radicale aux mesures de protection environnementale

En contrepartie de ces mesures visant à « combattre l’emprisonnement de la nature » et dans l’optique d’apaiser les propriétaires, le législateur a donc créé un nouvel article 226-4-3 dans le code pénal, qui prévoit une contravention de 4ème classe (amende forfaitaire de 135 euros) afin de sanctionner le simple fait de pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d’autrui dans le cas où le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement.

Mais depuis son entrée en vigueur, comment cette loi a-t-elle été appliquée ?

Si d’un côté les inspecteurs de l’Office français de la biodiversité, souvent sollicités par des associations et des riverains, interviennent davantage sur le terrain pour constater les éventuelles clôtures non conformes aux prescriptions de la loi du 2 février 2023, d’un autre côté, depuis l’entrée en vigueur de l’article 226-4-3 du code pénal, les agents assermentés pour le faire ont également pu verbaliser des promeneurs qui se seraient introduits dans la propriété privée rurale ou forestière d’autrui, matérialisée comme telle.

Plusieurs interrogations concrètes ont émergé à la suite de l’adoption de cette loi : que faut-il entendre par matérialisation physique d’une propriété privée ? Une trace de peinture rouge sur un rocher, par exemple, doit-elle être considérée comme une telle matérialisation physique ?

Les difficultés liées à l’application sur le terrain

Il faut noter que pour pouvoir être appliquée, c’est-à-dire donner lieu à une sanction, une infraction doit être prévue par la loi en vertu du principe de légalité des délits et des peines, c’est-à-dire que l’objet et la nature de l’infraction doivent être clairement mentionnés et explicités dans la loi. Mais si nul n’est censé ignorer la loi, et si on veut réellement pousser jusqu’au bout la rigueur du raisonnement juridique, comment savoir si on est en infraction quand la propriété privée est uniquement signalée par un panneau « Propriété privée – Défense d’entrer » sans autre délimitation claire des limites de la propriété en question ?

Peut-on sincèrement demander aux promeneurs, avant leur excursion, de s’informer sur l’étendue exacte des propriétés privées dans lesquelles ils ne pourront plus pénétrer comme avant l’adoption de la loi lorsqu’elles n’étaient pas davantage clôturées ? Et s’agissant des agents verbalisateurs, chaque propriétaire va-t-il faire appel à des gardes assermentés pour surveiller et verbaliser les éventuels contrevenants ?

Si l’intention peut paraître d’une certaine manière louable au regard des perturbations des écosystèmes, des risques pour la sécurité, des pollutions et autres dépôts sauvages, et donc des problèmes de responsabilités pour les propriétaires – difficiles à nier et en partie liés à la surfréquentation de certains sites – sa mise en pratique n’est pas dénuée de complications sur le terrain. Et la récente pénalisation n’a pas solutionné mais plutôt, dans certains cas, aggravé les conflits d’usage avec les chasseurs notamment lorsque des réserves naturelles sont paradoxalement mises à leur disposition par des propriétaires, au détriment des promeneurs.


À lire aussi : La désobéissance civile climatique : les États face à un nouveau défi démocratique


Une proposition de loi portant dépénalisation de l’accès à la nature retoquée

D’autres pays européens, notamment les pays scandinaves, consacrent le droit de tout un chacun d’accéder à la nature : l’allemansrätten est même inscrit dans la Constitution suédoise depuis 1994 :

« Nonobstant les dispositions antérieures [relatives au droit à la propriété]l’accès de tous à l’environnement naturel est garanti, conformément au droit d’accès au public. »

Ce droit fait partie intégrante de la culture suédoise et permet à tous et partout de camper, d’accéder aux plages, de se baigner, certaines cueillettes et même de pêcher gratuitement. En contrepartie, car il y en a une, les promeneurs doivent faire preuve de civisme et respecter les propriétaires des lieux, avec pour obligation de laisser l’endroit comme ils l’ont trouvé.

Le « droit d’accès à la nature » en Scandinavie.

S’inspirant de ce modèle et alors que le préambule de la Charte de l’environnement précise que l’environnement est le « patrimoine commun des êtres humains », les députés écologistes Jérémie Iordanoff et Lisa Belluco ont déposé une proposition de loi visant à dépénaliser l’accès à la nature. Cette proposition avait pour objet de revenir sur le droit antérieur en abrogeant purement et simplement l’article L. 226-4-3 du Code pénal. Pour appuyer leur texte, ils mettent en avant les effets bénéfiques de la nature sur la santé physique et mentale et l’importance de la connaître pour être sensibilisé à sa défense.

Ces députés dénoncent ainsi l’inutilité de réprimer le simple fait de se promener en forêt, aucune offense n’étant alors commise, dans le cas où les promeneurs sont respectueux de la nature et des propriétaires évidemment. Tout système pénal répressif vise effectivement à protéger la société et les députés ont voulu souligner l’absence de danger, d’atteinte à la vie privée ou encore d’atteinte aux biens dans le cas d’activités de pleine nature.

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Leur proposition de loi a ainsi été présentée à la commission des lois de l’Assemblée nationale le 27 mars 2024 mais rejetée malgré plusieurs amendements. Des parlementaires avaient ainsi proposé d’atténuer la sévérité de l’article L. 226-4-3 du Code pénal en établissant des exceptions à la sanction dans les cas où la loi le permet et dans le cas des sentiers de randonnées entretenus et balisés par une association reconnue d’utilité publique, même s’il traverse une propriété privée.

D’autres députés avaient également proposé d’ajouter un article L. 361-4 au code de l’environnement prévoyant que les voies et chemins balisés par un établissement public, une collectivité territoriale ou une fédération de randonneurs agréée et traversant une propriété privée sont grevés sur une bande de trois mètres de largueur destinée à assurer exclusivement le passage des véhicules non motorisés, des piétons et des cavaliers, en vain.

Vers d’autres solutions plus équilibrées entre promeneurs, propriétaires et collectivités ?

Au Québec, où plus de 90 % du territoire fait partie du domaine de l’État, le médecin et professeur à la Faculté de médecine et des sciences de la santé

Isabelle Bradette prescrit désormais des sorties en nature de vingt minutes à ses patients pour les aider à réduire leur stress : baisse de l’anxiété, hausse du moral, baisse du cortisol, aide à réguler l’humeur, hausse de la créativité et de la concentration, renforcement du système immunitaire. Hippocrate aurait même dit : « La nature est la meilleure médecine pour l’homme. »

En France, le but est en réalité de trouver un équilibre entre protection de la propriété privée et liberté d’aller et venir tous deux constitutionnellement consacrés, équilibre dont la subtilité n’est cependant pas garantie avec l’outil répressif, négligeant d’autres instruments de gestion plus « démocratiques », qui, certes, nécessitent un réel suivi dans leur mise en œuvre.

Il existe en effet des conventions ou des plans départementaux des itinéraires de promenade et de randonnée (PDIPR) signalés par les députés dans le compte-rendu relatif à leur proposition de loi de dépénalisation de l’accès à la nature. Ces plans peuvent être signés entre les propriétaires volontaires et les départements afin de garantir un droit d’accès à la nature tout en veillant à l’encadrer.

The Conversation

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16.05.2024 à 18:31

« Réarmement démographique » : les séries dystopiques s’invitent dans le débat

Marine Malet, Researcher in Information sciences and media studies, University of Bergen

Les craintes démographiques ressurgissent dans le débat public. Que nous disent les séries dystopiques à succès, comme La Servante écarlate, des angoisses contemporaines et quel pourrait être leur rôle politique ?
Texte intégral (2756 mots)
Dans une société dystopique et totalitaire au très bas taux de natalité, les femmes sont divisées en trois catégories : les Epouses, qui dominent la maison, les Marthas, qui l'entretiennent, et les Servantes, dont le rôle est la reproduction. Alloicné

Le 16 janvier 2024, le président de la République Emmanuel Macron défendait l’idée d’un « réarmement démographique », tout en restant évasif sur les applications concrètes d’un tel projet. Cette prise de parole a entraîné de nombreuses réactions associant cette rhétorique guerrière et l’évocation de tests de fécondité à des dystopies comme le roman de Margaret Atwood La Servante écarlate, adapté en série à succès.

L’actualité et sa lecture à travers le prisme de la dystopie sont l’occasion d’interroger le succès des séries appartenant à ce genre et leurs éventuelles fonctions. À quels problèmes publics ou débats de société font-elles écho ? Mais surtout, à quelles réflexions sont-elles susceptibles de nous inviter ?

Des futurs sombres pour repenser nos sociétés

La dystopie n’est pas un genre nouveau. Le XXe siècle, tourmenté par des périodes de crises profondes, donne naissance à des œuvres qui se sont érigées en références littéraires du genre : 1984 de George Orwell, Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley ou encore Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, pour ne citer qu’eux.

Depuis le milieu des années 2010, on peut cependant observer une nouvelle vague dystopique largement alimentée par les séries télévisées. Les récits dystopiques fleurissent sur nos écrans et ont su séduire des publics variés, notamment du fait de leur diffusion sur des plates-formes de VOD. Certaines séries se sont ainsi érigées en références culturelles partagées, devenant parfois des grilles d’interprétation de l’actualité socio-politique : Black Mirror, Squid Games ou encore La Servante écarlate, au point de voir leur iconographie reprise en symbole de luttes contestataires.

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Science-fiction, anticipation, uchronie, post-apocalyptique, dystopie… les frontières entre les genres fictionnels sont ténues, parfois poreuses. Ici, la dystopie est donc entendue comme un récit fictionnel qui, en hypertrophiant des phénomènes déjà à l’œuvre dans la société de l’auteur, en imagine les dérives possibles dans un futur plus ou moins proche et se fait le relais des préoccupations et des angoisses contemporaines. Dans un geste de mise en garde, ces récits confient une responsabilité aux lecteurs/téléspectateurs, celle d’éviter que le futur décrit ne se produise en demeurant vigilant.

C’est d’ailleurs précisément ce qui semble se produire en réaction au « réarmement démographique » évoqué par Emmanuel Macron : la fiction dystopique – dans ce cas précis, La Servante écarlate – a été mobilisée par certains comme une grille d’interprétation de l’actualité, désignant comme problématique une telle orientation politique. Ces propos ont été interprétés à travers le prisme de la fiction dystopique, qui agit comme une mise en garde quant à la fragilité des droits des femmes face aux enjeux démographiques.

Le thème démographique n’est pas un motif nouveau dans les dystopies – le sociologue Andreu Domingo parle d’ailleurs de « demodystopia ». Déjà en 1973, Richard Fleischer imaginait dans Soleil vert les conséquences de la surpopulation. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Quelles représentations dystopiques en font les séries ?

La réactualisation du motif de la surpopulation

Si le thème de la surpopulation a largement inspiré les auteurs de dystopies dans les années 80, celui-ci se fait plus rare, à quelques exceptions près. La série américaine The 100 (2014-2020) en est une. Créée par Jason Rothenberg, elle imagine le monde de 2149 – 97 ans après que la Terre ait été rendue inhabitable suite à une catastrophe nucléaire, seuls ont survécu les habitants d’une station orbitale. Malgré le contrôle des naissances, les ressources s’épuisent, les obligeant à un retour sur Terre. Durant sept saisons, la survie de l’humanité sera au cœur de l’intrigue principale.

The 100 réactualise donc le motif dystopique de la surpopulation, entrant en résonance avec certains discours alarmistes qui, encore récemment, établissaient un lien entre la surpopulation mondiale et les questions environnementales (épuisement des ressources, pollution, etc.). Elle l’associe également aux risques que peuvent représenter certains usages de l’IA (intelligence artificielle).

Dans The 100, bien qu’il ne s’agisse pas du cœur de l’intrigue, la surpopulation correspond au point de départ qui entraîne ce que j’appelle le « basculement dystopique ». Dans le premier épisode de la saison trois, la série met en récit les origines de la catastrophe nucléaire : en 2051, une scientifique [Becca] a développé une IA (ALIE), programmée pour « rendre la vie meilleure » et régler la crise environnementale mondiale. Afin de remplir son objectif premier, ALIE se donne pour mission de régler ce qu’elle identifie comme le problème de fond : « trop de monde » (S03E01, 01:54).

Reprenant la construction du mythe de Frankenstein, The 100 illustre le concept de perverse instantiation, soit la capacité d’une IA à pervertir les intentions de son programmeur en poursuivant un objectif de manière logique mais délétère et hostile pour l’humain. La surpopulation étant identifiée comme principal obstacle s’opposant à une vie meilleure par l’IA, celle-ci échappe au contrôle de sa créatrice pour procéder au lancement de missiles nucléaires afin de ne permettre la survie que de quelques humains.

Les angoisses liées aux catastrophes nucléaires sont emblématiques du contexte géopolitique de la Guerre froide et sont devenues un thème classique dans la science-fiction, réactualisé par la série. C’est encore une fois par la main de l’humain, mais sous les traits d’une IA, que se joue la perte d’une partie de l’humanité. La technologie alimente l’espoir de lendemains meilleurs (notons que la série propose aussi une représentation positive de l’IA dans la suite du récit) mais elle peut aussi être une menace fatale lorsque ses conséquences ne sont pas maîtrisées.

Le recours à la technologie pour répondre aux problèmes relatifs à l’environnement et/ou aux enjeux démographiques fait également écho à des débats contemporains : le dérèglement climatique et ses conséquences se sont progressivement constitués en problème mondial ces dernières années. En réponse, certains discours envisagent la technologie comme solution à tous les maux, ce qu’Evgeny Morozov désigne comme un « solutionnisme technologique », tout en en soulignant ses limites. La série The 100 illustre ce que pourraient être les conséquences dystopiques d’une telle solution apportée au problème de la surpopulation.

Le scénario d’une baisse drastique de la natalité

Dans La Servante écarlate, c’est a contrario la baisse de la fertilité qui entraîne le « basculement dystopique », en entraînant une crise mondiale. Cette question agite les débats de nos sociétés occidentales depuis plusieurs années et s’est progressivement érigée en problème public.

En 2023, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié un rapport sur l’infertilité qu’elle qualifie de « problème mondial de santé publique ». Si le phénomène concerne aujourd’hui 17,5 % de la population selon le rapport, La Servante écarlate met en récit les conséquences qu’entraînerait sa généralisation.

La série, s’inspirant du roman éponyme de Margaret Atwood, postule une société où l’infertilité s’est généralisée, entraînant une chute drastique de la natalité. C’est dans ce contexte qu’une secte politico-religieuse renverse le Gouvernement des États-Unis et crée une société totalitaire, La République de Gilead, affichant le projet d’un retour aux valeurs traditionnelles et religieuses.

Après avoir purgé la société de tous les individus et éléments allant à l’encontre de cette vision du monde, la société est réorganisée autour d’une lecture fondamentaliste de la Bible. Les femmes sont déchues de leurs droits et de leurs libertés, celles identifiées comme fertiles ont le devoir de donner naissance. Celles qui ont péché par le passé (c’est le cas du personnage principal du récit, June/Offred) deviennent des Servantes et n’ont d’autre mission que la reproduction : affectées à des couples des castes les plus élevées, elles sont violées chaque mois par le Commandant en présence de l’Epouse, dans un rituel appelé la Cérémonie, afin de leur donner des enfants.

Les causes de l’infertilité sont également nommées par la série qui l’associe à des questions environnementales et sanitaires. La dystopie est « critique » pour le chercheur Tanner Mirrlees, puisqu’elle pointe explicitement la responsabilité d’un système industrialo-capitaliste. On retrouve là aussi l’idée que l’humain est à l’origine de sa propre perte.

Dans le premier épisode de la saison 1, le personnage de Tante Lydia – chargé de « former » les Servantes – désigne le système pré-Gilead comme responsable de l’infertilité en ces termes :

« Ils remplissaient l’air de produits chimiques, de radiations et de poison ! Dieu a donc créé un fléau spécial. Le fléau de l’infertilité… alors que le taux de natalité chutait, ils ont aggravé la situation. Pilules contraceptives, pilules du lendemain, assassinat de bébés. Juste pour pouvoir faire leurs orgies, leur Tinder… » (Tante Lydia, S01E01, 16:07)

Mais, dans la rhétorique de Gilead – et là réside le tournant dystopique – les pollutions industrielles partageant la responsabilité avec les valeurs défendues par les démocraties libérales et tout ce que nos sociétés actent comme des acquis et des libertés : le droit à la contraception, à l’avortement, ou encore à vivre son orientation sexuelle. Pollution et libertés sont donc deux éléments que le système de Gilead s’est employés à éradiquer, au nom du bien commun.

« Nous ne nous sommes pas réveillés » nous dit June (Elisabeth Moss). Face aux effets de l’infertilité, la société a évolué progressivement : un contrôle accru de l’éducation des enfants par les services sociaux d’une part ainsi qu’un retour à la Foi dans l’espoir d’un salut.

À partir de l’analyse des flashbacks des quatre premières saisons, il est possible de reconstituer l’ordre chronologique des grands évènements ayant conduit à la formation de l’univers dystopique de Gilead : infertilité et baisse drastique du taux de natalité dans le monde, popularité de mouvements religieux appelant à la responsabilité collective en embrassant « son destin biologique » (Serena Waterford, S02E06), un coup d’État, des purges, la fermeture des frontières, puis la réorganisation de la société.

Ces scènes témoignent du processus méticuleux et calculé qui conduit au basculement dystopique. Elles montrent aussi, et la série tend à mettre en garde contre cela à travers le discours de June, la passivité des personnages face aux mesures qui introduisent la catastrophe et leur capacité d’adaptation à ces mesures d’exception, jusqu’à ce qu’il ne soit trop tard.

Une invitation à la réflexion collective

En mettant en fiction les causes du « basculement dystopique », les séries identifient et désignent certains faits de société comme problématiques, puisque susceptibles de conduire à de futurs indésirables. Par ailleurs, la présence de nombreux personnages permet de dresser un tableau complexe et réaliste des problèmes publics fictionnalisés : ceux-ci incarnent différentes visions du monde qui façonnent la réalité sociale.

Pour reprendre l’exemple de La Servante écarlate, le récit est raconté du point de vue de June et donne à voir son expérience du basculement dystopique et de son nouveau quotidien de Servante. Le téléspectateur est solidarisé avec l’expérience oppressive du régime dystopique telle que vécue par June. Cependant, dès la première saison, la série rend également audibles d’autres voix et d’autres expériences, notamment celles de ceux qui sont les instigateurs de Gilead, Fred Waterford et Serena Joy Waterford. Plusieurs scènes de flashbacks permettent aux téléspectateurs de mieux saisir leur vision du monde : convaincus d’œuvrer pour le bien de l’espèce humaine, Gilead constitue pour eux l’unique voie pour répondre à la menace que représente l’infertilité.

En confrontant les points de vue de ces personnages, les séries dystopiques produisent une forme alternative de débat public et se constituent en « arènes publiques fictionnelles ».

Néanmoins, si les séries mettent en garde contre des visions du monde associées à au basculement dystopique, elles ne proposent pas d’alternative permettant de régler les problèmes initiaux mis en récit. Les séries usent de la complexité narrative pour retranscrire la complexité des problèmes publics qu’elles abordent.

Comme l’affirme le chercheur en sciences politiques Yannick Rumpala à propos de la science-fiction, les séries dystopiques peuvent devenir des ressources cognitives pour « réinterpréter des problèmes et des situations, pour avancer des formes d’interrogations et explorer des propositions par un déplacement dans un monde différent, reconfiguré ».

Finalement, plus qu’une simple critique, les séries dystopiques peuvent être lues comme des invitations à engager une réflexion collective sur les problèmes mis en fiction, en laissant aux téléspectateurs la responsabilité d’éviter les catastrophes qu’elles décrivent et de réimaginer des futurs plus chantants que ceux à l’écran.

The Conversation

Marine Malet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

16.05.2024 à 18:30

Nouvelle-Calédonie : ces colères qui enflamment l’archipel

Nicole George, Associate Professor in Peace and Conflict Studies, The University of Queensland

Les émeutes en Nouvelle-Calédonie font suite à l’adoption d’une réforme constitutionnelle visant à élargir le corps électoral. Une organisation de femmes kanak remet en perspective la situation.
Texte intégral (1675 mots)

Pour la troisième nuit consécutive, la Nouvelle-Calédonie a été le théâtre de violentes émeutes. Quatre personnes, dont un gendarme, sont décédées lors d’« affrontements très graves ». Un deuxième agent a trouvé la mort lors d’un tir accidentel jeudi 16 mai. Des milices, parfois armées, patrouillent dans certains quartiers pour surveiller les habitations et les commerces. Le gouvernement a annoncé le déploiement de militaires afin de « sécuriser » les ports et l’aéroport de l’archipel ultramarin. L’état d’urgence a été décrété depuis mercredi soir et l’utilisation du réseau social TikTok est restreinte.

Des manifestations pacifiques avaient eu lieu dans tout le pays ces dernières semaines, alors qu’approchait le vote de l’Assemblée nationale sur le projet de réforme constitutionnelle qui prévoit l’élargissement du corps électoral propre au scrutin provincial. Lundi soir, la crise s’est rapidement intensifiée, prenant les autorités locales par surprise.

Pour comprendre comment cette situation a pu dégénérer aussi rapidement, il est important d’exposer les enjeux politique et socio-économique complexes qui ont cours dans cette région.


À lire aussi : Référendum en Nouvelle-Calédonie : un rendez-vous manqué dans le processus de décolonisation


Un projet de réforme constitutionnelle contesté

La crise politique trouve d’abord sa source dans un projet de loi du gouvernement prévoyant une modification constitutionnelle qui étend le droit de vote aux Français qui vivent sur l’île depuis dix ans.

Cette décision, prise à Paris, ferait qu’environ 25 000 nouveaux électeurs pourraient prendre part aux scrutins particuliers qui concernent directement la Nouvelle-Calédonie. Cette réforme met en évidence le pouvoir politique que la France continue d’exercer sur le territoire.

Les changements annoncés ont semé la discorde parce qu’ils annulent des dispositions de l’Accord de Nouméa de 1998, en particulier la restriction des droits de vote. Cet accord visait à « rééquilibrer » les inégalités politiques afin que les intérêts des autochtones kanaks et des descendants des colons français soient reconnus de manière égale. Il a permis de consolider la paix entre ces groupes après une longue période de conflit dans les années 1980, connue localement sous le nom d’« événements ».

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Loyalistes et indépendantistes s’opposent

Un groupe loyaliste (le terme est utilisé pour désigner les anti-indépendantistes néo-calédoniens, les « loyalistes aux institutions républicaines françaises ») d’élus au Parlement de Nouvelle-Calédonie rejette la signification contemporaine du « rééquilibrage » en ce qui concerne le statut électoral des Kanaks. Selon eux, après trois référendums sur la question de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, organisés entre 2018 et 2021, qui ont tous abouti à un vote majoritairement négatif, le temps de la réforme électorale est largement dépassé.

Cette position est clairement exprimée par le député Nicolas Metzdorf. Loyaliste de premier plan, il a défini la révision constitutionnelle adoptée par l’Assemblée nationale comme « un vote pour la démocratie et l’universalisme ».

Nouvelle-Calédonie : une situation « insurrectionnelle ». Public Sénat, 15 mai 2024.

Ce point de vue est rejeté par les leaders indépendantistes kanaks, qui estiment que ces amendements portent atteinte au statut politique des autochtones kanaks, qui constituent une minorité de la population votante. Ces dirigeants refusent également d’admettre que le programme de décolonisation a été mené à son terme, comme l’affirment les loyalistes.

Ils contestent au contraire le résultat du référendum final de 2021 qui, selon eux, a été imposé au territoire par les autorités françaises trop tôt après la pandémie du Covid. Selon eux, l’organisation de ce vote n’a pas tenu compte du fait que les communautés kanakes ont été très durement touchées par la pandémie et n’ont pas été en mesure de se mobiliser pleinement avant le vote. Les demandes de report du référendum ont été rejetées et de nombreux Kanaks se sont abstenus en conséquence.

Dans ce contexte, les réformes électorales décidées à Paris cette semaine sont considérées par les camps indépendantistes comme une nouvelle prescription politique imposée au peuple kanak. Une figure de proue d’une organisation de femmes autochtones kanakes m’a décrit le vote comme une solution qui pousse « les Kanaks dans le caniveau », une solution qui les ferait « vivre à genoux ».

Le spectre des années 1980

De nombreux commentateurs politiques comparent la violence observée ces derniers jours à la violence politique des années 1980 qui a fait payer un lourd tribut au pays. Cette affirmation est cependant contestée par les femmes leaders locales avec lesquelles je discute et qui m’encouragent à analyser cette crise au-delà des seuls facteurs politiques.

Certaines dirigeantes rejettent l’idée que cette violence n’est que l’écho de griefs politiques passés. Elles soulignent les disparités de richesse très visibles dans le pays. Celles-ci alimentent le ressentiment et les profondes inégalités qui privent les jeunes kanaks d’opportunités et contribuent à leur colère.

Boom et bouillonnements !, un documentaire sur la période 1968-1975 (outre-mer la 1ère).

Les femmes m’ont également fait part de leur inquiétude quant à l’imprévisibilité de la situation actuelle. Dans les années 1980, les campagnes violentes étaient coordonnées par les leaders kanaks, me disent-elles. Elles étaient organisées, contrôlées.

En revanche, aujourd’hui, il semblerait que les jeunes qui prennent les devants usent de la violence parce qu’ils estiment, frustrés, ne pas avoir « d’autres moyens » d’être reconnus.

Prendre en compte les inégalités sociales et économiques

Parmi certains exemples, celui d’une conférence de presse tenue mercredi 15 mai en fin de journée, par des leaders politiques indépendantistes kanaks. Ces derniers se sont faits l’écho de leurs adversaires politiques loyalistes en condamnant les violences et en lançant des appels au dialogue. Ils ont notamment appelé les « jeunes » impliqués dans les violences à respecter l’importance d’un processus politique et ont mis en garde contre une logique de vengeance.

Les femmes leaders de la société civile avec lesquelles je me suis entretenue ont émis de fortes réserves à l’égard de ce type de propos. Elles affirment que les dirigeants politiques de tous bords n’abordent pas les réalités auxquelles sont confrontés les jeunes Kanaks. Selon elles, si le dialogue reste centré sur les racines politiques du conflit et n’implique que les mêmes élites qui ont dominé le débat jusqu’à présent, peu de choses seront comprises et peu de choses seront résolues.

De même, ces critiques déplorent la réponse du gouvernement et de l’État français, principalement sécuritaire, fondée sur l’« ordre et le contrôle ». Elle contredit les appels au dialogue et laisse peu de place à une quelconque participation de la société civile.

Ces approches permettent d’étouffer les griefs, mais ne les résolvent pas. Les femmes leaders qui observent la situation actuelle sont angoissées et ont le cœur brisé pour leur pays et son peuple. Elles affirment que si la crise doit être résolue de manière durable, les solutions ne peuvent être imposées et les mots ne peuvent être vides.

Au contraire, leurs paroles demandent à être entendues et à contribuer à la résolution de la crise. En attendant, les habitants vivent dans l’anxiété et l’incertitude jusqu’à ce que les incendies se calment et que la fumée qui plane actuellement sur une Nouméa meurtrie se dissipe.

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