01.12.2025 à 16:47
Sabine Lee, Professor in Modern History, University of Birmingham
Heather Tasker, Assistant Professor of Political Science, Dalhousie University
Susan Bartels, Clinician-Scientist, Queen's University, Ontario
Une enquête conduite auprès de centaines de personnes ayant fui la guerre au Soudan vers le Soudan du Sud met en évidence l’ampleur des violences – agressions, viols systématiques, assassinats – que les milices infligent à ceux et surtout à celles qui prennent la route en quête de sécurité.
« Je me trouvais à Khartoum lorsque le conflit a éclaté. Des soldats arabes armés sont venus chez nous pour piller nos arachides, mais ma mère a refusé de leur ouvrir la porte. Aussitôt, l’un des soldats lui a tiré dessus. J’ai crié, mais trois soldats m’ont encerclée. Ils m’ont attrapée et emmenée derrière un bâtiment où dix soldats m’ont violée. Personne n’est venu à mon secours, car ma mère était morte et les voisins s’étaient enfuis. Deux jours plus tard, après l’enterrement de ma mère, j’ai rejoint d’autres personnes pour aller au Soudan du Sud. »
C’est à proximité du poste-frontière d’Aweil, entre le Soudan du Sud et le Soudan, que cette jeune fille nous a raconté son histoire, qui rappelle bien d’autres témoignages que nous avons entendus de la part de nombreuses autres personnes. Sous la chaleur étouffante de juillet 2024, les pieds dans la boue et l’eau de pluie accumulées le long de la route, les membres sud-soudanais de notre équipe internationale ont demandé aux gens de partager leurs récits sur les expériences des femmes et des filles qui ont entrepris le périlleux voyage entre les deux pays.
Nous avons discuté avec près de 700 rapatriés et migrants forcés – femmes et hommes, filles et garçons – dont beaucoup ont partagé des expériences similaires, ayant été terrorisés par les soldats et les milices armées des deux camps pendant la guerre civile au Soudan. La guerre déchire le pays depuis 2023 et a causé la mort de plus de 150 000 personnes.
La lutte armée pour le pouvoir qui oppose l’armée soudanaise à un puissant groupe paramilitaire, les Forces de soutien rapide (FSR a provoqué une famine et des accusations de génocide visant les FSR dans la région occidentale du Darfour. Les FSR ont été créées en 2013 et trouvent leur origine dans la tristement célèbre milice Janjawid qui a combattu les rebelles au Darfour, où elle a été accusée de génocide et de nettoyage ethnique contre la population non arabe de la région. De nouveaux témoignages faisant état de massacres et d’atrocités continuent régulièrement d’apparaître.
Alors que la crise s’approfondit, nos recherches ont révélé que les violences sexistes et sexuelles sont un facteur majeur de migration vers le Soudan du Sud. Plus de la moitié des personnes que nous avons interrogées ont déclaré que c’était la principale raison pour laquelle elles avaient cherché refuge de l’autre côté de la frontière, les adolescentes âgées de 13 à 17 ans étant beaucoup plus susceptibles d’affirmer que la violence sexuelle était la raison pour laquelle elles avaient dû migrer.
Cette étude, récemment publiée dans Conflict and Health, a révélé de nombreux témoignages poignants de viols collectifs et de meurtres, dont certains ont été commis sur des enfants âgés d’à peine 12 ans.
Depuis son indépendance en 2011, le Soudan du Sud reste l’un des États les plus fragiles au monde, en proie à une instabilité politique chronique et à des crises humanitaires à répétition. À la suite de divisions internes, une guerre civile dévastatrice, avant tout de nature ethnique, a éclaté en 2013. Ce conflit a fait près de 400 000 morts et à déplacé de force environ 2,3 millions de personnes, dont 800 000 vers le Soudan. Deux millions de personnes supplémentaires ont été déplacées à l’intérieur du Soudan du Sud, ce qui a gravement compromis les efforts de construction de l’État. Le pays reste sur le fil du rasoir et l’ONU déclarait en octobre qu’il était au bord de retomber dans une guerre civile totale.
Le déclenchement de la guerre au Soudan en 2023 a encore exacerbé les fragilités et les vulnérabilités du Soudan du Sud, compromis les efforts de paix et aggravé la crise humanitaire existante. Le conflit soudanais a provoqué un afflux massif, cette fois-ci de plus de 1,2 million de réfugiés et de rapatriés qui ont traversé la frontière vers le Soudan du Sud, exerçant une pression considérable sur des ressources et des services déjà surexploités.
En 2024, plus de 9,3 millions de personnes au Soudan du Sud, soit plus de 70 % de la population, avaient besoin d’une aide humanitaire, et 7,8 millions d’entre elles étaient confrontées à une insécurité alimentaire aiguë. Plus de 2,3 millions d’enfants étaient menacés de malnutrition, certaines régions étant proches de la famine.
Même avant 2023, le Soudan du Sud figurait parmi les pays les plus touchés en matière de violences sexuelles et sexistes à l’échelle mondiale, avec le deuxième taux le plus élevé en Afrique subsaharienne.
La frontière entre le Soudan et le Soudan du Sud est depuis longtemps un corridor de déplacements cycliques, façonné par des décennies de guerre, de famine et d’instabilité politique. Cependant, l’ampleur et la complexité de la crise actuelle ont accru les vulnérabilités, en particulier pour les femmes et les filles. Les effets se sont manifestés sous la forme de viols, d’abus sexuels, de traite et de prostitution forcée, des deux côtés de la frontière.
Nous avons concentré notre étude sur cette frontière et sur les personnes qui la franchissaient pour fuir. Nous avons utilisé la méthodologie dite « sensemaking » (basée sur le principe selon lequel le récit est un moyen intuitif de transmettre des informations complexes et aide les gens à donner un sens à leurs expériences) pour documenter ce qui est arrivé aux femmes au cours de leurs périples et les risques auxquels elles ont été confrontées dans les camps de réfugiées au Soudan du Sud. Nous avions adopté une approche similaire pour examiner les témoignages relatifs aux actes d’exploitation sexuelle commis par les Casques bleus de l’Organisation des Nations unies (ONU) en Haïti et en République démocratique du Congo (RDC).
L’équipe de terrain, composée de trois chercheuses et trois chercheurs de l’organisation à but non lucratif Stewardwomen, a travaillé pendant deux semaines à la frontière nord d’Aweil afin de recueillir ces témoignages. Stewardwomen est une organisation sud-soudanaise dirigée par des femmes qui lutte contre les violences faites aux femmes, notamment les violences sexuelles.
Notre équipe a recueilli 695 témoignages auprès de 671 personnes. La grande majorité d’entre elles étaient des Soudanais du Sud qui retournaient dans un pays qu’ils avaient autrefois fui (98 %), et la plupart étaient des femmes en âge de procréer (88 %). Plus de la moitié des témoignages étaient des récits à la première personne de leur propre migration, tandis que d’autres étaient des récits d’hommes concernant des femmes de leur famille.
L’objectif était de faire en sorte que les gens se sentent en sécurité et libres de s’exprimer ouvertement. Josephine Chandiru Drama, avocate sud-soudanaise spécialisée dans les droits humains et ancienne directrice de Stewardwomen, a déclaré :
« En invitant les femmes et les filles à partager leurs expériences migratoires avec leurs propres mots, les collecteurs de données ont honoré leur capacité d’action et leur voix. Cette approche a favorisé la confiance, réduit les risques de retraumatisation et permis d’obtenir des récits plus riches et plus authentiques qui reflètent les réalités vécues du déplacement. »
Si la violence oblige les familles à fuir le Soudan, le risque n’est pas réparti de manière égale. Nos conclusions montrent que les adolescentes sont exposées à un risque disproportionné.
Les filles sont confrontées à un danger grave que les familles peinent souvent à prévenir. Des groupes armés effectuent des raids dans les maisons et les camps, enlevant des filles ou les capturant sur les routes et aux postes de contrôle. Les filles sont prises pour cible et soumises à des agressions sexuelles et à des viols.
Les parents peuvent essayer de voyager en groupe, de changer d’itinéraire ou de cacher leurs filles, mais lorsque des hommes armés arrêtent un bus ou pénètrent dans un village pendant la nuit, leurs moyens de protection sont limités. Ces risques s’intensifient à mesure que la pauvreté s’aggrave et que les moyens de transport sûrs se font rares. Ces conditions rendent les filles visibles, isolées et vulnérables. Une femme nous a raconté comment elles ont été attaquées :
« […] La voiture des rebelles s’est approchée de nous. Ils ont emmené les filles de force et nous ont violées, les hommes n’ont rien pu faire pour nous protéger. Ce qui fait particulièrement mal, c’est d’être violée en plein air alors que les hommes nous regardent… Ce que les Arabes ont fait aux femmes et aux filles était terrible, et je ne suis pas la seule à avoir vécu cela. »
Une autre femme a raconté une histoire extrêmement traumatisante, celle du viol et du meurtre de sa fille. Elle a déclaré :
« Ma fille de 12 ans a été violée par un groupe de soldats et est morte sur le coup. C’est une histoire très triste à raconter, mais je dois le faire pour que le monde sache ce qui arrive aux femmes et aux filles au Soudan […]. Les soldats ont ensuite violé les cinq filles […]. Malheureusement, ma petite fille violée est morte sur le bord de la route[…]. Ce fut un moment très douloureux. »
Les données que nous avons collectées ont confirmé cette réalité terrifiante. Lorsque nous avons examiné les réponses par âge, une tendance statistiquement significative est apparue : les adolescentes âgées de 13 à 17 ans étaient beaucoup plus susceptibles que les femmes plus âgées de déclarer que la violence sexuelle était la raison pour laquelle elles avaient dû migrer.
Nous avons demandé aux participantes de situer leur expérience sur un spectre : la violence sexuelle était-elle la raison de leur migration, ou était-elle une conséquence de celle-ci ? Pour les adolescentes, les réponses se sont massivement regroupées à une extrémité : la violence sexuelle était le déclencheur, et non une conséquence de leur décision de quitter leur foyer.
Il est possible que parmi les femmes plus âgées, la violence sexuelle soit devenue quelque peu normalisée après qu’elles ont survécu à des conflits antérieurs dans la région, où les jeunes filles célibataires sont spécifiquement ciblées pour être enlevées et mariées de force. Une jeune femme a raconté ce qui était arrivé à sa sœur :
« Alors que nous voyagions pour trouver refuge dans notre pays natal, le Soudan du Sud […], toutes les femmes et les filles ont reçu l’ordre de sortir de la voiture […] et ont été violées par un groupe de cinq soldats. Jeune fille innocente, ma sœur de 15 ans a tenté de résister […] et elle a été violemment battue, violée par les cinq soldats, puis tuée […]. On nous a ordonné de partir, et ma sœur n’était plus. »
Une jeune femme à peine sortie de l’adolescence a déclaré avoir ressenti de la honte et de la gêne lorsqu’elle nous a raconté comment le groupe dont elle faisait partie avait été attaqué alors qu’il fuyait vers le Soudan du Sud.
« […] Nous avons soudain été attaqués par une milice et j’ai fait partie des huit filles qui ont été enlevées. J’ai été violée à plusieurs reprises par quatre hommes pendant deux jours[…]. Le viol m’a fait perdre mon bébé alors que j’étais enceinte de trois mois et j’ai contracté la syphilis. »
Si la violence n’est pas inattendue en temps de guerre, l’analyse des témoignages a révélé une tendance frappante : au total, 53 % des participants ont spécifiquement identifié la violence sexuelle et sexiste comme l’une des principales raisons de leur fuite, et dans toutes les tranches d’âge, il s’agissait du principal facteur déterminant. Pour beaucoup, il ne s’agissait pas simplement d’une conséquence de la guerre, mais du facteur décisif qui les a poussés à quitter le Soudan.
Les récits ont donné vie à ces données. Une mère a raconté la mort de son enfant sur la route de la migration, conséquence directe de la violence qu’ils fuyaient. Un homme a décrit comment sa femme et sa fille avaient été enlevées en chemin, le laissant seul pour s’occuper de ses quatre autres enfants et se demandant si elles étaient encore en vie. Il a déclaré :
« Cela me fait beaucoup souffrir car je ne sais pas si elles sont encore en vie. Selon certaines informations, la plupart des femmes et des filles qui ont été enlevées ont été victimes de viols collectifs et beaucoup sont mortes. Peut-être que ma femme et sa fille font partie des victimes. »
Ces récits, comme ceux d’innombrables autres femmes et de leurs familles, montrent clairement que les violences sexuelles n’étaient pas un simple bruit de fond de la guerre, mais bien le point de rupture qui les a poussées à prendre la route. Comme nous l’a confié une femme, les violences sexuelles qu’elle redoutait ont incité sa famille à migrer vers le Soudan du Sud :
« Mon mari a été emmené par les Forces de Soutien rapide et j’ai été poignardée lorsque j’ai refusé d’être violée par ces hommes. J’en garde encore la cicatrice. Je suis venue ici [au Soudan du Sud] pour changer de vie. »
Dans le camp provisoire d’Aweil Nord, Kiir Adem, conçu comme un refuge temporaire, où des gens pouvaient passer quelque temps avant leur réinstallation ailleurs par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), l’équipe a découvert des conditions choquantes. De nombreuses personnes y vivaient depuis trois mois ou plus. Certaines avaient été enregistrées comme réfugiés ou rapatriés, d’autres non. Toutes luttaient pour survivre sans nourriture ni abri adéquats, et sans accès aux soins de santé dont elles avaient désespérément besoin.
Chandiru Drama a constaté :
« En raison des pillages et des vols généralisés tout au long du voyage, d’innombrables personnes sont arrivées à destination dépouillées de l’essentiel : sans nourriture, sans vêtements, sans provisions. »
Après avoir traversé la frontière pour rejoindre la relative sécurité du Soudan du Sud, les rapatriés et les réfugiés ont été confrontés à une nouvelle série de difficultés : manque d’infrastructures, accès limité aux soins médicaux et insuffisance de l’aide humanitaire en termes de provisions.
Contrairement aux centres d’accueil mieux dotés situés ailleurs le long de la frontière, Kiir Adem ne disposait que de peu de moyens d’aide. Le centre de santé le plus proche se trouvait à plus de deux heures de route en voiture, un trajet souvent impossible à parcourir pour des femmes et des filles épuisées, blessées et dépouillées de tout leur argent et de toutes leurs provisions. Une femme nous a confié :
« Il m’a fallu six jours pour atteindre la frontière du Soudan du Sud. À la frontière, j’ai signalé le viol, mais je n’ai reçu aucun traitement. Les agents de l’OIM m’ont orientée vers des établissements de santé à Gok Marchar, à environ 50 kilomètres, mais c’était trop loin pour que je puisse m’y rendre et je n’avais pas d’argent pour le transport. »
Il est essentiel que les victimes de viol reçoivent dès que possible après l’agression des traitements prophylactiques et d’autres soins de santé sexuelle et reproductive d’urgence. Certaines participantes ont décrit des blessures physiques dévastatrices résultant de violences sexuelles, tandis que d’autres étaient enceintes au moment du viol ou sont tombées enceintes à la suite de celui-ci. Dans ces cas, l’absence de soins médicaux peut avoir des conséquences désastreuses.
Dans de nombreux cas, les rapatriés ont dû construire eux-mêmes des abris de fortune et chercher de la nourriture dans les forêts. La région était sujette aux inondations, et les chercheurs devaient patauger dans l’eau pour atteindre les populations. Une femme a déclaré :
« Je me suis rendue au Soudan du Sud en avril 2024 avec mes deux enfants. Je me retrouve aujourd’hui bloquée ici avec eux, car mon mari s’est enfui lorsque les Arabes ont commencé à agresser sexuellement les femmes de manière effrénée […]. Je ne sais pas s’il est encore en vie. Deux autres filles ont également été enlevées pendant notre migration vers le Soudan du Sud. Je vis désormais dans un camp de rapatriés, où je dors dans une hutte au toit de chaume, sous une pluie battante, sans tente ni nourriture. »
Lorsqu’on leur a demandé à quelle fréquence elles avaient du mal à joindre les deux bouts, plus de 80 % des femmes et des filles ont répondu « tout le temps ou la plupart du temps ». Des lieux d’habitation informels, comme celui où nous avons recueilli des données, se sont développés le long de la frontière entre le Soudan et le Soudan du Sud.
La porosité de la frontière, les déplacements réguliers à travers celle-ci en période de paix relative et les difficultés d’accès aux points de passage officiels rendent presque impossible l’acheminement efficace des personnes déplacées vers des points de passage officiels et vers des camps relativement bien équipés. Il est urgent d’améliorer les services dans la région frontalière, notamment les transports vers les camps officiels et les soins médicaux, afin de répondre aux immenses besoins des rapatriés, où qu’ils se trouvent.
Il faut désormais réorienter l’action humanitaire, qui doit passer d’une prestation de services réactive à des stratégies de protection proactives centrées sur les survivants. Par exemple, les ONG devraient multiplier leurs activités le long des routes migratoires connues et des frontières, et les gouvernements donateurs devraient augmenter leur financement de l’aide humanitaire. La mission de maintien de la paix des Nations unies pourrait également renforcer la protection des activités civiles dans les régions frontalières du Soudan du Sud, en partenariat avec les organisations de la société civile sud-soudanaise.
La violence sexuelle n’est pas simplement un dommage collatéral de la guerre au Soudan. Pour de nombreuses filles et leurs familles, elle est la principale cause de leur fuite. La menace omniprésente d’enlèvement et de viol est un facteur clé de la migration, déterminant qui fuit, quand ils fuient, et contraignant les femmes et les filles à prendre des risques inimaginables pour avoir une chance de trouver la sécurité au Soudan du Sud.
Depuis notre collecte de données à l’été 2024, la situation au Soudan ne s’est pas améliorée et le contexte sécuritaire au Soudan du Sud s’est détérioré. Au sud de la frontière, l’intensification des conflits entre les groupes armés ethniques et la montée des tensions politiques entre le président Salva Kiir et le premier vice-président Riek Machar, notamment l’assignation à résidence puis le procès pour trahison de Machar, ont attisé les craintes d’un possible retour à la guerre au Soudan du Sud.
Conjuguée à des pressions économiques accrues et aux répercussions de la guerre au Soudan, la situation politique et sécuritaire du Soudan du Sud est de plus en plus précaire. Le risque de retour à la guerre au Soudan du Sud rend d’autant plus urgente la réinstallation des rapatriés et la satisfaction de leurs besoins immédiats. Les risques d’intensification du conflit et de la violence auront un impact disproportionné sur les personnes déjà déplacées et vulnérables. Le personnel des ONG ayant une formation juridique pourrait apporter son aide en faisant avancer les enquêtes criminelles, dont les conclusions pourraient à leur tour avoir un impact sur la façon dont les ONG travaillent sur le terrain.
Le droit international a également été très lent à réagir. Ce n’est qu’en octobre de cette année que les juges de la Cour pénale internationale ont prononcé la première condamnation pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis au Darfour en 2003 et 2004. Les victimes et les survivants de la guerre actuelle ne devraient pas avoir à attendre plus de 20 ans pour que justice soit faite.
La communauté internationale devrait collaborer avec les organisations de femmes, les avocats soudanais et sud-soudanais et les défenseurs des droits humains afin de faire progresser la justice dès maintenant, par tous les moyens possibles.
Cela pourrait inclure des enquêtes centrées sur les survivants et la collecte de preuves, des initiatives de justice communautaire et des espaces sûrs où les survivantes pourraient commencer leur processus de guérison.
Les organisations de la société civile dirigées par des femmes sont bien placées pour répondre aux besoins immédiats des femmes et des filles, mais elles ont besoin d’aide. Les coupes budgétaires ont durement touché ces organisations à travers le monde, et beaucoup d’entre elles risquent de fermer leurs portes.
Chandiru Drama insiste :
« Si les organisations de la société civile veulent continuer à accomplir leur travail vital, elles doivent bénéficier d’un financement à la hauteur de leur tâche. Il ne s’agit pas seulement d’une question de financement, mais aussi d’une question de justice […]. Car face à une violence inimaginable, ces groupes ne sont pas seulement des prestataires de services, ils sont des bouées de sauvetage. »
Les femmes et les filles que nous avons rencontrées ont été claires : ce sont les violences sexuelles qui les ont poussées à fuir. Pour qu’elles puissent enfin cesser de fuir, une réponse urgente s’impose : la réinstallation, l’aide humanitaire et la justice doivent être prioritaires.
Sabine Lee a reçu des financements des programmes de recherche XCEPT Cross-Border Research et du Cross-Border Conflict Evidence, Policy and Trends (XCEPT), qui ont financé les recherches décrites dans le présent document.
Heather Tasker a reçu des financements du Social Science and Humanities Research Council (SSHRC), de l’International Development Research Council (IDRC), et des programmes de recherche XCEPT Cross-Border Research et Cross-Border Conflict Evidence, Policy and Trends. XCEPT a financé les recherches décrites dans le présent document.
Susan Bartels a reçu des financements ud programme de recherche Cross-Border Conflict Evidence, Policy and Trends (XCEPT), qui a financé les recherches présentées dans cet article. Elle reçoit également des financements du Social Sciences and Humanities Research Council (SSHRC) et des Canadian Institutes of Health Research (CIHR).
30.11.2025 à 20:37
Sophie Desmonde, Chargé de Recheche Inserm (CRCN) en santé publique - Centre d'Epidémiologie et de Recherche en santé des POPulations (CERPOP), Inserm UMR 1295, Université de Toulouse, Inserm
Antoine Jaquet, Chercheur, Université de Bordeaux
Kiswend-Sida Thierry Tiendrebeogo, Médecin épidémiologiste et coordinateur IeDEA Afrique de l'ouest, Université de Bordeaux
Valériane Leroy, Research Director
Réorganisations voire interruptions d’activités de soins, difficultés à assurer la continuité des traitements par antirétroviraux, stress pour les équipes soignantes et les malades… les conséquences de la réduction des fonds alloués à la lutte contre le VIH par l’administration Trump 2 se font déjà sentir. C’est ce que révèle une étude menée au sein de sites de prise en charge d’enfants et d’adultes vivant avec le VIH, répartis dans sept pays d’Afrique de l’Ouest. Nous dévoilons ses résultats en primeur, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida du 1er décembre 2025.
Depuis janvier 2025, le gouvernement des États-Unis d’Amérique a changé ses priorités en matière de santé. Cela s’est traduit par une réduction brutale de l’aide internationale fournie par le « Plan présidentiel américain d’aide d’urgence à la lutte contre le sida » (PEPFAR), programme clé du renforcement des systèmes de santé dans la lutte contre le VIH, ainsi que le démantèlement de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), qui était le principal bailleur de fonds américain pour l’aide sanitaire à l’échelle mondiale.
L’apport de ces programmes a été largement démontré et a sauvé des vies. En Afrique de l’Ouest, une partie importante des programmes de prise en charge du VIH dépend de ces soutiens.
Pour mieux comprendre l’impact direct de ces coupes budgétaires, nous avons mené une étude descriptive détaillant l’organisation administrative, les ressources humaines, la distribution des traitements antirétroviraux, le suivi virologique, et le vécu au quotidien des patientes, des patients et des équipes soignantes de 13 sites cliniques adultes et enfants participant à la collaboration de recherche International Epidemiologic Database to Evaluate AIDS in West Africa. Ces résultats ont été acceptés en communication orale à la 9e édition des Rencontres des études africaines en France.
En 2024, l’Afrique de l’Ouest et du Centre comptait plus de 5 millions de personnes vivant avec le VIH, dont 37 % d’enfants. Face à la dette publique, la région n’a que peu de marge budgétaire pour financer les services de santé et de lutte contre le VIH. Il en résulte une forte dépendance aux financements extérieurs, en particulier au « Plan présidentiel américain d’aide d’urgence à la lutte contre le sida » (PEPFAR) qui contribue à garantir la disponibilité des médicaments antirétroviraux, indispensables à la survie des personnes vivant avec le VIH.
De plus, les ONG et associations locales, majoritairement financées pour leur part par l’agence USAID, ont un rôle essentiel dans la mise en œuvre de la prise en charge des personnes vivant avec le VIH en apportant un soutien logistique et humain. Pour mieux comprendre les conséquences à court terme de cette nouvelle situation de rupture budgétaire, et comment les équipes soignantes et les malades s’y adaptent, nous avons mené une enquête dans 13 sites cliniques répartis dans sept pays d’Afrique de l’Ouest, avec lesquels nous collaborons depuis vingt ans dans le cadre de nos recherches sur le VIH au Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Mali, Nigeria et Togo. Ces sites suivent chacun en médiane plus de 3 000 malades adultes et enfants chaque année.
Entre avril et mai 2025, un questionnaire en ligne a été transmis aux responsables de sites. Le questionnaire comportait cinq volets : organisation du partenariat avec les bailleurs, ressources humaines, distribution des médicaments antirétroviraux, suivi de la charge virale, et ressenti des malades et des équipes soignantes vis-à-vis de la prise en charge globale.
Au total, 10 des 13 sites contactés ont complété le questionnaire. Parmi eux, cinq étaient directement financés par le plan PEPFAR et les autres par des ONG soutenues par l’agence USAID. La moitié des sites avaient déjà reçu des consignes de leur gouvernement pour adapter leurs activités en mode dégradé, démontrant une capacité de réponse rapide de la part des programmes nationaux de lutte contre le VIH.
Six sites sur dix ont dû suspendre ou supprimer des postes, touchant aussi bien des médecins que du personnel infirmier ou des conseillers techniques. Dans l’un des centres, une réduction de 25 % des primes a été décidée pour éviter des licenciements. Comme ces primes constituent l’essentiel du revenu pour les emplois associatifs, cette mesure a entraîné la démission de quatre médiateurs.
Dans un autre site, toutes les activités communautaires (groupes de soutien, séances d’éducation, conseil, dépistage) ont dû être interrompues entraînant le licenciement des personnes impliquées. Or ces activités jouent un rôle central dans la prise en charge du VIH : elles aident les malades à suivre leur traitement, assurent le suivi et renforcent le lien entre les équipes de soins et les communautés. Leur suspension fragilise l’accompagnement des personnes vivant avec le VIH.
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À la suite de ces suspensions et licenciements, les sites ont été obligés de revoir leur organisation. Ainsi ils ont mis en place des astreintes pour le personnel fonctionnaire, redéployé le personnel hospitalier, et redistribué les tâches afin d’éviter le surmenage du personnel soignant encore en poste, tout en assurant la continuité des soins VIH. En conséquence, s’ajoutent à la suspension des activités communautaires, des temps d’attente en salle de consultation rallongés, avec un impact direct sur la qualité globale de la prise en charge des patients.
Dans huit des dix sites, tous les antirétroviraux restaient disponibles mais n’étaient plus délivrés pour une durée de six mois selon le calendrier habituel, mais seulement pour des périodes allant d’un à trois mois, ce qui a augmenté la fréquence des visites et la charge de travail pour les équipes comme pour les patientes et patients. Dans deux autres sites, des ruptures de stock déjà présentes avant les coupes budgétaires, persistaient et concernaient plusieurs antirétroviraux utilisés chez l’adulte.
Dans un centre, une situation particulièrement préoccupante et non éthique a été signalée : comme les contrats nationaux avec le plan PEPFAR imposent de garantir la continuité des soins à vie pour les personnes déjà sous traitement antirétroviral, les équipes ont eu pour instruction de prioriser ces malades en raison du risque de pénurie, et de ne pas commencer le traitement antirétroviral chez les adultes nouvellement diagnostiqués comme infectés par le VIH, contrairement aux recommandations universelles qui préconisent de tester et de traiter.
Cinq sites ont indiqué qu’il leur manquait des réactifs indispensables pour faire les tests de charge virale. Plusieurs sites ont reprogrammé les mesures de charge virale, alors que d’autres ont dû les faire réaliser par d’autres plateformes. Or, le suivi de la charge virale est un indicateur clé de la prise en charge du VIH : il permet de vérifier l’efficacité du traitement, de détecter les échecs thérapeutiques et de réduire le risque de transmission. Ces interruptions ou retards ont fragilisé le suivi clinique des patients les exposant à un risque accru de complications.
Trois sites ont rapporté une augmentation des interruptions de traitement ou des abandons de la part des patientes ou patients alors que deux sites n’ont pas constaté d’impact notable au moment de l’enquête.
Ailleurs, les cliniciens ont observé une montée de l’anxiété des malades, liée à l’incertitude sur la disponibilité future des médicaments, de la frustration face aux examens retardés ou impossibles à réaliser, et la crainte que le traitement devienne moins efficace. Certains malades s’inquiètent de « ce qu’il adviendra si les financements américains s’arrêtent complètement ».
Dans les sites pédiatriques, les équipes rapportent un stress accru chez les enfants, lié notamment à l’arrêt de certaines activités récréatives qui jouaient un rôle important dans leur accompagnement.
Six sites sur dix rapportent un impact direct sur leurs équipes soignantes, avec un sentiment d’impuissance face aux restrictions, une baisse de la satisfaction professionnelle, et une augmentation du stress, notamment face à l’agressivité des malades dans ce contexte d’incertitude.
Ces mesures documentent l’impact à court terme des réductions de financement dans un contexte géopolitique évolutif, et montrent que la dépendance aux financements extérieurs fragilise la continuité des soins.
D’autres pays, dont la France, ont déjà annoncé qu’ils allaient diminuer leur aide internationale, réduisant ainsi leurs engagements au profit du Fonds mondial de lutte contre le VIH.
À lire aussi : La France, championne de la lutte mondiale contre le VIH/sida ? Retour sur 40 ans de diplomatie face à la pandémie
Les conséquences à long terme pour les personnes vivant avec le VIH sont malheureusement déjà prévisibles, mais nous devrons les documenter en tenant compte de la résilience des systèmes de santé face à un tel événement.
Sophie Desmonde a reçu des financements de l'ANRS-MIE, Sidaction, et NICHD
Antoine Jaquet a reçu des financements de l'ANRS-MIE et des NIH.
Kiswend-Sida Thierry Tiendrebeogo a reçu des financements de l'ANRS-MIE.
Valériane Leroy a reçu des financements de l'ANRS-MIE, Expertise France, Sidaction, Europe-EDCTP, NICHD, UNITAID.
30.11.2025 à 15:27
Antoine Bouët, Directeur, CEPII
Depuis son retour à la Maison Blanche en janvier 2025, Donald Trump ne cesse de jouer des droits de douane afin d’obtenir les conditions les plus avantageuses possible pour les États-Unis dans leurs rapports commerciaux avec leurs nombreux partenaires. Mais le président dispose-t-il réellement de telles prérogatives ? La plus haute juridiction du pays, la Cour suprême, va devoir trancher. Et contrairement à ce qu’on croit souvent, bien que sa composition penche nettement à droite, elle ne va pas nécessairement aller dans le sens de la présidence…
Parmi tous les droits de douane appliqués par l’administration Trump depuis le début de l’année, une bonne partie ont été promulgués par décret présidentiel au nom de la loi des pouvoirs économiques liés à une urgence internationale (IEEPA, pour International Emergency Economic Power Act). Ce sont les droits de douane imposés en février sur le Canada, la Chine et le Mexique pour que ces pays fassent davantage d’efforts pour arrêter le trafic de fentanyl et le flux de migrants illégaux (« trafficking tariffs »), mais aussi les tarifs « réciproques » annoncés le 2 avril 2025 sur la pelouse de la Maison Blanche pour combattre les déficits commerciaux « inéquitables » que les États-Unis enregistrent avec certains de leurs partenaires.
Si ces décisions ont provoqué la stupeur et l’indignation dans de nombreux pays, un certain nombre d’entreprises et de secteurs d’activité aux États-Unis ont aussi réagi en déposant plainte auprès de juridictions inférieures sur l’utilisation de l’IEEPA par le président des États-Unis pour imposer des droits de douane.
L’IEEPA est une loi fédérale américaine autorisant le président à réguler le commerce après avoir déclaré l’état d’urgence nationale en réponse à toute menace inhabituelle et extraordinaire pesant sur les États-Unis et provenant d’une source étrangère.
Ce printemps, la Cour du district de Columbia et la Cour internationale du commerce ont conclu que cette utilisation de l’IEEPA n’était pas constitutionnelle. Elles ont cependant permis que les droits de douane en question continuent d’être appliqués, tout en faisant, à la demande de l’administration Trump, appel à un jugement de la Cour suprême des États-Unis. Celle-ci a procédé à une audition des plaignants et d’un certain nombre de personnalités de l’administration le 5 novembre 2025.
La Cour suprême va-t-elle remettre en cause les droits de douane imposés par Donald Trump au nom de l’IEEPA ?
Sachant qu’elle est composée de six juges réputés républicains (dont trois nommés par Donald Trump durant son premier mandat) et de trois démocrates, on pourrait penser que la réponse sera négative. Cependant, une majorité républicaine parmi les juges n’est pas la garantie d’une décision favorable à Donald Trump, et il semble aujourd’hui possible que la Cour suprême déclare ces droits de douane illégaux. Les arguments juridiques en faveur d’une telle décision sont solides.
Aux États-Unis, comme dans de nombreux pays, c’est le Congrès qui a le pouvoir de décider des taxes. Et les droits de douane en sont. L’article 1 section 7 de la Constitution stipule que tout projet de loi comportant une levée d’impôt doit émaner de la Chambre des représentants, avec possibilité d’amendement par le Sénat.
Le terme de « droit de douane » (tariff) n’est pas contenu dans le texte de l’IEEPA. Celui-ci mentionne soit une régulation, soit un gel d’actifs ou une confiscation de propriété, soit un blocage de transactions. L’IEEPA a d’ailleurs été utilisé pour imposer des sanctions internationales à des individus ou des nations : par exemple, le gel des actifs financiers et immobiliers de personnes ayant gêné les efforts de stabilisation politique et la reconstruction en Irak en 2007 ou la prohibition d’importation de diamants bruts de Sierra Leone en 2001. Un droit de douane peut-il être considéré comme une régulation ? Si tel était le cas, alors toutes les agences en charge d’une régulation pourraient imposer des taxes.
Ensuite, il est difficile de considérer que le déficit commercial de biens des États-Unis constitue une urgence internationale, sachant que cette situation prévaut depuis 1975 et qu’un excédent substantiel est dégagé dans les services.
Enfin et surtout peut-être, les membres républicains de la Cour suprême se sont, ces dernières années, prononcés en faveur de la doctrine des « questions majeures » qui spécifie que lorsque le Congrès délègue une autorité sur une question majeure, il ne peut le faire qu’à condition d’énoncer clairement les conditions de cette délégation, c’est-à-dire les limites et les principes de son application. Or cela n’a pas été fait pour les droits de douane.
Bien sûr, la Cour suprême n’a jamais utilisé cet argument contre un président républicain, mais la doctrine des « questions majeures » est une doctrine républicaine ! Et, lors des premières auditions, les juges de la Cour suprême – notamment trois juges républicains, à savoir Amy Coney Barrett, Neil Gorsuch et le président de la Cour John Roberts – sont apparus soucieux de ne pas concéder un pouvoir trop important au président, soucieux aussi de l’incertitude créée par la politique commerciale de Donald Trump.
Bien qu’il soit difficile d’anticiper le verdict de la Cour suprême, examinons les conséquences qu’auraient les deux réponses possibles.
Si la Cour suprême désavoue l’administration Trump, alors l’administration pourra chercher d’autres outils législatifs pour imposer ses droits de douane.
La première solution serait de faire voter une loi sur le commerce (Trade Act) par le Congrès américain. Mais ce processus est long. En novembre 2026, la Chambre des représentants sera renouvelée dans son intégralité, le Sénat au tiers. Un an, c’est peu de temps pour faire passer une telle loi. En outre, il y a de plus en plus d’opposition, y compris parmi les républicains, aux mesures protectionnistes. Quatre sénateurs républicains se sont en 2025 alliés plusieurs fois aux démocrates pour adopter une résolution annulant des tarifs de Donald Trump. Et si cette résolution n’a pas eu force de loi, cela montre tout de même qu’un projet de loi protectionniste pourrait être refusé par le Sénat.
Les sections 232 et 301 des Trade Acts, respectivement de 1962 et 1974, attribuent au président le pouvoir d’imposer des droits de douane pour, respectivement, un objectif de sécurité nationale et en réponse à des pratiques déloyales. Mais l’application de ces droits doit être précédée d’une enquête du département du Commerce, enquête qui peut être longue. Et les droits de douane doivent concerner des secteurs spécifiques, alors que ceux mis en place au titre de l’IEEPA taxent tous les biens. Toutefois, les avantages de ces sections sont qu’elles n’incluent aucune limite de temps d’imposition ou de niveau de taxe.
La section 122 du Trade Act de 1974 donne le pouvoir au président d’imposer des droits pour corriger un problème « majeur et sérieux » de déficit de la balance des paiements. Mais ces droits ne doivent pas dépasser 15 % et 150 jours, et sont soumis à l’autorisation préalable du Congrès.
La section 338 du Trade Act de 1930 autorise le président des États-Unis à imposer des droits de douane sur des pays qui ont pris des mesures déraisonnables ou discriminatoires à l’encontre des États-Unis. Le rapport du US Trade Representative publié en début d’année, « 2025 National Trade Estimate Report on Foreign Trade Barriers », pourrait fournir toute la matière nécessaire. Deux contraintes rendent cette option un peu moins intéressante que l’IEEPA : le droit maximum est de 50 % et la collecte de droits ne peut commencer que 30 jours après la publication du décret exécutif. Par rapport aux autres options, ce pourrait toutefois être l’outil législatif que l’administration Trump utiliserait en cas d’invalidation par la Cour suprême de l’utilisation de l’IEEPA.
Néanmoins, ce serait un désaveu pour l’administration Trump, qui pourrait, en plus, avoir à rembourser les recettes douanières perçues en 2025 au titre de l’IEEPA, soit 140 milliards de dollars (0,5 % du PIB), selon une estimation de la banque d’investissement Piper Sandler. La suspension des tarifs de l’IEEPA pourrait aussi remettre en cause les « deals » négociés depuis août avec de nombreux pays, dont l’Union européenne, puisque les négociations se sont appuyées sur ce texte.
Si, en revanche, la Cour suprême confirme l’administration dans son utilisation de l’IEEPA, cela créera évidemment un précédent dont l’importance ne peut être minorée. À l’avenir, sans rendre le moindre compte au Congrès américain et sans limites, le président des États-Unis pourra taxer des produits importés « en réponse à toute menace inhabituelle et extraordinaire ».
La décision que va rendre la Cour suprême sera véritablement historique ! Il faudra attendre la fin de l’année 2025 ou le début de 2026 pour la connaître.
Antoine Bouët ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.