09.04.2025 à 15:04
Maxence Mautray, Doctorant en sociologie de l’environnement, Université de Bordeaux
Les départs de feu dans les centres de tri sont malheureusement très fréquents et souvent causés par des erreurs humaines qui peuvent intervenir à différents stades de la gestion du tri, une activité qui rassemble de nombreux acteurs, ayant des objectifs parfois contradictoires.
Lundi 7 avril au soir, le centre de tri des déchets du XVIIe arrondissement de Paris s’est embrasé, provoquant la stupeur des riverains. Le feu, maîtrisé durant la nuit grâce à l’intervention de 180 pompiers, n’a fait aucun blessé parmi les 31 salariés présents, l’alarme incendie s’étant déclenchée immédiatement.
Si aucune toxicité n’a pour l’heure été détectée dans le panache de fumée émanant du site, l’incident a eu des conséquences pour les habitants : une portion du périphérique a dû être fermée à la circulation et un confinement a été décrété pour les zones à proximité. Le bâtiment, géré par le Syctom (le syndicat des déchets d’Île-de-France), s’est finalement effondré dans la matinée du mardi 8 avril.
Mais comment un feu aussi impressionnant a-t-il pu se déclarer et durer toute une nuit en plein Paris ? Si les autorités n’ont pas encore explicité toute la chaîne causale entraînant l’incendie, elles ont cependant mentionné, lors notamment de la prise de parole du préfet de police de Paris Laurent Nuñez, la présence de bouteilles de gaz dans le centre de tri et l’explosion de certaines, ce qui a pu complexifier la gestion du feu par les pompiers, tout comme la présence de nombreuses matières combustibles tel que du papier et du carton dans ce centre de gestion de tri.
Une chose demeure elle certaine, un départ de feu dans un centre de tri n’est malheureusement pas une anomalie. De fait, si cet incendie, de par son ampleur et peut-être aussi les images virales des panaches de fumées devant la tour Eiffel, a rapidement suscité beaucoup d’émois et d’attention, à l’échelle de la France, ce genre d’événement est bien plus fréquent qu’on ne le pense.
La base de données Analyse, recherche et information sur les accidents (Aria), produite par le Bureau d’analyse des risques et pollutions industriels (Barpi) nous éclaire à ce sujet.
Depuis 2010, 444 incendies ont été recensés en France sur des installations de traitement et d’élimination des déchets non dangereux (centres de tri, plateformes de compostage, centres d’enfouissement…).
À ces incendies s’ajoutent parfois des explosions, des rejets de matières dangereuses et des pollutions des espaces environnants et de l’air. L’origine humaine est souvent retenue comme la cause de ces catastrophes. Même si elles n’entraînent pas toujours des blessés, elles soulignent la fragilité structurelle de nombreuses infrastructures du secteur des déchets ménagers.
Au-delà de cet événement ponctuel, l’incendie de Paris soulève donc peut-être un problème plus profond. En effet, notre système de gestion des déchets implique une multiplicité d’acteurs (ménages, industriels, services publics…) et repose sur une organisation complexe où chaque maillon peut devenir une source d’erreur, conduisant potentiellement à la catastrophe.
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De fait, pénétrer dans un centre de gestion de tri, comme il m’a été donné de le faire dans le cadre de mes recherches doctorales, c’est se confronter immédiatement aux risques quotidiens associés aux métiers de tri des déchets dans les centres.
Si l’on trouve dans ces centres des outils toujours plus perfectionnés, notamment pour réaliser le premier tri entrant, l’œil et la main humaine restent malgré tout toujours indispensables pour corriger les erreurs de la machine.
Ces métiers, bien qu’essentiels au fonctionnement des services publics des déchets, sont pourtant peu connus, malgré leur pénibilité et leurs risques associés. Les ouvriers, dont le métier consiste à retirer les déchets non admis des flux défilant sur des tapis roulants, sont exposés à des cadences élevées, des heures de travail étendues et des niveaux de bruits importants.
Ils sont aussi confrontés à de nombreux risques : des blessures dues à la répétition et la rapidité des gestes, mais aussi des coupures à cause d’objets parfois tranchants, voire des piqûres, car des seringues sont régulièrement présentes dans les intrants.
La majorité du travail des ouvriers de ces centres consiste ainsi à compenser les erreurs de tri réalisées par les ménages. Ce sont souvent des éléments qui relèvent d’autres filières de recyclage que celle des emballages ménagers et sont normalement collectés différemment : de la matière organique comme des branchages ou des restes alimentaires, des piles, des ampoules ou des objets électriques et électroniques, ou encore des déchets d’hygiène comme des mouchoirs et des lingettes.
Ces erreurs, qui devraient théoriquement entraîner des refus de collecte, ne sont pas toujours identifiées par les éboueurs lors de leurs tournées.
Derrière cette réalité, on trouve également les erreurs de citoyens, qui, dans leur majorité, font pourtant part de leur volonté de bien faire lorsqu’ils trient leurs déchets.
Mais cette intention de bien faire est mise à l’épreuve par plusieurs obstacles : le manque de clarté des pictogrammes sur les emballages, une connaissance nécessaire des matières à recycler, des règles mouvantes et une complexité technique croissante.
Ainsi, l’extension récente des consignes de tri, depuis le 1er janvier 2023, visant à simplifier le geste en permettant de jeter tous les types de plastiques dans la poubelle jaune, a paradoxalement alimenté la confusion. Certains usagers expliquent qu’ils hésitent désormais à recycler certains déchets, comme les emballages en plastique fin, par crainte de « contaminer » leur bac de recyclage, compromettant ainsi l’ensemble de la chaîne du recyclage.
Malgré ces précautions, les erreurs de tri persistent. À titre d’exemple, le Syndicat mixte intercommunal de collecte et de traitement des ordures ménagères (Smictom) des Pays de Vilaine comptait 32 % de déchets non recyclables dans les poubelles jaunes collectées sur son territoire en 2023. Après 20 000 vérifications de bacs jaunes effectuées en une année afin de mettre en place une communication adaptée à destination de la population, ce taux n’a chuté que de cinq points en 2024, signe que la sensibilisation seule ne suffit pas à réorienter durablement les pratiques des usagers.
Notre système de gestion des déchets comporte donc un paradoxe. D’un côté, les ménages ont depuis longtemps adopté le geste de tri au quotidien et s’efforcent de le réaliser de manière optimale, malgré des informations parfois peu claires et un besoin constant d’expertise sur les matières concernées. De l’autre, il n’est pas possible d’attendre un tri parfait et les centres de tri se retrouvent dans l’obligation de compenser les erreurs.
À cela s’ajoute une complexité supplémentaire qui réside dans les intérêts divergents des acteurs de la gestion des déchets en France.
Les producteurs et les grandes surfaces cherchent à mettre des quantités toujours plus importantes de produits sur le marché, afin de maximiser leurs profits, ce qui génère toujours plus de déchets à trier pour les consommateurs.
Les services publics chargés de la gestion des déchets sont aussi confrontés à une hausse constante des ordures à traiter, ce qui entre en tension avec la protection de l’environnement et de la santé des travailleurs. Enfin, les filières industrielles du recyclage, communément nommées REP, souhaitent pour leur part accueillir toujours plus de flux et de matières, dans une logique de rentabilité et de réponse à des objectifs croissants et des tensions logistiques complexes.
Dans un tel contexte, attendre une organisation fluide et parfaitement maîtrisée de la gestion des déchets relève de l’utopie. Chacun des maillons de la chaîne poursuit des objectifs parfois contradictoires, entre recherche de la rentabilité, contraintes opérationnelles, protection des humains et de l’environnement et attentes des citoyens. Si des initiatives émergent (simplification du tri, contrôle des infrastructures, sensibilisation des citoyens, innovations technologiques, etc.), elles peinent à harmoniser l’ensemble du système.
Dès lors, le risque d’incidents ne peut être totalement éliminé. L’incendie du centre parisien n’est donc pas une exception, mais bien le témoin d’un système qui, malgré les efforts, reste structurellement vulnérable. Loin de pouvoir atteindre le risque zéro, la gestion des déchets oscille en permanence entre prévention, adaptation et situation de crise.
Maxence Mautray a reçu, de 2020 à 2024, des financements de la part du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et du SMICVAL Libournais Haute Gironde dans le cadre d'une recherche doctorale.
08.04.2025 à 16:33
Jérémy Lavarenne, Research scientist, Cirad
Cheikh Modou Noreyni Fall, Chercheur au Laboratoire Physique de l'Atmosphère et de l'Océan de l'UCAD, Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Alors que les données météo manquent cruellement en Afrique, une idée fait son chemin. Celle d’utiliser les drones, de plus en plus nombreux dans les ciels du continent pour livrer par exemple des médicaments. Car ces derniers peuvent fournir également de nombreuses données météo.
Un drone fend le ciel au-dessus des plaines ensoleillées d’Afrique de l’Ouest. Ses hélices vrombissent doucement dans l’air chaud de l’après-midi. Au sol, un agriculteur suit du regard l’appareil qui survole son champ, où ses cultures peinent à se développer, à cause d’un épisode de sécheresse. Comme la plupart des paysans de cette région, il ne peut compter que sur les précipitations, de plus en plus irrégulières et imprévisibles. Ce drone qui passe pourrait-il changer la donne ? Peut-être.
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Nés dans divers contextes civils et militaires (photographie, surveillance, cartographie…), les drones connaissent aujourd’hui une expansion fulgurante en Afrique, surtout pour la livraison de produits de première nécessité dans des zones difficiles d’accès. Parmi eux, la société états-unienne Zipline et les Allemands de Wingcopter sont particulièrement actifs au Rwanda, au Ghana, au Nigeria, au Kenya, en Côte d’Ivoire et au Malawi, où ils transportent du sang, des vaccins, des médicaments ou encore du matériel médical.
Mais ce que l’on sait moins, c’est que ces drones portent aussi en eux un potentiel météorologique : au fil de leurs livraisons, et afin de sécuriser les vols et planifier efficacement leur route, ils enregistrent des données sur la vitesse du vent, la température de l’air ou la pression atmosphérique.
Pourquoi ces informations sont-elles si précieuses ? Parce qu’en matière de prévision météo, l’Afrique souffre d’un déficit majeur. Par exemple, alors que les États-Unis et l’Union européenne réunis (1,1 milliard d’habitants à eux deux) disposent de 636 radars météorologiques, l’Afrique – qui compte pourtant une population quasi équivalente de 1,2 milliard d’habitants – n’en possède que 37.
Les raisons derrière cela sont multiples : budgets publics en berne, manque de moyens techniques, mais aussi monétisation progressive des données, rendant l’accès à l’information plus difficile. La question du financement et du partage de ces données demeure pourtant cruciale et devient un enjeu majeur pour la sécurité alimentaire et la gestion des risques climatiques.
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Dans ce contexte, chaque nouveau moyen de récupérer des informations est un atout. Or, si les drones de livraison africains ont d’abord été pensés pour desservir des lieux isolés, ils permettent aussi des relevés météo dits « opportunistes » effectués en marge de leurs missions, dans une logique comparable aux relevés « Mode-S EHS » transmis par les avions de ligne depuis des altitudes beaucoup plus importantes. Zipline affirme ainsi avoir déjà compilé plus d’un milliard de points de données météorologiques depuis 2017. Si ces relevés venaient à être librement partagés avec les agences de météo ou de climat, ils pourraient ainsi, grâce à leurs vols à basse altitude, combler les lacunes persistantes dans les réseaux d’observation au sol.
La question du partage reste toutefois ouverte. Les opérateurs de drones accepteront-ils de diffuser leurs données ? Seront-elles accessibles à tous, ou soumises à des accords commerciaux ? Selon la réponse, le potentiel bénéfice pour la communauté scientifique et pour les prévisions météorologiques locales pourrait varier considérablement.
L’idée d’utiliser des drones destinés aux observations météo n’est pas neuve et rassemble déjà une communauté très active composée de chercheurs et d’entreprises. Des aéronefs sans équipage spécifiquement conçus pour la météorologie (appelés WxUAS pour Weather Uncrewed Aircraft Systems) existent déjà, avec des constructeurs comme le Suisse Meteomatics ou l’états-unien Windborne qui proposent drones et ballons capables de fournir des relevés sur toute la hauteur de la troposphère. Leurs capteurs de pointe transmettent en temps réel des données qui nourrissent directement les systèmes de prévision.
Selon les conclusions d’un atelier organisé par Météo France, ces observations contribuent déjà à améliorer la qualité des prévisions, notamment en réduisant les biais de prévision sur l’humidité ou le vent, facteurs clés pour détecter orages et phénomènes connexes. Pourtant, les coûts élevés, l’autonomie limitée et les contraintes réglementaires freinent encore une utilisation large de ces drones spécialisés.
Or, les appareils de livraison déployés en Afrique ont déjà surmonté une partie de ces défis grâce à leur modèle économique en plein essor, à un espace aérien moins saturé et à une large acceptation sociale – car ils sauvent des vies.
Reste la question de la fiabilité. Même si les drones de livraison captent des variables essentielles (vent, température, pression…), on ne peut les intégrer aux systèmes de prévision qu’à condition de valider et d’étalonner correctement les capteurs. Mais avec des protocoles rigoureux de comparaison et de calibration, ces « données opportunistes » pourraient répondre aux exigences de la météo opérationnelle et devenir un pilier inédit de la surveillance atmosphérique.
Leur utilisation serait d’autant plus précieuse dans les zones rurales, en première ligne face au changement climatique. Là où les stations au sol manquent ou vieillissent, les survols réguliers des drones pourraient fournir des relevés indispensables pour anticiper épisodes secs, orages violents ou autres phénomènes météo extrêmes.
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Parallèlement, des initiatives émergent pour démocratiser l’accès à la technologie drone. Au Malawi, par exemple, des projets universitaires (dont EcoSoar et African Drone and Data Academy) montrent que l’on peut construire à bas coût des drones de livraison efficaces à partir de matériaux simples (mousse, pièces imprimées en 3D). Cette démarche ouvre la voie à une potentielle collecte de données météo supplémentaires, accessible à des communautés qui souhaitent mieux comprendre et anticiper les aléas climatiques.
À une échelle plus large, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) mène la campagne Uncrewed Aircraft Systems Demonstration Campaign (UAS-DC), réunissant des opérateurs publics et privés autour d’un même objectif : intégrer les drones dans le réseau mondial d’observation météorologique et hydrologique. Les discussions portent sur la définition des mesures fondamentales (température, pression, vitesse du vent, etc.), et l’harmonisation des formats de données et sur leur diffusion pour que ces mesures soient immédiatement utiles aux systèmes de prévision.
Cependant, ces perspectives ne deviendront réalité qu’au prix d’une coopération poussée. Entre acteurs publics, opérateurs de drones et gouvernements, il faudra coordonner la gestion, la standardisation et, surtout, le partage des informations. Assurer un libre accès – au moins pour des organismes à but non lucratif et des communautés rurales – pourrait transformer ces données en un levier majeur pour la prévision et la résilience climatiques.
Qu’ils soient opérés par de grandes sociétés ou construits localement à moindre coût et s’ils continuent d’essaimer leurs services et de collecter des relevés, les drones de livraison africains pourraient bien inaugurer une nouvelle ère de la météorologie sur le continent : plus riche, plus précise et, espérons-le, plus solidaire – grâce à des modèles économiques soutenables, à l’utilisation déjà effective de données météo embarquées et à la créativité citoyenne qui émerge un peu partout.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.