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28.07.2025 à 16:06

Apprendre les géosciences en s’amusant avec « Minecraft »

Alex Vella, Docteur en Sciences de la Terre, BRGM

« Minecraft » n’est pas qu’un jeu vidéo à succès : c’est également un support précieux pour enseigner ou apprendre les géosciences.
Texte intégral (3051 mots)
Capture d’écran des Badlands dans « Minecraft », un biome inspiré des terrains sédimentaires argileux fortement érodables du même nom. Minecraft/Mojang Studio, Fourni par l'auteur

« Minecraft » n’est pas qu’un jeu vidéo à succès : c’est également un support précieux pour enseigner ou apprendre les géosciences. Quoique simplifiée, la géologie de ses mondes est cohérente et présente de nombreuses analogies avec le monde réel.


Minecraft est l’un des jeux les plus populaires au monde, c’est aussi le jeu vidéo le plus vendu de l’Histoire avec plus de 300 millions d’exemplaires écoulés. Son univers cubique, composé de milliards de blocs, constitue un des ingrédients clés de ce succès, avec une grande variété d’environnements à explorer en surface comme en profondeur.

Plusieurs modes de jeu sont proposés : l’enjeu peut être de survivre en fabriquant, pour cela, des objets à partir de ressources. Il peut aussi être de laisser libre cours à sa créativité pour construire ce que l’on souhaite à partir des « blocs » disponibles sur la carte.

Avec ses mécaniques de gameplay et ses environnements variés, l’univers de Minecraft peut présenter une bonne analogie avec la géologie de notre monde. Quelques modifications peuvent en faire un outil très pertinent pour l’enseignement des géosciences.

L’essor du « serious gaming »

Avec le développement des jeux sérieux ou « serious games », le jeu devient un outil d’apprentissage reconnu en tant que tel.

On entend par là les jeux conçus pour enseigner, apprendre ou informer enfants ou adultes sur une large gamme de sujets. La conception de « serious games » est de plus en plus répandue, mais le fait de détourner des jeux grand public à des fins d’éducation ou d’enseignement est moins évident.

C’est pourtant ce que propose le « serious gaming ». Il s’agit d’utiliser des jeux grand public, initialement conçus pour le divertissement, comme support pour l’apprentissage. Par exemple, SimCity, dont la première mouture est sortie en 1989, a inspiré toute une génération d’urbanistes.

Minecraft se présente également sous une déclinaison éducative, avec seulement quelques ajouts par rapport au jeu originel et de multiples fonctions adaptées à l’enseignement : mode multijoueurs amélioré, coordonnées permettant aux élèves de s’orienter plus facilement sur la carte, portfolio en ligne permettant aux élèves de prendre des photos de leurs constructions, personnalisation des avatars, fonction d’import-export des mondes, des personnages interactifs…

Parmi les prétendants au serious gaming appliqué aux géosciences, Minecraft présente un potentiel reconnu à travers son aspect « bac à sable ». Celui-ci permet de répliquer des objets et concepts dans son monde virtuel, par nature très orienté vers la géographie et l’exploration souterraine.

Pour autant, le serious gaming appliqué aux géosciences ne se limite pas à Minecraft. Des jeux comme Pokémon ou Zelda peuvent aussi présenter un intérêt pour l’enseignement des géosciences au grand public.

Les « biomes » de « Minecraft »

En surface, le joueur peut explorer une grande variété d’environnements, appelés « biomes ». Ces biomes sont des versions simplifiées d’environnements de notre monde réel : prairies, montagnes, marais, désert… Aisément reconnaissables pour le joueur, ils sont, à leur manière, réalistes.

Chaque biome se compose ainsi d’une flore et d’une faune spécifiques, ainsi que de plusieurs types de blocs correspondant à leurs alter ego du monde réel : du sable recouvre ainsi les grès dans les déserts, des alternances de blocs d’argiles colorées représentent les différentes couches sédimentaires des badlands et de larges colonnes basaltiques se retrouvent dans les biomes volcaniques du Nether (dimension du jeu évoquant les enfers).

Les biomes sont générés par un algorithme procédural appelé « Bruit de Perlin ». Domaine public, Fourni par l'auteur

L’organisation même des biomes suit des règles cohérentes : chaque monde est généré de façon procédurale selon différents paramètres, tels que l’élévation, la température et l’humidité.

Le résultat : des paysages variés, où l’on passe progressivement des toundras aux plaines, puis à une savane. Cette répartition des biomes en fonction de différents paramètres géographiques et climatiques reproduit ce qui est observable à l’échelle de notre planète.

Un monde souterrain à explorer

Une grande partie du monde de Minecraft est toutefois située sous la surface de ces biomes. On y retrouve un empilement vertical de roches. Au plus profond se trouve la « bedrock », la roche mère, qui fait office de barrière avec le monde infernal du Nether. Sur celle-ci repose un type de bloc appelé ardoise des abîmes (deepslate), puis les blocs de pierre et enfin des blocs de grès, de sable ou de terre.

S’il s’agit d’une version assez simplifiée de ce qu’on l’on pourrait trouver dans la réalité, cet empilement de blocs n’est pas sans logique. Les différentes roches formant la Terre peuvent en effet former des empilements de couches plus ou moins horizontales, reposant sur un substrat plus ancien et solide.

Le sous-sol de Minecraft regorge aussi de caves, générées comme les biomes de manière procédurale. Ces caves présentent des successions d’étroites galeries et de larges grottes, agrémentées de stalactites et de stalagmites avec la présence parfois de rivières et de larges gouffres. Leurs aspects semblent très inspirés des systèmes karstiques, où la circulation de l’eau dans les calcaires forme cours d’eau souterrains, grottes et gouffres.

Vue en coupe d’un monde Minecraft montrant l’empilement des couches « stratigraphiques » sur la roche mère, ainsi que des grottes et des aquifères souterrains. Henrik Kniberg, Mojang Studio, Fourni par l'auteur

S’il n’y a pas de volcans dans Minecraft, il y a revanche de la lave, généralement située en profondeur. Suffisamment chaude pour brûler tous les éléments inflammables à portée, s’écoulant moins vite que l’eau et se transformant en obsidienne ou en pierre au contact de l’eau, celle-ci reproduit assez fidèlement le comportement des laves, de leur viscosité à leur vitrification au contact de l’eau.

Les richesses du sous-sol : minerais, cristaux, cubes…

L’exploration est importante dans Minecraft, mais l’artisanat aussi ! Pour créer de nouveaux objets, le joueur doit explorer, récolter, mais aussi extraire des ressources minières. Pour pouvoir progresser dans le jeu, le joueur devra commencer par aller miner pour remplacer ses outils en bois par des outils en fer. Si la progression entre les divers âges est plus détaillée dans d’autres jeux, Minecraft présente quelques-uns des minerais et minéraux les plus connus.

De haut en bas : un minerai d’or, du cuivre natif et un diamant dans Minecraft (à gauche) et dans la collection des Mines de Paris (à droite). Assemblage par l’auteur, Minecraft/Mojang, Musée de minéralogie des Mines de Paris, photo de Jean-Michel Le Cleac’h, Fourni par l'auteur

On retrouve par exemple le charbon, le cuivre, le fer, l’or, l’émeraude, le diamant et le quartz. Ces ressources se trouvent sous forme de poches dans la roche, parfois sous forme de veines massives. Cuivre et fer se retrouveront plus facilement à la surface, à la manière de certains des gisements sédimentaires ou magmatiques qui leur sont associés dans le monde réel. Ces derniers se forment à de relativement faible profondeur et peuvent s’organiser sous une forme similaire à celles de veines minéralisées.

Le diamant, lui, se retrouvera bien plus en profondeur, près de la roche mère, un parallèle avec la formation de nos diamants à de très grandes profondeurs (plus de 150 km), qui sont ensuite remontés à proximité de la surface par le magma.

La comparaison ne s’arrête pas aux minerais et cristaux, Minecraft présentant aussi d’autres roches plus ou moins connues. Outre l’obsidienne, on retrouvera les tufs, basaltes et andésites, typiques d’environnements magmatiques volcaniques où le magma devenu lave se cristallise. Ou encore les diorites et les granites, des roches magmatiques plutoniques formées en profondeur par le refroidissement du magma. Ceux souhaitant découvrir les équivalents réels de ces roches et minéraux pourront le faire cet été au musée de minéralogie de l’École nationale supérieure des mines de Paris, qui consacre jusqu’au 29 août 2025 une mini exposition aux minéraux dans Minecraft.

Modèle géologique de West Thurrock (Comté d’Essex, en Angleterre) créé par le British Geological Survey. Minecraft, Mojang Studio, Fourni par l'auteur

Même s’il offre une vision ludique et simplifiée des géosciences, Minecraft, avec ses mécaniques, sa diversité et sa communauté de joueurs, présente un potentiel autant pour l’enseignement que pour la sensibilisation du grand public à ce domaine. Il vous est, par exemple, possible de visiter directement les sous-sols de notre monde en certains points du Royaume-Uni, grâce aux modèles géologiques 3D mis à disposition par le British Geological Survey.

The Conversation

Alex Vella a reçu des financements de l'ANR pour des projets de recherche.

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27.07.2025 à 16:53

TotalEnergies : Objectif Wall Street

Rémi Janin, Maître de conférences - Reporting financier et extra financier des organisations à Grenoble IAE INP - Chaire Impacts & RSE, Université Grenoble Alpes (UGA)

Charlotte Disle, Maîtresse de conférences, Université Grenoble Alpes (UGA)

Pourquoi un fleuron du CAC 40 tourne-t-il son regard vers Wall Street ? Quels bénéfices en attend-il ? Que révèle cette opération sur le fonctionnement des marchés ?
Texte intégral (2365 mots)
Les investisseurs des États-Unis détiennent déjà près de 40 % du capital de TotalEnergies en 2024, contre 25,3 % pour les actionnaires français. Jean-Luc Ichard/Shutterstock

La société TotalEnergies souhaite être cotée aux États-Unis. Cette décision interroge : pourquoi un fleuron du CAC 40 tourne-t-il son regard vers Wall Street ? Quels bénéfices en attend-il ? Que révèle cette opération sur le fonctionnement des marchés, des régulations et du capitalisme énergétique européens ?


Le projet de double cotation de TotalEnergies aux États-Unis questionne sur ses motivations profondes et ses implications financières. Si l’entreprise insiste sur le fait que « TotalEnergies est déjà cotée à New York » et qu’elle souhaite « transformer les certificats American Depositary Receipt, qui sont aujourd’hui la base de [sa] cotation aux États-Unis, en actions ordinaires », cette décision n’en reste pas moins stratégique.

La double cotation permet à une entreprise d’être cotée directement sur deux places boursières. Dans le cas de TotalEnergies, il ne s’agirait plus de maintenir les American Depositary Receipts (ADR) – actuellement utilisés pour accéder au marché états-unien –, mais de coter ses actions ordinaires à la Bourse de New York, tout en conservant leur cotation sur Euronext Paris. Cela permettrait aux mêmes actions d’être échangées en euros en Europe et en dollars aux États-Unis.

Double cotation

L’objectif immédiat du projet est de convertir les certificats ADR, qui représentent environ 9 % du capital de l’entreprise, en actions ordinaires cotées sur le New York Stock Exchange (NYSE). Les ADR sont des certificats négociables, émis par une banque américaine, représentant la propriété d’une action d’une société étrangère, et permettant leur négociation sur les marchés du pays de l’Oncle Sam. La conversion des ADR permettrait aux investisseurs états-uniens d’acheter des titres TotalEnergies directement, sans passer par des véhicules intermédiaires. Elle réduit les coûts d’intermédiation et facilite la liquidité.

Cette mutation est d’autant plus crédible que les investisseurs des États-Unis détiennent déjà près de 40 % du capital de TotalEnergies, en 2024, contre 25,3 % pour les actionnaires français. La part des fonds d’investissement états-uniens y est déterminante, en particulier le fonds BlackRock qui, avec 6,1 % du capital, est le premier actionnaire du groupe). De plus, les valorisations des majors américaines restent généralement supérieures à celles de leurs homologues européens. Le titre TotalEnergies se négocie ainsi à Paris à environ 3,5 fois l’Ebitda (soldes intermédiaires de gestion, ndlr), contre 6,5 fois pour ExxonMobil. En clair, tout en conservant une cotation à Paris, le « centre de gravité » boursier de l’entreprise se déplacerait mécaniquement.

Arbitrage entre Paris et New York

L’arbitrage entre NYSE et Euronext Paris consisterait, en théorie, à acheter des actions à un prix plus bas sur un marché (Paris), puis à les revendre à un prix plus élevé sur un autre (New York), tirant profit du différentiel de valorisation. Dans les faits, cette stratégie est très difficile à mettre en œuvre pour une entreprise comme TotalEnergies. Plusieurs obstacles s’y opposent :

  • Il existe des délais de règlement entre les deux marchés, empêchant une exécution instantanée.

  • Les fiscalités et régulations diffèrent selon les juridictions, complexifiant les transferts d’actions.

  • Les fuseaux horaires et la structure des marchés rendent difficile la synchronisation des opérations.

  • Les volumes de marché et la liquidité ne sont pas strictement équivalents sur les deux places.

  • Les programmes de rachat d’actions sont encadrés par des règles strictes : prix maximum, période autorisée, finalités déclarées (rémunération, annulation, etc.).

TotalEnergies ne peut donc pas légalement racheter massivement ses actions à Paris pour les revendre sous une autre forme à New York. Autrement dit, la double cotation vise moins à exploiter un arbitrage immédiat qu’à créer un accès direct et stable au marché américain, dans l’objectif d’attirer les investisseurs, d’améliorer la liquidité du titre et, à terme, d’obtenir une meilleure valorisation.

Mise en conformité

Techniquement, ce transfert nécessite une mise en conformité avec les règles de l’autorité de marchés américaine, la Securities and Exchange Commission (SEC) :

  • Un reporting financier aux normes comptables du pays, l’United States Generally Accepted Accounting Principles (US GAAP).

  • Une application drastique de la loi Sarbanes-Oxley qui oblige toutes les sociétés publiques à faire rapport de leurs contrôles comptables internes à la SEC.

  • La nomination d’un représentant légal aux États-Unis.

  • L’adaptation des structures internes à cette nouvelle configuration réglementaire et boursière.

L’exemple de TotalEnergies renvoie à celui de STMicroelectronics, dont la double cotation (Paris et NYSE) existe depuis son introduction en bourse, en 1994. Dans les années 2000, la liquidité du titre s’est déplacée progressivement vers New York, en raison d’une valorisation plus favorable et d’une structure actionnariale influencée par les fonds d’investissements états-uniens.

Maximisation de la valeur actionnariale

Le choix d’une double cotation répond à une logique bien ancrée depuis la révolution libérale des années 1980, impulsée par Milton Friedman et l’école de Chicago : celle de la maximisation de la valeur actionnariale.


À lire aussi : Deux conceptions de l’entreprise « responsable » : Friedman contre Freeman


TotalEnergies s’illustre avec un retour sur capitaux employés de 19 %, le plus élevé de toutes les majors pétrolières. Le groupe offre un rendement exceptionnel pour ses actionnaires : un dividende de 3,22 euros par action en 2024, soit une progression de 7 %. Le rendement moyen est de 5,74 % sur les cinq dernières années, contre 3 % pour l’ensemble des valeurs du CAC 40.

Son président-directeur général Patrick Pouyanné défend le choix d’une politique de distribution de dividendes soutenue lors de son discours à l’assemblée générale du groupe du 23 mai 2025 :

« Je sais aussi ce qui vous tient le plus à cœur, à travers ces échanges, c’est la pérennité de la politique du retour à l’actionnaire et notamment du dividende. Laissez-moi vous rassurer tout de suite, TotalEnergies n’a pas baissé son dividende depuis plus de quarante ans, même lorsque votre compagnie a traversé des crises violentes comme celle liée à la pandémie de Covid-19, et ce n’est pas aujourd’hui ni demain que cela va commencer. »

Les résolutions sur l’approbation des comptes et l’affectation du résultat soumises à l’assemblée générale du 23 mai 2025 ont recueilli plus de 99 % de votes favorables. Ces scores confortent la direction dans sa trajectoire conforme aux principes de la gouvernance actionnariale.

Prime de valorisation

Dans cette optique, la cotation à New York est d’autant plus attrayante qu’elle s’accompagne d’une prime de valorisation. En 2024, les certificats ADR TotalEnergies ont progressé de 8,6 % en dollars contre 1,4 % pour l’action à Paris).

Les gains de valeur boursière générés par une double cotation sont clairement avérés. Dans une étude publiée en 2010, la Federal Reserve Bank of New York démontre que les entreprises cotées qui s’introduisent sur un marché de prestige supérieur (comme Wall Street) « enregistrent des gains de valorisation significatifs durant les cinq années suivant leur introduction en bourse ».

La littérature académique met en évidence que la cotation croisée favorise une couverture accrue par les analystes financiers, en particulier américains. Cette visibilité renforcée améliore la diffusion de l’information, réduit l’asymétrie d’information entre l’entreprise et les investisseurs et renforce ainsi la confiance des marchés. Elle influence directement le coût du capital : les investisseurs sont prêts à financer l’entreprise à un taux réduit, car ils perçoivent un risque moindre. En d’autres termes, une entreprise mieux suivie, plus claire et mieux valorisée sur les marchés peut obtenir des financements à des conditions avantageuses.

Green Deal européen

TotalEnergies justifie son projet par des considérations économiques et financières. Mais ce repositionnement intervient dans un contexte réglementaire européen tendu, marqué par une montée en puissance des exigences de transparence, de durabilité et de prise en compte des parties prenantes au-delà des seuls actionnaires. Cette logique, inspirée de l’approche dite de la stakeholder value, est promue, notamment, par R. Edward Freeman (1984).

Cette dynamique est aujourd’hui remise en question. Les débats se cristallisent autour de la législation Omnibus, qui cherche à assouplir certaines exigences du cadre ESG, issu du Green Deal (pacte vert) européen, souvent critiqué pour ses répercussions possibles sur la compétitivité des entreprises européennes.

Dans le cadre du Green Deal, la directive Corporate Sustainability Reporting et les normes ESRS E1 (European Sustainability Reporting Standards) renforcent la transparence des grandes entreprises de plus de 1 000 salariés, selon la dernière proposition de la Commission européenne, en matière de risques climatiques et de leurs impacts environnementaux. En ce sens, ces directives offrent des leviers de contrôle supplémentaires aux parties prenantes désireuses d’interroger certaines stratégies de grandes entreprises comme TotalEnergies, notamment climatiques.

ESG et monde décarboné

Selon les deux derniers rapports de durabilité de TotalEnergies, la part des investissements durables du groupe (au sens de la taxonomie verte européenne mise en place dans le cadre du Green Deal) est tombée à 20,9 % en 2024, contre 28,1 % en 2023.

Lors de la dernière assemblée générale, Patrick Pouyanné a défendu cette orientation en soulignant notamment :

« Tant que nous n’aurons pas construit un système énergétique mondial décarboné, fiable et abordable, nous devrons continuer à investir dans les énergies traditionnelles. »

En déplaçant partiellement son centre de gravité vers les États-Unis, TotalEnergies consoliderait de facto son ancrage à un marché financier américain globalement moins en attente en matière d’ESG. Ainsi, lors de son audition au Sénat en avril 2024, Patrick Pouyanné soulignait :

« Du fait notamment du poids des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance en Europe, la base d’actionnaires européens de TotalEnergies diminue […] alors que les actionnaires américains achètent TotalEnergies. »

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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27.07.2025 à 10:14

Comment la modélisation peut aider à mieux gérer la ressource en eau

André Fourno, Chercheur, IFP Énergies nouvelles

Benoit Noetinger, Chercheur, IFP Énergies nouvelles

Youri Hamon, Ingénieur de Recherche, IFP Énergies nouvelles

Alors que les arrêtés de restriction d’usage de l’eau liés à la sécheresse se multiplient depuis le début du mois de juin 2025, peut-on mieux modéliser l’évolution de ces ressources ?
Texte intégral (2302 mots)
L’aquifère karstique de la source du Lez, dans l’Héraut, assure l’alimentation en eau potable de 74 % de la population des 31 communes de la métropole de Montpellier. Stclementader/Wikimedia commons, CC BY-NC-SA

Alors que les arrêtés de restriction d’usage de l’eau en raison de la sécheresse se multiplient depuis le début du mois de juin 2025, une question se pose : peut-on mieux prévoir l’évolution de ces ressources grâce aux outils numériques ? Les aquifères (roches poreuses souterraines) et la complexité de leurs structures sont difficiles à appréhender pour les chercheurs depuis la surface de la Terre. La modélisation numérique a beaucoup à apporter à leur connaissance, afin de mieux anticiper les épisodes extrêmes liés à l’eau et mieux gérer cette ressource.


Les eaux souterraines, qui représentent 99 % de l’eau douce liquide sur terre et 25 % de l’eau utilisée par l’homme, constituent la plus grande réserve d’eau douce accessible sur la planète et jouent un rôle crucial dans le développement des sociétés humaines et des écosystèmes.

Malheureusement, les activités anthropiques affectent fortement la ressource, que ce soit par une augmentation de la demande, par l’imperméabilisation des surfaces ou par différentes contaminations…

À ces menaces s’ajoutent les perturbations des cycles et des processus naturels. Le changement climatique entraîne ainsi des modifications des régimes hydrologiques, telles que la répartition annuelle des pluies et leur intensité, ainsi que l’augmentation de l’évaporation.

Si remédier à cette situation passe par une adaptation de nos comportements, cela exige également une meilleure connaissance des hydrosystèmes, afin de permettre l’évaluation de la ressource et de son évolution.

Sa gestion pérenne, durable et résiliente se heurte à de nombreuses problématiques, aussi rencontrées dans le secteur énergétique (hydrogène, géothermie, stockage de chaleur, stockage de CO₂

Il s’agit donc de considérer les solutions mises en place dans ces secteurs afin de les adapter à la gestion des ressources en eau. Ce savoir-faire vise à obtenir une représentation 3D de la répartition des fluides dans le sous-sol et à prédire leur dynamique, à l’instar des prévisions météorologiques.

Les aquifères : des formations géologiques diverses et mal connues

Comme l’hydrogène, le CO2 ou les hydrocarbures, l’eau souterraine est stockée dans la porosité de la roche et dans ses fractures, au sein de « réservoirs » dans lesquels elle peut circuler librement. On parle alors d’aquifères. Ces entités géologiques sont par nature très hétérogènes : nature des roches, épaisseur et morphologie des couches géologiques, failles et fractures y sont légion et affectent fortement la circulation de l’eau souterraine.

Aquifères sédimentaires profonds ou karstiques. Office international de l’eau, CC BY-NC-SA

Pour comprendre cette hétérogénéité du sous-sol, les scientifiques n’ont que peu d’informations directes.L’étude de la géologie (cartographie géologique, descriptions des différentes unités lithologiques et des réseaux de failles et fractures, étude de carottes de forage) permet de comprendre l’organisation du sous-sol.

Les géologues utilisent également des informations indirectes, obtenues par les techniques géophysiques, qui permettent de déterminer des propriétés physiques du milieu (porosité, perméabilité, degré de saturation…) et d’identifier les différentes zones aquifères.

Enfin, grâce à des prélèvements d’échantillons d’eau et à l’analyse de leurs compositions (anions et cations majeurs ou traces, carbone organique ou inorganique, isotopes), il est possible de déterminer l’origine de l’eau (eau météorique infiltrée, eau marine, eau profonde crustale…), les terrains drainés, mais également les temps de résidence de l’eau au sein de l’aquifère.

Ces travaux permettent alors d’obtenir une image de la géométrie du sous-sol et de la dynamique du fluide (volume et vitesse d’écoulement de l’eau), constituant une représentation conceptuelle.

Modéliser le comportement des eaux sous terre

Cependant, les données de subsurface collectées ne reflètent qu’une faible fraction de la complexité géologique de ces aquifères. Afin de confronter les concepts précédemment établis au comportement réel des eaux souterraines, des représentations numériques sont donc établies.

Les modèles numériques du sous-sol sont largement utilisés dans plusieurs champs d’application des géosciences : les énergies fossiles, mais aussi le stockage géologique de CO₂, la géothermie et bien sûr… la ressource en eau !

Dans le domaine de l’hydrogéologie, différentes techniques de modélisation peuvent être utilisées, selon le type d’aquifère et son comportement hydrodynamique.

Les aquifères sédimentaires profonds constitués de couches de sédiments variés sont parfois situés à des profondeurs importantes. C’est, par exemple, le cas des formations du miocène, de plus de 350 mètres d’épaisseur, de la région de Carpentras, qui abritent l’aquifère du même nom. Celles-ci vont se caractériser par une forte hétérogénéité : plusieurs compartiments aquifères peuvent ainsi être superposés les uns sur les autres, séparés par des intervalles imperméables (aquitards), formant un « mille-feuille » géologique.

Représenter la complexité des aquifères

La distribution de ces hétérogénéités peut alors être modélisée par des approches géostatistiques, corrélées à des informations de structure (histoire géologique, déformations, failles…). On parle de « modèles distribués », car ils « distribuent » des propriétés géologiques (nature de la roche, porosité, perméabilité…) de manière spatialisée au sein d’une grille numérique 3D représentant la structure de l’aquifère.

Ces modèles distribués se complexifient lorsque l’aquifère est fracturé et karstique. Ces systèmes hydrogéologiques sont formés par la dissolution des roches carbonatées par l’eau météorique qui s’infiltre, le plus souvent le long des failles et fractures. Ces aquifères, qui sont très largement répandus autour de la Méditerranée (aquifères des Corbières, du Lez, ou des monts de Vaucluse…), ont une importante capacité de stockage d’eau.

Ils se caractérisent par des écoulements souterrains avec deux voire trois vitesses d’écoulement, chacune associée à un milieu particulier : lente dans la roche, rapide au sein des fractures, très rapide dans les drains et conduits karstiques avec des échanges de fluide entre ces différents milieux. Les approches distribuées s’appuient alors sur autant de maillages (représentation numérique d’un milieu) que de milieux contribuant à l’écoulement, afin de modéliser correctement les échanges entre eux.

Anticiper les épisodes extrêmes et alerter sur les risques

Le point fort des approches distribuées est de pouvoir définir, anticiper et visualiser le comportement de l’eau souterraine (comme on le ferait pour un front nuageux en météorologie), mais également de positionner des capteurs permanents (comme cela a été abordé dans le projet SENSE) pour alerter de façon fiable les pouvoirs publics sur l’impact d’un épisode extrême (pluvieux ou sécheresse).

En outre, elles sont le point de passage obligé pour profiter des derniers résultats de la recherche sur les « approches big data » et sur les IA les plus avancées. Cependant, les résultats obtenus dépendent fortement des données disponibles. Si les résultats ne donnent pas satisfaction, il est nécessaire de revoir les concepts ou la distribution des propriétés. Loin d’être un échec, cette phase permet toujours d’améliorer notre connaissance de l’hydrosystème.

Des modélisations dites « globales » assez anciennes reliant par des modèles de type boîte noire (déjà parfois des réseaux neuronaux !) les données de pluie mesurées aux niveaux d’eau et débits observés ont également été mises au point à l’échelle de l’aquifère. Elles sont rapides et faciles d’utilisation, toutefois mal adaptées pour visualiser et anticiper l’évolution de la recharge et des volumes d’eau en place dans un contexte de changements globaux, avec notamment la multiplication des évènements extrêmes.

Loin d’être en concurrence, ces approches doivent être considérées comme complémentaires. Une première représentation du comportement actuel de l’aquifère peut être obtenue avec les approches globales, et faciliter l’utilisation et la paramétrisation des approches distribuées.

Des outils d’aide à la décision

Ces dernières années, la prise en considération des problématiques « eau » par les pouvoirs publics a mis en lumière le besoin d’évaluation de cette ressource. Le développement d’approches méthodologiques pluridisciplinaires couplant caractérisation et modélisation est une des clés pour lever ce verrou scientifique.

De tels travaux sont au cœur de nombreux programmes de recherche, comme le programme OneWater – Eau bien commun, le programme européen Water4all ou l’ERC Synergy KARST et de chaires de recherche telles que GeEAUde ou EACC.

Ils apportent une meilleure vision de cette ressource dite invisible, et visent à alerter l’ensemble des acteurs sur les problèmes d’une surexploitation ou d’une mauvaise gestion, à anticiper les impacts des changements globaux tout en fournissant des outils d’aide à la décision utilisables par les scientifiques, par les responsables politiques et par les consommateurs.

The Conversation

André Fourno a reçu des financements de OneWater – Eau Bien Commun.

Benoit Noetinger a reçu des financements de European research council

Youri Hamon a reçu des financements de OneWater – Eau Bien Commun.

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