25.06.2025 à 12:08
Niousha Shahidi, Full professor, data analysis, EDC Paris Business School
Un contrat avec franchise incite à ne pas prendre de risques – une manière pour les assurances de se garantir que leurs clients ne se reposent pas complètement sur elles. Ce sont les maths qui le disent.
Nous avons tous un contrat d’assurance contre des risques précis : assurance auto, assurance multirisque habitation (45,9 millions de contrats en 2023 en France)… Vous avez signé ce contrat d’assurance afin de vous couvrir des frais en cas de sinistre. Ce qui est inhabituel, avec les assurances, c’est que vous achetez « un produit » (contrat), mais vous le récupérez (les indemnités) que si vous subissez un sinistre. De plus, il est courant que l’assureur vous propose un contrat « avec franchise », c’est-à-dire qu’en cas de sinistre, une partie fixe des frais reste à votre charge.
Pourquoi les contrats « avec franchise » sont-ils si répandus ? Il existe plusieurs réponses.
Des chercheurs se sont intéressés au contrat optimal en modélisant mathématiquement la relation entre l’assureur et l’assuré. On dit qu’un contrat est optimal s’il n’existe pas d’autre contrat qui profiterait davantage à l’un (l’assuré ou l’assureur) sans détériorer la situation de l’autre.
Pour trouver le contrat qui maximise à la fois les préférences de l’assuré et de l’assureur, il faut résoudre un problème d’« optimisation ».
L’assureur est considéré comme neutre au risque, c’est-à-dire qu’il n’a pas de préférence entre une richesse dite « aléatoire » (impactée par un risque subi, mais incertain) et une richesse certaine égale à l’espérance de la richesse aléatoire.
Par contre, l’assuré est considéré comme risquophobe, c’est-à-dire que dans l’exemple précédent, il préfère la richesse certaine à la richesse aléatoire.
Dans ce contexte, des travaux de recherche ont montré que le contrat avec franchise est optimal. En effet, ce type de contrat permet à l’assuré risquophobe de réduire le risque puisqu’en cas de sinistre, il aura juste à payer la franchise. Si la franchise est nulle, le contrat neutralise alors complètement le risque puisqu’en payant juste la prime, l’assuré recevra une indemnité égale au dommage subi (potentiellement avec un plafond, mentionné dans le contrat) : on dit qu’il aura une richesse certaine.
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D’un point de vue pratique, la mise en place d’un contrat avec franchise représente plusieurs avantages pour l’assureur.
Tout d’abord, ce type de contrat réduit ses frais de gestion car les petites pertes (en dessous du montant de la franchise) ne sont plus traitées.
L’assuré est alors incité à faire un effort afin d’éviter les petites pertes qui resteraient à sa charge, ce qui permet de réduire le phénomène d’« aléa moral ». Ce dernier décrit une situation d’asymétrie d’information entre l’assureur et l’assuré. En effet, une fois le contrat d’assurance signé, l’assurance ne peut pas observer l’effort consenti par l’assuré pour éviter un risque (par exemple la vigilance au volant). Non seulement la mise en place de la franchise permet à l’assureur d’obliger l’assuré à faire un effort, elle lui permet aussi de détourner les individus à haut risque, qui cherchent souvent un contrat plus généreux que les individus à bas risques et qui sont prêts à payer une prime (même chère) afin de ne pas subir les petits risques.
Un autre problème d’asymétrie de l’information, connu sous le nom d’« antisélection » (ou sélection adverse) est alors soulevé. Dans ce contexte, l’assureur ne connaît pas le type (haut/bas risque) de l’assuré. Un individu à haut risque peut acheter un contrat destiné à un individu bas risque.
Si l’assureur ne propose que des contrats sans franchise, il risque d’avoir trop d’assurés à haut risque. L’assureur devra alors statistiquement faire face à un nombre important de sinistres (l’assureur par manque d’information se trouve avec les hauts risques alors qu’il aurait souhaité l’inverse), ce qui aboutit souvent à un déséquilibre entre le montant des primes perçues et le montant des indemnités versées. Il est donc important pour l’assureur de diversifier ses produits en proposant des contrats avec ou sans franchise.
Un contrat avec franchise est donc bien un optimum : l’assuré comme l’assureur a intérêt à éviter les petits sinistres. La franchise permet à l’assureur de faire des économies et en même temps de sélectionner ses clients. Le contrat choisi révèle votre « appétence au risque », que les assureurs classifient en types haut et bas risque !
Niousha Shahidi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
22.06.2025 à 17:30
Éric Collet, Professeur de Physique, expert en sciences des matériaux, Université de Rennes
Une nouvelle étude montre qu’il est possible de geler les positions des atomes qui constituent un matériau…, en le chauffant.
Ce concept ouvre la voie au développement de dispositifs innovants, tels que des capteurs piézoélectriques capables de fonctionner à température ambiante, sans avoir besoin de recourir à de très basses températures.
Lorsque l’eau liquide passe en dessous de 0 °C, les molécules d’eau gèlent leurs positions les unes par rapport aux autres, pour former de la glace. Dans l’immense majorité des matériaux, les atomes et les molécules gèlent quand la température baisse.
Mais, contrairement à l’intuition, nous avons découvert un matériau présentant un changement d’état magnétique, pour lequel des mesures de cristallographie par rayons X ont démontré que les positions des atomes gèlent… en chauffant !
Ceci nous a d’abord surpris, mais nous avons trouvé une explication, que nous détaillons dans notre récente publication.
Les positions des atomes se gèlent habituellement quand on abaisse sa température – c’est le cas, par exemple, quand l’eau gèle au congélateur ou encore quand du sucre fondu cristallise en refroidissant.
Ce phénomène existe aussi à l’état solide dans de nombreux matériaux. Même dans un solide, les atomes vibrent entre des positions équivalentes par symétrie (par exemple entre gauche et droite) – ils ne se figent dans une de ces positions que quand la température diminue.
Pour certains matériaux, comme le sucre ou les piézoélectriques utilisés sur les sonars ou capteurs pour l’échographie, les atomes sont gelés à température ambiante. Mais pour de nombreux matériaux moléculaires, ceci ne se produit qu’à -20 °C, -100 °C ou -200 °C, par exemple.
Le changement de symétrie associé à la mise en ordre des atomes qui se gèlent suivant certaines positions est illustré sur la figure ci-dessus.
À droite, les atomes sont désordonnés et vibrent à haute température. Il y a ici une symétrie miroir et les positions des atomes d’un côté du miroir sont équivalentes à celles de l’autre côté.
À basse température, les positions des atomes se gèlent. Par exemple, les atomes rouges s’approchent d’atomes bleus à droite et s’éloignent des atomes bleus à gauche. Ceci modifie certaines propriétés physiques de matériaux et, par exemple, des charges (+ et -) apparaissent en surface.
Si on appuie sur un tel matériau, les charges changent, et c’est ce qui est à la base des capteurs piézoélectriques, par exemple. Une simple pression, comme un son, peut moduler ces charges et être alors détectée. C’est ainsi que fonctionnent les dispositifs pour l’échographie ou les sonars dans les sous-marins, par exemple : l’onde sonore qui est réfléchie sur un objet est détectée par le capteur piézoélectrique au travers d’un signal électrique.
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D’autres matériaux sont aussi ferroélectriques. Il est alors possible de retourner les positions atomiques avec un champ électrique et donc d’inverser les charges. C’est ce dispositif qui est à la base des mémoires RAM ferroélectriques.
Malheureusement, pour de nombreux matériaux moléculaires, ce type de propriétés liées au changement de symétrie n’apparaissent qu’à basse température. Il faut alors refroidir les matériaux pour obtenir la propriété, parfois à -200 °C. Cette contrainte limite donc l’application de ces matériaux, car de nombreuses applications nécessitent des dispositifs fonctionnant à température ambiante, parce qu’il est trop complexe et coûteux d’intégrer des dispositifs de refroidissement.
Dans la majorité des matériaux, les atomes qui les constituent se mettent en mouvement avec l’élévation de température. Cette agitation thermique crée un désordre, qui se mesure par une grandeur thermodynamique appelée « entropie ».
Les lois de la physique stipulent que plus la température augmente, plus le désordre et donc l’entropie augmentent. Ainsi, le désordre est plus grand à haute température, avec les atomes agités, qu’à basse température où les atomes sont figés. À l’inverse, à basse température, le désordre et, donc, l’entropie diminuent, ainsi que la symétrie.
Dans notre étude, nous observons pourtant le phénomène inverse : le matériau que nous étudions est plus symétrique en dessous de -40 °C qu’au-dessus. En d’autres termes, les molécules sont sur des positions désordonnées droite/gauche à basse température et ordonnées à haute température et donc, ici, à température ambiante.
Ce phénomène est rendu possible grâce au « désordre électronique ».
En effet, dans le matériau étudié, les états à haute et basse température correspondent aussi à deux états magnétiques.
À basse température, le matériau est dans l’état appelé « diamagnétique », c’est-à-dire que les électrons vivent en couple et que leurs spins (leurs moments magnétiques) sont opposés – c’est une contrainte imposée par la mécanique quantique. Ceci correspond à un état électronique ordonné, car il n’y a qu’une configuration possible : un spin vers le haut, l’autre vers le bas.
À haute température, au contraire, le matériau est dans l’état « paramagnétique », c’est-à-dire que les électrons sont célibataires et leurs spins peuvent s’orienter librement, ce qui donne lieu à plusieurs configurations (quelques-uns vers le haut, les autres vers le bas, comme illustré par les flèches rouges sur la figure ci-dessus).
En chauffant, nous favorisons le désordre « électronique » (le grand nombre de configurations des spins). Ce désordre entre en compétition avec la mise en ordre des positions des atomes.
Le gain en entropie lié au désordre électronique (qui passe d’une seule configuration à cinq) est alors plus grand que le coût en entropie lié à la mise en ordre des atomes (de deux configurations à une seule). D’autres phénomènes viennent aussi contribuer à cette augmentation d’entropie.
Au final, l’entropie globale, incluant désordre atomique et électronique, augmente donc bien avec la température comme l’imposent les lois de la physique. C’est donc le désordre des électrons qui autorise de geler les positions des molécules.
Par conséquent, ce nouveau concept, combinant désordre électronique et ordre atomique, ouvre la voie au développement de nouveaux matériaux pour des dispositifs tels que des capteurs, des mémoires, des transducteurs ou des actionneurs fonctionnant à température ambiante, sans recours aux basses températures.
Eric Collet est membre de l'Institut Universitaire de France et de l'Academia Europaea
19.06.2025 à 18:07
Eugénie Hebrard, Directrice de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Une nouvelle étude retrace l’évolution du virus de la panachure jaune du riz et explique comment le commerce, les échanges de semences et même la Première Guerre mondiale lui ont permis de se répandre à travers tout le continent africain. Ce virus peut causer entre 20 % et 80 % de pertes de rendement.
Le virus de la panachure jaune du riz est une menace majeure pour la production rizicole en Afrique. Cette maladie, présente dans plus de 25 pays, peut causer entre 20 % et 80 % de pertes de rendement selon les épidémies. Retracer l’histoire de la dispersion du virus en Afrique permet de comprendre les causes et les modalités de l’émergence de la maladie, aide à mettre en place des stratégies de contrôle et contribue à évaluer les risques de propagation vers d’autres régions du monde. Par une approche multidisciplinaire intégrant données épidémiologiques, virologiques, agronomiques et historiques, nous avons exploré les liens entre l’histoire de la culture du riz en Afrique de l’Est et la propagation de ce virus à large échelle depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Ces travaux sur le RYMV (l’acronyme de son nom anglais : Rice yellow mottle virus) viennent d’être publiés dans la revue scientifique PLoS Pathogens.
Il s’agit de l’aboutissement d’un travail de longue haleine basé sur des collectes de feuilles symptomatiques sur le terrain, parfois difficile d’accès, menées par plusieurs équipes de virologues, co-auteurs de cet article. La détection du virus par diagnostic immunologique en laboratoire puis sa caractérisation par séquençage ont abouti à une collection représentative de 50 génomes entiers et de 335 séquences du gène de la capside virale (la coque protéique qui protège le génome) prélevés entre 1966 et 2020 sur deux millions de kilomètres carrés (Burundi, Éthiopie, Kenya, Malawi, Ouganda, République du Congo, Rwanda, Tanzanie). Une partie de ces échantillons avaient été caractérisée préalablement et conservée dans des herbiers et des congélateurs. C’est une collaboration multilatérale internationale basée sur la mise en commun de tous les résultats qui a abouti à cette étude globale de la phylodynamique du RYMV, c’est-à-dire de la dispersion et de l’évolution des différentes lignées génétiques virales. Les approches bio-informatiques utilisées pour analyser et visualiser les résultats ont nécessité des développements méthodologiques mis au point par plusieurs co-auteurs spécialistes de ces disciplines, et qui sont transposables à tous types de virus. Les résultats obtenus avec les séquences virales partielles ou entières convergent vers un même scénario. C’est en intégrant les connaissances des agronomes et des historiens, également co-auteurs de cet article que nous avons pu interpréter cette « remontée dans le temps ».
Beaucoup de virus de plantes sont transmis exclusivement par des insectes vecteurs dit piqueurs-suceurs comme les pucerons, qui en se nourrissant sur une plante malade, acquièrent le virus puis les réinjectent dans des plantes saines. Le RYMV, lui, est transmis par de multiples moyens, notamment :
grâce à l’intervention de coléoptères, insectes broyeurs qui n’ont pas de système d’injection de salive mais qui peuvent tout de même se contaminer mécaniquement en s’alimentant et qui se déplacent à courte distance ;
par des vaches ou d'autres animaux qui en broutant dans les champs de riz produisent des déjections dans lesquelles le virus reste infectieux ;
de manière passive par contact des feuilles ou des racines de plantes infectées où il se multiplie fortement.
Ces différents modes de transmission et de propagation du RYMV ne sont pas efficaces pour la transmission à longue distance. Or, le virus est présent sur tout le continent africain. C’est ce paradoxe que nous avons cherché à résoudre.
Le RYMV est apparu au milieu du XIXe siècle dans l’Eastern Arc Montains en Tanzanie, où la riziculture sur brûlis était pratiquée. Plusieurs contaminations du riz cultivé à partir de graminées sauvages infectées ont eu lieu, aboutissant à l’émergence des trois lignées S4, S5 et S6 du virus. Le RYMV a ensuite été rapidement introduit dans la grande vallée rizicole voisine de Kilombero et dans la région de Morogoro. Les graines récoltées, bien qu’indemnes de virus, sont contaminées par des débris de plantes, elles-mêmes infectées, qui subsistent dans les sacs de riz après le battage et le vannage du riz. Le RYMV, très stable, est en mesure de subsister ainsi pendant plusieurs années. La dispersion à longue distance du RYMV en Afrique de l’Est a été marquée par trois évènements majeurs, cohérents avec : l’introduction du riz le long des routes de commerce caravanier des côtes de l’Océan Indien en direction du lac Victoria dans la seconde moitié du XIXe siècle (I), avec les échanges de semences du lac Victoria vers le nord de l’Éthiopie dans la seconde moitié du XXe siècle (II) et, de manière inattendue, avec le transport du riz à la fin de la Première Guerre mondiale comme aliment de base des troupes, de la vallée du Kilombero vers le sud du lac Malawi (III). Les échanges de semences expliquent également la dispersion du virus de l’Afrique de l’Est vers l’Afrique de l’Ouest à la fin du XIXe siècle, et vers Madagascar à la fin du XXe siècle. En somme, la dispersion du RYMV est associée à un large spectre d’activités humaines, certaines insoupçonnées. Par conséquent, le RYMV, bien que non transmis directement par la semence ou par des insectes vecteurs très mobiles comme beaucoup de virus de plantes, a une grande capacité de dissémination. Ses paramètres de dispersion, estimés à partir de nos reconstructions dites phylogéographiques, sont similaires à ceux des virus zoonotiques très mobiles, des virus infectant les animaux qui peuvent créer des épidémies chez l’homme comme la rage.
En comparant la dispersion des trois lignées majeures présentes en Afrique de l’Est grâce aux nouveaux outils bio-informatiques développés dans cette étude, nous avons observé des dynamiques virales très contrastées. La lignée S4 a connu le plus grand succès épidémique avec une propagation précoce, rapide et généralisée. Elle a été découverte au sud du lac Victoria dans la seconde moitié du XIXe siècle puis a circulé autour du lac Victoria avant de se disperser vers le nord en Éthiopie, puis vers le sud au Malawi et enfin vers l’ouest en République du Congo, au Rwanda et au Burundi. La lignée S6, au contraire, est restée confinée à la vallée du Kilombero et dans la région de Morogoro pendant plusieurs décennies. Au cours des dernières décennies seulement, elle s’est propagée vers l’est de la Tanzanie, le sud-ouest du Kenya et les îles de Zanzibar et de Pemba. De façon inexpliquée, la lignée S5 est restée confinée dans la vallée du Kilombero et dans la région de Morogoro. Au cours des dernières décennies, on note un ralentissement des taux de dispersion de la plupart des souches virales issues des lignées S4 et S6 que nous n’expliquons pas encore.
En conclusion, notre étude multi-partenariale et multidisciplinaire met en évidence l’importance de la transmission humaine d’agents pathogènes de plantes et souligne le risque de transmission du RYMV, ainsi que celle d’autres phytovirus d’Afrique, vers d’autres continents. Nous étudions maintenant la dispersion et l’évolution du RYMV en Afrique de l’Ouest, en particulier de celle de lignées virales particulièrement préoccupantes car capables de se multiplier sur les variétés de riz, considérées résistantes au virus, compromettant ainsi les stratégies de contrôle.
Eugénie Hebrard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
18.06.2025 à 16:14
Julia Henning, PhD Candidate in Feline Behaviour, School of Animal and Veterinary Science, University of Adelaide
Vous êtes-vous déjà demandé si votre chat était capable de vous reconnaître ? Et si oui, comment peut-il vous distinguer des autres humains ?
Des recherches ont montré que seulement 54 % des chats pouvaient reconnaître les humains à partir de leur seul visage. Une étude publiée le 28 mai 2025 dans la revue scientifique PLOS One suggère que les chats sont capables de nous reconnaître à notre odeur. Cette faculté n’avait jamais été étudiée et nous renseigne sur les liens qui se tissent entre les humains et les chats.
Les chats ont souvent la triste réputation d’être distants ou indifférents aux personnes qui les entourent, mais un nombre croissant d’études démontre le contraire. On sait désormais que les chats apprennent les noms que nous leur donnons et que la plupart d’entre eux préfèrent l’interaction sociale humaine à la nourriture, un choix que même les chiens ont du mal à faire.
L’étude, réalisée par Yutaro Miyairi et ses collègues de l’Université d’agriculture de Tokyo, a porté sur la capacité de 30 chats à différencier leur propriétaire d’une personne inconnue en se basant uniquement sur l’odeur.
Pour cette étude, les scientifiques ont présenté à des chats des tubes en plastique contenant des cotons-tiges frottés sous l’aisselle, derrière l’oreille et entre les orteils soit de leur propriétaire, soit d’un humain qu’ils n’avaient jamais rencontré. À titre de contrôle, on a présenté des cotons-tiges vierges (donc sans odeur humaine) aux chats.
Les résultats ont montré que les chats ont passé plus de temps à renifler les tubes contenant l’odeur d’humains qu’ils ne connaissaient pas, par rapport au temps passé à renifler ceux de leur propriétaire ou du contrôle.
Un temps de reniflage plus court suggère que lorsque les chats rencontrent l’odeur de leur maître, ils la reconnaissent rapidement et passent à autre chose. En revanche, lorsqu’il s’agit de prélèvements effectués sur une personne inconnue, le chat renifle plus longtemps, utilisant son sens aigu de l’odorat pour recueillir des informations sur l’odeur.
Des comportements similaires ont déjà été observés : les chatons reniflent l’odeur des femelles inconnues plus longtemps que celle de leur propre mère, et les chats adultes reniflent les fèces des chats inconnus plus longtemps que celles des chats de leur groupe social. Les résultats de cette nouvelle étude pourraient indiquer que nous faisons également partie de ce groupe social.
L’étude a également révélé que les chats avaient tendance à renifler les odeurs familières avec leur narine gauche, tandis que les odeurs inconnues étaient plus souvent reniflées avec leur narine droite. Lorsque les chats se familiarisent avec une odeur après l’avoir reniflée pendant un certain temps, ils passent de la narine droite à la narine gauche.
Cette tendance a également été observée chez les chiens. Selon les recherches actuelles, cette préférence pour les narines pourrait indiquer que les chats traitent et classent les nouvelles informations en utilisant l’hémisphère droit de leur cerveau, tandis que l’hémisphère gauche prend le relais lorsqu’une réponse habituelle est établie.
Les chats s’appuient sur leur odorat pour recueillir des informations sur le monde qui les entoure et pour communiquer.
L’échange d’odeurs (par le frottement des joues et le toilettage mutuel) permet de reconnaître les chats du même cercle social, de maintenir la cohésion du groupe et d’identifier les chats non familiers ou d’autres animaux qui peuvent représenter une menace ou doivent être évités.
Les odeurs familières peuvent également être réconfortantes pour les chats, réduisant le stress et l’anxiété et créant un sentiment de sécurité dans leur environnement.
Lorsque vous revenez de vacances, si vous remarquez que votre chat est distant et agit comme si vous étiez un étranger, c’est peut-être parce que vous sentez une odeur étrangère. Essayez de prendre une douche en utilisant vos cosmétiques habituels et mettez vos vêtements de tous les jours. Les odeurs familières devraient vous aider, vous et votre chat, à retrouver plus rapidement votre ancienne dynamique.
N’oubliez pas que si votre chat passe beaucoup de temps à renifler quelqu’un d’autre, ce n’est pas parce qu’il le préfère. C’est probablement parce que votre odeur lui est familière et qu’elle lui demande moins de travail. Au lieu d’être nouvelle et intéressante, elle peut avoir un effet encore plus positif : aider votre chat à se sentir chez lui.
Julia Henning ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
18.06.2025 à 12:23
Matthew Shindell, Curator, Planetary Science and Exploration, Smithsonian Institution
Au croisement de la science et de l’imagination, l’astronome Camille Flammarion a utilisé cartes, romans et rêveries pour faire de Mars un miroir des aspirations humaines et un horizon possible pour l’avenir.
À l’heure de l’exploration robotique ambitieuse de Mars, et alors qu’une mission habitée vers la planète rouge semble de plus en plus probable, il est difficile d’imaginer qu’elle ait autrefois été un monde mystérieux, et inaccessible. Avant l’invention de la fusée, les astronomes qui souhaitaient explorer Mars au-delà de ce que leur permettait le télescope devaient recourir à leur imagination.
En tant qu’historien de l’espace et auteur du livre For the Love of Mars : A Human History of the Red Planet, je m’efforce de comprendre comment, à différentes époques et en divers endroits, les humains ont imaginé Mars.
La seconde moitié du XIXe siècle est une période particulièrement fascinante pour cela. À ce moment-là, Mars semblait prêt à livrer une partie de ses mystères. Les astronomes en apprenaient davantage sur la planète rouge, mais ils n’avaient toujours pas suffisamment d’informations pour savoir si elle abritait la vie – et si oui, de quel type.
Grâce à des télescopes plus puissants et à de nouvelles techniques d’impression, les astronomes commencèrent à appliquer les outils de la cartographie géographique pour créer les premières cartes détaillées de la surface de Mars, y inscrivant continents et mers, et parfois des formes que l’on pensait dues à une activité biologique. Mais comme il était encore difficile d’observer réellement ces reliefs martiens, ces cartes variaient beaucoup selon les auteurs.
C’est dans ce contexte qu’un scientifique de renom, aussi vulgarisateur passionné, a mêlé science et imagination pour explorer les possibilités de la vie sur un autre monde.
Parmi ces penseurs imaginatifs, on trouve Camille Flammarion, astronome parisien. En 1892, il publia la Planète Mars, une œuvre de référence qui demeure à ce jour un bilan complet de l’observation martienne jusqu’à la fin du XIXe siècle. Il y résuma toute la littérature publiée sur Mars depuis Galilée et affirma avoir examiné 572 dessins de la planète pour y parvenir.
Comme beaucoup de ses contemporains, Flammarion pensait que Mars, un monde plus ancien que la Terre ayant traversé les mêmes étapes évolutives, devait être un monde vivant. Mais il affirmait aussi, contrairement à beaucoup, que Mars, bien qu’ayant des similitudes avec la Terre, était un monde radicalement différent.
Ce sont précisément ces différences qui le fascinaient. Toute forme de vie martienne, pensait-il, serait adaptée à des conditions propres à Mars – une idée qui inspira H. G. Wells dans la Guerre des mondes (1898).
Mais Flammarion reconnaissait aussi combien il était difficile de cerner ces différences : « La distance est trop grande, notre atmosphère trop dense, nos instruments trop imparfaits », écrivait-il. Aucune carte, selon lui, ne pouvait être prise à la lettre, car chacun voyait et dessinait Mars à sa manière.
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Face à cette incertitude, Flammarion adoptait une position agnostique dans la Planète Mars quant à la nature exacte de la vie martienne. Il envisageait toutefois que si une vie intelligente existait sur Mars, elle devait être plus ancienne que l’humanité, et donc plus avancée : une civilisation unifiée, pacifique, technologiquement développée – un avenir qu’il souhaitait aussi pour la Terre.
« On peut espérer, écrivait-il, que puisque le monde martien est plus ancien que le nôtre, ses habitants soient plus sages et plus évolués que nous. Sans doute l’esprit de paix anime-t-il ce monde voisin. »
Mais comme il le soulignait souvent : « Le Connu est une minuscule île au milieu de l’océan de l’Inconnu » – une idée qu’il défendait dans la soixantaine de livres qu’il a publiés au cours de sa vie. C’est justement cet inconnu qui le fascinait.
Certains historiens voient surtout en Flammarion un vulgarisateur plus qu’un scientifique rigoureux. Cela ne doit cependant pas diminuer ses mérites. Pour lui, la science n’était pas une méthode ou un corpus figé : elle était le cœur naissant d’une nouvelle philosophie. Il prenait très au sérieux son travail de vulgarisation, qu’il voyait comme un moyen de tourner les esprits vers les étoiles.
En l’absence d’observations fiables ou de communication avec d’hypothétiques Martiens, il était prématuré de spéculer sur leur apparence. Et pourtant, Flammarion le fit – non pas dans ses travaux scientifiques, mais à travers plusieurs romans publiés tout au long de sa carrière.
Dans ces œuvres, il se rendait sur Mars en imagination, et observait sa surface. Contrairement à Jules Verne, qui imaginait des voyages facilités par la technologie, Flammarion préférait des voyages de l’âme.
Convaincu que l’âme humaine pouvait, après la mort, voyager dans l’espace contrairement au corps physique, il mit en scène des récits de rêves ou de visites d’esprits défunts. Dans Uranie (1889), l’âme de Flammarion se rend sur Mars en songe. Là, il retrouve son ami défunt Georges Spero, réincarné en un être lumineux, ailé et doté de six membres.
« Les organismes ne sauraient être terrestres sur Mars, pas plus qu’ils ne peuvent être aériens au fond des mers », écrit-il.
Plus tard dans le roman, l’âme de Spero vient visiter Flammarion sur Terre. Il lui révèle que la civilisation martienne, aidée par une atmosphère plus fine favorable à l’astronomie, a fait d’immenses progrès scientifiques. Pour Flammarion, la pratique de l’astronomie avait permis à la société martienne de progresser, et il rêvait d’un destin similaire pour la Terre.
Dans l’univers qu’il imagine, les Martiens vivent dans un monde intellectuel, débarrassé de la guerre, de la faim et des malheurs terrestres. Un idéal inspiré par l’histoire douloureuse de la France, marquée par la guerre franco-prussienne et le siège de Paris.
Aujourd’hui, le Mars de Flammarion nous rappelle que rêver d’un avenir sur la planète rouge, c’est autant chercher à mieux nous comprendre nous-mêmes et à interroger nos aspirations collectives qu’à développer les technologies nécessaires pour y parvenir.
La vulgarisation scientifique était pour Flammarion un moyen d’aider ses semblables, les pieds sur Terre, à comprendre leur place dans l’univers. Ils pourraient un jour rejoindre les Martiens qu’il avait imaginés – des figures symboliques qui, pas plus que les cartes de Mars qu’il avait étudiées dans la Planète Mars, ne devaient être prises au pied de la lettre. Son univers représentait ce que la vie pourrait devenir, dans des conditions idéales.
Matthew Shindell ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
17.06.2025 à 17:32
Michael A. Little, Distinguished Professor Emeritus of Anthropology, Binghamton University, State University of New York
Suffit-il de calculer l’espérance de vie maximale d’un humain pour deviner combien de temps mettrait l’humanité à disparaître si l’on arrêtait de se reproduire ? Pas si simple répond l’anthropologue américain Michael A. Little dans cet article à destination des plus jeunes.
Très peu de personnes vivent au-delà d’un siècle. Ainsi, si plus personne n’avait d’enfants, il ne resterait probablement plus d’humains sur Terre dans 100 ans. Mais avant cela, la population commencerait à diminuer, à mesure que les personnes âgées mourraient sans qu’aucune nouvelle naissance ne vienne les remplacer. Même si toutes les naissances cessaient soudainement, ce déclin serait au départ progressif.
Mais peu à peu, il n’y aurait plus assez de jeunes pour assurer les tâches essentielles, ce qui provoquerait un effondrement rapide des sociétés à travers le monde. Certains de ces bouleversements mettraient à mal notre capacité à produire de la nourriture, à fournir des soins de santé et à accomplir tout ce dont dépend notre quotidien. La nourriture se ferait rare, même s’il y avait moins de bouches à nourrir.
En tant que professeur d’anthropologie ayant consacré ma carrière à l’étude des comportements humains, de la biologie et des cultures, je reconnais volontiers que ce scénario n’aurait rien de réjouissant. À terme, la civilisation s’effondrerait. Il est probable qu’il ne resterait plus grand monde d’ici 70 ou 80 ans, plutôt que 100, en raison de la pénurie de nourriture, d’eau potable, de médicaments et de tout ce qui est aujourd’hui facilement accessible et indispensable à la survie.
Il faut bien reconnaître qu’un arrêt brutal des naissances est hautement improbable, sauf en cas de catastrophe mondiale. Un scénario possible, exploré par l’écrivain Kurt Vonnegut dans son roman Galápagos, serait celui d’une maladie hautement contagieuse rendant infertiles toutes les personnes en âge de procréer.
Autre scénario : une guerre nucléaire dont personne ne sortirait vivant – un thème traité dans de nombreux films et livres effrayants. Beaucoup de ces œuvres de science-fiction mettent en scène des voyages dans l’espace. D’autres tentent d’imaginer un futur terrestre, moins fantaisiste, où la reproduction devient difficile, entraînant un désespoir collectif et la perte de liberté pour celles et ceux encore capables d’avoir des enfants.
Deux de mes livres préférés sur ce thème sont La Servante écarlate de l’autrice canadienne Margaret Atwood, et Les Fils de l’homme de l’écrivaine britannique P.D. James. Ce sont des récits dystopiques marqués par la souffrance humaine et le désordre. Tous deux ont d’ailleurs été adaptés en séries télévisées ou en films.
Dans les années 1960 et 1970, beaucoup s’inquiétaient au contraire d’une surpopulation mondiale, synonyme d’autres types de catastrophes. Ces craintes ont elles aussi nourri de nombreuses œuvres dystopiques, au cinéma comme en littérature.
Un exemple : la série américaine « The Last Man on Earth », une comédie postapocalyptique qui imagine ce qui pourrait se passer après qu’un virus mortel ait décimé la majeure partie de l’humanité.
La population mondiale continue résolument de croître, même si le rythme de cette croissance a ralenti. Les experts qui étudient les dynamiques démographiques estiment que le nombre total d’habitants atteindra un pic de 10 milliards dans les années 2080, contre 8 milliards aujourd’hui et 4 milliards en 1974.
La population des États-Unis s’élève actuellement à 342 millions, soit environ 200 millions de plus qu’au moment de ma naissance dans les années 1930. C’est une population importante, mais ces chiffres pourraient progressivement diminuer, aux États-Unis comme ailleurs, si le nombre de décès dépasse celui des naissances.
En 2024, environ 3,6 millions de bébés sont nés aux États-Unis, contre 4,1 millions en 2004. Dans le même temps, environ 3,3 millions de personnes sont décédées en 2022, contre 2,4 millions vingt ans plus tôt.
À mesure que ces tendances évoluent, l’un des enjeux essentiels sera de maintenir un équilibre viable entre jeunes et personnes âgées. En effet, ce sont souvent les jeunes qui font tourner la société : ils mettent en œuvre les idées nouvelles et produisent les biens dont nous dépendons.
Par ailleurs, de nombreuses personnes âgées ont besoin d’aide pour les gestes du quotidien, comme préparer à manger ou s’habiller. Et un grand nombre d’emplois restent plus adaptés aux moins de 65 ans qu’à ceux ayant atteint l’âge habituel de la retraite (plus tardif aux États-Unis).
Dans de nombreux pays, les femmes ont aujourd’hui moins d’enfants au cours de leur vie fertile qu’autrefois. Cette baisse est particulièrement marquée dans certains pays comme l’Inde ou la Corée du Sud.
Le recul des naissances observé actuellement s’explique en grande partie par le choix de nombreuses personnes de ne pas avoir d’enfants, ou d’en avoir moins que leurs parents. Ce type de déclin démographique peut rester gérable grâce à l’immigration en provenance d’autres pays, mais des préoccupations culturelles et politiques freinent souvent cette solution.
Parallèlement, de plus en plus d’hommes rencontrent des problèmes de fertilité, ce qui rend leur capacité à avoir des enfants plus incertaine. Si cette tendance s’aggrave, elle pourrait accélérer fortement le déclin de la population.
Notre espèce, Homo sapiens, existe depuis au moins 200 000 ans. C’est une très longue période, mais comme tous les êtres vivants sur Terre, nous sommes exposés au risque d’extinction.
Prenons l’exemple des Néandertaliens, proches parents d’Homo sapiens. Ils sont apparus il y a au moins 400 000 ans. Nos ancêtres humains modernes ont cohabité un temps avec eux, mais les Néandertaliens ont progressivement décliné jusqu’à disparaître il y a environ 40 000 ans.
Certaines recherches suggèrent que les humains modernes se sont montrés plus efficaces que les Néandertaliens pour assurer leur subsistance et se reproduire. Homo sapiens aurait ainsi eu plus d’enfants, ce qui a favorisé sa survie.
Si notre espèce venait à disparaître, cela pourrait ouvrir la voie à d’autres animaux pour prospérer sur Terre. Mais ce serait aussi une immense perte, car toute la richesse des réalisations humaines – dans les arts, les sciences, la culture – serait anéantie.
À mon sens, nous devons prendre certaines mesures pour assurer notre avenir sur cette planète. Cela passe par la lutte contre le changement climatique, la prévention des conflits armés, mais aussi par une prise de conscience de l’importance de préserver la diversité des espèces animales et végétales, qui est essentielle à l’équilibre de la vie sur Terre, y compris pour notre propre survie.
Michael A. Little ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.