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23.12.2025 à 16:53

De Ford à Tesla : ce que l’automobile nous apprend sur l’art de s’adapter

Norchene Ben Dahmane Mouelhi, Marketing, ESCE International Business School
Frédéric Aubrun, Enseignant-chercheur en Marketing digital & Communication au BBA INSEEC - École de Commerce Européenne, INSEEC Grande École
Nathalie HERITIER, Professeur de Marketing - Responsable de la Spécialisation Ingénierie d'Affaires (Campus de Lyon), ESCE International Business School
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L’automobile traverse une crise majeure. Pourtant, de Ford à Toyota, ce secteur a toujours su s’adapter. Décryptage d’un siècle de révolutions organisationnelles.
Texte intégral (1385 mots)
De Ford à Tesla, l’histoire de l’industrie automobile et celle du management sont liées. PxHere, CC BY

L’automobile a longtemps été au centre des mutations de l’économie capitaliste. Ce secteur a même inventé des modes de management : du fordisme au toyotisme. Sans oublier le controversé Tesla et son dirigeant aussi connu que sujet de critiques. Mais qu’en est-il vraiment ?


Ford, Toyota, Tesla… Derrière ces marques emblématiques se cachent des modèles de gestion et de management enseignés dans les écoles de commerce. Le contexte historique de chaque modèle impose aussi de s’adapter et de se renouveler.

Le fordisme : un premier modèle critiqué

En 1913, Henry Ford propose de lancer la Ford T comme modèle unique de voiture, proposée en une seule couleur : « Le client peut avoir une voiture de la couleur qu’il veut, tant qu’elle est noire ». Il va alors mettre en place un système de travail à la chaîne inspiré des abattoirs de Chicago en proposant que ce ne soit plus l’ouvrier qui se déplace mais la voiture qui vienne à l’employé posté.

Cette idée révolutionnaire, désignée par le terme d’« organisation scientifique du travail » (OST), a permis à l’entreprise un gain sur le temps de production (en passant de 12 heures à 93 minutes) avec un prix plus abordable (de 850 dollars à 260 dollars). Un an après, en 1914, Ford propose d’augmenter les salaires des employés à 5 dollars par jour pour leur permettre d’acheter les voitures qu’ils fabriquent. La Ford T devient alors l’une des voitures les plus vendues dans le monde. Cependant, ce modèle de production, aliénant et déshumanisé, ne tarde pas à subir des critiques, immortalisées par Charlie Chaplin en 1936 dans son film les Temps Modernes.


À lire aussi : Tesla en route pour les profits : mirage ou réalité ?


Et General Motors inventa le contrôle de gestion

Face à l’uniformisation excessive promue par le système de Ford, Alfred Sloan, président de General Motors en 1923, propose cinq marques, allant de Chevrolet à Cadillac, et plusieurs modèles adaptés à différents segments du marché et clients. C’est lui qui inventera le contrôle de gestion : un système où chaque marque devient un « centre de profit » autonome, le siège fixant les grandes lignes et les stratégies du groupe. Pour Sloan, il est important de « centraliser grâce à la décentralisation » ou encore « décentraliser les opérations, centraliser le contrôle ». Ce modèle de management permettra à GM de rester leader de son marché pendant 77 ans.

Le Kaizen par Toyota

Dans un contexte de post-guerre en 1950 où le Japon essaye de se reconstruire, Kiichiro Toyoda et l’ingénieur Taiichi Ohno se fixent comme défi de trouver un modèle de management novateur qui pourrait détrôner le fordisme. La production massive associée à ce premier modèle d’organisation du travail est jugée inadaptée à leur petit pays. Ils décident donc de produire à la demande ce qui est commandé, sans gaspillage. Ils suggèrent alors le Kaizen, un processus d’évaluation dans lequel chaque employé peut suggérer des améliorations. Ce sont les prémices du cercle de qualité en méthode de gestion. Cette philosophie pousse les individus à se surpasser avec des petits pas et le désir permanent de l’amélioration continue.

Ce concept a été vulgarisé en 2024 par Inoxtag, un jeune youtubeur qui ne pratiquait pas de sport, qui se fixe alors le défi de se challenger et de gravir l’Everest dans un documentaire vu par plus de 43 millions de personnes.

Stellantis ou le géant aux 14 marques

L’exemple du groupe Stellantis met en lumière la difficulté de gérer différentes marques, différentes usines dans différents pays avec des cultures différentes. En 2021, PSA Fiat et Chrysler ont fusionné.

Carlos Tavares, à la tête du groupe, a choisi une approche darwinienne selon laquelle chaque marque peut se gérer seule et être rentable ou disparaître. Il fallait dans ce contexte gérer un paradoxe : partager une chaîne de valeur éclatée par pôle d’expertise et commune à toutes les marques du groupe Stellantis, tout en cherchant à différencier les marques au détriment du contrôle de la chaîne de valeur. Cette situation reflète bien la réalité du XXIe siècle où le management devient une affaire de survie des entreprises et non pas seulement de performance.

Tesla : le management disruptif controversé

Si de nombreuses entreprises ont adopté un management disruptif, Tesla a une valeur d’exemplarité dans le secteur automobile. Fondée en 2003, elle fonctionne en mode start-up, à savoir comme une entreprise technologique qui mise sur l’innovation pour s’adapter à l’évolution du marché de l’automobile. Elon Musk, son dirigeant depuis 2004, va jusqu’à livrer lui-même les voitures à certains clients privilégiés. Ceci est difficilement transposable à l’international.

Arts et métiers Alumni, 2019.

La recherche-développement est aussi au cœur du modèle de management de Tesla (Tesla dépense en R&D 5 203 euros contre 1 000 euros chez la concurrence). Certains critiquent Tesla et notamment les conditions de travail controversées, le fait par exemple que la plupart des composants de la voiture soient chinois ou la gestion financière fragile. Il est aussi à noter que la concurrence (Mercedes, Audi, BMW, Aston Martin) s’est lancée dans une véritable course de production d’automobiles électriques, notamment face à la domination des entreprises chinoises.

De quoi sera fait demain ?

De 1903 à aujourd’hui, de Ford à Tesla en passant par Toyota, GM ou Stellantis, on peut voir que tous ces exemples révèlent qu’il est possible de voir que les révolutions opérées ne sont pas brutales, il est important d’évoluer et de s’adapter.

Le management lui aussi n’est pas figé dans le temps. Chaque modèle managérial est la résultante de plusieurs paramètres en partant d’un mécanisme spécifique à un contexte, un pays, une période, une culture.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

23.12.2025 à 16:52

La location de jouets, une nouvelle tendance pour Noël ?

Service Environnement, The Conversation France
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Pour Noël, pourquoi ne pas louer les jouets ? Économique et écologique, cette idée venue des ludothèques revient en force. Mais tous les jouets s’y prêtent-ils ?
Texte intégral (705 mots)

Et si, pour Noël, on troquait l’achat de jouets contre la location ? Moins coûteuse, plus écologique, cette solution remise au goût du jour par plusieurs marques s’inspire des ludothèques. Reste une question : tous les jouets sont-ils adaptés à ce modèle ?


Et si pour Noël, vous offriez au petit dernier des jouets de location plutôt que des objets coûteux qui finissent souvent au fond d’un placard ? L’intérêt est à la fois d’ordre économique mais aussi écologique : la durée de vie des jouets est courte. Les enfants eux-mêmes expriment une préoccupation environnementale grandissante.

Dans ce contexte, les marques de jouets commencent à proposer de nouveaux services, comme la location. Mais ces entreprises très médiatisées à la faveur de cette pratique sont-elles vraiment des pionnières ?


À lire aussi : Depuis quand offre-t-on des jouets aux enfants à Noël ?


La ludothèque, une invention ancienne

La location de jouets existe en réalité en France depuis 1968, où a ouvert la toute première ludothèque à Dijon. Une ludothèque, mot formé à partir du latin ludus « jeu » et du grec θήκη/thḗkē « lieu de dépôt », c’est un lieu qui met à la disposition de ses membres des jouets et des jeux de société en prêt. On peut aussi jouer sur place, dans des espaces dédiés, ce qui favorise les rencontres et les liens sociaux.

Des entreprises ont ainsi eu l’idée de remettre au goût du jour ce concept. Par exemple Lib&Lou, la première plateforme de location de jouets et jeux éducatifs, créée en 2019. Elle dispose d’un partenariat avec le leader du marché de location de jeux et de matériels éducatifs écoresponsable, Juratoys, entreprise jurassienne qui propose des jouets en bois de haute qualité.

Autre acteur sur le marché, Les Jouets voyageurs proposent trois formules d’abonnements, qui permettent de choisir des jouets de seconde main dans un catalogue en ligne, puis de changer tous les mois de jouets. La marque a également développé un service de rénovation des jouets usagés, autre tendance de fond depuis la loi de janvier 2023 qui impose aux magasins spécialisés dans la vente de jouets de proposer, sans condition d’achat, un service de reprise des jouets usagés

Miljo.fr, nouvel entrant sur le marché, offre également des formules d’abonnement pour ses jouets de seconde main. La marque propose des services aux structures d’accueil de la petite enfance et aux professionnels du jouet.

Une solution gagnant-gagnant

La location de jouets présente de nombreux avantages. D’un point de vue économique, elle coûte souvent moins cher que l’achat. D’un point de vue écologique, elle permet de réduire le gaspillage et les déchets car les jouets sont réutilisés. Enfin, d’un point de vue pratique, elle évite de devoir stocker des jouets encombrants lorsque les enfants grandissent. En somme, la location de jouets est une solution gagnante pour les parents, les enfants et l’environnement.

Quelques questions restent cependant en suspens : toutes les marques peuvent-elles adhérer à ce concept, par exemple pour des questions d’hygiène ? Par exemple, une poupée Corolle en location peut-elle survivre au passage des désinfectants nécessaire pour garantir une propreté irréprochable aux futurs utilisateurs ?


Cet article est la version courte de celui publié par Elodie Jouny-Rivier (ESSCA School of Management) en juillet 2024.

The Conversation

Service Environnement ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

23.12.2025 à 16:51

République serbe de Bosnie : les enseignements d’une présidentielle très serrée

Neira Sabanovic, Doctorante en science politique, Université Libre de Bruxelles (ULB)
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L’homme fort de la République serbe de Bosnie, Milorad Dodik, a été écarté de la présidence de l’entité, mais a réussi à faire élire à sa place un représentant de son parti.
Texte intégral (2408 mots)

Contraint à la démission par une décision de justice, Milorad Dodik, dirigeant de longue date de la République serbe (l’une des deux entités composant la Bosnie-Herzégovine), proche de Belgrade, de Budapest et de Moscou, n’a pas tout perdu : la présidentielle a été remportée de justesse par un de ses proches, Siniša Karan. Pour autant, l’opposition, malgré un candidat peu connu, a failli l’emporter, et le taux de participation a été très bas. Le parti de Dodik parviendra-t-il à conserver la haute main sur ce territoire miné bien plus par la corruption et le clientélisme que par les tensions ethnonationales ?


Le 23 novembre 2025, l’entité serbe de la Bosnie-Herzégovine, communément appelée République serbe de Bosnie (Republika Srpska, RS), a tenu une élection présidentielle anticipée qui a vu la victoire étriquée de Siniša Karan avec 50,8 % des suffrages. Le candidat issu du Parti social-démocrate indépendant (Savez nezavisnih socijaldemokrata, SNSD) de l’ancien président Milorad Dodik s’est imposé face à Branko Blanuša, du Parti démocrate serbe (Srpska demokratska stranka, SDS), qui a remporté 48,8 % des voix.

Le scrutin est intervenu après une période d’importantes turbulences politiques en Bosnie-Herzégovine suite à la condamnation de Milorad Dodik, le 26 février 2025, par la Cour constitutionnelle du pays pour avoir défié l’autorité du Haut Représentant (Office of the High Representative, OHR). Cette condamnation a abouti à la mise à l’écart de Milorad Dodik de la scène politique et à la convocation d’élections anticipées.

L’issue serrée de la présidentielle illustre, d’une part, la capacité du SNSD à maintenir son emprise sur l’appareil politique local, mais aussi, d’autre part, la fragilisation progressive du parti et du leadership de Dodik et un début de recomposition du paysage politique de la RS.

Un système institutionnel hérité de Dayton

La Bosnie-Herzégovine fonctionne depuis les accords de paix de Dayton (qui ont marqué la fin du conflit armé en 1995 et dont l’Annexe 4 constitue la Constitution) sur un modèle de consociationalisme ethnique et de fédéralisme complexe.

L’État est composé de deux entités territoriales : la Fédération de Bosnie-Herzégovine, elle-même divisée en dix cantons majoritairement bosniaques et croates ; et la Republika Srpska, qui est davantage centralisée. À ces entités s’ajoutent les municipalités ainsi que le district autonome de Brčko. Le niveau étatique comporte deux assemblées parlementaires (la Chambre des représentants et la Chambre des peuples), dont la composition reflète le partage du pouvoir entre les peuples constituants du pays : les Bosniaques, les Croates et les Serbes (selon le dernier recensement, effectué en 2013, le pays est composé de 50,1 % de Bosniaques, 30,8 % de Serbes, 15,4 % de Croates et 3,7 % d’« Autres »). Le système est supervisé par le Bureau du Haut Représentant (OHR), une institution internationale chargée de veiller à l’application civile de Dayton et dotée de larges « pouvoirs de Bonn » lui permettant d’imposer des lois ou de démettre des responsables.

L’Allemand Christian Schmidt, l’actuel Haut Représentant, nommé en 2021 par les pays du Conseil de la mise en œuvre de la paix (Peace Implementation Council, PIC), est contesté par la Republika Srpska et par la Russie, qui refusent de reconnaître sa légitimité en raison de l’absence d’aval du Conseil de sécurité de l’ONU pour sa nomination. Ce refus de soutenir Christian Schmidt s’inscrit dans le projet russe et chinois de suppression du Bureau du Haut Représentant afin d’élargir leur sphère d’influence dans le pays et de déstabiliser cette région située aux frontières de l’Union européenne.

La figure politique dominante de la RS, Milorad Dodik, 66 ans aujourd’hui, président de la RS de 2010 à 2018 et de 2022 à 2025, a commencé sa carrière en 1996 comme acteur politique modéré soutenu par les États occidentaux, avant d’opérer un tournant nationaliste en 2006. Il s’est alors progressivement imposé comme le principal leader politique serbe du pays, en développant une rhétorique nationaliste serbe radicale, un discours de haine et un système de pouvoir fondé sur la corruption et le clientélisme qui lui a valu plusieurs sanctions internationales. Son style politique s’est ensuite centré essentiellement sur une rhétorique sécessionniste prônant l’indépendance de l’entité serbe.

Des élections dominées par Milorad Dodik

Malgré ses déclarations répétées selon lesquelles il ne se soumettrait pas aux institutions de Bosnie-Herzégovine, Dodik a finalement accepté la décision de justice en convertissant sa peine d’un an de prison en une amende de 18 000 euros, reconnaissant ainsi implicitement l’autorité de la Cour de Bosnie-Herzégovine.

Après sa condamnation par la justice bosnienne, Dodik s’est empressé de désigner une membre de son entourage proche, Ana Trišić Babić, comme présidente par intérim malgré l’absence de base légale pour cette nomination. Dodik et l’élite politique se tenant derrière lui se sont d’abord opposés à l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle en RS, et l’ancien président de la RS a à nouveau menacé d’organiser un référendum à ce sujet, avant de revenir sur cette idée. La nomination d’Ana Trišić Babić illustre cette stratégie d’« occupation » institutionnelle du SNSD qui vise à conserver le levier exécutif quelles que soient les décisions judiciaires ou internationales. L’épisode a renforcé l’image d’un exécutif de la RS prêt à contourner les normes formelles pour prolonger son influence.

La campagne électorale a reproduit les traits récurrents du style politique de Dodik et de son environnement. En mobilisant son registre habituel basé sur un nationalisme serbe agressif et un narratif sécessionniste, Dodik a saturé l’espace médiatique par des discours clivants. Karan, pour sa part, s’est présenté comme le garant de la continuité, fort de son profil technocratique et de son ancrage dans l’appareil sécuritaire en tant qu’ancien ministre de l’intérieur. Face à Karan, le SDS a présenté Branko Blanuša, un universitaire peu connu et sans ancrage politique large, une stratégie de l’opposition qui n’a pas réussi à incarner une alternative crédible face au SNSD.

Sur le plan procédural, l’élection a été entachée d’allégations d’irrégularités dans plusieurs bureaux, notamment dans les villes de Doboj et Zvornik, où l’opposition et la Commission électorale centrale (Centralna Izborna Komisija, CIK), chargée de l’organisation et la supervision de l’ensemble des élections dans le pays, ont dénoncé des pratiques d’abus de fonds publics durant la campagne, de pression sur les électeurs et d’anomalies dans les listes de vote.

Ces incidents s’inscrivent dans des tendances structurelles de clientélisme, de capture des administrations locales et de fragilité des garanties électorales. Les réseaux de dépendance économique et administrative (emplois publics, marchés, transferts) restent des instruments puissants de mobilisation et de contrôle politique en RS.

La manœuvre diplomatique et financière en coulisses a aussi joué. Le desserrement partiel et contesté des pressions internationales a été exploité par les pro-Dodik. En octobre 2025, les sanctions américaines imposées à son réseau proche depuis 2017 ont été levées et ont permis au camp pro-Dodik d’affirmer avoir obtenu une forme de « réhabilitation » internationale et d’afficher un argument électoral de légitimation.

La levée de ces sanctions s’inscrit dans une longue campagne de lobbying probablement financée par l’argent public de la RS. Parallèlement, la Russie et la Hongrie ont maintenu un appui politique visible, marqué par des messages de félicitations et des rencontres bilatérales, renforçant le narratif selon lequel la RS disposerait de parrains internationaux face à l’Occident.

Un tournant pour le SNSD et l’avenir politique de Dodik ?

Toutefois, ces élections indiquent une mutation importante dans la carrière politique de Milorad Dodik et la popularité du SNSD, qui semble s’essoufler. En effet, la mise à l’écart de Dodik de toute fonction publique pendant six ans ouvre une période d’incertitude pour le SNSD, déjà marqué par l’usure du pouvoir, et pourrait encourager certains de ses cadres et membres à prendre leurs distances pour préserver leur propre carrière politique.

L’élection de Karan assure pour le moment la continuité d’un modèle politique centré sur le contrôle partisan des institutions, la politisation des forces de sécurité et la circulation de ressources vers des réseaux clientélistes.

L’opposition, fragilisée par le choix d’un candidat peu visible et par l’absence d’une stratégie unifiée, sort affaiblie et risque de ne pas pouvoir jouer efficacement son rôle de contre-pouvoir.

Toutefois, la victoire étroite du candidat du SNSD et le taux de participation très faible soulignent un désenchantement croissant. L’élite politique semble éloignée des besoins concrets des citoyens de la RS au profit d’une rhétorique axée sur les prétendues tensions ethnonationales. Les derniers résultats électoraux du SNSD, en recul par rapport aux cycles précédents, confirment une érosion du soutien populaire. De plus, la non-participation à la présidentielle d’un des partis les plus populaires en RS, le Parti du progrès démocratique (Partija Demokratskog Progresa, PDP), aurait dû assurer une victoire aisée pour Karan face au SDS, dont le soutien populaire a également été ébranlé ces dernières années. Le succès de Karan s’explique ainsi par la faiblesse de la stratégie de l’opposition et non pas par la popularité du SNSD.

Au plan international, la victoire de Karan maintient les liens géopolitiques de Dodik avec Moscou et Budapest, tandis que les partenaires occidentaux, malgré certaines sanctions et interventions à l’encontre de la personne de Dodik comme celles de l’Allemagne et de l’Autriche, peinent à imposer des corrections structurelles durables.

De plus, cette période électorale a vu émerger une période de tension avec Aleksandar Vučić, le président serbe, dont Milorad Dodik est très proche. Belgrade a notamment exprimé son mécontentement face à la nomination d’Ana Trišić Babić et au retrait soudain de certaines lois déclarées inconstitutionnelles, notamment celles en vertu desquelles Dodik a été condamné par la justice. Le malaise de Belgrade tient probablement au fait que, en obtempérant aux décisions de la justice bosnienne et en retirant les lois inconstitutionnelles, Dodik a implicitement reconnu l’autorité des institutions centrales de Bosnie-Herzégovine. Toutefois, cette séquence allait à l’encontre de la stratégie de Vučić, qui a historiquement tiré parti de la contestation institutionnelle menée par la RS pour maintenir une influence discrète et une instabilité politique maîtrisée au sein de la Bosnie-Herzégovine.

En conclusion, la récente présidentielle a confirmé que la problématique bosnienne ne relève pas de rivalités ethnonationales. Le clientélisme, la faiblesse des institutions et la capture des médias publics créent un terrain propice à une gouvernance de plus en plus autoritaire, personnalisée et centralisée autour du clan Dodik. Sans réformes institutionnelles fortes et sans restauration de mécanismes indépendants de contrôle, la RS se retrouve dans un cycle de normalisation d’un pouvoir personnalisé avec le SNSD à sa tête, malgré la volonté des partis de l’opposition, même si ceux-ci s’inscrivent pour la plupart dans un courant idéologique nationaliste serbe, de collaborer avec les institutions centrales et apaiser les tensions cycliques initiées par Milorad Dodik.

The Conversation

Neira Sabanovic bénéificie d'une bourse de recherche Aspirant du Fonds national de la recherche scientifique (FNRS - Belgique) pour mener sa recherche doctorale.

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