02.10.2025 à 22:30
(Washington, 2 octobre 2025) – Les discours prononcés par le président des États-Unis Donald Trump et par le Secrétaire à la Défense Pete Hegseth devant des hauts responsables militaires le 30 septembre suscitent de graves inquiétudes quant à la volonté de l'administration de déployer des forces de combat lors de missions de maintien de l'ordre à l’intérieur du pays, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Si elles étaient mises en œuvre, ces propositions constitueraient une violation flagrante du droit américain et risqueraient d'entraîner des violations généralisées des droits humains.
Dans son discours prononcé à la base des Marines de Quantico, en Virginie, le président Trump a affirmé que l'armée américaine devrait être utilisée sur le territoire national pour faire face à une « guerre émanant de l’intérieur » (« a war from within »), ajoutant que les villes américaines pourraient servir ainsi de « terrains d'entraînement » pour les forces armées. Ce discours fait suite à l'utilisation illégale de la force létale par l'administration Trump contre des bateaux vénézuéliens, et a été prononcé quelques jours après la publication par la Maison Blanche d'un mémorandum sur la nécessité d'enquêter sur de présumés liens entre des organisations de la société civile et des « complots terroristes ».
« L'administration Trump affirme d'abord que l'armée devrait devenir plus létale tout en étant moins tenue de rendre des comptes, et menace ensuite de déployer des troupes dans des villes américaines dans une démonstration de force », a déclaré Tanya Greene, directrice du programme États-Unis à Human Rights Watch. « C'est une recette pour un désastre. »
Plusieurs lois américaines régissent la démarcation claire entre l'armée américaine et les forces de l'ordre nationales. La loi Posse Comitatus interdit le recours à l'armée ou à l'armée de l'air américaines pour faire respecter la loi nationale, sauf autorisation expresse du Congrès américain. L'administration Trump a néanmoins déployé des forces dans les villes américaines en s'appuyant sur un ensemble d'autorités contestées, notamment un mémorandum présidentiel visant à fédéraliser les unités de la Garde nationale et des arguments invoquant la nécessité de protéger les biens fédéraux ou les « fonctions fédérales ». La légalité de ces mesures a été vivement contestée.
Dans son discours, Pete Hegseth a évoqué sa volonté de mettre en place des mesures visant à parvenir à une « létalité maximale » de l’armée, à abaisser les normes en matière de fautes professionnelles et à modifier certaines règles d'engagement militaire qu’il a qualifiées de « politiquement correctes ». Qu'il mette ou non ces plans à exécution, un tel discours risque de créer un environnement propice aux violations des droits humains et rend la perspective d'un déploiement illégal sur le territoire national encore plus alarmante, a déclaré Human Rights Watch.
Si le droit international relatif aux droits humains n'interdit pas aux États d'utiliser l'armée dans le cadre de missions de maintien de l'ordre, les forces militaires sont généralement mal adaptées à cette tâche. Les normes internationales en matière de droits humains relatives au maintien de l'ordre mettent l'accent sur la retenue et le respect des droits humains, la force et les armes à feu ne pouvant être utilisées que dans des circonstances extrêmement limitées.
Les forces militaires sont principalement formées au combat, et non à l'application efficace de la loi dans le respect des droits, et ce décalage crée un risque inhérent de violations graves. Aux États-Unis, l'un des épisodes les plus traumatisants de la guerre du Vietnam s'est produit à l'université de Kent State, dans l'Ohio, en 1970, lorsque des soldats de la Garde nationale ont ouvert le feu sur des étudiants non armés, tuant quatre d'entre eux.
Human Rights Watch a documenté des violations dans plusieurs pays à travers le monde liées à l'utilisation des forces militaires pour réprimer la dissidence ou assumer des rôles de maintien de l'ordre. Les forces militaires du Zimbabwe ont utilisé une force excessive et meurtrière pour réprimer les manifestations nationales à la mi-janvier 2019. Au Mexique, les gouvernements successifs ont fait appel à l'armée pour lutter contre la criminalité, les soldats commettant des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et des actes de torture.
Au Brésil, les forces militaires déployées pour faire respecter la loi ont commis des abus, notamment des meurtres et des actes de torture, qui n'ont pas fait l'objet d'enquêtes ni de sanctions appropriées. Le Myanmar, l'Égypte et la Thaïlande, entre autres, ont tous mené des répressions meurtrières contre des manifestations avec leurs forces militaires.
Le projet annoncé par Pete Hegseth visant à supprimer les plaintes anonymes et à restreindre la dissidence interne réduirait au silence les lanceurs d'alerte et les victimes de harcèlement, a déclaré Human Rights Watch. De telles mesures pourraient violer les protections prévues par la législation américaine et compromettre la capacité de personnes lésées à demander réparation.
Les responsables locaux et régionaux, en particulier les gouverneurs qui ont autorité sur les forces de la Garde nationale, devraient s'élever contre toute tentative visant à transformer l'armée en une force de police nationale, a déclaré Human Rights Watch. Les dirigeants des deux partis au Congrès devraient clairement indiquer qu'ils attendent de l'armée américaine qu'elle agisse selon les normes les plus élevées de professionnalisme. Les canaux de dénonciation devraient être protégés.
« L'administration Trump a inventé une série d'affabulations absurdes qui ont déjà eu de graves conséquences sur les droits humains depuis le début de son deuxième mandat », a conclu Tanya Greene. « Il n'y a aucune raison ni aucune justification légale pour une utilisation désastreuse des forces militaires sur le sol américain. »
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02.10.2025 à 22:25
Le 17 septembre, les autorités tchadiennes ont publié un décret visant à retirer la nationalité du blogueur Makaila Nguebla et du journaliste Charfadine Galmaye Saleh. Cette mesure marque une escalade inquiétante de la répression de la dissidence. En utilisant la citoyenneté comme une arme politique, le gouvernement viole non seulement le droit international, mais franchit également une ligne qui menace les droits de deux détracteurs importants, ainsi que les fondements mêmes de la vie civique au Tchad.
Makaila Nguebla et Charfadine Galmaye Saleh sont tous deux connus pour leurs critiques à l'égard du gouvernement tchadien. Le premier est un blogueur, activiste des droits humains et ancien conseiller du président en matière de droits humains. Le deuxième est rédacteur en chef de Tchad One, un important média en ligne. Les deux hommes sont actuellement en exil pour des raisons de sécurité. Faire d'eux des exemples en tentant de les déchoir de leur citoyenneté constitue non seulement une violation de leurs droits fondamentaux, mais crée également un climat de peur pour tous les dissidents locaux. Les journalistes, les militants et les citoyens ordinaires sont contraints de peser le pour et le contre entre leur droit à la liberté d'expression et la menace existentielle de perdre leur statut, leur identité et leur sécurité en tant que citoyens.
La Déclaration universelle des droits de l'homme stipule que toute personne a droit à une nationalité qui ne doit jamais être révoquée de manière arbitraire ou d'une manière qui conduirait à l'apatridie. Cette norme juridique est renforcée par plusieurs conventions internationales et régionales africaines auxquelles le Tchad est un État partie. Pourtant, le Tchad prétend faire exactement cela. La citoyenneté n'est pas simplement un passeport ou une classification bureaucratique. Il s'agit d'un statut juridique fondamental auquel sont attachés de nombreux droits civils et politiques. Sans citoyenneté, les individus perdent une source de protection essentielle et sont exposés à des violations des droits telles que la détention arbitraire, l'ingérence dans leur vie privée et familiale, l’interdiction d'accès à leur pays et d’autres privations.
Cette mesure a été annoncée alors que la situation des droits humains au Tchad continue de se détériorer : des dirigeants de l'opposition sont condamnés à de longues peines de prison, la société civile et les journalistes sont de plus en plus réprimés, les forces de sécurité sont accusées de commettre des actes de violence en toute impunité et le président continue de consolider son pouvoir. Alors que des tentatives étaient faites pour retirer leur citoyenneté à Makaila Nguebla et Charfadine Galmaye Saleh, l'Assemblée nationale a voté la suppression de la limitation du nombre de mandats présidentiels. Qui osera maintenant s'élever contre cette décision ?
Ce que le gouvernement espère gagner à court terme en bannissant deux détracteurs coûtera cher au pays en termes de légitimité et de stabilité. Lorsque la citoyenneté devient un pion entre les mains de ceux au pouvoir, l'État de droit s'effondre et, avec lui, les perspectives d'un Tchad plus démocratique et respectueux des droits humains.
01.10.2025 à 22:22
Le jugement prononcé le 30 septembre par un tribunal militaire congolais à l'encontre de l'ancien président Joseph Kabila, incluant sa condamnation à mort, met en évidence le fragile équilibre entre l’obligation de rendre des comptes et la stabilité politique en République démocratique du Congo. Ce procès, pour des chefs d'accusation allant de la trahison aux crimes de guerre, avait toutes les caractéristiques d'une vendetta politique, menaçant à la fois l'État de droit et l'avenir démocratique du pays.
Il est incontestable que la RD Congo a connu des violations catastrophiques des droits humains sous différents gouvernements successifs et que les anciens hauts fonctionnaires devraient répondre de leurs méfaits. Les forces de sécurité gouvernementales ont commis de nombreux abus pendant les 18 années au pouvoir de Joseph Kabila. Human Rights Watch et d'autres organisations ont appelé à plusieurs reprises à ce que justice soit rendue. Cependant, la reddition de comptes perd tout son sens lorsqu'elle se fait à travers des processus qui s'apparentent à des simulacres de procès.
Le tribunal militaire a jugé Joseph Kabila par contumace et sans la présence d’un avocat de la défense, en violation du droit à un procès équitable prévu par le droit international relatif aux droits humains. La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), dans son interprétation de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, a déclaré que les tribunaux militaires « ne devraient en aucun cas avoir compétence sur les civils ».
Le moment choisi pour ce procès est également suspect. Joseph Kabila reste une figure majeure de la politique congolaise, et le président Félix Tshisekedi pourrait le considérer comme une menace politique alors que le gouvernement lutte contre le groupe armé M23 soutenu par le Rwanda, dans l'est de la RD Congo. Plus tôt cette année, après le retour de Joseph Kabila du territoire contrôlé par les rebelles et ses critiques publiques à l'égard du président congolais, les autorités ont tenté de faire taire le débat public sur l'ancien président.
Les poursuites judiciaires précipitées et d’une flagrante iniquité à l'encontre de Joseph Kabila ressemblent moins à une quête de justice qu'à une stratégie calculée visant à éliminer un adversaire politique, remettant en question l'intégrité de l'ensemble du système judiciaire congolais.
Cette question dépasse largement le cas de Joseph Kabila lui-même. Refuser à un ancien président une procédure équitable envoie un message effrayant, laissant entendre que d'autres opposants politiques pourraient subir le même traitement. Ce procès indique que le droit à un procès équitable est conditionnel, dispensable lorsqu'il dérange, sapant le principe même de l'égalité devant la loi.
Le jugement, dont la peine de mort, prononcé à l'encontre de Joseph Kabila met en évidence la nécessité pour la RD Congo de mettre en place des institutions suffisamment solides pour traduire en justice les responsables d'abus passés et présents, et de cesser d'utiliser les tribunaux pour régler des comptes politiques. En RD Congo, où les notions de stabilité et de réel progrès démocratique restent des aspirations, le procès de Joseph Kabila n'est pas un triomphe de la justice : c’est plutôt un signal d'alarme qui annonce une dérive autoritaire de plus en plus marquée.