09.12.2025 à 19:14
(Washington, le 9 décembre 2025) - Les gouvernements partenaires des États-Unis dans les efforts de lutte contre le narcotrafic devraient rejoindre les autres nations qui ont publiquement critiqué les frappes illégales de l’administration Trump contre des bateaux suspectés de narcotrafic, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Les gouvernements de ces pays – le Canada, le Royaume-Uni, le France et les Pays-Bas, parmi d’autres - devraient prendre des mesures pour déterminer si certaines activités de partage de renseignements avec les États-Unis risquent de les rendre complices de ces frappes. Ils devraient rendre publiques toutes les évaluations légales internes visant à établir si les frappes américaines constituent une violation du droit international, s’appuyer sur leurs relations bilatérales pour faire part directement de leurs préoccupations aux responsables américains et demander que les auteurs de ces frappes en soient tenus pénalement responsables, à titre individuel.
« Le Royaume-Uni, le Canada et d’autres nations alliées qui sont partenaires des États-Unis dans la lutte contre le trafic de stupéfiants disposent largement de preuves indiquant que ce pays tue illégalement des gens en mer », a déclaré Sarah Yager, directrice du bureau de Washington de Human Rights Watch. « L’ordre international basé sur des règles repose sur le fait que les pays dénoncent les violations, même lorsqu’elles sont commises par des amis puissants. »
Depuis la mi-septembre 2025, l’administration Trump a mené au moins 23 frappes militaires mortelles contre des bateaux en mer des Caraïbes et dans des régions voisines de l’océan Pacifique et tué 87 personnes, assurant que ces frappes ciblaient des narcoterroristes menaçant la sécurité des États-Unis. Il n’y a que deux survivants connus. Les frappes américaines constituent des exécutions extrajudiciaires illégales qui violent les droits fondamentaux à la vie et à une procédure régulière, a déclaré Human Rights Watch. La loi des États-Unis et le droit international disposent que les personnes accusées de crime devraient être arrêtées et traduites en justice, et non exécutées sommairement.
Le Royaume-Uni, la France et les Pays-Bas exercent une influence importante dans les Caraïbes en raison des territoires qu’ils possèdent dans cette région. Ces trois pays participent également à la campagne Martillo, une opération multinationale de détection, de surveillance et d’interdiction du narcotrafic dans laquelle sont déployés des navires de la Marine américaine et des garde-côtes, ainsi que des unités militaires et policières issues d’une dizaine d’autres nations, dont le Canada. Ces pays devraient exercer leur devoir de vigilance et évaluer leur coopération maritime avec les États-Unis afin de s’assurer qu’ils ne risquent pas d’être complices de la campagne d’exécutions extrajudiciaires de l’administration Trump, a déclaré Human Rights Watch.
L’Australie et la Nouvelle-Zélande, membres de l’alliance « Five Eyes » aux côtés des États-Unis, du Royaume-Uni et du Canada, au sein de laquelle les gouvernements s’échangent par défaut tous les signaux et les renseignements géospatiaux, pourraient donc elles aussi se retrouver impliquées dans ces frappes et devraient prendre des mesures pour évaluer leurs propres risques. Selon l’ONG Privacy International, qui travaille sur les questions à l’intersection de la technologie et des droits, les pays de l’alliance « gèrent conjointement des centres d’opérations où des agents, issus de leurs agences de renseignement respectives, travaillent les uns avec les autres » et « le niveau de coopération défini dans l’accord est si exhaustif qu’il est souvent impossible de distinguer un produit national en particulier ».
Des représentants de la Barbade, du Belize, du Brésil, de la Chine, de la Colombie, de la France, de l’Iran, du Mexique et de la Russie ont indiqué que selon leurs évaluations, les États-Unis violaient le droit international. Cependant, le secrétaire d’État américain Marco Rubio a déclaré publiquement que lors du récent sommet du G7 au Canada, aucun diplomate ne lui avait exprimé directement de telle préoccupations. Interrogées à ce sujet, les ministres des Affaires étrangères du Canada et de l’Australie ont toutes deux laissé entendre qu’il revenait aux États-Unis d’évaluer la légalité de leur conduite.
Le 31 octobre, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a affirmé que les frappes constituaient des exécutions extrajudiciaires illégales, soulignant qu’« aucune des personnes se trouvant à bord des bateaux visés ne semblait représenter une menace imminente pour la vie d’autrui ou justifier autrement le recours à la force armée létale à leur encontre ». Le 2 décembre, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a exprimé sa profonde inquiétude concernant les frappes et a demandé aux États-Unis de « s’abstenir d’utiliser une force militaire létale dans le contexte d’opérations de sécurité publique, pour garantir que toute opération de lutte contre la criminalité et de sécurité respecte pleinement les normes internationales en matière de droits de l’homme ; de mener des enquêtes rapides, impartiales et indépendantes sur tous les décès et les détentions découlant de ces actes ; et d’adopter des mesures efficaces pour en prévenir la récurrence. »
Les gouvernements partenaires des États-Unis dans la lutte contre le narcotrafic devraient prendre des mesures pour s’assurer qu’ils ne sont pas complices de ces exécutions extrajudiciaires, notamment au travers d’activités de partage de renseignements, a déclaré Human Rights Watch.
« Le trafic de drogue est un crime grave, mais les gouvernements du monde ont élaboré de meilleurs moyens pour le combattre », a conclu Sarah Yager. « Les gouvernements devraient condamner les frappes ciblant des navires, car elles sont illégales et inefficaces. »
Suite détaillée en anglais, au sujet de l’Opération Southern Spear (« Lance du Sud » ) menée par les Etats-Unis : aspects illégaux des frappes et réactions de divers pays.
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Articles
LaLibre.be Radio-Canada
09.12.2025 à 06:00
(Beyrouth) – Les autorités tunisiennes ont arrêté trois activistes de premier plan lors des dernières semaines après leur condamnation injuste à l'issue d'un simulacre de procès portant sur des accusations de complot et terrorisme, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités devraient immédiatement annuler ces condamnations injustes, et libérer toutes les personnes détenues.
Le 28 novembre 2025, une cour d'appel de Tunis a condamné 34 accusés dans une affaire à motivation politique dite « affaire du complot », dont des opposants politiques, des activistes et des avocats, à des peines allant de 5 à 45 ans de prison. Les autorités ont depuis arrêté Chaima Issa, une activiste politique, Ayachi Hammami, un avocat des droits humains, et Ahmed Nejib Chebbi, un opposant politique de premier plan, qui ont été condamnés respectivement à 20, 5 et 12 ans de prison.
« L’arrestation de figures de premier plan de l’opposition constitue la dernière étape du plan du président Kais Saied visant à éliminer toute alternative à son pouvoir personnel », a déclaré Bassam Khawaja, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Avec ces arrestations, les autorités tunisiennes sont effectivement parvenues à mettre la majeure partie de l'opposition politique derrière les barreaux. »
Des membres des forces de sécurité en civil ont arrêté Chaima Issa, 45 ans, dans une rue de Tunis le 29 novembre, après sa participation à une manifestation dénonçant les nombreuses atteintes aux libertés et aux droits. Une vidéo circulant en ligne semble montrer son arrestation. Chaima Issa, détenue à la prison de Manouba près de Tunis, a entamé une grève de la faim le jour de son arrestation, a déclaré sa famille à Human Rights Watch. Elle a également indiqué avoir été blessée au pied lors de son arrestation.
Chaima Issa avait déjà été arrêtée en février 2023 et placée en détention provisoire mais elle avait été relâchée en juillet 2023. Condamnée en première instance à 18 ans de prison, peine portée à 20 ans en appel, Chaima Issa est membre du Front de salut national, principale coalition d'opposition au président Saied, et cofondatrice du collectif Citoyens contre le coup d'État. Ces deux organisations s'opposent à la prise de contrôle des institutions étatiques tunisiennes par le président Saied le 25 juillet 2021.
Ayachi Hammami, 66 ans, avocat et défenseur des droits, a été arrêté le 2 décembre dans sa maison d’une banlieue de Tunis. Plus tôt dans la journée, ses avocats avaient déposé un pourvoi devant la Cour de cassation, la plus haute juridiction de Tunisie, ainsi qu'une requête en suspension de l'exécution du jugement dans l'attente d'une décision définitive.
Ayachi Hammami était initialement l’un des avocats de la défense dans l'affaire du complot, mais il a été inculpé en mai 2023. Condamné en première instance à huit ans de prison, sa peine a été réduite à cinq ans en appel. Il est actuellement incarcéré à la prison de Mornaguia.
Dans une vidéo pré-enregistrée publiée après son arrestation, Hammami a déclaré que son arrestation était politique et a annoncé une grève de la faim..
Ahmed Nejib Chebbi, 81 ans, a été arrêté le 4 décembre après plusieurs jours de surveillance policière autour de son domicile. Chebbi avait boycotté le procès.
Chebbi est un avocat qui a cofondé la coalition du Front national de salut. Il a été condamné à 18 ans de prison, peine réduite à 12 ans lors d’un appel initial. Il a refusé de se pourvoir en cassation.
Le 19 avril, le Tribunal de première instance de Tunis avait condamné 37 prévenus à des peines de 4 à 66 ans d’emprisonnement pour « complot contre la sécurité de l’État » et « infractions terroristes ». Ils ont été condamnés après seulement trois audiences lors d'un procès qui a violé leurs droits à une procédure régulière.
Les accusés ont été inculpés en vertu de nombreux articles du Code pénal tunisien et de la Loi antiterroriste de 2015 de complot visant à déstabiliser le pays. Human Rights Watch a examiné des documents judiciaires de l'affaire et a conclu que les accusations étaient infondées et non étayées par des preuves crédibles.
La Cour d'appel a rendu son arrêt dans ce procès collectif après seulement trois audiences, tenues en l'absence des prévenus détenus, violant ainsi leur droit d'être physiquement présents devant un juge capable d'apprécier la légalité et les conditions de leur détention ainsi que leur état de santé. Trois prévenus ont été acquittés en appel.
Les quinze personnes condamnées dans cette affaire et se trouvant en Tunisie sont actuellement incarcérées. Les autres, qui résident à l'étranger, ont été condamnées par contumace. Human Rights Watch a déclaré que la Cour devrait immédiatement annuler ces condamnations abusives et libérer tous les détenus.
À la suite de la prise de pouvoir du président Saied, les autorités ont considérablement intensifié la répression de la dissidence. Depuis début 2023, elles ont intensifié les arrestations et la détention arbitraires des personnes de tout l'échiquier politique perçues comme critiques envers le gouvernement. Les attaques répétées des autorités contre le pouvoir judiciaire, notamment la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature par Saied, ont gravement porté atteinte à son indépendance et mis en péril le droit des Tunisiens à un procès équitable.
La Tunisie est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, qui garantissent les droits à la liberté d'expression et de réunion, à un procès équitable et à la protection contre l'arrestation ou la détention arbitraires.
« Les autorités tunisiennes ont de facto criminalisé l'opposition politique et l’activisme en faveur des droits humains, anéantissant tout espoir de retour à un processus démocratique », a conclu Bassam Khawaja. « Les partenaires internationaux de la Tunisie, notamment l’Union européenne, devraient condamner le basculement du pays vers l’autoritarisme. »
09.12.2025 à 05:00
La junte militaire au Burkina Faso a adopté un projet de loi rétablissant la peine de mort, près d'une décennie après l’abolition de cette pratique odieuse par ce pays d'Afrique de l'Ouest. La dernière exécution judiciaire connue au Burkina Faso a eu lieu en 1988.
Le 4 décembre, le Conseil des ministres de la junte a approuvé un projet de loi modifiant le Code pénal et réintroduisant la peine capitale pour des crimes tels que « la haute trahison, les actes de terrorisme, [et] les actes d'espionnage ». Le ministre de la Justice, Edasso Rodrigue Bayala, avait annoncé en novembre 2024 que « la question de la peine de mort ... est discutée et … va être instaurée ». Le projet de loi doit encore être approuvé par l’Assemblée législative de transition.
Le rétablissement de la peine de mort envoie un message effrayant aux détracteurs du gouvernement. Depuis le coup d'État militaire de septembre 2022, la junte dirigée par le président Ibrahim Traoré a fortement réduit l'espace civique et adopté des lois visant à réprimer la dissidence. Les autorités ont réduit au silence les médias, l'opposition politique et les groupes de la société civile, et ont utilisé une loi d'urgence draconienne pour détenir arbitrairement, faire disparaître de force et enrôler illégalement dans les forces armées des journalistes, des opposants politiques, des dissidents et des juges.
Le Burkina Faso reste également un foyer de violence dans la région du Sahel, où des groupes armés affiliés à Al-Qaïda et à l'État islamique mènent depuis 2012 un conflit armé contre le gouvernement et commettent des atrocités contre les civils. La junte a répondu aux groupes armés islamistes par des opérations de contre-insurrection abusives et a restreint les libertés et les droits fondamentaux.
Le rétablissement de la peine de mort risque d'institutionnaliser un climat de peur et de créer un nouvel outil de répression gouvernementale. Plus de 170 pays ont déjà aboli la peine de mort, ou maintiennent un moratoire sur les exécutions. L'Assemblée générale des Nations Unies et la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples ont à plusieurs reprises déclaré que les gouvernements devraient instaurer un moratoire sur la peine de mort, restreindre progressivement sa pratique et réduire le nombre d'infractions pour lesquelles elle peut être prononcée, dans la perspective de son abolition définitive. Human Rights Watch s'oppose à la peine de mort en toutes circonstances, en raison de sa cruauté inhérente.
Les défis en matière de sécurité ne devraient jamais justifier la réintroduction de châtiments irréversibles. L’Assemblée législative de transition devrait immédiatement rejeter le projet de loi, et la junte devrait promouvoir des réformes juridiques qui renforcent les garanties d'une procédure régulière, d’une justice rendue et de la responsabilisation, et non des peines draconiennes.