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24.05.2024 à 10:56

« La violence sexiste liée à l’âge, un des points aveugles du combat féministe »

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Si le combat en faveur des femmes a récemment permis de mettre au jour de nombreuses violences sexuelles, dans le sillage de #MeToo, il s’est jusqu’ici peu emparé de la question de l’âge. Un tabou qui demeure, car rares sont les femmes à oser prendre la parole à ce sujet, celles qui le font se … Continued
Texte intégral (2794 mots)

Si le combat en faveur des femmes a récemment permis de mettre au jour de nombreuses violences sexuelles, dans le sillage de #MeToo, il s’est jusqu’ici peu emparé de la question de l’âge. Un tabou qui demeure, car rares sont les femmes à oser prendre la parole à ce sujet, celles qui le font se voyant moquées et discréditées. On le sait pourtant, l’âge des femmes est un des points où s’exerce le plus violemment le sexisme, la discrimination sur le marché de la « baisabilité« , du couple ou même de l’emploi. Il existe vraiment un double standard genré du vieillissement entre femmes et hommes, ces derniers trouvant normal d’être en couple avec des femmes plus jeunes, quittant les compagnes de leur âge pour cela, et n’hésitant pas à devenir pères à un âge avancé, sans s’attirer l’opprobre social. Fiona Schmidt, écrivaine et journaliste pendant quinze ans dans la presse féminine, publie aujourd’hui un nouveau livre courageux et passionnant à ce sujet : « Vieille peau : les femmes, leur corps, leur âge » aux Éditions Belfond. Entretien avec Bénédicte Martin sur QG

QG: Fiona, dans votre livre, vous avez décidé de déconstruire l’âgisme. Vous écrivez : « La moitié de l’humanité ne subira jamais le sexisme. Une partie ne subira pas. Non plus le racisme, l’homophobie, le validisme ni le mépris de classe. Mais aucune personne n’est à l’abri des préjugés, stéréotypes et comportements discriminatoires liés à l’âgisme. » Est-ce le jour où on vous a appelé « Madame » que l’idée vous est venue d’écrire ce livre ?

Fiona Schmidt: On m’a appelé Madame très tôt. En réalité j’aurai pu écrire ce livre en premier, j’aurais pu ne pas attendre d’en être au cinquième parce que j’ai toujours été obsédée par la question du vieillissement et du rapport à l’âge car j’ai toujours fait plus vieille, plus âgée que je ne l’étais. 

Pourquoi ? parce comme beaucoup de jeunes filles j’ai été sexualisée très tôt. J’ai été pubère à dix ans, j’avais l’air d’en avoir quinze et on me traitait comme si j’en avais vingt. Tout cela a fait que je me suis toujours sentie en décalage avec mon âge ; mes âges plus exactement car j’estime que plusieurs âges ont coexistés, cohabités en moi. J’avais même une obsession de la précocité, une obsession dont je n’avais pas encore mesuré à quel point elle est capitaliste, course à la compétition mais même vis-à-vis de soi-même. Mon apparence physique participait à cela, à une maturité précoce car il y a une dimension performative à force de s’entendre dire qu’on est mûre pour son âge, on le devient et tu adoptes des comportements qui correspondent à ce que l’on attend. Notamment dans les comportements d’autrui à ton égard, et particulièrement par des hommes de l’âge de mon père.

Fiona Schmidt est écrivaine et journaliste. Elle a travaillé pendant 15 ans dans la presse féminine avant de publier: « L’amour après #MeToo », ou le best-seller: « Lâchez-nous l’utérus: en finir avec la charge maternelle » chez Hachette

Justement, même si vous dites que nul n’échappe à l’âgisme, vous placez ce combat dans une logique à caractère intersectionnel originel des luttes anti-âgistes, anti-racistes et féministes – ainsi qu’il est d’usage dans les pays anglo-saxons comme les USA... Est-ce un combat féministe ?

Bien sûr ! Il y a vraiment un double standard genré du vieillissement. Les femmes ne vieillissent pas socialement et biologiquement de la même manière que les hommes. Même si elles prennent soin d’elles car cela leur est dévolu socialement, elles sont réputées vieillir moins bien. Une expression dit que les femmes vieillissent comme le lait et les hommes comme le vin. La violence du propos !

Moi, j’ai toujours eu peur de vieillir. J’ai même pleuré le jour de mes 20 ans. On n’est pas censé parler de la peur de vieillir parce que d’une part c’est futile car c’est un sujet de femmes et on nous répète que « Vieillir est une chance. » Même si on ne dit pas que cette chance est relative à l’état de conditions, y compris économiques et que ces dernières sont inéquitablement partagées au sein de la société.

Vous notez des double-standards du vieillissement entre les hommes et les femmes. Vous évoquez les règles avec la nubilité, l’argus de l’amour, pourquoi il faut rester baisables, pourquoi si on n’a pas une vie sexuelle « épanouie », ceci est vu comme un gâchis du corps fertile. Vous parlez également de la grossesse. Pour une femme enceinte « tardivement », le corps médical parle de « grossesse gériatrique »...

Oui, c’est à partir de 35 ans en Angleterre, et 37 ans en France par exemple.

Vous pointez du doigt le fait que les hommes qui ont des bébés tardivement ne sont pas stigmatisés. La qualité de leur sperme peut pourtant poser des problèmes sur la santé de l’enfant. C’est un sujet dont on ne parle pas. La charge de la santé du bébé à venir est placée à nouveau sur les femmes !

Oui, tout comme on ne parle pas non plus de l’andropause. Tout ce qui concerne le fonctionnement du corps des hommes, y compris le fonctionnement hormonal parce que les hommes, eux aussi, ont des hormones et sont soumis à des fluctuations. Mais eux ne sont pas décrédibilisés, parce qu’eux aussi ont des variations d’humeur à cause de cela.

Le corps des hommes est réputé fonctionner impeccablement de la puberté jusqu’à leur mort. Ils sont censés pouvoir fabriquer de la jeunesse alors que leur sperme pourrait provoquer des malformations congénitales, des cancers infantiles, des troubles psychiatriques chez l’enfant. Les hommes se considèrent un peu comme « Tistou les bourses vertes » !

Et rien dans la société ne conteste cette haute opinion qu’ils ont d’eux-mêmes, donc c’est normal. Par exemple, mon conjoint qui est plus âgé que moi, « déconstruit », et socialement plutôt en haut de l’échelle, n’avait jamais entendu de l’andropause ! D’ailleurs moi-même en écrivant ce livre, j’ai appris énormément de choses sur la ménopause. Cette dernière a été tellement diabolisée, tellement pathologisée que je ne voulais pas savoir en fait !

Pour revenir à la quarantaine chez une femme, vous écrivez : « C’est un fait, c’est l’âge où une femme hétéro est le plus mature sur le terrain de l’érotisme, le plus en phase avec ses propres désirs. » Mais vous évoquez justement a contrario le fait que c’est une sorte de « ménopause sociale ».

Totalement. La ménopause sociale est très inscrite dans notre inconscient collectif. Une femme à partir de 40 ans est censée être mère mais n’est plus censée devenir mère. On peut éventuellement avoir un petit enfant sur le tard mais plus devenir mère pour la première fois après 40 ans. Alors qu’un jeune père de 40 ans est félicité. Ce type de préjugés est véhiculé par le corps médical qui a tendance à sur-fliquer le corps des femmes à partir d’un certain âge, concernant la grossesse.

À ce propos, concernant le corps des femmes de 40 ans, il y a une fétichisation presque malsaine qui a émergé, comme vous le notez : les MILF (Mother I Want To Fuck), ou les cougars. Ces corps ont pour les hommes un usage récréatif et non potentiellement reproductif.

Absolument mais c’est également très ambivalent car c’est encore le corps masculin qui érotise le corps féminin à son usage personnel mais revanche, le fait qu’une femme ménopausée puisse envisager d’avoir une vie sexuelle, des désirs, est mal admis.

Même le terme cougar est révélateur car d’abord, cougar, c’est un animal d’une part, et dangereux d’autre part. Il n’y a pas d’équivalent pour les hommes. Un homme du même âge qui a des relations avec une femme plus jeune est juste un homme. Le fait de traduire par cette désignation cette activité sexuelle prouve qu’elle est considérée comme hors-norme.

Le top model Elle Macpherson, longtemps surnommée « The Body », affiche ses 60 ans radieux en une de « Elle », ce 25 avril 2024. Un discours positif pour dépasser « l’âgisme » intégré par les femmes elles-mêmes

Toujours à propos de ménopause, vous évoquez le manque de sororité ainsi que le manque d’informations alors qu’une femme française adulte sur deux est ménopausée.

C’est tabou. Même doublement tabou car déjà parler des règles est tabou. Une statistique effrayante montre que 50% des jeunes filles refusent d’en parler. La vieillesse rajoute à ce silence. Ma propre mère n’était pas préparée du tout. Elle ne se voyait pas vieillir. Lui est tombé dessus quelque chose qu’on moquait socialement car il est d’usage de faire des blagues sur ce sujet et les bouffées de chaleur ridiculisées. Elle l’a vécu en solitaire et dans la honte. Même son gynécologue, lui a fait comprendre en substance que « Être une femme, ça fait mal. Serre les dents et encaisse !« 

Mais je note qu’on commence à en parler. La ménopause est la queue de la comète de l’émancipation féministe par le corps.

Vous avez travaillé tôt et longtemps dans la presse féminine : « un métier d’illusions qui consistait à apporter des solutions et des remèdes aux complexes que j’entretenais sans en avoir conscience. J’étais grassement payée pendant 15 ans pour normaliser la frustration. Comme avec des articles pour combattre le gras, le rêche, le sec, le terne, le mou, le ridé, le relâché ». Bref, s’embaumer vivante ! Vous déclarez à propos de cette presse féminine que vous avez été une « féministe, mais. » Expliquez-nous.

Une « féministe mais » est une femme qui n’est pas sexiste mais elle trouve que certaines féministes exagèrent, qui pense que les combats ont tous été déjà menés. Une « féministe mais » est une femme qui n’a pas déconstruit ses privilèges. À cette époque, j’étais dans une bulle. Rien ne m’amenait à m’interroger sur la femme que j’étais. D’autant plus que j’ai eu la chance de recevoir une éducation non genrée, je n’ai jamais été empêchée par mon genre de faire quoi que ce soit. Il m’a fallu du temps pour me déconstruire.

En parlant de genre, vous dites qu’« échapper à l’âgisme est un privilège de genre mais aussi un privilège de classe. » Vous prenez l’exemple de Mick Jagger qui par son extrêmement bonne conservation va jusqu’à figer le temps jusqu’à la mort. Vous appelez cela l’amortalité. En revanche pour les gens « normaux », à partir d’un moment, on les éclipse. Ils disparaissent en Ehpad et on ne va plus les voir car ils sont « trop vieux. » On nous signifie que la vieillesse est honteuse, dégradante, dégoûtante même.

Notons d’abord qu’entre les hommes cadres et les hommes ouvriers, l’espérance de vie a un écart de dix ans. La perception de l’âge est certes liée au genre mais aussi à la position hiérarchique qu’on occupe au sein d’une structure.

Sur le fait d’éclipser les vieux, j’ai été choquée d’apprendre que seulement 5% de personnes qui entrent en Ehpad y entrent de leur plein gré. Et 8 pensionnaires sur 10 sont des femmes. On leur parle à la troisième personne, il y a une infantilisation insultante. Également comme une femme qui vient d’accoucher est infantilisée. Finalement la terreur des hommes vieillissants n’est pas de vieillir mais de devenir des femmes, d’occuper cette position subalterne. Ils ne sont plus chasseurs, ils se retrouvent au foyer.

Quant à l’amortalité, c’est véritablement un privilège d’hommes. La vieillesse est à ce point stigmatisée qu’il faut rester jeune jusqu’à la fin de sa vie. Il y a même une tendance très récente dessus qui porte le nom de NOLD. Ce sont des gens qui refusent de vieillir, d’ultra-privilégiés qui consacrent une grande partie de leur fortune à tester tous les traitements comme se faire oxygéner le sang, etc.

En conclusion de votre livre, vous écrivez que « Même si décider de la fin de sa vie fait justement partie des luttes qu’il nous reste à mener, à nous féministes. À mon sens, on ne peut pas défendre le droit à l’IVG sans défendre en même temps, le droit à ce que Rose-Marie Lagrave appelle l’IVV, pour l’interruption volontaire de vieillesse. »

C’est plus complexe qu’il n’y paraît, ce débat sur la fin de vie. On pourrait soupçonner le président Macron de vouloir faire passer cette loi pour s’absoudre de régler le manque de services et de moyens dans les soins palliatifs.

L’IVV ne doit pas être l’unique solution. La première des choses à gérer est le problème des soins palliatifs qui n’existent pas dans 20% du territoire en France alors que la population ne cesse de vieillir. Personnellement, je préfère choisir de mourir dignement et je ne peux le faire au sein d’une structure d’état. Vieillir dignement déjà est purement impossible. D’ailleurs j’ai appris qu’il n’y avait aucune formation en matière de soins palliatifs dans les écoles de médecine. On n’apprend pas cela.

Certes il y a une spécialité gériatrie, mais le personnel soignant de premier plan sur le terrain comme les aides-soignants, les auxiliaires de vie, les infirmières ne savent pas comment faire avec la vieillesse. Il est vital pour moi aujourd’hui d’avoir cette option sans que cela soit la seule solution. Un investissement politique, financier en termes de soins palliatifs est nécessaire. Autant je n’ai pas peur de mourir, autant j’ai peur de la vieillesse. D’où mon livre.

Propos recueillis par Bénédicte Martin

21.05.2024 à 01:22

«France: peut-on encore reprendre le contrôle ?» avec François Asselineau

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Retrouvez François Asselineau, fondateur de l’UPR, candidat aux #Européennes2024, face aux animateurs de Quartier Populaire, Aude Lancelin, Didier Maïsto et Harold Bernat, pour un grand entretien consacré à des questions de fond : le Frexit, les conflits russo-ukrainien et israëlo-palestinien, la situation en Nouvelle-Calédonie, et de nombreux autres sujets encore
Texte intégral (2794 mots)

Retrouvez François Asselineau, fondateur de l’UPR, candidat aux #Européennes2024, face aux animateurs de Quartier Populaire, Aude Lancelin, Didier Maïsto et Harold Bernat, pour un grand entretien consacré à des questions de fond : le Frexit, les conflits russo-ukrainien et israëlo-palestinien, la situation en Nouvelle-Calédonie, et de nombreux autres sujets encore

18.05.2024 à 09:29

« En Nouvelle-Calédonie, le destin commun a possiblement été détruit »

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« Combien de flics, de soldats, pour tenir Nouméa ? », questionnait Renaud dans sa chanson Triviale poursuite en 1988. La question se repose en 2024, avec l’envoi de l’armée française, décidé par le pouvoir français en réponse à l’insurrection des Kanak, en écho au vote de l’Assemblée nationale sur le dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie/ Kanaky. … Continued
Texte intégral (2587 mots)

« Combien de flics, de soldats, pour tenir Nouméa ? », questionnait Renaud dans sa chanson Triviale poursuite en 1988. La question se repose en 2024, avec l’envoi de l’armée française, décidé par le pouvoir français en réponse à l’insurrection des Kanak, en écho au vote de l’Assemblée nationale sur le dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie/ Kanaky. Pour QG, Mathias Chauchat, professeur de droit public à l’Université de Nouvelle-Calédonie, revient sur les raisons de la colère du peuple kanak, la politique coloniale perpétuée par la France sous la présidence d’Emmanuel Macron, cherchant à faire plaisir aux loyalistes, balayant par là même les propositions faites par les indépendantistes et remettant en cause la paix trouvée à la fin des années 1980, ainsi que le processus de décolonisation pourtant inscrit dans des résolutions de l’ONU. Interview par Jonathan Baudoin

Mathias Chauchat est professeur de droit public à l’Université de Nouvelle-Calédonie. Il est notamment le coauteur de: « Le sens du Oui, la sortie de l’Accord de Nouméa » éditions Rakuten Kobo, 2020

QG : Pour quelles raisons la révision du corps électoral en Nouvelle-Calédonie suscite une telle colère chez le mouvement indépendantiste kanak ?

Mathias Chauchat : C’est une longue histoire. La Nouvelle-Calédonie comme l’Algérie est une colonie de peuplement. La tentation de la France a toujours été d’essayer de minoriser le peuple kanak. Parmi les éléments irrationnels de la crise, il y a la crainte de la noyade démographique kanak. Le droit international ouvre le droit de vote, pour la décolonisation, au seul peuple autochtone. Si les Kanak avaient voté, 95% de la population se serait prononcée pour l’indépendance.

Simplement, à partir de 1983, les Kanaks, tenant compte des réalités, avaient accepté ce qu’ils appelaient « les victimes de l’histoire »: les gens qui étaient arrivé par le bagne, le flux de la colonisation qui avait fait souche ici. L’idée était que le droit à l’autodétermination des Kanak ait comme contrepartie la proposition de « faire peuple », de « faire pays » à ces victimes de l’histoire. Cela n’a pas marché. Le Rassemblement n’a pas signé la déclaration de Nainville-les-Roches. Il y a eu les « Événements » et en 1988, les accords de Matignon reprennent largement cette déclaration de 1983. Mais il y a eu entretemps des morts dans une guerre coloniale.

Les accords de Matignon furent conclus à Paris en juin 1988 par une délégation emmenée par le député Jacques Lafleur et une délégation indépendantiste menée par Jean-Marie Tjibaou

L’accord de Nouméa, dix ans plus tard en 1998, est un accord de décolonisation. Ce que préconise l’ONU est qu’un pays qui décolonise arrête le peuplement colonial. Et si on veut conserver la libre circulation, la restriction doit porter sur l’équilibre politique. Le système adopté en 1998 est simple. Les gens présents jusqu’en 1998 peuvent avoir le droit de vote à partir du moment où ils ont 10 ans de résidence. Quelqu’un arrivant en 1997 aura le droit de vote en 2007. Par contre, passé le 8 novembre 1998, date de l’accord de Nouméa, les gens qui arrivent n’ont pas le droit de vote. Il est gelé. On en est toujours là, alors que les référendums se sont éternisés et qu’on est en 2024. Une partie de l’électorat est privée du droit de vote. Mais cela a été voulu.

Les exigences démocratiques ne sont pas les mêmes en France et dans un pays en voie de décolonisation. L’idée universelle « un homme = une voix » ne s’applique pas. La loi du nombre est très relative puisque la décolonisation est tournée vers les « populations intéressées » qu’il faut définir. Le gouvernement français et les loyalistes ont continué à exiger l’ouverture du corps électoral aux immigrants français.

La séquence des référendums s’est tenue et l’indépendance fait 47%. La France a contraint au troisième référendum durant la période du Covid, avec interdiction de se réunir. Il y a eu 96% de « non » et la participation a été de 46%. Cela veut dire que tout un peuple a refusé de participer. Ce référendum est contesté devant l’ONU. Malgré tout, l’État considère que c’est réglé et il s’est engagé dans une politique brutale exigeant l’ouverture du corps électoral. Au bout d’un certain temps, la résilience du peuple kanak a été atteinte. Arrive le moment du vote à l’Assemblée nationale et au Sénat et la cocotte-minute a explosé.

QG: Est-ce qu’un scénario de « quasi guerre civile » comme lors des « Événements » entre loyalistes et indépendantistes au milieu des années 1980 peut ressurgir ?

Attention aux mots ! « Guerre civile » laisse entendre qu’il y a un affrontement entre une population d’un même pays et que l’État s’interpose se portant garant de la paix. Or, ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie, ce n’est pas encore la guerre. Ça peut le devenir. Mais c’est un conflit colonial entre les Français de Nouvelle-Calédonie, un peuple exogène, et les Kanak, le peuple autochtone. C’est un conflit comme en Algérie.

Pour l’instant, il y a une insurrection kanake. Au début, la branche terrain du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), la CCAT (la Cellule de Coordination des Actions de Terrain), a décidé qu’il y aurait un soulèvement, mais avec des blocages pacifiques, avec l’idée de paralyser l’économie calédonienne. Une grosse différence avec les Événements de 1984, c’est que la cible est Nouméa. Entre 1984 et 1988, Nouméa était préservée et la brousse brûlait. Aujourd’hui, après 35 années de paix, les Kanak se sont installés dans la ville, représentant un quart de la population de l’agglomération. Il y en a dans tous les quartiers. À l’occasion de ce blocage de Nouméa, tous les jeunes des quartiers pauvres de Nouméa, mais aussi de la brousse, sont venus renforcer la CCAT. De manifestations monstres on est passée à l’insurrection. Ils s’en sont pris, en dehors de toute consigne politique, à tous les symboles de richesse dont ils sont exclus. Le nombre de commerces incendiés dans Nouméa est impressionnant.

Des milices citoyennes blanches se sont mises en place. À l’exception des deux gendarmes tués, tous les morts, trois officiellement, sont des Kanak tués par des loyalistes, c’est-à-dire des gens armés. Pour l’instant, les Kanak sont non-armés dans l’ensemble. Même si, avec la peur, les armes commencent à apparaître dans les barrages kanak. Tradition coloniale oblige, les gendarmes sont concentrés exclusivement sur la population autochtone.

QG: Est-ce que l’instauration de l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie/Kanaky par Emmanuel Macron et l’envoi de l’armée annoncé par Gabriel Attal peuvent envenimer les choses ?

L’armée est habituée à combattre contre un peuple ennemi, en l’occurrence le peuple autochtone kanak. L’idée était de faire un peuple calédonien uni entre Kanak et Calédoniens avec comme slogan « un destin commun dans un pays commun ». Aujourd’hui, c’est un retour de 35 ans en arrière. Les loyalistes se considèrent comme Français de Calédonie, comme il y avait les Français d’Algérie, et en face, le peuple Kanak.

Délégation kanak, 2016, photographe Ted Mac Grath

QG: Peut-on penser que sous la présidence de Macron, une logique coloniale s’exprime afin d’avoir le soutien des loyalistes calédoniens, quitte à être en rupture avec l’accord de Nouméa signé en 1998?

Alors que le colonialisme est fondé sur la domination des blancs sur les Kanaks, qui vivent une situation encore dégradée dans l’archipel, le langage des loyalistes calédoniens est un langage d’extrême-droite: « Je fais un combat pour la démocratie. Assez de la discrimination en fonction de ma couleur de peau car en Calédonie il y a un racisme anti-blanc car les blancs n’ont pas le droit de vote ». On est dans l’invention d’un monde. Le destin commun a été détruit parce que le Président de la République, dans ses deux mandats, les a suivis dans une politique sans issue.

Recoller les morceaux est extrêmement difficile parce que la peur s’est installée. Je crains que les quartiers ne se ferment les uns aux autres. Les Kanaks n’oseront plus aller dans les quartiers blancs et les blancs n’oseront plus sortir de Nouméa. Cela a des petits airs d’Afrique du Sud. Je pense que les Kanak ont obtenu, de fait, l’arrêt de la colonie de peuplement. Quel Français oserait venir ici à l’avenir ?

Néanmoins, en brousse, les choses se passent bien. C’est une lueur d’espoir. Les gens ne s’aiment pas mais se tolèrent. C’est impossible de vivre sans les Kanak et encore plus contre eux en brousse.

QG: Est-ce que les référendums d’autodétermination de 2018, 2020 et 2021, marqués par des victoires du « non » et un boycott des partis indépendantistes pour le dernier référendum cité, ont conduit à une impasse politique en Nouvelle-Calédonie/Kanaky ?

Entre le 2ème et le 3ème référendum, les indépendantistes demandent un référendum de projet qui rassemble autour du « partenariat », c’est-à-dire le statut de l’État associé encouragé par l’ONU. Il y aurait « une minute » d’indépendance puis le même jour le transfert de compétences régaliennes à la France, pour qu’elle les exerce au nom de la Calédonie, comme le font les Îles Cook, les Îles Niue avec la Nouvelle-Zélande. Cette solution a été catégoriquement refusée par la France.

Ces trois référendums ont conduit à une impasse politique. Les référendums ont cassé le vivre-ensemble. Il faut dire que la France a pris la tête du camp du « non », alors qu’elle est tenue, par l’ONU, de faire la décolonisation. Le discours de Macron en juillet 2023 à Nouméa, c’est mot pour mot le discours de 1958 de De Gaulle sur la place d’Alger. Aucun Kanak n’était présent lors de son discours à la place des cocotiers. Cela aurait dû lui mettre la puce à l’oreille !

QG: Quelles solutions politiques seraient à adopter pour sortir de cette situation ?

Les indépendantistes du FLNKS veulent l’accès à la pleine souveraineté. Les termes du compromis seraient les suivants : ils veulent que la France s’engage sur une date ferme d’accès à la pleine souveraineté dans un délai raisonnable. Et celle-ci se ferait en interdépendance avec la France. On aurait cette période intermédiaire pour que Calédoniens et Kanak ensemble préparent la convention d’interdépendance. La France consentirait, à ce moment-là, à une interdépendance équivalente au statut qu’ont obtenu les îles anglo-saxonnes du Pacifique Sud. Sans date pour l’interdépendance, ils ne repartiront pas sur un cycle de référendums.

Si une date d’indépendance est fixée, le FLNKS a proposé l’ouverture du corps électoral aux natifs du pays, même sans parents citoyens. Ils veulent bien reconsidérer le droit de vote des gens actuellement installés. Mais il faut comprendre qu’accepter un corps électoral glissant en permanence, c’est légitimer la colonie de peuplement française.

La France n’est légitime en Océanie qu’au travers des peuples qu’elle administre. Si les peuples du Pacifique se révoltent, parce que la France refuse l’évolution du statut politique de ces îles, elle deviendra illégitime dans le Pacifique. Les Australiens, les Néo-Zélandais, les Américains sont réalistes. Si un conflit colonial commence, ceux qui resteront sont les Kanak et les Polynésiens. Ils vont jouer ceux qui vont rester. Et la France perdra de son influence dans le Pacifique.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Mathias Chauchat est professeur de droit public à l’Université de Nouvelle-Calédonie. Il est l’auteur de : Le sens du « Oui », la sortie de l’Accord de Nouméa (avec Louise Chauchat, éditions Rakuten Kobo, 2020), Les institutions en Nouvelle-Calédonie (CDPNC, 2011), ou encore : Vers un développement citoyen – Perspectives d’émancipation pour la Nouvelle-Calédonie (Presses universitaires de Grenoble, 2006)

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