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19.06.2025 à 21:15

« L’écologie a-t-elle vendu son âme ? » avec Clément Sénéchal

L’écologie, s’est-elle dévoyée en devenant l’instrument docile des pouvoirs et de la bourgeoisie ? Des ONG telle que Greenpeace jusqu’aux partis comme Europe Écologie Les Verts, des figures médiatiques comme Nicolas Hulot ou Barbara Pompili jusqu’aux gouvernements successifs de Hollande et Macron, l’écologie a été récupérée, aseptisée et transformée en outil de greenwashing. Une écologie … Continued
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L’écologie, s’est-elle dévoyée en devenant l’instrument docile des pouvoirs et de la bourgeoisie ? Des ONG telle que Greenpeace jusqu’aux partis comme Europe Écologie Les Verts, des figures médiatiques comme Nicolas Hulot ou Barbara Pompili jusqu’aux gouvernements successifs de Hollande et Macron, l’écologie a été récupérée, aseptisée et transformée en outil de greenwashing. Une écologie coupée des classes populaires, incapable de remettre en cause les fondements capitalistes de notre système. Passé ce constat, une question se pose : peut-on encore faire de l’écologie sans lutte des classes ? Que reste-t-il du combat initial face à une écologie devenue spectacle, carriérisme et communication ?

Pour en discuter, Haussman Vwanderday a reçu le jeudi 19 juin Clément Sénéchal, journaliste, ex-porte parole de Greenpeace, expert des enjeux climatiques et auteur de « Pourquoi l’écologie perd toujours » aux éditions du Seuil. Entre critique du néolibéralisme vert, dénonciation des ONG complices et appel à une écologie révolutionnaire, il propose une autre voie : anticapitaliste, antiraciste et populaire.

17.06.2025 à 22:15

« Les impostures de l’antiracisme » avec Kévin Boucaud-Victoire et François Bégaudeau

De Frantz Fanon à « Touche pas à mon pote », de Rosa Parks à l’élection de Barack Obama, l’antiracisme est bien souvent devenu un simple outil d’intégration au marché dans les sociétés occidentales contemporaines. Une façon pour la gauche de se donner les apparences du progressisme sans aborder la question sociale. Comment faire vraiment avancer le combat … Continued
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De Frantz Fanon à « Touche pas à mon pote », de Rosa Parks à l’élection de Barack Obama, l’antiracisme est bien souvent devenu un simple outil d’intégration au marché dans les sociétés occidentales contemporaines. Une façon pour la gauche de se donner les apparences du progressisme sans aborder la question sociale. Comment faire vraiment avancer le combat contre les discriminations et pour l’égalité réelle ?

Pour en débattre, Aude Lancelin et François Bégaudeau ont reçu le mardi 17 juin dans L’Explication #6, Kévin Boucaud-Victoire, rédacteur en chef de la rubrique Idées à Marianne, cofondateur du site Le Comptoir, notamment auteur de Mon antiracisme (Desclée de Brouwer), un essai qui mène la critique des deux grands courants antiracistes de la France contemporaine: l’antiracisme moral et le mouvement décolonial.

Au menu: récupération politique, trahisons historiques, pertinence ou non de la notion de racisme anti-blanc, nécessité de remettre la lutte des classes au premier plan pour éviter la division des classes populaires, et de autres nombreuses questions brûlantes.

16.06.2025 à 14:30

Samuel Bouron : « Les groupes identitaires sont un vivier pour le RN »

Les « brebis galeuses » (dixit Jordan Bardella) épinglées pour racisme, antisémitisme et sexisme semblent gambader en nombre dans le pré du Rassemblement National. Si son président dit les écarter sans avoir « la main qui tremble », elles servent plutôt de boucs émissaires pour éviter un ménage de fond au sein du parti. Issues des groupuscules identitaires, … Continued
Texte intégral (4778 mots)

Les « brebis galeuses » (dixit Jordan Bardella) épinglées pour racisme, antisémitisme et sexisme semblent gambader en nombre dans le pré du Rassemblement National. Si son président dit les écarter sans avoir « la main qui tremble », elles servent plutôt de boucs émissaires pour éviter un ménage de fond au sein du parti. Issues des groupuscules identitaires, elles infiltrent les cabinets parlementaires du RN ou les bureaux du parti d’extrême droite. Héritiers de la « nouvelle droite » des années 60 et de penseurs comme Alain de Benoist ou Dominique Venner, les groupes identitaires ont notamment perfectionné leurs outils politiques pour mener une réelle bataille culturelle afin de rendre leurs idées acceptables. Le Rassemblement National a capitalisé sur ce travail d’influence tout en se posant en parti de gouvernement. Dans un paysage médiatique dominé par l’émotion et les faits divers, la guerre des idées semble en partie gagnée pour le RN. Dans Politiser la haine (La Dispute), Samuel Bouron, sociologue, dévoile les liens entre ces groupes radicaux et le FN-RN, après une infiltration d’un an au sein des jeunesses identitaires. Pour QG, il plaide également pour un traitement médiatique fondé sur les faits, hors du cadrage imposé par le parti de Marine Le Pen

QG : Le sujet de votre livre est notamment la « métapolitique » utilisée par les groupes identitaires et les partis d’extrême droite. De quand date ce concept et quelles idées invoque-t-il ?

La métapolitique est née dans les années 1960 d’un groupe d’intellectuels qu’on appelle la « nouvelle droite », dont les idées réactionnaires étaient assez marginales à cette période. Le contexte des années 60 est l’avant Mai 68 avec une demande sociale, par une partie de la jeunesse, de libération des mœurs, de rupture avec la vieille société. Cette extrême droite se demande comment se faire entendre alors même que ses idées sont minoritaires. Elle va reprendre l’idée de « métapolitique » à Antonio Gramsci (membre fondateur du Parti Communiste Italien). La métapolitique est l’idée que gagner des élections et prendre le pouvoir nécessite d’abord de faire un travail pour rendre les idées consensuelles, qu’elles soient acceptées par une large partie de la population. La métapolitique amène cette extrême droite à se dire qu’il faut aussi mener une bataille culturelle au sens large, notamment dans les médias, pour propager ses idées. Le mouvement identitaire au début des années 2000 reprend donc cette théorie et cette méthode pour faire infuser ses idées et se faire connaître du plus grand nombre.

QG : Les identitaires sont organisés depuis plus de deux décennies mais ont connu de nombreuses transformations et restructurations. Quels sont les événements marquants pour comprendre leur évolution ?

Le Bloc Identitaire naît en 2002 sur les cendres d’un précédent groupe qui s’appelait Unité Radicale. Ce dernier avait dans ses rangs des militants antisémites ou proches du fascisme historique. Un militant, Maxime Brunerie, va tenter d’assassiner Jacques Chirac en 2002, ce qui va provoquer la dissolution d’Unité Radicale. Une partie du mouvement va refonder le groupe sous un autre nom : les identitaires, qui comprend un parti politique, le Bloc Identitaire, et un mouvement de jeunesse : les jeunesses identitaires. Le Bloc Identitaire est un parti politique, réservé aux militants adultes, qui tente de se faire une place au sein du champ politique, en concurrence avec le Front National. Les jeunesses identitaires vont quant à elle beaucoup mettre en œuvre l’idée de métapolitique. Elles utilisent notamment l’idée d’agitation et propagande (agit-prop) en faisant des actions pour attirer l’attention des médias, et placer leurs sujets, leurs thématiques, au cœur de l’agenda médiatique et politique. Comme le bloc identitaire ne parvient pas à concurrencer le Front/Rassemblement National, les jeunesses identitaires vont progressivement prendre l’ascendant au sein du mouvement, en devenant notamment Génération Identitaire en 2012. Si ce dernier est dissout en 2021, ses réseaux continuent d’exister localement et ses idées ont essaimé dans les médias conservateurs, au sein du RN et dans une certaine mesure dans les partis de gouvernement. François Bayrou, l’actuel Premier ministre, a par exemple parlé récemment de « submersion migratoire » qui est un terme emprunté à ces groupes identitaires.

QG : Vous avez suivi les Identitaires en vous infiltrant dans le groupe pendant près d’un an pour une enquête débutée en 2010. Quelles sont leurs méthodes pour attirer des militants dans leurs rangs et se faire entendre sur les scènes politiques et médiatiques ?

Ils reprennent des choses assez classiques des groupuscules d’extrême droite en ouvrant des locaux, les « maisons de l’identité », où l’on peut y trouver des cours de boxe, ou simplement boire un verre. Il se développe toute une camaraderie militante qui permet au groupe de progressivement occuper une place assez centrale dans le monde militant d’extrême droite. Ils attirent une jeunesse qui est en recherche de radicalité, de transgression à la fois dans les idées et dans l’expression d’une violence. Le recrutement des militants va se faire au sein de la jeunesse étudiante, des diplômés de l’enseignement supérieur, des petites classes moyennes et même y compris de certaines classes dominantes. Assez peu en réalité du côté de ceux qui seraient dans une misère sociale, au chômage ou issus des classes populaires. Le mode d’action politique ou métapolitique reste ces actions symboliques, qu’ils empruntent notamment à Greenpeace ou Act-Up. Ils créent un événement pour attirer l’attention des médias et mettre à l’agenda médiatique et politique leurs sujets. On peut se souvenir de Génération Identitaire qui monte au sommet de la mosquée de Poitiers en 2012, de la location en 2017 d’un navire, le C-STAR, pour naviguer en Méditerranée, de leurs actions au col de l’échelle en 2018. Ils vont apprendre à diffuser leurs idées sans proposer de discours politique idéologiquement très structuré, en faisant référence à des penseurs bien définis, ou en faisant avancer un programme politique structuré. À travers leurs actions, ils travaillent l’idée d’un « grand remplacement » (terme complotiste emprunté à l’écrivain Renaud Camus, NDLR), d’une population musulmane qui serait de plus en plus nombreuse sur le territoire et visible dans l’espace public, justifiant d’une urgence à reconquérir le territoire.

QG : Les identitaires sont connus pour être une des franges les plus extrême à droite, à l’héritage fondamentalement raciste et parfois antisémite. Quelle est leur vision du monde et leur souhait de société ?

Ils se présentent comme une alternative, notamment à la pensée historique de la gauche en termes de lutte des classes. Ils plébiscitent une lutte des races, l’idée d’un « nous », les Français de souche, contre ce qu’ils appellent les « allogènes », les personnes qui auraient des racines autres. Génération Identitaire est un mouvement racialiste qui prône une forme d’épuration de notre société en déportant une population qu’elle désigne comme incompatible avec ce qui serait la culture française, européenne, blanche. Elle se différencie de la pensée du FN-RN qui ouvre la porte à la possibilité d’une assimilation : il y aurait les « bons » français et les « mauvais » français, mais il est possible d’être noir et français. Chez les identitaires, ce n’est pas possible puisque le mélange des cultures affaiblirait la civilisation blanche, occidentale. Alain De Benoist, l’un des théoriciens de la « nouvelle droite », parle d’ethno-différentialisme, d’un droit à la différence qui devient un racisme culturel en réalité. La vision du monde des identitaires se déploie autour d’un antagonisme entre races au sens sociologique du terme, dont la rencontre ne pourrait que déboucher sur un « choc des civilisation », c’est-à-dire une guerre civile.

QG : Qu’est-ce qu’implique de mobiliser une « lutte des races » plutôt qu’une lutte des classes, notamment pour les classes populaires ou ouvrières ?

Leur façon de catégoriser, d’identifier ou de parler notamment des musulmans est une façon de désigner le mauvais pauvre, celui qui ne s’intègrerait pas. Très concrètement, le musulman est toujours assimilé, pour eux, à une « racaille ». C’est une façon de diviser les classes populaires et de désigner plus pauvre que soi pour se grandir socialement. Ces lignes de démarcation raciales sont produites par les identitaires, par l’extrême droite, avec l’idée de penser le monde à travers une lutte des races. Ils essaient de rigidifier ces frontières raciales et l’idée de reconfigurer le champ politique à travers l’idée du grand remplacement et non pas des inégalités ou oppositions sociales. Pour y parvenir, ils brouillent les repères politiques, essayent de se placer du côté du peuple, se disent « anti-système », alors même que le fond du programme politique du RN est lui-même potentiellement compatible avec les cadres du néolibéralisme. Leur vision de la lutte des classes permet en fait une alliance avec une partie du patronat, puisqu’il n’y a plus, selon eux, d’incompatibilité entre les intérêts des propriétaires des moyens de production et ceux des travailleurs. L’extrême droite, à travers ce logiciel racialisant, est alors rejointe par une partie des élites qui se radicalisent, en lui offrant une possible bouée de sauvetage afin de se maintenir au pouvoir. 

Dissous en 2021, le groupuscule a tout même fait exploser des figures d’extrême droite telles que Thaïs D’Escufon ou Damien Rieu, qui a été candidat aux européennes de 2024, sur la liste de Reconquête!, le parti d’Éric Zemmour

QG : Les identitaires ont rapidement saisi la puissance et l’arme qu’allait devenir internet et l’ont choisi comme canal principal pour diffuser leurs idées. Comment s’en sont-ils servis et dans quels buts ?

Le mouvement identitaire est contemporain de l’essor des réseaux sociaux et va très tôt comprendre comment les utiliser. Ils reprennent cette stratégie de Jean-Marie Le Pen qui pensait que l’essentiel était qu’on parle du FN, même si on en parlait en mal. Le mouvement identitaire reste petit en termes de nombre de militants, de moyens économiques, d’élus, et leurs seules ressources sont les réseaux sociaux. Ils leur permettent d’accroître leur visibilité pour propager leurs idées, mener cette bataille culturelle, métapolitique et faire grossir le mouvement. Damien Rieu (membre fondateur de Génération Identitaire, NDLR) a compris que le potentiel des réseaux sociaux était la viralité et une façon d’attirer les projecteurs médiatiques sur le mouvement et ses idées. Ils sont dans « la stratégie du buzz » et vont diffuser leurs actions perçues comme radicales pour attirer l’attention des opposants, ainsi que des personnalités politiques d’extrême droite et de droite qui ont plus de visibilité qu’eux et qui vont mettre en lumière leur sémantique, leur vision du monde. En 2010, ils mènent par exemple une action dans un Quick halal, à Villeurbanne. Des membres du groupe envahissent le fast-food, déguisés avec des masques de porcs, pour protester contre ce qu’ils perçoivent comme une offensive de l’islam, puis diffusent l’action sur leurs réseaux. Lors d’une réunion de débrief que j’ai observée, les identitaires se sont satisfaits du nombre de vues sur les réseaux sociaux, de reprises dans les médias locaux et nationaux, gagnées à moindres frais. Ils se sont aperçus qu’ils étaient plutôt de bons clients des médias qui trouvent un intérêt à médiatiser leurs actions spectaculaires, propices à l’audience. Ils trouvent dans les médias une sorte de haut-parleur, et plus encore avec l’émergence des médias financés par Bolloré. 

QG : En 2013, La Manif pour Tous a été un tournant marquant qui a permis aux identitaires de se rapprocher d’autres groupes militants moins radicaux. Comment a-t-elle joué un rôle de bascule pour les Identitaires et la droite conservatrice dans l’ensemble ? 

Au début des années 2000, il y avait encore des oppositions entre les néo-païens qui maintenaient une certaine distance vis-à-vis des institutions religieuses, et les catho-tradis qui ne déconnectent pas la foi du militantisme politique. La Manif pour tous est un moment important, qui a achevé un mouvement d’unification des différentes familles d’extrême droite. Les identitaires ont déjà fait une partie du chemin en mettant de côté leur antisémitisme, reconfigurant leur racisme pour le diriger vers les musulmans. Les Identitaires passent donc de l’antisémitisme à l’islamophobie et vont trouver à travers La Manif pour Tous des alliés dans la sphère catholique, qui voit dans l’islam une forme de concurrence civilisationnelle, culturelle. Les identitaires voient quant à eux dans la religion catholique les racines chrétiennes de la France qu’il faut défendre. De cette alliance naît par exemple Antigones, un groupe féminin non-mixte, qui s’oppose au féminisme des Femen et défend un ordre naturel dont l’équilibre reposerait sur la complémentarité entre hommes et femmes, un combat partagé par les différentes mouvances de l’extrême droite. Cette recomposition est aussi produite par Marion Maréchal, dont le parcours personnel l’a amené à figurer au cœur des réseaux d’extrême droite et qui, par sa participation au mouvement, devient un point de jonction entre réseaux catholiques et identitaires.

Proche de Génération Identitaire et de ses branches locales, l’eurodéputée Marion Maréchal leur a permis de brouiller les pistes politiques et de se légitimer. Elle leur a apporté son soutien en 2021, au moment de la dissolution du groupuscule, tout comme Jordan Bardella

QG : Des personnalités ou des groupes dits d’une gauche « laïque et républicaine » ont aussi été des alliés possibles pour les identitaires. Pourquoi ces mouvement se voient plébiscités par un groupuscule d’extrême droite et comment ont-il permis de brouiller les pistes politiques ? 

Il va y avoir dès 2010 une coalition avec Riposte laïque dans le cadre d’un « apéro saucisson-pinard ». Dans cette lignée, le mouvement identitaire évalue la possibilité d’alliances politiques avec une partie du centre et d’une gauche islamophobe, notamment avec ce qui deviendra le printemps républicain. Les principes de laïcité sont moins utilisés aujourd’hui par les politiques comme une simple séparation de l’église et de l’État que comme une façon d’identifier une menace qui viendrait en fait de l’islam. Caroline Fourest est citée régulièrement chez les identitaires, en interne, comme une des personnes qui disent défendre la laïcité et la République, et partager au moins une partie des mots d’ordre des identitaires. Ce que les identitaires définissent comme une « seconde gauche », non marxiste, est identifiée comme un levier pour faire grossir le mouvement. La lutte métapolitique s’apparente alors, pour l’extrême droite, à s’emparer de certains concepts et principes, qui sont au départ ceux de la gauche, comme la laïcité, la République, la liberté d’expression, en les vidant de leur sens originel.

QG : Le Bloc identitaire a été fondé dans l’optique de concurrencer le FN-RN sur la scène politique mais les rapports entre les deux partis n’étaient pas conflictuels. Quels sont aujourd’hui les liens entre le parti de Marine Le Pen et les identitaires ? 

Ils sont de deux natures. Le premier est un rapport direct puisque les identitaires vont servir de vivier au RN. Le parti des Le Pen a historiquement toujours eu du mal à former des militants, à faire monter des cadres au sein du parti. De manière générale, le parti n’a pas la même implantation dans le mouvement ouvrier et populaire que la gauche. Il voit chez les identitaires la possibilité d’avoir des militants qui ont déjà une expérience, qui sont formés idéologiquement et en matière de communication. Ensuite, s’instaure une division du travail entre identitaires et RN. Les identitaires vont mener cette bataille culturelle, cette stratégie métapolitique pour faire en sorte qu’à travers des faits divers, l’agit-prop ou la causerie permanente dans les émissions de plateau politique, les thématiques de l’immigration, de la sécurité, de l’islam soient portées en permanence dans l’espace médiatique, y compris dans des médias de grande audience. Ils vont apporter aux partis d’extrême droite cette compréhension qu’il vaut mieux passer par les faits divers et les affects plutôt que par une pensée politique bien structurée pour populariser ses idées. Cette façon d’aborder l’actualité politique place dans sa zone de confort le Rassemblement National, qui n’a alors plus qu’à appeler à davantage d’ordre, pour résoudre selon lui les problèmes d’insécurité et d’immigration. 

Dans l’écosystème médiatique Bolloré, la droite et l’extrême droite ont tapis rouge. Selon une étude, sur une semaine type, CNEWS a invité près de 75% d’intervenants (élus, journalistes, représentants) issus de ces deux familles, 7% seulement venant de la gauche

QG : Vous déplorez que les oppositions politiques du RN semblent s’aligner sur ses sujets et s’adaptent à son cadrage politique dans les médias. Comment le parti d’extrême-droite a-t-il réussi à gagner la bataille médiatique ? 

En 2024, le meurtre de Philippine à Paris, par une personne sous OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français, NDLR) est devenu un événement national. Tous les médias en ont parlé et tous les politiques se sont sentis obligés de réagir à ce fait divers en créant une course à celui qui sera le plus radical, qui demandera le plus de fermeté, d’ordre. On observe comment les politiques se saisissent de la loi et de l’ordre pour résoudre les maux sociaux. Le centre et même le PS vont se positionner sur ce terrain en espérant recueillir des bénéfices électoraux mais permettent à l’extrême droite de devenir maître du jeu sur le plan médiatique. Les partis ont alors tendance à courir après l’extrême droite et ne parviennent plus à être audibles sur leurs propres sujets, à proposer un autre modèle de société, à se distancer de ces cadrages dominants. 

QG : Vous proposez notamment la nécessité d’une « restructuration médiatique ». A quoi pourrait-elle ressembler ? 

La structuration actuelle de l’espace médiatique rend possible cette offensive identitaire, notamment par des modèles économiques qui se structurent sur des logiques d’audience. C’est pourquoi la proportion de faits divers, qui dopent l’audience, est bien plus importante que par le passé (+75% de sujets sur des violences entre 2014 et 2024), notamment dans l’audiovisuel. Les identitaires répondent à cette demande médiatique, se constituer en bons clients des médias, en les alimentant des faits divers et des paniques morales dont ils sont friands. Il faut donc se poser la question de l’espace médiatique que nous voulons, afin de sortir de cette spirale du pire qui nous enferme dans ces cadres identitaires. Si les médias Bolloré continuent de se structurer, c’est aussi parce qu’ils bénéficient des aides à la presse, de canaux de diffusion ou sont défiscalisés. On pourrait s’inspirer du modèle de la Belgique francophone qui très tôt a décidé que les partis d’extrême droite n’étaient pas des partis comme les autres, qu’ils étaient opposés à l’état de droit et qu’on ne pouvait pas, pour des questions de responsabilité et d’éthique journalistique, leur donner la parole en direct sans remise en contexte. Le cordon sanitaire a maintenu une forme d’ostracisation et maintenu à la marge les partis d’extrême droite au sein du champ politique. 

QG : Le gouvernement Bayrou avec Bruno Retailleau à l’Intérieur, Gérald Darmanin à la justice, semble totalement se tourner vers Marine Le Pen, autant pour éviter sa censure que par proximité idéologique. Pensez-vous que le RN a déjà gagné la bataille métapolitique ?

Aujourd’hui, Bayrou peut parler de submersion migratoire, reprenant la sémantique des identitaires, sans que cela soulève les foules. Il est devenu relativement ordinaire de parler ainsi de l’immigration, ce qui montre une certaine normalisation des visions du monde des identitaires. Si Bayrou avait dit qu’il fallait venir en aide aux migrants, la déclaration aurait été aujourd’hui complètement subversive. Malheureusement, dans certains domaines tels que la sécurité, l’immigration, l’islam, ce discours identitaire est devenu relativement consensuel, dominant. De la même manière que Retailleau qui se reconnaît dans Nemesis, un groupe clairement identitaire. En revanche, il faut faire attention au récit qu’essaye de faire l’extrême droite disant qu’elle serait en train de gagner la bataille culturelle puisqu’il y a encore un certain nombre de garde-fous. Vincent Tiberj montre que la droitisation de la société se fait plus par les médias que par le peuple. Les identitaires mènent la bataille dans les médias parce qu’ils ont encore peu de relais chez les militants. L’extrême droite reste beaucoup moins syndiquée que la gauche et peine à tisser des liens avec les universitaires parce qu’elle tend à distordre les faits, tout simplement. Il y a en outre un manque de connexion avec le monde artistique, même si les identitaires ont essayé de mettre en avant une extrême droite jeune, cool, branchée. Il y a encore une vraie mobilisation populaire, comme après la dissolution, et les idées de l’extrême droite sont surtout implantées comme des croyances pour les élites politiques et médiatiques plutôt que dans la société dans son ensemble. 

QG : Quel rôle doit jouer la gauche pour éviter une victoire de l’extrême droite tant culturelle que politique ?

L’urgence nous amène à développer un antifascisme ou un antiracisme relativement défensif pour que l’extrême droite ne prenne pas le pouvoir. Mais il y a une autre urgence qui est de ne pas être seulement sur la défensive mais de partir à l’attaque et de mettre en avant la société que l’on souhaite à gauche. Il faut que cette dernière arrive à se réapproprier ce que sont pour elle la liberté, l’égalité, qui sont des mots importants et des principes structurants historiquement à gauche. Il faut se défaire des lignes médiatiques de l’extrême droite et réussir à imposer nos propres thématiques pour reprendre l’ascendant.

Interview réalisée par Thibaut Combe

Samuel Bouron est sociologue, maître de conférence à Paris Dauphine-PSL et chercheur à l’IRISSO. Il a travaillé sur l’extrême-droite, le militantisme des groupes identitaires et leurs utilisations des réseaux sociaux. Il a produit une enquête sociologique en s’infiltrant chez les jeunesses identitaires pendant plusieurs mois et a raconté leur quotidien et leurs rites. Il a également participé au livre Extrême-droite : la résistible ascension, sorti chez La Boétie (2024) et coordonné par Ugo Palheta.

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