29.04.2025 à 23:26
Si l’Europe a encore une chance de sauver son modèle de démocratie libérale, c’est grâce aux sacrifices ukrainiens.
<p>Cet article L’Europe a failli, mais l’Ukraine peut encore la sauver a été publié par desk russie.</p>
Selon l’auteur, l’Ukraine a fourni à l’Europe les trésors les plus précieux : le temps et l’expérience. Le fait que l’Europe ait encore une chance de sauver son modèle de démocratie libérale, un temps pour se préparer et les outils pour tirer les bonnes leçons – tout cela, elle le doit aux sacrifices ukrainiens. C’est une dette de gratitude d’une ampleur historique.
Une courte réflexion sur ce que les Européens doivent à l’Ukraine. Quand viendra le temps, dans quelques décennies, d’écrire l’histoire de notre époque, je parie que l’on dira souvent que les sacrifices consentis par l’Ukraine au cours des dernières années auront été parmi les plus importants de l’histoire européenne. Sans ces sacrifices, tout le projet européen aurait pu être anéanti – mais grâce à ce que l’Ukraine et les Ukrainiens ont accepté de faire et d’endurer, l’Europe a encore une chance.
Nous devons commencer par admettre quelque chose de fondamental : les décideurs européens ont échoué. Il y a maintenant exactement 38 mois que la Russie a lancé son invasion à grande échelle, le 24 février 2022 – soit environ 1150 jours pendant lesquels les dirigeants européens ont eu du temps pour planifier et réagir. Malheureusement, ils ont été bien meilleurs pour prononcer des discours que pour prendre les mesures nécessaires afin de permettre aux Européens d’assurer leur propre sécurité.
Si les discours avaient suffi, l’Europe serait aujourd’hui en excellente posture. Au moment de l’invasion à grande échelle, on entendait beaucoup de déclarations sur la fin d’une ère et sur la nécessité pour l’Europe de changer (rappelez-vous de la « Zeitenwende6 »). Depuis, les discours se sont succédé, et le président Macron a joué un rôle clé dans cette dynamique, avec des déclarations affirmant la nécessité de soutenir l’Ukraine, de faire davantage pour se défendre soi-même, etc., etc.
Mais au final, les décideurs européens en ont fait relativement peu. Ils se sont surtout contentés de rester passifs et d’agir seulement en réaction. Alors qu’une victoire ukrainienne allait manifestement dans l’intérêt des États européens, ils ont laissé l’administration Biden dominer leur politique vis-à-vis de l’Ukraine, en imposant une stratégie désastreuse fondée sur la crainte des menaces russes et la volonté faire de la microgestion de la guerre.
Entre 2022 et 2024, les dépenses de défense européennes sont restées bien trop faibles pour que le continent puisse assurer sa propre sécurité. En 2024, la dépense européenne moyenne atteignait seulement 1,9 % du PIB – preuve que la plupart des États restaient en deçà des objectifs fixés par l’OTAN plusieurs décennies auparavant.
Et ce n’était qu’un début. Alors que le retour de Donald Trump – notoirement pro-Poutine – à la Maison-Blanche était une éventualité à au moins 50 % durant la majeure partie de 2024, les États européens ont refusé d’affronter la réalité en face. Ils niaient que cela puisse se produire ou se berçaient d’illusions ridicules, prétendant que Trump ne serait pas si mauvais, ou pire encore, qu’ils sauraient le convaincre grâce à leur charme diplomatique.
Lorsque Trump fut élu président, puis investi et qu’il mit immédiatement en œuvre ce qu’il avait dit qu’il ferait – alignant les États-Unis sur Poutine et mettant fin au soutien américain à l’Ukraine –, la réaction européenne resta confuse et faible. On parla de « bâtir des ponts » avec Washington, on multiplia les parties de golf, les tapes amicales dans le dos et les louanges dans l’espoir d’amadouer Trump. C’était stupéfiant d’assister à un tel déni, alors que des exemples clairs, comme la politique du Canada, montraient que tenir tête à Trump avait toujours été la meilleure approche.
L’un des problèmes est que de nombreux États européens semblent aujourd’hui dépendre de conseils de lobbyistes de Washington liés au mouvement MAGA. Ces lobbyistes préconisent de se montrer obéissants, de flatter Trump, de quémander des miettes – car c’est ainsi que les partisans de MAGA eux-mêmes survivent. L’incapacité des États européens à penser par eux-mêmes est devenue l’un des grands défis du moment.
Certes, des efforts de réarmement ont été entrepris, mais ils sont restés lents, limités et insuffisants. Surtout, il n’y a eu aucun plan sérieux pour faire face précisément à la situation actuelle : non seulement à l’abandon de l’Ukraine par les États-Unis, mais aussi à leur rapprochement avec Poutine.
Logiquement, cet échec politique aurait dû paralyser l’Europe. Pourtant, de manière surprenante, les États européens disposent encore d’une opportunité de réparer leurs erreurs, de redresser la situation et de préparer l’avenir avec un espoir de rédemption stratégique. Ils ne disposent de cette chance que grâce au sacrifice et à la volonté de combat des Ukrainiens. L’Ukraine a offert à l’Europe deux cadeaux les plus précieux qui soit.
Premièrement, en détruisant une grande partie de l’armée russe, l’Ukraine a offert à l’Europe un délai pour se préparer à un éventuel futur conflit. Même si un cessez-le-feu était signé demain, il faudrait encore au moins cinq ans pour que l’armée russe redevienne une menace crédible. Elle a perdu presque tous ses véhicules, subi un million de pertes humaines, vu sa marine gravement endommagée et perdu de nombreux avions. Sur certains aspects, il faudra presque reconstruire les forces armées russes à partir de zéro – et, pour l’instant, la Russie n’a pas la capacité industrielle de remplacer ses pertes (même si la Chine pourrait combler certains manques si elle le voulait).
Deuxièmement, l’Ukraine a donné à l’Europe un autre cadeau aussi précieux que le temps : l’expérience. Les États européens ont aujourd’hui la possibilité de reconstruire leurs armées en bénéficiant de l’expérience du corps militaire le plus aguerri du continent – et sans doute du monde. Une expérience précieuse qui enseigne comment les drones, les missiles longue portée, les drones maritimes ont transformé l’art de la guerre.
S’il s’agissait simplement de reproduire les armées du passé, pleines de blindés lourds et de structures dépassées, les efforts seraient vains. L’expérience ukrainienne est l’opportunité de concevoir des forces adaptées aux guerres de demain – pas aux illusions des analystes d’hier.
L’Europe pourrait encore échouer. Si les États-Unis s’alignent durablement sur la Russie et la Chine, la démocratie libérale pourrait être condamnée – à moins que les Européens ne soient prêts à lutter pour elle.
Mais le fait que l’Europe ait encore une chance, un temps pour se préparer et les outils pour tirer les bonnes leçons – tout cela, elle le doit aux sacrifices ukrainiens. C’est une dette de gratitude d’une ampleur historique.
Et peut-être, par ricochet, ce sursis offert à l’Europe permettra-t-il aux États-Unis eux-mêmes de se sauver.
Traduit de l’anglais par Desk Russie
<p>Cet article L’Europe a failli, mais l’Ukraine peut encore la sauver a été publié par desk russie.</p>
29.04.2025 à 23:20
La politique de Trump semble échapper à toute logique. Le parallèle le plus proche serait la présidence de Franklin D. Roosevelt, dont l’entourage fut truffé d’agents soviétiques.
<p>Cet article La généalogie du trumpisme a été publié par desk russie.</p>
La politique de Trump semble échapper à toute logique. Les analystes et les historiens lui cherchent des prédécesseurs. Comme le montre Laurence Saint-Gilles, le parallèle le plus proche serait la présidence de Franklin D. Roosevelt dont l’entourage a été truffé d’agents soviétiques qui fournissaient au président américain des raisons pour céder au diktat stalinien en Europe de l’après-guerre. Comme dans le cas de Roosevelt, la politique trumpienne ne trouve de rationalité que dans la perspective des intérêts géopolitiques russes.
Les bouleversements opérés par la révolution trumpiste tant au niveau international que domestique sont tels qu’ils plongent les observateurs dans un abîme de perplexité. Les évolutions en cours sont si rapides, si inédites et si radicales qu’elles bousculent tous nos repères et modes de pensée traditionnels. Comment en effet « penser l’inimaginable » il y a encore peu de temps7 : que les États-Unis, inspirateurs, fondateurs et défenseurs de l’ordre international libéral mis en place en 1945 négocient en tête-à-tête avec la Russie poutinienne – coupable d’avoir déclenché une guerre d’agression – un « plan de paix » qui aboutirait au démembrement de l’État ukrainien voire à sa disparition pure et simple ? Comment la démocratie phare du monde occidental, détentrice du record mondial de longévité d’une Constitution écrite, peut-elle se saborder en détruisant ses institutions et renoncer aux principes fondamentaux qui constituent son socle idéologique ? Comment justifier le reniement de ses engagements internationaux, l’abandon en pleine guerre de la démocratie ukrainienne, le mépris ouvertement affiché pour ses alliés, la collusion avec un régime russe qui se présente comme l’ennemi de l’Europe et de l’Occident ? Bref, comment expliquer la folie qui entraîne les États-Unis dans une spirale d’autodestruction frénétique que rien ne semble pouvoir arrêter ?
Aux États-Unis, comme dans le reste du monde occidental, si cette expression a encore un sens, la floraison de publications, blogs ou podcasts consacrés au phénomène Trump témoigne de l’angoisse collective suscitée par ses bouleversements. Comme nous peinons à trouver une explication rationnelle à son comportement erratique, nous sommes enclins à nous référer aux grilles d’analyse préexistantes, à rechercher dans l’histoire politique américaine les signes avant-coureurs de la catastrophe. Il nous faut remonter la chaîne des temps, à la quête d’un précurseur, d’une filiation idéologique. Durant sa campagne, Trump n’a cessé de se référer à ses illustres prédécesseurs, comme s’il cherchait à nous mettre sur la voie. Journalistes, politistes et historiens n’en finissent pas de retracer la généalogie du trumpisme. Pourtant, à partir d’une démarche similaire, fondée sur l’étude des précédents historiques, leurs analyses débouchent sur des conclusions si contradictoires que la personnalité, le style et la pensée politiques de Donald Trump semblent irréductibles à toute forme de classification.
Au début de son premier mandat, une explication courante consistait à voir en Donald Trump une sorte d’électron libre qui ne pouvait se rattacher à aucun des grands courants de la politique étrangère américaine puisqu’il se démarquait à la fois de l’internationalisme libéral rooseveltien – condamnant avec vigueur les opérations extérieures de nation-buiding et les alliances des États-Unis – et de l’interventionnisme du mouvement néo-conservateur au sein de son propre parti. Dès 2016, dans un article de Politico, Thomas Wright dénonça cette erreur : « Trump est si évidemment sui generis qu’il est tentant de dire que ses vues sont étrangères à la tradition de politique extérieure américaine. Il n’en est rien ; c’est seulement que ces courants de pensée étaient endormis depuis un certain temps8 ». Ses préceptes en ce domaine (mercantilisme, isolationnisme et populisme) appartiennent, selon ce chercheur, à un corpus idéologique bien antérieur à la Seconde Guerre mondiale, remontant au XIXe siècle.
À la manière du général Andrew Jackson, président entre 1829 et 1837, Donald Trump incarnerait le populisme américain, capable d’utiliser la force de manière rapide et décisive lorsque la sécurité des États-Unis l’exige9. Quant à son « amour » pour les barrières protectionnistes et les droits de douane élevés, Thomas Wright y voyait déjà un legs de la présidence de William McKinley (1897-1901). Au cours de la dernière campagne présidentielle, McKinley a supplanté Andrew Jackson dans le panthéon trumpiste. Donald Trump revendique aujourd’hui fièrement son héritage, car il voit dans ce « business man à succès » un véritable précurseur. Il lui a même rendu hommage dans son discours d’investiture, invoquant le retour à « l’âge d’or de l’Amérique » et a promis de redonner son nom au plus haut sommet des États-Unis. À première vue, McKinley semble bien mériter le surnom de « Tariff King » : en tant que représentant de l’Ohio, en 1890, il augmenta les droits de douane de 38 à 50 % et, devenu président, il signa le tarif Dingley de 1897 qui allait encore plus loin. Cependant si Trump s’inspirait vraiment de McKinley, il saurait que son tarif, loin de faire des miracles, entraîna une hausse des prix et la déroute électorale de son propre parti en 1890. À la fin de sa vie, McKinley « a jeté aux orties son légendaire protectionnisme10 ».
Le chercheur Thomas Wright a également été le premier à relever les analogies entre le mouvement America First et les idées de Trump. Ses positions hostiles aux alliances et aux engagements internationaux des États-Unis font écho à celles du candidat malheureux à l’investiture républicaine, en 1940, le sénateur Robert Taft, figure emblématique du courant isolationniste conservateur, qui s’opposa avant 1941 à l’aide américaine au Royaume-Uni et, après la guerre, critiqua la politique du containment de Harry Truman, estimant que les États-Unis n’avaient pas d’intérêts en Europe occidentale. En outre, la sympathie de Donald Trump pour les régimes autoritaires n’est pas sans rappeler Charles Lindbergh. Le héros de l’aviation américaine qui dirigea le comité America First ne dissimulait pas en effet son admiration pour Hermann Goering et Adolf Hitler.
Pourtant, les analystes qui font remonter les origines de la politique étrangère trumpiste à ce courant des années 1930 commettent à leur tour une erreur, estime Michael Kimmage dans Foreign Affairs11. Lorsqu’America First se développa, les États-Unis ne disposaient que de forces militaires modestes et ne détenaient pas encore le statut de superpuissance. Les partisans de ce mouvement désiraient avant tout maintenir cette situation et tenir leur pays en dehors du conflit. Or, si l’actuel Président veut soustraire son pays aux engagements internationaux, rien n’indique qu’il souhaite le voir se retirer des affaires mondiales comme en témoignent ses menaces d’annexer le Groenland ou de reprendre le canal de Panama et de s’ingérer dans les affaires européennes en soutenant les candidats nationalistes.
Aussi, d’aucuns voudraient plutôt voir dans Donald Trump l’héritier du Président Theodore Roosevelt, symbole de l’impérialisme américain triomphant au début du XXe siècle : après avoir acheté l’Alaska aux Russes (en 1867), les États-Unis « libèrent » Cuba, Guam, Porto Rico, et les Philippines du colonialisme espagnol sous la présidence McKinley et creusent le canal de Panama sous Roosevelt. Pendant la campagne, Musk a déclaré que l’Amérique n’avait pas eu de candidat aussi fort depuis Theodore Roosevelt. Donald Trump est extrêmement flatté de cette comparaison car c’est l’un des Présidents qu’il admire le plus. Mais comme l’explique l’essayiste David Gessner dans le Washington Post, il le vénère sans aucun doute pour de mauvaises raisons12. En réalité, il y a bien des similarités entre les deux hommes. Le rapprochement provient de leurs personnalités narcissiques : comme l’écrivait la propre fille de Roosevelt, Alice, à propos de son père : « Il voulait être le mort à chaque enterrement, la mariée à chaque mariage, et le bébé à chaque baptême. » Mais loin de la caricature simpliste conservée dans la mémoire collective, celle d’une « brute trumpienne belliqueuse », d’après Gessner, Roosevelt était un personnage bien plus complexe, tiraillé entre deux tendances contradictoires, le pragmatisme et l’idéalisme. Parmi les deux tendances que Roosevelt détestait le plus en politique, il y avait certes les dogmatiques, les idéalistes qui nuisent aux justes causes en raison de leur sectarisme. La critique de Roosevelt pourrait s’appliquer à ceux que l’on nomme aujourd’hui « les wokistes » et a de quoi séduire Donald Trump et ses partisans. Mais, d’un autre côté, explique Gessner, Roosevelt haïssait tout autant ceux qui « réussissent trop bien » : « le mercantilisme pour lui-même » lui paraissait méprisable, et la « richesse prédatrice » des entreprises et des grands capitalistes le consternait. Il est d’autant plus étonnant qu’Elon Musk invoque dans ses tweets l’héritage d’un Theodore Roosevelt, alors que ce dernier considérait les oligarques comme « l’élite de la classe criminelle13 ». Selon Roosevelt, « l’efficacité pour elle-même était sinon mauvaise, du moins amorale » si elle n’était pas mise au service du plus grand bien.
Ainsi, bien qu’il soit considéré par ses détracteurs comme « raciste, sexiste et impérialiste », « Roosevelt n’a pas seulement surfé sur la vague progressiste, il l’a pratiquement fondée » en posant les bases du futur programme présidentiel de Franklin D. Roosevelt : « Tout au long de sa carrière, il s’est montré de plus en plus véhément dans ses efforts pour dompter le pouvoir des entreprises, soutenir les pauvres et égaliser les richesses. Il a ouvert la voie à de nombreux programmes mis en œuvre par son lointain cousin, son Square Deal préfigurant le New Deal de Franklin Roosevelt. En tant que président, il a combattu les monopoles et s’est battu pour un salaire décent. En tant que candidat Bull Moose en 1912, il a plaidé en faveur du suffrage universel et d’un filet de sécurité sociale comprenant des indemnités pour les accidents du travail, une protection pour les chômeurs et des pensions pour les personnes âgées. La compassion à l’égard des moins fortunés que lui devient sa force directrice14. »
Il y a donc peu de chances que Théodore Roosevelt eût reconnu un héritier en Donald Trump, lequel dès les premières 48 heures de son arrivée à la Maison-Blanche, abrogea par décrets les directives de Joe Biden qui élargissaient l’accès au soin et aux assurances de santé des classes moyennes et modestes américaines et bloquait même les financements fédéraux du Medicaid. S’il avait connu Donald Trump, estime Gessner, Roosevelt l’eût certainement détesté.
Lorsque Donald Trump s’identifie à un grand Président comme Ronald Reagan, il n’hésite pas à plagier ses slogans. « Make America Great Again », est même devenu l’acronyme du Parti trumpiste. Pourtant, peu de commentateurs ont osé faire un parallèle entre les deux présidents. L’analogie serait pourtant « instructive », estime l’historien Niall Fergusson qui considère que Trump pourrait s’inspirer de la devise « la paix par la force » du premier mandat de Ronald Reagan15. Au début des années 1980, ce dernier s’évertua à rétablir la supériorité des États-Unis sur le plan militaire et idéologique dans la crise des euromissiles avant d’entamer, sous son second mandat, une phase de négociation avec le nouveau dirigeant de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev. Cette dernière déboucha sur la signature du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI de 1987) et au début des années 1990 sur les accords START. Selon Niall Fergusson, Trump, qui est littéralement « né pour marchander », présenterait les mêmes talents de négociateur que le Président Reagan. La méthode de Trump exposée dans The Art of The Deal, consistant à se montrer agressif face à un adversaire tenace mais à savoir s’incliner lorsqu’il le faut, présenterait des analogies avec la stratégie reaganienne. Pourtant, l’habileté diplomatique de Donald Trump est durement mise à l’épreuve dans les discussions américano-russes qui étaient censées ramener la paix en Ukraine en 24 heures. Avant même l’ouverture des pourparlers, Trump s’est empressé d’agréer toutes les exigences de Vladimir Poutine, qu’il s’agisse du refus de voir l’Ukraine adhérer à l’OTAN, des territoires occupés par les Russes ou de la levée des sanctions américaines. Avec Trump, l’adage « la paix par la force » est devenu « la paix par la capitulation ». En effet, en contrepartie de leurs concessions, les Américains, en guise de paix, n’ont obtenu que de vagues accords de cessez-le-feu partiels dont aucun mécanisme de contrôle ne garantit l’application, laissant à la Russie l’opportunité de pilonner les infrastructures civiles ukrainiennes.
Fergusson reconnaît bien qu’il des « différences majeures » entre Trump et Reagan : « Trump est un protectionniste. Reagan était partisan du libre-échange. Trump est hostile à l’immigration illégale. Reagan était souple sur ce sujet. Trump aime les hommes autoritaires alors que Reagan était un promoteur enthousiaste de la démocratie. » À ces exceptions près, il lui semble que les ressemblances entre Trump et Reagan sont « nombreuses et significatives ». Il rappelle que Reagan comme Trump aujourd’hui était craint par les libéraux de son pays et à l’étranger : « Comme le montre Max Boot dans sa nouvelle biographie révisionniste de Reagan, il était considéré, au moment de sa première victoire électorale, comme « un aimable cancre », pour reprendre les termes du grand manitou du parti démocrate, Clark Clifford… Reagan a été moqué, rabaissé et traité avec condescendance plus que tout autre homme politique majeur de son époque – et il en va de même pour Trump aujourd’hui16 ».
Cependant, à la différence de Trump, c’est Reagan lui-même qui contribua à façonner l’image d’un « bouseux inculte ». L’Enfance d’un chef, le documentaire d’Antoine Vitkine, révèle que Ronald Reagan fut un excellent élève, ses résultats scolaires le plaçant très au-dessus de la moyenne mais l’isolant des autres enfants17. Il comprit que pour attirer la sympathie, mieux valait ne pas être le premier de la classe. Alors pour se rendre populaire, l’acteur endossa le rôle du héros positif mais un peu naïf. Reagan était conscient que ses opposants, les médias et les Soviétiques le sous-estimaient mais il considérait cela comme un atout lui permettant de duper ses adversaires.
Dans le cas de Trump, rien ne semble indiquer que le personnage de « l’idiot utile » soit un rôle de composition, si l’on se réfère à Fiona Hill, qui de 2017 à 2019, fut sa conseillère pour les affaires russes et assista à ses entretiens téléphoniques avec Vladimir Poutine : « Le traducteur aplanissait constamment les propos et ne transmettait pas toute la substance de ce que Poutine disait. Le président russe choisissait ses mots très soigneusement et se moquait souvent de Trump ouvertement… » Ainsi, lors du sommet du G20 à Osaka, « Trump et Poutine ont une conversation, et Poutine lui parle de ses nouveaux missiles hypersoniques. Trump écoute et répond : “Oh, j’aimerais bien ça !” Poutine commente : “Ouais, bien sûr tu les auras.” Ils continuent à parler d’Israël. Trump commence à se vanter de ce que “personne n’a fait plus pour Israël que moi” et se met à énumérer tous ses succès. Poutine l’écoute et lui répond d’un ton complètement sarcastique, de manière à ce que quiconque, même non russe, comprenne que c’est une moquerie : “Tu es génial, Donald. Peut-être qu’Israël devrait donner ton nom à un pays ?” […] Trump ne comprend pas qu’on se moque de lui et répond : “Non, ce serait probablement trop18.” »
Contrairement à Donald Trump, Reagan fut rapidement redouté par le Kremlin qui voyait en lui un anti-communiste et un ennemi impitoyable. En avril 1982, pour tenter de faire barrage à sa réélection, le chef du KGB, Youri Andropov, ordonne une « mesure active ». Les hommes du Kremlin infiltrent le QG du Comité national des Républicains et pour discréditer le Président, le présentent comme un serviteur corrompu du complexe militaro-industriel et popularisent le slogan « Reagan c’est la guerre ». Les caricaturistes prennent « l’habitude de représenter un Reagan fou, à cheval sur une bombe atomique en train de tomber, comme le personnage de T. J. « King » Kong dans le film Dr Strangelove19 » . Mais la conspiration se solde par un échec cuisant et Reagan est réélu dans 49 États. Ce revers du KGB est lourd de conséquences : Reagan intensifie sous son second mandat l’aide aux Moudjahidines, transformant l’intervention en Afghanistan en « Vietnam soviétique ». C’est le début du reflux de l’impérialisme soviétique dans le tiers-monde et en Europe de l’Est, où les régimes communistes s’effondrent les uns après les autres, telle une avalanche qui doit emporter à son tour l’URSS.
Depuis 1987, Gorbatchev a compris qu’en essuyant un échec dans la bataille des euromissiles, son pays a perdu la guerre froide. Dès cette époque, les hommes du KGB et du GRU ruminent leur défaite et mûrissent leur revanche. Dans les rangs du GOP, ils peuvent désormais s’appuyer sur une mouvance ultra-nationaliste, issue des réseaux d’Edouard Lozansky et Dimitri Simes, deux prétendus « dissidents » russes installés aux États-Unis qui ont infiltré les instances du parti républicain depuis les années 197020. Bien qu’ultra-conservatrice, cette nouvelle tendance se démarque de l’héritage reaganien et incarne l’isolationnisme de droite, « jugé marginal et extrême21 ». Ce courant est incarné notamment par Pat Buchanan, un ancien conseiller de Richard Nixon et Ronald Reagan, candidat aux primaires républicaines de 1992 sur des thèmes (nationalisme économique et lutte contre l’immigration) qui préfigurent ceux du trumpisme.
Mais c’est justement en Donald Trump, homme d’affaires vaniteux, repéré par les services tchécoslovaques dès 1977, que les services placent leurs espoirs. Trump fait son entrée en politique en 1987, au retour de son voyage à Moscou qui alimente les rumeurs sur la nature réelle de ses liens avec Moscou22. Après avoir placé leur homme sur orbite, les services russes ne le lâchent plus. Ils mettent tout en œuvre pour qu’il accède à la Maison-Blanche car il sera l’instrument de leur vengeance contre Ronald Reagan et l’Amérique des années 1980, forte et sûre d’elle-même, qu’ils rendent responsables de la perte de leur empire en Europe et de l’éclatement de l’URSS. S’ils misent sur Trump, c’est d’abord parce que celui-ci est un « anti-Reagan » tant son caractère contraste avec celui de l’ancien président : « La personnalité de Trump est aussi abrasive que celle de Reagan était charismatique, aussi vindicative que celle de Reagan était magnanime », concède Niall Fergusson. S’il fallait trouver des ressemblances avec un Président, c’est plutôt du côté de Poutine qu’il faudrait les chercher : comme Poutine, Trump est un rancunier. Ce travers fait de lui une proie facile à manipuler. Il n’est pas difficile de le convaincre que les Européens sont des profiteurs qui se défaussent sur les États-Unis pour assurer leur défense, que Zelensky est un ingrat, responsable de la première procédure d’impeachment contre lui, que les services de renseignements ont inventé le Russiagate pour le discréditer, que Joe Biden et les démocrates lui ont volé la victoire en 2020… Pendant la campagne, Trump n’a cessé de répéter que Poutine et lui avaient les mêmes ennemis libéraux, ce qui lui permit de présenter la Russie comme une alliée dans son combat contre le totalitarisme woke et de justifier la collusion avec l’ennemi qui, entre d’autres temps, eût été considérée comme un acte de trahison. Sous le premier mandat de Trump, la propagande russe s’est diffusée dans la société via les médias et les réseaux sociaux sans rencontrer la moindre résistance de l’appareil d’État. Mais depuis sa réélection, sous couvert de démanteler « l’état profond », il procède au démembrement des organismes chargés de défendre les États-Unis contre les tentatives d’ingérences et de déstabilisation étrangères : le nouveau Directeur du FBI, Kash Patel, a annoncé la fermeture du bureau du FBI à New York, chargé du contre-espionnage, les enquêtes visant les oligarques russes ont été closes23. Imagine-t-on un instant Ronald Reagan placer à la tête des agences de renseignement américain Tulsi Gabard, dont la nomination a de quoi « faire trembler la CIA et le FBI » de l’aveu des propagandistes russes ? Mais Donald Trump ne se contente pas de détruire les garde-fous visant à protéger les États-Unis, il abat aussi tous les instruments du soft power américain : l’USAID, qui venait en aide aux dissidents russes et biélorusses, a été dissoute et les radios Voice of America et Free Europe qui portèrent la voix de l’Amérique par-delà le rideau de fer sont réduites au silence. Dans l’imaginaire collectif, le souvenir de Ronald Reagan est associé au projet de bouclier spatial visant à rendre le territoire américain invulnérable face aux attaques de l’ennemi soviétique. Trump, lui, risque de demeurer à jamais celui qui procéda au « désarmement unilatéral » des États-Unis, selon le mot du sénateur démocrate Whitehouse24. Comme sur la caricature de Ben Kichner en couverture de The Economist, le représentant juché sur un globe terrestre qui se balance, Trump est une boule de démolition lancée à grand vitesse sur son propre pays25.
Bien sûr il y aura toujours un observateur très fin – remarque l’éditorialiste David Frum – pour nous convaincre que Trump cache bien son jeu, que ses méthodes sont brutales mais qu’il a en tête de nobles intentions. Et notamment, que son « inclination pro-russe est en réalité une grande stratégie pour contrer la Chine26 ». Pendant la première présidence, les experts nous ont rebattu les oreilles du « Nixon reverse ». En grand stratège, Trump voudrait inverser la stratégie chinoise du Président Nixon qui exacerba les rivalités sino-russes pour obliger l’URSS à accepter la Détente avec les États-Unis. Cette analyse ne résiste pas à l’examen des faits. Car si Donald Trump avait en tête de se dresser contre la deuxième puissance économique mondiale, il souhaiterait mobiliser des alliés solides, souligne David Frum. Au lieu de cela, il préfère s’aliéner les deux voisins immédiats de l’Amérique et ses partenaires historiques en Europe et dans la région du Pacifique et, au cours de sa dernière campagne, il a déclaré que Taïwan ne mérite pas la protection des États-Unis parce qu’elle « ne nous donne rien27 ». En outre, en détruisant les programmes d’aide au développement, Trump fournit à la Chine l’opportunité de renforcer son influence en Afrique tandis que la fermeture de Radio Free Asia est un coup de poignard dans le dos des dissidents hong-kongais. Et, s’il voulait vraiment contrer la Chine, Trump ferait preuve de fermeté face à Poutine, car la guerre en Ukraine est pour Pékin un moyen de tester la détermination des États-Unis. Décidément, selon David Frum, ériger Donald Trump en « un pivot diplomatique brillant, à la Kissinger, ne passe pas l’épreuve du rire28 ».
Mais il nous reste peut-être encore une piste à explorer. L’historien Walter Russell Mead nous met sur la voie en rappelant dans le Wall Street Journal que Donald Trump ne fut pas le premier à « mettre de côté la morale pour conclure un deal avec Moscou » : « Franklin D. Roosevelt, persuadé qu’il aurait besoin de l’aide soviétique contre le Japon si le projet Manhattan ne parvenait pas à livrer une arme de guerre à temps, s’est rendu à Yalta dans les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale dans l’espoir d’enrôler Joseph Staline dans la lutte contre le Pacifique29. » À première vue, les deux présidents sont aux antipodes : l’un ayant précisément mis en place l’ordre international que l’autre s’évertue à détruire.
Cependant, le parallèle est éclairant car à Yalta, en février 1945, comme à Téhéran en 1943, Roosevelt ignore que les négociations avec les Soviétiques sont pipées, Staline ayant toujours une longueur d’avance sur lui : il sait tout ce que Roosevelt veut obtenir de lui, tout ce qu’il est prêt à lui céder et il peut donc à loisir jouer des dissensions de la « relation spéciale » entre les Anglais et les Américains dont il n’ignore rien. Depuis les années 1930, les départements d’espionnage de la Tchéka et le GRU ont infiltré des pans entiers de l’administration fédérale : « de jeunes ambitieux idéalistes tels qu’Alger Hiss, Julian Wadleigh et Lawrence Duggan au Département d’État, Harry Dexter White, au Trésor, et George Silverman, comme statisticien du gouvernement… se voyaient comme des guerriers engagés dans la lutte secrète contre le fascisme30. » Le 2 septembre 1939, au lendemain du déclenchement de la guerre en Europe, l’écrivain et ex-espion soviétique, Whittekar Chambers, confie pourtant tout ce qu’il sait de l’espionnage russe aux États-Unis au sous-secrétaire d’État, Adolf Berle, conseiller de Roosevelt pour la sécurité intérieure. Berle remet au Président un mémorandum avec les noms de tous les espions de premier plan comme Alger Hiss, Harry Dexter White et même Lauchlin Currie, l’un des plus proches conseillers du Président. Mais Roosevelt juge « absurde l’idée d’un réseau d’espionnage au sein de son administration » et ignore les avertissements de ses propres services31. À la demande de Staline, les taupes de Washington débusquent dans les organes gouvernementaux des sympathisants communistes susceptibles de devenir des agents. En avril 1941, le NKVD en a déjà recruté 221. Certains intègrent, dès sa création, la centrale de renseignement américain. L’un d’eux obtient même un poste d’assistant auprès du Directeur de l’OSS, William Donovan, qui déclara plus tard : « J’aurais embauché Staline si j’avais pensé que cela nous aiderait à abattre Hitler32. » Cela explique pourquoi il y a un « abîme entre les informations fournies à Staline sur les États-Unis et celles dont dispose Roosevelt sur l’URSS ».
Cette disparité donne un avantage à Staline lors de sa première rencontre avec Roosevelt à Téhéran, en novembre 1943 : grâce à ses informateurs, Staline sait que Roosevelt est prêt à « heurter » Churchill pour parvenir à un accord avec lui. Il lui propose même, pour de prétendues raisons de « sécurité », de demeurer à l’ambassade soviétique plutôt qu’à la légation américaine. « Il ne semble pas venir à l’esprit de Roosevelt que le bâtiment est truffé de micros et que toutes ses conversations sont enregistrées et transcrites33. » Roosevelt ignore également que son « conseiller le plus influent », Harry Hopkins, entretient des liens clandestins avec l’ambassadeur soviétique à Washington. Grâce à ce canal secret, Moscou connaît la teneur des entretiens entre Churchill et Roosevelt de mai 1943, Hopkins ayant poussé le zèle jusqu’à transmettre à son contact soviétique des documents confidentiels et à le prévenir discrètement des écoutes du FBI. Harry Hopkins n’a sans doute pas été un agent à la solde de Moscou comme l’ont prétendu plus tard certains Soviétiques, mais il n’a pas seulement péché par naïveté ou excès de confiance en Staline (surnommé familièrement « oncle Joe »). Il a aussi agi par inclination idéologique, ce qui en fait bien un agent d’influence. Sincèrement persuadé que l’Allemagne nazie représente un bien plus grand danger que le communisme, Hopkins a convaincu Roosevelt d’accepter les rectifications de frontières qui permettront à Staline conserver ses conquêtes en Europe orientale (la moitié de la Pologne et les États baltes et la Bessarabie annexés lors de l’invasion de septembre 1939, conformément au protocole secret du pacte germano-soviétique) sans même obtenir en compensation la reconnaissance par Moscou du gouvernement polonais en exil, comme le voulait Churchill : « Grâce à Hopkins qui s’était fait le relais de la propagande du Kremlin, Roosevelt abandonna à Staline la moitié de l’Europe34. »
Le soutien inconditionnel accordé par Roosevelt à Staline ne relève pas d’une simple crédulité, il s’agit aussi d’un calcul géopolitique assez cynique car Roosevelt pense que ces concessions territoriales suffiront à apaiser l’obsession sécuritaire de Staline qui disposera ainsi d’un « glacis protecteur » face à l’Allemagne. À Yalta, ayant déjà tout concédé à Staline, les dirigeants occidentaux n’ont plus rien à lui offrir pour obtenir la restauration de la démocratie polonaise et la promesse d’élections libres. Et, comme Alger Hiss a réussi à se faufiler dans la délégation américaine, Staline sait que les Occidentaux, soucieux de ne pas perdre la face vis-à-vis de leurs opinions publiques, se satisferont de la participation de quelques démocrates au gouvernement provisoire fantoche qu’il a installé en Pologne. Staline feint de céder à ses adversaires sur la promesse d’élections libres pour leur donner l’occasion de capituler sans se discréditer. Mais, finalement, Staline ne se contente pas d’empocher la Pologne, celle-ci ne représente pour lui que la première étape d’un plan plus vaste de communisation de toute l’Europe. Donald Trump fait aujourd’hui une erreur similaire : il croit qu’offrir l’Ukraine en pâture à Poutine apaisera sa soif de conquêtes en Europe et le détournera de son alliance avec la Chine. Or l’abandon de la démocratie ukrainienne ne suffira pas à convaincre Poutine de renoncer à ses ambitions impériales. Car, pour lui, « la sphère d’influence russe ne s’arrête pas en l’Ukraine. Elle commence en Ukraine35 ». En revanche, il ne manquera pas de considérer l’abandon de l’Ukraine comme une capitulation américaine qui ne fera que le conforter dans sa volonté d’être au côté du plus fort, le président chinois.
Rappelons que « l’incroyable laxisme » de l’administration Roosevelt en matière de sûreté de l’État, n’eut pas pour seul préjudice la perte de la moitié orientale de l’Europe. Elle fut lourde de conséquences pour la sécurité même des États-Unis. Car les Soviétiques n’ont pas seulement pénétré les services secrets et certains secteurs de l’administration. Informés dès le début de l’année 1943, de l’intention des Américains de se doter de l’arme nucléaire, ils infiltrent le laboratoire secret de Los Alamos. Cinq mois avant le premier essai nucléaire réalisé avec succès à Alamogordo, ils connaissent les principaux éléments de la construction de la bombe et du procédé pour la faire exploser. Quatre ans plus tard, le premier engin soviétique est la copie parfaite de celui d’Alamogordo. Et d’après Vassili Mitrokhine, la pénétration du projet Manhattan n’est que « la partie la plus spectaculaire de l’immense essor pris par l’espionnage scientifique et technologique pendant la guerre ». Celui-ci allait contribuer au développement des programmes d’armements soviétiques36. Ainsi, de nombreux problèmes que les États-Unis ont dû affronter tout au long de la guerre froide (la course aux armes nucléaires avec l’URSS, la partition de l’Europe, etc.) trouvent leur origine dans les décisions prises par le Président Roosevelt sous l’influence des « taupes de Washington ».
Enfin, grâce au noyautage de l’administration Roosevelt, les Soviétiques furent à deux doigts de réussir « la plus spectaculaire infiltration d’un gouvernement occidental37 ». En 1944, au retour d’un voyage officiel en Union soviétique où il avait été dupé par les autorités qui ne lui montrèrent que des « kolkhozes rutilants et des travailleurs au sourire radieux », le vice-président Henry Wallace se fit le porte-parole zélé du Kremlin. Bien qu’ayant sillonné la Sibérie et la Kolyma où croupissaient pourtant des milliers d’opposants politiques, il ne dit pas un mot du Goulag et assure n’avoir vu que « des hommes libres38 ». Sa naïveté n’a d’égal que celle d’un Steve Vitkoff déclarant au lendemain de sa rencontre avec le Président russe que Poutine n’est pas un mauvais type et qu’il a même prié pour son ami Trump39… Grâce à Henry Wallace, Staline faillit réussir un coup de maître en installant au sommet de l’État américain un président et un gouvernement pro-soviétiques. Wallace déclara en effet que si Roosevelt était mort avant la fin de son troisième mandat, et s’il avait dû lui succéder, en novembre 1944, il aurait choisi Lawrence Duggan comme secrétaire d’État et Dexter White au trésor40. Alors, il n’y eût sans doute même pas eu de guerre froide, parce que l’expansionnisme soviétique n’eût rencontré nulle résistance de la part des États-Unis. Finalement, après sa réélection, en novembre 1944, Roosevelt remplaça Wallace par Truman, une décision qui fit échouer in extremis les calculs de Moscou.
Depuis la réélection de Donald Trump, les Américains ont le sentiment d’être plongés au cœur d’une intrigue digne d’un thriller de la guerre froide, où les agents de l’ennemi ont pris le contrôle de leurs institutions. Pour calmer les angoisses de leurs compatriotes, les partisans de Donald Trump trouvent toujours une explication rationnelle à l’attitude iconoclaste de leur Président, à grand renfort de précédents historiques : « Quoi qu’il en soit, nous pouvons nous consoler en nous disant que la nation, la présidence et la république ont déjà connu tout cela et y ont survécu », assure le très conservateur Washington Times41. Ces messages rassurants ne proviennent pas seulement de la presse trumpiste. Ils sont omniprésents dans les argumentaires des dirigeants actuels. À cet égard, le discours de Munich du vice-président J. D. Vance est un véritable morceau d’anthologie de la novlangue orwellienne. Comme dans la bonne vieille langue de bois soviétique, les mots sont dévoyés et énoncent sciemment le contraire de la réalité, et les références à l’histoire servent à mieux nous tromper. Chez J. D. Vance, la croisade pour la liberté du temps glorieux de la guerre froide se mue en un combat contre de nouveaux dangers qui ne proviennent ni de la Russie, ni de la Chine « ni d’aucun autre acteur extérieur » mais d’une « menace de l’intérieur », celle du nouveau totalitarisme que représenterait le camp progressiste coupable d’atteintes à la « liberté d’expression ». Cette dernière impliquerait qu’une puissance étrangère, ses agents et ses influenceurs puisse déverser sans entraves un flot continu de fake news ; « le respect de la démocratie » signifierait le droit pour des acteurs extérieurs d’influencer les résultats du scrutin en recourant à des financements illégaux, occultes et massifs, etc. Et même le Pape Jean-Paul II et sa célèbre exhortation « N’ayez pas peur ! » sont mis à contribution pour convaincre les électeurs des formations démocratiques de ne pas redouter la coalition avec les mouvements extrémistes42. Or la langue de bois et le révisionnisme historique sont des procédés de manipulation mentale fréquemment usités par les régimes totalitaires dans le but de paralyser la volonté populaire – un indice supplémentaire des influences russes dans le discours trumpiste.
Ainsi, les efforts des analystes pour établir la généalogie du trumpisme débouchent toujours sur une impasse. Au moment où nous croyons avoir enfin trouvé son modèle originel, le Trump de fiction s’efface au contact de la réalité, tel un mirage insaisissable. Cependant, si la pensée trumpiste échappe à toute doctrine cohérente au regard de la politique étrangère américaine, elle n’en comporte pas moins une logique propre. Dans la perspective des intérêts géopolitiques russes, elle retrouve même toute sa rationalité. Ainsi en est-il de l’augmentation des droits de douane qui isole les États-Unis de ses partenaires commerciaux et exacerbe les frictions avec la Chine au risque de la guerre commerciale sino-américaine ne débouche sur un conflit dans le Pacifique – une aubaine pour Moscou qui aurait alors les mains libres en Europe.
Comme David Frum le laisse entendre, nous devrions nous méfier des discours qui visent à rationaliser et à normaliser le phénomène Trump pour nous offrir un message de réconfort et calmer nos angoisses, car ils agissent sur nous à la manière du fentanyl, qui « apaise la douleur immédiate », mais cause « de graves dommages à long terme : « Les opioïdes chimiques agissent en bloquant les récepteurs de la douleur dans le cerveau individuel. De même, ces messages apaisants sur Donald Trump agissent en émoussant l’esprit collectif43. »
<p>Cet article La généalogie du trumpisme a été publié par desk russie.</p>
29.04.2025 à 23:20
Notre auteur, attaqué par Riposte Laïque, revient sur les engagements fortement marqués de ce média.
<p>Cet article Riposte laïque, la poutinolâtrie au quotidien a été publié par desk russie.</p>
Dans cet article, Vincent Laloy, attaqué par Riposte Laïque pour un article qu’il a publié il y a un an et demi sur Desk Russie, revient sur les engagements fortement marqués de ce média et dénonce ce porte-voix du Kremlin. Un exercice salutaire à l’heure où « la chorale pro-russe » est de plus en plus audible en France.
Le site d’extrême droite a mis un an et demi pour découvrir notre papier à lui consacré le 25 novembre 2023… Nul doute qu’il mettra aussi longtemps pour lire l’excellent article de Yann Barte dans Franc-tireur du 9 avril 2025, qui rappelle que ledit site est hébergé en Russie. Seulement hébergé ?
Deux répliques à notre papier précité, dont celle d’un certain Oulahbib, qui paraît se décrire lui-même dans son titre « Vincent Laloy, symbole d’une France qui devient un pays sous-développé intellectuellement », car dans le style confus et amphigourique, c’est un modèle du genre. Du reste, parmi les réactions à sa prose, celle signée Paringaux la juge « toujours aussi illisible, on frole (sic) la masturbation intellectuelle, essaye de faire simple ». Rappelons que ledit Oulahbib titrait « Poutine n’avait aucun intérêt à tuer Navalny… » (18 février 2024), rejoint par un Mélenchon qui, bien avant que cet opposant russe ne passe de vie à trépas, lançait que ce « libéral, ce n’est pas mon ami ».
L’autre réplique, à la une, signée du pseudonyme Cyrano, qui ne répond en rien à notre chronique de 2023 – insérée intégralement –, nous vaut d’autres commentaires, la plupart rédigés dans un français et des abréviations souvent impénétrables – à chacun ses capacités ! – sans rapport en tout cas avec ce que nous avons alors écrit. L’un d’eux nous traite de « sioniste », car comment ne pas considérer Israël victime de ces ignobles terroristes (jamais condamnés par Moscou) ? S’agissant de l’islam, le site, parfois fanatique, n’est-il pas quelquefois inspiré ?
On ne reprendra pas, depuis novembre 2023, le permanent récitatif moscovite de Jacques Guillemain, auquel l’on pourrait consacrer un fort volume. Contentons-nous de relever qu’il recopie, dans ses élucubrations du 16 avril, le discours moscovite concernant les trente-cinq morts et la centaine de blessés de Soumy, à savoir que cette tuerie serait le fruit des militaires ukrainiens, lesquels s’en seraient servis comme d’un bouclier humain. Le 23 février 2025, Guillemain titrait « Odieux silence de l’Occident face aux actes de barbarie ukrainiens », à l’opposé, en quelque sorte, de ces braves soldats russes, pacifiques, eux, qui ne font de mal à personne… Ou son autre papier, du 11 janvier, intitulé « Zelensky pousse à la troisième guerre mondiale car la paix lui fait peur ». Il n’est pas une de ses tribunes qui ne glorifie saint Poutine et n’accable l’Occident agressif, dévoyé, corrompu, traité de « nazi », bref désignant systématiquement les victimes en coupables.
Faut-il rappeler que Guillemain s’étonnait, en 2006, que l’on puisse s’inquiéter que la Corée du Nord et l’Iran acquièrent l’arme nucléaire alors qu’Israël la détenait, comme si l’on pouvait mettre en parallèle la seule démocratie régionale, menacée de toutes parts, avec ces États terroristes19 ?
Dans le genre Guillemain, Riposte laïque ouvre ses colonnes, le 23 janvier 2024, au dénommé Laurent Droit qui, dans sa « Lettre ouverte d’amitié à M. le président Vladimir Poutine », se prosterne face à « un grand homme et un grand chef d’État », au contraire des dirigeants français, présentés comme des « traîtres et criminels », pas moins.
Le 18 avril 2025, Christian Navis va jusqu’à établir, à propos de la tuerie de Soumy, un parallèle entre les militaires d’Ukraine et le Hamas, convaincu que des djihadistes ont été recrutés par Kyïv ! C’est ce même auteur qui, après la disparition de Navalny, aurait souhaité intituler son article « Mort d’un pourri », qui finalement devient « Navalny, un individu trouble dont le nouvel ordre mondial fait un héros » (17 février 2024), la victime de Poutine étant qualifiée toutefois de « repris de justice, traître à sa patrie ». Plus ignoble, l’on meurt ! Le même Navis prend la défense de Xenia Fedorova, « brillante journaliste, bâillonnée en France » (13 mars 2024), dont nombre d’auteurs, tel Yann Barte, dans Franc-tireur du 26 février 2025, ont rappelé les hauts faits et gestes, comme sa défense du Monde diplomatique.
Riposte laïque a aussi abrité les élucubrations de Michel Bugnon-Mordant. Le 15 décembre 2023, celui-ci se demande si Washington n’a pas provoqué le tremblement de terre en Turquie et Syrie. N’affirma-t-il pas, à l’instar d’un Thierry Meyssan, que l’Amérique aurait organisé les attentats du 11 septembre 2021 ? Faut-il s’étonner du compte rendu favorable, dans Le Monde diplomatique de décembre 1998, de son livre L’Amérique totalitaire, sous la plume de Paul-Marie de La Gorce, dont il a été révélé depuis lors que ce gaulliste intransigeant était un agent rémunéré des services soviétiques ?
Se prétendant défenseur de notre langue mais usant et abusant de l’impropre « suite à » – que réprouve l’Académie française –, ce diplômé d’HEC de 81 ans a droit de cité permanent au sein de Riposte laïque, où il déverse sa haine de l’Occident et son fanatisme poutinien. Qu’on en juge. Le 15 mars 2022, il se vante d’avoir été le seul géopoliticien en France prédire, une semaine à l’avance, l’intervention russe, « en précisant que, si Poutine n’avait pas le courage d’intervenir militairement en Ukraine, ce ne serait plus un grand homme d’État ».
Le site fait grand cas, notamment sous la plume de Guillemain, de son livre de 370 pages, Notre faux ami l’Amérique – Pour une alliance avec la Russie, préfacé par Piotr Tolstoï, vice-président de la Douma. C’est la Russie, selon Rousset, qui a sauvé la France lors des deux guerres mondiales (3 mai 2024), tandis que l’Amérique n’est intervenue, en juin 1944, que pour s’emparer du pays et non le libérer (13 mai 2024). Trois papiers s’intitulent « Le mirage de la menace russe en Europe ! » (21, 22, 27 mai 2024), condamnant « l’agression de l’Amérique et de ses stupides valets européens, via l’OTAN » contre Poutine, « Européen visionnaire » (23 mai 2024), « un grand homme d’État : le nouveau De Gaulle russe » (16 juin 2024). Rousset invoque ce dernier, ainsi que Chevènement, Vincent Desportes, Alain de Benoist, Eric Branca, Noam Chomsky, Hélène Carrère d’Encausse, Régis Debray, Roland Dumas, Guaino, Oliver Stone, Védrine, Villiers, Julien Assange ou Renaud Girard. Il ne manque que Asselineau, Fillon, Todd et Philippot ! Le même Rousset dénonce « La scandaleuse expansion de l’OTAN à l’Est », citant Paul-Marie de La Gorce ou Pierre Lellouche (29, 30 mai 2024). Pour cet oracle proclamé, « L’Amérique est la seule véritable responsable de la guerre en Ukraine » contre « l’homme d’État Poutine » (31 mai, 1er juin 2024).
Il va même jusqu’à titrer l’un des trois de ses articles « L’Amérique représente le camp du mal et des crimes contre l’humanité » (7, 9 juin 2024), à la notable différence de l’idéologie communiste et ses cent millions de victimes… Celui du 7 septembre 2024 s’intitule « L’avenir de la France est avec la Russie et non pas avec l’Amérique », l’enjoignant de « quitter l’OTAN et s’allier avec la Russie ».
On le voit participer à des journées organisées, en août-septembre 2024, par la revue antisémite Lectures françaises. Son livre susmentionné va devenir, selon son auteur, un « best-seller mondial » (20 décembre 2024), évidemment traduit en russe. Séjournant alors à Moscou : « J’ai été reçu chaleureusement, naturellement, écrit-il le 15 janvier suivant, et en toute simplicité à Moscou, pendant 10 jours […], par les plus hautes personnalités intellectuelles ou politiques, pour avoir été invité à déjeuner par M. Piotr Tolstoï […], pour avoir rencontré […] M. Antoli Torkounov, un très grand homme d’État très influent en Russie, un très grand historien […]. Il se vante d’avoir rencontré le petit-fils de Gromyko, lointain sinistre prédécesseur du non moins sinistre Lavrov, et proclame que son bouquin est un best-seller en Russie, « convaincu [ô modestie !] de l’importance de cet ouvrage, de ce livre unique de ma vie » (15 janvier 2025).
Dans le cadre de ce séjour moscovite, Rousset tient une conférence devant les étudiants du MGIMO, où il expose que la Russie, « bien plus amicale que les États-Unis », est davantage menacée que l’Europe et qu’il conviendrait que cette dernière cesse de la harceler avec sa « propagande mensongère », de même que l’Amérique (20 janvier 2025). Son « best-seller » – que l’on ne trouve dans aucune librairie du Quartier latin – ne lui aura valu, se lamente Rousset, qu’une réponse manuscrite de Philippe de Villiers (10 mars 2025), mais dont il a été question sur divers sites, parmi lesquels figure Omerta, évidemment. Faire préfacer son bouquin par ce Tolstoï qui a prévenu que la Russie pourrait frapper Paris avec l’arme nucléaire, on appréciera. Rousset annonce un prochain séjour à Moscou d’une durée d’un mois et demi. Aux frais de qui ? Sur son blog à la date du 20 janvier, il a lancé une pétition pour qu’un hommage solennel soit rendu aux Invalides au défunt Le Pen.
L’éditorial de Riposte laïque du 20 avril, toujours signé Cyrano, s’indigne que l’écrivain Renaud Camus soit interdit de séjour en Grande-Bretagne et l’on ne serait pas loin de le rejoindre, sauf quand ledit Cyrano accuse le Premier ministre britannique « d’entraîner toute l’Europe dans une guerre criminelle contre la Russie de Poutine ». Camus, fort inspiré à ce sujet, voire lucide, lui, n’hésite pas à qualifier ce dernier de « tyran sanguinaire et mafieux [qui] envahit un pays voisin et lui fait subir le martyre ». Plus anciennement, il estimait que le pays de Poutine « n’est pas le nôtre, que la Russie a opprimé affreusement la moitié de l’Europe pendant un demi-siècle, que leurs intérêts à elle et à lui, sur de très nombreux points, ne sont pas ceux de la France et des autres nations du continent » alors que « ce dont rêvent bon nombre de poutinomanes et d’actuels russolâtres, c’est plutôt que l’Europe devienne russe, dirait-on, se mette à la remorque de la Russie27 ».
Le parti de l’étranger continue d’œuvrer et ce depuis toujours : le régime hitlérien ne fut pas seulement soutenu par le pouvoir en place lors de la dernière guerre mais aussi, durant le pacte germano-soviétique (1939-1941), par le parti communiste, par ailleurs toujours inféodé à Moscou, suivi par les extrêmes d’aujourd’hui, dont la France dite insoumise, soumise également, plus que jamais, au diktat islamiste.
<p>Cet article Riposte laïque, la poutinolâtrie au quotidien a été publié par desk russie.</p>
29.04.2025 à 23:19
À la croisée des ambitions turques, russes, chinoises et iraniennes, le bassin de la Caspienne redevient un enjeu stratégique tandis que l’Europe regarde ailleurs.
<p>Cet article De la mer Caspienne et de l’impéritie des capitales occidentales a été publié par desk russie.</p>
À l’est de la Caspienne commence l’Asie centrale, partie occidentale de l’ancien Turkestan. Les Russes et les Iraniens conjuguent leurs efforts pour dominer le bassin de la Caspienne et ouvrir un corridor nord-sud, censé concurrencer la route de Suez. Alliés à l’Azerbaïdjan, qui se tient à la croisée des axes Nord-Sud et Est-Ouest, les Turcs s’efforcent d’accéder à la Caspienne pour développer une politique pantouranienne au Turkestan. Les Chinois y font passer leurs nouvelles « Routes de la Soie », à destination de la Méditerranée et l’Europe. Qu’importe ! Les États européens peinent à s’accorder sur leur politique orientale tandis que l’Administration Trump rêve de s’abstraire du monde. La Caspienne attendra ! Au péril des équilibres euro-asiatiques et mondiaux.
La Caspienne est une mer intérieure située entre l’Azerbaïdjan et la Russie à l’ouest, le Kazakhstan au nord, l’Ouzbékistan et le Turkménistan à l’est et l’Iran au sud. Elle s’étend sur près de 1 300 kilomètres du nord au sud, et 300 kilomètres d’est en ouest. Le niveau de la Caspienne (environ 28 mètres sous le niveau des océans) et sa surface (373 000 km²) fluctuent en fonction du climat et des apports en eau de la Volga. Au cours du XXe siècle, ces grandeurs connaissent une réduction, puis elles se stabilisent dans les années 1980. Dans la décennie qui suit, le niveau de la Caspienne remonte, au point de menacer les installations humaines dans la partie septentrionale du bassin pour ensuite baisser de nouveau dans les dix-huit dernières années, selon un rapport du parlement kazakh28.
Dans l’Antiquité, la Caspienne était connue sous le nom de « mer d’Hyrcanie », du nom d’une province de Médie, l’appellation actuelle se référant aux Kassites, un peuple de la haute Antiquité qui résidait au sud-ouest de cette mer32. Au Moyen-Age, la mer Caspienne et ses pourtours furent englobés dans les divers empires turco-mongols qui se succédèrent avant de se décomposer en khanats de moindre envergure. Sous Ivan le Terrible, les Russes s’emparèrent d’Astrakhan, à l’embouchure de la Volga (1556), et la conquête des steppes kazakhes fut entamée au siècle suivant, conquête prolongée par celle du Turkestan occidental (XIXe siècle). La mer Caspienne devint alors un « lac russe » et l’Empire perse, sur le littoral méridional, était marginalisé. En vertu des traités de Gulistan (1813) et Tchourkmantchkaï (1828), la Perse n’avait pas le droit de déployer une flotte de guerre sur la Caspienne, à l’inverse de la Russie.
Le statut juridique de la Caspienne évolua avec les traités soviéto-iraniens de 1921 et 1940 : l’Iran pouvait désormais posséder sa flotte et la Caspienne était exploitée en commun, à égalité, entre l’URSS et l’Iran40 (le traité de 1940 définissait la Caspienne comme « une mer soviétique et iranienne »). La dislocation de l’URSS et la création de nouveaux États indépendants sur les littoraux (Azerbaïdjan, Kazakhstan, Turkménistan) bouleversèrent la donne géopolitique, une situation désormais compliquée par la découverte de nouveaux gisements pétrogaziers (6 à 10 % des ressources mondiales), ce qui posait la question de leur exploitation et de leur transport vers les zones de consommation. C’est à cette époque que le bassin de la Caspienne entra de nouveau dans les considérations géopolitiques occidentales.
Dès les années 1990, le libre accès au bassin de la Caspienne, la construction de nouveaux pipelines (oléoducs et gazoducs) et l’évacuation des ressources pétrogazières de la région sans passer par le territoire russe, devinrent autant d’enjeux géopolitiques et de sources de confrontation entre la Russie et l’Occident. Les États-Unis lancèrent une « Silk Road Strategy » et l’Union européenne, dans le cadre du programme TACIS (Technical Assistance to the Commonwealth of Independent States), finança des projets d’infrastructures régionaux. De part et d’autre de l’Atlantique, le vocabulaire différait (moins emphatique et plus technique du côté européen), mais les logiques étaient similaires et les stratégies géoéconomiques convergeaient.
Il apparut alors que le statut de la Caspienne (mer ou lac ?) et son régime juridique conditionnaient la mise en valeur des ressources. Ils se trouvèrent donc au centre des problématiques géopolitiques : chaque État riverain adoptait la position juridique la plus adéquate à ses intérêts. Schématiquement, le statut de « lac » entraîne une exploitation commune et unanime ; celui de « mer » implique une délimitation des eaux territoriales et zones exclusives. Les États disposant de l’ouverture maritime la plus réduite, ou des espaces les moins bien dotés en hydrocarbures off-shore, privilégiaient donc le statut de « lac ». Tel était le cas de la Russie et l’Iran, en opposition à l’Azerbaïdjan et au Kazakhstan, le Turkménistan faisant sienne une position médiane. Toutefois, la position de la Russie évolua et des accords de délimitation furent passés avec l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan, sans qu’une solution globale ait pu rapidement être apportée (voir notamment l’échec du sommet caspien d’Astana, le 13 juillet 2016).
Le conflit portait aussi sur la réglementation des oléoducs et gazoducs sous-marins. À la différence de l’Azerbaïdjan, du Kazakhstan et du Turkménistan, la Russie considérait que la construction de ces conduites requérait l’accord de tous les riverains. Il s’agissait pour Moscou de maintenir l’avantage conféré par le réseau hérité de la période soviétique, centré sur la Russie, celle-ci jouant le rôle de pays de transit pour le bassin de la Caspienne. Ainsi, les oléoducs existants, au départ du Turkménistan et du Kazakhstan, contournent la mer Caspienne par le nord, avant de rejoindre Novorossiïsk, sur la mer Noire. Le gaz turkmène emprunte le même itinéraire circumcaspien et s’écoule ensuite à travers les gazoducs ukrainiens, vers les marchés européens44.
Afin de renforcer leurs positions énergétiques en Europe, les dirigeants russes s’opposèrent vigoureusement et avec constance au développement d’un « corridor sud » vers la Caspienne, en passant par la Turquie (la « passerelle transeurasienne »). Cette « voie ouest » avait été ouverte dès le milieu des années 2000, lors de la construction de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) et du gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzerum (BTE). Au projet paneuropéen Nabucco la Russie opposait celui du South Stream, supposé assurer définitivement le contrôle russe sur l’exportation vers l’ouest des hydrocarbures du bassin de la Caspienne.
L’un et l’autre projet furent remisés au milieu de la décennie 2010. En revanche, le rapprochement turco-russe qui suivit le repli occidental de Syrie permit la construction du Turkish Stream, partiellement inscrit dans la logique du South Stream (sans compensation véritable). Il reste que le renoncement des gouvernements occidentaux dans le projet du gazoduc paneuropéen Nabucco aura signifié leur manque d’intérêt pour la Caspienne et l’Asie centrale, livrées aux arbitrages de Pékin et Moscou qui chapeautent l’OCS (Organisation de coopération de Shanghaï), dont l’envergure n’a cessé de croître depuis sa fondation (2001). Comme si Américains et Européens renonçaient à toute grande stratégie eurasiatique.
Sur le plan militaire, la flotte russe de la Caspienne, en cours de modernisation, surclasse celle des autres pays riverains, aucun d’entre eux ne contestant cet état de fait. Le 7 octobre 2015, le tir de missiles de croisière russes Kalibr sur la Syrie, depuis la Caspienne, appelait l’attention des experts sur ladite flotte : la frégate « Daghestan » et trois corvettes de type Buyan, positionnées en Caspienne, tirèrent une salve de 26 missiles de croisière navals qui survolèrent les territoires de l’Iran et de l’Irak avant d’atteindre leurs cibles. La Caspienne était aussi un couloir de circulation pour les bombardiers russes qui passaient par l’espace aérien iranien pour opérer au-dessus du territoire syrien (voir aussi l’usage un temps de la base de Hamedan, dans le Nord-Ouest iranien). L’autorisation accordée par Téhéran à ces mouvements mit alors en évidence l’alliance russo-iranienne, sur le théâtre syro-irakien et au-delà, quand bien même elle n’était pas exempte de tensions et de contradictions. La suspension des bombardements russes à partir de Hamedan intervint en août 2016, après les protestations d’une partie de la classe politique iranienne et de l’Arabie saoudite.
Par ailleurs, Vladimir Poutine soutint l’entrée de l’Iran dans l’Organisation de Coopération de Shanghaï, ce qui était censé diluer la puissance de la Chine au sein de cette organisation, expliquait-on alors. En revanche, le vague projet russo-iranien de construction d’un canal entre la Caspienne et le golfe Arabo-Persique – une idée présentée dans les années 2000 comme une voie capable de concurrencer la route de Suez –, n’eut pas de prolongements. Toutefois, le récent renouvellement du pacte Moscou-Téhéran remet au premier plan la logique d’un corridor Nord-Sud qui passerait par le « pont terrestre » iranien : la Caspienne conserve toute sa valeur géoéconomique45. Quant à la dimension militaire de la présence navale russe en Caspienne, rappelons que les missiles Kalibr ont dans leur champ de tir l’Ukraine et la totalité de l’Europe. Enfin, la Caspienne est reliée au nord de la Russie et à la mer Baltique par le canal des Cinq-Mers. Ainsi nomme-t-on un ensemble de liaisons fluviales et de canaux qui place Moscou au cœur d’interconnexions entre la mer Blanche, la mer Baltique, la mer d’Azov, la mer Noire et la mer Caspienne. Le fleuve Volga en constitue la principale articulation : ce système assure plus des deux tiers du transport fluvio-maritime russe (il n’est qu’en partie opérationnel, faut de dragage et de réparation des écluses).
Bien que n’étant pas proche voisine de cette mer, la Turquie est aussi intéressée par les évolutions de la zone qui l’entoure et par ses richesses énergétiques. On sait les liens qui existent entre Ankara et Bakou, encore mis en évidence lors des dernières guerres du Haut-Karabakh, remportées par l’Azerbaïdjan (les États turc et azerbaïdjanais considèrent qu’ils forment une seule nation). Outre le fait que l’Azerbaïdjan constitue un important marché pour l’industrie d’armement turque (comme le Turkménistan par ailleurs), ce pays assure une importante proportion de l’approvisionnement énergétique de la Turquie, et ce au moyen de pétrole et de gaz extraits de la mer Caspienne.
Au-delà de ces intérêts croisés, la Turquie entend ouvrir à travers le Caucase du Sud un axe logistique lui assurant un accès direct au bassin de la Caspienne ; un projet momentanément contrecarré par l’insertion de l’Azerbaïdjan dans le projet russo-iranien du corridor Nord-Sud (INSTC). Outre l’Azerbaïdjan, les autres États riverains de la Caspienne sont parties prenantes de l’Organisation des États turciques, soit comme membres (Kazakhstan, Ouzbékistan), soit comme observateur (Turkménistan). Au moyen de cette organisation, Ankara entend se poser en acteur géopolitique de la région et, plus largement, de l’Asie centrale. Dans cette configuration géopolitique, il ne faut pas omettre la Chine populaire, dont les routes terrestres de la Soie (la Belt And Road Initiative) empruntent l’Asie centrale, la Caspienne et le Caucase. Loin d’être bloquées par la mauvaise volonté russe, les ambitions chinoises sont confortées par la constitution d’un axe Moscou-Pékin, constamment renforcé au cours des quinze dernières années.
Quid des Occidentaux dans cette configuration géopolitique ? À la différence des années 1990-2000, la mer Caspienne et l’ancien Turkestan semblent avoir disparu des représentations mentales des dirigeants occidentaux, en Europe comme aux États-Unis. Le théâtre ukrainien et les enjeux de la mer Noire constituent l’extrême limite orientale de la réflexion stratégique. Si les Européens n’ont pas véritablement le choix (géographie oblige), l’administration Trump explique désormais qu’elle n’en a plus rien à faire : après avoir échoué à conclure une quelconque paix, sinon juste du moins honorable, le président américain veut qu’on lui fiche la paix46.
Malgré la candidature de la Géorgie aux instances euro-atlantiques (l’Union européenne et l’OTAN), même l’avenir du Caucase, cet isthme entre la mer Noire et la Caspienne, relève désormais de l’impensé. Tout au plus verse-t-on une larme sur le sort de l’Arménie, celle-ci se trouvant sans grande solution de rechange, et passe-t-on des achats de gaz avec l’Azerbaïdjan, pendant que Ilham Aliev négocie le statut de puissance de son pays avec la Turquie, la Russie et l’Iran. D’ores et déjà, il se voit en potentat régional du Caucase et maître de l’accès au bassin de la Caspienne47.
Pendant ce temps, les États-Unis sont « ailleurs », Donald Trump rêvant d’un monde dans lequel la principale puissance pourrait choisir de participer ou non au système international. Quant aux États européens, ils se concertent pour savoir s’il leur faut véritablement assumer les responsabilités que les Américains menacent d’abandonner, pour défendre collectivement leurs frontières orientales. Tous ne semblent pas même croire nécessaire de faire de l’Ukraine leur première ligne de défense. Dès lors, la Caspienne… « Who cares ? » L’après-guerre froide avait rétréci les distances-temps géographiques mais le bassin de la Caspienne et l’Asie centrale retrouvent leur épaisseur et leur opacité, du moins pour les capitales occidentales.
Pourtant, la mer Caspienne est une interface avec les profondeurs de l’Eurasie, au sein de laquelle s’affirment de nouveaux rapports de force dont l’Europe subira les effets et les répercussions. Souvenons qu’en 2001, nombre d’experts pensaient que l’OCS serait rapidement moribonde, sous l’effet des rivalités sino-russes ; ce géosystème eurasiatique constitue en fait un incubateur de puissance. Si l’Europe était privée de sa profondeur stratégique que l’alliance avec les États-Unis et la prépondérance navale de l’Occident lui ont jusqu’alors assurée, elle pourrait redevenir une « péninsule asiatique », un destin évoqué par Nietzsche avant la fameuse formule de Paul Valéry.
D’une certaine façon, ce serait un retour à l’ère précolombienne, lorsque ce complexe d’isthmes, de péninsules et de presqu’îles qu’est l’Europe subissait le rythme des steppes et des invasions venues du Heartland eurasiatique : la hantise du géographe britannique Halford MacKinder et de l’école géopolitique anglo-saxonne ; ces schémas de pensée, certes marqués par le scientisme de l’époque, témoignaient d’une certaine conscience historique des enjeux de longue portée. Vu de Washington, il serait erroné de croire un tel réaménagement des rapports de puissance sans effets pour le rôle et le rang des États-Unis. Mais Mar-a-Lago (Palm Beach), n’est pas Washington, ni même New-York.
<p>Cet article De la mer Caspienne et de l’impéritie des capitales occidentales a été publié par desk russie.</p>
29.04.2025 à 23:19
Face à l’alliance des forces de la « paix », la Russie et les États-Unis, c’est l’Europe qui est désormais accusée d’être « fasciste ».
<p>Cet article Vers un pacte Poutine-Trump ? a été publié par desk russie.</p>
La doxa du Kremlin est « souple ». Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’URSS considérait les États-Unis comme son plus grand adversaire idéologique. La direction poutinienne considérait même que la guerre en Ukraine était en réalité celle entre les États-Unis et la Russie et que les Européens n’étaient que des vassaux des USA. Avec Trump, la donne a changé. C’est l’Europe qui est désormais accusée d’être « fasciste », face à l’alliance des forces de la « paix » : la Russie et les États-Unis. Françoise Thom livre une analyse scrupuleuse de cette nouvelle doctrine russe, à partir d’un document récemment publié par le Service du renseignement extérieur russe, le SVR, dont nous publions la traduction (voir ci-dessous).
Le Bureau de presse du SVR vient de se fendre d’un document programmatique qui mérite toute notre attention, car il ambitionne de jeter le fondement historique et idéologique de l’entente russo-américaine qui se dessine depuis le retour au pouvoir de Donald Trump. Ce fondement, c’est le projet de destruction de l’Europe démocratique. On remarquera le tournant dans la rhétorique du Kremlin concernant l’UE. Il ne s’agit plus de l’Europe libérale décadente des gays et des lesbiennes, mais d’une Europe en quelque sorte génétiquement fasciste. Cette évolution s’amorce à l’automne 2024, quand Sergueï Karaganov, un expert proche du Kremlin48, se livre à une violente diatribe contre une Europe « source de tous les maux de l’humanité… L’Europe est la pire chose qui ait été produite par l’humanité au cours des 500 dernières années au moins. Je pense au néocolonialisme, au racisme, aux nombreux génocides, au nazisme, etc. Il faut les éliminer… L’Europe historique doit être jetée dans les poubelles de l’histoire afin qu’elle ne gâche plus la vie de l’humanité. » « L’Europe doit être appelée comme elle le mérite, afin que la menace d’utiliser des armes nucléaires contre elle soit rendue plus crédible et justifiable. », précise Karaganov. Dès janvier 2025, Karaganov avait formulé l’un des objectifs russes : « Il est urgent d’écarter temporairement l’Europe de la solution des problèmes mondiaux. » Ce tournant marque la prise de conscience par le Kremlin que le problème de l’Europe ne sera pas résolu par le retrait américain de l’OTAN. À leur grande surprise, les dirigeants russes s’aperçoivent que les pays européens ne sont pas les caniches des États-Unis, comme le serinait leur propagande depuis 1947, qu’ils ont une volonté propre et qu’ils risquent d’être capables de résister à la poussée impériale russe de leur propre chef.
L’opus du SVR est dirigé prioritairement vers les États-Unis, comme on va le voir. On peut donc s’étonner de ce que Moscou ait abandonné le thème de l’Europe « woke » auquel les trumpiens sont nettement plus sensibles qu’au spectre d’une Europe ataviquement « fasciste » évoqué ici par les historiens en épaulettes du SVR. Ce retournement s’explique par une cause simple qui n’a rien de rassurant pour nous autres Européens. Aux yeux des poutiniens, l’Europe décadente d’autrefois, obsédée par les minorités, livrée à la propagande LGBT, ne posait pas de problème à long terme : elle était vouée à dégénérer et s’éteindre de sa belle mort. En revanche, l’Europe d’aujourd’hui, qui fait bloc derrière l’Ukraine en dépit du lâchage américain, cette Europe qui prend conscience d’elle-même, se réarme et se dresse en face de la Russie, cette Europe de la résistance est perçue comme un ennemi à abattre. Or dans la mythologie du Kremlin, tout ennemi de l’autocratie russe se voit coller l’étiquette « fasciste », voire « nazi ». Le thème de « l’Europe nazie » (ou « fasciste ») annonce que le Kremlin se prépare à la guerre contre l’Europe, de même que la dénonciation des « nazis de Kiev » préparait idéologiquement l’invasion de l’Ukraine.
« L’Europe nazie » est désormais un topos de la propagande du Kremlin. Ainsi, Lavrov s’est indigné du refus des dirigeants européens d’assister à la grande parade du 9 mai49 : « On a du mal à comprendre pourquoi l’UE veut ressusciter l’idéologie européenne du nazisme. » Dans un article intitulé « Comment briser l’échine aux Européens », Karaganov formule un programme d’action : « Nous devons dire en clair aux Européens : vos élites feront de vous la prochaine portion de chair à canon et, si la guerre devient nucléaire, nous ne serons pas en mesure de protéger la population civile de l’Europe, comme nous essayons de le faire en Ukraine (sic)… Bien entendu, les élites européennes doivent être informées qu’elles deviendront, ainsi que leurs résidences, les premières cibles des frappes nucléaires de représailles. Il ne sera pas possible de demeurer planqué. » Et de conclure : « La paix sur le sous-continent ne pourra être établie que lorsque nous aurons brisé l’échine de l’Europe une fois de plus, comme ce fut le cas lors de nos victoires sur Napoléon et Hitler, et lorsque les élites actuelles seront remplacées par une nouvelle génération. Et cela ne se produira pas dans un contexte étroitement européen – l’Europe est finie –, mais dans un contexte eurasien. »
Mais penchons-nous d’abord sur la manipulation de l’histoire à laquelle se livrent les propagandistes poutiniens dans le texte qui nous occupe. Ceux-ci voient en effet dans l’histoire un arsenal où l’on peut puiser des armes pour détruire ou démoraliser l’adversaire, influencer le partenaire potentiel. Ce qui frappe ici, c’est avant tout l’amateurisme des auteurs qui se sont acquittés de la tâche confiée par leurs chefs en rendant une copie bâclée, rédigée par-dessus la jambe. Invoquer le précédent du jacobinisme pour étayer la thèse d’un penchant « fasciste » congénital en France ne manque pas de sel quand on se souvient que les Jacobins ont inspiré Lénine, lequel trouvait d’ailleurs que les révolutionnaires français étaient trop doux et n’avaient pas exterminé suffisamment d’ennemis du peuple. Nos plumitifs du SVR auraient évité de mentionner Drieu La Rochelle comme théoricien de l’eurofascisme s’ils avaient pris la peine de lire les écrits de ce dernier. « Le chemin de Mussolini et celui de Staline vont l’un vers l’autre50 », écrit-il en 1934 dans Socialisme Fascisme, où il parle avec éloge de « l’esprit d’activité virile du bolchévisme et du fascisme51 ». Citons aussi quelques-unes des annotations de son Journal. Le 16 juin 1934 : « Ce redressement, cette renaissance du corps, c’est le ressort le plus intime et le plus puissant des mouvements fascistes, hitlérien, et même bolchevik. » Le 2 septembre 1943 : « Ma haine de la démocratie me fait souhaiter le triomphe du communisme52. »
De même eût-il mieux valu se dispenser de faire parade des collaborateurs français dans les rangs allemands. Avec jamais plus de 6 500 combattants simultanément engagés, la France eut la plus faible contribution en volontaires de toute l’Europe collaborationniste. Du côté soviétique, ils ont été plus d’un million !
Mais les fantassins du front idéologique du Kremlin réservent l’essentiel de leurs flèches à la Grande-Bretagne. Dans leur ardeur à prouver que la brumeuse Albion était encore plus prédisposée au « fascisme » que la France, nos gratte-papiers tchékistes ne font pas de différence entre monarchie et tyrannie, différence pourtant fondamentale formulée par Socrate dès le Ve s. av. J.-C. : « La royauté est le gouvernement d’hommes consentants et des cités en conformité avec les lois, alors que la tyrannie est le gouvernement d’hommes contraints et en violation des lois, selon le bon vouloir de celui qui détient le pouvoir53. » Ils ne dédaignent pas de puiser les arguments étayant leur détestation de l’empire britannique dans la production d’inspiration woke des universités américaines. À les en croire, c’est l’Angleterre qui aurait soufflé à Hitler l’idée des pratiques génocidaires – nos tchékistes font sans doute allusion aux camps de concentration où les Britanniques incarcéraient les Boers en 1900-1901. Mais c’est plutôt l’exemple bolchévique qui a inspiré Hitler – en témoignent les Carnets de Goebbels qui montrent à quel point les dirigeants du Reich s’intéressaient aux méthodes bolchéviques. Rappelons que la Russie avait créé des camps de concentration dès l’été 1918, où Lénine avait ordonné d’interner « les koulaks, les prêtres, les Gardes blancs et autres éléments douteux ». Bref, l’impérialisme britannique dépasserait en horreur le fascisme. La perfide Albion aurait cumulé les forfaits historiques : sympathies pour Mussolini, connivences des élites anglaises pour les nazis, responsabilité pour la guerre froide, soutien au régime de Kyïv – rien n’y manque.
L’extraordinaire animosité à l’égard de l’Angleterre qui s’exprime ici a deux causes. D’abord, l’hostilité russe traditionnelle à l’égard de la Grande-Bretagne, qui a toujours vu clair dans le jeu russe, plus que les autres pays européens, et a fortiori que les États-Unis. On sait que, traditionnellement, la diplomatie britannique a poursuivi un objectif : l’équilibre des puissances en Europe. Dès qu’un pays risquait de s’assurer la prépondérance sur le continent, la Grande-Bretagne agissait pour rétablir l’équilibre. Comme, après la défaite de Napoléon et l’affaiblissement de l’empire ottoman, la Russie était en passe de devenir la puissance dominante en Europe, la Grande-Bretagne intervint et ce fut la guerre de Crimée de 1853-1856, apogée de la russophobie européenne selon la propagande slavophile, en réalité illustration du mécanisme du concert européen. Pour le même motif, le gouvernement britannique joua effectivement un rôle clé dans la genèse de la guerre froide. Cela nous mène à la deuxième raison de cet acharnement sur l’Angleterre. À un moment où la Russie rêve d’un remake du pacte Ribbentrop-Molotov, cette fois avec les États-Unis, pour se partager l’Ukraine et faire reconnaître son hégémonie sur l’Europe centrale et orientale, elle redoute particulièrement la « relation spéciale » entre Londres et Washington. Ainsi, nous trouvons dans l’opus du SVR nombre d’appels du pied dans le sens d’une entente russo-américaine contre l’Europe. Pour plaire à Trump et l’encourager dans ses desseins impérialistes au Canada, le texte fait allusion à l’incendie de Washington (24 août 1814) par une force britannique, lorsque, dans l’espoir de détourner les ressources militaires américaines du Canada, les Britanniques débarquèrent dans la baie de Chesapeake. Ils battirent alors une force américaine à Bladensburg, puis poussèrent jusqu’à Washington, où ils brûlèrent le Capitole et la Maison-Blanche. Comme on pouvait s’y attendre, mention est aussi faite de la guerre de Suez de 1956, où Soviétiques et Américains sont intervenus pour stopper les « enragés européens ».
Les Russes ont beau se féliciter de ce que désormais « la Russie et Trump soient dans le même bateau », ils craignent que Trump ne change de position du jour au lendemain comme il le fait souvent. D’où les efforts convergents de tout l’appareil de puissance du Kremlin pour arrimer Trump à l’attelage russe. De même que Staline se mettait en quatre pour plaire à Hitler au moment du pacte germano-soviétique (août 1939 – 22 juin 1941), au point de donner à Moscou des concerts et des opéras de Wagner (le compositeur favori du Führer), de même Poutine est aux petits soins pour Trump. Il commande son portrait à un artiste russe. Il fait miroiter devant ses yeux éblouis la perspective de construire une Trump Tower à Moscou. Vladimir Medinski, l’ancien ministre de la Culture de Russie, fait savoir qu’il a ordonné la réécriture des manuels d’histoire pour saluer les efforts de Trump pour la paix. Mais le ciment du futur pacte Poutine-Trump doit être la haine de l’Europe et le projet de destruction de l’UE. Les Russes placent beaucoup d’espoirs dans l’idéologue trumpien Steve Bannon qui, selon le politologue Vladimir Mojegov, veut s’appuyer sur la droite européenne afin de « briser le mondialisme européen et créer à la place de l’Europe mondialiste d’aujourd’hui, écrasée par l’euro-bureaucratie, une nouvelle Europe nationale et conservatrice […]. Le géopoliticien Bannon voit un monde de grandes puissances, avec trois puissances principales : l’Amérique, la Chine et l’Eurasie centrale (la Russie, l’Europe, l’Inde). Un monde tripolaire selon ses vues. » Un autre objectif de la campagne de dénigrement de l’Europe lancée par le Kremlin est la démoralisation des Européens par leur culpabilisation (d’où le tableau de l’histoire européenne comme un interminable catalogue de forfaits). À cela, les Européens peuvent rétorquer qu’ils n’ont pas le monopole des abominations : le passé russe donnerait lieu à un catalogue bien plus accablant. Avec une différence majeure : les Européens ont affronté honnêtement leur passé et en ont tiré les leçons, alors que la Russie s’enivre de ses crimes, exalte les pratiques génocidaires de Staline et s’en inspire. Les Européens savent d’expérience où mènent la folie nationaliste, l’aspiration au Lebensraum, le culte aveugle du chef, le fanatisme, le mépris du droit, l’injustice. Ils savent que l’économie n’aime pas qu’on lui fasse violence et se venge. « La civilisation européenne, écrit Georges Bernanos, à l’exemple de toutes les civilisations qui l’ont précédée dans l’histoire, était un compromis entre le bon et le mauvais de l’homme, un système de défense contre ses instincts. Il n’est pas d’instinct de l’homme qui ne soit capable de se retourner contre l’homme et de le détruire54. » Nous sommes face à deux prédateurs chez lesquels ce système de défense n’existe plus. Tout à leurs rêves d’anéantir les libertés chez les autres, la Russie et les États-Unis sont en train de se détruire eux-mêmes de leurs propres mains. L’hubris se paie tôt ou tard. C’est là le véritable enseignement de l’histoire. Notre devoir d’Européens est de tenir bon, de rester solidaires, de ne pas sous-estimer nos forces, de ne pas surestimer celles de la Russie, d’aider l’Ukraine et de faire échec aux plans des deux fauves qui ourdissent notre perte.
Desk Russie publie en entier ce document officiel révélateur du Service des renseignements extérieurs :
Bureau de presse du SVR russe, 16 avril 2025
Les analyses rétrospectives des politiques des États occidentaux témoignent de la « prédisposition historique » de l’Europe à diverses formes de totalitarisme, qui engendrent périodiquement des conflits destructeurs à l’échelle mondiale. Selon les experts, la discorde actuelle dans les relations entre les États-Unis et les pays de l’UE accusant D. Trump d’autoritarisme devient, dans le contexte du prochain 80e anniversaire de la Victoire de la Grande Guerre patriotique, un facteur contribuant à un rapprochement conjoncturel entre Washington et Moscou, comme cela s’est produit à de nombreuses reprises dans le passé.
En témoigne notamment le scandale lié aux demandes du député français au Parlement européen Raphaël Glucksmann aux Américains, qui ont « décidé de se ranger du côté des tyrans », de restituer à Paris la Statue de la Liberté, qui avait été précédemment offerte aux États-Unis. M. Glucksmann, représentant des forces globalistes et fervent partisan du régime de Kiev, reproche au locataire du bureau ovale d’avoir affaibli son soutien à l’Ukraine et d’avoir licencié des fonctionnaires aux opinions libérales. Le secrétaire de presse de la Maison-Blanche, K. Leavitt, a mouché le « Gaulois impudent », rappelant qu’il doit au bon vouloir des États-Unis, dont les troupes ont débarqué en Normandie en 1944, la possibilité d’exprimer ses pensées en français, et non en allemand.
On ne peut que le constater : c’est en France que des régimes dictatoriaux particulièrement atroces et cruels sont arrivés au pouvoir à de nombreuses reprises. Par exemple, la dictature jacobine, qui, en 1793-1794, a tué des milliers de ses propres citoyens et emprisonné 300 000 personnes soupçonnées de « contre-révolution », ainsi que les actions sanglantes de Napoléon. On constate aussi que l’Amérique est libre grâce à la volonté des ancêtres des Américains modernes de résister à des dictatures telles que la monarchie britannique ou la révolution jacobine.
Selon les experts, c’est dans les écrits de l’écrivain et publiciste français Pierre Drieu la Rochelle, qui a collaboré avec les autorités d’occupation allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale, que le concept d’eurofascisme a été introduit et que son idéologie a été justifiée comme étant inhérente non seulement aux Allemands, mais aussi aux autres « sociétés » d’Europe. Dans ce contexte, on peut rappeler la division SS française de volontaires, nommée en l’honneur de Charlemagne, l’ « unificateur de l’Europe ». Les soldats de cette unité ont défendu le Reichstag contre l’Armée rouge qui le prenait d’assaut jusqu’aux dernières heures du régime hitlérien. Douze de ces fanatiques nazis ont été capturés aux États-Unis, puis remis au général français Philippe Leclerc. Le 8 mai 1945, sur son ordre et sans délai judiciaire inutile, tous ces criminels de guerre ont été exécutés.
Dans les cercles d’experts conservateurs des États-Unis d’Amérique, on considère l’élite britannique comme fort encline à commettre les crimes les plus graves contre l’humanité, comme l’a mentionné un représentant de D. Trump. Caroline Elkins, professeur à l’université de Harvard, affirme de manière très convaincante que c’est aux Britanniques que le régime totalitaire de l’Allemagne hitlérienne a emprunté l’idée des camps de concentration et la pratique du génocide. Elle souligne que l’ « impérialisme libéral » britannique est une force plus stable et donc encore plus destructrice que le fascisme, car il possède une « élasticité idéologique », c’est-à-dire la capacité de déformer les faits, de dissimuler les réalités et de s’adapter aux situations nouvelles.
Lauren Young, spécialiste de la sécurité et de la défense, évoque les liens étroits entre l’aristocratie britannique, y compris la famille royale, et les nazis allemands. Elle attire l’attention sur une visite en Italie avant le déclenchement de la Grande Guerre par le futur Premier ministre britannique Winston Churchill, qui avait une impression favorable du régime fasciste local. On se souvient que le discours incendiaire de Churchill à Fulton en 1946 a été l’élément déclencheur de l’engagement actif des États-Unis et de l’Europe dans la guerre froide avec l’URSS. Pendant cette période, les Britanniques (par analogie avec la « machine à mentir » de Goebbels) se sont livrés à une « propagande noire », ont mené des opérations de désinformation et des opérations spéciales qui ont entraîné la mort de centaines de milliers de personnes en Afrique, au Moyen-Orient et en Indonésie, soulignent les experts occidentaux.
À cet égard, les analystes ne sont pas surpris par le rôle destructeur de premier plan joué par Londres dans le conflit ukrainien. Les Britanniques encouragent par tous les moyens le régime de Kiev, qui glorifie les bourreaux de Bandera ayant combattu aux côtés d’Hitler et qui commet aujourd’hui lui-même de nombreux crimes contre l’humanité. D’ailleurs, l’Amérique a fait l’expérience des atrocités britanniques en août 1814, lorsque les troupes britanniques ont occupé Washington, brûlé le Capitole et la Maison-Blanche. Selon les experts, il semblerait que les historiens américains soient allés jusqu’à proposer d’appeler la Grande-Bretagne le premier « empire du mal ».
Les spécialistes rappellent que, par le passé, il est arrivé que Washington et Moscou s’associent pour contrer Londres et Paris sur la scène internationale. La crise de Suez, en 1956, en est un exemple caractéristique : la fermeté de l’URSS et des États-Unis a permis d’arrêter la triple agression de la Grande-Bretagne, de la France et d’Israël contre l’Égypte. Une autre page méconnue de l’histoire occidentale est celle de la guerre de Crimée de 1853-1856, au cours de laquelle la Grande-Bretagne, la France, l’Empire ottoman et le Royaume de Sardaigne se sont unis contre la Russie (à l’instar de l’actuelle « coalition des volontaires »). Tout en observant formellement la neutralité, les sympathies de la Maison-Blanche dans cette confrontation étaient du côté de Saint-Pétersbourg. En témoignent la participation de médecins américains au traitement des défenseurs de Sébastopol, la « volonté de 300 fusiliers du Kentucky » de prendre part à la défense de cette ville, et l’activité de la Compagnie russo-américaine dans la fourniture de poudre à canon et de nourriture à nos forteresses et possessions sur la côte du Pacifique.
Il convient de noter qu’au cours de cette « expédition » en Crimée, les troupes anglo-françaises ont bombardé Odessa, dévasté Eupatoria, Kertch, Marioupol, Berdyansk et d’autres villes de Novorossia, que l’Occident qualifie aujourd’hui d’ukrainiennes. Ces mêmes villes et villages ont été impitoyablement détruits par les fascistes allemands pendant la Grande Guerre patriotique.
Il y a 80 ans, tous les peuples de l’Union soviétique ont participé aux batailles sacrées contre les fascistes allemands et européens. En Crimée, des monuments sont érigés à la mémoire des soldats des unités formées dans les anciennes républiques soviétiques – Azerbaïdjan, Arménie et Géorgie – qui sont morts lors de l’assaut de Sébastopol en 1944. Ces mêmes monuments, ainsi que les tombes des victimes de l’Holocauste, parsèment tout le Donbass, alors que Kiev sympathise avec les bourreaux fascistes et qu’Israël prétend « ignorer » cela.
En ce qui concerne les relations russo-américaines dans le contexte des événements passés et actuels, les cercles d’experts étrangers expriment l’espoir que Moscou et Washington uniront à nouveau leurs efforts afin d’empêcher le monde de glisser vers un nouveau conflit mondial et de contrer les éventuelles provocations de l’Ukraine et des « Européens en proie à la folie », encouragés comme toujours par le Royaume-Uni.
Traduit du russe par Desk Russie et revu par Françoise Thom
<p>Cet article Vers un pacte Poutine-Trump ? a été publié par desk russie.</p>
29.04.2025 à 23:18
Les secouristes improvisent pour sauver les blessés. Un état des lieux qui interroge aussi l'Europe.
<p>Cet article Ukraine : La condition des militaires blessés appelle à réfléchir a été publié par desk russie.</p>
Dans certaines zones du front infestées par les drones, l’évacuation des militaires blessés devient quasiment impossible. La situation, dans de nombreuses unités, est aggravée par le manque d’entraînement des militaires aux gestes des premiers secours en temps de guerre et par le manque de soignants et de matériel individuel de premier soin. Un problème qui dépasse le seul domaine militaire et qui mérite l’attention, en dehors des frontières de l’Ukraine.
En un an de service comme secouriste militaire dans l’armée ukrainienne, Kristina Voronovska, 36 ans, a évacué plus de cent blessés du front. Elle qui travaillait dans le secteur humanitaire jusqu’au début de l’offensive russe de 2022 n’a pourtant pas fait d’études en santé ; mais elle parle anglais. Dès les premières semaines du conflit, une fois son fils réfugié à l’étranger avec son père, Kristina s’engage pour la cause ukrainienne en tant que volontaire. Pendant plusieurs mois, elle offre ses services comme interprète à différentes associations étrangères venues porter secours aux civils menacés par l’avancée des troupes russes, ainsi qu’aux vétérans venus former les militaires ukrainiens aux premiers secours en temps de guerre. En septembre 2023, la mort de deux bénévoles de l’association française Road to Relief, ciblés par un tir de missile russe, ainsi que celles d’autres bénévoles de sa connaissance, la convainc finalement à s’engager dans l’armée, par égard pour sa famille si elle venait à perdre la vie.
Rompue aux situations extrêmes ainsi qu’aux protocoles de soins d’urgence à force de les traduire, sans pour autant avoir eu le temps d’obtenir les certifications correspondant à ses compétences, Kristina est naturellement orientée vers une équipe secouristes militaires à partir de mars 2024. Au cours des premiers mois, elle a plus précisément réalisé ce qu’on appelle, dans le jargon militaire anglophone et désormais ukrainien, des « casevacs » (pour casualty evacuations), c’est-à-dire des évacuations de blessés depuis les lignes de front.
Initialement, se souvient cette femme qui, même dans les bunkers du front ne se déplace jamais sans un livre, « nous pouvions aller directement jusqu’à l’abri [dans lequel les blessés étaient regroupés, NDLR] ; genre directement dans les tranchés, récupérer les blessés ». En quelques heures, ceux-ci pouvaient être pris en charge par l’équipe d’évacuation, être remis à une équipe médicalisée et emmenés jusqu’à un poste de stabilisation des blessés situés à quelques kilomètres du front, ou directement dans un hôpital militaire, afin de s’y voir prodiguer les soins d’urgence par une équipe de médecins. Depuis quelques mois cependant, ce schéma est devenu presque impossible à suivre.
Pour cause, explique Kristina, rencontrée dans son village de garnison de l’oblast de Kharkiv puis interviewée par téléphone, le front est infesté de drones tueurs en certains points, et de façon croissante. En 2022, poursuit-elle, être confronté à cette menace, « c’était super rare […]. En 2023, bien sûr, il y avait déjà beaucoup de drones un peu partout ; genre des drones de reconnaissance […]. Ce n’était pas si dangereux que ça ; mais en 2024, les choses ont considérablement changé. »
Issus de la technologie civile, ces drones, utilisés par les deux armées, sont modifiés de façon à pouvoir emporter une charge explosive destinée à être projetée avec le drone sur sa cible (drone kamikaze) ou à pouvoir larguer des munitions. Leur portée s’étend à une vingtaine de kilomètres. Très dirigeables, ils permettent de suivre et frapper une cible en mouvement, qu’il s’agisse d’un humain ou d’un véhicule ; des cibles d’autant plus facilement repérables que le front est en permanence scruté par des drones d’observation, volant à plus haute altitude. De jour et, de plus en plus souvent, de nuit, aucun mouvement ne peut donc échapper à l’ennemi.
Interrogé sur le risque que représentent ces armes bon marché, un pilote de drone de l’armée ukrainienne rencontré dans l’est du pays, indique qu’aujourd’hui, conduire à moins de dix kilomètres du front sans brouilleurs d’ondes (destinés à désactiver les drones à l’approche du véhicule) n’est plus raisonnable ; d’autant que, depuis quelques mois, le champ de bataille ukrainien a vu apparaître un nouveau type de drones tueurs, guidés par un câble de fibre optique, ce qui les rend insensibles au brouillage.
« C’est la raison pour laquelle, de nos jours, dans les régions du Donbass et de Kharkiv et, je pense, dans le sud [du pays], il est quasiment impossible de s’approcher du front en voiture. En conséquence, les équipes d’évacuation doivent marcher pendant peut-être trois kilomètres [en direction du front] puis faire le chemin inverse, à nouveau trois kilomètres, en portant le blessé. Les voitures ne peuvent pas se rendre sur place : elles seraient visées », explique Kristina. Trois kilomètres ; mais parfois quatre, parfois cinq, parfois plus, précise notre interlocutrice, qui ajoute que, même à pied, il n’est pas toujours possible de se rendre sur le front.
Le constat est partagé par Olga Sikyrynska, 24 ans, fondatrice et présidente de la fondation Mamay, une association de volontaires civils spécialisée dans les casevacs et l’entraînement des militaires aux premiers secours. Les équipes d’évacuation, ajoute-elle, « sont toujours l’une des cibles favorites ; parce que les Russes ne sont pas stupides. Dans un véhicule médical, il n’y a pas qu’un gars : il y a un chauffeur, deux secouristes et, souvent, les blessés. Parfois, on a un blessé seulement avec trois soignants ; mais parfois, on peut avoir cinq blessés dans la voiture. Parce que les secouristes et les soldats ont entassé tous ceux qu’ils pouvaient avant de partir. Malheureusement, pour l’ennemi, c’est toujours une bonne cible, parce qu’ils savent qu’ils peuvent détruire un véhicule et tous ceux qui sont à l’intérieur. »
La menace des drones, indique Kristina, « rend les évacuations presque impossibles ». C’est l’une des raisons pour lesquelles elle a décidé de changer de brigade il y a quelques semaines, afin de devenir elle-même pilote de drones. De son côté, Olga, qui a achevé sa dernière mission en novembre, précise : « Ça devient tellement dangereux que beaucoup d’unités ne veulent simplement plus prendre la responsabilité d’une équipe de volontaires. » Olga, qui a terminé sa licence de droit au cours de l’été 2022, indique avoir évacué plus de deux cent blessés du front avec ses équipes depuis la création de son organisation, en août de la même année.
Comme Kristina, elle a acquis ses connaissances médicales en tant qu’interprète bénévole durant les premiers mois du conflit, travaillant alors avec une association américaine venue enseigner les gestes qui sauvent aux militaires ukrainiens. Après avoir perdu son père, tué au combat en juin 2023, elle s’est décidée à travailler directement avec l’armée et a suivi diverses formations en Ukraine et en Pologne. La jeune femme, inconditionnelle du film Inglorious Basterds de Tarantino et qui, même en mission, ne se déplace que rarement sans son fidèle Baton – un cane corso d’une soixantaine de kilo – dispose désormais du statut de secouriste de combat. Passionnée par les soins d’urgence, elle a débuté une formation d’infirmière il y a tout juste quelques mois.
Bloqués sur le front, indique Kristina, les blessés « sont contraints de souffrir pendant une journée, parfois deux, parfois plus, avec pour seule assistance les soins de base que leur donnent leur frères et sœurs d’arme. » Or les soldats du rang sont loin d’être tous suffisamment formés pour pouvoir correctement s’occuper d’eux-mêmes ou de leurs camarades blessés ; une impréparation qui se paye en vies perdues et en complications médicales parfois irrémédiables.
Ainsi, précise Olga que nous interviewons à Kyïv, « généralement, les patients “rouges” [les plus sévèrement blessés, NDLR] meurent. Ensuite, les patients “jaunes” [dans un état intermédiaire] deviennent des patients rouges et les patients “verts” [les moins grièvement blessés] continuent tout simplement à combattre, même s’ils se sont pris des éclats d’obus ou souffrent d’une lésion cérébrale. »
Lorsqu’une évacuation peut enfin être organisée, elle a souvent lieu de nuit, tous feux éteints, si possible dans un véhicule blindé, à grand renfort de jumelles de vision nocturnes et de brouilleurs d’ondes – des matériels dont le coût s’élève à plusieurs milliers d’euros chacun et dont les brigades ne disposent pas en nombre suffisant.
Du fait des complications survenues pendant l’absence de traitement, les équipes médicales des postes de stabilisation ne sont plus toujours en mesure de prendre en charge les blessés les plus mal en point. Ceux-ci doivent alors être envoyés directement vers un hôpital de l’arrière. Durant cette nouvelle évacuation, qui peut prendre plusieurs heures, leur état continue de se dégrader ; le risque d’être amputé augmente… In fine, pour les survivants, le temps de guérison et d’hospitalisation se trouve allongé, ce qui implique un besoin accru de médecins, de matériel médical, de médicaments, de lits d’hôpitaux disponibles…
Face à la difficulté de participer elle-même aux évacuations, Olga pense désormais se concentrer sur la formation des troupes aux gestes des premiers secours, l’autre spécialité de sa fondation ; car en dehors des longs délais d’évacuation, l’armée ukrainienne souffre d’un manque de secouristes militaires lesquels, par ailleurs, du fait de leur rareté ou de leur statut de volontaire civil, ne demeurent pas sur le front. Olga, tout comme Kristina, est donc convaincue que l’acquisition par chaque soldat d’une maîtrise poussée des protocoles de premiers secours développés par l’armée américaine est une priorité.
Former les militaires cependant, relève parfois du défi, car le sujet des soins d’urgence n’est pas systématiquement pris au sérieux par les soldats et leur hiérarchie. « Si tu entraînes de nouvelles recrues, genre des gens qui ont tout juste rejoint l’armée, indique Olga, avec un sourire interdit, qu’ils aient été mobilisés ou qu’ils se soient portés volontaires, peu importe, ils veulent faire des trucs cools. Ils n’ont pas encore vu la guerre, donc ils veulent faire des trucs cools. Ils veulent… je ne sais pas… conduire un char, ou tirer sur l’ennemi. Ils disent […] que la médecine, c’est juste un truc de filles. »
Grave erreur ; car une maîtrise sérieuse de ces gestes permet, dans une certaine mesure, de compenser les longs délais d’évacuation. Ainsi, à l’automne 2023, Kristina at-t-elle dû prendre en charge un blessé dont le camarade était parvenu à effectuer un geste technique avancé pour un non secouriste : une conversion de garrot – opération qui consiste à panser la plaie à l’origine de l’hémorragie arrêtée par le garrot et à desserrer légèrement ce dernier afin de réactiver partiellement la circulation sanguine dans le membre touché. Malgré le délai d’évacuation, démontre Kristina, ce soldat qui « s’entraînait beaucoup » à ce type de geste est parvenu à « sauver la jambe de son camarade blessé ».
Peu à peu, comme l’illustre cette anecdote, les militaires ukrainiens prennent conscience de l’importance du sujet. Olga à qui, par hasard, il arrive d’entraîner une seconde fois les mêmes soldats rencontrés au moment de leur intégration dans l’armée, le confirme : après l’expérience du combat, précise-t-elle, ces derniers « écoutent de façon totalement différente », car au vu de « ce à quoi ressemble la guerre de nos jours, […] généralement, les moments où on se trouve au contact de l’ennemi, à se tirer dessus face à face, sont extrêmement rares […]. Habituellement, si tu es un fantassin, tu es assis dans ta tranchée et tu te fais bombarder par des drones kamikazes, par des munitions larguées par drones, par l’artillerie… […]. Tu as cent pour cent de chance d’avoir un jour à soigner quelqu’un […] ; mais pas cent pour cent de chance d’avoir à tirer. »
Les brigades les plus réputées de l’armée ukrainienne, comme la brigade Azov ou le bataillon des Loups De Vinci, sont d’ailleurs réputées pour la qualité du service de santé et de l’entraînement médical destiné à tous leurs combattants qu’elles sont parvenues à mettre en place. Ainsi, la plus célèbre d’entre elles, la 3e brigade d’assaut, précise Olga, « propose une formation initiale de vingt à vingt-cinq jours pour les nouvelles recrues qui, chaque jour, comporte un entraînement médical – environ quatre heures par jour. Ils consacrent autant de temps à la médecine qu’au tir. »
Ces progrès, cependant, sont à nuancer car les différentes unités qui composent l’armée ukrainienne jouissent d’une large autonomie et se livrent entre elles à une forme de concurrence pour obtenir le plus possible de financements, de dons et de ressources en règle générale. Aussi, explique Peter Bahr, 31 ans, chirurgien traumatologue allemand qui s’est rendu à diverses reprises en Ukraine comme bénévole, « si vous travaillez avec un bataillon efficace dans ce domaine, l’entraînement de leurs soldats sera également très bon […]. D’un autre côté, vous avez des brigades ou des bataillons qui manquent vraiment de moyens […]. Ces gars sont aussi ceux qui ne sont pas suffisamment entraînés et leurs soldats, s’ils ne peuvent pas être évacués, meurent, tout simplement. Dans certains cas, ils ne disposent même pas d’une chaîne d’évacuation permanente des blessés. »
Peter, jeune médecin enthousiaste, onze années de MMA à son actif, a réalisé ses études de médecine en Lituanie et au Royal College of Medicine de Londres. Depuis le début de l’invasion russe de 2022, il a passé environ sept mois en Ukraine.
Face à cette situation, les militaires peuvent heureusement compter sur le soutien inconditionnel des volontaires et donateurs, ukrainiens comme étrangers, qui contribuent au fonctionnement du système de santé de l’armée à divers niveaux. Selon Peter, « le système médical et le système d’évacuation, en particulier dans la zone rouge [la zone la plus proche du front, NDLR] et la zone de contact [le front en lui-même, NDLR], ne fonctionnerait probablement pas s’il n’y avait pas autant de volontaires. »
Bastian Veigel, 47 ans, citoyen allemand et traumatologue lui aussi, partage ce constat. Le chirurgien, amateur de rock métal et de l’écrivain britannique Terry Pratchett, s’est rendu à deux reprises dans l’oblast de Donetsk comme médecin militaire bénévole pour le compte de l’association Frontline Medics, à l’été 2023 et à l’automne 2024. « Au vu de mon expérience et des informations que j’ai obtenues par mes amis et d’autres organisations, sans ce vaste et efficace système de volontariat, je pense que l’Ukraine aurait perdu la guerre ; parce que c’est jusqu’à 50 % de l’évacuation des blessés qui dépend des volontaires étrangers et ukrainiens », détaille-t-il d’une voix tranquille.
Les volontaires sont également très actifs dans le ravitaillement de l’armée en matériel médical. L’expérience de Bastian l’illustre à grande échelle. En parallèle de ses 70 heures de travail hebdomadaires et de sa vie de famille, il a récolté plusieurs dizaines de milliers d’euros de dons au cours des deux dernières années ; une activité qu’il qualifie de « second métier » tant elle est chronophage. Cet argent, Bastian l’a principalement investi dans l’acquisition de matériel individuel de premier secours destiné aux militaires : garrots, gaze hémostatique, pansements occlusifs… autant de fournitures à usage unique et au prix élevé dont les soldats ont un besoin permanent, faute de ravitaillement toujours satisfaisant.
En outre, les volontaires jouent un rôle non-négligeable dans la formation des militaires aux premiers secours. C’est ainsi qu’Olga, avec l’aide d’une équipe d’instructeurs bénévoles américains, a déjà formé plusieurs milliers de soldats appartenant à une trentaine d’unités différentes.
« Pour être honnête, je pense que, dans cette guerre, si nous existons toujours comme pays et si nous avons toujours l’espoir d’obtenir la victoire prochainement, c’est uniquement parce que nous avons des volontaires […]. J’ai été volontaire, et ensuite je suis entrée dans l’armée […]. Je peux comparer : je ne suis rien sans les volontaires », indique Kristina, visiblement émue par ce soutien venu d’Ukraine et du monde entier.
La question du manque de matériel de premier secours et de sa qualité parfois défectueuse a été au cœur de plusieurs scandales d’État en Ukraine à l’été et l’automne 2023, comme l’ont rapporté à plusieurs reprises les titres de la presse internationale dont le Kyiv Independent ou le Guardian.
Pour Bastian et Peter, interviewés par téléphone et qui tous deux s’expriment en anglais, le volontariat, on l’aura compris, ne s’arrête pas à leurs missions en Ukraine. Informer l’opinion publique et les institutions internationales des conséquences de la guerre de haute intensité contemporaine pour les services de santé militaires et civils fait également partie des missions qu’ils s’assignent.
Selon les deux médecins, le concept des évacuations médicales tel qu’il est envisagé par les forces de l’OTAN, dont la majorité des pays de l’UE font partie, France y compris, doit impérativement être mis à jour ; car celui-ci repose en grande partie sur l’évacuation des blessés par hélicoptère et le déploiement de postes médicaux et hôpitaux de campagnes mobiles, y compris sous tentes et à proximité du front. C’est ce qu’indique par exemple le site du Service de santé des armées.
Or, précise Bastian, dans le contexte d’une guerre similaire à celle qui se déroule en Ukraine, les armées européennes n’auraient pas la garantie d’une totale supériorité aérienne et technologique sur l’ennemi ; et ce genre de structures de soins mobiles « durerait 24 heures avant de se faire entièrement pulvériser ». Quant à l’évacuation par hélicoptère, ajoute-t-il, ce n’est pas même une option : « Si vous essayez de voler, vous vous ferez abattre », indique-t-il, impatient de voir les leçons du conflit ukrainien prises en compte.
Aussi, Bastian et Peter partagent-ils le constat d’Olga, de Kristina et des nombreuses Ukrainiennes qui, dans ce conflit, jouent un rôle majeur dans la réforme du système de santé militaire de leur pays, quant à la formation des combattants aux premiers secours.
En outre, indique Peter, la vente de matériel médical d’urgence est « un secteur que nous devrions davantage réglementer » car, précise-t-il, en Ukraine comme dans l’UE, il est aujourd’hui possible de se procurer du matériel bon marché, non certifié qui, le jour de son utilisation, s’avère défaillant. Dans un contexte où l’État ne parvient pas à couvrir l’ensemble des besoins de ses troupes et où des volontaires ou des militaires, à titre individuel, tentent combler les déficits, une telle situation peut s’avérer mortelle.
Depuis 2023, plusieurs media (dont l’Espreso et le Spectator) ont ainsi rapporté des cas de décès de blessés qui avaient été soignés avec des garrots chinois de contrefaçon, par des volontaires voire par leurs propres unités ; une situation favorisée par un manque de précision de la loi ukrainienne établissant le contenu des trousses de secours des soldats. Celle-ci mentionne uniquement un type de garrot, sans lister les marques et modèles jugés fiables…
Comme le souligne Bastian, la guerre en Ukraine pose également des questions de dépendance industrielle. Ainsi, précise le chirurgien, « si j’ai besoin d’un garrot de bonne qualité, c’est soit les États-Unis, soit l’Ukraine. En Allemagne, je ne connais aucune entreprise qui produise des garrots ; et ce n’est qu’un exemple. » De fait, en dehors de l’Ukraine, il semble qu’il n’existe aucun grand fabricant européen de garrots militaires reconnus comme fiables. Il s’agit pourtant de l’un des éléments les plus importants d’une trousse de secours militaire. Que dire, en outre, des industriels de la santé européens dont les chaînes de production se trouvent en Chine ? La Chine dont le gouvernement est régulièrement accusé de soutenir le Kremlin dans le cadre de la guerre en Ukraine.
Enfin, ajoutent nos interlocuteurs, le conflit en Ukraine pose évidemment la question de la préparation des structures médicales civiles… Car, en Allemagne, précise Bastian « nous fermons des hôpitaux et nous réduisons la capacité à prodiguer des soins médicaux à grande échelle ». « Tous les médecins font des heures supplémentaires […], confirme Peter, et pour des raisons stupides, nous n’avons pas planifié le vieillissement de la génération du baby-boom […]. Cela représente une gigantesque population et […] personne n’a songé que, peut-être, nous aurions besoin de plus de personnel de santé pour nous en occuper » ; une situation qui, en France, suscitera peut-être une impression de déjà-vu et qui, peut-être aussi, pourrait faire réfléchir sur la manière dont on voudrait financer le réarmement dont on parle tant.
Fort de ces convictions, Peter réalise actuellement un cycle de conférences dans les États baltes et en Autriche afin de conseiller son auditoire sur la façon de préparer le système médical civil et militaire à un potentiel conflit avec la Russie. Bastian, de son côté, a réalisé plusieurs interventions sur le thème de la médecine militaire et des conditions d’évacuation des blessés en Ukraine (ces interventions sont accessibles sur le site de la MDR ainsi que sur Podcast.de). Ce travail de sensibilisation est parfois exténuant ; mais pour les deux confrères, les sources de motivation, qu’elles soient teintées d’espoir ou de tristesse ne manquent cependant pas. Parmi celles-ci figure la mort de leur ancienne traductrice, Margarita Polovinko, 31 ans, tuée en mission par un drone russe début avril. La disparition de la jeune femme, couverte par Le Monde entre autres médias, a ému bien au-delà des frontières de l’Ukraine.
<p>Cet article Ukraine : La condition des militaires blessés appelle à réfléchir a été publié par desk russie.</p>